B. CRÉER RAPIDEMENT LES CONDITIONS DE LA MONTÉE EN CHARGE DE L'INDUSTRIE DE DÉFENSE EN FRANCE ET EN EUROPE, À LA HAUTEUR DES NOUVEAUX ENJEUX
En cohérence avec les objectifs de renforcement de la BITD fixés par la LPM 2024-2030125(*) et dans le contexte des prises position du président américain, Donald Trump, mettant en question la protection de l'Europe par les Etats-Unis, de nombreux appels ont été formulés en faveur du renforcement de la BITD (base industrielle et technologique de défense) en Europe et en France.
L'objectif est double : d'une part, faire en sorte que la hausse des dépenses de défense en Europe profite aux industriels du continent, et donc à son économie. D'autre part, asseoir une souveraineté industrielle pour garantir une autonomie stratégique et opérationnelle.
Toutefois, la montée en puissance de la BITD en Europe et en France ne se décrète pas, elle se construit. Si des avancées ont déjà eu lieu, d'importants efforts sont encore nécessaires pour permettre la montée en charge nécessaire, tant au niveau stratégique que des points de vue financier et normatif.
1. Assurer le renforcement rapide de la BITD en Europe concomitamment à la hausse des dépenses militaires
a) Une BITD fragmentée en Europe, une BITD française diversifiée et deuxième exportatrice mondiale
La BITD regroupe l'ensemble des entreprises de défense qui contribuent à concevoir et à produire les équipements pour les armées. À l'échelle européenne, selon la Commission européenne, les entreprises concernées auraient un chiffre d'affaires cumulé d'environ 70 milliards d'euros et emploieraient environ 500 000 personnes126(*). Ces entreprises sont parfois regroupées sous le terme BITD européenne ou « BITDE », bien que cette notion constitue pour une part importante l'addition de BITD nationales, produisant souvent de nombreux modèles différents pour la même catégorie d'équipements, à l'image des chars d'assaut ou des avions de chasse.
En France, selon le Gouvernement et en vertu d'une définition plus large, la BITD regrouperait environ 4 500 entreprises et 220 000 emplois, structurés autour de 9 grands groupes industriels127(*) et d'un tissu de start-ups, petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le portrait-robot d'une entreprise de la BITD serait une PME d'environ 50 employés, réalisant 6 à 8 millions de chiffre d'affaires, dont moins de 20 % pour le secteur de la défense128(*). Le chiffre d'affaires cumulé de la BITD française était estimé en 2022 à 30 milliards d'euros, selon la Direction générale de l'armement, montant qui a certainement nettement augmenté depuis.
En lien avec la doctrine d'autonomie stratégique française, la BITD française est diversifiée et produit un spectre large d'équipements, au bénéfice des armées françaises mais également de celles de nombreux autres pays. Sur la période 2020-2024, la France est le deuxième pays à avoir exporté le plus d'armes (9,6 % des exportations), loin derrière les Etats-Unis (43 %), mais devant la Russie (7,8 %), la Chine (5,9 %), l'Allemagne (5,6 %), l'Italie (4,8 %), le Royaume-Uni (3,6 %) et Israël (3,1 %)129(*).
b) À production constante, la hausse des dépenses militaires emporterait le risque d'une augmentation de la part des importations extra-européennes et/ou du coût des facteurs
La cohérence dans les mois et années à venir, en France et en Europe, de la montée en charge des dépenses militaires et des capacités industrielles sera primordiale, étant entendu que cette dernière prend du temps.
En effet, dans l'hypothèse où le financement de la BITD et ses investissements ne suivrait pas le rythme des commandes, les efforts budgétaires se feraient au profit des industriels extérieurs à l'Union européenne, et en particulier américains. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé dans les années récentes, notamment avec les commandes urgentes au profit de l'Ukraine. Les exportations américaines en Europe ont ainsi plus que triplé entre la période 2015-2019 et 2020-2024130(*). Dans le même temps, la part des importations sud-coréennes a également augmenté.
En outre, une augmentation insuffisante des capacités de production (offre) par rapport à celle des commandes (demande) serait de nature à conduire à une hausse des coûts unitaires des matériels commandés en Europe, réduisant la portée réelle des efforts budgétaires consentis.
c) Une BITD française qui a accéléré et qui peut encore produire un effort progressif
À l'occasion de la montée en charge des dépenses militaires en Europe et dans le monde depuis 2022, et de leur rehaussement annoncé à compter de 2025, la BITD française, et notamment les grands maîtres d'oeuvre industriels, a produit d'importants efforts pour augmenter ses capacités de production.
À titre d'illustration, le missilier MBDA a procédé, selon les informations transmises par l'entreprise au rapporteur spécial, à un plan d'investissement de 2,4 milliards d'euros pour la période 2025-2029, dont 1 milliard d'euros en France, en particulier pour augmenter les capacités de l'outil de production et les stocks de matériaux et procéder à des recrutements. Sur cette base, les cadences de production ont été augmentées : celle du missile Mistral est passée d'une production de 10 par mois en 2022 à 40 par mois en 2025, et celle du missile Aster serait rehaussée de 50 % entre 2022 et 2026. Au total, en 2025, le groupe devrait avoir doublé sa production par rapport à 2023.
Cette dynamique se retrouve chez les autres industriels. L'entreprise KNDS, qui produisait 2 canons Caesar par mois en 2022, en a produit 3 fois plus en 2024 et se préparerait à en produire 8 par an en 2025. De même, l'entreprise Naval Group a également accéléré sa cadence de production des frégates, tandis que Dassault produit aujourd'hui un peu plus de deux Rafale par mois au total, quand il n'en produisait qu'un seul en 2020. Son PDG estime que l'entreprise serait en mesure d'augmenter la production d'environ un demi-avion par mois par an à l'avenir, et de produire in fine jusqu'à 4 ou 5 Rafale par mois, si les commandes le justifient.
Les travaux menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de confirmer que cette montée en charge industrielle peut encore être approfondie. Mais elle ne se fera pas du jour au lendemain et met en tension l'ensemble de la chaîne de sous-traitance. Elle suppose des investissements, notamment en infrastructures, et des recrutements en nombre importants, alors que des tensions apparaissent sur ce marché du travail spécifique, par ailleurs très concentré sur quelques zones, dont certaines peinent parfois à attirer suffisamment, à l'image de la région de Bourges.
2. À l'échelle européenne, adopter une démarche industrielle du « best athlete » ayant pour objectif premier la défense de l'Europe plutôt qu'un partage de la valeur produite dans chaque État
À l'échelle européenne, les projets industriels de défense conjoints, parfois couronnés de succès in fine, ont souvent eu pour défaut de chercher quasiment tout autant la répartition de la valeur produite dans chacun des pays, au titre d'un juste « retour géographique », que la réussite finale du projet. Parmi de nombreux exemples, l'on peut notamment citer le cas du missile Aster, dont la fabrication partagée avec l'Italie impliquait jusqu'à récemment de franchir plusieurs fois les Alpes.
Aujourd'hui, le très fort durcissement du cadre stratégique impose de viser l'efficience plutôt que la répartition de la valeur. Les choix industriels doivent ainsi être mis au service de la défense de l'Europe et non l'inverse. Les mécanismes européens existants et ceux en projet devront viser cet objectif, dans le cadre d'une stratégie de coopération favorisant les meilleurs matériels européens, dans une logique dite du « best athlete », à savoir de l'acquisition de l'équipement le plus adapté, quel que soit son pays de fabrication.
a) Des mécanismes européens qui doivent être mis au service de l'efficacité
Si la politique de défense relève de la compétence des États, en dehors du cadre de l'Union européenne ou éventuellement à l'échelle du Conseil de l'UE ou du Conseil européen, l'UE dispose en revanche de compétences d'appui en matière industrielle, tandis que ses compétences sont larges en matière de marché intérieur.
C'est sur cette base que l'UE a peu à peu étendu son action en matière d'industrie de défense. Outre la mise en place, sur décision du Conseil, d'une Agence européenne de défense (AED) en 2004 visant à soutenir les coopérations des États dans l'industrie de défense, c'est à compter de 2018 puis de la guerre en Ukraine qu'un nombre important de mécanismes ont été mis en place à l'échelle de l'Union européenne. Ils visent globalement à encourager les États à concevoir, produire et acquérir des équipements et matériels militaires de manière plus coopérative, dans une perspective de réduction des coûts et de renforcement de l'interopérabilité des forces, ainsi qu'à soutenir plus fortement l'Ukraine dans son conflit face à la Russie.
(1) Les outils en vigueur
Remplaçant un premier programme créé en 2018131(*), le Fonds européen de défense (FED ou FEDef), était doté initialement d'environ 8 milliards d'euros sur la période 2021 et 2027, enveloppe réabandonnée de 1,5 milliard d'euros en 2024. Ce fonds, dont l'enveloppe subsistante à ce jour est d'environ 2 milliards d'euros132(*), vise à soutenir des projets de recherche et de développement structurants dans le domaine de l'industrie de défense. Pour être éligibles, les projets doivent concerner au minimum trois entreprises, issues de trois États européens différents. Ce fonds intervient en cofinancement, prenant en charge entre 20 % et 80 % des projets, selon le type d'activités. Les entités qui reçoivent un financement du FED doivent être établies dans l'UE ; en outre, ils ne peuvent pas être contrôlés par une entité d'un pays tiers ou par un pays tiers133(*).
En outre, d'autres outils ont été mis en place à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, principalement pour favoriser les acquisitions conjointes et la production industrielle de défense.
Le mécanisme temporaire EDIRPA, créé en 2023, vise ainsi à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions communes. Sur la base d'une enveloppe de 300 millions d'euros, il permet un remboursement partiel aux États membres lorsque les acquisitions conjointes font intervenir un consortium d'au moins trois États membres, avec un effet de levier important. Les entités bénéficiaires doivent être établis et avoir leurs structures exécutives de gestion dans l'UE ou dans un pays associé, et ne peuvent pas être contrôlés par un pays tiers non associé, selon la même logique que pour le FED. En outre, au moins 65 % des composants des produits finaux doivent provenir de l'UE ou d'un pays associé.
Par ailleurs, le mécanisme temporaire ASAP, également créé en 2023 et doté de 500 millions d'euros, vise à soutenir les projets d'investissement en faveur de la production de munitions, notamment en faveur de l'Ukraine, en ciblant les goulets d'étranglement identifiés.
Parallèlement, la facilité européenne pour la paix (FEP), créée en 2021, permet d'assister des pays ou organisations partenaires en leur fournissant des équipements militaires et de défense, des infrastructures, une assistance technique et des prestations de formation. Elle est dotée d'un fonds de plus de 17 milliards d'euros, alimenté par des contributions des États membres, en dehors du budget de l'UE ; elle sert aujourd'hui notamment à soutenir l'Ukraine. Ne remboursant qu'une partie des livraisons ou fournitures, la FEP dispose d'un effet de levier important.
(2) La stratégie EDIS et le projet EDIP
Pour prendre la suite des outils d'urgence mis en place dans le prolongement du déclenchement du conflit en Ukraine, la Commission européenne a présenté en mars 2024 une stratégie industrielle de défense (EDIS) et a proposé un nouveau programme pour l'industrie de défense (EDIP).
D'une part, la stratégie EDIS présente un ensemble d'action visant notamment à affirmer le principe d'acquisition commune de matériels de défense, à renforcer les capacités de production et à créer des incitations financières au profit de l'industrie de défense.
D'autre part, la proposition de programme « EDIP » vise à passer des mesures d'urgence de court terme EDIRPA et ASAP à une approche davantage structurelle en faveur du développement et de la structuration de l'industrie de défense européenne.
Ce programme concernerait un ensemble d'outils, dont des soutiens aux commandes conjointes (avec au minimum trois Etats concernés) et à la production. Il disposerait d'une enveloppe de 1,5 milliard d'euros pour la période allant jusqu'au 31 décembre 2027. Les critères d'éligibilité font l'objet de négociations en cours, suspendues par l'Allemagne à l'échelle du Conseil de l'UE. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la France y défend le critère que pour être éligibles au soutien, les équipements concernés doivent présenter un taux minimal, en valeur, de 65 % de composants provenant de l'UE ou de pays associés. En outre, les produits de défense devraient avoir pour autorité de conception134(*) une entité installée dans l'UE, ou dans les pays associés, et ne faire l'objet d'aucune restriction d'usage de la part d'États tiers. Le Parlement européen a voté le 24 avril 2025 une version du texte la portant à 70 %, tandis que le Sénat avait adopté, à l'initiative du rapporteur spécial135(*), de Gisèle Jourda et de François Bonneau, fin décembre 2024 une résolution précisant que l'ambition devait être « la plus élevée possible », en retenant « un taux de composants originaires de l'Union européenne ou de pays associés qui ne saurait être inférieur à celui de 65 % retenu dans le règlement EDIRPA et, si possible, tendre vers un taux minimal de 80 % »136(*).
Le rapporteur spécial considère que la création d'outils favorables à une plus grande coopération entre États européens est sur le principe une bonne chose. Néanmoins, il constate que tant les montants des enveloppes budgétaires en question (en particulier celle d'EDIP), que les délais de négociation des outils sont en décalage avec les besoins, aujourd'hui importants et urgents.
b) Une stratégie européenne qui doit privilégier les « best athletes »
Pour accompagner la montée en charge des dépenses militaires en Europe d'un point de vue industriel, il apparaît nécessaire que les États européens, a minima certains d'entre eux, s'entendent pour réduire le nombre de matériels différents remplissant dans les différentes armées d'Europe le même besoin, notamment pour réduire les coûts d'acquisition et favoriser l'interopérabilité des armées européennes.
Une politique du « best athlete », consistant à acquérir le matériel le plus adapté, quelle que soit le pays de fabrication, doit ainsi être déployée. Cette stratégie, qui suppose d'abandonner la logique du « retour géographique », n'est d'ailleurs pas incompatible avec une certaine répartition des commandes en fonction des types de matériels. Il convient d'être lucide : s'il est légitime de chercher à défendre la qualité de la BITD française, il serait illusoire de penser qu'elle peut utilement répondre à toutes les commandes de l'Europe, dans tous les secteurs.
3. Soutenir le financement de la BITD
La montée en charge de la BITD en France et en Europe ne se réalisera que si les financements nécessaires aux entreprises pour leurs investissements sont disponibles en quantité et en qualité suffisantes.
De ce point de vue, il convient de garder à l'esprit que, dans une économie de marché, ce dernier assure de lui-même le financement des investissements rentables. Au regard des perspectives de croissance des marchés de la défense, les apports en capitaux et en prêts des entreprises de la BITD doivent en principe s'organiser naturellement.
Néanmoins, au regard de l'importance d'augmenter rapidement les capacités de production de la BITD en France et en Europe, du soutien public apporté aux industriels dans de nombreux pays extra-européens, et des limites constatées au bon financement du secteur, une attention particulière doit être portée à la question.
Pour y répondre, il convient, avant tout, pour l'Etat, de formaliser les commandes annoncées et de régler les factures des matériels livrés à temps. Il faut, ensuite, répondre aux difficultés de financement identifiées, qu'elles résultent d'enjeux normatifs, de pratiques d'allocation financière inadéquates ou d'un besoin d'apports supplémentaires en capitaux par rapport à ceux qui sont disponibles.
a) Pour permettre le financement d'une économie de défense, formaliser les commandes et régler les factures à temps
Pour financer et mettre en oeuvre des hausses de capacités de production, les industriels ont besoin d'une formalisation des commandes de la part des États. S'il appartient au pouvoir exécutif de déterminer sa stratégie d'acquisition en tenant compte des contraintes budgétaires, en tout état de cause, de simples promesses ou annonces ne peuvent suffire au regard de l'importance des investissements nécessaires pour donner corps à l'économie de « guerre » souhaitée par le président de la République. En outre, afin de permettre la bonne organisation de l'outil de production, une visibilité sur la chronique annuelle générale des livraisons attendues pour chacun des matériels commandés est fortement souhaitable.
De même, une fois les commandes livrées, il incombe à l'Etat de les régler dans les délais. En effet, la hausse des retards de paiement, qui se matérialise dans celle du report de charges, est antinomique avec la mise en place d'une économie de défense. Il est, de ce point de vue, paradoxal que l'Etat annonce, d'un côté, sa volonté légitime de surveiller de près les délais de paiement des industriels au sein de la chaîne de sous-traitance137(*), quand, dans le même temps, l'Etat lui-même ne respecte pas ceux qui s'appliquent à lui.
La formalisation des commandes, la visibilité des livraisons attendues annuellement pour les différents matériels et le paiement en temps et en heure des factures sont les conditions premières d'une économie de défense.
b) Répondre aux difficultés de financement identifiés
Si les entreprises de la BITD ne sont globalement pas à court de financements pour leurs projets d'investissement, des limites peuvent être constatés. Selon une étude de 2024, portant sur la période antérieure à la guerre en Ukraine, les ETI et les PME de la BITD ont une structure financière et économique plus fragile que le reste de l'économie, qui s'exprime par des marges plus faibles, un endettement plus élevé et une potentielle sous-capitalisation en fonds propres138(*).
Depuis 2021, la hausse des budgets européens de défense en réponse à la guerre en Ukraine, ainsi que plusieurs initiatives publiques ont pu améliorer leur santé financière du fait d'un potentiel de croissance du secteur plus élevé. Néanmoins, le contexte stratégique augmente également leurs besoins de financement, comme le rappelle l'étude. Dans un contexte de nécessaire montée en charge rapide des industries française et européenne, il est donc nécessaire de s'assurer que les outils favorables à un financement efficace des entreprises soient mis en place.
(1) Des dispositifs sont déjà en place
Des outils publics ont déjà été instaurés pour soutenir le financement du secteur de la défense, en complément de l'action des acteurs privés, notamment les fonds d'investissement.
Alors que la politique actionnariale de l'Etat est mobilisée en faveur du soutien au secteur, notamment via des prises de participation dans les grands donneurs d'ordre mais également par l'acquisition d'actions de préférence dans les entreprises stratégiques, des fonds dédiés ont également été créés pour le financement des entreprises de la BITD.
À l'échelle européenne, la Banque européenne d'investissement (BEI), dispose de l'enveloppe de l'initiative stratégique pour la sécurité européenne (ISSE)139(*), qui a été réhaussée de 6 à 8 milliards d'euros sur la période 2021-2027, tandis qu'a aussi été lancée début 2024 par le Fonds européen d'investissement la Defense Equity Facility (enveloppe de 175 millions d'euros sur la période 2024-2027 dans le domaine de l'innovation). En outre, le Fonds européen de défense (FED) complète les investissements des États membres en cofinançant les coûts de développement des capacités de défense140(*).
En France, plusieurs outils de soutien en capital ont par ailleurs été mis en place, parmi lesquels le fonds Definvest créé en 2018 pour sécuriser le capital d'entreprises d'intérêt stratégique pour le secteur de la défense, et le Fonds innovation défense (FID), créé en 2021, pour soutenir en fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises innovantes dont les technologies sont duales et transversales. D'autres dispositifs ont en outre été mis en oeuvre, notamment par Bpifrance, en matière de prêts et de soutien financiers aux exportations de défense.
(2) L'utilité d'aller plus loin
Il serait toutefois utile d'aller plus loin, en déployant plusieurs types de mesures favorables à l'investissement dans les entreprises de la BITD, dont certaines sont en projet.
En premier lieu, l'essentiel de l'investissement devant provenir du marché, il convient de s'assurer que les normes et pratiques d'investissement qui ont cours dans le secteur de la défense sont pertinentes. Or, jusqu'ici les, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la taxonomie verte européenne ou encore les critères de définition des labels et fonds durables ont pu, y compris dans l'interprétation extensive qui en est faite par le secteur financier, conduire à exclure les industries de la défense d'une partie des investissements ou des prêts qui leur sont nécessaires. Si les états d'esprit semblent évoluer de ce point de vue, il convient de veiller à ce que la définition et l'interprétation qui est faite de ces critères soient favorables au secteur de la défense, plutôt que l'inverse.
Alors que la BEI a pendant longtemps appliqué des critères d'éligibilité à ses investissements qui excluaient de larges pans du secteur de la défense, emportant dans son sillage - du fait de son poids financier et de l'effet de signal dont elle dispose - de nombreux fonds d'investissement privés, elle a engagé un mouvement inverse qui sera bénéfique. Mais il est sans doute possible d'aller plus loin : le plan « ReArm Europe » présenté par la présidente de la Commission européenne prévoit ainsi de recourir plus fortement à la BEI, selon des modalités qui restent à être précisées.
En deuxième lieu, il apparaît nécessaire de faire du renforcement en capital (en « fonds propres ») des entreprises de la BITD l'une des priorités d'action, que cela soit par la création et le ré-abondement des fonds publics existants mais également par l'encouragement à la création de nouveaux fonds d'investissement en capitaux propres privés et à l'investissement des particuliers, y compris en assurance-vie.
En troisième lieu, il pourrait être envisagé des mesures supplémentaires, à l'image de la mobilisation d'une partie de l'épargne disponible sur livrets (ou via la création d'un livret dédié) en faveur des prêts aux entreprises de la BITD141(*), même si une telle mesure ne répondrait pas directement au coeur des enjeux actuels de financement des entreprises de la BITD, à savoir l'investissement en capital.
4. Libérer et sécuriser la BITD française
Construire une véritable économie de défense implique également de lever une partie des contraintes pesant sur ce secteur, en raison de l'intérêt général présidant à son développement rapide. Si celles-ci sont multiples, les travaux menés par le rapporteur spécial le conduisent à citer en particulier deux séries d'entre elles. Il apparaît ainsi nécessaire, d'une part, de libérer le secteur de certaines contraintes pesant sur les infrastructures industrielles et, d'autre part, de contribuer à réduire les risques de sécurité pesant sur ces entreprises.
En premier lieu, le secteur industriel de la défense est exposé à un nombre élevé de règles pèsent lourdement sur sa capacité à créer et étendre ses infrastructures. Les travaux menés par le rapporteur spécial ont ainsi été l'occasion de constater qu'il n'est pas rare qu'une période de 5 ans soit nécessaire entre le projet d'installation d'une usine et l'autorisation de son fonctionnement, pour une large part en raison de délais des nombreuses procédures administratives, auxquelles s'ajoutent les difficultés liées à l'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN).
Face au caractère prioritaire de la montée en charge de la BITD en France, il serait opportun de prévoir la levée d'une partie de ces contraintes pour le secteur de la défense, selon le modèle des dispositions législatives spécifiques adoptées récemment pour la reconstruction de Notre-Dame, la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et la reconstruction de Mayotte. Ces adaptations et simplifications ne devront pas porter préjudice à la sécurité des civils et des personnels militaires.
Recommandation n° 11 : Afin de permettre la montée en charge de la BITD française, lever une partie des contraintes s'appliquant à la construction et à l'extension des infrastructures industrielles, par des dispositions ad hoc à ce secteur (Gouvernement)
En second lieu, la sécurité des entreprises de la BITD doit être renforcée à « 360 degrés ». En effet, elles sont exposées aujourd'hui à des risques importants tenant notamment au renseignement extérieur, à des tentatives de sabotage, en particulier numérique, ou encore à des risques industriels liés à une connaissance encore insuffisante des fragilités dans les chaînes de sous-traitance et d'approvisionnement. Le rapporteur spécial considère que le travail mené par les industriels et les services de l'Etat dans le domaine de la sécurité doit ainsi encore être renforcé.
* 125 Voir supra.
* 126 En 2021. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52024JC0010.
* 127 Airbus Defence and Space, Thales, Safran, MBDA, Naval Group, Dassault, Ariane Group, KNDS et Arquus.
* 128 Voir notamment le dossier de presse de la conférence ministérielle sur le financement de la BITD du 20 mars 2025.
* 129 Données du SIPRI.
* 130 Idem.
* 131 Le programme européen de développement industriel de la défense (EDIDP). Doté d'une enveloppe de 500 millions d'euros pour 2019 et 2020, il visait à favoriser la coopération entre les entreprises et les États membres en matière de développement de produits ou de technologies de défense.
* 132 Selon les auditions menées par le rapporteur spécial.
* 133 Toutefois, si l'entité est contrôlée, l'État membre dans lequel l'entité européenne est établie peut fournir des garanties d'autonomie à l'entité afin de lui permettre de recevoir un financement du FED.
* 134 Soit l'autorité permettant de définir, de faire évoluer et d'adapter le matériel.
* 135 En qualité de Sénateur.
* 136 Résolution européenne n° 33 (2024-2025) sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense - COM(2024) 150 final.
* 137 Voir notamment le dossier de presse de la conférence ministérielle sur le financement de la BITD du 20 mars 2025.
* 138 Note de l'observatoire économique de la défense, n° 260, mars 2025. L'étude porte sur la période 2016-2021.
* 139 Selon le Gouvernement, la BEI a financé dans ce cadre des projets relatifs au développement de drones, le déploiement de satellites d'observation, ainsi que des projets de cybersécurité et des infrastructures militaro-civiles : dossier de presse de la conférence ministérielle sur le financement de la BITD du 20 mars 2025.
* 140 Voir supra.
* 141 Le principe du fléchage d'une partie de l'épargne réglementée des Français vers le financement de la défense a déjà été examiné et adopté à plusieurs reprises par le Parlement. Il ne figure toutefois pas dans le droit, les dispositions concernées ayant été, selon le cas, soit censurées pour des raisons de forme par le Conseil constitutionnel, soit adoptées de façon non définitive par le Sénat et restant en navette. Proposition de loi n° 191 (2023-2024) de M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues, relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française.