B. RENFORCER L'EFFICACITÉ, LA FRÉQUENCE ET LE CARACTÈRE DISSUASIF DES CONTRÔLES
1. Renforcer la coopération et le travail en réseau des autorités compétentes
Le rapport d'audit de la Commission européenne a pointé la « mauvaise collaboration entre autorités compétentes et au sein de celles-ci, tant à l'échelle centrale qu'à l'échelle locale ». Cela rejoint le constat de la mission sur l'information lacunaire au sein même des différents organes de l'État, notamment entre administrations centrales et services déconcentrés. La rapporteure estime que le manque de collaboration a surtout pénalisé l'action des administrations locales qui, malgré leur engagement, étaient parfois entravées par le manque d'information.
La collaboration entre autorités compétentes a, de fait, été renforcée depuis 2022. La collaboration entre ARS a été renforcée du fait de la présence d'industriels dans plusieurs régions. Les ARS auditionnées par la rapporteure soulignent que ces échanges ont permis de faire converger les positions sur les modalités d'instruction des demandes d'autorisation - bien que des singularités hydrogéologiques limitent l'intérêt d'échanges plus poussés. La DGS a également indiqué à la rapporteure qu'un groupe national pour un partage d'expériences et un renforcement des contrôles allait être mis en place. Par ailleurs, en 2024, les travaux pour répondre à l'audit européen ont associé la DGS, la DGAL, la DGCCRF et les ARS.
Néanmoins, la mise en place, au second semestre 2022, d'un groupe technique national associant la DGS, l'Anses et les ARS, recommandée par l'Igas, n'a pas été mise en oeuvre. Or un groupe de travail sur les eaux conditionnées et les eaux thermales existait avec la crise sanitaire liée à la covid-19. Pour la rapporteure, il est indispensable de le réunir à nouveau dans une logique transversale inter-administrations.
Au-delà des échanges, la présente séquence a mis en évidence la nécessité de mener des contrôles conjoints pour bénéficier de la complémentarité entre les pouvoirs d'enquête élargis de la DGCCRF et la compétence sanitaire des ARS. Elle a en effet montré les limites du système de contrôle français, qui pâtit de sa fragmentation entre différentes autorités tout au long de la chaîne de production : en principe, après la prise de l'arrêté préfectoral d'autorisation d'exploitation, la conformité des pratiques de l'industriel aux conditions d'exploitation prévues dans l'arrêté n'est plus vérifiée, contrairement aux exigences du point 4 de l'annexe II de la directive 2009/54 - hormis les cas de signalement d'un tiers, de demande de validation ou de notification d'un changement de la part de l'industriel.
À cet effet, une doctrine de coopération entre la DGS, la DGAL et la DGCCRF décrivant les modalités de coopération et d'intervention dans le secteur des eaux embouteillées est en cours d'écriture.
Maillon central d'une logique de coopération, le partage d'informations doit enfin être renforcé entre les administrations économiques, agricoles et sanitaires. Il n'existe en effet aucun dispositif de partage officiel de données entre les ARS et les directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETS-PP) malgré l'existence de la base de données SISE-EAUX de la DGS qui centralise les données administratives et sanitaires relatives aux exploitations d'eaux minérales naturelles et d'eaux de source.
Recommandation n° 3 :
Développer le travail en réseau des autorités compétentes :
- perpétuer les échanges menés entre la DGS, la DGAL, la DGCCRF pour mettre en place un groupe de travail national sur les eaux conditionnées ;
- formaliser les bonnes pratiques de partages d'information et d'alerte entre les administrations centrales et locales permettant d'identifier les risques à la suite des contrôles.
2. Accroître la fréquence des inspections inopinées
Parmi les lacunes relevées par la Commission européenne, figure « l'absence d'inspections officielles régulières fondées sur les risques à une fréquence définie ».
Le rapport de l'Igas mentionne que seulement 9 inspections ont été effectuées par les ARS en 2020 et 17 en 2018. La cotation du risque des EMN et des ES étant faible, de nombreux exploitants n'étaient contrôlés qu'un fois tous les cinq ans. Même à la suite de manquements constatés, la fréquence des contrôles restait supérieure à un rythme annuel.
Pour l'ARS Occitanie, la mission d'information recense une seule inspection en 2018, aucune entre 2019 et 2021, 3 en 2022 et une en 2023. Toutes ces inspections étaient annoncées. L'ARS a néanmoins indiqué à la mission que les inspections de l'Igas et l'audit de la Commission européenne ont entraîné une « volonté marquée de renforcer les visites de contrôles et d'inspection ». En 2022, ce sont 52 inspections qui ont été menées par les ARS sur l'ensemble des sites de conditionnement, un chiffre en hausse. En 2024, à la suite des conclusions des rapports de l'Igas et de la Commission européenne, plusieurs inspections inopinées ont été réalisées ou mises au programme dans les mois à venir.
En ce qui concerne la DGCCRF, les visites inopinées sont le mode d'intervention privilégié, sauf exception. Néanmoins, des agents CCRF auditionnés ont indiqué à la rapporteure avoir parfois rencontré des difficultés lors d'inspections inopinées, notamment lors d'une inspection récente où les inspecteurs ont dû patienter une heure et demie avant de pouvoir entrer sur le site. Pour la rapporteure, cela n'est pas acceptable : l'obligation pour l'industriel de laisser immédiatement les inspecteurs mener leur inspection doit être réaffirmée clairement.
Face à des opérateurs susceptibles de dissimuler leurs pratiques, il est d'autant plus nécessaire que les ARS réalisent des inspections inopinées plus fréquentes et adoptent une approche fondée sur les risques afin de mener des contrôles ciblés en lien avec la DGCCRF, qui dispose de pouvoirs élargis.
Dans les cas où les inspections inopinées sont complexes du fait de la taille des exploitations, les délais de prévenance pourraient être considérablement réduits.
Recommandation n° 4 :
Pérenniser les inspections inopinées conjointes des autorités compétentes en matière de sécurité sanitaire et de loyauté des produits : inscrire leur principe, à une fréquence régulière, au sein des plans de contrôle des autorités compétentes.
3. Mieux communiquer sur les suites données aux contrôles
Les mesures de police administrative assorties d'une mesure de publicité sont particulièrement pertinentes pour informer les consommateurs tout en revêtant un caractère dissuasif du fait de l'atteinte réputationnelle.
En ce qui concerne la constatation d'éventuels délits - comme des pratiques commerciales trompeuses -, la mise en oeuvre des pouvoirs de police judiciaire (suites répressives) n'est en principe pas exclusive de la mise en oeuvre des pouvoirs de police administrative (suites correctives).
Or la rapporteure constate, comme le soulignait déjà le rapport d'audit de la Commission européenne, que les pouvoirs publics français n'ont pas utilisé les moyens à leur disposition pour faire cesser le manquement et ont privilégié un accompagnement vers la mise en conformité concomitant à une suite judiciaire.
La rapporteure le déplore, d'une part parce que l'absence de mesures correctives n'a pas permis de faire cesser le manquement rapidement, d'autre part parce que les mesures correctives assorties de publicité sont particulièrement dissuasives pour des opérateurs sensibles à leur réputation et peuvent être mises en oeuvre indépendamment de poursuites pénales.
Ces mesures de publicité, constituant un « Name and Shame », sont de plus en plus utilisées dans de nombreux domaines économiques. La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a notamment56(*) renforcé le champ des mesures de publicité en les appliquant aux injonctions de mise en conformité au code de la consommation, et en donnant la possibilité au ministre de l'économie de communiquer dès l'envoi d'une injonction sous astreinte à un professionnel en cas de pratiques anticoncurrentielles ou restrictives de concurrence.
En matière de pratique commerciale trompeuse, le code de la consommation donne aujourd'hui la possibilité à la DGCCRF d'assortir les injonctions de mesures de publicité par voie de presse, par voie électronique ou par voie d'affichage, éventuellement de manière cumulative. Les sanctions administratives prononcées à ce titre peuvent également faire l'objet d'une mesure de publicité.
Recommandation n° 5 :
Renforcer la publicité des mesures prises par les autorités de contrôle : encourager le recours à des mesures de police administrative correctives assorties de mesures de publicité en cas de non-conformité des exploitants à la règlementation afin de renforcer leur caractère dissuasif et de porter ces pratiques à l'attention du consommateur.
4. Renforcer la surveillance des exploitants
La mise en oeuvre du plan de transformation de Nestlé Waters a montré l'importance des missions de l'Anses et du laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN), sollicité pour appuyer les ARS Grand Est et Occitanie dans l'interprétation des données microbiologiques de l'exploitant.
Cette expérience doit être mise en valeur par la DGS pour être réitérée dans les territoires où les ARS l'estiment nécessaire : la rapporteure rappelle que c'est à l'initiative du directeur général de l'ARS Occitanie que la demande d'appui de la DGS à l'Anses, initialement restreinte au Grand Est, a été étendue à l'Occitanie. Face aux contraintes croissantes pesant sur la ressource, il apparaît intéressant à la rapporteure de favoriser la montée en compétence des laboratoires agréés sur des paramètres de surveillance non inclus dans la règlementation. De même, le lien entre laboratoires agréés et laboratoires d'autosurveillance des exploitants pourrait être renforcé pour leur permettre de monter en compétence.
Recommandation n° 6 :
Renforcer le dispositif de surveillance au service de la qualité sanitaire des eaux : favoriser l'accréditation des laboratoires agréés sur des paramètres encore peu surveillés aujourd'hui et non inclus dans la règlementation et réaliser des campagnes d'acquisition de connaissances des laboratoires d'autosurveillance des exploitants grâce à l'action du Laboratoire d'hydrologie de Nancy de l'Anses pour favoriser leur montée en compétences.
* 56 Article 20 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat modifiant l'article L464-9 du code de commerce et l'article L521-2 du code de la consommation.