IV. L'EXPLOITATION DES AUTOROUTES DEVRA CONTRIBUER AU FINANCEMENT DES MOBILITÉS ET À LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Aujourd'hui déjà, une partie des recettes tirées de l'exploitation des autoroutes est affectée aux investissements dans les infrastructures de transport en général à travers des ressources affectées à l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT-France). En 2024, ces affectations ne devraient cependant représenter qu'environ 15 % (moins de 1,5 milliard d'euros) du chiffre d'affaires total des autoroutes concédées qui représente plus de 10 milliards d'euros par an.

Évolution du chiffre d'affaires annuel du réseau autoroutier concédé

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

Alors que les besoins évalués d'investissements nécessaires à la transition écologique du secteur des transports sont considérables et que le contexte budgétaire contraint empêche jusqu'à aujourd'hui les pouvoirs publics d'en déterminer un modèle de financement à la fois pérenne et à la hauteur des enjeux, le rapporteur considère qu'il est absolument essentiel que l'État se saisisse de l'occasion offerte par l'expiration des concessions historiques.

Même s'il convient de rester très prudent au regard des incertitudes qui portent sur les investissements prévisionnels en lien avec les enjeux de décarbonation et d'adaptation au changement climatique qui pourraient, dans certaines hypothèses, s'avérer tout sauf négligeables, il semble à ce jour vraisemblable, compte-tenu de sa maturité, de considérer que les dépenses à venir dans le réseau autoroutier concédé seront sensiblement inférieures à celles qui ont dû être financées dans le cadre des contrats actuels.

Aussi, dans l'hypothèse où les recettes de péages seraient maintenues à leur niveau actuel, le rapporteur observe qu'il serait possible d'en affecter une part plus substantielle au financement des principaux enjeux de la mobilité dans son ensemble. Cette manne pourrait non seulement permettre d'enrayer la dégradation inquiétante des infrastructures routières non concédées mais aussi plus largement contribuer au financement des infrastructures ferroviaires ainsi que des transports en commun du quotidien.

Le rapporteur estime que cette perspective doit constituer l'un des objectifs majeurs de l'État dans le cadre de ses réflexions sur le modèle de gestion des autoroutes qui succèdera aux contrats de concessions historiques.

A. ALORS QUE L'ÉTAT DU RÉSEAU ROUTIER EST PRÉOCCUPANT, L'ÉTAT DOIT DÉFINIR UNE VÉRITABLE STRATÉGIE ROUTIÈRE ET AUTOROUTIÈRE

Si le manque de financements relatifs à l'entretien et la régénération des infrastructures du réseau routier national concédé est manifeste et caractérisé par la dégradation continue de son état, la définition et l'évaluation des investissements routiers et autoroutiers nécessaires dans les années et décennies à venir restent à ce stade trop peu documentées. Faute d'une stratégie de l'État dans le domaine routier, plusieurs études et des chiffrages très divers cohabitent mais il n'existe toujours aucune évaluation solide et consolidée relative aux enjeux financiers des besoins d'investissements prévisionnels à moyen et long terme.

1. L'état inquiétant du réseau routier non concédé

Le rapporteur a déjà pu le souligner dans le rapport qu'il a présenté à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, à l'inverse de la situation qui prévaut pour les autoroutes concédées, l'état du réseau routier national non concédé est particulièrement préoccupant.

Certes, fort heureusement, une certaine prise de conscience est intervenue à la fin de la précédente décennie133(*) et les crédits annuels consacrés par l'État à l'entretien et à la régénération du réseau routier national ont été progressivement augmentés pour dépasser dorénavant le milliard d'euros.

Évolution des crédits de paiement consacrés à l'entretien et de la régénération
du réseau routier national (2012-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Toutefois, ce montant de crédits demeure insuffisant pour enrayer la tendance à la dégradation des infrastructures, notamment car son évolution n'a pas compensé le phénomène d'inflation qui s'est manifesté à partir de l'année 2021. Pour tenir compte de ce phénomène, au moins 1,2 milliard d'euros par an sembleraient nécessaires.

Le rapporteur note par ailleurs que cette situation n'est pas nouvelle et que les travaux du Sénat ont été à bien des égards pionniers en la matière. Un rapport d'information de 2012 consacré aux infrastructures de transport134(*) avait à ce titre déjà identifié ce phénomène de sous-investissement et la dégradation des infrastructures qui en résultait.

Par ailleurs, au-delà du réseau routier national, l'état d'entretien des voiries gérées par les collectivités territoriales souffre également d'un manque de financements disponibles. À ce titre, compte tenu de la situation et des perspectives financières des départements et des charges supplémentaires qu'ils ont à supporter, l'avenir des voiries départementales suscite de vraies inquiétudes.

2. L'enjeu de décarbonation des infrastructures routières s'inscrit dans les politiques d'atténuation du changement climatique

Dans ses différentes dimensions, l'enjeu de décarbonation représente assurément un facteur déterminant des investissements prévisionnels dans les infrastructures routières et autoroutières. Toutefois, faute d'une stratégie claire en a matière, le rapporteur a pu observer qu'il n'existait pas à ce jour de vision consensuelle des investissements nécessaires à la décarbonation des réseaux routiers et autoroutiers. Par conséquent, les coûts prévisionnels consolidés de cette décarbonation demeurent très incertains. Or, le rapporteur souligne qu'une évaluation précise de ces coûts est un préalable indispensable à la conception du modèle de gestion du réseau autoroutier qui s'appliquera à l'issue des contrats historiques.

Dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières, faisant le constat que « le secteur autoroutier est au coeur des ambitions de la France en matière d'atténuation et d'adaptation au changement climatique » l'ART soulignait que « l'impératif climatique aura des conséquences pour le secteur, en particulier en matière d'investissements ». D'après l'ART, les véhicules circulant sur le réseau autoroutier émettraient en moyenne environ 27 millions de tonnes de COpar an soit 22 % des émissions résultant des transports, elles-mêmes responsables de 40 % des émissions totales tous secteurs confondus au niveau national, et 9 % des émissions liées à l'énergie.

a) L'accompagnement de la décarbonation des flottes de véhicules

Le principal facteur d'investissements routiers dans le cadre des politiques d'atténuation du changement climatique relèvera de l'accompagnement de la décarbonation des flottes de véhicules. À ce titre, l'enjeu principal est celui de la décarbonation du transport routier de marchandises. La stratégie de long terme qui sera adoptée en la matière conditionnera largement l'ampleur des investissements à consentir sur le réseau autoroutier.

Actuellement, essentiellement dans le cadre de l'électrification du parc de véhicules légers, les travaux dans ce domaine se concentrent autour du déploiement d'un réseau de bornes de recharge électrique. Ces dernières années l'équipement du réseau autoroutier en bornes de recharge a été soutenu. Un décret du 12 février 2021135(*) avait ainsi imposé l'équipement en bornes de recharge électrique de la quasi-totalité du réseau.

Depuis lors, dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART avait constaté un « saut à la fois quantitatif et qualitatif ». En effet, « alors qu'en 2020, 93 aires de services seulement sur les 360 que comportait le réseau concédé étaient équipées de bornes de recharge électrique, plus de 300 aires de services seront équipées en 2023. Le saut est aussi qualitatif : 60 % des bornes de recharge électrique du réseau autoroutier délivrent des puissances comprises entre 150 kilowatts et 350 kilowatts, ce qui permet une recharge en moins de 30 minutes pour des autonomies de plusieurs centaines de kilomètres ».

Ce développement significatif a été confirmé au rapporteur par la DGITM : « un effort important a été réalisé ces deux dernières années pour équiper en bornes de recharge pour les véhicules légers le réseau routier national. Alors qu'il comprenait moins de 500 points de charge en 2021, il est désormais équipé d'environ 2 800 points de charge sur presque 400 aires de service du réseau routier, complété par 2 800 autres points de charge déployés à proximité des carrefours du réseau non concédé sur 570 stations »136(*).

S'agissant des perspectives pour les années à venir, la DGITM prévoit une nouvelle accélération sensible d'ici à 2035 : « pour les véhicules légers, le nombre de points de charge nécessaires devraient s'élever à environ 35 000 le long du réseau routier national » tandis que « pour les poids-lourds, dès lors que 30 % des flottes seront électrifiées, le nombre de points de charge devrait s'élever à 13 000 dont 3 000 bornes ultra-rapide et des stations sur toutes les aires de service ».

Toutefois le ministère des transports reconnaît que cette perspective se heurte à des difficultés tenant au modèle économique des nouvelles bornes et qui risquent de compromettre sa réalisation effective. La DGITM a notamment signalé au rapporteur que « les investissements seront plus importants que pour la première phase de déploiement 2021-2023, d'une part car les besoins de puissance seront plus importants, d'autre part car les marges résiduelles de distribution sans travaux conséquent sur le réseau électrique (ex. réalisation de postes source) ont été utilisées et enfin car le foncier se fera plus rare ». D'autre part, « l'équipement à venir en bornes de recharge pour les poids-lourds induira des difficultés supplémentaires qui viendront réduire la marge des opérateurs : travaux d'aménagement des sites plus importants (création d'îlots, reconstitution des places supprimées, système de réservation des places électriques et de garantie de la recharge...), tension plus importante sur le prix de revente de l'électricité pour équilibrer le modèle du poids lourd électrique par rapport au poids lourd thermique »137(*). En raison de ces difficultés, la DGITM en est arrivé à la conclusion que « le modèle économique d'investissement pour les infrastructures de recharge de véhicule électrique (IRVE) sur le réseau routier national ne peut structurellement pas être rentable aujourd'hui ».

Dans le but d'éviter un coup d'arrêt qui pourrait affecter les objectifs d'électrification des flottes de véhicules, la DGITM et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) doivent concevoir avant la fin de l'année un schéma directeur de déploiement des bornes de recharge électrique le long du réseau routier national.

Le principal enjeu du verdissement des flottes de véhicules, qui se trouve également être le plus complexe, est incontestablement celui de la décarbonation du secteur du transport routier de marchandises. Après de nombreuses études et réflexions, il semble que désormais la solution de son électrification, au moyen de véhicules à batteries, soit l'hypothèse privilégiée, au détriment des options alternatives qui ont pu être envisagées, notamment des motorisations hydrogènes.

L'électrification des poids lourds pourrait passer, comme pour les véhicules légers, par le déploiement de bornes de recharge le long des itinéraires routiers. Toutefois, d'autres scénarios, qui, s'ils étaient retenus, pourraient donner lieu à des besoins d'investissements massifs dans les infrastructures autoroutières, sont à l'étude, notamment des projets de « routes électriques ».

D'après la définition qu'en fait la DGITM, « les systèmes de route électrique consistent à apporter de l'énergie électrique (par caténaires, par rail au sol ou par induction sous les chaussées) à des véhicules électriques pendant que ceux-ci sont en train de rouler. Cela permet ainsi d'imaginer des véhicules (véhicules légers et poids-lourds) à motorisation électrique mais emportant des batteries plus petites ».

Par ailleurs, lors de son audition, le directeur général du groupe SANEF a signalé au rapporteur une expérimentation conduite par sa société en partenariat avec CEVA Logistics et ENGIE. Sur le principe des anciens relais de poste, cette solution de décarbonation du transport routier de marchandises reposerait sur l'installation tous les 300 kilomètres de stations pourvues de bornes de recharge de haute puissance et de tracteurs interchangeables. Les transporteurs pourraient ainsi reprendre leur route sans attendre la recharge de leur véhicule. D'après la société SANEF, environ 70 relais installés sur les principaux axes de circulation pourraient permettre de couvrir l'ensemble du territoire.

b) Plus vertueux sur le plan environnemental, de nouveaux usages de la route occasionnent également des travaux d'infrastructures

Au-delà des questions de conversion des flottes de véhicules, et toujours dans le cadre des politiques d'atténuation du réchauffement climatique, de nouveaux usages de la route, comme le covoiturage ou le développement de lignes de cars express, ainsi que le développement de la multimodalité se traduisent également par des investissements sur les réseaux routiers et autoroutiers.

Ces solutions doivent permettre de contribuer à la décarbonation de la mobilité périurbaine qui, comme l'avait souligné en 2023 la mission d'information de la commission des finances du Sénat consacrée au financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), représente « l'enjeu de la décennie en matière de report modal ».

Les enjeux majeurs du verdissement de la mobilité périurbaine

Si aujourd'hui le coeur des grandes agglomérations est souvent bien irrigué par des réseaux de transport en commun qui ont permis de réduire la part de la voiture individuelle dans les déplacements, d'importants gisements de report modal et donc, par voie de conséquence, de réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES) résident dans le raccordement des périphéries aux agglomérations et des déplacements au sein même de ces périphéries ou des zones péri-urbaines. Aujourd'hui, l'accès aux agglomérations se réalise encore très majoritairement en voitures individuelles. Ce raccordement des périphéries par des services de transport en commun efficaces constitue aujourd'hui le principal angle mort de la transition écologique des transports du quotidien et le grand enjeu des prochaines années en termes de réduction des GES dans ce secteur.

Le potentiel de décarbonation lié à cet enjeu apparaît en effet absolument considérable. D'après les recherches de Jean Coldefy138(*), les déplacements entre les métropoles et leurs espaces périurbain et périphérique sont à la source des principales émissions de COdes mobilités et représenteraient 7 % des émissions totales en France. À titre d'exemple, ces émissions seraient 35 fois plus importantes que celles des villes-centres, beaucoup plus densément irriguées en réseau de transports en commun. La direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) confirme que les seuls flux centres-périphéries concentrent environ 50 % des émissions de COrelatives à la mobilité quotidienne des personnes alors que les villes-centres n'en représentent que 2 %. Cette situation s'explique par le fait que la part modale des transports en commun chute drastiquement de 27 % à 5 % entre les pôles d'agglomérations et leurs couronnes.

Pour relever le défi du raccordement des agglomérations à leurs zones périurbaines et périphériques, il serait nécessaire de multiplier par trois voire par quatre l'offre de mobilité partagée au sein de ces territoires. L'articulation des agglomérations avec leurs territoires périphériques par des moyens de mobilité adaptés et conçus dans une perspective intermodale pourrait permettre, d'après les estimations de la DGITM, de diminuer de 30 % les flux automobiles rentrant dans les métropoles.

Source : rapport d'information n° 830 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), par MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL

Le développement des usages collectifs de la route, au premier rang desquels le covoiturage, suppose ainsi le déploiement de nouvelles infrastructures spécifiques : des parkings de covoiturage, des pôles d'échanges multimodaux ou des voies réservées à ces usages. Si de telles infrastructures ont d'ores et déjà été créées à travers le territoire, la mission d'information de la commission des finances du Sénat précitée a souligné que beaucoup reste encore à accomplir en la matière.

Des besoins d'infrastructures nouvelles pour développer
les offres de mobilité partagée

Alors que les nouveaux développements de l'offre de transport du quotidien ne peuvent s'envisager autrement que dans une logique d'intermodalité permettant l'articulation la plus poussée possible des différents modes de déplacement, les acteurs du secteur font le constat que le nombre de parking relais est aujourd'hui très insuffisant. Une multiplication par deux voire par trois serait nécessaire.

Le coût par place d'un parking relais se situe entre 5 000 et 25 000 euros selon leur nature (parking au sol, en silo, souterrain). Le même constat peut être dressé s'agissant des pôles d'échange multimodaux (PEM) ferroviaires mais également routiers dont les coûts s'établissent dans des fourchettes allant respectivement de 10 à 50 millions d'euros et de 5 à 6 millions d'euros.

Source : rapport d'information n° 830 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), par MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL

Le développement de lignes d'autocars express (aussi appelés cars à haut niveau de service) le long des voies routières et autoroutières structurantes apparaît également de plus en plus comme une réponse aux enjeux de la mobilité périurbaine. Les avantages de cette solution de mobilité ont notamment été mis en évidence par la mission d'information sénatoriale sur le financement des AOM précitée (voir encadré ci-après). Le développement de telles lignes suppose des investissements pour créer des voies dédiées ou encore des pôles multimodaux permettant de rabattre le trafic automobile sur cette nouvelle offre de transport collectif.

L'intérêt du développement de lignes de cars express

Le car express à haute fréquence semble constituer une solution particulièrement adaptée à l'enjeu du raccordement des agglomérations à leurs zones périurbaines et périphériques. Ce service se révèle plus efficient encore lorsqu'il se combine avec l'utilisation de voies réservées sur les grands axes routiers d'accès aux agglomérations et de systèmes de priorités de circulation. Ce type de voies réservées peut être organisé à moindre coût sur les bandes d'arrêt d'urgence des autoroutes. Un référentiel technique régulièrement mis à jour par le Cerema présente à ce titre, à l'attention des collectivités, les dernières mises à jour règlementaires et les procédures d'aménagements de voies réservées aux services réguliers de transports collectifs sur les voies structurantes d'agglomérations (VRTC)139(*).

De tels services ont été mis en place en Île-de-France, sur l'aire urbaine grenobloise ou encore entre Aix-en-Provence et Marseille. Les services de cars express fonctionnant à Madrid sont souvent cités en exemple pour leur succès. Leur performance repose en grande partie sur la qualité des stations d'interconnexions avec les autres modes de transports lourds qui limite très significativement la rupture de charge et donc les pertes de temps pour l'usager.

De nombreuses études récentes font le constat de la performance économique et climatique des cars express et en recommandent le développement. L'évaluation réalisée en 2020 par le conseil scientifique du ministère des transports140(*) sur ces systèmes a mis en évidence leur pertinence et la hausse de fréquentation significative qu'ils ont générée. L'efficience économique et environnementale du car express semble particulièrement prononcée. En raisonnant en euros par tonne de COévitée Jean Coldefy estime par exemple que son efficience est en moyenne sept fois supérieure à celle du TER. Il considère qu'en moyenne 100 euros investis dans des lignes de cars express permettent d'économiser une tonne de CO2. Une étude de 2021 réalisée par la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT) et Régions de France141(*) a également dressé le constat de la pertinence économique des services de cars express, une analyse également partagée par un rapport d'avril 2023 concernant le développement des lignes de cars express en Île-de-France142(*).

Source : rapport d'information n° 830 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), par MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL

Par ailleurs, le développement des péages dits « en flux libre »143(*) occasionnera aussi des investissements sur le réseau autoroutier. La DGITM souligne que le « flux libre » doit permettre de réaliser « des gains substantiels en termes de temps de transport, de consommation de foncier, de sécurité routière, de lisibilité pour les usagers et d'énergie et d'émissions de gaz à effet de serre ». Avant la fin des concessions historiques, certains investissements de cette nature sont déjà prévus, notamment sur l'A13 et l'A14 par des avenants aux cahiers des charges concessions opérées par les sociétés SANEF et SAPN. En outre, toutes les nouvelles concessions autoroutières récemment ou prochainement mises en service comprennent par défaut ce type de péage.

D'après les éléments communiqués au rapporteur par la DGITM, après la fin des concessions historiques, la généralisation du flux libre à l'ensemble du réseau autoroutier pourrait représenter des investissements de plus de 3,5 milliards d'euros.

3. L'adaptation aux conséquences des dérèglements climatiques affectera aussi les investissements routiers

Dans son rapport de 2023 sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART souligne qu'au-delà des politiques d'atténuation du phénomène de réchauffement climatique, l'adaptation aux conséquences des dérèglements du climat aura aussi une incidence significative sur le secteur autoroutier : « les événements climatiques affectant les infrastructures de transport et leurs fonctionnalités, il sera vraisemblablement nécessaire de faire évoluer la manière dont elles sont construites et exploitées. Il s'agit de minimiser les conséquences d'événements extrêmes tels que les inondations ou les mouvements de terrain, mais aussi d'anticiper les changements concernant les conditions moyennes, par exemple, les cycles de gel et les fortes chaleurs qui accéléreront l'usure des chaussées ».

Cette problématique fait l'objet d'une attention particulière du Cerema. L'établissement pilote d'ailleurs actuellement la réalisation d'une étude spécifiquement consacrée à cette question. Lors de son audition, le directeur général du Cerema a confirmé au rapporteur que le sujet de l'adaptation au changement climatique des infrastructures routières constituait en effet un enjeu majeur en particulier dans la mesure où les chaussées sont dimensionnées en fonction de températures et hydrométrie. Il sera ainsi nécessaire de les remplacer pour partie. Les travaux nécessaires seront substantiels. Cependant, d'après les études préliminaires effectuées par le Cerema, s'ils sont réalisés progressivement, au fur et à mesure des renouvellements programmés, leurs coût additionnels seraient tout à fait maîtrisables.

Il est cependant indispensable d'intégrer dès maintenant la problématique de l'adaptation aux dérèglements climatiques dans l'ensemble des politiques de gestion du patrimoine routier.

4. Définir une stratégie de transition écologique des infrastructures routières et en évaluer les coûts

Le rapporteur a pu faire le constat qu'aujourd'hui, ni l'État ni aucun autre acteur du secteur ne disposait d'une visibilité suffisante concernant les investissements prévisionnels de moyen-long terme dans les infrastructures routières et autoroutières, en particulier en lien avec les impératifs de la transition écologique. Il s'agit pourtant d'un préalable indispensable au choix du mode de gestion des autoroutes après l'expiration des contrats historiques. Aussi est-il urgent d'avoir une vision beaucoup plus claire sur ces enjeux. La première étape consiste pour l'État à établir une stratégie de long terme pour les infrastructures routières.

L'ART notait ainsi en 2023 que « la question des investissements nécessaires à la décarbonation du secteur reste ouverte (...). La décarbonation de l'infrastructure autoroutière nécessitera des investissements dont la nature et le calendrier de déploiement restent cependant à définir »144(*). Dans ce même rapport, le régulateur insistait sur la nécessité que l'État se dote d'une stratégie de décarbonation de son réseau autoroutier qui pourrait faire l'objet d'un chiffrage : « la pertinence de ces investissements mériterait d'être examinée au cas par cas. À ce stade, la puissance publique ne s'est pas dotée d'une feuille de route précise des actions à mener pour décarboner le secteur autoroutier. Il n'existe pas de chiffrage faisant référence sur ces besoins et encore moins un plan d'investissement structuré et programmé dans le temps ».

En l'absence de cap clair fixé par l'État, certaines sociétés d'autoroutes plaident pour des options technologiques qui occasionneraient des travaux extrêmement coûteux et qui pourraient, d'après-elles, justifier de réattribuer des concessions de longue durée. C'est par exemple le cas d'une étude que la groupe Vinci a fait réaliser en 2023 par le cabinet Altermind. En retenant l'hypothèse d'une généralisation de la technologie de l'autoroute électrique selon le système dit « ERS » (electric road system), cette étude aboutit à des investissements prévisionnels cumulés pour les seules infrastructures autoroutières concédées à hauteur de 70 milliards d'euros dont 15 à 20 milliards d'euros seraient à réaliser d'ici à l'échéance des concessions actuelles. Si elle est très loin de faire consensus, y compris parmi les sociétés d'autoroutes elles-mêmes, cette étude est la seule à avancer un chiffre d'investissements prévisionnels cumulé pour le réseau autoroutier.

Contrairement aux conclusions de cette étude, d'après les éléments qu'il a recueillis, le rapporteur a le sentiment à ce stade qu'en raison de la maturité des réseaux autoroutiers, les investissements prévisionnels dont ils devraient faire l'objet seront sensiblement inférieurs à ceux qui ont été réalisés au cours de l'exécution des contrats historiques. Cependant, ce sentiment doit absolument être rapidement objectivé.

Le rapporteur considère ainsi que la définition d'une stratégie de long terme, qui doit être étendue plus largement à l'ensemble des infrastructures routières, constitue un enjeu essentiel dont l'État doit impérativement se saisir sans délai tant-il conditionnera notamment l'avenir du patrimoine autoroutier national à l'issue des contrats historiques. Le rapporteur a appris que l'ART menait actuellement des travaux sur ce sujet et devrait publier une étude dans les prochains mois.

La définition d'une telle stratégie, parce qu'elle engagera une part non négligeable de l'avenir des mobilités en France, ne peut pas être le résultat d'une réflexion restreinte aux seuls services de l'État. Elle devra nécessairement découler d'une concertation très large impliquant l'ensemble des parties prenantes : services de l'État, usagers, collectivités territoriales, filières professionnelles, etc.

Il s'agira, sur un horizon temporel de 20 à 25 ans, de déterminer collectivement la configuration souhaitable des réseaux routiers et autoroutiers à cet horizon, les options technologiques retenues s'agissant de leur décarbonation et de leur adaptation aux dérèglements climatiques ou encore la nature et les niveaux de services attendus de ces infrastructures. De cette stratégie devra résulter l'objectivation d'un montant prévisionnel et d'un planning d'investissements. Il est cependant bien évident qu'il est aujourd'hui présomptueux de penser pouvoir anticiper de façon précise la nature et les niveaux d'investissements à réaliser dans 15 ou 20 ans. Il conviendra donc de réexaminer les paramètres de cette stratégie de manière régulière, a minima tous les 5 ans, afin de les ajuster à de nouveaux besoins ou encore aux évolutions technologiques.

Recommandation n° 13 : organiser une large concertation de l'ensemble des acteurs concernés (État, collectivités locales, experts, professionnels, etc.) sur l'avenir des autoroutes qui devra notamment débattre du périmètre des concessions, des enjeux de décarbonation des réseaux et des investissements nécessaires à celle-ci.


* 133 Suite notamment à la réalisation d'un audit externe réalisé en 2018.

* 134 Rapport d'information n° 617 (2012-2013) fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur les infrastructures de transport et les collectivités territoriales par MM. Jacques MÉZARD et Rémy POINTEREAU, mai 2013.

* 135 Le décret n° 2021- 159 du 12 février 2021, relatif aux obligations s'appliquant aux conventions de délégation autoroutières en matière de transition écologique.

* 136 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 137 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 138 Directeur du programme Mobilité et transitions de l'organisation ATEC ITS France.

* 139 La dernière version de ce guide intitulé « voies structurantes d'agglomération, aménagement des voies réservées aux véhicules de transport en commun » date du mois de mars 2023.

* 140 Retours d'expérience Cars Express, comité scientifique France Mobilités, août 2020.

* 141 Analyse comparée des tarifications régionales de l'offre de transport interurbaine, 2021.

* 142 Rapport sur le développement des lignes de cars express en Île-de-France, François DUROVRAY, avril 2023.

* 143 Le péage en flux libre ou sans barrière est un système permettant la collecte du péage sans interruption du trajet des usagers.

* 144 Dans la 2ème édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières.

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