D. DES PARCOURS DE SOINS ET ADMINISTRATIFS LONGS ET ENTRAINANT L'INTERVENTION DE NOMBREUX ACTEURS
Le blessé a deux parcours, un parcours de soin et un parcours administratif. Les acteurs des deux parcours sont différents et leurs temporalités respectives peuvent se chevaucher.
1. Le parcours de soins du blessé militaire
Suite à la survenue d'une blessure, le traitement de cette dernière passe par plusieurs phases principales durant lesquelles différents acteurs sont compétents. La phase aiguë correspond à la phase de la blessure en tant que telle et, que cette dernière soit physique ou psychique, elle nécessite une prise en charge médicale immédiate. Une fois que les soins ont été administrés et que le blessé a été stabilisé, vient le temps de la réhabilitation, qui peut prendre différentes formes : programmes de réhabilitation physique ou psychique, programme d'accompagnement social, accompagnement et éventuelle réorientation professionnelle, etc.
a) La phase aiguë
Premièrement, la blessure est dans une phase aiguë, durant laquelle l'intégrité physique ou psychique voire le pronostic vital du blessé est en jeu. Elle appelle un traitement médical immédiat, qui, lorsque le militaire est encore dans l'institution, est en principe pris en charge par le service de santé des armées (ci-après SSA), soit directement sur le théâtre d'opérations du militaire, soit dans un hôpital d'instruction des armées (ci-après HIA).
S'agissant des capacités du SSA, le rapporteur spécial renvoie au rapport « Le service de santé des armées, une pièce maitresse de notre outil de défense » de son collègue Dominique de Legge, rapporteur spécial de la mission « Défense »4(*).
b) La phase de réhabilitation
La phase de réhabilitation intervient après la phase aiguë lorsque la blessure est stabilisée. La réhabilitation médicale (kinésithérapie, ergothérapie, etc.) peut intervenir, selon l'état et les souhaits du blessé, directement dans un HIA, dans un établissement civil ou à l'institution nationale des invalides (ci-après INI).
L'INI est un acteur de référence historique de la réhabilitation des blessés militaire, notamment pour des niveaux d'invalidité lourds, et sert également de pensionnat pour les grands invalides militaires pour lesquels une réhabilitation et un regain d'autonomie ne sont pas possibles.
Enfin, depuis 2021 existent les maison ATHOS qui sont des établissements de réhabilitation non-médicalisés spécialisés dans la prise en charge de victimes militaires d'un syndrome post-traumatique.
Plusieurs acteurs interviennent en soutien de ces organismes de réhabilitation. Il s'agit notamment d'acteurs offrant un soutien pour la réinsertion sociale ou professionnelle du blessé, notamment les cellules d'aide au blessé, l'action sociale des armées, Défense Mobilité et l'ONaCVG.
Enfin, en dernier lieu intervient la consolidation, 3 ans après la première demande de PMI (ou 9 ans dans le cas d'une maladie), moment à partir duquel la gêne fonctionnelle encore constatée est considérée comme permanente et ouvre droit à une pension viagère.
Une commission pluridisciplinaire de suivi de la réinsertion et de la reconversion des militaires blessés ou malades a été créée afin d'aider à orienter les blessés dans leur parcours de soins.
2. Un parcours administratif nécessitant l'intervention de nombreux acteurs
a) Plusieurs référents administratifs pouvant intervenir selon la situation du blessé
L'entité chargée du suivi administratif, référent dans le traitement du dossier du blessé, est chargé de coordonner l'action des différents acteurs intervenant sur ce parcours.
Lorsqu'un militaire est blessé, et tant qu'il reste en service dans les armées, son suivi administratif relève de son unité militaire d'affectation. L'entité de gestion des personnels isolés de son armée d'appartenance prend ensuite le relai lorsqu'il passe en position de non-activité. Les armées de terre et de l'air, la marine, le service de santé des armées, la gendarmerie, la Légion étrangère et les sapeurs-pompiers militaires ont chacun une entité spécifique. Le blessé peut demander à bénéficier, lors de cette période, d'un accompagnement par sa cellule d'aide au blessé de référence5(*).
À sa radiation des cadres, la charge du suivi du blessé est transférée à l'ONaCVG et sera exercée par le service local de l'Office du lieu de résidence du blessé. Cette responsabilité devra être exercée jusqu'à la mort du blessé.
L'Office a créé en avril 2023 un département de l'accompagnement des blessés afin de renforcer ses capacités de suivi des ressortissants blessés. Il n'existe cependant pas de traitement spécifique des ressortissants blessés de l'ONaCVG par rapport aux autres catégories de ressortissants s'agissant des aides offertes par l'Office lui-même.
Le plan blessé 2023-2027 du ministère des Armées a prévu l'établissement d'un « passeport du blessé », réalisé par la première administration en charge du suivi administratif du blessé et devant être transmis aux autres administrations qui seront à leur tour amenées à suivre ce blessé. Il contient toutes les informations relatives à l'identification du blessé, à sa situation militaire et familiale, les coordonnées du médecin et/ou psychiatre traitant, de l'assistante sociale de l'action sociale des armées ou du référent de reconversion ainsi que les informations administratives et juridiques spécifiques sur les pensions, droits ouverts et couvertures assurantielles. Y figurent également des données sur les divers parcours suivis ou envisagés (reconstruction par le sport, réhabilitation psychosociale, réinsertion et reconversion).
b) Un blessé pouvant relever de nombreuses situations administratives
La situation administrative du blessé change selon qu'il soit encore membre de l'institution militaire ou qu'il ait été radié. Si tous les militaires quittent l'institution à terme, selon les circonstances de la blessure, une partie importante du parcours du militaire blessé peut néanmoins être réalisé au sein de l'armée.
(1) La situation administrative du militaire blessé avant la radiation
Le militaire blessé peut bénéficier de quatre types de congé, deux d'activité et deux de non-activité.
Les deux congés d'activité sont le congé de maladie, de 6 mois au maximum, et le congé du blessé, dont le bénéfice est réservé aux militaires dont la blessure est intervenue en OPEX, de 18 mois maximum.
Les deux congés en non-activité sont le congé de longue maladie, d'une durée de 3 ans maximum, et le congé de longue durée pour maladie6(*), pouvant durer jusqu'à 8 ans.
Le congé est pensé comme un statut temporaire visant à permettre la réhabilitation du militaire et sa réintégration à son poste d'origine. Il reçoit tous les 6 mois un avis médical qui peut amener à une reprise de service, à un maintien en congé ou à une réforme.
Le congé du blessé est ainsi attribué au militaire « s'il se trouve dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions et s'il présente une probabilité objective de réinsertion ou de reconversion au sein du ministère de la Défense »7(*).
Les congés de longue maladie et de longue durée pour maladie sont attribués aux militaires blessés et malades après épuisement des droits au congé de maladie ou de congé du blessé, sauf en cas d'inaptitude définitive.
Le congé de longue durée pour maladie est attribué en cas d'affections cancéreuses, de déficit immunitaire grave et acquis, ou de troubles mentaux et du comportement présentant une évolution prolongée et dont le retentissement professionnel ou le traitement sont incompatibles avec le service8(*). Dans les autres cas, le militaire pourra bénéficier du congé pour longue maladie si « l'affection constatée met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée »9(*).
Les militaires en congé de non-activité peuvent demander à bénéficier des dispositifs organisés par le ministère de la Défense ou par le ministère de l'Intérieur pour les militaires de la gendarmerie nationale, au sein ou à l'extérieur de ces ministères, notamment des dispositifs d'évaluation et d'orientation professionnelle, des dispositifs de formation professionnelle et d'accompagnement vers l'emploi ou d'une période de création ou reprise d'entreprises10(*).
À la fin du congé en non-activité, le militaire peut demander à être placé en congé pour convenances personnelles pour une durée maximale de deux ans renouvelable une fois. Sinon, où à l'expiration du congé pour convenances personnelles, le militaire ayant bénéficié de la totalité de ses droits à congés, s'il demeure dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, est radié des cadres ou rayé des contrôles pour réforme définitive11(*).
Le militaire peut également demander sa radiation à tout moment de son congé en non-activité12(*).
(2) La situation administrative du militaire blessé après la radiation
Après sa radiation, le suivi du militaire est en principe assuré par l'ONaCVG, s'il peut prétendre à la qualité de ressortissant de l'Office. La qualité de ressortissant est viagère et donne accès aux services de l'ONaCVG, parmi lesquels une aide sociale et un accompagnement professionnel. Lorsque le blessé peut prétendre à la qualité de ressortissant, la transition vers l'ONaCVG se réalise en principe par la transmission de son passeport du blessé au service départemental de l'Office compétent.
Cependant, tous les blessés ne sont pas automatiquement ressortissants de l'Office. Seuls les titulaires d'une PMI ayant été concédée au titre d'une blessure ou d'une maladie contractée lors d'une opération de guerre ou d'une opération extérieure sont ressortissants de droit. Dans les autres cas, il faudra que l'ancien militaire soit titulaire de la carte du combattant (attribuée dans la plus grande majorité des cas au bout de 4 mois d'OPEX).
Les titulaires d'une PMI hors situation de guerre et non titulaires de la carte du combattant ne sont pas ressortissants.
Il n'est pas non plus impossible qu'un ancien militaire puisse remplir les conditions pour être ressortissant de l'Office mais n'ait pas fait les démarches nécessaires pour le devenir. Cette hypothèse est toutefois moins fréquente depuis que l'armée de terre initie elle-même les dossiers de carte du combattant pour les militaires en retour d'opération pouvant y prétendre.
(3) Un statut ouvrant des droits particuliers
Les militaires blessés ont droit, outre à la prise en charge intégrale de leurs soins, au bénéfice de programmes de réhabilitation et de reconnaissance particuliers et uniques.
Premièrement, le blessé militaire bénéficie d'établissements médico-sociaux qui, s'ils ne lui sont pas entièrement dédiés13(*), lui sont principalement réservés : les HIA et l'INI.
Le blessé militaire et ses proches se voient également octroyer un certain nombre d'avantages mis en place par les armées, comme des séjours de repos, des billets de train et des nuits d'hôtel remboursés pour se rendre au chevet du blessé.
Des acteurs spécifiques participant à la réinsertion des blessés militaires existent, tel que l'opérateur Défense mobilité qui prévoit des dispositifs spécifiques aux blessés militaires pour leur permettre de réintégrer le monde professionnel.
Les militaires blessés bénéficient enfin de mesures de reconnaissance, pécuniaires ou symboliques. La première d'entre elles est la pension militaire d'invalidité, mais il convient de citer aussi l'attribution de médailles, les participations à des cérémonies commémoratives, la possibilité de témoigner dans des programmes mémoriels, etc.
c) Les démarches administratives liées à la blessure militaire
Les démarches administratives du blessé sont diverses et un certain nombre d'entre elles doit être réalisé auprès d'entités tierces. Elles varient selon les circonstances de la blessure.
(1) Les démarches liées à la documentation de la blessure
Lorsqu'une blessure survient, le commandement doit rédiger un rapport circonstancié décrivant les circonstances de survenue de la blessure et l'inscrire au registre des constatations. Il doit ainsi permettre d'établir la liaison de la blessure au service nécessaire au bénéfice des dispositifs d'indemnisation.
Le médecin militaire constatant la blessure peut réaliser une déclaration d'affection présumée imputable au service (DAPIAS) afin de permettre le remboursement à 100 % de soins réalisés dans le civil.
(2) Les démarches liées à l'indemnisation de la blessure
Deux indemnisations principales existent : la pension militaire d'invalidité et la jurisprudence Brugnot14(*).
Depuis la mise en oeuvre du plan blessé 2023-202715(*), ces deux demandes font l'objet d'une demande unique de la part du militaire blessé, dont le formulaire est joint en annexe du présent rapport.
L'indemnisation au titre de la pension militaire d'invalidité (PMI) débute à compter de la date du dépôt de la demande, ce qui encourage un dépôt précoce. Cependant, l'expertise médicale visant à établir le préjudice fonctionnel du militaire et son degré d'infirmité n'intervient qu'après la stabilisation de la blessure.
Ces démarches, spécifiques à la blessure militaire, se réalisent en sus de toutes les démarches administratives de droit commun liées à l'invalidité, le chômage ou la radiation des cadres du militaire (allocation de retraite ou de chômage, allocation du fonds de prévoyance, etc.).
Par ailleurs, les militaires doivent adhérer à une mutuelle complémentaire santé16(*), qui intervient en complément de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale. Lorsqu'ils sont blessés, ils déclarent leur blessure à leur mutuelle pour bénéficier du remboursement des soins.
Cette déclaration doit contenir :
- le rapport circonstancié et l'extrait du registre des constatations ;
- un certificat médical initial ;
- un bulletin de situation de l'hôpital mentionnant les dates d'entrée et de sortie.
Le rapporteur spécial a été informé que des recours juridiques sont parfois nécessaires pour que les militaires blessés bénéficient de l'intégralité des remboursements dus par ces mutuelles.
(3) Les démarches liées à la réhabilitation et la réinsertion du blessé
Si la réhabilitation physique s'inscrit dans le parcours de soins de base du blessé, ainsi que le traitement médical de la blessure psychique, l'accès à un certain nombre de dispositifs ne se fait qu'à la demande du blessé.
Il en va ainsi notamment de l'accès aux dispositifs de formation, d'accompagnement ou de réinsertion professionnelle. Le code de la défense précise par ailleurs que ces demandes sont soumises à l'agrément du ministre de la Défense ou, pour les militaires de la gendarmerie nationale, du ministre de l'Intérieur, donné sur avis favorable d'un médecin des armées et après consultation de la commission pluridisciplinaire de suivi de la réinsertion et de la reconversion des militaires blessés ou malades, lorsque le militaire est encore en position de non-activité au sein de l'institution.
De la même manière, l'accès au dispositif ATHOS17(*) doit faire l'objet d'une demande du militaire18(*), après avis de la commission pluridisciplinaire de suivi de la réinsertion et de la reconversion des militaires blessés ou malades.
(4) Les démarches liées à la reconnaissance envers les blessés
Le militaire blessé peut, selon les circonstances de sa blessure, demander :
- la médaille du blessé de guerre ;
- la carte du combattant ;
- le titre de reconnaissance de la Nation.
La médaille du blessé de guerre est une décoration pouvant être obtenue par le militaire ayant subi une « blessure de guerre » au sens strict du terme (militaire blessé lors d'un affrontement direct et du fait d'une action délibérée de l'ennemi), lors d'une guerre, d'une OPEX ou d'une mission ou opération intérieure de protection militaire du territoire national dont la liste est déterminée par arrêté.
La carte du combattant peut être demandée si le militaire est blessé du fait d'une « blessure de guerre » au sens strict du terme ou s'il a dû être évacué d'une OPEX à cause d'une blessure reçue ou d'une maladie contractée pendant le service dans une unité reconnue comme combattante19(*).
Le titre de reconnaissance de la Nation peut être demandé en cas de blessure ou maladie contractée en OPEX20(*).
Un certain nombre de droits s'attachent au titre de reconnaissance de la Nation et à la carte du combattant, notamment la qualité de ressortissant de l'ONaCVG et le bénéfice de l'allocation de reconnaissance du combattant (carte du combattant uniquement).
* 4 Rapport d'information n° 936 (2022-2023), déposé le 27 septembre 2023
* 5 Là aussi, les armées de terre et de l'air, la marine, le service de santé des armées et la gendarmerie ont chacun une cellule d'aide aux blessés spécifique.
* 6 Malgré l'utilisation du terme maladie, ces congés bénéficient après épuisement des droits de congé de maladie ou des droits du congé du blessé.
* 7 Article L. 4138-3-1 du code de la défense.
* 8 Article R. 4138-47 du code de la défense.
* 9 Article L. 4138-13 du code de la défense.
* 10 Articles R. 4138-54 et R. 4138-58 du code de la défense.
* 11 Article R. 4138-56 du code de la défense.
* 12 Article R. 4138-57 du code de la défense.
* 13 Les HIA et l'INI traitent également des blessés et malades civiles pour les deux tiers de leur activité. Cette activité est nécessaire afin de pouvoir maintenir les capacités d'action et le savoir-faire de ces structures car il n'y a - heureusement - pas suffisamment de militaires blessés ou malade pour que les HIA ne traitent que ces derniers avec leurs capacités de soins actuelles.
* 14 La jurisprudence Brugnot est une indemnisation complémentaire de la blessure réparant les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux non réparés par la PMI, voir infra.
* 15 Il s'agit d'un plan du ministère des Armées visant à améliorer la prise en charge des militaires blessés, voir infra.
* 16 Quatre mutuelles sont référencées par le ministère des Armées à cette fin : Unéo, en groupement avec GMF, Harmonie Fonction Publique, Intériale et les mutuelles du groupement Fortego.
* 17 Il s'agit d'un dispositif de réinsertion des militaires blessés psychiques, cf. infra.
* 18 Lors de l'ouverture d'une nouvelle antenne, la commission se saisit d'elle-même des dossiers de militaires identifiés blessés psychiques habitant à proximité de la nouvelle maison.
* 19 La condition « par défaut » de l'obtention de la carte du combattant est de totaliser 112 jours en OPEX ou opération considérée comme équivalente.
* 20 Le titre de reconnaissance de la nation peut également être obtenu en totalisant 90 jours en OPEX.