IV. LES INVESTISSEMENTS DE « SECONDE GÉNÉRATION » : PLUSIEURS MILLIARDS D'EUROS DUS PAR LES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES ?

En marge des procédures de fin des concessions, l'État concédant doit traiter une problématique peu connue mais dont les enjeux financiers sont extrêmement significatifs. Il s'agit des investissements dits de « seconde génération ». Derrière ce terme « se cachent » des opérations d'investissements d'envergure, prévues dans les contrats de concessions mais non réalisées à ce jour par les sociétés d'autoroutes. Prises en compte dans l'équilibre économique des contrats, ces opérations ont pourtant été compensées financièrement à ces mêmes sociétés à travers les péages versés par les usagers des réseaux autoroutiers.

L'ART a entendu tout particulièrement alerter le rapporteur quant aux enjeux considérables de cette question. Elle a procédé à un premier travail de recensement de ces investissements qui doit absolument être repris et approfondi d'urgence par les services de l'État. Dans ce premier recensement l'ART a ainsi identifié des opérations d'investissement représentant pas moins de 38 élargissements pour environ 1 000 kilomètres de linéaire, soit plus d'un dixième du réseau autoroutier total. De manière plus anecdotique, l'autorité a aussi recensé douze diffuseurs mentionnés dans les contrats et qui n'étaient pas encore construits.

Il s'agit désormais de vérifier, opération par opération, celles qui ont été intégrées dans l'équilibre financier des contrats et donc déjà financées par les péages et celles qui ne l'avaient pas été. Ce n'est qu'à l'issue de cette instruction, qui doit être conduite par l'État, que le périmètre des investissements de seconde génération pourra être précisément cerné. Ce sont les suites qu'il convient d'apporter au recensement effectué par l'ART : « les travaux ne s'arrêtent néanmoins pas ici. Il reste à distinguer, au sein de ces investissements, ceux qui sont déjà compris dans l'équilibre économique des contrats et ceux qui ne le sont pas. Autrement dit, il reste à déterminer précisément les investissements pour lesquels il peut être considéré qu'une compensation a déjà été contractualisée, et ceux pour lesquels aucune compensation n'a été expressément prévue (sous forme de hausse de péage, de subvention ou sous toute autre forme, comme l'emploi de reliquats d'opérations abandonnées). Ceci permettra de conclure sur le périmètre exact des investissements qui sont, ou non, exigibles sans compensation supplémentaire »113(*).

D'après les premières estimations de l'ART, plusieurs milliards d'euros d'investissements pourraient être concernés. Il est probable que pour une majorité d'entre-eux, la réalisation de ces investissements ne serait plus pertinente tant au regard de l'évolution des conditions de circulation que des habitudes de mobilité. C'est d'ailleurs vraisemblablement la raison qui explique qu'ils n'aient jamais été exécutés. Il n'en demeure pas moins que certains de ces investissements ont fait l'objet de compensations financières au bénéfice des sociétés d'autoroutes et que cette question doit être traitée d'ici à la fin des contrats, et ce, quand bien même les opérations ne seraient jamais réalisées. C'est pour cette raison que l'ART a souligné auprès du rapporteur que « la question des investissements qui sont dus et celle des investissements qui sont pertinents ne doivent pas être confondues ».

Dans l'hypothèse où il ne serait jamais exécuté, un investissement de seconde génération prévu et compensé financièrement par un contrat de concession constituerait un avantage financier indu pour la société d'autoroutes concernée. Aussi, l'État concédant a-t-il le devoir de prendre des mesures pour corriger cette situation. C'est ce que l'ART a clairement signifié aux services de la DGITM : « toute dépense qui serait due en application du contrat, mais évitée in fine par le concessionnaire, serait constitutive d'un avantage financier pour ce dernier, qui devrait être utilisé au bénéfice des usagers des autoroutes concédées. Si le financement des investissements de seconde génération est assuré par des recettes de péage, passées ou à venir, l'abandon des opérations revient à déconnecter le tarif des péages du coût de la fourniture du service autoroutier. Il n'y a alors que deux solutions pour les réconcilier : améliorer la qualité du service autoroutier à travers des dépenses alternatives, ou diminuer le péage ».

Le rapporteur a appris que l'ART et les services de l'État échangent actuellement de façon régulière sur cette question sensible dont les enjeux pourraient représenter plusieurs milliards d'euros d'après le régulateur. Pourtant, l'État n'a toujours pas arrêté sa position sur le sujet.

Aussi, le rapporteur recommande-t-il à l'État de procéder d'urgence au recensement de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concession et déjà compensés financièrement aux sociétés d'autoroutes par les recettes tarifaires. Le temps nécessaire à ce travail ne doit pas être sous-estimé compte-tenu de l'ampleur de la tâche. C'est pourquoi il est indispensable que les services de la DGITM l'engagent sans délai. À l'issue de ce recensement, l'État concédant devra estimer le caractère pertinent ou non de l'exécution de ces opérations. Pour toutes celles dont la réalisation serait jugée non adaptée à la situation actuelle, le rapporteur propose que leur soient substitués des investissements alternatifs utiles, notamment visant à faire progresser la transition écologique des infrastructures autoroutières. Pour ces investissements alternatifs, à définir de façon rigoureuse, le rapporteur suggère ainsi de prioriser des opérations en faveur du report modal (tels que la réalisation de pôles d'échanges multimodaux, de voies de cars express ou de covoiturage, etc.) et de l'adaptation des infrastructures au changement climatique (par exemple la réalisation d'ouvrages d'assainissement, l'isolation de postes électriques, la consolidation des chaussées, etc.).

Recommandation n° 7 : réaliser un recensement précis de l'ensemble des investissements prévus dans les contrats de concessions et déjà financés par les péages puis s'assurer qu'ils soient effectivement réalisés par les concessionnaires ou, le cas échéant, remplacés par d'autres investissements plus pertinents, notamment en lien avec la transition écologique des infrastructures autoroutières.


* 113 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

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