C. LES ACCORDS DE GESTION CONCERTÉE ET DE CODÉVELOPPEMENT, UNE INITIATIVE SANS LENDEMAIN ET AU BILAN INCERTAIN

1. À partir de 2007, une nouvelle stratégie migratoire reposant sur des accords globaux
a) Un nouveau traitement commun des questions migratoires et de développement

Une nouvelle génération d'accords migratoires internationaux dits « de gestion concertée et de codéveloppement » a vu le jour à partir de 2007. Ces accords conclus principalement71(*) sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy se distinguent à deux égards des autres instruments évoqués.

Les accords de gestion concertée et de codéveloppement s'inscrivaient premièrement dans une nouvelle stratégie politiquement assumée en matière migratoire. Celle-ci visait, d'une part, à mettre en oeuvre une politique d'ouverture sélective des frontières. Comme l'a rappelé au cours de son audition Patrick Stefanini, qui fut l'architecte de ces accords en sa qualité de secrétaire général du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, ceux-ci s'inscrivaient en effet directement dans la nouvelle orientation politique « d'immigration choisie » promue par les pouvoirs publics à partir de 2003. La volonté politique de l'époque était de « donner un nouvel essor à l'immigration étudiante et à l'immigration professionnelle »72(*). Celle-ci a trouvé sa traduction législative dans la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration qui a libéralisé l'admission au séjour pour les motifs étudiants et professionnels. Les accords de gestion concertée et de codéveloppement s'intégraient pleinement dans cette nouvelle approche, en ce que leur objectif explicite était, selon Patrick Stefanini, d'encourager l'immigration professionnelle et étudiante tout en diminuant l'immigration pour motif familial.

Il s'agissait, d'autre part, de traiter en commun des thématiques jusqu'alors abordées isolément. Le postulat de départ était en effet celui de l'existence d'un lien entre migrations et développement économique. Comme l'ont rappelé les représentants du ministère de l'intérieur et de l'Europe et des affaires étrangères au cours de leurs auditions, cette thèse irriguait alors les politiques migratoires bien au-delà des frontières hexagonales. Peut notamment être citée « l'approche globale des migrations et de la mobilité » (AGMM) promue par l'Union européenne à partir du sommet d'Hampton Court en 2005. Celle-ci reposait sur une architecture à quatre piliers recoupant très largement celle des accords de gestion concertée et de codéveloppement : la facilitation de l'immigration légale et de la mobilité ; la lutte contre l'immigration irrégulière et la traite des êtres humains ; la valorisation de l'impact des migrations sur le développement ; la promotion de la protection internationale et du droit d'asile. Un rapport produit par le secrétaire général de l'organisation des Nations Unies en 2006 développait par ailleurs le même raisonnement73(*).

Dans cette perspective, les accords de gestion concertée et de codéveloppement entendaient poser les fondations de nouveaux partenariats globaux et mutuellement bénéfiques avec les États d'émigration. Le calcul sous-jacent était, d'une part, qu'une contribution française au développement des États partenaires engendrerait une diminution des flux d'immigration irrégulière et, d'autre part, qu'une redynamisation des voies de migrations légales ouvertes aux ressortissants des États partenaires entraînerait en contrepartie une amélioration de la coopération en matière de retours. Du point de vue de la méthode, il s'agissait de basculer d'une logique de distribution de fonds d'aide au développement à celle d'une allocation sélective en fonction de la satisfaction d'objectifs partagés en matière de retour.

L'originalité des accords de gestion concertée et de codéveloppement provient deuxièmement de leur pilotage par une structure ministérielle dédiée - le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire - ainsi que de l'adjonction d'une enveloppe budgétaire dédiée. Un nouveau programme budgétaire 301 « Développement solidaire et migrations » a ainsi été créé pour porter les crédits d'aide au développement distribués en exécution de ces accords. Ce programme, initialement abondé par des crédits prélevés sur les deux autres programmes de la mission « aide publique au développement » à hauteur de 29 millions d'euros en crédits de paiement74(*), avait pour objectif central de « favoriser l'aboutissement d'un ensemble d'actions multilatérales, bilatérales mais aussi individuelles, portées par les diasporas ou plus généralement par les migrants résidant en France, au profit du développement dans leur pays d'origine »75(*). Le taux de conclusion des accords de gestion concertée et des flux migratoires était le premier indicateur retenu. Le second objectif était celui d'un accompagnement financier de 100 projets collectifs et de 1 000 projets individuels de développement dans les États partenaires à horizon 201076(*).

Ces éléments justifient un traitement à part des accords de gestion concertée et de codéveloppement dans l'analyse des divers instruments migratoires internationaux. Leur transversalité comme leur exhaustivité traduisent une ambition significativement rehaussée par rapport aux accords sectoriels antérieurs. Avec un portage politique au plus haut niveau et l'allocation de moyens budgétaires dédiés, les pouvoirs publics ont par ailleurs entendu se donner les moyens de leurs ambitions dans la conduite du dialogue avec les États d'émigration.

Ce changement d'approche se retrouve dans la déclaration de politique générale prononcée devant l'Assemblée nationale le 3 juillet 2007 par l'ancien Premier ministre François Fillon : « [La France est grande lorsqu'elle] multiplie les projets de co-développement avec le continent africain en mobilisant les crédits de coopération sur les actions ayant un impact direct sur les flux migratoires et en négociant des partenariats avec les pays d'origine ».

b) Des accords qui ne transcrivent que partiellement l'ambition initiale

En pratique, sept accords de gestion concertée et de codéveloppement ont été conclus entre 2006 et 2009, principalement avec des États d'Afrique de l'ouest francophone. Cela est inférieur l'objectif de conclusion de 20 accords77(*) de cette nature initialement fixé par le projet annuel de performances du programme 301 pour la période 2008-2010, et ce alors même que 28 États prioritaires78(*) avaient été identifiés pour la mise en oeuvre de la politique de codéveloppement.

Plusieurs autres accords internationaux conclus postérieurement par la France auraient également pu rentrer dans cette catégorie79(*). C'est le cas des accords avec la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie, la République de Maurice, la Géorgie, la Macédoine du Nord, la Russie, voire, plus récemment, l'Inde. S'ils comportent des clauses relatives à la mobilité des jeunes et des professionnels identiques à celles figurant dans les accords de gestion concertée et de codéveloppement, les deux autres volets ne sont toutefois pas systématiquement repris. Leur contenu n'est en outre pas suffisamment homogène pour les intégrer dans une catégorie dédiée, bien que certains soient parfois rassemblés sous la dénomination générique des « accords de séjour et de migration circulaire ». Compte tenu de ces réserves, et par souci de lisibilité, les rapporteurs ont donc fait le choix d'intégrer ces accords à la catégorie des accords relatifs aux mobilités professionnelles présentée ci-après.

Récapitulatif des accords de gestion concertée et de codéveloppement

État partenaire (780(*))

Date de signature

Bénin

28 novembre 2007

Burkina-Faso

10 janvier 2009

Cap-Vert

24 novembre 2008

Gabon

5 juillet 2007

République du Congo

25 octobre 2007

Sénégal

23 septembre 200681(*)

Tunisie

28 avril 2008

Source : Commission des lois, à partir des données communiquées à la mission d'information

Dans le détail, les accords de gestion concertée et de codéveloppement se décomposent en trois parties : l'organisation des voies de migrations légales avec, parfois, l'aménagement de conditions d'admission au séjour plus favorables que le droit commun ; la lutte contre l'immigration irrégulière avec l'introduction de dispositifs de réadmission ; la mise en place d'actions de développement solidaire au profit des États d'émigration.

Les sept accords de gestion concertée et de codéveloppement

Source : Commission des lois - Réalisé à partir de mapchart.net

Si l'on examine concrètement le contenu des accords, celui-ci oscille entre des engagements précis dans des domaines déterminés et des déclarations de bonnes intentions à la portée juridique limitée.

Sur le premier volet relatif à la circulation et au séjour, les accords comprennent en règle générale des facilités d'obtention de visas ciblées sur des profils très qualifiés. Les stipulations correspondantes relèvent néanmoins davantage d'un engagement conjoint des parties à traiter de manière diligente et bienveillante les demandes que d'un régime réellement dérogatoire. Les deux accords de gestion concertée et de codéveloppement
conclus avec le Gabon et la République du Congo font toutefois figure d'exception, en ce qu'ils lèvent l'obligation de visa court séjour pour les titulaires de passeports diplomatiques.

S'agissant plus spécifiquement de l'admission au séjour, la portée des accords varie selon le motif d'admission concerné. Peuvent être relevés :

- sur l'admission au séjour pour motif étudiant : des accès facilités au service public de l'emploi en France et, surtout, des dérogations au droit commun applicables aux « jeunes diplômés » permettant l'admission au séjour d'étudiants diplômés en France à un niveau licence professionnelle. Si une possibilité de prolongation du séjour de ces jeunes est déjà prévue par l'article L. 422-10 du Ceseda, celle-ci est en effet réservée aux titulaires d'un master en droit commun. Au cours de son audition, Patrick Stefanini a insisté sur le caractère particulièrement attractif de cette dérogation vis-à-vis des États partenaires ;

- sur l'admission au séjour pour motif professionnel : la conclusion d'un accord « Jeune professionnel » (voir supra) est parfois programmée, de même que des objectifs de délivrance de titres « compétences et talents », étant entendu que lesdits quotas ne sont pas contraignants. Par ailleurs, les accords de gestion concertée et de codéveloppement autorisent presque systématiquement la délivrance de titres de séjour salariés sans opposabilité de l'emploi aux personnes justifiant d'un contrat de travail dans un secteur d'activité figurant dans une liste ad hoc de métiers en tension82(*) annexée à l'accord. Si ce dispositif est semblable à celui aujourd'hui prévu par l'article L. 414-13 du ceseda, le contenu des différentes listes diverge significativement. À titre d'exemple, la liste des métiers en tension figurant en annexe de l'accord franco-béninois comprend 16 métiers, contre 77 pour l'accord franco-tunisien ;

- sur l'admission au séjour pour motif familial : les accords se contentent pour l'essentiel d'opérer un renvoi aux dispositions de droit commun en la matière.

S'agissant du deuxième volet relatif à la lutte contre l'immigration irrégulière, les stipulations figurant dans les accords de gestion concertée et de codéveloppement sont de même nature que celles figurant dans les accords de réadmission « classiques » évoqués précédemment.

Le volet codéveloppement est enfin moins standardisé que les deux précédents et tient compte, au moins en apparence, de la situation particulière de chacun des États partenaires. Outre des objectifs généraux tels que le soutien aux initiatives économiques des résidents en France, le cofinancement de projets de développement local ou encore la facilitation des transferts de fond, les accords identifient en général des axes de travail prioritaires, voire listent des actions faisant l'objet d'un financement français. À titre d'exemple, le second protocole l'accord franco-tunisien du 28 avril 2008 prévoit le financement de centres de formation professionnel par l'intermédiaire d'un programme pluriannuel doté d'une enveloppe de 30 millions d'euros sur la période 2008-2011. Une liste de projets de formation professionnelle éligibles à ce programme est annexée à l'accord et mentionne, par exemple, le financement d'un projet de création d'un centre de formation aux métiers du bâtiment à Oueslatia-Kairouan à hauteur de 7,2 millions d'euros.

Il est fondamental de préciser que ces trois volets sont traités isolément, sans qu'aucune conditionnalité ne soit explicitement établie entre eux dans les accords.

Le déploiement d'une nouvelle génération d'accords migratoire :
l'exemple de l'accord franco-gabonais du 5 juillet 2007

Les stipulations de l'accord franco-gabonais du 5 juillet 2007 précisent les fondamentaux d'une nouvelle approche des pouvoirs publics, reposant sur les idées que, d'une part, la gestion concertée « constitue un facteur de développement économique, social et culturel » et, d'autre part, « les mouvements migratoires doivent se concevoir dans une perspective au développement et que la migration doit favoriser l'enrichissement du pays d'origine [...] »83(*). Concrètement, l'architecture de l'accord franco-gabonais repose sur trois volets.

· Un volet relatif à la circulation et au séjour : les deux premiers chapitres de l'accord prévoient notamment une exemption de visa court-séjour pour les détenteurs de passeports diplomatiques ou de service84(*). Par ailleurs, les parties s'engagent à délivrer, dans la mesure du possible85(*), des visas de circulation d'au moins deux ans ainsi qu'à se communiquer mutuellement les causes d'éventuels rejets (article 1er). Cette mention ne revêt toutefois pas de portée contraignante. S'agissant de l'admission au séjour, des régimes plus favorables sont aménagés pour les motifs étudiants (article 2). Une autorisation provisoire de séjour (APS) de 9 mois renouvelable une fois est notamment accordée à l'étudiant gabonais ayant obtenu une licence professionnelle ou un master en France86(*). Sous réserve que la rémunération soit supérieure à 1,5 SMIC, elle permet d'exercer une activité professionnelle dans le secteur visé. À l'expiration de l'APS, l'étudiant toujours en activité est autorisé à séjourner en France sans opposabilité de la situation de l'emploi. Ce dispositif est plus favorable que celui prévu par l'article L. 422-10 du Ceseda où cette possibilité de prolongation de séjour est réservée aux titulaires d'un master. Les étudiants gabonais en France ont par ailleurs accès aux offres d'emploi ou de stages de Pôle emploi et du Crous.

S'agissant des motifs professionnels et familiaux (article 3), l'accord fixe le principe d'un futur accord « jeunes professionnels ». En outre, il prévoit au bénéfice des ressortissants gabonais l'attribution sans opposabilité de la situation de l'emploi d'une carte de séjour salarié aux titulaires d'un contrat de travail dans l'un des métiers en tension figurant en annexe de l'accord87(*), ainsi qu'à ceux souhaitant assurer un complément de formation professionnelle en entreprise de moins de 12 mois. Par ailleurs, l'accord prévoit la possibilité de délivrance d'une carte « compétences et talents » de trois ans pour certains profils particulièrement notables. Enfin, la France s'engage à ce qu'un bilan de compétences soit offert aux ressortissants Gabonais en fin de contrat d'accueil et d'intégration. En contrepartie, le Gabon s'engage à faire évoluer son droit national pour que des titres de 5 ans puissent être délivrés aux Français y résidant régulièrement depuis 3 ans ou mariés depuis plus de 3 ans avec un ressortissant gabonais.

· Sur le volet réadmission : l'article 4 prévoit la réadmission de droit des ressortissants en situation irrégulière sur le territoire de l'autre partie ou des ressortissants d'États tiers en situation irrégulière sur le territoire d'une partie pour lesquels il peut être apporté la preuve d'un séjour sur le territoire de l'autre. Les modalités d'établissement de la nationalité ou du séjour des intéressés sont fixées en annexe.

· Sur le volet relatif à la coopération et au co-développement : l'accord formalise un engagement de la France dans trois domaines. Le premier est celui de la lutte contre l'immigration irrégulière (article 4), par la mise à disposition d'une expertise policière visant, par exemple, à améliorer le cadre légal applicable, à renforcer la sécurisation de l'aéroport de Libreville ou à enrichir la formation des effectifs. Aucun objectif chiffré n'est toutefois mentionné. Le deuxième point fixe le principe d'une action de la France pour l'amélioration de la fiabilité de l'état civil et de l'efficacité de la lutte contre la fraude documentaire (article 5). Le troisième engagement est celui de la participation à un processus de codéveloppement (article 6), via le soutien aux initiatives des Gabonais résidant en France et visant le développement du Gabon. Sont concrètement mentionnés le cofinancement de projets de développement local initiés par des associations de migrants, l'appui aux diasporas qualifiés pour des interventions au Gabon ou le soutien aux initiatives des jeunes Gabonais. L'accord précise que ces actions sont mises en oeuvre dans le cadre d'un fonds de solidarité prioritaire.

Il est enfin prévu qu'un comité de suivi se réunisse au moins une fois par an pour suivre la bonne exécution de l'accord et régler les éventuels différends (article 7). L'accord est conclu pour une durée indéterminée, mais est modifiable par accord entre les parties ou dénonçable unilatéralement avec un préavis de trois mois (article 8).

2. Une stratégie progressivement abandonnée et aux résultats incertains
a) Le constat : un délaissement progressif des accords de gestion concertée et de codéveloppement

En pratique, l'exécution des accords de gestion concertée et de codéveloppement s'est révélée inégale. L'ambassadeur chargé des migrations a ainsi indiqué au cours de son audition que « la régularité des comités de suivi a été très variable d'un accord à l'autre ; certains dispositifs se sont ainsi révélés plus actifs que d'autres et le rythme des comités de suivi, initialement prévu sur une base annuelle, a été plus sporadique ». Si le comité de suivi de l'accord franco-tunisien s'est réuni 9 fois - en février 2024 pour la réunion la plus récente -, ceux des accords conclus avec le Cap Vert et le Bénin ne se sont plus tenus depuis leurs réunions inaugurales, respectivement en novembre 2011 et en mars 201288(*).

De fait, les accords de gestion concertée et de codéveloppement n'ont pas rencontré le succès escompté et ont rapidement perdu de leur centralité dans la politique migratoire française. L'objectif de 20 accords de gestion concertée n'a pas été atteint et aucun n'a été conclu postérieurement à janvier 2009. La suppression du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire en novembre 2010 est également symbolique du délaissement précoce de cette stratégie migratoire. Celle-ci ne dispose par ailleurs plus de support budgétaire dédié depuis la suppression du programme 301 par la loi de finances pour 2013.

Si les accords de gestion concertée et de codéveloppement restent formellement en vigueur, force est donc de constater que la grande majorité d'entre eux sont aujourd'hui inactifs. Selon les informations communiquées à la mission d'information, seules les stipulations relatives à la réadmission peuvent encore servir de référence dans le dialogue bilatéral avec les États partenaires.

Deux accords échappent toutefois à ce constat : l'accord conclu avec la Tunisie et, dans une moindre mesure, celui conclu avec le Sénégal.

Si l'exécution du premier a été interrompue pendant trois ans entre mars 2021 et mars 2024 du fait de la pandémie de covid-19 puis des tensions issues de la décision française de restreindre la délivrance de visas, celle-ci a désormais repris. Les acteurs auditionnés ont unanimement souligné les vertus d'un accord qui permettrait un dialogue régulier en matière migratoire et dont les objectifs sont encore actualisés au fil des réunions de son comité de pilotage. L'ambassadrice de France en Tunisie, Anne Guéguen, a notamment dressé un bilan positif de cet accord qui constituerait « le cadre de référence de la coopération en matière migratoire entre la France et la Tunisie ».

De fait, la dernière réunion du comité de pilotage en février 2024 a permis de rénover les modalités de suivi de l'exécution de l'accord par la création de deux sous-comités techniques relatifs respectivement au développement solidaire et à la migration. Cette vitalité est également constatée sur le volet développement solidaire, avec la mise en place en 2023 d'une enveloppe dédiée de 27,8 millions d'euros89(*). Selon les informations communiquées par l'ambassade de France en Tunisie, celle-ci vient s'ajouter aux 40 millions d'euros engagés dans ce cadre depuis 2008, à raison de 30 millions d'euros pour le financement de projets de développement solidaire et de 10 millions d'euros pour des projets sécuritaires liés aux migrations90(*). Les résultats sont en revanche moins probants s'agissant de la coopération en matière de retour. Si certains indicateurs révèlent un frémissement (619 retours au 18 octobre 2024 contre 540 pour toute l'année 2023), celui-ci doit être très largement relativisé. Ces niveaux sont encore inférieurs à ceux observés avant la pandémie de la Covid-19 et le taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais utiles à l'éloignement demeure largement perfectible91(*). En valeur absolue, le volume de retours demeure quant à lui sans commune mesure avec le nombre de ressortissants tunisiens interpellés en situation irrégulière sur le territoire national (6 204 au premier semestre 2023 et 9 624 en 2022). De ce point de vue, le lien entre un volontarisme accru en matière d'aide au développement et l'obtention d'un surcroît de coopération en matière de réadmission semble à tout le moins ténu.

L'accord franco-tunisien du 28 avril 2008 

Composé d'un accord-cadre ainsi que de deux protocoles d'application, l'accord de gestion concertée conclu avec la Tunisie apparaît comme l'instrument le plus complet de cette catégorie. L'accord-cadre fixe tout d'abord les principes de ce nouveau cadre de coopération au sein duquel les parties « affirment leur engagement pour une gestion concertée de la migration et renforcent à cet égard leur coopération pour faciliter la circulation des personnes entre les deux pays, l'admission au séjour sur leurs territoires respectifs et la réadmission de leurs ressortissants en situation irrégulière » (article 1). De la même manière, l'article 2 entend « asseoir un partenariat privilégié en matière de développement solidaire » reposant sur une future stratégie conjointe « visant à promouvoir une coopération multiforme ». Sur le plan pratique, un comité de pilotage est chargé d'assurer le suivi de l'application de l'accord (article 3), et ce même si les éventuelles difficultés d'interprétation sont réglées à l'amiable, (article 5).

· Le premier protocole est relatif à la gestion concertée des migrations. Il repose sur trois piliers, dont le premier est relatif à la circulation (article 1er). La France s'engage, de manière non contraignante, à faciliter la délivrance de visas de circulation valables de 1 à 5 ans à des catégories de ressortissants tunisiens limitativement énumérés92(*) ainsi que de visas simples pour certains motifs, tels que la visite de ressortissants tunisiens hospitalisés en France.

Le second pilier est la mise en place de conditions d'admission au séjour (plus favorables que le droit commun (article 2). L'essentiel des motifs d'admission sont concernés. S'agissant des motifs familiaux, l'accord de 1988 (voir infra) est modifié afin de soumettre au contrat d'intégration républicaine les jeunes majeurs tunisiens arrivés en France après 16 ans et admis au séjour à leur majorité, ainsi que de supprimer la possibilité de régularisation de droit pour les Tunisiens résidant habituellement en France depuis plus de 10 ans. La France s'engage par ailleurs à un traitement bienveillant des demandes de regroupement familial.

S'agissant des étudiants, le dispositif est analogue à celui figurant dans le cadre de l'accord franco-gabonais (voir infra).

Pour ce qui est enfin des motifs professionnels, l'accord porte à 1 500 le plafond de jeunes professionnels annuellement admis au séjour au titre de l'accord du 4 décembre 2003, ainsi qu'à 24 mois la durée totale potentielle dudit séjour. L'accord autorise ensuite la délivrance d'un titre « compétences et talents » valable 3 ans à un nombre maximal de 1 500 Tunisiens par an. S'agissant des salariés, la voie d'admission au séjour prévue par l'accord de 1988 (cf. supra) est réservée aux Tunisiens exerçant dans les 77 métiers en tension listés en annexe de l'accord. Un objectif de 3 500 admissions annuelles est fixé.

Le premier protocole intègre un troisième pilier relatif à la réadmission, dont les stipulations recoupent celles figurant dans les accords de cette nature présentés précédemment (article 3). La France s'engage également formellement à renforcer son appui à l'administration tunisienne en charge de l'immigration par une aide en matériels de surveillance des frontières ainsi que la participation à des actions de formation (article 4).

· Le second protocole régit les modalités d'exécution des dispositions relatives au développement solidaire. Il dresse tout d'abord une liste relativement générale d'axes prioritaires (articles 1er à 8)93(*). L'accord prévoit ensuite notamment le financement de centres de formation professionnelle via un programme pluriannuel doté d'une enveloppe de 30 millions d'euros sur la période 2008-2011 (article 11). Par ailleurs, la France s'engage à financer d'autres projets de prévention de l'émigration illégale ainsi qu'à mettre en place un programme d'appui pluriannuel aux projets de développement solidaires en Tunisie (articles 12 et 13). Les projets concernés par ces deux volets sont listés en annexe de l'accord.

Selon les informations transmises à la mission d'information, l'accord conclu avec le Sénégal est également actif. Si la dernière réunion de son comité de suivi remonte à février 2022, l'agence française de développement a toutefois fait état de nombreux projets de codéveloppement financés par la France dans ce cadre. L'agence intervient notamment pour le cofinancement d'initiatives portées par les membres de la diaspora sénégalaise en France à hauteur de 45 millions d'euros pour 230 projets de développement local depuis 2006. L'ambassadeur chargé des migrations a confirmé au cours de son audition qu'il s'agissait d'un axe de travail prioritaire.

b) Des accords qui n'ont pas permis d'atteindre l'objectif initial d'une immigration « choisie »

En préambule de cette partie consacrée à l'évaluation des accords de gestion concertée et de codéveloppement, deux regrets doivent être émis par les rapporteurs. Le premier est que, malgré leurs demandes réitérées, le rapport des inspections générales des ministères des affaires étrangères et de l'intérieur d'avril 2014 sur les accords de gestion concertée et de codéveloppement ne leur ait pas été communiqué. Celui-ci constitue pourtant la seule évaluation exhaustive réalisée à ce jour sur le sujet. Seuls quelques éléments figurant dans ce rapport ont été dévoilés en 2017 dans la réponse à une question écrite de l'ancien député Guillaume Larrivé94(*). Il y serait recommandé de « ne plus conclure d'accords de ce type et de privilégier une démarche de « dialogue migratoire » avec les principaux pays sources d'immigration ». La réponse à cette question écrite précise par ailleurs que la part de visas de circulation délivrés aux ressortissants des États partenaires se serait effectivement accrue (jusqu'à 42 % s'agissant des Tunisiens) et que l'immigration étudiante aurait bien été favorisée.

Le second n'est pas spécifique à cette catégorie d'accords et a trait à l'insuffisance des données statistiques disponibles. Cet obstacle, auquel les rapporteurs se sont régulièrement heurtés, empêche d'objectiver les apports (ou non) des instruments migratoires internationaux, voire entretient des doutes quant à leur pertinence. Si la mission d'information ne méconnaît pas la difficulté liée au fait que ces accords ne prévoient généralement pas la délivrance de titres de séjour autonome pouvant faire l'objet d'un traitement statistique dédié, elle ne peut toutefois que déplorer que seules des données agrégées d'un intérêt souvent limité aient été communiquées sur ce point.

En tout état de cause, au vu des éléments et témoignages qui ont néanmoins pu être recueillis par les rapporteurs au cours de leurs travaux, il apparaît manifeste que les objectifs ayant présidé à la mise en place des accords de gestion concertée et de codéveloppement n'ont pas été atteints.

Au cours de son audition, Patrick Stefanini a ainsi dressé un bilan en demi-teinte des accords de gestion concertée et de codéveloppement. Selon lui, l'objectif de dynamisation des migrations étudiantes et professionnelles a indéniablement été rempli. L'immigration familiale n'aurait quant à elle fait que se stabiliser, et ce alors même que l'objectif initial était de la réduire. Les données reproduites dans les tableaux ci-dessous doivent néanmoins être analysées avec précaution, ne serait-ce qu'en raison de leur caractère agrégé et de la tardiveté du point de départ des séries.

Premiers de séjour délivrés aux ressortissants de pays ayant signé des accords de gestion concertée et de co-développement (par motif d'admission)

 

2012

2018

2018/2012

Admissions au séjour

27 983

42 322

1,51 %

Dont motif économique

1 974

7 242

3,67 %

Dont motif familial

16 699

16 780

1 %

Dont motif étudiant

6 490

14 690

2,26 %

Dont motif humanitaire et divers

2 820

3 610

128 %

Source : Patrick Stefanini, « Immigration : Ces réalités qu'on nous cache », Robert Laffont, 2020

Premiers titres de séjours délivrés aux ressortissants de pays ayant signé des accords de gestion concertée et de co-développement (tous motifs confondus)

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Bénin

1 125

1 223

1 410

1 371

1 422

1 818

2 142

2 064

2 832

3 185

4 007

Burkina Faso

641

729

827

824

935

1 042

1 164

1 051

1 284

1 420

1 079

Cap-Vert

1 101

1 023

1 077

1 014

888

890

831

568

612

617

5326

Rép. Congo

2 436

2 455

2 457

2 504

2 722

2 888

3 251

3 295

4 876

4 525

4554

Sénégal

5 574

5 295

5 689

6 208

7 857

8 402

8 647

7 583

8 717

8 889

10 423

Tunisie

13 450

14 131

14 089

15 291

16 341

18 860

19 652

15 492

17 447

21 860

22 639

Source : DGEF

Au-delà de cette analyse quantitative, un rapport publié en 2017 par l'OCDE dresse un bilan qualitatif particulièrement décevant sur deux tableaux. L'OCDE conclut tout d'abord que leurs effets sur les migrations professionnelles ont été particulièrement marginaux95(*). Ce constat s'applique aussi bien aux stipulations relatives aux métiers en tension qu'aux cartes dites « compétences et talents ». Entre 2005 et 2014, seules 340 arrivées de travailleurs dans des métiers en tension sont dénombrées pour l'ensemble des États signataires après l'entrée en vigueur de l'accord, contre 240 avant96(*). La part de ces catégories de travailleurs dans l'ensemble des flux d'emplois en provenance des États partenaires est restée stable, autour de 17 % des flux en emplois bilatéraux contre 15 % avant l'entrée en vigueur des accords (et contre 2 % de l'ensemble des flux en emplois, tous pays confondus)97(*).

Dans le même temps, les accords n'ont pas eu d'effets significatifs sur l'arrivée de travailleurs qualifiés. Les délivrances de cartes « compétences et talents » sont restées très inférieures aux objectifs et parfois même microscopiques, comme en atteste le tableau reproduit ci-dessous. Si les accords de gestion concertée et de codéveloppement ont certes entraîné un surcroît d'immigration professionnelle, la nature de celle-ci ne correspondait en revanche pas nécessairement aux profils ciblés. L'étude de l'OCDE est catégorique sur ce point : « la signature des accords n'a eu aucun

impact sur les flux de travailleurs qualifiés venant de ces sept pays ; par contre, elle a permis un nombre d'entrées plus importantes de travailleurs peu qualifiés, notamment les employés dans la restauration
 ».

Pourcentage du quota annuel de cartes « compétences et talents »
délivrées depuis l'entrée en vigueur des accords

 

Nombre annuel moyen de délivrances

Quota annuel

Pourcentage de l'objectif atteint

Tunisie

52

1 500

3,5 %

Rép. du Congo

1

150

0,7 %

Bénin

1

0,7 %

Burkina Faso

0,8

0,5 %

Total

406

2 000 (indicatif)

20,4 %

Source : OCDE, Le recrutement des travailleurs immigrés, 2017

S'agissant du volet codéveloppement, l'OCDE estime que celui-ci a été insuffisamment investi. Les crédits accordés au programme budgétaire sont de fait restés modestes. Selon les données communiquées par la DGEF, celui-ci a financé des projets pour un montant cumulé de 128 millions d'euros sur la période 2008-2012, soit environ 0,5 % du budget total de l'aide publique au développement. L'OCDE relève par ailleurs que le volume annuel de projets collectifs de co-développement financé est resté bien en deçà de l'objectif de 100 (47 en 2008, 55 en 2009, 61 en 2010).

Dans l'ensemble, l'OCDE souligne « un manque flagrant d'efficacité » de cette catégorie d'accord. Selon l'organisation internationale : « les avantages que les pays d'origine signataires sont supposés recevoir en échange de leur implication dans le contrôle des flux migratoires paraissent [...] très marginaux : les possibilités de migrations légales restent en effet pour le moins limitées et les dispositifs (ainsi que les moyens) dédiés au codéveloppement et au développement solidaires sont loin d'être à la hauteur des enjeux ».

L'échec est tout aussi manifeste s'agissant des stipulations relatives à la réadmission. Les difficultés à obtenir des laissez-passer consulaires sont notoirement toujours aussi importantes. Sur ce point, la réponse effectuée en 2017 à la question écrite précitée faisait déjà le constat suivant : « malgré des débuts encourageants, les progrès attendus se heurtent aux difficultés (réticences, problèmes techniques) rencontrées en France auprès des autorités consulaires de certains États partenaires pour qu'elles délivrent les laissez-passer consulaires indispensables à l'éloignement de leurs ressortissants ». Les résultats des programmes de coopération policière étaient a contrario perçus comme « très encourageants ».

c) Un échec aux causes multiples

Cet échec peut s'expliquer par cinq raisons principales. Le postulat d'un lien entre développement et migrations s'est premièrement révélé en partie erroné. Sur ce point, le professeur Thibaut Fleury-Graff a souligné au cours de son audition que « le développement ne fait pas tout en matière migratoire ». De fait, le niveau de développement de l'État d'origine n'est qu'une cause d'émigration parmi d'autres. Au-delà des déterminants économiques, l'émigration peut notamment résulter de facteurs dits répulsifs (pull-out) ou attractifs (pull-in), qui peuvent être de nature politique, sociale, culturelle ou encore environnementale. Plus encore, il apparaît même que le développement peut, au moins dans un premier temps, être plus créateur que réducteur d'émigration. Ce paradoxe exposé par exemple par Jean-Pierre Guengant dès 200298(*) s'explique notamment par le fait que les coûts de l'émigration deviennent de moins en moins prohibitifs au fur et à mesure du développement d'un État. La relation entre migrations et développement prend en réalité le plus souvent la forme d'un « U inversé », où l'atténuation des flux n'intervient que dans un second temps. Dans une étude de 2018 citée par Patrick Stefanini, l'OCDE a ainsi évalué à 6 000 dollars le revenu annuel par habitant au-dessus duquel la croissance entraîne une diminution du taux d'émigration99(*).

Les mêmes causes ont produit les mêmes effets au niveau européen, où un constat similaire peut être dressé s'agissant de l'AGMM. Comme le soulignaient les Sénateurs Jacques Legendre et Gaëtan Gorce en 2016, « l'efficacité de cette approche a été jusqu'à présent difficile à percevoir ; elle semble avoir été en tout cas insuffisamment incitative et hiérarchisée »100(*).

La seconde raison qui peut être avancée pour expliquer l'échec des accords de gestion concertée et de codéveloppement est de nature politique, avec la mise au second plan de la politique d'immigration choisie à partir de 2012. Ce changement de doctrine a de facto accéléré l'obsolescence d'accords dont le sous-bassement théorique reposait précisément sur la volonté assumée de favoriser certains motifs d'admission au séjour déterminés et de contenir les autres.

La troisième raison a trait à la nature de ces accords. Les représentants des ministères de l'intérieur et de l'Europe et des affaires étrangères ont indiqué au cours de leurs auditions que, d'une part, « le cadre global que constituaient certains de ces accords [s'était] avéré surdimensionné par rapport aux enjeux bilatéraux » et, d'autre part, que « des possibilités de de migration légale impliquant la création d'un droit dérogatoire pouvait s'avérer difficile à manier »101(*) dans la pratique. Les sujets prioritaires ont pu être dilués dans la masse des discussions nécessaires pour l'application d'accords qui prétendaient à l'exhaustivité. Par ailleurs, le format intergouvernemental de ces accords complexifie - et le plus souvent empêche - la réalisation des ajustements rendus nécessaires par les évolutions des flux migratoires, de la relation bilatérale ou des législations nationales. L'exemple des listes de métiers en tension est symptomatique des difficultés découlant cette rigidité. Au-delà d'une conception initiale perfectible, ces dernières sont restées figées dans le temps et n'ont pas suivi les évolutions du marché du travail. Les stipulations relatives à la délivrance de cartes « compétences et talents » n'ont, de la même manière, pas suivi les évolutions de la législation et sont aujourd'hui dépassées. La DGEF a ainsi souligné au cours de son audition que le droit commun des « passeports talents » constituait désormais un régime plus favorable.

Ce format intergouvernemental est par ailleurs incompatible avec le souci de discrétion que peuvent avoir certains États s'agissant des questions d'immigration.

Quatrièmement, le contenu des accords de gestion concertée présente de multiples lacunes. Un nombre significatif de stipulations alors présentées comme avantageuses étaient en réalité déjà couvertes par des conventions antérieures, relativement équivalentes au droit commun et, pour certaines d'entre elles, dépourvues de portée contraignante. Il en va par exemple ainsi respectivement des stipulations relatives au régime de circulation ainsi qu'à la délivrance de cartes « compétences et talents » et de visas. Comme l'a souligné le professeur Vincent Tchen au cours de son audition, les crédits attribués à un volet codéveloppement aux contours eux-mêmes flous étaient également trop réduits pour prétendre à une réelle efficacité. Les services de l'État ont d'ailleurs admis sur ce point que la mise en oeuvre de ce volet avait pu « poser certaines difficultés de pilotage et de coordination ».

Cinquièmement, l'exécution de ces accords s'est parfois avérée poussive. Certains des acteurs auditionnés par la mission d'information ont ainsi estimé que le France n'avait pas nécessairement tenu ses engagements, notamment sur le plan de la délivrance des visas, parfois toujours aussi difficiles à obtenir après l'entrée en vigueur de l'accord de gestion concertée. A contrario, l'absence d'effet durable de ces accords sur la coopération en matière de réadmission des États signataires a été régulièrement soulevée au cours des travaux.

Ces éléments conduisent la mission d'information à formuler deux remarques. À l'instar de l'ensemble des autres instruments étudiés, l'efficacité des accords de gestion concertée et de codéveloppement résulte premièrement moins de leur lettre que de la qualité de la relation bilatérale avec l'État partenaire.

Deuxièmement, la question de la conditionnalité entre l'aide au développement et la coopération en matière de réadmission ne peut être éludée. L'absence de conditionnalité expresse dans le cadre des accords de gestion concertée et de codéveloppement ne peut suffire à expliquer leur échec, de même qu'il existe des raisons légitimes de dissocier ces deux pans de l'action publique s'inscrivant dans des perspectives différentes. Pour autant, la commission considère que les pouvoirs publics ne doivent pas s'interdire un recours ponctuel à ce levier lorsque les circonstances le justifient. C'est d'ailleurs ce que le Sénat avait entendu rappeler à l'occasion de l'examen de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dont l'article 47 précisait qu'il devait être tenu compte de la coopération en matière de retours dans l'allocation de l'aide au développement solidaire102(*).


* 71 Si l'accord de gestion concertée Sénégal a été conclu antérieurement - avec une signature le 23 septembre 2006 -, il a ensuite été complété par un avenant le 25 février 2008.

* 72 Voir Patrick Stefanini, « Immigration : Ces réalités qu'on nous cache », Robert Laffont, 2020.

* 73 Rapport du secrétaire général des Nations Unies, « Migrations internationales et développement », 18 mai 2006.

* 74 Décomposés entre le soutien à des opérateurs agissant en faveur du codéveloppement, des aides à la réinstallation des migrants dans leur pays d'origine ainsi que d'autres actions bilatérales thématiques.

* 75 Loi de finances initiale pour 2008, projet annuel de performance de la mission « Aide publique au développement ».

* 76 Avec une étape intermédiaire de 30 projets collectifs et 700 projets individuels financés en 2008.

* 77 Selon un séquençage de 6 en 2008, 7 en 2009 et 7 en 2010.

* 78 La liste figure en annexe 1 du projet annuel de performances précité.

* 79 La documentation budgétaire pour la loi de finances pour 2012 faisait d'ailleurs état d'un total de 13 accords de gestion concertée et de codéveloppement, en y intégrant l'accord non ratifié avec le Cameroun ainsi que des accords conclus avec la république de Maurice, le Liban, la Serbie, le Monténégro et la République de Macédoine. Toutefois, les accords conclus avec le Liban et la Macédoine n'ont pas été approuvés.

* 80 Un accord de gestion concertée a été signé avec le Cameroun le 21 mai 2009 mais n'a jamais été ratifié par la suite. Selon les informations communiquées à la mission d'information, l'absence de ratification de cet accord par la France a longtemps fait figure d'irritant et est parfois encore soulevée dans le dialogue bilatéral avec le Cameroun.

* 81 Complété par un avenant le 25 février 2008.

* 82 Des stipulations de cette nature figurent également dans les accords relatifs aux mobilités professionnelles conclus avec la Géorgie et l'île Maurice.

* 83 « [...] à travers les transferts de fonds des migrants mais également grâce à la formation et l'expérience que ceux-ci acquièrent au cours de leur séjour dans le pays d'accueil ».

* 84 L'exemption de présentation des documents justificatifs tenant à l'objet et aux conditions du séjour ainsi qu'aux moyens de subsistance, applicable aux passeports diplomatiques depuis 1992, est également étendue aux passeports de service.

* 85 Sous réserve des impératifs liés à la lutte contre la fraude documentaire, le trafic de stupéfiants, la criminalité transfrontalière, l'immigration irrégulière et le travail illégal et des autres impératifs d'ordre et de sécurité publics.

* 86 Le seuil retenu en droit commun est le niveau master.

* 87 La liste ne comprend que 9 métiers, dont par exemple informaticien, conseiller en assurance ou chef de chantier.

* 88 Selon les informations communiquées à la mission d'information, le nombre de réunions du comité de suivi pour chacun des autres accords est le suivant : 8 pour le Sénégal (dernière réunion en février 2022) ; 5 pour la République du Congo (dernière réunion en 2020) ; 4 pour le Gabon (dernière réunion en juin 2019) ; 3 pour le Burkina Faso (dernière réunion en juin 2016).

* 89 Celle-ci financera notamment des projets sécuritaires tels que la modernisation du système d'identification biométrique (pour environ un tiers), des projets de formation professionnelle des jeunes ainsi que des projets d'entreprenariat.

* 90 Il doit néanmoins être précisé que les projets d'aide au développement financés dans le cadre de l'accord de gestion concertée ne représentent qu'une fraction du volume total d'aide au développement, la plupart des projets étant mis en oeuvre par d'autres vecteurs.

* 91 32 % au premier semestre 2023, contre 44 % sur l'exercice précédent.

* 92 Par exemple les hommes d'affaires, les médecins ou les membres de famille au premier degré de Tunisiens établis en France.

* 93 Peuvent par exemple être cités la promotion de l'emploi et de la création de richesse dans les zones défavorisées ou le soutien à des projets de coopération décentralisée.

* 94 Assemblée nationale, XIVe législature, question écrite n° 96998 de Guillaume Larrivé.

* 95 OCDE, Le recrutement des travailleurs immigrés, « Les accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires en France », 2017.

* 96 Par ailleurs, ces flux sont concentrés sur deux États: le Sénégal (50 %) et la Tunisie (40 %).

* 97 De la même manière, ce taux est supérieur pour la Tunisie (11 %, contre 9 % avant la signature de l'accord) et le Sénégal (44 %).

* 98 Revue Projet, Migrations et frontières, Jean-Pierre Guengant, « Quel lien entre migrations internationales et développement ? », 2002/4 n° 272.

* 99 OCDE, Jornal of Development Economics, « Migration and Development : Dissecting the Anatomy of the Mobility Transition », n° 132, mai 2018.

* 100 Sénat, rapport d'information n° 795 (2015-2016) de Jacques Legendre et Gaëtan Gorce, « L'Europe au défi des migrants : agir vraiment ! », 13 juillet 2016.

* 101 Du reste, cette conclusion avait déjà été formulée par le Gouvernement en réponse à une question écrite du député Pierre-Henri Dumont (Assemblée nationale, XIVe législateur, question écrite n° 36186).

* 102 Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 45 de la Constitution (décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024).

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