B. LA PARTICULARITÉ DES AMENDEMENTS DE CRÉDITS

Bien que le projet de loi de finances demeure largement à la main du Gouvernement, l'adoption de la LOLF, « constitution financière de la France », a conduit à accroître le rôle du Parlement. Alors que, sous l'empire de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959172(*), les parlementaires ne disposaient de quasiment aucune marge de manoeuvre pour modifier le volet « dépenses » du budget de l'État, ils peuvent désormais modifier la répartition des crédits entre programmes d'une même mission173(*).

Il s'agit d'une dérogation majeure à l'article 40 - puisque l'augmentation d'une charge sur un programme peut être compensée par la diminution de la charge sur un autre programme. Cette tolérance, favorable à l'initiative parlementaire, ne vaut que pour les programmes au sein d'une même mission : le volume total des crédits d'une mission ainsi que la répartition des crédits par action174(*) ne peuvent être modifiés par le biais d'une initiative parlementaire.

L'article 47 de la LOLF précise ainsi les conditions dans lesquelles s'exerce le droit d'amender les projets de loi de finances, pour la partie « dépenses » :

Au sens des articles 34 et 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements s'appliquant aux crédits, de la mission.

Tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient.

Les amendements non conformes aux dispositions de la présente loi organique sont irrecevables.

Par suite, trois exigences ressortent des dispositions précitées.

1. Le cas général : gager des amendements de crédits déposés en loi de finances initiale
a) Un gage crédible et sincère

Premièrement, dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances, la notion de charge publique, au sens de l'article 40 de la Constitution, s'apprécie à l'échelle de la mission budgétaire175(*). Dès lors, la création ou l'aggravation d'une charge publique n'est constituée que lorsque l'amendement parlementaire a pour conséquence d'augmenter le montant des crédits de la mission. Les parlementaires peuvent, par conséquent, procéder à une majoration des crédits d'un programme si celle-ci est compensée par une minoration des crédits d'un autre programme, au sein de la même mission. Il s'agit d'un mécanisme de gage propre aux amendements de crédits.

Ainsi, de même que pour les amendements dits « de lettres », l'examen de la recevabilité financière des amendements de crédits s'attache à contrôler les gages. Ce contrôle répond à la nécessité de s'assurer que le gage est crédible et sincère, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La crédibilité et la sincérité du gage des amendements de crédits sont appréciées à l'aune du montant des crédits qui peuvent être modifiés sans remettre en cause les engagements préalables du Gouvernement (dépenses de personnel, dépenses « de guichet »). Les crédits qui sont « pilotables » sur chacun des programmes budgétaires sont ceux que le parlementaire auteur de l'amendement peut, de manière crédible, utiliser pour « gager » l'augmentation des crédits d'un autre programme ou la création d'un nouveau programme au sein de la mission.

Sont considérées comme « non pilotables » par nature les dépenses de personnel, dans la mesure où le Gouvernement est tenu d'assurer les rémunérations des agents publics, et les dépenses dites « de guichet » (prestations, subventions), dès lors que leur niveau est contraint par le nombre de personnes bénéficiant des droits ouverts par les textes existants.

Les dépenses d'investissement et, dans une large mesure, les dépenses de fonctionnement sont quant à elles considérées comme pilotables. Surtout, le niveau de dépenses pilotables est apprécié avec une certaine souplesse, ce qui emporte deux conséquences :

- d'une part, le président de la commission des finances propose systématiquement aux auteurs de rectifier leurs amendements s'ils sont gagés sur des dépenses non pilotables ou si le montant global des crédits gagés est trop élevé à l'échelle des dépenses pilotables de la mission ;

- d'autre part, des amendements gagés sur des dépenses non pilotables ont été déclarés recevables, dans la mesure où l'impact sur ces dépenses n'était que très marginal au regard du volume total des crédits demandés. Ainsi, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 et de la mission « Agriculture », un amendement gagé sur un programme destiné à compenser des exonérations de cotisations sociales a été considéré comme recevable dès lors que le faible montant du gage s'inscrivait dans la marge d'erreur de l'exécution budgétaire annuelle.

Enfin, dans le traitement des amendements de crédits, il est impératif de distinguer les minorations résultant d'un gage - pour lequel les dépenses sont diminuées sur un programme dans un seul objectif de compensation - de celles découlant d'amendements dont l'objet même est de procéder à une minoration des crédits, notamment des dépenses de personnel. Par principe, ces derniers sont toujours recevables, dans la mesure où il n'y a pas de « gage » dont la crédibilité et la sincérité doivent être contrôlées. Surtout, ainsi que rappelé précédemment (cf. la règle de l'unité de vote), il est loisible aux parlementaires de rejeter les crédits d'une mission. Dès lors, un amendement sénatorial visant à minorer les crédits d'un programme ne peut se voir opposer l'irrecevabilité.

b) Une exigence particulière de motivation de l'amendement

Deuxièmement, les amendements aux projets de loi de finances doivent être motivés et accompagnés des développements des moyens qui les justifient. Ceci permet, ainsi que l'indique la décision précitée du Conseil constitutionnel du 25 juillet 2001, « dans le cadre des procédures d'examen de la recevabilité financière, de vérifier la réalité de la compensation »176(*), c'est-à-dire de s'assurer que la hausse des crédits d'un programme est bien gagée par la réduction des crédits d'un autre programme.

Aussi un amendement insuffisamment motivé est-il, en principe, irrecevable. Une rectification est toutefois systématiquement proposée aux auteurs d'amendements afin de leur permettre de préciser leurs motivations.

c) Une conformité à la LOLF

Enfin, les amendements non conformes aux dispositions de la LOLF sont irrecevables. Cette formulation générale vise à ce que le contrôle de la recevabilité organique soit réalisé sur la base de l'ensemble des dispositions de la LOLF, quelles qu'elles soient, cette exigence n'étant pas propre aux seuls amendements de crédits.

Par exemple, les amendements déposés sur les missions budgétaires ne doivent pas conduire, en supprimant un programme, à ce que la mission ou le compte d'affectation spéciale (CAS) ne soit plus composé que d'un seul programme - la LOLF disposant qu'une mission ou qu'un CAS se compose au minimum de deux programmes.

2. Les amendements de crédits en loi de finances rectificative

Si les amendements de crédits déposés sur les projets de lois de finances « modificatives » (projets de loi de finances rectificative - PLFR et projets de loi de finances de fin de gestion - PLFG)177(*) sont soumis aux mêmes exigences de motivation, de crédibilité et de sincérité des gages que les amendements à un projet de loi de finances initiale, ils doivent de surcroît respecter des règles spécifiques. Le fait que leur examen intervienne en cours de gestion, alors qu'une partie des crédits a déjà été exécutée, emporte en effet des conséquences sur leur recevabilité financière.

Ces conséquences ne sont pas les mêmes selon que l'amendement a pour intention une minoration ou une majoration des crédits. Par souci de simplification, les diverses hypothèses sont présentées ci-après.

Cas d'usage 1 : le Gouvernement annule des crédits sur un programme budgétaire. Dans ce cas :

- si le parlementaire souhaite maintenir les crédits sur ce programme budgétaire, il procède par minoration de l'annulation. Un tel amendement n'a pas besoin d'être gagé, tant que le montant de la minoration est égal ou inférieur au montant de l'annulation. Il s'agit en effet d'un retour au « droit existant », assimilé dans ce cas au montant de crédits voté en loi de finances initiale ;

- si le parlementaire souhaite a contrario ouvrir des crédits sur le programme, l'amendement doit être gagé. Le parlementaire doit donc s'assurer que les autres programmes de la mission disposent d'un montant suffisant de crédits pilotables pour gager leur amendement. Le gage peut prendre la forme soit d'une minoration d'ouverture sur un autre programme de la mission, soit d'une majoration d'annulation sur un autre programme de la mission, soit d'un gage crédits « classique ». Dans les deux derniers cas, il doit respecter les règles décrites infra ;

- si le parlementaire souhaite annuler un montant plus élevé de crédits que celui proposé par le Gouvernement, il doit déposer un amendement de crédits sous la forme d'une majoration d'annulation. Cette dernière doit toutefois tenir compte des montants de crédits effectivement disponibles et donc de l'exécution des crédits en cours d'année. Lors de l'examen du projet de loi de fin de gestion, ou plus largement d'un PLFR intervenant tardivement dans l'année, il ne serait pas crédible d'annuler l'intégralité des crédits prévus en début d'année, dans la mesure où une large partie en aura déjà été consommée. Les annulations prévues ne peuvent donc atteindre des montants trop importants. En revanche, en début d'année, il demeure possible d'annuler des montants plus élevés, sous réserve de ne pas diminuer des dépenses non pilotables.

Cas d'usage 2 : le Gouvernement ouvre des crédits sur un programme budgétaire. Dans ce cas :

- si le parlementaire souhaite supprimer ou minorer cette ouverture de crédits, il doit déposer un amendement de crédits consistant en une minoration d'ouverture. Un tel amendement n'a, par définition, pas besoin d'être gagé ;

- si le parlementaire souhaite diminuer les crédits du programme par rapport à la loi de finances initiale, le montant de l'amendement de minoration d'ouverture doit être supérieur au montant des crédits que le Gouvernement propose d'ouvrir sur le programme. Si cet amendement n'a pas besoin d'être gagé, les règles précitées en matière d'annulation de crédits s'appliquent ;

- si le parlementaire souhaite ouvrir encore davantage de crédits, il peut déposer un amendement de crédits, mais ce dernier devra être gagé. Le parlementaire doit donc s'assurer que les autres programmes de la mission disposent d'un montant suffisant de crédits pilotables pour gager la majoration d'ouverture portée par l'amendement sénatorial.

Cas d'usage 3 : le Gouvernement ne modifie pas les crédits portés par un programme budgétaire. Dans ce cas :

- si le parlementaire souhaite en augmenter les crédits, l'amendement d'ouverture de crédits devra être gagé, donc en tenant compte des dépenses pilotables restantes sur les autres programmes de la mission (cf. supra) ;

- si le parlementaire souhaite annuler des crédits, l'amendement de minoration des crédits, qui n'a pas besoin d'être gagé, doit respecter les règles précitées en matière d'annulation de crédits.

Il importe par ailleurs de tenir compte des modifications de crédits intervenues par voie réglementaire (décrets d'avance et décrets d'annulation178(*)). Ainsi, les annulations de crédits prises par décret diminuent d'autant les crédits disponibles, le PLFR ou le PLFG en tirant simplement les conséquences. Les ouvertures de crédits par décret d'avance augmentent à l'inverse les crédits couverts par le droit existant.

En tout état de cause, le juge de la recevabilité financière n'est pas en mesure d'effectuer un suivi fin des crédits consommés en cours d'année, pour des raisons à la fois technique et pratique, afin de préserver la possibilité pour les parlementaires de prévoir des redéploiements de crédits en cours de gestion. Il se contente d'examiner le caractère crédible des montants envisagés, en conciliant les exigences de l'article 40 de la Constitution et le champ le plus large possible de l'initiative parlementaire.

Pour résumer

Les amendements de crédits

· Par dérogation à l'article 40, l'augmentation d'une charge sur un programme budgétaire, y compris la création d'un nouveau programme, peut être compensée par la diminution de la charge sur un autre programme. Cette compensation ne peut avoir lieu qu'au sein d'une même mission budgétaire.

· Le gage doit être crédible. Il doit donc porter sur des dépenses dites « pilotables ». Des règles particulières s'appliquent pour les amendements de crédits déposés lors de l'examen d'un projet de loi de finances rectificative.

· Ne constituent pas des dépenses pilotables des dépenses de personnels (rémunérations) ou des dépenses de guichet (prestations, subventions). Les dépenses d'investissement ou de fonctionnement sont en revanche pilotables.

· Les amendements déposés sur un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi de finances de fin de gestion doivent de surcroît respecter des règles spécifiques, afin de tenir compte du moment de l'année où intervient leur examen.


* 172  Ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

* 173 Une possibilité que le Conseil constitutionnel a qualifié de « faculté nouvelle » dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 relative à la loi organique relative aux lois de finances. Une mission regroupe un ensemble de politiques publiques cohérent et ne recouvre pas nécessairement le périmètre d'un ministère (Économie, Culture, Justice, Défense, Enseignement scolaire, etc.).

* 174 Les actions relèvent du niveau règlementaire.

* 175 Ou, le cas échéant, du compte d'affectation spéciale ou du compte de concours financiers.

* 176 Conseil constitutionnel, décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, op. cit.

* 177 Pour davantage d'information sur les projets de lois de finances modificatives, se reporter au 2 du C. du II.

* 178 Articles 13 et 14 de la LOLF.

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