B. DEUX FORMES DE DÉLÉGATION DE LA GESTION DES AUTOROUTES SONT POSSIBLES : LES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ ET LES CONCESSIONS
1. Les « partenariats public-privé » ne sont que peu utilisés à ce jour dans le domaine des infrastructures de transport
La délégation de la gestion des autoroutes pourrait s'effectuer au moyen de marchés de partenariats, les anciens « partenariats public-privé » ou « PPP », à la réputation parfois « sulfureuse ». Selon ce modèle, l'État supporterait le risque trafic et prélèverait les péages à son compte. Dans le cadre de contrats de partenariats attribués via des procédures de mise en concurrence, il confierait à des tiers, le cas échéant à des sociétés privées, la construction voire l'entretien, la maintenance et l'exploitation des infrastructures autoroutières. En contrepartie, l'État leur verserait un loyer fixe sur toute la durée du contrat.
En effet, le marché de partenariat permet à la puissance publique d'intégrer dans un contrat unique la conception, la construction, le financement privé ainsi que l'exploitation technique d'un ouvrage. Le périmètre minimum obligatoire de ce marché porte sur la construction et tout ou partie du financement de l'ouvrage. Le périmètre maximal d'un tel marché peut aller jusqu'à l'exploitation commerciale de l'ouvrage considéré mais sans transfert significatif du risque lié à la demande, c'est-à-dire du risque trafic, faute de quoi le contrat serait vraisemblablement requalifié par le juge en contrat de concession.
En Europe, ce modèle est notamment pratiqué au Portugal, sur environ 60 % de l'ensemble de son réseau autoroutier. Dans ce pays, pour les tronçons ainsi opérés, le gestionnaire public, Infraestructuras de Portugal, supporte le risque trafic, prélève les péages et délègue la gestion opérationnelle des infrastructures autoroutières à des entités privées.
En France, ce mode de gestion est toutefois très peu usité dans le secteur des infrastructures de transport, à l'exception du boulevard périphérique du nord de Lyon (BPNL), de la rocade L2 de Marseille, de la ligne LGV Bretagne - Pays-de-la-Loire ou encore de la gare de Montpellier. Il ne concerne actuellement que de « petites » infrastructures récentes très loin de l'ampleur du réseau autoroutier national concédé. Faute de retours d'expérience substantiels, un tel changement d'échelle pourrait s'apparenter à une forme de « saut dans l'inconnu » périlleux.
D'un point de vue budgétaire, les loyers qui seraient dus par l'État aux tiers contractants constitueraient des dépenses publiques obligatoires de long terme. Elles aboutiraient ainsi à augmenter et à rigidifier les ratios de dépenses publiques. Par ailleurs, le modèle des marchés de partenariat conduirait vraisemblablement, notamment selon l'analyse de la direction générale du Trésor, à une consolidation de l'essentiel des coûts d'investissement prévisionnels relatifs aux infrastructures considérées. La dette publique française au sens « Maastrichtien », qui relève des dispositifs d'encadrement européen des finances publiques nationales, serait ainsi majorée au détriment des marges de manoeuvre budgétaires du pays.
Enfin, pour qu'un marché de partenariat soit légal, la personne publique contractante, en l'occurrence l'État, doit effectuer la démonstration, le cas échéant devant le juge, que cette option présente un bilan plus favorable que d'autres montages possibles, notamment sur le plan financier.
2. Les insuffisances des contrats historiques ne doivent pas conduire à jeter l'opprobre sur un modèle concessif qui comporte des atouts indéniables pour l'État comme pour les usagers
Le modèle de la concession est celui qui se caractérise par l'externalisation la plus complète de la gestion des infrastructures et le transfert de risques le plus approfondi. En effet, le concessionnaire doit assurer la construction, l'entretien et l'exploitation des infrastructures concernées. Dans le cadre de ce modèle, le concessionnaire doit porter une part significative du risque d'exploitation, c'est-à-dire le risque de fréquentation de l'ouvrage, communément appelé « risque trafic » dans le secteur autoroutier. À défaut, le contrat pourrait être requalifié par le juge en marché de partenariat.
Le concessionnaire est rémunéré par les usagers qui lui versent des péages. Ces péages sont établis de façon à couvrir les coûts du concessionnaire, y compris en matière de rémunération du capital.
Il est à noter que concession ne rime pas nécessairement avec privatisation. Au contraire, historiquement, jusqu'en 2006, la majorité des concessions autoroutières avaient été octroyées à des sociétés à capitaux publics. Aujourd'hui encore, les concessions du tunnel du Mont-Blanc et du tunnel du Fréjus sont opérées par des concessionnaires à capitaux quasi exclusivement publics121(*).
Si les contrats historiques souffrent de profondes insuffisances décrites supra, le rapporteur tient à souligner que ces défauts résultent pour l'essentiel de l'histoire de ces contrats, imaginés à l'origine pour régir des relations entre personnes publiques sans que n'interviennent des intérêts de nature privée. La rédaction de ces contrats est inadaptée à l'encadrement de relations entre un concédant public, garant de l'intérêt général, et un concessionnaire privé dont la vocation, par ailleurs tout à fait légitime, est de maximiser ses profits. Pour autant, ces contrats défaillants ne doivent pas conduire, par un raccourci erroné, à condamner de façon générale le modèle concessif qui, aux yeux du rapporteur, présente des avantages incontestables par rapport aux autres pistes.
Contrairement aux formules de la gestion en régie ou du marché de partenariat, le choix d'un modèle concessif réformé avec des concessionnaires privés ne générerait ni augmentation des dépenses publiques ni hausse de l'emploi public. Le financement des infrastructures étant assuré par des sociétés privées à leurs risques et périls, les investissements et dettes concernées ne seraient pas consolidées dans les comptes publics. Ainsi, les ratios de dette publique « Maastrichtienne » ne seraient pas dégradés. Aussi, les investissements dans l'entretien des infrastructures autoroutières ne pourraient-ils pas servir de variable d'ajustement et faire les frais d'une volonté d'améliorer les ratios de dépenses et de dette publique.
Par ailleurs, le modèle concessif, à la condition que les cahiers des charges soient bien rédigés, permet à l'État, au terme du contrat, de se voir remettre à titre gratuit et en bon état d'entretien des infrastructures dont la construction a été couverte sur fonds privés à travers un système de financement vertueux de type « utilisateur-payeur ».
Un autre avantage du modèle concessif, en comparaison par exemple de la gestion en régie, est précisément qu'il permet de légitimer et d'assurer la pérennité de ce modèle de financement vertueux via des péages qui ne mobilise pas les contribuables. Ce système est également vertueux dans le sens où il sécurise les investissements nécessaires à l'entretien, à la régénération et à la maintenance du réseau. Dans ce modèle, ces investissements échappent aux risques inhérents au principe d'annualité budgétaire et aux aléas politiques, un gage de maintien en bon état d'entretien des infrastructures. L'état préoccupant du réseau routier national non concédé est là pour nous rappeler les périls qui peuvent résulter d'un financement des infrastructures par des crédits issus du budget de l'État.
En outre, la logique même de ce système de financement, qui suppose de prendre en compte les besoins réels des usagers, conduit à rationaliser les choix d'investissements.
Le modèle concessif donne la possibilité à l'État de s'appuyer sur l'efficacité et l'efficience du secteur privé. Les incitations à la performance de la gestion des infrastructures s'en trouvent optimisées. La qualité de service que l'État concédant impose au concessionnaire peut ainsi être atteinte au moindre coût.
Enfin, à condition que les concessions soient suffisamment courtes et affectées à des périmètres géographiques adaptés, ce modèle doit permettre de tirer pleinement partie des gains d'efficience résultant de la mise en concurrence d'une diversité d'acteurs incités à dévoiler la réalité de leurs coûts et à réduire leurs marges. Dans ces conditions, le modèle concessif apparaît de nature à permettre l'atteinte d'une forme d'optimum.
* 121 La société autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) et la société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF).