II. LA PORTÉE DE L'ACCORD : UN RÉGIME DATÉ, MAJORITAIREMENT FAVORABLE AUX RESSORTISSANTS ALGÉRIENS
A. UNE PORTÉE JURIDIQUE SANS ÉQUIVALENT
1. Un accord qui régit complètement les conditions d'accès au séjour, de circulation et d'exercice d'une activité professionnelle des Algériens
En termes juridiques193(*), parmi les accords internationaux en matière migratoire, l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 est sans aucun doute celui dont la portée est la plus importante. Alors que les autres accords conclus à cette période ne s'écartent que modérément du droit commun, l'accord du 27 décembre 1968 établit un régime intégralement dérogatoire sur des pans entiers du droit des étrangers. Selon une formule régulièrement répétée par le Conseil d'État, l'accord « régit [ainsi] d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés et leur durée de validité, et les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'établir en France » 194(*).
De fait, l'accord ne renvoie pas aux conditions du droit
commun pour les points qu'il ne règle pas. Il en ressort que les
dispositions de droit commun ne sont par principe pas applicables aux
ressortissants algériens lorsqu'elles relèvent d'un domaine
traité par l'accord. En matière d'admission au
séjour, l'administration n'est par exemple pas tenue d'examiner une
demande fondée sur d'autres motifs que ceux
énumérés par l'accord, y compris lorsque le droit commun
est mieux-disant195(*).
Les ressortissants algériens
peuvent en revanche se prévaloir de la CEDH et notamment de son article
8 dès lors que l'objet du titre de séjour se rapporte aux droits
au respect de la vie privée et familiale196(*).
Selon une jurisprudence constante, seules les dispositions de droit commun de portée générale et qui ne sont pas incompatibles avec une disposition de l'accord du 27 décembre 1968 s'appliquent donc aux Algériens. Il en va ainsi des dispositions de nature purement procédurales. Selon un considérant de principe du Conseil d'État : « [l'accord] n'a toutefois pas entendu écarter, sauf stipulations incompatibles expresses, l'application des dispositions de procédure qui s'appliquent à tous les étrangers en ce qui concerne la délivrance, le renouvellement ou le refus de titres de séjour dès lors que ces ressortissants algériens se trouvent dans une situation entrant à la fois dans les prévisions de l'accord et dans celles de l'ordonnance du 2 novembre 1945 »197(*). À titre d'exemple, les « textes de portée générale relatifs à l'exercice, par toute personne d'une activité professionnelle » sont donc applicables aux Algériens198(*), de même que les dispositions du Ceseda relatives à la saisine de la commission du titre de séjour199(*).
Dans ce contexte, la jurisprudence joue un rôle fondamental dans la détermination des règles concrètement applicables aux ressortissants Algériens. L'intervention du Conseil d'État a notamment été déterminante pour trancher deux points :
- l'applicabilité de la clause d'ordre public : l'administration conserve sa faculté de refuser la délivrance ou le renouvellement d'un certificat de résidence d'un an pour un motif d'ordre public, quand bien même l'accord du 27 décembre 1968 ne prévoit des possibilités de retrait qu'en cas de fraude200(*). Selon la DGEF, le régime demeure néanmoins « plus restrictif que les dispositions de droit commun en matière de refus, retraits et dégradations de titres de séjour ». Il n'existe ainsi pas de fondement juridique pour refuser le renouvellement d'un certificat de résidence de dix ans, même en cas de menace grave pour l'ordre public. Le cas échéant, seule la procédure d'expulsion peut être légalement mobilisée ;
- l'éligibilité des Algériens à l'admission exceptionnelle au séjour : ces derniers ne peuvent se prévaloir de ce dispositif, même si l'autorité administrative, en vertu de son pouvoir général d'appréciation, demeure libre de délivrer un certificat de résidence de manière discrétionnaire, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé201(*).
En revanche, les ressortissants algériens sont bien soumis aux dispositions du Ceseda dans ceux des champs du droit étrangers qui ne sont pas mentionnés dans l'accord. C'est notamment le cas s'agissant de l'éloignement où de l'exercice du droit d'asile, pour lesquels le droit commun s'applique.
2. Un régime dérogatoire qui fait figure d'exception au Maghreb
L'accord du 27 décembre 1968 fait figure d'exception au Maghreb, et ce alors même que les enjeux migratoires sont également importants avec la Tunisie et le Maroc.
a) L'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : des dérogations limitées au droit commun
L'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ne s'écarte désormais qu'à la marge du droit commun, après sa modification à trois reprises depuis son entrée en vigueur. La dernière révision opérée par l'accord de gestion concertée et de codéveloppement du 28 avril 2008 a permis de revenir sur les stipulations les plus dérogatoires au droit commun, en particulier celle qui prévoyait une admission au séjour de droit à compter de dix ans de résidence habituelle sur le territoire national202(*).
Outre des dispositions transitoires, les principales dérogations au droit commun que contient encore cet accord sont les suivantes203(*) :
- une voie d'accès au séjour salarié pour les travailleurs dans les métiers en tension : la situation de l'emploi ne fait pas obstacle à la délivrance d'un titre de séjour d'un an pour exercer une activité figurant dans la liste désormais annexée à l'accord de gestion concertée de 2008 ;
- un régime de regroupement familial légèrement plus favorable : un titre de séjour de même nature que celui du regroupant est délivré aux regroupés. L'accord précise par ailleurs que le regroupement familial autorise l'accès au marché du travail ;
- des motifs d'admission au séjour pour motif familial légèrement aménagés : la principale originalité de l'accord réside dans le fait qu'il fixe intégralement les conditions de délivrance des cartes de résident de 10 ans dites « simples », parfois dans des sens légèrement plus favorables que le droit commun. En revanche, ce dernier s'applique s'agissant de la délivrance des cartes de séjour temporaire familiale non mentionnées par l'accord.
L'ensemble de ces dispositifs sont par ailleurs pleinement réciproques. Ils s'appliquent aux ressortissants français requérant l'admission au séjour en Tunisie. Par comparaison, l'accord du 27 décembre 1968 ne régit que la situation des Algériens en France.
L'exécution de cet accord ne semble pas être à l'origine de difficultés majeures. L'ambassade de France en Tunisie a ainsi précisé que, d'un côté, « la dynamique des relations humaines entre la Tunisie et la France, et notamment des mobilités professionnelles, justifie la facilitation de délivrance de titres de séjour de longue durée pour les personnes justifiant de plusieurs années de séjour régulier dans un cadre professionnel, ainsi que pour leurs familles » et, de l'autre, que « la partie tunisienne [était] globalement satisfaite de ces dispositions ». Les quelques difficultés constatées de part et d'autre résulteraient avant tout de lenteurs administratives dans l'émission des titres.
En termes statistiques, l'immigration tunisienne est principalement économique (39 % des visas long séjour délivrés en 2023). Selon l'ambassade de France en Tunisie « la très grande majorité des titres de séjour pour motifs économiques concernent [par ailleurs] les métiers en tension tels qu'inclus dans l'accord de gestion concertée de 2008 ». La mission d'information relève que cette situation répond davantage à l'ambition française de favoriser l'immigration économique que précédemment. Une actualisation de la liste des métiers en tension figurant dans l'annexe de l'accord de 2008 serait néanmoins bienvenue.
Titres de séjours
délivrés annuellement aux ressortissants tunisiens
dans le
champ de l'accord de 1988 (2014-2023)
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
|
Regroupement familial |
1 697 |
1 590 |
1 459 |
1 500 |
1 676 |
1 643 |
1 736 |
2 017 |
2 221 |
1 839 |
CST vie privée familiale |
2600 |
2 483 |
2 337 |
2 261 |
2 351 |
2 366 |
2 271 |
2 523 |
2 640 |
2 441 |
Carte de résident |
1 815 |
1 674 |
1 480 |
1 484 |
1 508 |
1 403 |
1 336 |
1 600 |
1 646 |
1 102 |
Source : DGEF
b) L'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : un quasi-alignement sur le droit commun
L'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 facilite quant à lui l'accès au séjour pour des motifs professionnels des ressortissants marocains en France, et réciproquement. Les quelques divergences avec le droit commun recensées sont particulièrement mineures.
Outre une disposition transitoire visant les personnes bénéficiant d'un titre de séjour longue durée à la date d'entrée en vigueur de l'accord204(*), l'accord facilite surtout l'admission au séjour pour motif professionnel. Ainsi, un titre de séjour d'un an est délivré sur présentation d'un contrat de travail et après contrôle médical. Comme l'a confirmé la DGEF au cours de son audition, l'ensemble des titres salariés valables un an sont donc régis par cet accord. Leur nombre demeure toutefois modeste ; environ un millier de titres de cette nature ont été annuellement délivrés sur les dix dernières années.
Les intéressés peuvent
bénéficier d'un titre de dix ans, renouvelable de plein droit,
à compter du troisième renouvellement. Il est
précisé qu'il est statué sur la demande
« en tenant compte des conditions d'exercice de leurs
activités professionnelles et de leurs moyens
d'existence ». Ce régime est plus favorable
que le droit commun français qui limite principalement le
bénéfice d'une carte de résident aux motifs familiaux
ainsi qu'aux réfugiés et conditionne celui d'une carte de
résident longue durée
- UE à un séjour
de 5 ans. En termes statistiques, les outils existants ne permettent
néanmoins pas d'isoler celles des cartes de résident qui sont
délivrées en application de cet accord.
En cas de regroupement familial, le regroupé est autorisé à séjourner en France dans les mêmes conditions que le regroupant. Il bénéficie donc d'un titre de même nature qui l'autorise à exercer une activité professionnelle sans que la situation de l'emploi ne lui soit opposable. Les professions règlementées sont en revanche exclues du dispositif.
Titres de séjours
délivrés annuellement aux ressortissants marocains
dans le
champ de l'accord de 1987 (2014-2023)
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
|
Regroupement familial |
3 086 |
2 293 |
2 869 |
2 544 |
2 754 |
2 550 |
2 362 |
3 317 |
2 830 |
2 794 |
Carte de séjour temporaire « salarié » |
790 |
813 |
884 |
853 |
969 |
1 096 |
1 112 |
1 258 |
1 082 |
1 147 |
Carte de résident |
2 893 |
2 793 |
2 670 |
2 481 |
2 507 |
2 314 |
1 906 |
2 585 |
2 332 |
1 976 |
Source : DGEF
* 193 Outre les éléments recueillis par la mission d'information au cours de ses travaux, les sources suivantes ont principalement été mobilisées : Gisti, « Les cahiers juridiques, Les droits des Algériennes et des Algériens en France » (2015) ; Dalloz, « Répertoire de contentieux administratif » ; LexisNexis, « Jurisclasseur Droit international », Fascicule N° 524-14.
* 194 Voir par exemple : Conseil d'État, 25 mai 1988, n° 81420 ; Conseil d'État, 21 avril 2000, n° 206902, Conseil d'État, 30 décembre 2002, n° 235972 ; CE, 30 juin 2016, n° 391489.
* 195 Conseil d'État, 25 mai 1988, n ° 81420 ; CE, 27 juillet 1990, n° 96321. S'agissant par exemple de l'admission au séjour des retraités, voir : Conseil d'État, 26 novembre 2012, n° 349293.
* 196 Conseil d'État, 22 mai 1992, n° 99475 ; Conseil d'État, 20 juin 1997, n° 151493.
* 197 Conseil d'État, 14 avril 1999, n° 153468 ; Conseil d'État, 2 octobre 2002, n° 220013.
* 198 Conseil d'État, 23 novembre 2011, n° 343083.
* 199 Conseil d'État, 15 décembre 2000, n° 220157.
* 200 Conseil d'État, 4 mai 1990, n° 110034 : « Si l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 prévoit que les certificats de résidence délivrés aux ressortissants algériens sont renouvelés automatiquement, ces dispositions ne privent pas l'administration française du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation générale en vigueur relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser l'admission au séjour en se fondant sur des motifs tenant à l'ordre public » ; CE, 22 juillet 2018, n ° 409090 : « Ces stipulations ne privent pas l'autorité compétente du pouvoir qui lui appartient de refuser à un ressortissant algérien la délivrance du certificat de résidence d'un an lorsque sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public ».
* 201 Conseil d'État, Avis, 10 mai 1996, n° 177117 : « l'autorité administrative en l'absence de dispositions expresses s'y opposant, peut prendre à titre exceptionnel et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, une mesure gracieuse favorable à l'intéressé justifiée par la situation particulière dans laquelle le demandeur établirait se trouver » ; Conseil d'État, 22 mars 2020, n° 333679 : « il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation ».
* 202 Cette stipulation, assimilable à un « droit à la régularisation » figure a contrario encore dans l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
* 203 Voir le tableau figurant en annexe pour une analyse détaillée de l'ensemble des dérogations au droit commun figurant dans cet accord.
* 204 Le ressortissant d'un État partie bénéficiant à la date de l'entrée en vigueur de l'accord, d'un titre de séjour d'au moins trois dans l'État partenaire est, à son expiration, éligible à un titre de 10 ans. Celui-ci est renouvelable de plein droit et vaut autorisation de travail (articles 1 et 2). Le cas échéant, les regroupés bénéficient d'un titre de même nature et peuvent accéder au marché du travail (article 6).