DEUXIÈME PARTIE
LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE

I. LE PÉRIMÈTRE ET LES FONDEMENTS DU CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE

A. LE CHAMP D'APPLICATION DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE

1. Une « protection » des textes financiers

L'article 47 de la Constitution dispose que « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ». Le traitement spécifique des projets de loi de finances - partagé avec les projets de loi de financement de la sécurité sociale163(*) - s'explique par la nature particulière des lois de finances.

Ces dernières constituent la traduction du principe juridique du consentement à l'impôt, consacré à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen164(*). Aussi comportent-elles des dispositions autorisant le prélèvement de l'impôt, l'engagement de dépenses, le recours à l'emprunt ainsi que des normes définissant les caractéristiques des impositions de toute nature. Des lois de finances dépendent donc le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité des services publics. Elles ont en outre acquis une importance économique considérable et constituent le vecteur privilégié de la réponse de l'État en période de crise.

Dans ces conditions, la Constitution a strictement encadré les délais dans lesquels le Parlement vote les projets de loi de finances. L'article 47 de la Constitution prévoit que, lors de l'examen du projet de loi de finances, la procédure accélérée s'applique de droit165(*). Il précise que « Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours » et prévoit également que « Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ».

Les dispositions précitées visent donc à ce que l'examen et l'adoption du budget se fassent dans des délais resserrés. Pour cette raison, il a été nécessaire de sanctuariser le domaine des lois de finances, de manière à éviter qu'y soient insérées toutes sortes de dispositions, sans lien avec le budget, à la seule fin de bénéficier d'un véhicule législatif rapide ; ces dernières sont désignées sous le vocable de « cavaliers budgétaires » qui doivent, au risque d'être censurés par le Conseil constitutionnel, être déclarés irrecevables lorsqu'ils sont présentés sous la forme d'amendements, d'initiative parlementaire comme gouvernementale.

À l'inverse, parce que les lois de finances traduisent le principe du consentement à l'impôt - qui impose que le Parlement dispose d'une vision synthétique de la situation financière de l'État -, les éléments relevant de leur domaine exclusif ne peuvent figurer dans une loi « ordinaire »166(*). Par conséquent, la « protection » du domaine exclusif des lois de finances justifie de déclarer irrecevable toute initiative parlementaire - proposition de loi comme amendement - et tout amendement gouvernemental tendant à introduire dans une loi ordinaire des dispositions relevant du domaine exclusif des lois de finances.

En outre, du fait de la nature particulière des lois de finances, la loi organique précise la structure de ces dernières : le principe de la bipartition - soit la division de la loi de finances en deux parties - permet d'organiser la discussion budgétaire autour d'un équilibre qui, fixant en fin de première partie l'évaluation des recettes et le montant du solde budgétaire, définit un plafond de dépenses que la seconde partie doit respecter167(*). Ce principe, instauré dans une logique de protection des finances publiques, impose que l'irrecevabilité soit opposée aux amendements parlementaires tendant à introduire des dispositions relevant de la seconde partie dans la première partie et inversement.

Le respect des dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF)168(*) - qui s'impose aussi au Gouvernement - fait l'objet d'un contrôle strict par le Conseil constitutionnel ; en particulier, celui-ci contrôle la conformité des initiatives aux dispositions organiques sans qu'il soit nécessaire que la question de leur recevabilité ait été préalablement soulevée, écartant ainsi le principe du « préalable parlementaire » qui s'applique en matière de recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution.

2. La recevabilité organique, un champ d'application plus large que les seuls projets de loi de finances

Le contrôle de la recevabilité organique porte, au premier chef, sur les amendements aux projets de loi de finances déposés en vue de la séance publique et au cours de celle-ci. Conformément à l'article 1er de la LOLF169(*), la notion de loi de finances intègre la loi de finances de l'année, mais également les lois de finances rectificatives, la loi de finances de fin de gestion ainsi que la loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année170(*).

Toutefois, la protection du domaine exclusif des lois de finances implique qu'il soit aussi procédé à un examen de la recevabilité au regard de la LOLF des propositions de loi et des amendements parlementaires aux lois « ordinaires ». À cet égard, il faut rappeler que dans une décision du 3 mars 2009171(*), le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi relative à la communication audiovisuelle résultant d'un amendement sénatorial au motif que celle-ci modifiait l'affectation de la redevance audiovisuelle, et ce alors même que l'article 34 de la LOLF réservait à un texte de loi de finances l'édiction de toute disposition relative aux affectations de recettes au sein du budget de l'État.

Pour résumer

L'étendue et les fondements du contrôle de la recevabilité organique

· Les initiatives parlementaires et gouvernementales doivent respecter les dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) - même lorsqu'elles ne portent pas sur des textes financiers (lois de finances initiale, rectificative, de fin de gestion, de règlement et d'approbation des comptes).

· La LOLF définit un domaine exclusif, obligatoire et partagé des lois de finances : certaines dispositions ne peuvent être discutées hors des textes financiers, tandis que d'autres ne peuvent pas y être examinées (cavaliers budgétaires).

· Au sein des textes financiers, la LOLF fixe la répartition entre la première partie du projet de loi, qui concerne essentiellement les recettes, et la seconde partie, qui a trait aux dépenses (principe de bipartition).


* 163 Conformément à l'article 47-1 de la Constitution, les projets de loi de financement de la sécurité sociale sont également votés dans les conditions prévues par une loi organique.

* 164 L'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».

* 165 Les conditions d'application de la procédure accélérée sont précisées à l'article 45 de la Constitution.

* 166 Dans le présent rapport, l'expression « loi ordinaire » ne correspond pas à une catégorie juridique mais est simplement utilisé pour distinguer les lois de finances des autres lois, dites « ordinaires ».

* 167 À cet égard, il convient de rappeler que, dans sa décision n° 79-110 DC du 24 décembre 1979, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi de finances pour 1980 au motif que l'Assemblée nationale avait procédé à l'examen de la seconde partie sans avoir préalablement adopté l'article d'équilibre, violant de ce fait un « principe fondamental [...] tend[ant] à garantir qu'il ne sera pas porté atteinte, lors de l'examen des dépenses, aux grandes lignes de l'équilibre préalablement défini, tel qu'il a été arrêté par le Parlement ». Ce principe s'applique également aux lois de finances rectificatives (Conseil constitutionnel, décision n° 92-309 DC du 9 juin 1992, Résolution modifiant l'article 47 bis du Sénat).

* 168  Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

* 169 Telle que modifiée par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

* 170 Anciennement loi de règlement du budget et d'approbation des comptes.

* 171 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. 

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