B. UNE CIRCULAIRE POUR REMOBILISER LES PRÉFETS EN TANT QUE DÉLÉGUÉS TERRITORIAUX

1. Une circulaire aux délégués territoriaux qui rappelle leur rôle et fixe leurs objectifs prioritaires

Le Sénat avait mis en évidence le déficit de communication de l'Agence à ses délégués territoriaux. La recommandation n° 2 du rapport visait à remédier à ce point en proposant la diffusion d'une circulaire aux préfets.

Le directeur général de l'ANCT convenait qu'obtenir la signature d'une telle circulaire était un « enjeu majeur »31(*).

Conformément à cette recommandation sénatoriale, une circulaire interministérielle, signée par le ministre de la transition écologique et la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, a donc été adressée aux préfets le 28 décembre 2023.

Cette instruction demande aux préfets de mettre en oeuvre 4 mesures pour permettre à l'Agence d'atteindre ses objectifs :

- renforcer l'action de proximité dans l'optique d'adapter encore davantage l'action de l'Agence aux besoins exprimés par les collectivités ;

- veiller à la mise en place, dans chaque département, d'un outil d'animation de l'ingénierie locale existante. Cet outil d'animation de l'ingénierie est sous l'autorité des préfets et sous le pilotage opérationnel du secrétaire général de la préfecture. Il peut être le CLCT ou « tout autre format » que le préfet choisira.
Cet outil devait permettre de finaliser la cartographie départementale de l'ingénierie d'ici au 1er mars 2024 ;

- mettre en place un guichet local de l'ingénierie. Point d'entrée unique de l'offre d'ingénierie, il doit permettre aux élus d'être orientés facilement. Ce guichet sera une adresse mail du type ingenierie@departementale.gouv.fr. L'Agence a précisé par écrit en réponse aux questions des rapporteures, en juin 2024, que
« ce guichet existe déjà dans les deux tiers des départements où nous assurons un suivi très régulier » 32(*) ;

- organiser un forum local de l'ingénierie annuel, dont la
première édition devra se tenir avant la fin du premier
trimestre 2024. L'Agence a précisé par écrit, en réponse aux questions des rapporteures, que plus de 74 forums ont déjà été organisés ou prévus dans l'ensemble des départements à l'été 2024.

Au-delà de cette circulaire, la remobilisation des préfets passe par une dimension d'animation et de management. À ce titre, la direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES) signale faire régulièrement « intervenir les services de l'ANCT lors des séminaires du corps préfectoral, regroupant notamment les secrétaires généraux et sous-préfets d'arrondissement, permettant de présenter aux acteurs territoriaux les actualités des programmes de l'Agence »33(*).

En outre, les acteurs locaux qui suivent les programmes de l'ANCT sont interrogés lors du processus d'évaluation du préfet et peuvent s'exprimer sur les résultats obtenus par celui-ci, son engagement en tant que développeur et facilitateur des projets locaux.

Enfin, afin d'apporter aux délégués territoriaux le soutien nécessaire pour qu'ils puissent mieux déployer l'action de l'Agence sur le terrain, le rapport du Sénat avait demandé de doubler le nombre de chargés de mission territoriaux. Ces agents constituent, en effet, le point d'entrée unique de l'ANCT au niveau local mais aussi des interlocuteurs transversaux de proximité pour les délégués territoriaux et leurs adjoints.

Cette recommandation s'est traduite par un relèvement du plafond d'emplois à hauteur de quatre équivalents temps plein au titre du renforcement du maillage territorial de l'Agence. L'équipe comporte désormais, à l'été 2024 : 12 chargés de mission territoriaux et 5 adjoints (AURA34(*), Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et outre-mer) contre seulement 8 agents en février 2023.

Ces chargés de mission territoriaux réalisent, à l'occasion des nouvelles nominations dans les préfectures, un travail constant de présentation de l'offre de l'Agence et de ses modalités d'intervention notamment en matière d'ingénierie, ainsi qu'une explicitation de la manière de constituer le CLCT comme cadre local d'animation.

Le directeur général de l'ANCT a souligné, dans ses échanges avec les rapporteures, l'impact très positif de cette mesure en signalant que la
quasi-totalité des préfets a désormais bien identifié les chargés de mission territoriaux et leurs missions.

2. Une mise en oeuvre qu'il faut faire vivre dans le temps

Les rapporteures se félicitent de la mise en place de cette instruction aux préfets. Cependant, elles restent attentives au rythme de sa mise en oeuvre.

L'inventaire de l'ingénierie est un exercice prioritaire qui conditionne l'accompagnement pour les collectivités.

Dans le rapport du Sénat de février 2023, les rapporteurs avaient sondé les préfectures sur cet inventaire et avaient reçu la réponse de
62 préfectures : 32 n'avaient pas fait d'inventaire, 18 avaient des éléments partiels d'inventaire et seulement 13 l'avaient réalisé.

En mai 2024, l'ANCT signale que 32 cartographies sont finalisées et
45 sont en cours de finalisation. Par déduction, les rapporteures concluent que, dans 21 départements, le travail n'est pas encore mené ou achevé.

Il n'est pas normal que, plus de 4 ans et demi après la mise en place de l'Agence et alors que c'était l'une de ses missions de départ prioritaires, seulement 32 départements aient réalisé cet inventaire, quand bien même 45 seraient encore en train de l'achever.

Suite aux demandes d'explications adressées par les rapporteures à l'Agence, cette dernière fait état, en août 2024, de seulement 7 départements qui n'ont pas encore engagé ce travail et précise que, suite à ses relances, tous les autres départements ont engagé ou achevé ces inventaires.

Par ailleurs, malgré cette circulaire, dans les différentes auditions et tables rondes mentionnées dans ce rapport, plusieurs Sénateurs constatent que, même s'ils restent une minorité, certains préfets ne se sont toujours pas approprié leur rôle de délégué territorial, n'ont pas communiqué d'information particulière sur l'Agence voire n'ont pas réellement mis en place un CLCT régulier et fonctionnel.

La Cour des comptes, dans son contrôle sur « la mise en place et la viabilité de l'Agence nationale de la cohésion des territoires »35(*), estime que « l'appropriation par les préfets de département de leurs missions en tant que délégués territoriaux est inégale, conduisant à des dynamiques variables selon les territoires ».

Les rapporteures recommandent que des instructions régulières puissent rappeler aux délégués territoriaux ce qui est attendu d'eux, tout en dressant le bilan global de ce qui a été réalisé.

Enfin, les réponses écrites au questionnaire des rapporteures ont mis en évidence quelques différences d'interprétation, entre la DMATES et l'ANCT, sur le rôle du préfet.

En effet, la DMATES a fourni, en réponse aux questionnaires des rapporteures, la réponse suivante : « la question de la remobilisation des préfets sur leur rôle de délégué territorial ne peut s'envisager sans appréhender celle de la restructuration de l'organisation de l'ANCT. L'article L. 1232-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que " le [délégué territorial] veille à assurer la cohérence et la complémentarité des actions de l'Agence, d'une part, avec les soutiens apportés aux projets locaux par les acteurs locaux publics ou associatifs intervenant en matière d'ingénierie et, d'autre part, avec les décisions prises au sein de la conférence territoriale de l'action publique mentionnée à l'article L. 1111-9-1 du CGCT ". Ainsi, les préfets et sous-préfets ont-ils un rôle de coordination entre les différents acteurs territoriaux mais ne sauraient se substituer aux actions propres menées par les agents de l'ANCT. Dès lors, on ne peut que constater que l'ANCT ne dispose pas d'échelon local propre dont une partie pourrait être positionnée dans les services déconcentrés de l'État afin d'offrir un appui technique, local et spécialisé dans les enjeux étatiques, au profit du délégué territorial. En raison de cette absence, ce sont les agents des services préfectoraux et des directions déconcentrées qui mettent en oeuvre les programmes de l'ANCT, en plus des missions qui leurs sont dévolues »36(*).

Autrement dit, la DMATES pose la question de l'échelon territorial de l'Agence.

La notion de délégué territorial est définie clairement à l'article 59-1 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 : « le préfet est le délégué territorial des établissements publics de l'État comportant un échelon territorial et figurant sur une liste établie par un décret en Conseil d'État ».

Si c'est bien la loi, dont la valeur juridique s'impose à ce décret, qui fait du préfet le délégué territorial de l'Agence, il n'en reste pas moins que l'ANCT n'a aucun échelon ou service territorial. Or, ce décret précise quelles sont les missions dévolues au préfet en tant que délégué territorial, à savoir essentiellement la représentation et la coordination des actions de l'établissement avec les actions conduites par les administrations et les autres établissements publics de l'État.

Dès lors, il semble que, pour la DMATES, une évolution du décret serait nécessaire pour que préfet puisse exercer pleinement ses missions de délégué territorial.

La DGCL et l'ANCT, de leur côté, se réfèrent essentiellement à la loi qui institue le préfet comme délégué territorial.

Vos rapporteures interprètent aussi, en filigrane, ces nuances d'interprétation à l'aune des difficultés d'effectifs dans les services de l'État.

À ce sujet, il convient de rappeler que le renforcement du préfet et des services déconcentrés de l'État est une priorité de la délégation aux collectivités territoriales.

Le rapport, adopté à l'unanimité par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat en septembre 2022 intitulé « À la recherche de l'État dans les territoires » et porté par Agnès CANAYER et Éric KERROUCHE, avait mis en évidence le constat d'une baisse des moyens de l'État dans les
territoires
. Par exemple, en 2011 les effectifs physiques des directions départementales interministérielles (DDI) s'élevaient à 39 796 agents, mais ces directions ne comptaient plus que 25 474 agents en 2020, soit une chute de
36 %.

Plusieurs des recommandations de ce rapport visaient à renforcer le préfet, à mieux l'ancrer localement et à lui donner les moyens de répondre aux attentes des élus locaux.


* 31 Ibid.

* 32 Réponse de l'ANCT au questionnaire des rapporteures.

* 33 Réponse de la DMATES au questionnaire des rapporteures.

* 34 Auvergne-Rhône-Alpes.

* 35 Cour des comptes, communication à la commission des finances du Sénat intitulée « L'ANCT : un outil à consolider », février 2024.

* 36 Ibid.

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