- L'ESSENTIEL
- LA NOUVELLE DONNE DE L'INGÉNIERIE DES
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE
- QUELS OUTILS ? QUELLES PRATIQUES ?
- AVANT-PROPOS
- I. LES NOUVEAUX ENJEUX DU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE DES TERRITOIRES ONT CONDUIT À L'ÉMERGENCE
D'INGÉNIERIES MULTIFORMES PARFOIS DIFFICILES À ARTICULER ENTRE
ELLES
- A. LES MUTATIONS DU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE TERRITORIAL ET DU MÉTIER DE DÉVELOPPEUR
ÉCONOMIQUE LOCAL
- 1. Les nouveaux enjeux économiques
réinterrogent les modèles traditionnels de développement
économique des territoires
- 2. La crise covid, un accélérateur de
ces transformations vers un développement économique plus
durable
- 3. Les transformations du métier de
développeur économique local : vers une approche à
360°
- (1) La loi Notre, levier de la professionnalisation
du métier de développeur économique local
- (2) Développeur économique local, un
métier en tension
- (3) Structurer la filière professionnelle
autour d'un référentiel commun
- (4) Structurer la filière professionnelle
par des formations dédiées qualifiantes
- (5) Le débat entre internalisation et
externalisation des compétences
- (1) La loi Notre, levier de la professionnalisation
du métier de développeur économique local
- 1. Les nouveaux enjeux économiques
réinterrogent les modèles traditionnels de développement
économique des territoires
- B. LES ENJEUX INSTITUTIONNELS DE LA
RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
- 1. La loi Notre, une clarification
nécessaire, mais insuffisante de la compétence
développement économique
- a) Les régions, en charge de la
stratégie économique, sont à la recherche d'une
articulation plus efficace de leur ingénierie avec celle des
intercommunalités et de l'État
- b) Les intercommunalités, un échelon
pertinent pour le développement économique des territoires qui
doit toutefois composer avec les compétences des autres
collectivités territoriales
- c) Les départements continuent d'intervenir
en matière de développement économique territorial, mais
sous d'autres formes
- d) Les communes se sont recentrées sur leurs
compétences de proximité, en lien avec les
intercommunalités
- e) Parachever la loi Notre sur le volet
développement économique
- f) Améliorer la coordination entre les
acteurs compétents en matière de développement
économique territorial
- a) Les régions, en charge de la
stratégie économique, sont à la recherche d'une
articulation plus efficace de leur ingénierie avec celle des
intercommunalités et de l'État
- 2. La complexité normative, un frein au
développement économique
- 3. Une ingénierie à deux
vitesses
- 1. La loi Notre, une clarification
nécessaire, mais insuffisante de la compétence
développement économique
- C. LE CONSTAT DU MORCELLEMENT ET DE
L'HÉTÉROGÉNÉITÉ DES ACTEURS DU
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL
- 1. L'ingénierie territoriale de
l'État : un équilibre qui reste à trouver pour mieux
articuler l'action des services déconcentrés et des
opérateurs de l'État avec les besoins d'ingénierie
publique de long terme des territoires
- a) Le repli de l'ingénierie de
l'État à partir de 2015
- b) Le repositionnement de l'État dans son
appui au développement économique des territoires
- c) Une technostructure déconcentrée
affaiblie, mais qui conserve un « pouvoir de blocage des
projets »
- d) L'État et ses opérateurs savent
toutefois être présents auprès des territoires les moins
dotés
- e) Des interventions qui restent toutefois trop
verticales, ponctuelles et insuffisamment concertées
- a) Le repli de l'ingénierie de
l'État à partir de 2015
- 2. L'ingénierie propre aux
collectivités territoriales et à leurs satellites et
agences : à la recherche d'une plus grande efficacité sans
perte de contrôle
- 3. L'ingénierie de projet et de
planification des structures de coopérations intercommunales
- 4. Les chambres consulaires, une ingénierie
en manque de moyens qui s'est technicisée
- 5. La montée en puissance des acteurs
privés de l'ingénierie territoriale, au détriment de
l'ingénierie publique ?
- 6. Les acteurs de l'ingénierie
financière territoriale
- 1. L'ingénierie territoriale de
l'État : un équilibre qui reste à trouver pour mieux
articuler l'action des services déconcentrés et des
opérateurs de l'État avec les besoins d'ingénierie
publique de long terme des territoires
- A. LES MUTATIONS DU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE TERRITORIAL ET DU MÉTIER DE DÉVELOPPEUR
ÉCONOMIQUE LOCAL
- II. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
S'EFFORCENT DE MOBILISER AVEC EFFICACITÉ LEURS RESSOURCES
D'INGÉNIERIE AU SERVICE D'UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
DURABLE DES TERRITOIRES
- A. LES NOUVELLES DYNAMIQUES DE L'INGÉNIERIE
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : VERS UN ÉCOSYSTÈME
PLUS COHÉRENT ET DURABLE
- 1. Retrouver la maîtrise du foncier pour
privilégier des projets durables pour l'emploi, l'économie et la
société
- 2. Repenser le modèle économique et
industriel
- (1) Faire de la raréfaction du foncier une
opportunité pour réduire l'empreinte carbone
- (2) Mieux structurer les filières pour
créer du développement économique tout en tenant compte
des limites planétaires
- (3) Accompagner l'innovation
- (4) Favoriser la transition
numérique
- (5) Mieux articuler l'urbain et le rural
- (1) Faire de la raréfaction du foncier une
opportunité pour réduire l'empreinte carbone
- 3. Engager la transition écologique et
sociale des territoires
- 4. Recréer du lien entre économie et
territoire
- 1. Retrouver la maîtrise du foncier pour
privilégier des projets durables pour l'emploi, l'économie et la
société
- B. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE D'UN
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL EFFICACE ET DURABLE
- 1. Les conditions propres à
l'ingénierie
- a) Structurer l'ingénierie de la
connaissance
- b) Renforcer le poids de la prospective et de la
planification stratégique du territoire
- c) Identifier et utiliser les outils juridiques
adaptés
- (1) Les baux à construction
- (2) Les sociétés coopératives
d'intérêt collectif
- (3) Les entreprises publiques locales
- (4) Les pôles territoriaux de
coopération économique
- d) Amplifier le recours à la
contractualisation
- e) Les nouveaux outils de l'ingénierie
financière
- (1) Les fonds de capital-investissement
- (2) Les prêts et fonds de prêts
- (3) Les produits d'épargne
fléchés pour le développement économique
- (4) L'éco-socioconditionnalité des
aides
- f) Financer l'ingénierie du
développement économique territorial
- g) Évaluer l'efficacité de
l'ingénierie mobilisée
- a) Structurer l'ingénierie de la
connaissance
- 2. Les conditions extérieures à
l'ingénierie
- a) Élaborer un projet de territoire
politique clair avec une vision stratégique de long terme
- b) Mettre en place une gouvernance efficace de
l'ingénierie du développement économique territorial par
la puissance publique
- c) Renforcer les coopérations et les
solidarités entre les territoires
- d) Renforcer les synergies entre les acteurs du
développement économique territorial : vers une
économie symbiotique
- e) Vers un modèle hybride
d'ingénierie publique privée ?
- f) Territorialiser l'action
économique
- g) Simplifier les organisations et les normes pour
pérenniser le développement économique des
territoires
- h) Associer davantage les citoyens pour rendre
plus acceptables les projets de développement économique du
territoire
- i) La ruralité, nouveau lieu d'innovation
pour l'ingénierie du développement économique
territorial
- a) Élaborer un projet de territoire
politique clair avec une vision stratégique de long terme
- 1. Les conditions propres à
l'ingénierie
- A. LES NOUVELLES DYNAMIQUES DE L'INGÉNIERIE
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : VERS UN ÉCOSYSTÈME
PLUS COHÉRENT ET DURABLE
- I. LES NOUVEAUX ENJEUX DU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE DES TERRITOIRES ONT CONDUIT À L'ÉMERGENCE
D'INGÉNIERIES MULTIFORMES PARFOIS DIFFICILES À ARTICULER ENTRE
ELLES
- CONCLUSION GÉNÉRALE
- EXAMEN EN DÉLÉGATION
- LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
- LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
N° 660
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mai 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à l'ingénierie des collectivités territoriales en matière de développement économique,
Par M. Daniel GUERET, Mme Sonia de LA
PROVÔTÉ, M. Jean-Jacques LOZACH
et Mme Céline BRULIN,
Sénateurs et Sénatrices
(1) Cette délégation est composée de : M. Bernard Delcros, président ; M. Rémy Pointereau, premier vice-président ; M. Fabien Genet, Mme Pascale Gruny, M. Cédric Vial, Mme Corinne Féret, MM. Éric Kerrouche, Didier Rambaud, Pierre Jean Rochette, Gérard Lahellec, Grégory Blanc, Mme Guylène Pantel, vice-présidents ; MM. Laurent Burgoa, Jean Pierre Vogel, Hervé Gillé, Mme Sonia de La Provôté, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, MM. François Bonhomme, Max Brisson, Mme Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Cédric Chevalier, Thierry Cozic, Mme Catherine Di Folco, MM. Jérôme Durain, Daniel Gueret, Joshua Hochart, Patrice Joly, Mmes Muriel Jourda, Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Jacques Lozach, Pascal Martin, Jean-Marie Mizzon, Franck Montaugé, Mme Sylviane Noël, M. Olivier Paccaud, Mme Anne-Sophie Patru, MM. Hervé Reynaud, Jean-Yves Roux, Mmes Patricia Schillinger, Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Lucien Stanzione, Jean-Marie Vanlerenberghe.
L'ESSENTIEL
LA NOUVELLE DONNE DE L'INGÉNIERIE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
QUELS OUTILS ? QUELLES PRATIQUES ?
Daniel Guéret, Sonia de la Provôté,
Jean-Jacques Lozach, Céline Brulin,
rapporteurs
L'ingénierie est un sujet d'intérêt constant de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Après des travaux relatifs à l'ingénierie des petites communes, à l'ingénierie de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et à l'ingénierie de la transition environnementale des collectivités territoriales, la délégation s'est intéressée à la nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique des collectivités territoriales, qui peut être définie comme l'ensemble des stratégies, méthodes et outils qui concourent au développement économique des territoires.
La nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique des collectivités territoriales
Pourquoi ce contrôle ? Les
crises auxquelles les collectivités territoriales sont aujourd'hui
confrontées
- conjoncture économique défavorable,
contraintes budgétaires, défi de stopper la
désindustrialisation et de réindustrialiser tout en
décarbonant l'économie, enjeux de sobriété
foncière tout en développant l'activité économique
- les conduisent à revoir les modalités de leurs interventions
économiques et à adapter l'ingénierie qu'elles mobilisent
traditionnellement, pour donner davantage de sens à leur
développement.
12 auditions 1 table-ronde
29 personnes entendues
16
focus
18 contributions écrites
25
bonnes pratiques
Ont été auditionnés les acteurs suivants : collectivités territoriales, structures de coopération territoriale, associations d'élus, fédérations professionnelles, acteurs privés et associatifs.
1. FACE AUX NOUVEAUX ENJEUX ÉMERGENT DES INGÉNIERIES MULTIFORMES ET MORCELÉES
Les approches traditionnelles du développement économique fondées sur la compétitivité, l'attractivité, la mondialisation et l'excellence ont connu de profondes mutations avec la multiplication des crises : écologique, économique, énergétique, budgétaire, sanitaire, foncière, etc. Pour y répondre, les collectivités territoriales ont dû adapter leurs outils, méthodes et stratégies de développement économique de leur territoire.
La professionnalisation du métier de développeur économique territorial en est l'exemple, avec l'exigence désormais d'une approche à 360° du développement territorial : économie, industrie, agriculture, commerce, tourisme, aménagement, urbanisme, foncier, immobilier d'entreprises, intelligence économique, numérique, transition écologique et sociale, transition démographique, etc. Pour autant, les tensions sur le marché de l'emploi des développeurs économiques locaux sont vives et la filière aurait intérêt à être mieux structurée autour d'un référentiel commun, avec davantage de formations dédiées et certifiantes, y compris pour les élus.
RECOMMANDATION n°1 : renforcer les métiers du développement économique territorial · Mieux partager et diffuser le référentiel de compétences des développeurs économiques territoriaux réalisé par Intercommunalités de France. · Renforcer et diversifier l'offre de formation pour les développeurs économiques territoriaux, mais aussi pour les élus locaux, sur le modèle de la formation certifiante mise en place par le Cnam. · Développer la mutualisation des ressources et des compétences entre les collectivités territoriales. |
Par ailleurs, la loi Notre de 2015 a opéré une clarification nécessaire, mais insuffisante de la compétence développement économique des collectivités territoriales :
Loi Notre : une clarification insuffisante de la compétence développement économique des collectivités
Les enchevêtrements de compétences et le manque de lisibilité du qui fait quoi appelle à assouplir la loi Notre sur le volet développement économique.
RECOMMANDATION n°2 : assouplir la loi Notre sur le volet développement économique · Clarifier la répartition des compétences en matière de développement économique, en confirmant le couple région-intercommunalité. · Expérimenter au cas par cas la possibilité pour les départements de se voir déléguer une partie de la compétence développement économique, si leur situation financière le permet. · Une mission d'information du Sénat a par ailleurs été lancée le 2 avril 2025 pour faire le bilan des lois Maptam et Notre, dix ans après. |
Pour répondre aux imprécisions de la loi Notre, les différents échelons de collectivités territoriales doivent mieux coordonner leurs interventions en matière de développement économique.
Renforcer les coopérations territoriales et favoriser les synergies entre acteurs du développement économique
Les auditions ont par ailleurs mis en relief le repli de l'ingénierie de l'État à partir de 2015. Repositionné en financeur et en facilitateur de projets, il a abandonné ses prérogatives de prospective et de planification stratégiques du territoire au profit d'une logique d'appels à projets. La technostructure déconcentrée conserve toutefois un pouvoir de contrainte voire de blocage des projets portés par les élus locaux. Si les interventions de l'État restent trop verticales, ponctuelles et insuffisamment concertées, les collectivités territoriales peuvent néanmoins s'appuyer sur l'ingénierie technique et financière des opérateurs de l'État1(*), reconnus pour leur expertise, qui complète une ingénierie locale parfois manquante ou défaillante. Localement, les préfets ou les sous-préfets peuvent jouer un rôle important de facilitation des projets, mais disposent de moyens trop faibles.
Les acteurs du développement économique sont confrontés à la prolifération normative qui a des conséquences en matière de coûts, de complexité et de retards dans la réalisation des projets. C'est un cercle vicieux : les besoins croissants en ingénierie sont en partie générés par la nécessité de répondre à cette complexité normative française.
Les collectivités territoriales ne sont toutefois pas toutes en mesure de s'outiller en ingénierie pour répondre aux besoins de se développer. Le constat d'une ingénierie à deux vitesses témoigne de fractures territoriales entre collectivités de grande taille (régions, métropoles, communautés d'agglomération) et collectivités de plus petite taille, notamment dans les territoires ruraux, alors que l'urbain et le rural sont interdépendants, d'où des solidarités et des réciprocités à construire.
Une ingénierie à deux vitesses, des fractures territoriales
Les appels à projets lancés par l'État et ses opérateurs sont représentatifs de cet inégal accès à l'ingénierie, qui peut générer de la concurrence entre territoires ou conduire à faire entrer des projets dans des cases, alors qu'il faudrait partir des initiatives locales et surtout planifier le développement sur du long terme.
RECOMMANDATION n°4 : repenser les modalités d'interventions de l'État et de ses opérateurs · Sortir de la logique systématique d'appels à projets ou de labellisation pour aller vers de la planification stratégique de long terme. · Éviter de créer de la concurrence entre les territoires. · Encourager les initiatives locales en territorialisant davantage l'accompagnement des collectivités territoriales, notamment des collectivités les moins outillées. |
Si les collectivités territoriales ont développé leurs ressources internes d'ingénierie (91 % des intercommunalités sont aujourd'hui dotées d'un service de développement économique), elles s'appuient aussi sur des structures externes : satellites ou agences qu'elles ont créés (agences d'urbanisme, agences de développement, entreprises publiques locales), structures de coopération territoriale (pays, pôles d'équilibre territorial et rural, qui peuvent se voir confier des documents stratégiques comme les schémas de cohérence territoriale), chambres consulaires (commerce et industrie, métiers et artisanat, agriculture), acteurs privés et associatifs, acteurs de l'ingénierie financière (banques publiques ou privées).
L'hétérogénéité et le morcellement des acteurs de l'ingénierie du développement économique territorial rendent difficilement lisible le qui fait quoi pour les entreprises qui souhaitent être accompagnées.
Morcellement de l'ingénierie : qui fait quoi ?
Au-delà des constats sur le développement de ces ingénieries multiformes se pose la question de savoir comment les mobiliser efficacement pour permettre un développement économique plus durable des territoires.
2. MIEUX MOBILISER LES RESSOURCES D'INGÉNIERIE AU SERVICE D'UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DURABLE DES TERRITOIRES
Si la nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique apparaît complexe du fait de l'hétérogénéité des acteurs et de la diversité des outils, les auditions ont permis d'identifier de nouvelles dynamiques qui démontrent la nécessité d'une approche systémique de l'ingénierie territoriale afin de créer les conditions de réussite d'un développement économique plus durable des territoires.
Vers un développement économique plus durable des territoires
Dans le contexte du zéro artificialisation net (ZAN) et de la raréfaction du foncier économique pourtant nécessaire au développement des activités économiques, de nouvelles stratégies, outils et pratiques émergent pour retrouver une maîtrise publique du foncier et élaborer des stratégies de planification. Par exemple, l'outil du bail à construction, permet de privilégier des projets plus qualitatifs et durables pour l'emploi, l'économie et la société, et qui s'insèrent dans l'écosystème local.
Cimenterie bas carbone (Vendée) - (c)Hoffmann Green
La raréfaction du foncier économique conduit aussi à repenser le modèle industriel. Les collectivités territoriales incitent les industriels à reconsidérer les processus de production en utilisant davantage la verticalité, alors que les usines étaient traditionnellement pensées à l'horizontale.
L'essor de l'économie circulaire et du recyclage, notamment dans le BTP, permet de réduire la consommation de foncier. La commande publique responsable est un levier efficace pour les collectivités territoriales.
Néanmoins, les réformes de la fiscalité locale engagées depuis 2018 ont fragilisé le lien contributif entre les entreprises et les collectivités territoriales et intercommunalités compétentes en matière de développement économique. Cette déterritorialisation des impôts locaux est un frein pour le développement économique des territoires, les collectivités étant moins incitées à accueillir de nouvelles activités.
Par ailleurs, les auditions ont révélé les conditions de réussite endogènes et exogènes à l'ingénierie du développement économique que les collectivités territoriales doivent réunir pour un développement économique efficace et durable de leur territoire.
Toile industrielle 2020 (c)AGUR
Parmi les conditions endogènes à
l'ingénierie, on peut relever l'importance de
développer et structurer l'ingénierie de la
connaissance et de la prospective :
préalablement à tout projet de développement
économique territorial, il importe de disposer en amont des
connaissances, analyses et données utiles et nécessaires à
la compréhension d'un territoire. L'approche écosystémique
de la « toile industrielle »
imaginée par l'agence d'urbanisme Flandre-Dunkerque est un exemple
particulièrement inspirant.
RECOMMANDATION n°6 : développer et structurer l'ingénierie de la connaissance · Développer des outils de mesure de la santé économique du territoire (baromètre, indicateurs). · Mettre en place des outils d'analyses et de prospective (observatoires, études, systèmes d'information géographique (SIG), « toiles industrielles »). · Favoriser la mutualisation de ces outils entre collectivités territoriales. |
En développant leurs outils d'observation, les collectivités territoriales structurent leur ingénierie pour renforcer le poids de la prospective et de la planification stratégique de long terme que l'État a délaissé au profit d'une logique d'appels à projets de court terme.
Passer d'une logique d'appels à projets à une planification stratégique de long terme
L'élaboration de documents ou schémas stratégiques (SRADDET, SCoT, PLUi) permet ainsi de planifier avec une vision de long terme le développement économique de leur territoire et de mettre en cohérence l'ensemble de l'écosystème par une approche systémique et structurée des politiques publiques : environnement, aménagement, habitat, mobilités, gestion de l'eau, gestion des déchets, emploi, formation, etc.
RECOMMANDATION n°7 : renforcer le poids de la prospective et de la planification stratégique du territoire · Mobiliser davantage les outils de prospective et de planification stratégique (PLUi, SCoT, etc.) pour piloter l'aménagement et le développement économique des territoires sur le long terme. |
Le choix d'outils juridiques adaptés est essentiel pour accompagner efficacement le développement économique des territoires. Recourir à une entreprise publique locale (EPL) offre par exemple plus d'agilité (facilités de financement, opérations complexes) tout en assurant aux élus un contrôle de la stratégie et de la gouvernance2(*). L'effet levier peut être important : quand une collectivité territoriale investit un euro dans une EPL, le territoire et l'écosystème en retirent entre quatre et cinq euros de valeur ajoutée globale.
Entreprises publiques locales : l'effet levier peut être important
Créer une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) permet de s'inscrire dans une logique d'activité économique et commerciale tout en impliquant fortement les acteurs du territoire (salariés, clients, fournisseurs, citoyens, etc.) dans une logique d'économie sociale et solidaire3(*).
Le recours à la
contractualisation est un moyen efficace de mieux articuler
les ingénieries
territoriales. En témoignent :
Le choix des outils financiers adaptés compte aussi, avec la mobilisation de nouveaux outils innovants comme les fonds de capital-investissement, les produits d'épargne fléchée ou l'éco-socio-conditionnalité des aides.
|
RECOMMANDATION n°8 : mobiliser les bons outils juridiques et financiers pour conforter l'ingénierie publique territoriale · Création et mise à disposition des collectivités territoriales par l'État d'une boîte à outils juridiques et financiers du développement économique territorial. · Cette boîte à outils pourrait comprendre des fiches thématiques actualisées sur les principaux dispositifs juridiques et financiers mobilisables par les collectivités territoriales pour accompagner le développement économique de leur territoire (EPL, foncières, SCIC, baux à construire, contractualisation, outils et produits financiers, etc.). · Les préfets de département pourront utilement relayer l'information auprès des collectivités les moins dotées en ingénierie. |
Disposer d'une ingénierie du développement économique territoriale, c'est aussi financer cette ingénierie. Or, les collectivités territoriales qui ont le plus besoin d'ingénierie sont celles qui en sont moins bien dotées. Dans le contexte de contraintes budgétaires qui pèsent plus particulièrement sur les petites collectivités territoriales, en particulier en milieu rural, il apparaît important de trouver les moyens de sécuriser le financement de l'ingénierie mobilisable par ces collectivités pour réduire les fractures territoriales.
|
RECOMMANDATION n°9 : mettre en place le « 0,1 % ingénierie » pour financer l'ingénierie du développement économique des collectivités les moins outillées · Le « 0,1 % ingénierie » prendrait la forme d'une contribution prélevée sur les dépenses d'investissement des collectivités territoriales. · Cette contribution aurait un caractère redistributif en faveur des territoires moins outillés en ingénierie du développement économique. |
S'agissant des conditions exogènes à l'ingénierie, les auditions ont mis en avant une série de bonnes pratiques indispensables pour structurer un développement économique durable :
CONCLUSION
La nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique territorial, éclairée par les expériences inspirantes des personnes auditionnées et mises à contribution, souligne le rôle essentiel de la puissance publique pour développer une approche systémique des politiques publiques, planifier la stratégie sur le long terme, articuler les compétences, coordonner les ingénieries, qu'elles soient publiques ou privées, favoriser les synergies et les réciprocités entre les acteurs économiques, sans perdre de vue le principal : donner du sens aux écosystèmes territoriaux et permettre le développement de projets qui ont pour finalité de contribuer au développement responsable et durable des territoires.
LISTE DES RECOMMANDATIONS |
||||
N° |
Recommandations |
Acteurs concernés |
Calendrier prévisionnel |
Support/action |
1 |
Renforcer les métiers du développement économique territorial |
État, collectivités territoriales, organismes de formation |
2026 |
· Mieux partager et diffuser le référentiel de compétences des développeurs économiques territoriaux réalisé par Intercommunalités de France. · Renforcer et diversifier l'offre de formation pour les développeurs économiques territoriaux, mais aussi pour les élus locaux, sur le modèle de la formation certifiante mise en place par le CNAM. · Développer la mutualisation des ressources et des compétences entre les collectivités territoriales. |
2 |
Parachever la loi Notre sur le volet développement économique |
Gouvernement, Parlement |
2026 Projet ou proposition de loi modificative. Recours à l'expérimenta-tion. |
· Clarifier la répartition des compétences en matière de développement économique, en confirmant le couple région-intercommunalité. · Expérimenter au cas par cas la possibilité pour les départements de se voir déléguer une partie de la compétence développement économique. · Une mission d'information du Sénat a par ailleurs été lancée le 2 avril 2025 pour faire le bilan des lois Maptam et Notre, dix ans après. |
3 |
Renforcer les coopérations territoriales et favoriser les synergies entre acteurs du développement économique territorial |
État, collectivités territoriales et autres acteurs de l'ingénierie publique territoriale, entreprises |
2026 |
· Organiser des Assises de l'ingénierie du développement économique territorial à l'échelle départementale, sous l'égide du préfet de département, délégué territorial de l'ANCT, pour mobiliser l'intelligence collective des acteurs du développement économique territorial en termes de gouvernance, de diagnostic, d'évaluation et de développement de projets. |
4 |
Repenser les modalités d'interventions de l'État et de ses opérateurs |
État, services déconcentrés |
2026 |
· Sortir de la logique systématique d'appels à projets ou de labellisation. · Éviter de créer de la concurrence entre les territoires. · Encourager les initiatives locales en territorialisant davantage l'accompagnement des collectivités territoriales, notamment des collectivités les moins outillées. |
5 |
Orienter les entreprises vers l'interlocuteur compétent |
État, préfectures, opérateurs, collectivités territoriales |
2026 |
· Systématiser la structuration des administrations déconcentrées de l'État, des collectivités territoriales, et de leurs opérateurs, en guichets et/ou réseaux pour permettre d'orienter les entreprises vers le bon niveau de collectivité territoriale ou vers l'opérateur compétent en matière de développement économique. · Généraliser l'élaboration de guides ou cartographies des ressources d'ingénierie territoriale en matière de développement économique, sur le modèle des guides élaborés par département sous l'impulsion de l'ANCT (listant les structures, missions, ressources, financements, contacts utiles, etc.). |
6 |
Développer et structurer l'ingénierie de la connaissance |
État, collectivités territoriales et autres acteurs de l'ingénierie publique territoriale |
2026 |
· Développer des outils de mesure de la santé économique du territoire (baromètre, indicateurs). · Mettre en place des outils d'analyses et de prospective (observatoires, études, SIG, « toiles industrielles »). · Favoriser la mutualisation de ces outils entre collectivités territoriales. |
7 |
Renforcer le poids de la prospective et de la planification stratégique du territoire |
État, Collectivités territoriales et autres acteurs de l'ingénierie publique territoriale |
2026 |
· Mobiliser davantage les outils de prospective et de planification stratégiques (PLUi, SCoT, etc.) pour piloter l'aménagement et le développement économique des territoires sur le long terme. |
8 |
Mobiliser les bons outils juridiques et financiers pour conforter l'ingénierie publique territoriale |
État, préfets, collectivités territoriales |
2026 |
· Mise à disposition par l'État aux collectivités territoriales d'une « boîte à outils juridiques et financiers » du développement économique territorial. · Cette boîte à outils pourrait comprendre des fiches thématiques actualisées sur les principaux dispositifs juridiques et financiers mobilisables par les collectivités territoriales pour accompagner le développement économique de leur territoire (EPL, foncières, SCIC, baux à construire, contractualisation, outils et produits financiers, etc.). · Les préfets de département pourront utilement relayer l'information auprès des collectivités territoriales les moins dotées en ingénierie. |
9 |
Mettre en place le « 0,1 % ingénierie » pour financer l'ingénierie du développement économique des collectivités les moins outillées |
Gouvernement/ Parlement |
2026 Projet de loi de finances pour 2026 |
· Le « 0,1 % ingénierie » prendrait la forme d'une contribution prélevée sur les dépenses d'investissement des collectivités territoriales · Cette contribution aurait un caractère redistributif en faveur des territoires moins outillés en ingénierie du développement économique |
AVANT-PROPOS
L'ingénierie des collectivités territoriales est un sujet d'intérêt constant de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation4(*). Dans la continuité de ses travaux, dont les plus récents ont porté sur l'ingénierie de l'Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT) et l'ingénierie des petites communes, vos rapporteurs ont souhaité porter un éclairage particulier sur les transformations de l'ingénierie des collectivités en matière de développement économique.
Il n'existe pas de définition précise de l'ingénierie en matière de développement économique. On peut toutefois s'appuyer sur la définition de l'ingénierie territoriale donnée par l'État et ses opérateurs5(*), à savoir « l'ensemble des savoir-faire professionnels dont ont besoin les collectivités publiques et les acteurs locaux pour conduire le développement territorial ou l'aménagement durable des territoires et complété par l'ensemble des concepts, outils et dispositifs mis à la disposition des acteurs du territoire pour accompagner la conception, la réalisation et l'évaluation de leurs projets de territoire ».
S'agissant de la notion de développement économique, l'agence de promotion économique de la région Hauts-de-France, Nord France Invest, convient « qu'il existe plusieurs définitions qui s'accordent toutes pour dire qu'il s'agit d'une combinaison des stratégies, méthodes et outils, qui concourent à accélérer le développement d'un territoire. Il permet de renforcer et de dynamiser la création d'activité et de la création d'emplois. On distingue en général deux types de développement : le développement endogène et le développement exogène. Le développement endogène actionne les leviers internes du territoire par des stratégies de filières, d'entrepreneuriat, d'accompagnement des entreprises déjà présentes, de formation, d'infrastructures, etc. Le développement économique exogène quant à lui consiste à attirer des activités jusque-là absentes sur le territoire, dans une logique de complémentarité avec les écosystèmes existants »6(*).
On le voit, les notions d'ingénierie territoriale et de développement économique apparaissent plurielles, probablement assez éloignées des préoccupations des citoyens, alors même que l'ingénierie est une condition nécessaire au développement économique des territoires et à la conduite de l'action publique locale. On distingue d'ailleurs plusieurs types d'ingénierie selon les besoins et les projets des territoires7(*) : ingénierie de projet, ingénierie technique, ingénierie réglementaire et juridique, ingénierie administrative, ingénierie financière, ingénierie de concertation, ingénierie foncière, etc.
L'ingénierie peut aussi se caractériser par les besoins et étapes du projet qu'elle contribue à mettre en oeuvre : on peut schématiquement distinguer une phase amont/préopérationnelle (observation, prospective, définition du besoin en amont, études préalables, faisabilité technique et financière, préparation de la mise en oeuvre) et une phase de réalisation/opérationnelle (suivi technique du projet, avant-projet, réalisation, suivi et gestion après réalisation).
C'est pourquoi on retiendra une approche large de l'ingénierie du développement économique territorial, sans pour autant prétendre à l'exhaustivité, en partant avant tout des exemples mis en avant lors des auditions réalisées par vos rapporteurs et dans les contributions écrites recueillies.
En raison de la conjoncture économique défavorable (inflation, hausse des tarifs douaniers, taux de chômage, contraintes budgétaire et fiscale), le développement économique apparaît au coeur des préoccupations et des capacités à faire face aux crises - on parlera de résilience - des collectivités territoriales, petites ou grandes, qu'elles soient situées en zone urbaine ou rurale : enjeux fonciers liés au zéro artificialisation nette (ZAN), enjeux d'attractivité commerciale, enjeux de réindustrialisation, enjeux de transition environnementale et de décarbonation de l'économie, etc.
Pour faire face à ces enjeux de plus en plus complexes et accompagner durablement le développement économique des territoires, les besoins d'ingénierie des collectivités territoriales ont évolué. Toutefois, les territoires ne sont pas tous égaux devant l'ingénierie du développement économique : les outils, moyens, effectifs, compétences, expertises et financements ne sont pas équitablement répartis sur le territoire français entre la métropole et l'outre-mer, entre les grandes et les petites collectivités, entre les territoires urbains et les territoires ruraux, alors même que les réalités économiques et sociales ont tendance à se polariser.
Plusieurs questions se posent : quelles ingénieries publiques ou privées peuvent être mobilisées par les collectivités territoriales ? Ces ingénieries sont-elles efficaces ? Se complètent-elles utilement ? Quels sont les angles morts ? Quel rôle joue l'État dans l'accompagnement des collectivités en matière de développement économique ? Quels sont les exemples inspirants à suivre, les freins à lever, les erreurs à éviter ? Quelles sont les conditions à réunir pour améliorer l'efficacité de l'ingénierie en matière de développement économique ? Quelles sont les nouvelles tendances, les perspectives ?
Vos rapporteurs se sont donc attachés à décrire la nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique territorial telle que les acteurs auditionnés la vivent, l'accompagnent, l'anticipent souvent, la subissent parfois, en essayant d'en détailler les dynamiques et les enjeux, sans toutefois viser l'exhaustivité.
La mission d'information a organisé 12 auditions et une table ronde, soit 29 personnes entendues - collectivités territoriales, structures de coopération territoriale, associations d'élus, fédérations professionnelles, acteurs privés et associatifs - et reçu 18 contributions écrites. La matière recueillie, riche, a permis de recenser 25 bonnes pratiques, de réaliser 16 focus, et de formuler neuf recommandations, facilement identifiables dans le rapport par des encadrés8(*).
I. LES NOUVEAUX ENJEUX DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DES TERRITOIRES ONT CONDUIT À L'ÉMERGENCE D'INGÉNIERIES MULTIFORMES PARFOIS DIFFICILES À ARTICULER ENTRE ELLES
Ces dernières années, le développement économique des territoires a connu de profondes mutations avec l'accélération des transitions économiques, industrielles, écologiques, démographiques, numériques, etc., dans un contexte concurrentiel international de plus en plus exigeant, et à l'aune d'une redéfinition des rôles et compétences des acteurs du développement économique territorial : l'État, ses opérateurs, les collectivités territoriales et leurs satellites, les structures de coopération territoriale, les acteurs privés.
Les « stratégies, méthodes et outils » qui constituent l'ingénierie du développement économique ont été transformés en profondeur pour faire face à ces nouveaux enjeux et accompagner le développement durable des territoires.
L'évolution du métier de développeur économique en est l'exemple.
À partir des 12 auditions, de la table-ronde et des 18 contributions écrites, vos rapporteurs ont cherché à analyser les dynamiques de recomposition des ingénieries du développement économique territorial et à en mesurer l'efficacité et les limites.
A. LES MUTATIONS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL ET DU MÉTIER DE DÉVELOPPEUR ÉCONOMIQUE LOCAL
1. Les nouveaux enjeux économiques réinterrogent les modèles traditionnels de développement économique des territoires
(1) Les crises, levier de la transformation des modèles de développement économique des territoires
L'association La 27e Région a
lancé en 2023 un programme de recherche-action intitulé Rebonds
sur les nouvelles approches du développement économique local.
L'association explique ainsi la genèse de la recherche-action :
« Les effets des crises écologiques,
géopolitiques, des inégalités croissantes conduisent de
nombreux territoires à rechercher de nouveaux paradigmes de
développement économique... En France et en Europe, de nouvelles
pratiques et approches émergent, qui cherchent à
réorganiser l'économie localement, à la réorienter
vers des besoins fondamentaux, à en relire les objectifs sous le prisme
de la transition écologique. Au-delà de ces territoires
pionniers, l'impératif de conduire
des
transitions écologiques et sociales vient interroger l'approche
traditionnelle du développement économique de nombreuses
collectivités françaises »9(*).
En effet, l'approche traditionnelle du développement économique a longtemps reposé sur le modèle dit CAME pour Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence : la réussite économique d'un territoire dépend de sa capacité à s'insérer dans la mondialisation et à répondre aux exigences de compétitivité, d'innovation et d'excellence. Seules les métropoles seraient en mesure de relever ce défi, au détriment des territoires moins bien dotés.
(2) L'exemple de la raréfaction du foncier
La question de la raréfaction du foncier illustre ces transformations. En témoignent les débats autour de l'objectif du zéro artificialisation nette d'ici 2050 instauré par la loi climat et résilience de 202110(*). Des tensions apparaissent entre :
- d'une part, l'objectif de lutter contre le réchauffement climatique en réduisant l'urbanisation des sols au détriment des terres agricoles ;
- et d'autre part les réalités économiques et sociales qui nécessitent de créer de l'activité, de l'emploi, du logement et des services publics pour développer un territoire.
Focus : la raréfaction du foncier économique Elle résulte d'une combinaison de contraintes réglementaires, environnementales, économiques et politiques. Face à cette raréfaction, les collectivités territoriales doivent innover en matière d'aménagement, de financement et de gestion du foncier pour soutenir le développement économique local tout en respectant les impératifs environnementaux. Les contraintes réglementaires résultent de l'application des décrets ZAN : la loi climat et résilience impose une réduction progressive de l'artificialisation des sols, limitant fortement la création de nouvelles zones d'activités économiques. S'agissant des normes environnementales, les contraintes liées à la biodiversité, la gestion des eaux et la qualité des sols restreignent l'aménagement de nouveaux espaces économiques. En outre, certaines friches industrielles ou commerciales ne peuvent être réhabilitées en raison du coût et de la complexité d'un tel projet. Dans son rapport d'activités 2021-2022, Intercommunalités de France indiquait que « 70 % des intercommunalités jugent leur zones d'activité économique (ZAE) sous-dimensionnée à court et moyen terme et doivent refuser des projets d'implantation ou d'extension »11(*). Face à cette raréfaction des ressources financières, les collectivités deviennent de plus en plus sélectives sur les projets qu'elles accueillent. Elles privilégient les projets qualitatifs, qui génèrent de l'emploi et des retombées économiques durables, et intègrent des critères environnementaux et architecturaux élevés. Elles tentent également d'optimiser les espaces existants en encourageant la réhabilitation des friches industrielles et commerciales, la mutualisation des espaces et la densification des zones d'activités. Certaines régions mettent également en place des entreprises publiques locales (EPL) ou des établissements publics fonciers (EPF), en partenariat avec des institutions financières comme la Banque des territoires, pour acheter et gérer du foncier économique de manière stratégique, notamment en mutualisant les moyens. On observe également le développement de nouvelles formes d'occupation des sols, comme le bail à construction, qui permet de privilégier des projets orientés vers la croissance plutôt que la simple valorisation foncière. |
(3) L'exemple de la transition démographique
La question de la transition démographique est aussi un sujet de nature à bouleverser la conception actuelle du développement économique. D'après l'INSEE, en 2019, 44 % des artisans, commerçants et chefs d'entreprise avaient 50 ans ou plus contre 31 % pour l'ensemble des personnes en emploi. Cette part est plus élevée encore parmi les chefs d'entreprise et les commerçants (48%, contre 40 % parmi les artisans). Plus spécifiquement, 12 % des artisans, commerçants et chefs d'entreprise ont 60 ans ou plus, contre 3 % des personnes en emploi. Ce groupe socioprofessionnel constitue ainsi, juste après les agriculteurs, celui qui comporte proportionnellement le plus de seniors en activité.
Focus : anticiper le vieillissement des chefs d'entreprises Dans son étude quinquennale économique 202212(*), Intercommunalités de France indique que le vieillissement des chefs d'entreprises « induit la nécessité d'anticiper et d'accompagner ces derniers dans la transmission/reprise de leur patrimoine et/ou de leur activité professionnelle au risque de perdre des savoir-faire, des emplois et des outils de production performants ». Il revient dès lors à la puissance publique d'accompagner cette transition en « soutenant la création (et/ou la transmission/reprise d'entreprises [...] puis leur développement avec des solutions foncières et immobilières attractives et flexibles (durée des baux, types de produits différents, de l'incubateur à la pépinière au village artisanal ou hôtel d'entreprises, à la parcelle à aménager ou requalifier) ». Les intercommunalités, compétentes en matière de développement économique, ont pris la mesure de cette transition : « plus d'une intercommunalité sur deux intervient en soutien à la transmission ou à la reprise d'entreprises sur le territoire. Cette mobilisation s'avère nécessaire du fait du vieillissement des artisans et commerçants, et des chefs d'entreprises de TPE/PME et du risque de perte de savoir-faire induit, notamment dans les territoires ruraux et industriels. Sur cette thématique, les communautés de communes sont les plus volontaristes : 60 % agissent en matière d'accompagnement à la reprise et transmission d'entreprises. Ce volontarisme s'explique par l'importance économique, mais aussi sociale et patrimoniale du commerce et de l'artisanat au sein de ces territoires ». |
2. La crise covid, un accélérateur de ces transformations vers un développement économique plus durable
L'après-covid a marqué une accélération des transformations déjà engagées dans plusieurs domaines, notamment la transition numérique, avec le développement de l'e-commerce et l'essor de l'intelligence artificielle ; mais aussi les transitions énergétiques et environnementales, avec la mise en oeuvre de plus en plus systématique de démarches durables et responsables.
La crise covid a également permis une évolution du regard sur le développement économique et du sens qu'on veut lui donner.
La métropole de Toulouse considère qu'elle a constitué l'opportunité de passer « du développement économique au redéveloppement économique, davantage centré sur le mieux vivre ». Le maintien et l'installation de nouvelles activités économiques et de nouveaux emplois à Toulouse ne s'expliquent pas uniquement par les aides économiques : « Pourquoi ce choix de Toulouse ? On a des locaux, des compétences, un process industriel, et en plus il y a du bien vivre qui fait rester les ingénieurs. C'est un plus économique ».
Intercommunalités de France abonde dans ce sens en précisant que la crise covid « a totalement changé le rapport des citoyens à l'industrie et à l'emploi, avec une acceptabilité moindre des nuisances (pollution, bruit) ».
La crise covid a par ailleurs changé le rapport au travail avec le développement du télétravail et le souhait d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Elle a aussi aidé à capitaliser sur l'intelligence collective qu'il a fallu déployer pendant la crise. Intercommunalités de France rappelle « la capacité du tissu industriel à trouver des solutions pendant la crise, par exemple la fourniture de masques ou de gel ». La fédération des agences de développement (CNER) ajoute que « la crise covid nous a aidés dans cette intelligence collective : on a gardé cette culture et on a capitalisé dessus », en prenant l'exemple de l'articulation entre les différents acteurs économiques : la région, l'État, les agences, la Banque des territoires, l'Agence de la transition écologique (ex-agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - Ademe).
La crise a également permis l'émergence d'une nouvelle façon de faire du développement économique, avec l'évolution du métier de développeur économique local. L'association des maires de France (AMF) note « l'émergence, avec le covid, des "managers de centre-ville", une profession qui s'est développée grâce au programme Action coeur de ville, centrée sur le commerce de proximité, la relance des centres-villes et du commerce en milieu rural ».
3. Les transformations du métier de développeur économique local : vers une approche à 360°
(1) La loi Notre, levier de la professionnalisation du métier de développeur économique local
Traditionnellement, les développeurs économiques locaux étaient considérés comme des moutons à cinq pattes en raison de leur polyvalence recherchée.
La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi Notre), en renforçant les compétences des régions et des intercommunalités en matière de développement économique, a entraîné une professionnalisation du métier. En effet, la complexité des enjeux du développement économique nécessite aujourd'hui de constituer des équipes pluridisciplinaires aux compétences davantage spécialisées, mais complémentaires, avec une approche à 360° du développement territorial et de l'accompagnement des entreprises : économie, industrie, agriculture, commerce, tourisme, aménagement, urbanisme, foncier, immobiliser d'entreprises, intelligence économique, numérique, transition écologique et sociale, transition démographique, etc.
Pour tenir compte de ces évolutions, Intercommunalités de France, en lien avec plusieurs fédérations professionnelles, a engagé dès 2015 une démarche visant à mieux connaître les caractéristiques du métier de développeur économique local, qui est exercé par plus de 8 000 personnes en France.
(2) Développeur économique local, un métier en tension
On continue toutefois de noter de nombreuses tensions sur le marché du travail des développeurs économiques locaux, ce qui peut notamment s'expliquer par le manque d'attractivité de la fonction publique territoriale, les différences de rémunérations avec le secteur privé ou encore la concurrence entre territoires. Dans une étude de décembre 2023 du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) sur les métiers territoriaux en tension13(*), le métier de développeur économique apparaît désormais comme l'un des métiers où le déficit entre la demande de recrutement et les candidats est le plus conséquent, ce qui n'était pas le cas auparavant.
Certains territoires comme les petites villes ou les communes rurales, par manque d'attractivité, rencontrent davantage de difficultés à recruter des développeurs économiques que des collectivités de plus grande taille et sont confrontés au turnover des équipes. Ce déficit d'attractivité souligne pourtant en creux le besoin flagrant d'ingénierie de ces collectivités moins dotées. La mutualisation des ressources entre collectivités territoriales apparaît alors comme une piste à suivre.
(3) Structurer la filière professionnelle autour d'un référentiel commun
Il apparaît indispensable de mieux structurer la filière professionnelle des développeurs économiques, autour d'un référentiel commun, en proposant davantage de formations dédiées initiales pour attirer de jeunes talents, mais aussi de formations continues, avec l'exigence que ces formations soient qualifiantes pour accroître la reconnaissance et la valorisation des métiers de la filière.
Intercommunalités de France a publié en 2017 un référentiel de compétences des développeurs économiques territoriaux, en cours d'actualisation14(*). L'objectif de ce référentiel est d'établir une cartographie des compétences, missions types, savoir-faire et connaissances nécessaires à l'exercice du métier de développeur économique. Sept domaines d'activités stratégiques ont été identifiés :
Focus : les sept domaines d'activités stratégiques du métier de développeur économique 1. Analyse socio-économique des entreprises 2. Définition, conduite et évaluation des projets économiques territoriaux/feuille de route 3. Gestion prévisionnelle territoriale des emplois et compétences 4. Promotion économique des territoires/marketing territorial 5. Création d'un environnement favorable à l'implantation, au maintien et au développement des entreprises du territoire 6. Accompagnement des entrepreneurs locaux : appui à la création/développement/reprise-transmission 7. Développement de réseaux d'entreprises et animation de projets collaboratifs Source : Intercommunalités de France, référentiel des compétences des développeurs économiques, 2017 |
À l'avenir, ces domaines d'activités sont appelés à s'étoffer avec les évolutions du développement économique et la nécessité de mieux prendre en compte les enjeux du numérique et de l'intelligence artificielle15(*), de la raréfaction des ressources (foncier, eau, énergie), de la transition écologique (économie circulaire, écologie industrielle, commande publique durable), de l'économie mixte locale (entreprises publiques locales) ou encore de la transition démographique. Les recruteurs attendent également une montée en compétences des développeurs économiques pour répondre non seulement à leur besoin d'expertise, mais aussi et surtout à leur besoin d'animation et de coordination multi-niveaux de l'écosystème économique et des acteurs publics et privés du développement économique territorial.
(4) Structurer la filière professionnelle par des formations dédiées qualifiantes
Dans sa contribution écrite, la métropole
de Chartres résume ainsi cette évolution :
« Le développeur économique n'est plus seulement
un bon commercial (savoir prospecter et vendre du foncier), mais avant tout un
accompagnateur de confiance, en capacité d'offrir un service
"sur mesure" dans une vision à
360°, c'est-à-dire sur tous les aspects du projet
d'investissement (recherche foncière, ingénierie d'appui pour
faciliter et accélérer l'obtention des diverses autorisations,
recherche de financement ...). Facilitateur, médiateur,
relais, le développeur économique d'aujourd'hui
étend son champ d'expertise dans des problématiques nouvelles :
les ressources humaines (aider l'entreprise dans ses
stratégies de recrutement et de fidélisation des
compétences), les possibilités de
financement dans des cadres différents ou plus
complexes que les aides classiques (appels à projets, appels à
manifestation d'intérêt (AMI) avec obligation de constitution de
consortium public-privé ...) et celles liées à
l'écologie industrielle ».
Pour répondre à ces attentes, le CNAM a mis en place en 2024 une formation dédiée certifiante pour les développeurs économiques territoriaux16(*).
La conjonction d'un référentiel commun mieux partagé et du renforcement d'une offre de formation dédiée doit ainsi permettre de structurer une communauté professionnelle, de renforcer les réseaux de compétences, de diffuser une culture commune. Il conviendrait de proposer des formations spécifiques pour les élus locaux, qui sont amenés à piloter les stratégies et les politiques de développement économique de leurs collectivités, en lien avec les développeurs économiques locaux.
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Bonne pratique : l'Université des développeurs de l'agence Dév'up L'agence régionale de développement économique Centre-Val de Loire Dév'up organise depuis 2017 l'Université des développeurs économiques régionaux, qui déploie des sessions de formation pour les élus et techniciens du développement économique. |
Bonne pratique : le dispositif « Ici, je monte ma boîte » de la région Normandie La région Normandie propose Ici, je monte ma boîte, un dispositif d'accompagnement à la création-reprise d'entreprises qui prévoit un parcours d'accompagnement global de la construction du projet, à l'appui au démarrage jusqu'au développement des trois premières années de l'entreprise. En labellisant des conseillers spécialisés « Ici, je monte ma boîte », la région déploie un réseau d'accompagnateurs qualifiés et renforce son engagement auprès des créateurs et/ou repreneurs d'entreprise en Normandie. |
(5) Le débat entre internalisation et externalisation des compétences
Par ailleurs, la spécialisation accrue des compétences attendues des développeurs économiques pose également la question de l'internalisation ou l'externalisation des compétences. Si 91 %17(*) des intercommunalités sont désormais dotées d'un service de développement économique, la complexité des projets, le manque d'effectifs et le manque de temps conduisent souvent à recourir à des prestations externalisées d'assistance à maîtrise d'ouvrage, au risque d'un surcoût financier et d'une perte de contrôle de l'ingénierie. Des solutions existent, par exemple le recours à l'économie mixte locale, en mobilisant les satellites des collectivités territoriales telles que les entreprises publiques locales18(*), qui offrent davantage de souplesse tout en permettant aux élus locaux de contrôler la gouvernance de ces structures (voir ci-dessous).
Recommandation n°1 : renforcer les métiers du développement économique territorial · Mieux partager et diffuser le référentiel de compétences des développeurs économiques territoriaux réalisé par Intercommunalités de France · Renforcer et diversifier l'offre de formation pour les développeurs économiques territoriaux, mais aussi pour les élus locaux, sur le modèle de la formation certifiante mise en place par le CNAM · Développer la mutualisation des ressources et des compétences entre les collectivités territoriales |
B. LES ENJEUX INSTITUTIONNELS DE LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
1. La loi Notre, une clarification nécessaire, mais insuffisante de la compétence développement économique
Comme l'indique la Cour des comptes19(*), « jusqu'en 2014, l'action des collectivités territoriales dans ce domaine [le développement économique] se fondait sur la clause de compétence générale et leur intérêt à agir. L'action économique de la région s'exerçait ainsi dans le respect des compétences des départements et des entités du bloc communal (communes et établissements publics de coopération intercommunale - EPCI). La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (dite " loi Maptam ") et la loi Notre du 7 août 2015 ont cherché à améliorer la cohérence de l'action économique des collectivités territoriales, à clarifier leurs compétences et à accroître la lisibilité de leurs interventions pour les entreprises ».
En effet, la loi Notre du 7 août 2015 a modifié la répartition des compétences en matière de développement économique, en renforçant les responsabilités des régions et des intercommunalités, et en limitant l'intervention économique des départements et des communes, même si les régions et les intercommunalités ont parfois du mal à articuler leurs actions, et si les départements et les communes ont conservé certaines formes d'intervention économique. Si la loi Notre clarifie certains pans de la compétence développement économique, elle emporte aussi des enchevêtrements de compétences qui nécessitent des efforts d'articulation entre les collectivités compétentes.
Pour autant, la réforme permise par la loi Notre a favorisé une approche plus structurée et professionnelle du développement économique territorial : les grandes collectivités (région, métropole, communautés d'agglomération) se sont dotées d'expertises internes et d'agences dédiées pour accompagner le développement économique des territoires.
a) Les régions, en charge de la stratégie économique, sont à la recherche d'une articulation plus efficace de leur ingénierie avec celle des intercommunalités et de l'État
Depuis la loi Notre, la compétence exclusive des régions en matière de développement économique repose sur deux piliers, l'attribution d'aides économiques et la planification économique.
Les régions sont responsables de l'attribution des aides aux entreprises, à l'exception des aides à l'immobilier d'entreprises, qui relèvent de la compétence des intercommunalités. L'intervention des régions en matière d'aides aux entreprises peut prendre plusieurs formes : soutien à la création, l'extension ou la reprise d'entreprises, soutien aux entreprises en difficulté, prêts, avances remboursables, garanties d'emprunts, cautionnement, participation au capital de sociétés, fonds régionaux, ainsi que la gestion des fonds européens et le recensement des aides d'État. Les aides peuvent être directement attribuées aux entreprises et porteurs de projets ou indirectement, via des organismes partenaires (réseaux, clusters, etc.) à qui les régions délèguent la mise en oeuvre de certains dispositifs.
S'agissant de la planification économique, si la loi Notre supprime la clause générale de compétences des régions en matière de développement économique que lui avait conféré la loi Maptam, elle fait de la région « la collectivité responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique »20(*). Ces orientations stratégiques se traduisent par l'élaboration d'un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internalisation (SRDEII)21(*), qui reste toutefois à articuler avec l'autre document de planification stratégique de la région, le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET)22(*). Dans une étude de 2016 sur les conséquences de la loi Notre23(*), l'association Réseau action climat France relevait que « la loi ne précise pas comment articuler SRDEII et SRADDET. Afin de ne pas assister à la réalisation d'une hydre à deux têtes par les Régions, il serait pertinent que des efforts de transversalité soient réalisés au sein des services lors de l'élaboration des SRDEII et des SRADDET. Les calendriers d'élaboration pourraient aussi être mis en parallèle, afin de plus aisément mettre en cohérence les objectifs de développement économique avec ceux d'un développement durable du territoire ».
Pour La 27e Région, si les schémas régionaux de développement économique fixent le cap, leur élaboration constitue trop souvent « un exercice institutionnel et déconnecté des réalités du terrain, qui se caractérise par l'addition d'orientations en silo, sans vision systémique ». Il s'agirait de les repenser avec moins de verticalité et sur du plus long terme, en associant davantage les acteurs locaux concernés. Pour le CNER, « on arrive à la limite de l'exercice », d'autant plus que les régions ne disposent pas de certaines compétences pourtant indispensables au développement économique : l'aménagement, le foncier, l'urbanisme, etc.
Par ailleurs, même si la loi Notre a fait de la
région la collectivité responsable de la définition des
orientations en matière de développement économique, les
régions ont parfois des difficultés à s'imposer en
tant que
telle. Le CNER relève ainsi que
« s'agissant des territoires d'industrie, c'est l'État
qui pilote : il a fallu se battre pour que les régions soient
présentes dans les comités régionaux, alors que la
région est cheffe de file. C'est un
problème ».
Régions de France appelle ainsi à « un parachèvement de la loi Notre avec un renforcement de la spécialisation de la compétence économique des régions » permettant de « rétablir un dialogue État-Région pérenne et de qualité pour l'articulation des grandes stratégies nationales et régionales ».
Par ailleurs, Régions de France note que « l'articulation des actions des collectivités en matière économique est suffisamment claire, à l'exception de la compétence tourisme, qui reste une compétence partagée entre collectivités », notamment avec les départements.
b) Les intercommunalités, un échelon pertinent pour le développement économique des territoires qui doit toutefois composer avec les compétences des autres collectivités territoriales
Avant la loi Notre, si les métropoles et les communautés urbaines exerçaient déjà une compétence économique, les intercommunalités pouvaient se voir confier des actions de développement économique lorsqu'elles étaient définies d'intérêt communautaire. La loi Notre a renforcé les compétences des intercommunalités en matière de développement économique, qui se voient désormais toutes confier la création, l'aménagement, l'entretien et la gestion des zones d'activités économiques.
Elles animent la politique locale du commerce et soutiennent les activités commerciales d'intérêt communautaire. Sur ce point, il peut y avoir des divergences d'interprétations avec les communes qui ont recentré leur intervention économique sur des actions de proximité en faveur du tissu commercial des centres-villes ou centres-bourgs.
Les intercommunalités assurent la
promotion du tourisme, dont la création des offices de
tourisme. Cette dernière compétence est toutefois partagée
avec les autres échelons de collectivités territoriales,
l'article L. 1111-4 du code général des collectivités
territoriales (CGCT) précisant que « les
compétences en matière de [...] tourisme [...] partagées
entre les communes, les départements, les régions et les
collectivités à statut particulier ».
Les intercommunalités sont également
seules compétentes, avec les communes, « pour
définir les aides ou les régimes d'aides et décider de
l'octroi de ces aides sur leur territoire en matière
d'investissement immobilier des entreprises et de location de
terrains ou d'immeubles »24(*). Ces aides doivent toutefois être
compatibles avec le schéma régional de développement
économique,
d'innovation et d'internalisation
(SRDEII)25(*). La
région peut néanmoins participer au financement de ces aides
à l'immobilier d'entreprises par convention passée avec le bloc
communal.
Le renforcement de la compétence économique des intercommunalités, souvent considérée comme l'échelon pertinent d'intervention économique, du fait de sa proximité avec le tissu économique du territoire, de son insertion dans le bassin d'emploi, mais aussi de sa vision territoriale stratégique et de sa capacité à s'outiller en matière d'ingénierie - « la bonne échelle est l'échelle intercommunale », précise la communauté de communes de Champagnole-Nozeroy-Jura - doit nécessairement s'articuler avec les autres échelons de collectivités territoriales : la région et le département au niveau supra, les communes au niveau infra.
c) Les départements continuent d'intervenir en matière de développement économique territorial, mais sous d'autres formes
Avant la loi Notre, les départements menaient de
nombreuses actions en matière de développement économique
au titre de la clause de compétence
générale : aides aux entreprises (création,
innovation, développement, reprise, export, agriculture, culture et
tourisme, économie sociale et solidaire,
etc.) ; aides à
l'immobilier d'entreprises (pépinières, zones d'activités,
incubateurs) ; création d'agences de développement
(observatoires économiques, recherche d'investisseurs, aide à la
commercialisation des zones d'activités, animation du tissu
économique, aide technique aux établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI) et communes, valorisation des
filières, politique d'attractivité économique, aides
à la création et la reprise d'entreprises, etc.
La loi Notre admet certaines interventions économiques résiduelles des départements, par exemple l'octroi d'aides en matière d'immobilier d'entreprises, mais seulement par une convention de délégation de compétences d'une intercommunalité ou d'une commune, et uniquement s'agissant de l'octroi d'aides, à l'exclusion de la définition des aides ou des régimes d'aides.
Mais elle en interdit expressément d'autres : les départements ne peuvent pas se voir déléguer par la région l'attribution d'aides aux entreprises ; ils doivent transférer aux intercommunalités ou aux communes les zones d'activité dont ils étaient propriétaires.
Toutefois, le retrait juridique de la compétence développement économique aux départements pose question au regard du maintien de certaines formes d'intervention économique des départements. Une instruction du Gouvernement du 22 décembre 201526(*), complétée par une circulaire du 3 novembre 2016 du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales27(*), rappelait d'ailleurs les conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux, à savoir que « leurs compétences sont dorénavant ciblées essentiellement sur la solidarité sociale et territoriale ».
La Cour des comptes précise à cet
égard que « l'intervention des départements a
parfois été justifiée par une
interprétation large de leur
compétence de
"solidarité territoriale"
»28(*). Les interventions économiques des
départements se sont aussi recentrées sur les secteurs de
l'attractivité et du tourisme, comme l'illustre
l'évolution des domaines d'interventions des agences
départementales. La Cour des comptes relève en effet
que « si une cinquantaine d'agences départementales
ont été supprimées, une vingtaine ont été
maintenues en faisant évoluer leur domaine d'intervention vers
l'attractivité ou le tourisme, qui constitue un domaine de
compétence partagée entre les collectivités territoriales.
Ces constats plaident pour élargir la clarification des
compétences au secteur du tourisme afin de rationaliser les structures
de développement et leurs financements »29(*).
La compétence tourisme se retrouve ainsi à la croisée des interventions des régions, des départements, des intercommunalités et parfois des communes.
La question de la prise de participations des départements dans les entreprises publiques locales s'est également posée. La loi Notre prévoyait la cession, avant la fin de l'année 2016, des deux tiers des parts détenues par les départements dans les entreprises publiques locales intervenant dans des champs ne relevant plus de leur compétence, une disposition atténuée par la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019 tendant à sécuriser l'actionnariat des entreprises publiques locales.
Pour autant, les auditions ont permis de démontrer que c'est moins le sujet de la collectivité territoriale compétente qui compte, que la capacité des collectivités concernées à coordonner leur action et à mutualiser leurs ressources et leur ingénierie, au bénéfice du développement économique des territoires. Intercommunalités de France note ainsi que « certains départements accompagnent encore les intercommunalités : le département de Meurthe-et-Moselle a dissous son centre d'accueil des entreprises, pour faire place à une association qui regroupe les intercommunalités du sud de la Moselle pour supporter les besoins d'ingénierie. Sur certains sujets, il y a nécessité d'avoir des besoins mutualisés pour répondre à la complexité des sujets ».
d) Les communes se sont recentrées sur leurs compétences de proximité, en lien avec les intercommunalités
La loi Notre a opéré un recentrage de l'action économique des communes sur le soutien aux activités commerciales de proximité, notamment celles qui ne sont pas d'intérêt communautaire.
Les compétences des communes en matière de développement économique s'enchevêtrent toutefois avec certaines compétences des intercommunalités.
En effet, les communes peuvent également intervenir en matière d'immobilier d'entreprise, l'article L. 1511-3 du CGCT confiant la compétence au bloc communal dans son ensemble.
Elles sont enfin amenées à agir « lorsque l'initiative privée est défaillante ou insuffisante, pour assurer la création ou le maintien d'un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural ou dans une commune comprenant un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville »30(*).
L'articulation des interventions des communes et des intercommunalités en matière de développement économique peut donc être améliorée. Régions de France note « qu'il reste localement parfois des arbitrages à trouver entre intercommunalités et communes au sujet de la politique locale du commerce, qui trouvent régulièrement des issues dans le cadre démocratique de la vie locale. En cas de divergences, les intercommunalités se chargent de la stratégie à l'échelle intercommunale et du soutien aux activités commerciales d'intérêt communautaires, tandis que les communes organisent des actions d'animation du tissu commercial de centre-ville/centre-bourgs ».
e) Parachever la loi Notre sur le volet développement économique
Comme le préconise l'AMF, « contrairement à la loi Notre, il faudrait laisser la liberté aux territoires de s'organiser, par exemple en permettant à un département de s'impliquer. La répartition de compétences est aujourd'hui trop rigide ». En effet, selon les configurations locales - par exemple le caractère urbain ou rural des territoires, l'organisation ou non du territoire autour d'une ville-centre ou encore la concordance ou non des frontières administratives avec les réalités économiques du bassin d'emploi en question - plusieurs échelons de collectivité territoriale pourraient avoir une légitimité à intervenir selon les territoires ou selon les projets considérés : régions, départements, intercommunalités. Le préfet de région ou de département aurait pour mission d'être garant de la cohérence de ces différenciations territoriales de gouvernance économique.
Ce parachèvement de la loi Notre
pourrait porter sur la clarification de la répartition des
compétences en matière de développement
économique. Il pourrait aussi être envisagé une
expérimentation, au cas par cas, de la possibilité pour les
départements de se voir déléguer une partie de la
compétence développement économique. Une mission
d'information du Sénat a par ailleurs été
lancée le 2 avril 2025 pour faire le bilan des lois Maptam et Notre, dix
ans après31(*),
pour identifier les freins et les blocages et trouver les voies
d'amélioration, en particulier s'agissant des
intercommunalités.
Recommandation n°2 : parachever la loi Notre sur le volet développement économique · Clarifier la répartition des compétences en matière de développement économique, en confirmant le couple région-intercommunalité. · Expérimenter au cas par cas la possibilité pour les départements de se voir déléguer une partie de la compétence développement économique. · Une mission d'information du Sénat a par ailleurs été lancée le 2 avril 2025 pour faire le bilan des lois Maptam et Notre, dix ans après. |
f) Améliorer la coordination entre les acteurs compétents en matière de développement économique territorial
Les actions de développement économique sont à la croisée des compétences régionales, métropolitaines et intercommunales à titre principal, et communales et départementales le cas échéant. Elles nécessitent un effort important de coordination entre ces différents échelons pour être mises en oeuvre avec efficacité au niveau des territoires, ce qui n'est pas toujours le cas.
Il apparaît nécessaire de combler ce déficit de dialogue et de coopération entre collectivités à l'échelle régionale et départementale, en renforçant les coopérations interterritoriales et en favorisant les synergies entre acteurs du développement économique territorial.
Pour cela, il est proposé d'organiser des
assises de l'ingénierie du développement
économique territorial, à
l'échelle départementale, sous l'égide du préfet de
département, délégué territorial de l'ANCT, afin de
mobiliser l'intelligence collective des acteurs du
développement économique d'un territoire en termes de
gouvernance, de diagnostic, d'évaluation et de développement de
projets.
Recommandation n°3 : renforcer les coopérations territoriales et favoriser les synergies entre acteurs du développement économique territorial · Organiser des Assises de l'ingénierie du développement économique territorial à l'échelle départementale, sous l'égide du préfet de département, délégué territorial de l'ANCT, pour mobiliser l'intelligence collective des acteurs du développement économique territorial en termes de gouvernance, de diagnostic, d'évaluation et de développement de projets. |
2. La complexité normative, un frein au développement économique
Par arrêté du Bureau du Sénat du 13 novembre 2014, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a reçu pour mission « l'évaluation et la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, en liaison avec le Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics ».
Dans son rapport d'information de 2023 relatif aux « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! »32(*), la délégation dénonçait les conséquences de l'inflation des normes applicables aux collectivités en termes de coûts, de complexité et de retards dans la réalisation des projets, constituant ainsi un frein au développement des territoires.
Focus : la complexité normative, un coût pour les collectivités territoriales et un frein pour le développement des territoires « Non seulement l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais, en outre, elle en augmente significativement le coût, notamment pour les petites communes aux ressources techniques et financières limitées. La multiplication des normes constitue donc indéniablement un frein au développement des territoires, dans le contexte budgétaire contraint que chacun connaît. Or, la loi doit avant tout permettre et non entraver. La direction générale des collectivités territoriales a indiqué qu'on pouvait évaluer à près de deux milliards d'euros le coût total pour les collectivités locales de cette inflation normative, au cours de la période 2017-2021. Ce montant est, en tout état de cause, à rapprocher du montant d'un milliard d'euros que coûterait en 2023 l'indexation de la DGF sur l'inflation, indexation pour l'instant rejetée par le Gouvernement. Pour compléter ce tableau, il serait utile de
disposer d'une donnée nationale S'agissant du CGCT, il a triplé de
volume entre 2002 et 2022. Certes, cette évolution
résulte en partie de l'adaptation des règles à la
diversité des territoires. Toutefois, la différenciation
territoriale ne peut expliquer à elle seule cette situation,
étant précisé que le CGCT pourrait, au 1er
janvier 2023, dépasser le million de mots, compte tenu de - 7 -
l'adoption en 2022 de la loi dite "3DS". Quant au code de
l'urbanisme, son évolution est également
préoccupante même si sa croissance est plus
"raisonnable" : le code est ainsi passé de près de 185
000 mots au 1er janvier 2012 à environ 265 000 mots au
Extraits du rapport d'information n° 289 (2022-2023), déposé le 26 janvier 2023 |
Dans son rapport d'activités 2019-2022, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN)33(*) évaluait même à 2,5 milliards d'euros le coût des normes pour l'année 2022, un coût actualisé à 1,6 milliard dans son rapport d'activités 2023.
Le constat du poids excessif des normes pour les collectivités est partagé par les acteurs locaux. Dans sa contribution écrite, la métropole de Chartres alerte sur la « complexification insensée de l'environnement des décideurs économiques : la fiscalité, les normes et toutes les autorisations nécessaires au titre de multiples réglementations aux injonctions parfois contradictoires augmentent considérablement les coûts et délais des projets d'implantation ou de développement ».
L'association des maires ruraux de France (AMRF) soulève de son côté le paradoxe selon lequel l'augmentation des besoins en ingénierie territoriale est une conséquence de l'inflation et de la complexité des normes : « Notre problème d'ingénierie, c'est aussi l'ingénierie qu'on demande par rapport à la complexité française ». L'AMF dénonce aussi ce « cercle vicieux : plus c'est complexe, plus il faut de l'ingénierie, plus il faut du temps et de l'argent ».
Les assises de la simplification, organisée le 3 avril 2025 au Sénat34(*), en présence du Premier ministre, ont été l'occasion de repartager ces constats et de rappeler les actions possibles pour y remédier : réaliser des études d'impact sur les projets et propositions de loi, recourir aux études d'options pour s'assurer de la nécessité de passer par un nouveau vecteur législatif, expérimenter davantage, permettre la différenciation au niveau local, renforcer le pouvoir préfectoral de dérogation, assortir les nouvelles normes d'une « clause guillotine » sur le modèle du droit anglo-saxon pour les faire tomber en l'absence d'évaluation, etc.
3. Une ingénierie à deux vitesses
Dans son étude quinquennale économique 202235(*), Intercommunalités de France a réalisé une cartographie de l'ingénierie des établissements publics de coopération intercommunale. L'étude relève que 91%36(*) des intercommunalités sont désormais dotées d'un service de développement économique. On peut noter « un réel progrès par rapport à 2016, en particulier pour les communautés de communes, dont la propension à avoir un service de développement économique interne a augmenté [...]. Toutefois, si les communautés de communes ont renforcé significativement leurs moyens d'action, des marges de progrès demeurent. En effet, 22 % d'entre elles disposent de moins d'un équivalent temps plein (ETP) sur le sujet économique, alors même que les activités économiques requièrent du temps (aller à la rencontre des chefs d'entreprise, les appuyer dans le montage de leurs projets, consolider une prospective et une stratégie) ».
Le constat doit toutefois être fait d'un accès inégal à l'ingénierie en matière de développement économique entre les collectivités de grande taille (régions, métropoles, communautés d'agglomération) et les collectivités de plus petite taille, notamment dans les territoires ruraux (communautés de communes), augmentant le risque de fractures territoriales.
Les auditions ont démontré les limites de la logique de guichet et d'appels à projets, avec la multiplication des programmes de financement, au risque de saupoudrer les aides voire de défavoriser les collectivités moins outillées pour y répondre.
L'AMF considère que « les appels à projets génèrent de l'inégalité territoriale : seules les collectivités les mieux outillées arrivent à y répondre. Cela accentue les inégalités territoriales. Il faut stopper les appels à projets et partir des initiatives locales ».
Intercommunalités de France abonde dans le même sens : « il faut inverser la logique et que le projet trouve un cadre approprié pour se faire. Les appels à projets amènent de la concurrence et obligent à présenter les projets pas tels qu'on le souhaiterait pour qu'ils rentrent dans les cases et puissent être financés ».
Recommandation n°4 : repenser les modalités d'interventions de l'État et de ses opérateurs · Sortir de la logique systématique d'appels à projets ou de labellisation · Éviter de créer de la concurrence entre les territoires · Encourager les initiatives locales en territorialisant davantage l'accompagnement des collectivités territoriales, notamment des collectivités les moins outillées. |
C. LE CONSTAT DU MORCELLEMENT ET DE L'HÉTÉROGÉNÉITÉ DES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL
L'ingénierie du développement économique fait l'objet d'un double mouvement : d'une part, une recomposition de l'ingénierie de l'État, qui se caractérise par le désengagement de l'ingénierie historique de l'État local vers une ingénierie plus technique et financière de ses opérateurs, même si la figure du préfet et du sous-préfet reste importante, notamment dans les territoires ruraux ; d'autre part, une montée en puissance de l'ingénierie des collectivités territoriales et de leurs satellites, des structures de coopération territoriale, mais aussi des acteurs parapublics et privés.
Ce constat du morcellement et de l'hétérogénéité des opérateurs publics et privés de l'ingénierie du développement économique territorial rend difficile la lecture du « qui fait quoi », même si les acteurs se sont davantage spécialisés et professionnalisés, disposent de leur propre expertise, et essaient malgré tout de coopérer et créer des synergies.
1. L'ingénierie territoriale de l'État : un équilibre qui reste à trouver pour mieux articuler l'action des services déconcentrés et des opérateurs de l'État avec les besoins d'ingénierie publique de long terme des territoires
a) Le repli de l'ingénierie de l'État à partir de 2015
L'article 7-1 de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République37(*), modifié par l'article 1 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF)38(*), et précisé par le décret d'application n°2002-1209 du 27 septembre 2002 relatif à l'assistance technique fournie par les services de l'État au bénéfice des communes39(*) prévoit que :
« Les communes et leurs groupements qui ne disposent pas, du fait de leur taille et de leurs ressources, des moyens humains et financiers nécessaires à l'exercice de leurs compétences dans les domaines de la voirie, de l'aménagement et de l'habitat bénéficient, à leur demande, pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, d'une assistance technique fournie par les services de l'État, dans des conditions définies par une convention passée entre le représentant de l'État et, selon le cas, le maire ou le président du groupement ».
Cette ingénierie technique locale, appelée assistance technique pour raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), et ne relevant pas du droit de la commande publique, était fournie par les services de l'État, notamment le ministère en charge de l'équipement, selon des critères de population et de ressources, au bénéfice de nombreuses communes : « sur la période 2010-2012, 80 % des communes et 34 % des EPCI éligibles, correspondant à environ 27 000 collectivités, ont bénéficié des prestations »40(*).
La loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a pourtant mis fin au dispositif de l'ATESAT au 1er janvier 2014, avec une période de transition pour permettre l'achèvement des missions en cours. Le ministre de la décentralisation et de la fonction publique en justifiait ainsi la suppression dans sa réponse du 5 mars 2013 à la question écrite de notre collègue Louis Pinton du 5 décembre 2013 :
« Ces prestations réalisées au bénéfice des petites communes et intercommunalités ont progressivement cessé d'être en adéquation avec la réalité de l'organisation locale : la montée en puissance des intercommunalités offrant un cadre nouveau à l'action locale, le renforcement des compétences des collectivités, la structuration de dispositifs d'ingénierie technique et financière au niveau intercommunal ou départemental ont modifié le partage des tâches entre l'État et les collectivités territoriales. La prise en compte de cette répartition nouvelle, conjuguée aux exigences de la modernisation de l'action publique, ont légitimement conduit l'État à se réinterroger sur le bien-fondé de poursuivre à l'identique les prestations qu'il assurait, même si son rôle doit demeurer important, en tant que régulateur, conseiller et garant de l'équilibre des territoires ».
b) Le repositionnement de l'État dans son appui au développement économique des territoires
On constate donc à partir de 2015 un repositionnement du rôle de l'État dans son appui au développement économique de territoires.
L'État s'est recentré sur son rôle d'État stratège, en mobilisant par exemple les compétences de la direction générale des entreprises (DGE). Elle porte des missions à la fois sectorielles (politique industrielle, régulation du numérique, déploiement d'infrastructures, soutien à l'artisanat, au commerce, aux services et au tourisme), transverses (simplification réglementaire, politique d'innovation) et relatives à la transformation numérique et écologique de l'économie41(*). Elle s'appuie au niveau local sur un réseau de services déconcentrés, les services économiques de l'État en région (SEER), placés sous l'autorité des préfets de régions et des directions régionales de l'économie, de l'emploi du travail et des solidarités (DREETS).
L'État déconcentré s'appuie
également sur l'ingénierie technique en matière de
développement durable du réseau des directions
régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement
(DREAL). Elles sont issues de la fusion des anciennes directions
régionales de l'environnement (DIREN), directions régionales de
l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) et directions
régionales de l'équipement
(DRE). Elles assurent, sous
l'autorité du préfet de région, et sous la tutelle
fonctionnelle du préfet de département, la coordination
des politiques de développement durable au niveau
régional : environnement, prévention des risques
naturels et technologiques, développement et aménagement
durables, transport, logement, appui aux autorités compétentes en
matière de plans, projets et programmes relatifs à
l'environnement, promotion de la participation citoyenne dans
l'élaboration des projets ayant une incidence sur l'environnement ou
l'aménagement du territoire, etc.
c) Une technostructure déconcentrée affaiblie, mais qui conserve un « pouvoir de blocage des projets »
Toutefois, les auditions ont mis en avant le constat paradoxal selon lequel la technostructure de l'État déconcentré s'est certes affaiblie, mais peut apparaître contraignante, voire bloquante, dans la mise en oeuvre des projets par les élus locaux.
L'AMF relève « l'affaiblissement de la technostructure de l'État déconcentré ces dernières années ». En effet, « avant, on pouvait s'appuyer sur la "subdi" de la DDE42(*) pour réviser les POS, rédiger les appels d'offres, etc., c'était une réelle ingénierie de l'État au service des territoires ». Aujourd'hui, on constate « une réduction du nombre des agents de l'État et de leur niveau de compétences : il faut remettre des ingénieurs et des administrateurs. L'État se défausse sur les initiatives locales, alors que l'État déconcentré doit être un acteur central de l'ingénierie du développement économique ». L'AMRF regrette de son côté qu'« à chaque réforme, on augmente les distances, c'est terrible ».
L'association des petites villes de France (APVF) estime qu'« on n'a pas à se plaine des agences (Ademe), mais plutôt des services déconcentrés (ex : directions départementales). Les agences donnent des coups de pouce, sont des leviers, mais ce ne sont pas elles qui donnent les autorisations, ce sont les préfectures. Par exemple, une DREAL a bloqué un projet de barrage en demandant des études complémentaires, alors qu'il y avait des enjeux de sécurité pour les habitants ».
d) L'État et ses opérateurs savent toutefois être présents auprès des territoires les moins dotés
L'État s'appuie sur ses opérateurs pour proposer aux collectivités territoriales une ingénierie à la fois technique et financière. Parmi les nombreux opérateurs de l'État qui interviennent en matière de développement économique territorial au sens large, on peut noter : le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), l'agence de la transition écologique, l'ANCT, l'agence nationale de l'habitat (ANAH), l'agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), etc.
L'action de l'État ou de ses opérateurs complète une ingénierie parfois manquante ou défaillante au niveau des territoires les moins dotés. Dans son étude économique quinquennale précitée, Intercommunalités de France indique que : « L'Agence nationale de la cohésion des territoires et les régions apportent souvent une ingénierie complémentaire aux collectivités plus rurales ou les moins dotées, notamment dans le cadre de programmes tels que Territoires d'industrie ou Petites Villes de demain ».
Localement, les préfets ou les sous-préfets et en particulier les sous-préfets à la ruralité jouent un rôle important pour faciliter le développement économique ou coordonner les projets. L'AMRF relève que « le sous-préfet est présent sur le terrain ; quand il y a des soucis particuliers, il joue le rôle de facilitateur : c'est une forme d'ingénierie ». L'AMF regrette toutefois les « moyens trop faibles » dont disposent les sous-préfets.
e) Des interventions qui restent toutefois trop verticales, ponctuelles et insuffisamment concertées
Les auditions de vos rapporteurs ont aussi permis de faire le constat d'une trop grande verticalité dans l'intervention économique de l'État alors qu'il y aurait davantage besoin d'horizontalité pour coordonner et faciliter le développement économique en lien avec les acteurs du territoire, sur le temps long. L'APVF regrette « la profusion et le flou des normes » qui « profitent à des agents de l'État militants, souvent dans les préfectures, qui imposent leur vision du monde et retardent ou bloquent les projets, ce qui désespère les élus ».
L'association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP) regrette les prestations « one shot » du CEREMA ou de l'agence de la transition écologique : « ce n'est pas continu. On défend une ingénierie publique territoriale du long terme, continue, du développement local, des transitions, qui nécessite une connaissance des réseaux, de la culture politique locale, sachant animer, avec une vision à long terme et pas des contrats de deux ans ».
C'est aussi l'avis de la fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU) : « on regrette que dans les politiques d'ingénierie de l'État, il y ait la tentation du " one shot ", par exemple une intervention ponctuelle dans le cadre d'un marché à bons de commande. Il faut de la continuité, de l'enracinement, un soutien de l'État aux ingénieries locales, et éviter des concurrences d'ingénierie qui peut être provoquée par cette ingénierie ponctuelle, même si les programmes Coeur de ville et Territoires d'industrie sont intéressants ».
L'AMF abonde dans ce sens en regrettant que « l'ANCT achète sur étagère des prestations à des prestataires privés : il faudrait plutôt remettre des agents ANCT sur le terrain, qui co-prennent en charge la politique de développement ».
Régions de France note de son côté que « les relations entre les régions et les services déconcentrés de l'État sont globalement satisfaisantes », mais relève qu'« en revanche, la difficulté d'articulation vient plutôt du déploiement non concerté des dispositifs de l'État dans les territoires par l'intermédiaire des agences d'État. Les régions observent la multiplication des dispositifs de soutien aux entreprises proposés par l'intermédiaire des opérateurs et agences d'État, sans concertation préalable avec les Régions à un niveau national », citant l'exemple de « la DGE et l'ANCT qui co-organisent les politiques de soutien à l'économie de proximité (Territoires d'industrie, Action Coeur de Ville, etc.) ».
Comme le constatait le rapport du Sénat consacré au suivi du rapport du Sénat de 2023 sur l'ANCT43(*), on assiste à une « dispersion des compétences entre les opérateurs d'État », voire à des situations « de doublons et de concurrence potentielle ».
2. L'ingénierie propre aux collectivités territoriales et à leurs satellites et agences : à la recherche d'une plus grande efficacité sans perte de contrôle
Si les collectivités territoriales ont progressivement structuré en interne des services en capacité d'assurer une ingénierie du développement économique, notamment au sein des régions et des intercommunalités44(*), en mobilisant les compétences des développeurs économiques locaux (voir plus haut), elles peuvent aussi s'appuyer sur des satellites ou agences, qu'il s'agisse des agences de développement, des agences d'urbanisme ou des entreprises publiques locales, qui leur permettent de disposer d'une expertise accrue, d'une plus grande souplesse d'action, tout en permettant aux élus d'en définir la stratégie et d'en contrôler la gouvernance.
(1) Les agences d'urbanisme
Focus : les agences d'urbanisme L'article L. 132-6 du code de l'urbanisme dispose que les collectivités territoriales peuvent créer avec l'État ou d'autres acteurs publics des agences d'urbanisme, qui sont des agences d'ingénierie partenariale qui peuvent prendre la forme d'association ou de groupement d'intérêt public, et qui ont pour mission : · de suivre les évolutions urbaines et de développer l'observation territoriale ; · de participer à la définition des politiques d'aménagement et de développement et à l'élaboration des documents d'urbanisme et de planification qui leur sont liés, notamment les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux ; · de préparer les projets d'agglomération métropolitains et territoriaux, dans un souci d'approche intégrée et d'harmonisation des politiques publiques ; · de contribuer à diffuser l'innovation, les démarches et les outils du développement territorial durable et la qualité paysagère et urbaine ; · d'accompagner les coopérations transfrontalières et les coopérations décentralisées liées aux stratégies urbaines ; · de contribuer à la mise en place des observatoires de l'habitat et du foncier ; · d'apporter ponctuellement une ingénierie, dans le cadre d'un contrat de projet partenarial d'aménagement ou d'une convention d'opération de revitalisation de territoire, dans les territoires qui sont situés à proximité de leur périmètre d'action. On compte en France 51 agences d'urbanisme, dont cinq en outre-mer. Elles couvrent 47 millions d'habitants et 400 intercommunalités. Les agences d'urbanisme sont rassemblées au sein de la FNAU, une association qui est à la fois un réseau d'élus et un réseau des 1 700 professionnels qui travaillent au sein des agences. Ce travail en réseau actif favorise l'échange d'expérience, la mise en commun d'expertises, le traitement des sujets d'actualités, l'analyse de signaux émergents, par exemple au sein de clubs thématiques. La FNAU se distingue aussi par son activité de publication de ses travaux.
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La FNAU résume ainsi tout l'intérêt de recourir à l'ingénierie développée par les agences d'urbanisme : « les agences d'urbanisme sont des plateformes partenariales. Ce sont des tiers de confiance. Elles font le lien entre tous les acteurs : elles sont facilitatrices. C'est ce que recherchent les entreprises, qui ont des besoins, par exemple sur les questions foncières et immobilières, les aides publiques, l'emploi, la formation, etc. ».
(2) Les agences de développement
S'agissant des agences de développement, elles sont créées à l'initiative des collectivités territoriales ou de leurs groupements et ont pour la plupart le statut d'association. Le CNER précise qu'« elles ont pour mission de favoriser la création d'emplois, l'implantation d'activités, l'innovation et la compétitivité. Leurs missions incluent l'appui aux entreprises dans leurs projets d'investissement, le soutien à l'entrepreneuriat, la mise en réseau des acteurs économiques et la valorisation des filières stratégiques du territoire »45(*). Elles constituent pour les collectivités « un outil professionnel, souple, réactif et partenarial ».
Focus : les agences de développement Il existe 128 agences de développement en France
métropolitaine et en Depuis la loi Notre, on observe un mouvement de fusion entre les anciennes agences départementales et les agences régionales, qui deviennent des agences d'attractivité. S'agissant du statut des agences de développement, la plupart sont des associations (71%), mais on compte aussi des sociétés publiques locales (12 %), des établissements publics à caractère industriel et commercial (7 %) et d'autres types de structures (sociétés d'économie mixte, groupements d'intérêt économique ou d'intérêt public, établissements publics administratifs). Les financements dont bénéficient les
agences de développement sont Les agences de développement ont pour mission d'accompagner les entreprises dans leur recherche de foncier, d'ingénierie financière, etc. Les agences de développement sont regroupées au sein du CNER, qui a un rôle d'animation de son réseau d'experts, d'accompagnement des territoires qui ont besoin d'expertise sur des sujets précis ou thématiques, de formation - notamment des développeurs économiques locaux - et de publication. |
La raréfaction des ressources et des moyens des collectivités territoriales les a contraintes à réduire les budgets affectés aux agences de développement, avec une diminution de 6 % en moyenne pour 2025. On a même pu observer certaines suppressions d'agences, par exemple à Reims où l'agence Invest in Reims a été reprise en régie fin 2021 par le Grand Reims, qui souhaitait mettre l'accent sur le développement endogène plutôt que le développement exogène. Toutefois, le CNER constate 3 ans après la suppression des baisses d'implantations d'entreprises, une diminution des emplois exogènes, une baisse du nombre d'habitants, etc. Par ailleurs, la suppression d'une agence entraîne nécessairement des coûts de réinternalisation des missions.
(3) Les entreprises publiques locales, « couteaux suisses » du développement économique local
Enfin, les collectivités territoriales s'appuient
de plus en plus sur les entreprises publiques locales - SPL,
SPLA, SEM, SEMOP - en raison de leurs atouts, que la Fédération
des EPL résume ainsi : 1 /contrôle et
transparence : il s'agit d'outils pilotés par les
collectivités territoriales, qui en sont actionnaires ; 2/
proximité : les EPL permettent un maillage
territorial fin et une proximité avec les acteurs du
développement économique ; 3/
agilité : le statut de droit privé des EPL
leur permet d'avoir des facilités de financement (dette) et de mener de
front plusieurs opérations complexes en créant des filiales
spécialisées le cas échéant.
Focus : les entreprises publiques locales En quête de moyens d'action alliant maîtrise politique, efficacité économique et utilité sociale pour mener leurs missions de service public dans les meilleures conditions, les collectivités locales ont recours aux entreprises publiques locales. On distingue quatre formes d'EPL : - les sociétés d'économie mixte locale (SEML)46(*) : les communes, les départements, les régions et leurs groupements peuvent, dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi, créer des sociétés d'économie mixte locales qui les associent à une ou plusieurs personnes privées et, éventuellement, à d'autres personnes publiques pour réaliser des opérations d'aménagement, de construction, pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou pour toute autre activité d'intérêt général. La SEML revêt la forme d'une société anonyme. Les collectivités territoriales et leurs groupements détiennent plus de la moitié du capital social et des voix dans les organes délibérants ; - les sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP)47(*) : à la différence de la SEML, la SEMOP est constituée pour une durée limitée et à titre exclusif en vue de la conclusion et de l'exécution d'un contrat avec la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales dont l'objet unique est : la réalisation d'une opération de construction, de développement du logement ou d'aménagement ; la gestion d'un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou l'acquisition des biens nécessaires au service ; toute autre opération d'intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales ; - les sociétés publiques locales (SPL)48(*) : les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital. Les SPL sont compétentes pour réaliser des opérations d'aménagement, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d'intérêt général. Elles exercent leurs activités exclusivement pour le compte de leurs actionnaires et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres. Elles revêtent la forme de société anonyme et sont composées d'au moins deux actionnaires ; - les sociétés publiques locales
d'aménagement49(*), qui présentent les mêmes
caractéristiques que les SPL à quelques précisions
près : l'une des collectivités territoriales ou un des
groupements de collectivités territoriales participant au groupement
détient au moins la majorité des droits de vote. Les SPLA sont
compétentes pour réaliser toute opération
d'aménagement, réaliser des études préalables,
procéder à toute acquisition et cession d'immeubles, toute
opération de construction ou de réhabilitation
immobilière, toute acquisition Le capital des EPL est majoritairement ou exclusivement détenu par les collectivités territoriales. Une telle maîtrise est, pour ces dernières, l'assurance que les EPL intégreront pleinement leurs orientations stratégiques et politiques. Les 1 254 EPL réalisent plus de 13 Md€ de chiffre d'affaires. En plein essor, les EPL suscitent l'intérêt croissant des élus locaux. Près de 200 EPL exercent des activités de développement économique au bénéfice des territoires et des populations en tant qu'entreprises ancrées localement. Ces sociétés interviennent sur un spectre large allant du soutien pour la création d'entreprise, à la gestion d'immobilier d'entreprise, en passant par l'appui aux filières métiers. Pour ce faire, les EPL développent des foncières de redynamisation commerciale et des sociétés de projets. Ces sociétés gèrent près de 3 millions de m² de foncier répartis sur 630 sites, et 2 800 locaux aménagés qu'elles mettent à disposition de 6 000 entreprises. |
Résumant l'intérêt de recourir à une entreprise publique locale, la fédération des EPL indique que « notre approche hybride structure publique/immersion dans le domaine privé fait qu'on développe des outils très polyvalents et pertinents par rapport aux attentes des chefs d'entreprises, des décideurs. Les outils qu'on représente sont des couteaux suisses sur l'ensemble des territoires qui permettent d'accompagner des projets auprès des décideurs locaux, avec une agilité sur le domaine juridique. Mais on est dans la traduction d'orientations et de projets politiques, à la différence de structures exclusivement privées, donc dans la confiance vis-à-vis des territoires et vecteurs d'efficacité par rapport aux projets mis en place ».
Focus : l'exemple de la transformation économique du territoire de Chartres grâce aux entreprises publiques locales La communauté d'agglomération Chartres Métropole regroupe 66 communes et une population de près de 140 000 habitants, la ville de Chartres comprenant elle-même près de 40 000 habitants. Depuis une vingtaine d'années, plusieurs
entreprises publiques locales ont été déployées sur
le territoire de l'agglomération, avec des objets
C'est par exemple le cas en matière d'aménagement des friches ferroviaires en plein centre-ville. Le coût de l'acquisition du foncier auprès de la SNCF et du déplacement des activités a été évalué à près de 50 millions d'euros. Le recours aux concessions d'aménagement pilotées par une SPL dédiée a permis d'assurer ce portage foncier en lissant dans le temps le montant des participations et des équipements publics nécessaires pour la collectivité, qui aurait été sinon trop élevé. C'est aussi le cas en matière d'aménagement des réseaux secs et humides ou en matière d'acquisitions immobilières, avec la création de SEM dédiées. C'est enfin le cas en
matière d'attractivité industrielle, avec la
décision de la société pharmaceutique danoise Novo
Nordisk, implantée à Chartres depuis plus de 60 ans,
d'investir plus de deux milliards d'euros sur le territoire pour doubler sa
taille et développer ses capacités de production, notamment pour
fabriquer un nouveau médicament labellisé permettant le
traitement de l'obésité par La fédération des EPL précise que « ce n'est pas notre fiscalité nationale qui a permis à l'usine de se développer sur le territoire. Il a fallu développer d'autres entreprises, faire des acquisitions, déplacer le centre technique municipal, assurer une certaine quantité et qualité d'eau pour la production du médicament, avec donc une prise de risque de la collectivité. Il a fallu se mettre en marche pour obtenir les déplacements des entreprises et des équipements publics concernés. Cela a été fait de concert avec Chartres Métropole et ses satellites spécialisés dans l'aménagement (Chartres aménagement), le développement immobilier (SEM), une SEMOP sur la partie eau et assainissement. Il a fallu aussi créer de nouvelles lignes de transport pour desservir la future zone, créer un réseau de chaleur, etc. » Ainsi, la mobilisation efficace des ressources et de l'ingénierie des satellites de l'agglomération a permis d'assurer cet investissement. Certes, il y avait un risque d'investissement initial pour la collectivité et ses satellites, mais le retour sur investissement permet aujourd'hui 5 millions d'euros de fiscalité supplémentaires par an pour la ville et l'agglomération. La fédération des EPL ajoute qu'aujourd'hui, « Chartres métropole contrôle étroitement et agilement, particulièrement par une galaxie de satellites (près de 15 EPL) qui fait référence, les politiques publiques qui impactent l'écosystème économique ou qui sont nécessaires pour accompagner le développement économique (aménagement ZAE, habitat, réseaux...) ». Ce modèle d'économie mixte « est capital dans l'harmonisation de ces équipements, car nous avions à notre main ces sociétés. Nous avons agi de concert. Tous les acteurs étaient à une même table. On a levé tous les problèmes grâce à l'agilité reconnue de cette économie mixte ». |
3. L'ingénierie de projet et de planification des structures de coopérations intercommunales
L'ingénierie du développement économique local peut aussi être portée par des structures de coopération intercommunales ou des documents stratégiques, créés à l'initiative des collectivités territoriales, par exemple les schémas de cohérence territoriale (SCoT) ou les pays et pôles d'équilibre territorial et rural (PETR).
(1) Les schémas de cohérence territoriale
La fédération nationale des SCoT (Fédé SCoT) indique qu'un SCoT « est en lui-même un service d'ingénierie, qui casse la logique de silo, au profit d'une cohérence avec l'ensemble des politiques publiques ».
Focus : les schémas de cohérente territoriale (SCoT) Créés par la loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), et actualisés par l'ordonnance n° 2020-744 du 17 juin 2020 relative à la modernisation des schémas de cohérence territoriale, les SCoT sont des documents de planification stratégique à long terme. Un SCoT comprend un projet d'aménagement stratégique (PAS), un document d'orientation et d'objectifs (DOO) et des annexes. Le PAS « définit les objectifs de développement et d'aménagement du territoire à un horizon de vingt ans sur la base d'une synthèse du diagnostic territorial et des enjeux qui s'en dégagent. Ces objectifs peuvent être représentés graphiquement. Ils concourent à la coordination des politiques publiques sur les territoires, en favorisant un équilibre et une complémentarité des polarités urbaines et rurales, une gestion économe de l'espace limitant l'artificialisation des sols, notamment en tenant compte de l'existence de friches, les transitions écologique, énergétique et climatique, une offre d'habitat, de services et de mobilités adaptés aux nouveaux modes de vie, une agriculture contribuant notamment à la satisfaction des besoins alimentaires locaux, ainsi qu'en respectant et mettant en valeur la qualité des espaces urbains comme naturels et des paysages. Le projet d'aménagement stratégique fixe en outre, par tranches de dix années, un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation ». Le DOO définit les conditions d'application du PAS, en posant des orientations qui s'inscrivent « dans un objectif de développement équilibré du territoire et des différents espaces, urbains et ruraux, qui le composent ». Il repose sur la complémentarité entre : 1° les activités économiques, artisanales, commerciales, agricoles et forestières ; 2° une offre de logement et d'habitat renouvelée, l'implantation des grands équipements et services qui structurent le territoire, ainsi que l'organisation des mobilités assurant le lien et la desserte de celui-ci ; 3° les transitions écologique et énergétique, qui impliquent la lutte contre l'étalement urbain et le réchauffement climatique, l'adaptation et l'atténuation des effets de ce dernier, le développement des énergies renouvelables, ainsi que la prévention des risques naturels, technologiques et miniers, la préservation et la valorisation de la biodiversité, des ressources naturelles, des espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que des paysages, dans un objectif d'insertion et de qualité paysagères des différentes activités humaines, notamment des installations de production et de transport des énergies renouvelables. |
Selon la fédération des SCoT, « un SCoT est aussi appelé à mobiliser une ingénierie collective (public, privé, entreprises, élus, territoires, aménageurs), pour répondre ensemble au contexte de transition. Ce n'est pas qu'un document écrit, il doit aussi répondre aux besoins des entreprises, etc., pour être applicable : le SCoT est un outil de dialogue, de concertation ».
Elle regrette toutefois la suppression de la
conférence régionale des SCoT, instaurée par la
loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le
dérèglement climatique et renforcement de la résilience
face à ses effets, mais supprimée par la loi n° 2023-630 du
20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de
lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer
l'accompagnement des élus locaux, et remplacée par une
« conférence régionale de gouvernance de la
politique de rédaction de l'artificialisation des
sols », présidée par le président du
conseil régional, avec une composition et un rôle
élargis. La conférence régionale permettait pourtant
« de contribuer à l'élaboration du SRADDET
par l'expression des bassins de vie et des élus qui portent les
stratégies territoriales. C'était pertinent. Cela
rappelle à la région qu'il est important de prendre en
compte l'échelle infra, de même qu'il est important de
prendre en compte l'échelon EPCI et communes quand on élabore un
SCoT
(ex : conférence des maires) ».
(2) Les pays et pôles d'équilibre territorial et rural
Par ailleurs, les intercommunalités peuvent faire le choix volontaire de se structurer en pays ou en pôle d'équilibre territorial et rural, sur la base d'un projet de territoire qui s'inscrit dans un temps long (à horizon 20 ou 30 ans), pour faire converger les politiques publiques locales. La mutualisation à l'échelle d'un pays ou d'un PETR regroupe en moyenne quatre intercommunalités.
Sans exercer de compétences à proprement parler, les pays et les PETR sont porteurs de missions sur cinq grands champs thématiques : la transition écologique, l'attractivité économique, le cadre de vie, les services à la population, le portage des contractualisations. L'ingénierie du développement économique territorial portée par les PETR est importante : animation de réseaux, ingénierie financière, conseil aux élus, etc.
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Focus : les PETR et les pays La loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (dite LOADT) a instauré la notion de pays : « Lorsqu'un territoire présente une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale, la commission départementale de la coopération intercommunale constate qu'il peut former un pays ». Les pays ont ensuite été renforcés par la loi n°99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (dite LOADDT), qui dispose que : « le développement local, organisé dans le cadre des bassins d'emploi et fondé sur la complémentarité et la solidarité des territoires ruraux et urbains. Il favorise au sein de pays présentant une cohésion géographique, historique, culturelle, économique et sociale la mise en valeur des potentialités du territoire en s'appuyant sur une forte coopération intercommunale et sur l'initiative et la participation des acteurs locaux ». Si la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a supprimé la possibilité de créer de nouveaux pays, la structure et la philosophie des pays ont été réhabilitées à travers les pôles d'équilibre territorial et rural, créés par la loi Maptam de 2014. En effet, l'article L. 5741-1 du CGCT, créé par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), institue une nouvelle catégorie d'établissement public, les pôles d'équilibre territorial et rural. Constitué par accord entre plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au sein d'un périmètre d'un seul tenant et sans enclave, il élabore un projet de territoire qui définit les conditions du développement économique, écologique, culturel et social dans le périmètre du pôle. Le projet de territoire doit être compatible avec les schémas de cohérence territoriale applicables dans le périmètre du pôle. Les pays et pôles d'équilibre territorial et rural sont regroupés sous l'appellation « territoires de projet ». |
Bonne pratique : le pôle territorial du Perche (Eure-et-Loir) Situé entre les villes de Chartres et du Mans, le pôle territorial du Perche regroupe trois communautés de communes (Perche, Terres de Perche et Forêts du Perche) qui rassemblent 61 communes et 42 500 habitants. Héritier de la coopération menée dans le cadre du Pays du Perche d'Eure-et-Loir depuis la fin des années 1970, le pôle territorial, créé en 2016, a pour objectif le développement harmonieux du territoire en cherchant à concilier le soutien aux activités industrielles, artisanales, commerciales, agricoles, touristiques, des services et de loisirs, tout en respectant l'environnement naturel et social du Perche. Le pôle territorial a la particularité de disposer de nombreuses compétences transférées par les trois communautés de communes. Pour l'exercice de ces compétences transférées, il dispose de moyens mutualisés mis à disposition par les communautés de communes membres. En matière d'animation du développement économique (hors investissement), il accompagne les acteurs économiques du Perche en leur apportant conseils, aide au montage de dossiers de demande de subvention et en assurant la coordination, l'élaboration et la diffusion des actions et la création d'outils de promotion économique du territoire. Il accompagne aussi les entreprises du territoire dans leur installation et leur développement et apporte une ingénierie aux communes sur les questions foncières, immobilières, d'attractivité du territoire, de transition démographique, de formation et de recrutement, de transition écologique, de décarbonation. Par ailleurs, le Groupe d'Actions Locales Perche 2.850(*), avec son programme dédié aux usages numériques, accompagne les porteurs de projet publics ou privés afin de soutenir les projets innovants, numériques et collaboratifs sur notre territoire. Le pôle assure la coordination des démarches d'élaboration, d'approbation, de mise en oeuvre, de suivi, d'évaluation et de révision du SCoT des trois communautés de communes. Il réalise l'instruction des autorisations d'urbanisme pour les communes en faisant la demande et accompagne les communautés de communes et les communes du territoire pour la mise en oeuvre d'actions mutualisées en matière d'urbanisme et d'habitat, par exemple la coordination des plans locaux d'urbanisme intercommunaux). Il met en place des actions de promotion de la transition écologique et énergétique, notamment la mise en oeuvre du Plan Climat Air Énergie (PCAET). Il coordonne les actions des 3 offices de tourisme du territoire et accompagne les entreprises dans leur développement, notamment en matière de qualification et de visibilité de l'offre. Il coordonne également un plan de mobilité rurale dans le Perche d'Eure-et-Loir visant à améliorer les mobilités via des solutions optimisées nouvelles et durables. Source : http://perche28.fr/ |
Structures peu connues, les pôles d'équilibre territorial et rural permettent de mutualiser des moyens et des ressources à l'échelle d'un bassin de vie. L'article L. 5741-3 du CGCT dispose d'ailleurs que « le pôle d'équilibre territorial et rural peut constituer le cadre de contractualisation infrarégionale et infradépartementale des politiques de développement, d'aménagement et de solidarité entre les territoires ».
4. Les chambres consulaires, une ingénierie en manque de moyens qui s'est technicisée
L'ingénierie du développement économique territorial est aussi proposée par les chambres consulaires : les chambres de commerce et d'industrie, les chambres de métiers et d'artisanat, les chambres d'agriculture, qui sont des établissements publics économiques présidés par des élus et qui accompagnent dans leurs projets les entreprises, les artisans, les agriculteurs en leur proposant différents services et notamment de la formation. Représentées au niveau national, les chambres consulaires sont aussi présentes au niveau régional et au niveau local.
Plusieurs réformes des chambres consulaires,
notamment la loi
n° 2010-853 du 23 juillet 2010, ont conduit à
un mouvement de rationalisation des réseaux
consulaires, en particulier des mutualisations
à l'échelon régional et une
baisse des ressources affectées.
Focus : les chambres locales de commerce et d'industrie Le réseau des chambres de Commerce et d'Industrie (CCI) représente la plus grande force d'accompagnement et de service public à l'entreprise en France. Regroupant 121 établissements publics administratifs, de niveau régional et territorial, il est composé de 9 000 chefs d'entreprises bénévoles et 14 000 collaborateurs qui agissent au quotidien pour accélérer la croissance des entreprises et l'attractivité des territoires. Le réseau des CCI a trois principales missions : - Appui aux entreprises et porteurs de projets ; - Formation : 515 000 personnes formées en 2023 dans les 131 centres de formation des apprentis, 143 centres de formations professionnelle et continue, 8 écoles de gestion et de commerce, 16 de management et 9 d'ingénieur du réseau ; - Gestion des infrastructures : 575 infrastructures gérées (aéroports, ports, zones d'activité...). |
Les auditions ont mis en avant une certaine perte de vitesse des chambres consulaires, en particulier du fait d'une baisse des moyens depuis les années 2010, avec un recentrage sur la formation. Intercommunalités de France fait le constat du « retrait des chambres consulaires sur un certain nombre de sujets : elles se posent plutôt comme un prestataire de services, font beaucoup de formation, apportent du soutien aux territoires sur des sujets précis ».
CCI France note toutefois que « l'ingénierie des chambres de commerce et d'industrie s'est technicisée en dépit d'un contexte de diminution des moyens financiers afin :
- d'accompagner les mutations du droit de l'urbanisme, du droit commercial ou du droit de l'environnement : rôle du Centre de formation du développement durable et de l'environnement de CCI France, pour la montée en compétence et l'appui à l'État et aux collectivités en matière d'économie circulaire, de dépollution, de gestion des risques industriels, etc. ;
- de contribuer, dans le cadre du Fonds européen de développement régional (FEDER), à des projets soutenant le développement économique, l'innovation, la transition écologique et l'internationalisation des entreprises, en partenariat avec des acteurs publics locaux. Actuellement, dans le cadre de la programmation 2021-2027, les CCI participent à 94 projets, pour un cofinancement total de 34 millions d'euros ;
- d'accompagner les acteurs économiques et en particulier les commerçants dans leur digitalisation et dans l'usage de technologies comme l'IA ;
- de gérer des conventions de revitalisation dans de nombreux départements, ce qui permet de faire bénéficier de la vision 360° dont dispose la chambre au territoire et aux salariés concernés ».
Bonne pratique - la complémentarité entre l'ingénierie déployée par la CCI du Grand Hainaut et celle mise en oeuvre par la ville de Valenciennes en matière de foncier commercial L'exemple de la CCI du Grand Hainaut, dans les Hauts-de-France, illustre parfaitement cette complémentarité : « pour répondre à la demande de la ville de Valenciennes, la CCI a répondu à un appel d'offres pour exploiter une foncière commerciale, qu'elle a remporté. La foncière est possédée par une société par actions simplifiée (SAS) au capital de 600k€, créée par la CCI, qui a donc investi dans la foncière. Les achats de locaux commerciaux (une vingtaine) ont été réalisés par de l'emprunt bancaire (60 %) et un co-financement de la collectivité (40 %). La SAS et la CCI s'occupent ensuite de tout le processus visant à redynamiser certaines rues préidentifiées en amont par la collectivité : repérer les locaux, acheter/préempter (la collectivité leur a délégué ce droit pour certaines rues), installer les commerçants et les accompagner ensuite si besoin. Sur la base des résultats positifs, la commune de Maubeuge vient de confier la gestion de sa foncière à la CCI. D'autres communes du territoire sont également intéressées, mais, compte tenu de la quantité des projets, la CCI aura besoin de partenaires pour rentrer au capital. Le soutien d'acteurs comme la Banque des Territoires s'avère alors crucial pour permettre à ces foncières d'augmenter le volume d'actifs géré ». |
5. La montée en puissance des acteurs privés de l'ingénierie territoriale, au détriment de l'ingénierie publique ?
Confrontées à la complexification croissante des enjeux du développement économique, au déficit de compétences ou d'expertise en interne, aux problèmes de recrutement et de turnover des équipes, au manque de temps, à la raréfaction des moyens, etc., les collectivités territoriales ont de plus en plus tendance à recourir à des prestations de conseil externalisées auprès de différentes structures : cabinets de conseils, cabinets d'audit, assistance à maîtrise d'ouvrage, maîtres d'oeuvre, cabinets d'architectes, urbanistes, économistes de la construction, etc.
Le cabinet de conseil et d'audit EY51(*) indique qu'en matière d'ingénierie locale, l'objectif est d'« apporter une réponse aux besoins des collectivités pour concrétiser leurs projets. Ces projets peuvent concerner l'exercice de plusieurs de leurs compétences. C'est toutefois sur le champ du développement économique que nous sommes le plus actifs. Cette réponse doit pouvoir être apportée à toutes les échelles territoriales qui sont diversement dotées en termes d'expertises et de ressources humaines ».
Les collectivités sollicitent généralement le cabinet EY pour son ingénierie du développement économique, qui peut alors mobiliser ses experts économiques, techniques, juridiques et financiers en fonction du niveau d'expertise attendu ou de la phase du projet, par exemple :
- animation de collectifs d'acteurs ;
- une expertise stratégique pour construire des feuilles de route stratégique ;
- une expertise de concertation pour coconstruire avec toutes les parties prenantes des politiques publiques ;
- une expertise financière ;
- une expertise foncière et immobilière pour construire une offre adaptée aux besoins des territoires ;
- une expertise de maîtrise d'ouvrage pour piloter la concrétisation de projets d'investissement ;
- une expertise de maîtrise d'oeuvre pour réaliser certains projets en direct.
L'ingénierie apportée par le cabinet EY aux collectivités territoriales qu'il a accompagnées a permis de structurer différents outils, par exemple : des agences économiques, des fonds d'investissement régionaux, des sociétés de tiers financement, une agence d'énergie, un incubateur d'entreprises, des foncières publiques et privées.
Bonne pratique : l'accompagnement de la région Sud-PACA par le cabinet EY « Parmi nos références les plus marquantes et les plus structurantes, notre action auprès de la région SUD PACA pourrait être citée. En effet, la région a structuré et concentré son action économique autour des Opérations d'intérêt régional (OIR) qui intègrent, sur 8 filières stratégiques, toute sa chaîne de soutien au développement économique : aides aux entreprises, animation des filières, appui en ingénierie pour les projets structurants de chaque OIR, recherche de financements alternatifs et privés et organisation de comités d'ingénierie financière tous les 6 mois pour mobiliser toute la place financière. Depuis 2016, cette dynamique a permis d'accompagner 177 projets structurants, sécuriser près de 1 milliard d'euros de financements publics et privés, dont 6 % de financement régional. Pour réaliser ses objectifs, la région a mis en place une offre d'ingénierie économique, juridique et financière à destination des porteurs de projets afin d'accélérer la concrétisation de leur projet dès qu'ils sont jugés stratégiques par une gouvernance de filière. Cet appui est délivré par un consortium intégrant son agence de développement économique Rising Sud et un groupement de conseils dont nous sommes mandataires. Ce modèle a démontré son efficacité tant par ses indicateurs de performance économique que par le transfert de compétences et d'expertises réussi entre les divers conseils, les agents de la région et son agence Rising SUD ». |
Néanmoins, certains acteurs comme CCI France font
le constat « d'un recours croissant à
l'ingénierie privée au détriment de l'ingénierie
publique ». Paradoxalement, « c'est
notamment le cas de l'ingénierie mise à disposition par les
acteurs nationaux comme l'ANCT et la Banque des Territoires, qui n'ont pas
nécessairement référencé l'offre
d'ingénierie de certains acteurs, comme les CCI, au profit de cabinets
privés », ce qui peut notamment s'expliquer par la
logique des « appels d'offres nationaux, qui privilégient
des acteurs centralisés comme les cabinets privés au
détriment de la diversité de l'offre d'ingénierie publique
au niveau local ». Pour CCI France, « cette
ingénierie privée nationale soulève toutefois plusieurs
questions : elle peut être localisée hors du
territoire et ne pas connaître les acteurs locaux, ce qui les
amène à s'appuyer sur les acteurs publics existants comme les
CCI, et elle n'entraîne pas une dynamique territoriale de long
court. Lorsque les missions d'appui en ingénierie prennent fin
[...], les cabinets privés ne restent pas sur le territoire et
les liens et l'expertise acquise ne bénéficient pas sur
le long terme au territoire, contrairement à des missions
confiées à des acteurs du territoire ».
Certains cabinets de conseil essaient de répondre au besoin de sur-mesure et d'accompagnement sur le long terme des collectivités territoriales. C'est par exemple le cas du cabinet Rouge vifs territoires, qui « accompagne les collectivités locales dans la définition et la mise en oeuvre de leurs stratégies de développement. Son expertise s'étend à l'ingénierie territoriale, intégrant des solutions innovantes et collaboratives pour répondre aux enjeux contemporains des territoires, tels que la transition écologique, l'attractivité économique, et la concertation citoyenne ». Le cabinet veille en particulier à proposer aux collectivités territoriales « un travail sur mesure permettant d'accompagner les élus et les techniciens dans la définition, la structuration, et la mise en oeuvre de leurs projets, tout en impliquant les acteurs locaux et en assurant leur durabilité économique, sociale, et environnementale ».
6. Les acteurs de l'ingénierie financière territoriale
Les collectivités territoriales sont amenées à solliciter de l'ingénierie financière et technique auprès d'organismes bancaires et financiers, publics ou privés, pour permettre le financement et le développement de leurs projets économiques.
Parmi les acteurs concernés, on peut citer : la Caisse des dépôts, la Banque des territoires, l'Agence France locale, la Banque publique d'investissement, la Banque postale, Business France, etc.
Focus : l'ingénierie territoriale de la Banque des territoires La Banque des territoires (BDT) est issue de la fusion de
plusieurs directions de la Caisse des dépôts et consignation (CDC)
en 2018, sans être une filiale de la En matière d'ingénierie territoriale, la Banque des territoires propose différents services comme le cofinancement d'études ou de diagnostics, des analyses comparées, de l'assistance à maîtrise d'ouvrages, par exemple en matière de revitalisation des centres-villes, d'accélération de la transition écologique ou de développement du tourisme. Elle accompagne les collectivités territoriales dans le cadre des programmes nationaux Action coeur de ville, Petites villes de demain, Territoires d'industrie, Avenir montagnes, France ruralités, en lien avec l'ANCT. Dans son rapport de 2022 consacré à la Banque de territoires52(*), la Cour des comptes constate toutefois « des synergies limitées entre les différents métiers de la BDT » et relève que « la diversification des investissements fait apparaître des risques de chevauchement avec Bpifrance53(*) et le groupe La Poste ». |
On le voit, la multiplicité et l'hétérogénéité des acteurs publics et privés de l'ingénierie du développement territorial rend difficile la compréhension du « qui fait quoi » et peut désorienter les entreprises en recherche d'accompagnement, qui ne savent plus vers quel interlocuteur se tourner et quel dispositif mobiliser. Il est pour cela préconisé de systématiser la structuration des administrations déconcentrées de l'État, des collectivités territoriales, et de leurs opérateurs, en guichets et/ou réseaux pour permettre d'orienter les entreprises vers l'interlocuteur compétent. L'élaboration de guides ou de cartographie des ressources d'ingénierie territoriales, sur le modèle des guides élaborés par département sous l'impulsion de l'ANCT, listant les structures, missions, ressources, financements, contacts utiles, etc., aurait une valeur ajoutée.
Recommandation n°5 : orienter les entreprises vers l'interlocuteur compétent · Systématiser la structuration des administrations déconcentrées de l'État, des collectivités territoriales, et de leurs opérateurs, en guichets et/ou réseaux pour permettre d'orienter les entreprises vers le bon niveau de collectivité territoriale ou vers l'opérateur compétent en matière de développement économique. · Généraliser l'élaboration de guides ou cartographies des ressources d'ingénierie territoriale en matière de développement économique, sur le modèle des guides élaborés par département sous l'impulsion de l'ANCT (listant les structures, missions, ressources, financements, contacts utiles, etc.). |
Au-delà des constats sur le développement de ces ingénieries multiformes, il convient de regarder comment les collectivités territoriales s'efforcent de mobiliser efficacement leurs ressources d'ingénierie au service d'un développement économique plus durable des territoires.
II. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES S'EFFORCENT DE MOBILISER AVEC EFFICACITÉ LEURS RESSOURCES D'INGÉNIERIE AU SERVICE D'UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DURABLE DES TERRITOIRES
Paradoxalement, la multiplicité des opérateurs de l'ingénierie du développement économique peut générer des doublons d'ingénierie ou à l'inverse un déficit d'ingénierie dans les territoires moins dotés qui en ont pourtant le plus besoin. Le système dans son ensemble manque de cohérence et gagnerait à être simplifié et rationalisé. On constate toutefois certaines nouvelles dynamiques d'ingénierie mobilisée par les collectivités territoriales qui tendent vers le même objectif de développement économique des territoires plus durable et résilient aux crises.
En effet, les auditions ont permis d'identifier de nombreux exemples où les ingénieries mobilisées, qu'elles soient publiques ou privées, concourent à créer des synergies entre les acteurs du développement économique, au bénéfice d'un écosystème plus cohérent, efficace et résilient.
Ces exemples pourront être une source d'inspiration pour d'autres collectivités territoriales. Vos rapporteurs se sont attachés à comprendre les conditions de réussite d'un développement économique performant et durable en examinant à la fois les conditions propres à l'ingénierie (endogènes), mais aussi les conditions qui lui sont extérieures (exogènes).
A. LES NOUVELLES DYNAMIQUES DE L'INGÉNIERIE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : VERS UN ÉCOSYSTÈME PLUS COHÉRENT ET DURABLE
1. Retrouver la maîtrise du foncier pour privilégier des projets durables pour l'emploi, l'économie et la société
(1) Les difficultés liées à la raréfaction du foncier
L'AMF rappelle que « le foncier, c'est la première étape du développement, qui permet ensuite de faire du logement ou des zones d'activité ». Or, dans le contexte du ZAN et de la raréfaction du foncier économique, il importe aux collectivités territoriales de pouvoir retrouver la maîtrise de leur foncier, et en particulier de leur foncier économique.
Après un mouvement historique de vente du foncier
public au secteur privé, certes générateur de recettes
à court terme, mais qui entraîne une perte de maîtrise du
foncier, certaines collectivités territoriales ont voulu cesser de se
départir de la propriété de leur foncier pour en retrouver
la maîtrise et rendre plus cohérent le développement
économique de leur
territoire. L'Eurométropole de Strasbourg
précise qu'« une fois qu'on a vendu le foncier, on ne
maîtrise plus rien ; certes, il y a l'outil du PLUi54(*), qui permet en cas de revente
du foncier de prescrire de l'activité économique plutôt que
de l'habitat, mais sans contrôle sur la nature de l'activité
économique du futur repreneur ».
(2) L'émergence de nouvelles stratégies et outils fonciers
On voit donc émerger de nouvelles stratégies et de nouveaux outils d'ingénierie du foncier.
La communauté de communes des Luys en Béarn (Pyrénées-Atlantiques) a ainsi préféré substituer à des stratégies de cessions foncières la pratique du bail à construction, qui lui permet de retrouver la maîtrise de la gestion des zones d'activité et le contrôle de sa politique d'immobilier d'entreprises.
Bonne pratique : le bail à construction - Communauté de communes des Luys en Béarn La communauté de communes des Luys en Béarn (Pyrénées-Atlantiques) est composée de 66 communes pour moins de 30 000 habitants. Précurseur dans l'exercice de la compétence développement économique au niveau intercommunal, elle a déployé une ingénierie singulière : la pratique du bail à construction comme outil de gestion de commercialisation des zones d'activité, alors qu'en général le foncier est plutôt commercialisé sous forme d'un crédit-bail immobilier. 1. Le bail à construction Cette pratique du bail à construction est
née d'une particularité historique. Les terrains propices
à l'aménagement des premières zones étaient la
propriété des communes de la vallée d'Ossau, donc en
dehors du territoire. Ces terrains, historiquement utilisés par les
bergers, sont devenus la propriété des communes
extérieures au territoire qui les gèrent en syndicat de
co-propriétaires. Plutôt que de vendre ces terrains, les communes
hors et du territoire ont monté un partenariat consistant à
proposer des baux à construction sur une durée de Le bail à construction comporte de nombreux avantages : - il permet de faciliter le lancement de projets, grâce aux économies liées au non-achat de foncier. De plus, le montant des loyers est affecté aux charges de l'entreprise, ce qui est fiscalement intéressant et favorise le fléchage des investissements vers les moyens de production ; - il a permis d'anticiper les extensions, car les entreprises ont plutôt opté pour des baux couvrant des surfaces importantes comparées à leurs besoins immédiats. L'extension d'activité a pu être absorbée sans difficulté, le foncier étant déjà présent ; - il est un outil souple qui permet, via des
avenants à l'initiative de l'industriel ou de la communauté de
communes, d'adapter le périmètre foncier aux besoins de
l'entreprise, soit pour réduire la charge du loyer, soit pour
augmenter la surface. Par exemple, la révision des baux Plus précisément, les entreprises paient un loyer annuel à la collectivité, calculé sur un prix fixe au mètre carré, afin de faciliter la lisibilité. Le loyer couvre les annuités d'emprunt supportées par la communauté de communes pour l'aménagement de la zone, et un montant qui est reversé à la commission syndicale des communes de la vallée d'Ossau. La fiscalité économique est affectée à l'intercommunalité, moins un intéressement (8 % environ) versé aussi aux communes de la Valée d'Ossau. Ce qui pouvait être considéré comme un handicap financier au départ s'est transformé en avantage concurrentiel. Aujourd'hui, environ un tiers du foncier économique de la communauté de communes est géré par le biais de baux emphytéotiques. La communauté de communes importe ce modèle sur des terrains qu'elle possède au regard de ses effets positifs. Un travail de pédagogie et d'acculturation au dispositif a été nécessaire pour dépasser une vision patrimoniale traditionnelle. 2. La politique d'immobilier d'entreprises : le crédit-bail immobilier La communauté de communes Luys en Béarn utilise aussi des investissements immobiliers en direct et se positionne comme maître d'ouvrage sur le projet immobilier. Dans ces cas, elle est à la fois aménageur, constructeur et banquier avec un fonctionnement semblable au crédit-bail immobilier. À titre d'exemple, pour l'entreprise Gaz System55(*), la communauté de communes a proposé un terrain en bail à construction dans la zone d'activité, porté la maîtrise d'ouvrage de la construction des bâtiments de l'entreprise, ce qui a permis d'obtenir une subvention de l'État (du FNADT56(*)). La communauté de communes a travaillé avec l'entreprise pour définir le besoin et réaliser le programme de construction avec un maître d'oeuvre (architecte). Le loyer mensuel payé par l'entreprise permet de rembourser le reste à charge de l'opération portée par la collectivité (coûts - subventions). Si l'opération est blanche pour la communauté de communes à terme, c'est elle qui prend le risque en cas de défaillance de l'entreprise. Aussi, la collectivité utilise cet outil lorsque les industriels n'ont pas de besoins trop spécifiques. Car en cas de défaillance, elle récupère le bâtiment, peut le revendre, proposer un bail classique ou même repartir sur un nouveau crédit-bail immobilier. La polyvalence du bâtiment est alors un critère important de sa remise sur le marché. Cette ingénierie du crédit-bail immobilier permet de créer de la confiance et d'ancrer l'entreprise sur le territoire. |
D'autres stratégies et outils ont été développés par les collectivités territoriales, par exemple : des outils de portage du foncier économique via des sociétés publiques foncières, des stratégies de foncier pré-aménagé, le recours à l'urbanisme négocié avec les aménageurs en matière de planification urbaine, des exigences en matière de réversibilité des usages notamment du foncier et du bâti, l'occupation temporaire des friches dans l'attente de leur aménagement. S'agissant des friches, l'État propose d'ailleurs, dans le cadre du Fonds vert, un dispositif de financement du recyclage foncier des friches, qui permet d'aider les collectivités territoriales à faire face aux coûts importants liés aux opérations de dépollution et de remise en état des terrains en vue de leur aménagement pour la réalisation d'activités, de logement, d'équipements, d'espaces publics, ce qui contribue à redonner à la puissance publique la maîtrise du foncier.
Retrouver la maîtrise du foncier passe aussi par la volonté de la puissance publique de réguler les usages, dans le respect de la propriété privée, mais en tendant à un aménagement cohérent du territoire aux regards des enjeux de réduction de l'artificialisation des sols. À cet effet, la communauté de communes de Champagnole-Nozeroy (Jura) propose une solution pour l'aménagement foncier intercommunal et communal (SAFIC), inspirée du modèle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER)57(*), mais propre au contexte foncier urbain et périurbain.
Bonne pratique : la solution pour l'aménagement foncier intercommunal et communal proposée par la communauté de communes de Champagnole-Nozeroy La SAFIC se veut un outil innovant et opérationnel « qui allie développement économique, protection de l'environnement et contrôle public du foncier ». Il s'agit « d'introduire des mécanismes d'intervention proactive qui permettent de réguler l'usage du foncier, de lutter contre la spéculation et de garantir un aménagement du territoire cohérent face aux contraintes de réduction de l'artificialisation », sans porter atteinte à la propriété privée, mais en instaurant un dialogue renforcé avec les acteurs privés. Parmi les leviers qui pourraient être activés par la SAFIC : - un usage raisonné du droit de préemption, ciblé sur du foncier stratégique ou économique, limité à certaines zones définies dans les documents d'urbanisme ; la création de servitudes pour encadrer les usages futurs en cas de vente ou de transfert de la propriété ; - le recours à des mécanismes alternatifs à la préemption : les baux de long terme (baux réels immobiliers, baux à construction), les obligations réelles environnementales (à l'initiative des propriétaires), les conventions d'utilisation temporaires (particulièrement adaptées aux friches), la création d'une taxe sur les terrains sous-utilisés ; - le recours à des mécanismes incitatifs : mise en place d'un avantage fiscal pour les propriétaires s'engageant à maintenir une activité d'intérêt général ou à réorienter l'usage de leur terrain (ex : exonération partielle de taxe foncière) ; subventions à la reconversion des terrains ; - l'instauration d'un droit de regard de la collectivité en cas de changement de destination d'un terrain via les documents d'urbanisme ; mise en place des clauses de réversion ou des obligations de concertation préalable ; - la création d'un marché foncier régulé par la puissance publique, pour aider à la reprise des terrains ou des locaux par des porteurs de projets d'intérêt général ; les prix des terrains stratégiques pour la collectivité pourraient être encadrés, en utilisant des fonds publics pour stabiliser les prix et éviter la spéculation. La solution présente l'avantage de ne pas créer de nouvelle structure, mais de s'appuyer sur l'existant, en mutualisant les ressources existantes (intercommunalité, SAFER, établissement public foncier, entreprises publiques locales). La gouvernance serait pilotée à deux niveaux : à un niveau stratégique, par une conférence des présidents d'EPCI concernés, pour garantir la cohérence territoriale et éviter les concurrences entre territoires ; à un niveau opérationnel, par chaque EPCI. À noter que pour pouvoir être mise en oeuvre, la SAFIC nécessiterait toutefois des adaptations législatives préalables, notamment s'agissant du code de l'urbanisme, du code général des collectivités territoriales et du code général des impôts. Source : direction de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, communauté de communes de Champagnole-Nozeroy |
Enfin, la raréfaction du foncier conduit certaines collectivités à sélectionner les projets qualitatifs à même de s'insérer dans l'écosystème existant. L'Eurométropole de Strasbourg « réserve le peu de foncier qui reste pour accueillir des activités qui sont complémentaires de l'écosystème déjà mis en place, avec un critère du nombre d'emplois au mètre carré, qui fait qu'on ne va pas accueillir des activités qui occupent beaucoup de terrain, mais avec peu d'emplois, ce qui n'aurait pas de sens ».
2. Repenser le modèle économique et industriel
(1) Faire de la raréfaction du foncier une opportunité pour réduire l'empreinte carbone
La raréfaction du foncier économique conduit les collectivités territoriales et les entreprises à repenser les processus économiques et industriels.
En effet, certaines collectivités territoriales utilisent la contrainte de la rareté du foncier économique comme une opportunité pour repenser les processus industriels ou améliorer la qualité de l'écosystème.
L'APVF relève qu'« en France, on imagine toujours les usines à l'horizontale ; or, dans le monde, il y a des usines sur plusieurs étages ». Il existe toutefois des exemples en France, par exemple la cimenterie bas carbone Hoffmann Green en Vendée, qui utilise la verticalité et la gravité pour optimiser les processus industriels de son usine H2, grâce à un système de silos compartimentés : les matières premières stockées dans les étages supérieurs tombent dans un mélangeur, puis le ciment obtenu est injecté vers les compartiments stockage, qui permettent de remplir les camions stationnés au niveau des quais de chargement. L'entreprise réduit son empreinte foncière grâce à sa tour verticale H2 et réduit son empreinte carbone du fait des économies d'énergie.
(Source : cimenterie bas carbone - Vendée - (c)Hoffmann Green)
La raréfaction du foncier conduit aussi à
privilégier l'aménagement et la construction
durable, avec une préférence pour la
réhabilitation du bâti existant ou la réorientation des
usages (activité économique vers du logement par exemple)
plutôt que d'encourager la démolition/reconstruction ou favoriser
l'étalement urbain. Le développement d'une filière
BTP durable appliquant les principes de l'économie
circulaire, va dans ce
sens : optimisation des ressources,
utilisation de matériaux durables, recyclage et valorisation des
déchets. Les pactes bois-biosourcés en sont une
déclinaison.
Bonne pratique - les pactes bois-biosourcés L'association Fibois France fédère les acteurs de la filière forêt-bois. Dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, qui vise à réduire les émissions de gaz à effets de serre et à atteindre la neutralité carbone d'ici 2025, Fibois France agit en faveur de la décarbonation du secteur du bâtiment en développant les pactes bois-biosourcés. En effet, le bois, comme les autres matériaux biosourcés (chanvre, paille, liège, lin, résine, etc.) utilisés dans la construction ou la réhabilitation des bâtiments, est faiblement émetteur et permet de séquestrer le CO2. Les pactes bois-biosourcés sont des outils contractuels élaborés par Fibois France et mis à disposition des maîtres d'ouvrage publics ou privés pour les encourager à massifier les mètres carrés d'emploi de bois dans le cadre de leurs opérations d'aménagement et de construction (bois pour les surfaces de planchers et les structures, fibres de bois pour l'isolation). |
(2) Mieux structurer les filières pour créer du développement économique tout en tenant compte des limites planétaires
Les collectivités territoriales ont développé des stratégies pour organiser et structurer des filières sur leur territoire dans le but de créer du développement économique (activité, emplois) tout en tenant compte des enjeux de développement durable.
Le CNER incite à filiariser
l'économie, c'est-à-dire à accompagner
l'écosystème pour qu'ils se constituent en
filières économiques et que le territoire puisse
accueillir l'ensemble des entreprises qui interviennent dans le processus de
production, de la matière première au produit final, en passant
par toute la supply chain (y compris le stockage, la
logistique, la formation, etc.). C'est par exemple le cas de la
filière nautisme en région Occitanie58(*), qui présente
une chaîne de valeur complète regroupant 1 200 entreprises,
2 000 emplois, 45 métiers (conception, construction,
maintenance, services associés, etc.). La filière permet à
tout l'écosystème de se développer et de créer
des synergies, par exemple s'agissant de la production de multicoques :
conception, construction sur les chantiers navals (La Grande Motte,
Canet-en-Roussillon) mêlant savoir-faire traditionnel et technologies de
pointe, équipementiers, maintenance, services associés,
formation, export,
etc. L'activité économique nautique
participe ainsi de l'économie bleue régionale, qui promeut le
développement durable de la filière en activant les leviers
de l'économie circulaire (réutilisation du matériel de
glisse et de voile pour prolonger la durée de vie des équipements
sportifs), de la décarbonation (moteurs 100 % électriques)
et des usages écoresponsables pour préserver la
biodiversité marine en Méditerranée (sensibilisation des
usagers).
La communauté d'agglomération Caux Seine Agglo (Seine-Maritime) a quant à elle su se doter des outils d'ingénierie pertinents, notamment via une société publique locale, pour diversifier les filières économiques et décarboner la filière historique de la pétrochimie.
Bonne pratique - le développement d'une filière de chimie décarbonée par la communauté d'agglomération Caux Seine Agglo La communauté d'agglomération Caux Seine Agglo regroupe 50 communes et 78 000 habitants. Le territoire de Caux se caractérise par une histoire industrielle liée à la pétrochimie (36 % du PIB) avec des acteurs comme Exxon Mobil. L'annonce d'Exxon de se désengager de ses activités pétrolières sur le site de Port-Jérôme - les activités de raffinage étant maintenues - menace de destruction plus de 600 emplois et soulève des enjeux en termes de dépollution des sols et de démontage de l'outil industriel. Ces mutations industrielles ont conduit le territoire à diversifier son tissu économique en développant différentes filières économiques et en accueillant des projets innovants. La communauté d'agglomération, en s'appuyant sur l'ingénierie de la société publique locale Caux Seine Développement, a par exemple engagé un travail de développement d'une filière de chimie décarbonée, avec l'implantation des sociétés Eastman (recyclage des plastiques difficiles à valoriser) et Futerro (production de bioplastique). D'autres pôles économiques et industriels ont été constitués autour de l'hydrogène (avec la création de la première unité européenne de production massive d'hydrogène décarboné portée par la société Air Liquide) ou encore de la santé (avec la fabrication de molécules pour le groupe Servier). |
Dans le cadre des accords de réplicabilité passés entre la métropole de Toulouse et l'Eurométropole de Strasbourg, l'élaboration d'une feuille de route sur l'économie circulaire du BTP a vocation à structurer la filière du BTP durable et à animer l'écosystème pour permettre le recyclage et le réemploi de matériaux dans le secteur du BTP : « c'est une façon de créer de l'emploi et du développement économique, en tenant compte des limites planétaires ».
(3) Accompagner l'innovation
La vitalité du tissu économique d'un
territoire dépend de sa capacité à innover et à
créer de l'activité. Les collectivités territoriales se
sont progressivement dotées d'outils d'ingénierie permettant
l'accompagnement de l'innovation, en particulier s'agissant des projets de
création
d'entreprises. Des structures d'accueil pilotées par
la puissance publique comme des hôtels ou incubateurs
d'entreprises ou de start-up offrent un panel de
services (hébergement, formation, conseil, aides, financements) et
jouent un rôle essentiel dans la maturation des projets
innovants.
Le principal écueil pour les start-ups reste toutefois l'accès au financement. Dans son étude de juillet 2024 sur la situation financière de start-ups en 202359(*), la Banque de Franc relevait que : « Le profil des start-ups défaillantes se caractérise par une absence de fonds propres, la présence de lourdes pertes, la faiblesse de leur trésorerie ».
Par ailleurs, l'innovation peut non seulement concerner
le développement économique, mais aussi d'autres formes de
développement : innovation sociale, innovation culturelle,
innovation environnementale, etc. La création de
tiers-lieux avec le soutien des collectivités
territoriales (mise à disposition de foncier ou de locaux, financements)
permet de créer des dynamiques de coopération et d'innovation
économique et sociale en ouvrant des espaces d'expérimentation et
d'initiative ouverts aux acteurs publics, aux acteurs privés et aux
citoyens, ayant pour finalité le développement plus durable du
territoire. C'est le cas du Solilab, un tiers-lieu de
l'économie sociale et solidaire à Nantes.
Bonne pratique - Le Solilab, tiers-lieux de l'économie sociale et solidaire à Nantes Situé sur l'île de Nantes, sur une ancienne friche industrielle, le Solilab est un tiers-lieu dédié à l'économie sociale et solidaire, soutenu par Nantes Métropole et l'association Ecossolies. Espace de travail mutualisé, il regroupe 140 activités de l'économie sociale et solidaire, qui se développent en bénéficiant d'un loyer abordable et de services dédiés. Le tiers-lieu, ouvert à tous, propose différents services au public : un magasin de réemploi, un marché paysan, un café-restaurant, l'organisation d'évènements. Le lieu est géré au quotidien par la société coopérative d'intérêt collectif Lieux communs. Source : https://www.ecossolies.fr/solilab/ |
(4) Favoriser la transition numérique
Le développement économique ne peut désormais plus s'envisager sans les nouveaux usages du numérique, qu'il s'agisse du développement de l'économie 2.0, de l'émergence des villes connectées (smart cities), ou du recours croissant à l'intelligence artificielle.
En effet, l'ingénierie territoriale doit intégrer les nouveaux usages de l'intelligence artificielle, par exemple s'agissant du recours aux jumeaux numériques au service du développement des territoires. Dans son rapport d'information n°447 (2024-2025)60(*) relatif à l'intelligence artificielle dans l'univers des collectivités territoriales, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation mettait en avant l'initiative du CEREMA, pourvoyeur d'une ingénierie IA en soutien des collectivités territoriales : « En lien avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), la mission Accélérema a également vocation à faciliter l'accès à ces nouveaux outils que sont les jumeaux numériques 3D au service des territoires. On parle de jumeau numérique à propos d'une représentation virtuelle de la réalité (notamment des objets physiques, des processus et des relations). Ce type de dispositif a vocation à entraîner de l'IA générative au profil des territoires : gestion de la forêt, des risques climatiques, du recul du trait de côte... ».
Bonne pratique - les jumeaux numériques L'appel à communs pour la conception du jumeau numérique de la France et de ses territoires, lancé en 2024 par l'IGN, le CEREMA et l'INRIA61(*), souligne que : « Les transitions écologique, climatique, énergétique ou encore agroalimentaire auxquelles nous devons faire face demandent des décisions en matière d'adaptation des pratiques ou d'aménagement de notre territoire qui soient rapides, robustes et étayées par des analyses éclairées. Elles placent les politiques de gestion du territoire face à des défis inédits ». Le jumeau numérique de la France et de ses territoires aura pour objectif de « cartographier le futur du territoire selon différents scénarii d'action publique et d'évolution des conditions climatiques » et « facilitera la construction d'outils d'aide à la décision (politiques publiques) et d'intermédiation (pour éclairer le débat démocratique) en mobilisant notamment des modèles de simulation ». Il permettra de « suivre et anticiper les effets du changement climatique sur le territoire, grâce à des modèles de simulation et de prévision ; de simplifier la prise de décision, en offrant un outil d'analyse systémique (intégrant des facteurs environnementaux, économiques, réglementaires) ». Parmi les cas d'usage prioritaires cités, on peut notamment relever la planification écologique et l'aménagement durable des territoires : « L'aménagement du territoire doit prendre en compte de plus en plus d'enjeux et répondre aux besoins des populations en préservant les ressources naturelles (biodiversité, sols...). Face à ces enjeux, l'optimisation du foncier nécessite par exemple de repenser les pratiques d'aménagement. Le Jumeau numérique de la France et de ses territoires permettra d'éclairer les politiques publiques liées à la planification écologique des territoires et à leur aménagement durable. Il permettra, par exemple, de croiser différentes dimensions de l'aménagement - cadre réglementaire, densification urbaine, gestion de la nature en ville, mobilité multimodale, accès aux services publics. En tenant compte des spécificités de chaque territoire, il permettra de mieux étendre les solutions éprouvées localement ». |
(5) Mieux articuler l'urbain et le rural
Territoires urbains et territoires ruraux sont souvent,
à tort, opposés. Auditionnée le 8 avril 2025 par la
délégation sénatoriale aux collectivités
territoriales et à la décentralisation, Françoise Gatel,
ministre déléguée chargée de la ruralité
rappelait que « le sort des villes et des campagnes est
lié ». En effet, il y a des enjeux de
réciprocité entre les territoires urbains et la
ruralité : 30 % des industries françaises sont
situés en territoires ruraux ; la ruralité nourrit la
ville ; mais pour se développer, la ruralité
« doit disposer d'une armature urbaine ».
Le cabinet de conseil Rouge vif territoires
propose de développer des territoires d'agriculture sur
le modèle des territoires d'industrie, avec parmi les propositions,
celle de « créer une dynamique de coopération
entre
territoires : encouragement des échanges entre territoires
urbains et ruraux dans le cadre de contrats de réciprocité
ville-campagne ; promouvoir des filières courtes et des circuits
locaux pour renforcer les liens économiques et sociaux entre les zones
agricoles et les bassins de consommation ».
3. Engager la transition écologique et sociale des territoires
Engager la transition écologique et sociale des territoires nécessite de se doter des stratégies et outils d'ingénierie adaptés. C'est précisément l'objet du programme de recherche-action Rebonds initié en 2023 par l'association La 27e région, qui s'interroge sur « comment réorienter les politiques de développement économique locales vers des priorités de transition écologique et de justice sociale ?».
(1) Développer une approche systémique et impliquante de la transition écologique et sociale du territoire
Parmi les nombreux leviers identifiables ressort l'idée de mettre en place une approche systémique de la transition écologique et sociale, qui implique tous les acteurs économiques du territoire. L'Eurométropole de Strasbourg propose un Pacte pour une économie locale durable pour « réussir la transformation écologique, sociale et démocratique sur le territoire de l'Eurométropole de Strasbourg, dans le respect des objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations Unies » et « fédérer les acteurs économiques qui s'engagent dans des démarches responsables et de transitions (écologique, sociale, numérique) au bénéfice du territoire et du tissu économique local ». Le Pacte est piloté par des instances partenariales impliquant les entreprises et les acteurs socio-économiques dans la définition des objectifs et des actions à mettre en oeuvre. Les indicateurs du baromètre du Pacte permettent de mesurer les progrès collectifs.
(2) Le recours à la contractualisation en matière de planification écologique
La contractualisation apparaît
également comme un outil efficace pour engager la planification
écologique. Les contrats pour la réussite de la
transition écologique (CRTE), initiés en 2020 et
relancés en 2024 sont pilotés par l'ANCT et
déclinés localement par les préfets en concertation avec
les élus locaux. Ils sont signés pour 6 ans entre l'État
et les collectivités territoriales pour faciliter la relance
économique, la transition écologique et la cohésion des
territoires à l'échelle du bassin de vie. En 2020, sur les 853
périmètres
définis, 80 % l'étaient
à l'échelle intercommunale, 20 % à l'échelle
pluri-intercommunale. Les CRTE ont pour objet de mettre en place une
gouvernance locale partagée et de traduire les projets
stratégiques des collectivités territoriales en plans
d'action opérationnels pour atteindre les objectifs de
transition écologique d'un territoire. Il permet aussi de disposer de
moyens financiers et de mobiliser les ressources
d'ingénierie disponibles des opérateurs de l'État
(ANCT, agence de la transition écologique,
CEREMA). Il traduit enfin
la volonté de l'État de passer d'une logique verticale d'appels
à projets à une logique plus horizontale de
partenariat avec les collectivités territoriales.
Bonne pratique - Le CRTE du parc naturel régional des Grands Causses Dans ses fiches pratiques consacrées au CRTE, l'ANCT donne l'exemple du CRTE du parc naturel des Grands Causses, qui regroupe cinq communautés de communes : Larzac Vallées, Millau Grands Causses, Muse et Raspes du Tarn, Monts Rance et Rougier et Saint-Affricain, Roquefort, 7 Vallons) : « L'état des lieux des politiques climat-air-énergie et économie circulaire a été réalisé en 3 mois. Cela a permis à chaque communauté de communes d'identifier les points forts et les pistes de progrès, par exemple approfondir la planification pour prévenir et gérer les déchets ou intégrer les enjeux climat-air-énergie dans l'urbanisme. Ces objectifs opérationnels se sont traduits par des actions ciblées, telles que le suivi des consommations de fluides des bâtiments de la collectivité, le photovoltaïque sur toitures des zones artisanales, l'amélioration de la valorisation des déchets organiques et la collecte des biodéchets et la mise en place d'une ressourcerie ». |
(3) Le levier de la commande publique responsable
La commande publique constitue un levier économique important en France : près de 6 % du PIB en 2023 avec plus de 170 milliards de marchés publics, dont 67 % sont passés par les collectivités territoriales et leurs satellites.
La loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, précisée par le décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique, a instauré l'obligation pour les collectivités territoriales réalisant des achats de plus de 50 millions d'euros hors taxes par an, de se doter d'un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER).
L'article L. 2111-3 du code de la commande publique dispose que : « les collectivités territoriales et les acheteurs soumis au présent code dont le statut est fixé par la loi adoptent un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables lorsque le montant total annuel de leurs achats est supérieur à un montant fixé par voie réglementaire. Ce schéma, rendu public, détermine les objectifs de politique d'achat comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l'intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés et des éléments à caractère écologique ainsi que les modalités de mise en oeuvre et de suivi annuel de ces objectifs. Ce schéma contribue également à la promotion d'une économie circulaire ».
Le SPASER permet aux collectivités territoriales d'établir une stratégie d'achat public durable, en fixant des objectifs en matière de transition sociale et écologique, mesurable par des indicateurs, permettant un développement économique plus vertueux et durable du territoire : critères et clauses environnementales et sociales, marchés réservés (par exemple aux entreprises de l'économie sociale et solidaire), pourcentage de produits recyclés ou reconditionnés, volume d'heures d'insertion sur les chantiers, achats innovants, accès des TPE/PME à la commande publique, etc.
Le SPASER deuxième génération de la ville et de la métropole de Nantes (2022-2026)62(*) fixe par exemple, en matière de facilitation de l'accès des TPE/PME à la commande publique : « des objectifs de réduction des délais de paiement, une ouverture plus importante vers les artisans par la mise en place d'un allotissement adapté et une bourse à la co-traitance permettant des réponses groupées ; la mise en place des facilités de paiement avec la généralisation d'une avance maximale à 30 % pour les marchés de travaux, sans production de garantie à première demande pour les marchés inférieurs à 90 000 € ». En matière d'amélioration de la qualité de l'alimentation, le SPASER fixe comme objectifs de : « proposer 100 % de repas faits maison dans les cantines et crèches avec 75 % de produits bio en 2026 ; mettre en place une cantine zéro plastique ; favoriser l'achat de produits de saison et les circuits courts ; favoriser le commerce équitable au sein de la distribution automatique et lors d'éco-évènements ».
4. Recréer du lien entre économie et territoire
Dans son rapport du 15 janvier 202563(*), à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes dresse le bilan des réformes de la fiscalité locale menées entre 2018 et 2023, notamment :
- la suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) entre 2018 et 2023 ;
- la diminution à hauteur des trois-quarts, entre 2021 et 2023, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont le produit résiduel n'est plus affecté aux collectivités territoriales, mais à l'État ;
- la réduction de moitié, en 2021, des bases d'imposition des locaux industriels assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et à la cotisation foncière des entreprises (CFE).
La Cour souligne les conséquences négatives de la déterritorialisation des impôts locaux qui résulte de ces réformes successives de la fiscalité locale, notamment « l'affaiblissement du lien fiscal entre les ménages et les entreprises et les collectivités pourvoyeuses de services publics ». Cette « rupture du lien contributif » est un frein pour l'économie des territoires, car elle déconnecte le financement, par les collectivités territoriales, de leur compétence développement économique, des principaux usagers qui en bénéficient, notamment les ménages et les entreprises, entraînant un moindre encouragement à créer de l'activité économique (construction, logement, transports, etc.).
Focus : Extraits du rapport de la Cour des comptes - « L'évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l'impôt » - 15 janvier 2025 Les dernières réformes de la fiscalité locale avaient pour objectifs de donner du pouvoir d'achat aux ménages et d'améliorer la compétitivité des entreprises. La Cour considère que « ces objectifs ont été atteints, mais avec des effets incertains sur l'activité économique » : « la baisse des impôts de production a accru de 2,4 % l'excédent brut d'exploitation des entreprises », avec « un effet conjoncturel favorable en 2021 », même si « le recul manque pour apprécier son impact sur les investissements des entreprises dans la durée ». De plus, ces réformes « s'accompagnent d'un coût considérable pour les finances publiques et d'une déterritorialisation des recettes des collectivités ». S'agissant des départements et des régions, la Cour relève que « les impôts territorialisés sont devenus minoritaires dans les recettes de fonctionnement des départements (20,1 % en 2023) et des régions (12,1 %) » et fait le constat que « les entreprises ne contribuent plus au financement des régions et des départements, malgré les externalités positives qu'elles retirent de l'exercice par ces collectivités de leurs compétences dans le domaine des transports et, s'agissant des régions, celui de l'économie ». S'agissant des communes et des intercommunalités, la Cour note que « les impôts territorialisés restent majoritaires dans les recettes de fonctionnement des communes et des intercommunalités (54,1 %). En raison de moindres retombées fiscales, les communes sont toutefois moins incitées à accueillir de nouvelles activités et à construire de nouveaux logements. Les locataires de leur logement ne contribuent plus au financement des services publics dont ils bénéficient. La taxe foncière maintient néanmoins ce lien contributif dans la grande majorité des communes, qui comptent plus de propriétaires que de locataires ». |
Par ailleurs, les réformes de la fiscalité locale peuvent créer des inégalités entre les territoires. Intercommunalités de France relève que « les territoires industriels ont plutôt été les perdants de la réforme de la taxe professionnelle, qui générait le produit le plus important ».
Si l'idée de créer un nouvel impôt résidentiel est parfois mise en avant dans le but de retisser du lien contributif, la Cour des comptes, lors de la présentation de son rapport devant la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation le 13 mars 202564(*), a précisé que ce point relève d'un choix politique, en précisant toutefois qu'« on ne voit pas la marge aujourd'hui, dans le contexte actuel, pour recréer un impôt résidentiel ».
La communauté de communes de Champagnole-Nozeroy-Jura, auditionné le 1er avril 2025, partage cet avis en indiquant que « ce n'est jamais une bonne idée de créer une fiscalité nouvelle ou d'accroître la pression fiscale sur les ménages ». Pour autant, elle souligne que d'autres mécanismes pourraient être mis en place, par exemple s'agissant de la taxe sur les plus-values immobilières, qui « n'est pas assez dissuasive et pourrait pour tout ou partie être fléchée sur les territoires pour qu'ils puissent préempter de façon stratégique de nouveaux terrains », sur le modèle de la value capture outre-Atlantique.
B. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE D'UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE TERRITORIAL EFFICACE ET DURABLE
1. Les conditions propres à l'ingénierie
a) Structurer l'ingénierie de la connaissance
Préalablement à tout projet de développement économique, il est important de disposer en amont des connaissances, analyses et données utiles et nécessaires à la compréhension de l'identité d'un territoire : son histoire, sa géographie, ses caractéristiques sociales, ses ressources naturelles, son tissu économique, ses acteurs, ses forces, ses faiblesses, etc.
Les collectivités territoriales, parfois appuyées par les acteurs de l'ingénierie comme les agences de développement ou d'urbanisme, se sont dotées d'un panel d'outils de diagnostic économique territorial : indicateurs, baromètres, cartographies, observatoires, etc. S'il serait vain de vouloir tous les recenser, vos rapporteurs ont néanmoins souhaité mettre en avant des exemples inspirants.
L'Eurométropole de Strasbourg, en lien avec l'agence d'urbanisme de Strasbourg Rhin supérieur (Adeus), a développé une série d'indicateurs de développement économique du territoire strasbourgeois65(*), qui constituent le baromètre du Pacte pour une économie locale durable66(*) précité, démarche qui vise à fédérer les acteurs économiques locaux engagés dans le développement économique durable du territoire. Les indicateurs du baromètre permettent de mesurer la santé économique du territoire :
Bonne pratique : les indicateurs du baromètre du Pacte pour une économie locale durable de Strasbourg Parmi les indicateurs du baromètre, actualisés chaque mois, on peut par exemple trouver : - des données relatives à l'emploi et aux liens économiques : o l'évolution et la répartition par secteur du nombre d'emplois privés ; o le volume en euros des importations et des exportations ; o le nombre de nuitées dans l'hôtellerie ; - des données relatives l'entrepreneuriat, à l'innovation et aux entreprises en difficulté : o le nombre de créations d'entreprises, leur taux de survie à 5 ans ; o le volume en mètre carré des transactions de locaux d'entreprises, par activité : bureaux, locaux d'activité, entrepôts logistiques ; o le nombre de start-up de la French Tech Strasbourg, le nombre de start-up en incubation67(*), le top 10 des levées de fonds de start-up, le nombre de demandes de brevets français ; - des données relatives à l'environnement et à la société : o qualité de l'air, consommations d'énergie finale des activités économiques, consommation annuelle d'espaces naturels, agricoles et forestiers ; o taux de pauvreté, bénéficiaires de l'AAH68(*), écarts de salaire femmes-hommes, nombre d'arrêts maladie ; - des données relatives au marché du travail : o taux de chômage (Strasbourg et district frontalier), demandeurs d'emploi ventilés par critères (catégorie, sexe, âge, niveau de diplôme, QPV, etc.), bénéficiaires du RSA, nombre d'offres d'emplois durables. Exemple du baromètre au 26 mars 2025, onglet « entrepreneuriat, innovation, difficultés » - Source : Eurométropole de Strasbourg |
L'audition de la Fédération nationale des agences d'urbanisme a permis d'évoquer l'outil de la toile industrielle, une approche écosystémique imaginée par l'agence d'urbanisme Flandre-Dunkerque69(*).
Bonne pratique - les toiles industrielles de Dunkerque L'idée de toile industrielle est née au début des années 2000, dans le contexte des incertitudes liées aux perspectives de fermeture de la société sidérurgique historique Sollac, devenue ArcelorMittal en 2006. L'agence d'urbanisme n'était alors pas en mesure de prévoir les conséquences économiques d'une éventuelle fermeture pour le territoire dunkerquois. À l'inverse, elle a été en mesure d'étudier les éventuelles conséquences de la fermeture de la raffinerie Total des Flandres à la fin des années 2000, ce qui a permis de travailler sur la reconversion du site. En effet, la fermeture aurait impacté 17 % du chiffre d'affaires du port et fragilisé les entreprises qui s'étaient implantées sur le territoire à proximité de Total. La toile industrielle, développée dans ce
contexte à partir de 2009, est un outil d'intelligence économique
qui consiste en une représentation schématique de
l'écosystème industriel dunkerquois. L'ensemble des
réseaux, flux, échanges, marchés, interdépendances,
synergies, etc., qui peuvent exister entre les différentes entreprises
implantées sur le territoire est matérialisé, tels les
fils d'une toile d'araignée. La toile comporte une dimension
prospective : elle permet d'identifier les potentiels de
développement territorial et d'anticiper l'impact économique des
scénarii de crise (crise sanitaire, guerre en Ukraine, hausse
des tarifs douaniers, La toile industrielle a connu plusieurs évolutions70(*), notamment une version 3.0. qui améliore la data visualisation et rend l'outil plus interactif : filtres, recherches, visualisations, modélisations, réalité augmentée, serious game. Depuis 2009, l'agence d'urbanisme Flandre-Dunkerque a décliné le concept de toile sur près d'une trentaine de thématiques : toile énergétique, toile de l'eau industrielle, toile de la transition agricole et alimentaire, toile de l'action sanitaire et sociale, y compris une toile de la bière. Un exemple concret illustre les synergies que l'outil de la toile industrielle permet de développer en matière d'écologie industrielle et d'économie circulaire : pour l'installation de sa gigafactory de batteries électriques prévue pour 2025, la société Verkor s'est rapprochée de la société Clarebout, productrice de frites surgelées, pour récupérer son eau industrielle en sortie de process et l'utiliser pour refroidir ses installations. La toile industrielle, dont la marque est déposée, suscite l'intérêt au niveau national, avec plus d'une soixantaine de toiles répertoriées en 2021 : toile industrielle de l'estuaire de la Seine au Havre71(*), toile industrielle à Saint-Étienne72(*), déclinée dans les secteurs de la santé, de l'automobile, de l'aéronautique et de la défense, toile béton à Bayonne73(*) pour une filière BTP durable. Elle connaît aussi un rayonnement international auprès de nombreux autres pays. Il est d'ailleurs prévu qu'une délégation du territoire dunkerquois soit présente au Pavillon France lors de la quinzaine thématique ville et port durables de l'exposition universelle d'Osaka 202574(*). Source : AGUR |
Recommandation n°6 : développer et structurer l'ingénierie de la connaissance · Développer des outils de mesure de la santé économique du territoire (baromètre, indicateurs) · Mettre en place des outils d'analyses et de prospective (observatoires, études, SIG, toiles industrielles) · Favoriser la mutualisation de ces outils entre collectivités territoriales |
b) Renforcer le poids de la prospective et de la planification stratégique du territoire
Avec l'approfondissement de la décentralisation et la montée en puissance de l'ingénierie des collectivités territoriales, l'État a opéré un mouvement de repli de son ingénierie, qui a conduit par exemple à la reconfiguration de la DATAR en 200975(*) ou à la suppression de l'ATESAT76(*) en 2015. Se repositionnant en financeur et en facilitateur de projets, en privilégiant une logique d'appels à projets, l'État a progressivement abandonné ses prérogatives de prospective et de planification stratégiques du territoire. Certaines collectivités territoriales ont su se saisir de l'opportunité pour déployer une véritable ingénierie de la prospective et de la planification, notamment les régions et les intercommunalités de grande taille (métropoles, communautés d'agglomération), leur permettant de se doter de documents stratégiques (SRADDET, SCoT, PLUi). D'autres collectivités n'ont pas pu disposer des ressources pour se doter d'une telle ingénierie. Selon la fédération nationale des SCoT, aujourd'hui « 97 % de la population et 86 % des communes sont couvertes par un schéma de cohérence territoriale ». Certains départements ne sont toujours pas totalement couverts par des SCoT, par exemple la Creuse ou la Meuse.
Le besoin de structurer et consolider l'ingénierie territoriale de la prospective et de la planification stratégique apparaît pourtant comme une nécessité pour permettre aux collectivités territoriales de se projeter à long terme. Les documents de planification stratégique comme les SCoT ou les PLUi apparaissent comme des outils essentiels pour retrouver la maîtrise publique du foncier et sécuriser sur le long terme des projets de développement intégrant les enjeux économiques, environnementaux, sociaux, etc. La planification stratégique territoriale est le préalable au développement équilibré et durable des territoires, qui inclut une approche systémique des sujets pour mettre en cohérence l'ensemble : aménagement, habitat, mobilités, gestion de l'eau, gestion des déchets, emploi, formation, etc.
Aujourd'hui, ce sont les collectivités
territoriales, et non plus l'État, qui sont à l'initiative de ces
transformations. La 27e Région indique que
« Sur la planification et les schémas, tout est
intéressant à lire, mais il s'agit souvent d'additions de
doléances en silo, rarement de schémas où on regarde le
développement de façon systémique en reliant les effets de
de l'économie sur le social et les questions environnementales. Il
faudrait qu'on repense la façon dont on fait des schémas
régionaux, des schémas économiques, des schémas de
développement. C'est quand même devenu un exercice
extrêmement institutionnel, ritualisé, un peu
déconnecté des réalités du terrain. Il y aurait
sans doute à repenser cette façon très verticale de faire
ces schémas pour les inscrire dans des durées plus
longues et dépasser les durées des mandatures. On aurait
besoin de schémas qui parlent de
10-20 ans. Aujourd'hui les
dynamiques et les transformations sont surtout portées au niveau
local ».
Recommandation n°7 : Renforcer le poids de la prospective et de la planification stratégique du territoire · Mobiliser davantage les outils de prospective et de planification stratégique (PLUi, SCoT, etc.) pour piloter l'aménagement et le développement économique des territoires sur le long terme. |
c) Identifier et utiliser les outils juridiques adaptés
Mobiliser efficacement l'ingénierie au service du développement économique d'un territoire nécessite de pouvoir identifier et utiliser les outils juridiques adaptés à l'enjeu ou au projet.
S'il n'est pas ici fait état de manière exhaustive des nombreux outils juridiques existants, les auditions ont toutefois permis de mettre en avant un certain nombre d'entre eux qui ont retenu l'attention de vos rapporteurs parce qu'ils apportaient une réponse particulière aux enjeux soulevés plus haut, notamment : rareté du foncier économique, transition écologique et sociale, mobilisation du tissu industriel, etc.
(1) Les baux à construction
S'agissant des enjeux fonciers, plusieurs outils ont déjà été présentés, notamment l'exemple du bail à construction développé par la communauté de communes des Luys en Béarn.
(2) Les sociétés coopératives d'intérêt collectif
S'agissant des enjeux de transition écologique et
sociale, la mobilisation des outils de l'économie sociale et solidaire
peut par exemple prendre la forme d'une société
coopérative d'intérêt collectif (SCIC). L'Eurométropole de Strasbourg porte ainsi le
projet de transformation de son ancien office du tourisme de Strasbourg et sa
région (OTSR), en SCIC, en le fusionnant avec le Strasbourg
Convention Bureau, une association dont la fonction était d'animer
la politique relative au tourisme d'affaires, notamment l'accueil de
congrès. La nouvelle structure unique, l'office de tourisme
eurométropolitain, peut ainsi conserver une activité
économique et commerciale tout en impliquant fortement les acteurs du
territoire dans sa gouvernance, avec l'objectif de tendre, selon la
réponse de son Président au rapport d'observations
définitives de la chambre régionale des comptes Grand Est,
« vers un tourisme responsable, respectant l'environnement et le
climat, orienté vers une économie locale et durable,
développant la dimension inclusive et sociale, ainsi que le lien avec
les habitants - dont le tourisme et les loisirs locaux »77(*).
Focus : les SCIC Les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), instituées par la loi n°2001-624 du 17 juillet 2001, sont des entreprises coopératives constituées en application du code du commerce et de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, sous la forme de société anonyme (SA), de SAS ou de société à responsabilité limitée (SARL), et qui ont pour objet « la production ou la fourniture de biens et de services d'intérêt collectif qui présentent un caractère d'utilité sociale ». L'actionnariat est multiple - on parle de multisociétariat - et doit se composer d'au moins trois catégories d'associés : - les salariés de la SCIC, ou en l'absence de salariés, les producteurs de biens ou de services (ex : producteurs, agriculteurs, artisans, etc.) ; - les bénéficiaires des biens et services proposés par la SCIC (ex : clients, fournisseurs, bénévoles, etc.) ; - tout autre type d'associés, personnes physique ou morale de droit privé ou de droit public, contribuant à l'activité de la SCIC (ex : collectivités territoriales, associations, entreprises, financeurs, etc.). Les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics territoriaux peuvent devenir associés et détenir jusqu'à 50 % du capital. Chaque sociétaire de la SCIC dispose d'une voix à l'assemblée générale. Le capital constitué par le total des parts sociales est variable, ce qui permet la libre entrée et sortie des sociétaires. Les excédents de la coopérative sont prioritairement mis en réserve pour assurer son développement et celui de ses membres. |
(3) Les entreprises publiques locales
Par ailleurs, pour accompagner les réalités du monde économique, le développement économique territorial demande de l'agilité et de la souplesse, là où les collectivités territoriales rencontrent davantage de limites réglementaires ou administratives. Plusieurs outils juridiques permettent d'apporter la flexibilité nécessaire, par exemple les entreprises publiques locales déjà évoquées.
Selon la fédération des EPL, les entreprises publiques locales constituent un réel effet de levier économique de développement d'un territoire. En effet, « quand une collectivité investit un euro dans une EPL, le territoire en retire entre 4 et 5 euros de valeur ajoutée globale, qui bénéficient aux salariés, aux fournisseurs, à tout l'écosystème économique ».
Focus : la société publique locale Caux Seine Développement Outil d'ingénierie du territoire industriel de Caux Seine (Seine-Maritime), la SPL a pour actionnaire principal la communauté d'agglomération Caux Seine Agglomération et les villes de l'intercommunalité.
· la maison des entreprises, qui accompagne les entreprises dans leur développement, leurs mutations, etc., et fait de la prospection pour attirer de nouvelles entreprises sur le territoire ; · la maison des compétences, qui est au service des entreprises qui s'installent et se développent sur le territoire, mais qui sont à la recherche de ressources et de compétences dont ils ne disposent pas. Le choix de créer la SPL a été fait, car « aucune commune, seule, n'aurait pu proposer cet accompagnement ». De plus, la SPL développe « une approche et une culture d'entreprise », mais permet de « faire le lien avec les collectivités territoriales, par exemple en matière d'autorisations d'urbanisme ». Sur le territoire, la SPL fonctionne comme un « tiers de confiance ». Parmi ses missions, on peut relever : · l'aménagement des zones d'activités économiques ; · l'accompagnement du tissu économique local : transitions écologiques et sociales, promotion du territoire, favoriser les implantations ; · le développement de l'emploi et des compétences pour répondre aux besoins des entreprises, par exemple en définissant avec la région des filières de formation dédiées ; · l'accompagnement des commerces (digitalisation, cybersécurité, etc.), sujet d'intérêt pour les villes. La création de la SPL a permis de professionnaliser l'approche du développement économique sur le territoire, ce que n'aurait pas permis une gestion directe par les collectivités. Elle a permis de développer et diversifier des filières économiques sur le territoire, dans le contexte du désengagement de l'industriel historique Exxon Mobil de ses activités pétrolières, en promouvant un développement durable : chimie décarbonée, filière hydrogène, santé, aéronautique, etc. |
(4) Les pôles territoriaux de coopération économique
Des formes juridiques nouvelles sont par ailleurs mobilisables, par exemple les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), qui sont constitués, selon l'article 9 de la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, « par le regroupement sur un même territoire d'entreprises de l'économie sociale et solidaire [...] qui s'associent à des entreprises, en lien avec des collectivités territoriales et leurs groupements, des centres de recherche, des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale pour mettre en oeuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d'un développement local durable ».
Le Labo de l'ESS78(*) estimait en 2020 à 56 le nombre de PTCE
en
France79(*).
Ils seraient aujourd'hui plus de 120.
L'Eurométropole de Strasbourg indique avoir « activé des formes juridiques nouvelles, par exemple les pôles territoriaux de coopération économique, avec un PTCE sur la rénovation énergétique du bâti ».
Bonne pratique : le PTCE de Strasbourg sur la rénovation énergétique du bâtiment Le PTCE, créé en 2022 et nommé Ensemble, rénovons Strasbourg & Eurométropole, réunit une quinzaine de membres : acteurs publics, entreprises privées, organismes de formation et structures de l'économie sociale et solidaire. Ce nouveau modèle de coopération innovant doit permettre de répondre aux enjeux de la filière de la rénovation énergétique du bâtiment, qui fait face à une demande croissante, mais rencontre des pénuries de main-d'oeuvre. Le PTCE, financé par l'État dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt national pour la filière rénovation énergétique lancé en 2021, dispose d'une enveloppe pour la mise en oeuvre des actions et le recrutement d'une personne en charge de la gestion technique et opérationnelle. Sa feuille de route doit lui permettre de répondre aux enjeux suivants : l'attractivité des métiers du secteur, la montée en compétences et la formation des salariés du secteur, la coopération entre les différentes entreprises du secteur, le réemploi et la réutilisation de matériaux biosourcés et géosourcés. |
d) Amplifier le recours à la contractualisation
La contractualisation apparaît tout d'abord comme un outil permettant de compenser la rationalisation inachevée par la loi Notre des compétences en matière de développement économique, et donc de mieux articuler entre elles les ingénieries territoriales.
Régions de France indique à cet effet que « la collaboration région-EPCI se traduit par des contractualisations-cadres et des conventions spécifiques entre ces deux niveaux de collectivités : par convention, la région peut autoriser l'EPCI à délivrer des aides aux entreprises, et à l'inverse, l'EPCI peut autoriser la région à intervenir en complément en matière d'aides à l'immobilier d'entreprise ».
La conférence territoriale de l'action publique (CTAP), prévue à l'article L. 1111-9-1 du CGCT pour « favoriser un exercice concerté des compétences des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics », y compris donc en matière de développement économique, a vocation, selon Régions de France, à « devenir le lieu de co-construction et de co-contractualisation des politiques économiques, de transition ou d'aménagement ayant une influence sur les entreprises ».
On observe ainsi la mise en place de contractualisations, territoire par territoire, comme le montre l'exemple des contrats de territoire passés par la région Nouvelle-Aquitaine avec des EPCI.
Bonne pratique : les contrats de territoires signés par la région Nouvelle-Aquitaine La région Nouvelle-Aquitaine a signé en 2023 53 nouveaux contrats de territoire avec des EPCI, mis en oeuvre sur la période 2023-2025. Les contrats de territoire permettent de soutenir financièrement des projets de territoire, mais aussi de cofinancer des postes d'ingénierie dans les intercommunalités. À titre d'illustration, le contrat de développement et de transition signé par la région avec un EPCI prévoit le co-financement de l'extension d'une cité de l'entreprise et du numérique, ainsi qu'une aide pour la création et le maintien des derniers commerces de proximité dans un centre-ville. La région propose également des contrats spécifiques dédiés au développement économique des territoires fragiles, écartés des réseaux de transports ou ayant subi un sinistre économique : les CADET, pour contrats néo-aquitains de développement de l'emploi sur le territoire. Le CADET permet de renforcer l'appui aux entreprises et aux salariés en reconversion ou en perte d'emploi. Huit territoires CADET sont actuellement accompagnés en Nouvelle-Aquitaine. |
Ensuite, le recours à la contractualisation peut intervenir entre les collectivités territoriales et les entreprises du territoire. Il s'agit alors d'une ingénierie d'accompagnement qui permet de fixer des objectifs de développement durable, comme le démontre l'expérimentation du dispositif dit plans de progrès dans les marchés publics passés entre l'Eurométropole de Strasbourg.
Bonne pratique : l'expérimentation des plans de progrès dans les marchés publics passés par l'Eurométropole de Strasbourg Inspirée par l'économie de la fonctionnalité et de la coopération, l'Eurométropole de Strasbourg a lancé en 2023, dans le cadre de son SPASER, une expérimentation visant à mettre en oeuvre des plans de progrès dans ses marchés publics. Un plan de progrès consiste à fixer des objectifs d'amélioration continue aux titulaires des marchés publics passés par la collectivité, les incitant à coopérer activement avec l'acheteur public en cours d'exécution du marché. L'expérimentation porte sur une dizaine de marchés publics. Par exemple, un marché public portant sur de l'éclairage public a donné lieu à la co-construction d'un plan de progrès en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : le titulaire a été incité à travailler l'égalité des effectifs affectés au marché. Le plan de progrès peut être ajusté en cours d'exécution du marché. Il permet par ailleurs à l'entreprise d'améliorer la qualité de son offre et de pouvoir candidater à des marchés plus volumineux. |
e) Les nouveaux outils de l'ingénierie financière
Si l'ingénierie financière du développement économique consiste traditionnellement à apporter des aides et des subventions aux entreprises, sans toujours en mesurer les effets, de nouveaux outils d'ingénierie financière, plus efficaces, innovants et incitatifs et davantage orientés vers des objectifs de développement durable, se déploient.
(1) Les fonds de capital-investissement
Régions de France cite l'exemple des fonds de capital-investissement, « créés ces dernières années par les régions pour faciliter l'obtention de financements privés pour des entreprises à enjeu régional fort et les projets d'ampleur en matière de réindustrialisation, de décarbonation, d'énergies vertes, de tourisme : Normandie Participations, Pays de la Loire Participations, fonds Breizh'Up en Bretagne, fonds Tourisme de la Région Occitanie, Région Sud Investissement, fonds NACO80(*) en Nouvelle-Aquitaine, Fonds souverain Auvergne-Rhône-Alpes, etc. ».
(2) Les prêts et fonds de prêts
Les régions proposent de plus en plus de prêts et de fonds de prêts.
Régions de France donne l'exemple de la Région Normandie, qui déploie le dispositif Impulsion Proximité à destination des artisans et commerçants pour leurs opérations de transmission-reprise rachat d'actifs matériels et immatériels et leurs opérations de développement : « l'aide régionale est apportée sous forme d'un prêt à taux zéro sans garantie, d'un montant maximum de 50 000 euros, versé en une fois. La participation des intercommunalités associées se traduit par le versement d'une subvention pouvant atteindre 10 % du montant du prêt ».
La région Réunion a de son côté mis en place en janvier 2025 le Fonds d'aide à l'investissement régional (FAIRE), « un fonds de prêt, financé par le FEDER, pour améliorer l'accès des bénéficiaires finaux au financement bancaire à des conditions préférentielles ». En effet, les TPE et PME locales sont confrontées à des difficultés structurelles telles que le manque de fonds propres ou une trésorerie insuffisante. « À noter qu'à la fin de la période d'inclusion, au moins 30 % du portefeuille finalisé devrait être relatif au financement de la transition écologique et/ou environnementale et/ou le verdissement de l'économie ».
Par ailleurs, toutes les régions proposent des prêts et avances remboursables et plusieurs d'entre elles déploient désormais des dispositifs de prêt en propre en partenariat avec Bpifrance : prêt région industrie en Auvergne-Rhône-Alpes, prêt relance pour les TPE-PME à la Réunion, etc.
(3) Les produits d'épargne fléchés pour le développement économique
Certaines régions comme la région Auvergne-Rhône-Alpes ont mis en place un produit d'épargne régional fléché pour le développement économique81(*). Le fonds souverain régional, créé en 2021 en réaction à la crise sanitaire pour investir dans le tissu industriel et permettre notamment aux PME et ETI d'innover et soutenir l'emploi, est désormais ouvert à l'épargne des investisseurs particuliers. Les habitants peuvent donc désormais placer leur épargne dans un produit de long terme qui vise à soutenir l'activité industrielle régionale et les entreprises du territoire.
(4) L'éco-socioconditionnalité des aides
Dans une démarche visant à renforcer la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), l'Eurométropole de Strasbourg a mis en place le dispositif Start RSE, en partenariat avec les chambres consulaires locales. Le dispositif permet de financer un diagnostic RSE, pour les entreprises de moins de 50 salariés qui souhaitent en bénéficier. L'Eurométropole prend l'engagement de cofinancer à hauteur de 50 % la première action RSE issue du diagnostic, « ce qui incite les entreprises à y aller ».
Recommandation n°8 : mobiliser les bons outils juridiques et financiers pour conforter l'ingénierie publique territoriale · Mise à disposition par l'État aux collectivités territoriales d'une boîte à outils juridiques et financiers du développement économique territorial. · Cette boîte à outils pourrait comprendre des fiches thématiques actualisées sur les principaux dispositifs juridiques et financiers mobilisables par les collectivités territoriales pour accompagner le développement économique de leur territoire (EPL, foncières, SCIC, baux à construire, contractualisation, outils et produits financiers, etc.). · Les préfets de département pourront utilement relayer l'information auprès des collectivités territoriales de leur département les moins dotées en ingénierie. |
f) Financer l'ingénierie du développement économique territorial
Dans son rapport annuel 202382(*), la Cour des comptes « évalue à 8,5 Md€ le montant moyen des dépenses annuelles consacrées entre 2014 et 2020 par les collectivités territoriales au financement d'actions de développement économique. Ces financements sont destinés aux aides aux entreprises et à divers instruments mis en oeuvre pour favoriser leur développement : aménagement et entretien de parcs d'activité, animation de réseaux d'entreprises, conseil et agences de développement, d'attractivité, de tourisme. Les dépenses de développement économique représentent en moyenne 11 % des dépenses totales des régions, 4 % de celles des communes et des EPCI et 2 % des dépenses des départements ».
Du fait des contraintes budgétaires et
financières qui pèsent sur les collectivités
territoriales, notamment celles qui sont moins dotées, et devant la
complexité croissante des enjeux du développement
économique territorial, qui souligne le besoin croissant
d'ingénierie des collectivités, il apparaît
nécessaire de sécuriser le financement de
l'ingénierie du développement économique
territorial. Il est préconisé, dans la continuité
des conclusions du rapport d'information n° 126 (2024-2025)
« 18 mois après le rapport du
Sénat :
poursuite d'un dialogue exigeant avec l'ANCT »,
d'étudier la mise en place du 0,1 %
ingénierie, sous la forme d'un fonds national alimenté
par des contributions prélevées sur les dépenses
d'investissement des collectivités territoriales, avec un
caractère redistributif en faveur des territoires les moins
outillés.
Recommandation n°9 : mettre en place le 0,1 % ingénierie pour financer l'ingénierie du développement économique territorial des collectivités les moins outillées · Le 0,1 % ingénierie prendrait la forme d'une contribution prélevée sur les dépenses d'investissement des collectivités territoriales. · Cette contribution aurait un caractère redistributif en faveur des territoires moins outillés en ingénierie du développement économique. |
g) Évaluer l'efficacité de l'ingénierie mobilisée
Le recours aux ressources et moyens de l'ingénierie du développement économique territorial doit pouvoir donner lieu à évaluation, pour en mesurer l'efficacité et les coûts. La Cour des comptes souligne d'ailleurs le caractère essentiel de « l'évaluation des actions économiques [...] au regard des enjeux de développement économique et de transition écologique et énergétique »83(*). Elle insiste en particulier sur l'importance de « développer l'évaluation pour mesurer l'impact des aides sur les entreprises ».
L'évaluation des appels à projets doit
également se
développer.
La 27e Région indique à propos des
programmes des opérateurs de l'État, par exemple le programme
Coeur de ville de l'ANCT, qu'il est nécessaire
« d'évaluer ces programmes, qui sont multiples. Il
faudrait mesurer les effets de bord que produisent les appels à
projets ».
On le voit, l'évaluation nécessite de se doter d'une méthodologie, d'outils, d'indicateurs. Le CNER indique « réunir une fois par an les professionnels lors du Forum de l'économie, autour de la mesure d'impact sur un territoire ». Lors de l'édition 2024, le Forum avait notamment traité la question de la mesure « des indicateurs de performance pour les agences ».
Si l'évaluation a un coût et nécessite des moyens, certaines collectivités territoriales ont démontré que la mutualisation des ressources d'expertise permettait de mieux évaluer les politiques publiques et à moindre coût, en évitant d'externaliser la prestation auprès d'un cabinet d'audit. C'est par exemple le cas du réseau Revmed, qui a regroupé en 2010 plusieurs collectivités du bassin méditerranéen. Le bilan de la mutualisation soulignait en 2014 le développement du recours à l'évaluation des membres du réseau et la montée en compétences des agents. Le réseau a d'ailleurs été récompensé par le prix Territoria dans la catégorie pilotage - évaluation.
2. Les conditions extérieures à l'ingénierie
Optimiser les connaissances, outils, méthodes et financements propres à l'ingénierie du développement territorial n'est pas suffisant. Il convient également d'améliorer le cadre dans lequel l'ingénierie peut être mobilisée, pour lui donner du sens, mieux coordonner les acteurs, agir à l'échelle territoriale pertinente et associer davantage les citoyens aux projets.
a) Élaborer un projet de territoire politique clair avec une vision stratégique de long terme
Il revient aux élus locaux de donner du sens et de définir la finalité du développement économique de leur territoire, en élaborant un projet de territoire politique clair avec une vision stratégique de long terme.
Lors de son audition, la fédération des EPL posait comme principe que « tout commence par un projet politique » en matière de développement économique territorial, y compris s'agissant de projets portés par des satellites des collectivités territoriales comme les entreprises publiques locales.
À l'occasion de la 34e convention d'Intercommunalités de France (2024), le président de Saint-Nazaire Agglomération, intervenant lors d'une table ronde sur le thème des développeurs économiques sur tous les fronts, posait comme condition au développement économique territorial que « la stratégie doit être énoncée clairement ».
L'étude quinquennale économique d'Intercommunalités de France (2022), déjà citée, confirme ces exigences : « de plus en plus d'intercommunalités structurent leurs actions en matière économique, en passant d'une somme d'actions en direction des entreprises à une stratégie pluriannuelle dédiée, et considérant le plus souvent les différents aspects du développement des entreprises : locaux d'activités, recrutement, mobilité, communication... Les ¾ des intercommunalités interrogées se sont dotées d'une vision stratégique (stratégie économique existante ou en projet) afin d'articuler et clarifier leurs actions en faveur du développement économique (68 % pour les communautés de communes contre 35 % en 2016, 88 % pour les communautés d'agglomération contre 61 % en 2016, et 100 % pour le grand urbain ».
De plus, les stratégies économiques des collectivités s'ouvrent aux enjeux de la transition écologique : « on constate notamment dans le grand urbain une association forte entre développement économique et transition écologique. Ainsi, 90 % des intercommunalités du grand urbain estiment que leur stratégie économique a un impact fort ou très fort en matière de décarbonation ».
b) Mettre en place une gouvernance efficace de l'ingénierie du développement économique territorial par la puissance publique
Pour que la vision politique et stratégique des élus locaux puisse se traduire en projets et actions de développement économique sur le territoire, il importe de mettre en place une gouvernance efficace de l'ingénierie par la puissance publique, au risque sinon d'un manque d'efficacité (doublons, effets de bord, concurrence entre territoires) ou d'une perte de contrôle.
Un pilotage efficace de l'ingénierie
nécessite de créer les conditions d'une coordination et
d'une coopération des acteurs. Le programme Territoires
d'industrie en est un bon exemple avec une gouvernance qui s'articule
à plusieurs niveaux : au niveau national avec une
gouvernance tripartite
État-régions-intercommunalités qui permet de
mobiliser les compétences et les ressources nécessaires à
la mise en oeuvre du
programme ; au niveau local avec la mise en place
d'une gouvernance constituée d'un binôme
élu-industriel, qui préside un comité de projet
puis de suivi, identifie les enjeux prioritaires pour le territoire et fait
remonter les projets locaux.
Une gouvernance efficace, c'est aussi une gouvernance qui s'exerce au niveau adapté de mise en oeuvre du développement économique. La création du syndicat mixte fermé Chambéry-Grand Lac économie (CGLE) en est l'exemple.
Bonne pratique : Chambéry-Grand Lac économie, la gouvernance par le consensus Le syndicat CGLE, créé en 2017, résulte de la volonté politique de piloter le développement économique au niveau du bassin d'emplois plutôt que dans le cadre des frontières administratives. Pour cela, quatre structures ont été fusionnées : deux services économiques d'intercommunalités et deux syndicats mixtes, afin de rendre plus efficace le service rendu au territoire et notamment l'accompagnement des entreprises. Cette fusion découle d'un consensus politique qui se retrouve dans les modalités de gouvernance du syndicat : une gouvernance paritaire des deux agglomérations, sans tenir compte de leur poids économique et démographique et la mise en place d'une présidence tournante. Le syndicat résume ainsi l'essence de sa gouvernance : « la construction de consensus est devenue un principe de fonctionnement endémique ». La capacité du syndicat créer de la gouvernance par le consensus s'illustre par la décision de généraliser le bail à construction, mesure clivante bien qu'en passe de se généraliser en France, qui a été adoptée à l'unanimité des suffrages exprimés (deux abstentions) et ne fait plus, aujourd'hui, l'objet de remise en cause. La personnalité des élus locaux, et particulièrement des présidentes ou présidents de CGLE, contribue fortement, à la construction de ce consensus. La gouvernance par le consensus mise en place a permis de mettre en oeuvre les axes stratégiques suivants : · recherche de densité acceptable ; · recherche de qualité architecturale et environnementale de l'immobilier d'entreprises ; · recherche de concentration des projets tertiaires dans les villes centres afin de bénéficier des aménités urbaines (transport, recrutement...) ; · développement de fonctions métropolitaines, à due proportion de la taille du territoire : formation, habitat partagé, etc. ; · reconnaissance du territoire auprès des investisseurs extérieurs ; · développement d'outils de maîtrise et de reconstitution foncière. |
c) Renforcer les coopérations et les solidarités entre les territoires
Si un développement économique réussi implique une coopération intraterritoriale plutôt qu'une concurrence entre les différents acteurs économiques d'un territoire, on constate de plus en plus l'émergence de coopérations interterritoriales, qui se caractérisent par le développement de partenariats davantage ancrés sur des logiques de bassins de vie, des solidarités territoriales ou des intérêts économiques communs que sur des frontières administratives.
Par exemple, le desserrement de
l'activité économique est un moyen de lutter contre la
densité économique des centres urbains et d'accompagner la
localisation ou la relocalisation des activités des villes-centres vers
leur périphérie, en coordonnant au mieux ces implantations
économiques. Mais il peut entraîner de la concurrence entre des
territoires, d'où l'importance de faire appel à l'intelligence
collective et aux coopérations entre les
territoires. Toulouse
métropole « essaie de faire du desserrement
économique grâce à la coopération territoriale, pour
que les entreprises puissent rester à proximité des lieux
où elles doivent se développer ». C'est un enjeu
de solidarité territoriale, mais aussi de qualité de vie,
même s'il n'est pas toujours facile d'organiser et structurer le
desserrement économique.
La coopération entre territoires peut aussi reposer sur l'intérêt réciproque de créer des solidarités entre des territoires urbains et ruraux, comme l'illustre l'accord signé entre l'Eurométropole de Strasbourg, la communauté d'agglomération de Saint-Dié-des-Vosges et la communauté de communes de la Vallée de la Bruche.
Bonne pratique : les contrats de réciprocité - Eurométropole de Strasbourg Le contrat de réciprocité signé entre l'Eurométropole de Strasbourg, la Communauté d'agglomération de Saint-Dié-des-Vosges et la Communauté de communes de la vallée de la Bruche a pour objectif de créer de nouvelles solidarités entre territoires urbains et ruraux. Sans structure institutionnelle supplémentaire, il s'agit de créer un réseau de collectivités au service de l'équilibre et de la cohésion des territoires en se mobilisant autour de projets fédérateurs communs. Le contrat s'articule autour de deux biens communs : le massif des Vosges et la voie ferrée Strasbourg/Saint-Dié-des-Vosges. Les projets phares portent sur deux grands sujets : la promotion d'un tourisme de proximité en valorisant la voie de chemin de fer (tarification spéciale lors de manifestations, vélo-tourisme depuis les gares) et la valorisation et le partage de bonnes expériences autour de certaines filières économiques (agriculture, filière bois, transformation des friches...). |
L'objectif de l'Eurométropole de Strasbourg est « de faire en sorte que la puissance de la métropole bénéficie aux territoires autour » et « que dans les programmes de logement et d'habitat, un maximum soit fait en bois biosourcé qu'on essaie de faire venir des Vosges, pour structurer ces filières plutôt que de favoriser le moins-disant dans les marchés publics ».
Parfois même, des territoires très éloignés géographiquement ont démontré l'intérêt de renforcer les coopérations interterritoriales reposant sur l'intelligence collective, à l'image de l'accord de réplicabilité signé entre les métropoles de Strasbourg et de Toulouse dans le domaine du BTP durable.
Bonne pratique Dans le cadre du projet Life Waste2Build (2021-2026), financé par l'Union européenne, Toulouse métropole s'est engagée, à partir du chantier expérimental de déconstruction du Parc des expositions, à développer l'économie circulaire et à valoriser les déchets du bâtiment et des travaux publics grâce au levier de la commande publique durable, pour permettre le réemploi de matériaux de seconde vie dans la construction, la rénovation ou l'aménagement paysager. En juin 2024, la métropole de Toulouse et l'Eurométropole de Strasbourg ont signé un accord de réplicabilité. Il s'agissait pour les deux métropoles de se doter d'une feuille de route sur l'économie circulaire du BTP et de partager la méthodologie et les outils développés à l'occasion du projet Life Waste2Build en vue de les reproduire dans le cadre du projet de rénovation du stade de la Meinau. |
Ainsi, le développement économique durable des territoires passe désormais par davantage d'horizontalité que de verticalité et nécessite de la coopération, de l'intelligence collective, de la mise en réseau et du partage de bonnes pratiques.
d) Renforcer les synergies entre les acteurs du développement économique territorial : vers une économie symbiotique
Les acteurs de l'ingénierie du développement économique territorial les plus avancés tendent vers une économie symbiotique, où les entreprises de l'écosystème collaborent pour un développement plus durable du territoire.
Parmi les exemples donnés par la FNAU, on peut relever celui de Dunkerque : « Sur le volet environnemental, on est très engagé sur une ligne directrice : faire de notre territoire un territoire d'économie symbiotique qui associe le développement économique avec les questions environnementales et les relations au vivant ».
L'économie symbiotique se traduit par des réalisations concrètes, que l'agence d'urbanisme de Dunkerque accompagne, par exemple en soutenant l'association Ecopal, qui agit en matière d'écologie industrielle territoriale.
Bonne pratique - « Les déchets de l'un peuvent devenir la matière première de l'autre » - Association Ecopal (Dunkerque) L'association Ecopal, spécialisée dans l'écologie industrielle, qui facilite les synergies interentreprises en « récupérant les déchets des uns pour en faire la matière première des autres ». En 2022, l'association a ainsi facilité la revalorisation de 5 tonnes de coquilles d'huîtres en compléments calcium pour l'alimentation animale via une synergie locale. En 2022 également, elle a facilité la création d'une chaufferie pour revaloriser les anas de lin provenant des producteurs locaux (des déchets pour eux). Grâce à ces anas de lin, la chaufferie alimente un centre aquatique, une école, un EHPAD et la mairie de Wormhout. |
L'ANPP appelle de son côté
« à ne pas cloisonner les
ingénieries :
l'ingénierie culturelle, c'est aussi du développement
économique ».
e) Vers un modèle hybride d'ingénierie publique privée ?
Pour faire face à la complexité des enjeux du développement économique des territoires, distinguer voire opposer des modèles d'ingénieries publique et privée n'a plus de sens. On observe sur le terrain non seulement de nombreuses formes de coopération entre les acteurs publics et privés, mais parfois aussi une forme d'hybridation des ingénieries publiques et privées.
En effet, la coopération entre acteurs publics et privés joue un rôle central pour assurer une gouvernance économique territoriale efficace, qui repose sur la capacité des entreprises, des collectivités, des associations et des organisations professionnelles à établir des espaces de dialogue et de concertation. Ce travail collaboratif permet d'anticiper les mutations économiques, d'identifier les besoins et de construire des solutions adaptées, qu'il s'agisse de financement, de foncier, de formation ou d'accompagnement administratif. Le programme Territoires d'industrie, qui repose sur une coopération entre élus et industriels, illustre bien cette dynamique vertueuse.
Au-delà de la coopération entre acteurs publics et privés, certains exemples témoignent d'une forme d'hybridation des ingénieries publiques et privées, comme celui de Cosmetic Valley dans le département d'Eure-et-Loir.
Bonne pratique - la Cosmetic Valley La Cosmetic Valley est une association loi 1901 créée en 1994 sous l'impulsion d'entrepreneurs, notamment Jean-Paul Guerlain, avec le soutien du département d'Eure-et-Loir. Labellisée pôle de compétitivité en 2005, elle est le coordinateur national de la filière parfumerie-cosmétique française : 6 300 établissements dont 85 % de TPE/PME/ETI84(*), 226 000 emplois, 71 milliards de chiffre d'affaires, 2e contributeur à la balance commerciale française après le secteur aérospatial. Elle accompagne le développement économique du secteur en mettant en place des stratégies nationales consolidées à l'échelle nationale sur l'innovation, l'emploi, l'industrie et l'export. Elle assure une coordination à l'échelle européenne depuis 2021 au niveau international au sein du Global Cosmetics Cluster, le métacluster mondial de la cosmétique qu'elle a créé. Elle fédère les différents acteurs, les entreprises, les universités et établissements de recherches, les collectivités territoriales (régions, départements, intercommunalités), ce que reflète sa gouvernance hybride publique privée. Le conseil d'administration est composé de deux collèges, un collège entreprises et un collège recherche, enseignement supérieur et formation. Il consulte en amont un comité technique constitué des partenaires publics (État, régions, départements, agglomérations), ce qui permet de prendre en compte la vision des territoires dans la stratégie déployée. Par exemple, Cosmetic Valley a pu prendre le relais de l'agence de développement et d'innovation de Nouvelle-Aquitaine, qui avait détecté le potentiel de la filière cosmétique sur son territoire. |
f) Territorialiser l'action économique
La recomposition de l'ingénierie de l'État et de ses opérateurs vers une logique d'appels à projets, avec les limites soulignées plus haut, incite à territorialiser davantage l'action économique de l'État.
Prenant l'exemple du plan France 2030, le CNER souligne que « sur 54 milliards, on aurait pu faire un effort de territorialisation réel : l'État aurait pu être le régulateur des priorités et des stratégies, et pas seulement le trésorier. Il faut donner les moyens à ceux qui connaissent le territoire et les acteurs, dans un cadre bien posé ». Par ailleurs, une approche trop centralisée du développement économique a pour conséquence qu'« on ne fait remonter que des projets structurés, un peu gros, alors que les territoires ont des tout petits projets ».
La territorialisation du développement économique est aussi souhaitée par les acteurs privés. Cosmetic Valley appelle ainsi de ses voeux « une approche territoriale renouvelée qui permettrait de décentraliser la décision ». En effet, « ces dernières années, des opérateurs nationaux ont concentré tout l'effort d'accompagnement (Business France pour l'export, BPI pour l'innovation), avec sans doute des progrès, mais aussi une perte dans la finesse d'analyse et l'alignement sur les besoins réels des entreprises, en particulier les TPE/PME/ETI ». Cosmetic Valley fait le constat « qu'une approche trop centralisée et uniforme ne permet pas de s'appuyer sur la complémentarité de nos territoires, de leurs forces et de leurs approches respectives, entrave leurs expérimentations et nuit à la compréhension de certains phénomènes en cours, en particulier la désindustrialisation à l'échelle locale et la concurrence sur les marchés internationaux ».
Avec le lancement de la nouvelle génération du programme Territoires d'industrie (2023-2027), la priorité est mise sur l'approche territoriale et le renforcement de l'ingénierie, afin de catalyser les initiatives locales et de recentrer les moyens sur les projets à impact territorial, sous le pilotage tripartite de l'État, de ses opérateurs et des collectivités territoriales, en alignant le développement industriel sur les enjeux de décarbonation et de sobriété foncière.
La territorialisation du développement économique ne doit pas, pour autant, négliger l'approche européenne des sujets, pour gagner en pertinence et en efficacité au regard des enjeux de compétitivité économique. Partant du constat qu'en France, les régions Centre-Val de Loire, Île-de-France, Normandie et Hauts-de-France représentent 70 % des exportations de la filière cosmétique, Cosmetic Valley préconise la mise en place d'un comité des régions « pour favoriser l'interrégionalité à l'échelle européenne », sur le modèle du réseau interrégional Go4Cosmetics, labellisé plateforme S3 - smart specialisation strategy par la Commission européenne, qui porte, « à travers son programme Actt4Cosmetics, la voix de l'industrie cosmétique à l'échelle européenne et s'emploie à soutenir l'innovation collaborative et la compétitivité de ses acteurs ».
g) Simplifier les organisations et les normes pour pérenniser le développement économique des territoires
Un développement économique réussi repose avant tout sur une vision stratégique inscrite dans la durée. La priorité au long terme est essentielle : les acteurs ont besoin de stabilité, de pérennité, de visibilité et de lisibilité. Les revirements des politiques publiques ou les fluctuations économiques nuisent à la confiance des acteurs et sont source d'inertie.
La simplification est une requête partagée par la majorité des entreprises. Interrogée par vos rapporteurs, CCI France rappelait qu'en septembre 2024, la grande consultation des entrepreneurs, enquête mensuelle menée par le réseau des CCI en partenariat avec Opinion Way et La Tribune, montrait que la première attente des entreprises restait la simplification (55 % des répondants). L'édition de janvier 2025 a montré que 77 % des entreprises voient le Test PME - une initiative visant à tester auprès des PME les nouvelles normes envisagées - comme une bonne chose pour l'économie française, en vue de simplifier et alléger les démarches administratives qui représentent un coût important85(*).
De son côté, Cosmetic Valley appelle à « une plus grande stabilité fiscale et normative et à une simplification réglementaire demandée par nos entreprises ».
Simplifier, c'est aussi éviter les doublons et préférer s'appuyer sur les structures existantes. La communauté de communes Champagnole-Nozeroy-Jura a ainsi développé un outil maison, la SAFIC, inspiré du modèle des SAFER, sans créer de structures supplémentaires, en mutualisation les ressources disponibles de l'intercommunalité, de la SAFER, de l'établissement public foncier, etc.
L'Eurométropole de Strasbourg a de son
côté fait le choix de ne pas créer d'agence de
développement propre à l'échelle de son
territoire : « on a fait le choix d'une autre
organisation : on s'appuie sur l'agence de développement
économique d'Alsace86(*), fruit de la fusion de l'agence de
développement du Haut-Rhin et de celle du Bas-Rhin, devenue aujourd'hui
collectivité européenne
d'Alsace ». L'agence
regroupe désormais la collectivité européenne d'Alsace, la
région Grand Est, l'Eurométropole de Strasbourg, Mulhouse Alsace
agglomération, Colmar agglomération, la communauté
d'agglomération de Haguenau, Saint-Louis agglomération, ainsi que
toutes les communautés de communes alsaciennes. Grâce à sa
gouvernance multipartenariale, l'agence s'intègre dans un système
régional plus large afin d'exercer ses missions de soutien au
développement aux entreprises et de développement des
différents territoires alsaciens.
Par ailleurs, le projet de loi de simplification de la vie économique, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale après une première lecture au Sénat87(*), doit permettre « d'alléger la charge des normes, des démarches, des complexités du quotidien [qui] pèse pour au moins 3 % du PIB sur notre économie », en particulier au bénéfice des TPE, PME et ETI, « qui n'ont tout simplement pas les moyens humains de mettre en oeuvre les normes quand elles sont en fait adaptées à de très grandes entreprises »88(*).
h) Associer davantage les citoyens pour rendre plus acceptables les projets de développement économique du territoire
La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation soutient une nouvelle dynamique démocratique remontant des territoires, comme l'explicite le rapport d'information n° 520 (2021-2022) relatif à la démocratie implicative89(*), qui rappelle ainsi que « l'objectif de l'élu local consiste-t-il à aller au-devant du citoyen pour "l'embarquer" dans un projet collectif et l'amener à s'intéresser à la vie locale en lui donnant de la chair ».
Le développement économique n'échappe pas à cette dynamique d'implication citoyenne en faveur de territoires plus durables et résilients. Il en va de l'acceptabilité des projets de développement économique, les exigences citoyennes étant plus fortes qu'auparavant s'agissant des liens à tisser entre économie et territoires et au regard des enjeux du mieux vivre-ensemble.
En définitive, on voit apparaître avec l'implication citoyenne une nouvelle forme d'ingénierie territoriale qui devient indispensable à la mise en oeuvre des projets de développement économique et que les collectivités territoriales peuvent solliciter de différentes manières.
Certaines ont mis en place des conventions citoyennes locales, qui portent essentiellement sur le climat et incluent une dimension économique.
Bonne pratique : la convention citoyenne locale de la région Occitanie Souhaitant apporter une réponse à la crise sanitaire, sociale et économique sans précédent déclenchée par la pandémie de covid-19, l'Occitanie est la première région à avoir mis en place une convention citoyenne pour impulser un nouveau modèle de développement à son échelle90(*). Les 103 habitants tirés au sort, réunis lors de deux sessions de trois jours en septembre 2020, puis sur une journée de conclusion en octobre 2020, ont rendu un avis citoyen le 3 octobre 2020 et formalisé 52 propositions prioritaires et 300 propositions complémentaires. Parmi les propositions prioritaires en matière de développement économique, on peut relever les suivantes : · renforcer les soutiens à la création et à la pérennité des microentreprises et petites entreprises (zones rurales et périurbaines en particulier) ; · relocaliser (faire revenir sur le territoire) la production de produits aujourd'hui importés (notamment avec des activités d'économie sociale et solidaire) ; · développer le tourisme en milieu rural. Les propositions citoyennes ont ensuite fait l'objet d'une votation citoyenne du 16 octobre au 8 novembre 2020, ouverte à l'ensemble des citoyens d'Occitanie. Enfin, 45 mesures prioritaires de la convention, ainsi que 155 propositions, ont été adoptées le 19 novembre 2020 par le conseil régional et intégré au sein du « green new deal », le plan de transformation et de développement « vert » de la région. |
L'un des garants de la Commission nationale du débat public pour la convention citoyenne de la région Occitanie a témoigné en ces termes de la démarche : « C'est un travail en profondeur, où les citoyens échangent avec des experts et des scientifiques. Ils mènent des recherches complémentaires, débattent ensemble », en ajoutant toutefois que : « Le dispositif reste coûteux tant au niveau logistique que financier, puisqu'il nécessite l'organisation de plusieurs jours de débats. Paradoxalement, il n'embarque qu'une centaine de personnes. Il faut veiller au droit de la participation, qui a valeur constitutionnelle. Cet outil exclut, par définition, tous les gens qui ne sont pas dans la convention, soit l'immense majorité de la population d'une collectivité »91(*).
L'initiative peut aussi venir du secteur privé, comme le démontre l'exemple de la convention des entreprises pour le climat, association d'intérêt général créée en décembre 2020 par des entrepreneurs rennais, qui propose aux décideurs économiques un accompagnement pour transformer leur modèle d'affaires dans le cadre des limites planétaires et accélérer la bascule culturelle vers l'économie régénérative92(*). Plusieurs parcours de formation sont disponibles, par région ou par thématique : « nouveaux imaginaires », « dialogue social et environnemental », « industrie », « agri et agro », etc.
Mieux associer les citoyens, c'est aussi mieux les informer et les sensibiliser aux transformations en cours. C'est ce à quoi s'emploie la Fabuleuse Factory à Dunkerque93(*). Le territoire dunkerquois, lauréat du programme Territoires d'innovation en 2019 avec son projet « Dunkerque, l'énergie créative », a pris l'initiative d'accompagner la décarbonation de son complexe industrialo-portuaire, historiquement émetteur de CO2 du fait de la dépendance aux énergies carbonées de ses activités industrielles (sidérurgie, raffineries), qui a connu des fermetures de sites industriels au milieu des années 2015.
Bonne pratique : la Fabuleuse Factory de Dunkerque La Fabuleuse Factory de Dunkerque s'inscrit dans une dynamique d' « aller vers », pour faire découvrir au public les transformations de l'écosystème industrialo-portuaire en un modèle de développement économique durable permettant de concilier la préservation de l'environnement, la qualité de vie des habitants et la compétitivité des acteurs économiques. Grâce à l'implantation du projet au coeur de la ville, 25 000 personnes, dont 4 000 scolaires, ont pu être accueillies depuis 2022, sous les dômes de la Fabuleuse Factory, pour rencontrer les acteurs du développement économique : grands industriels, énergéticiens, réseaux des PMI et sous-traitants, universitaires, association. L'expérience se veut immersive et interactive, s'appuyant notamment sur les nouvelles technologies numériques pour faire découvrir un écosystème industriel plus vertueux : expériences sur les propriétés de l'aluminium, d'une batterie solide ou de l'électricité ; visites d'une usine, d'un réacteur nucléaire grâce à des casques 3D ; jeu de plateau sur l'optimisation du fonctionnement d'une usine, découverte des métiers, serious game autour d'un réseau de chaleur, sensibilisation à la qualité de l'air, fonctionnement d'une éolienne, grand quizz de la DKarbo... |
i) La ruralité, nouveau lieu d'innovation pour l'ingénierie du développement économique territorial
La ruralité, ou plutôt les ruralités, car elles sont plurielles, apparaissent comme le lieu de nouvelles mutations du développement économique territorial où peut être déployée une ingénierie innovante bien que frugale.
« Il y a un désir de ruralité », indique Bouge ton coq, association d'intérêt général créée il y a quatre ans, dont l'objectif est « d'apporter des solutions dans les villages, permettre aux citoyens de prendre part à des actions sans attendre tout de l'État, en étant un acteur à part entière ».
L'association développe une ingénierie
autour de trois
axes : « innovation,
expérimentation, développement », en veillant
toutefois au « côté frugal de la
démarche ».
Parmi les réussites de l'association en matière de développement économique des territoires, on peut noter : d'une part, la création d'épiceries solidaires dans les villages et d'autre part, la mise en place du dispositif Médecins solidaires pour développer l'accès aux soins en ruralité. Dans les deux cas, l'association déploie des solutions d'ingénierie pour « dynamiser les territoires ruraux en fédérant les acteurs locaux autour des projets ».
Bonne pratique : la création d'épiceries solidaires dans les villages et la mise en place du dispositif Médecins solidaires dans les campagnes - Association Bouge ton coq Les épiceries solidaires Partant du constat que les petits commerces dans les villages sont confrontés à des difficultés d'attractivité du fait de la faible densité dans les territoires ruraux, l'association Bouge ton coq a voulu faciliter l'installation d'épiceries solidaires. Il existe aujourd'hui 230 épiceries solidaires. Le modèle est vertueux à plusieurs égards : le fonctionnement des épiceries repose sur l'engagement des citoyens volontaires à donner un peu de leur temps pour tenir la boutique. Du point de vue économique : les produits sont à 60 % issus de circuits courts, ce qui permet de soutenir les petits producteurs ; et les produits sont vendus sans marge, ce qui profite au pouvoir d'achat des consommateurs (- 30 %). Du point de vue social, le caractère participatif de l'épicerie recrée du lien entre les habitants. Du point de vue de l'ingénierie que le projet a
nécessité, il s'est d'abord agi d'un travail collaboratif avec
les associations d'élus comme l'association de maires ruraux de France
et les associations de terrain. L'organisation de réunions publiques
pour présenter le projet a ensuite permis de réunir un premier
pool de citoyens volontaires, qui ont entraîné les autres. Les
maires qui se sont engagés dans le projet ont enfin mis à
disposition des locaux pour accueillir les épiceries, ce qui a permis
d'éviter les difficultés de foncier. L'association Bouge ton coq
propose ensuite des aides au financement et soutient la mise en oeuvre du
Le dispositif Médecins solidaires Face au déficit de médecins dans les campagnes, l'association a ensuite voulu développer l'accès aux soins en ruralité. S'appuyant sur Martial Jardel, un médecin généraliste engagé contre la désertification médicale, l'association a identifié que la cause du problème n'était pas tant la volonté d'engagement des jeunes médecins, mais plutôt le manque d'attractivité des territoires ruraux (transports, emploi, services publics, école, etc.), rendant le pas de l'installation difficile à franchir. Ainsi, au lieu de demander beaucoup à un médecin, on a demandé un petit peu à beaucoup de médecins. Des centres de santé ont donc été créés, avec une présence tournante de médecins (une semaine), qui peuvent s'appuyer sur la présence permanente d'une ou deux personnes en charge de les assister médicalement. Une attention particulière est apportée au suivi des patients. Du point de vue de l'ingénierie, plusieurs obstacles ont dû être levés : obstacles de nature réglementaire, nécessité de mettre en place des structures modulaires dans l'attente de trouver des solutions foncières, outil de gestion des plannings, etc. Aujourd'hui, il existe 8 centres de santé accueillant un collectif de 600 médecins solidaires, avec des plannings couverts à échéance de quatre mois. Le projet continue de se développer avec l'objectif d'atteindre 21 centres en 2027. |
Toutefois, les obstacles rencontrés sont nombreux.
Parmi les difficultés soulevées par les acteurs associatifs, on
peut noter le temps passé à s'adapter à la
complexité de l'ingénierie développée par les
acteurs
institutionnels. L'association Bouge ton coq le
regrette : « On passe un temps dingue à
intégrer le process. On rate des marches, nous et
l'institution ». De plus, l'accompagnement des projets
s'opère trop souvent sur le temps court alors que l'association
« a besoin de visibilité et de partenaires
pluriannuels », car « passer à
l'échelle quand on est sous statut associatif, c'est très
difficile ».
De son côté, le cabinet Rouge vif territoires, en lien avec l'ANCT et Intercommunalités de France, cherche à transposer les outils d'ingénierie développés dans le cadre du programme Territoires d'industrie à d'autres domaines, notamment celui de l'agriculture, ce qui pourrait prendre la forme d'un programme Territoires d'agriculture, pour « répondre aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux du secteur agricole ».
Focus - vers un programme Territoires d'agriculture ? Encore au stade de la réflexion, le programme Territoires d'agriculture, inspiré du programme Territoires d'industrie, pourrait consister à : - élaborer des feuilles de route pour les territoires agricoles : identification des filières agricoles stratégiques dans chaque territoire (agriculture biologique, circuits courts, agroforesterie, etc.) ; co-construction d'objectifs clairs (promotion des pratiques agroécologiques, valorisation des productions locales, adaptation au changement climatique ; - créer des guichets uniques pour les exploitants agricoles : mise en place de points de contact centralisés (pour faciliter l'accès aux subventions, formations et dispositifs techniques ou financiers) ; créations de plateformes numériques (pour simplifier les démarches et accélérer les interactions avec les services publics) ; - soutenir l'innovation agricole : développer des incubateurs ou des clusters spécialisés dans l'agritech pour promouvoir l'innovation en agriculture (drones agricoles, capteurs connectés, solutions de gestion de l'eau) ; renforcer des partenariats avec les instituts de recherche agronomique pour développer des solutions adaptées aux besoins locaux ; - créer une dynamique de coopération entre territoires : encouragement des échanges entre territoires urbains et ruraux dans le cadre de contrats de réciprocité ville-campagne ; promouvoir des filières courtes et des circuits locaux pour renforcer les liens économiques et sociaux entre les zones agricoles et les bassins de consommation ; - développer la formation et la transmission : développement de formations pour accompagner la transition agroécologique et favoriser l'installation de nouveaux agriculteurs ; soutien aux jeunes agriculteurs et programmes de mentorat pour transmettre les savoir-faire et revitaliser les zones rurales. |
Selon Rouge vif territoires, « un programme Territoires d'agriculture pourrait capitaliser sur les outils et méthodes éprouvés dans le cadre de Territoires d'industrie, tout en s'adaptant aux spécificités du secteur agricole. En misant sur la collaboration, l'innovation, et une ingénierie adaptée aux enjeux ruraux, ce programme contribuerait à répondre aux défis environnementaux, économiques, et démographiques des territoires agricoles ».
CONCLUSION GÉNÉRALE
La nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique territorial, qui résulte de l'adaptation aux changements des acteurs publics et privés de l'ingénierie, n'est pas parfaite : enchevêtrement de compétences, difficultés de coordination entre acteurs publics, repli de l'ingénierie de l'État local, complexité normative, morcellement et hétérogénéité des ingénieries publiques et privées, difficultés de recrutement et de fidélisation des développeurs économiques, ingénierie à deux vitesses entre le rural et l'urbain, doublons ou manque d'ingénierie, logique d'appels à projets qui peut générer de la concurrence entre les territoires, prestations « one shot », manque de vision à long terme, difficultés à trouver des financements, etc.
Pour autant, les auditions ont fait ressortir la capacité des collectivités territoriales à mobiliser efficacement les ingénieries publiques et privées sous réserve de créer les conditions de réussite endogènes et exogènes d'un développement économique durable et résilient aux chocs, permettant de créer des synergies et des symbioses entre les acteurs de l'écosystème, sans perdre de vue la finalité du développement : le bien-être et le bien vivre ensemble. Les bonnes pratiques répertoriées tout au long des travaux de la mission d'information pourront inspirer les collectivités territoriales.
Les recommandations formulées dans le rapport visent à conforter l'ingénierie publique territoriale du développement économique en lui donnant les moyens de faire (compétences, outils, moyens, financement, stratégies) ou de faire faire (en s'appuyant sur les autres ingénieries) tout en maîtrisant la gouvernance et le pilotage, au service du développement économique durable des territoires.
EXAMEN EN DÉLÉGATION
Lors de sa réunion du 27 mai 2025, la délégation aux collectivités territoriales a autorisé la publication du présent rapport.
M. Bernard Delcros, président. - La délégation a déjà mené plusieurs travaux sur la question de l'ingénierie, mais chaque fois sur des sujets bien circonscrits, à l'instar du rapport relatif à l'ingénierie des petites communes, conduit par Daniel Gueret et Jean-Jacques Lozach. Ce travail avait permis d'identifier des besoins auxquels des réponses, partielles, ont été apportées, notamment le soutien de l'État à des chargés de mission dans les programmes « Petites Villes de demain » ou « Villages d'avenir » par l'intermédiaire d'agents de l'État mis à disposition pour apporter de l'ingénierie. Toutefois, ces mesures ne sont pas suffisantes. Un autre rapport, de Sonia de la Provôté et Céline Brulin, portait sur le suivi du rapport du Sénat de 2023 sur l'ANCT. Et, en 2024, Laurent Burgoa, Pascal Martin et Guy Benarroche ont présenté un rapport relatif à la transition environnementale des collectivités territoriales, s'intéressant notamment à la façon dont l'ingénierie locale est mobilisée à cette fin.
Aujourd'hui, nous abordons un sujet complémentaire : l'ingénierie territoriale appliquée au développement économique.
Or, dans le contexte actuel, notre pays doit pouvoir répondre aux défis de l'industrialisation, de la souveraineté alimentaire, de la transition énergétique, de la décarbonation de l'économie, de la souveraineté foncière, de la préservation de la biodiversité, mais aussi du redressement de ses finances publiques. Tous ces enjeux affectent les politiques de développement économique dans les territoires, ainsi que les interventions économiques. Il me semble que les collectivités territoriales doivent jouer un rôle essentiel pour répondre à l'ensemble des défis auxquels le pays est confronté. Ce contexte nouveau oblige les collectivités à adapter leur ingénierie territoriale.
Dans ces conditions, les rapporteurs se sont attachés à décrypter la mécanique de l'ingénierie territoriale et du développement économique - les compétences, les acteurs, les outils. Ils nous présenteront également les nouvelles dynamiques et stratégies à l'oeuvre, et analyseront les conditions de réussite du développement économique, en adéquation avec les enjeux actuels du pays.
Dans le rapport, les ruralités sont envisagées comme les nouveaux lieux des transitions économiques, sociales et écologiques. Ce thème, qui me tient à coeur, sera d'ailleurs l'objet d'une prochaine mission d'information de notre délégation. Par ailleurs, les recommandations relatives au financement de l'ingénierie territoriale et du développement économique pourraient nourrir une initiative législative.
M. Daniel Gueret, rapporteur. - Avec mes collègues rapporteurs, nous allons nous ingénier à restituer nos travaux à quatre voix de la manière la plus synthétique possible dans le temps qui nous est imparti. Je profite de cette occasion pour témoigner du grand plaisir que j'ai eu à conduire ces travaux, menés dans une dynamique politique transpartisane, très fructueuse.
L'ingénierie territoriale constitue un sujet d'intérêt constant pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. En continuité avec nos travaux précédents, nous avons cette fois-ci souhaité centrer notre réflexion sur l'ingénierie des collectivités territoriales appliquée au développement économique. Il nous est apparu qu'une nouvelle donne était à l'oeuvre, qu'il convenait d'analyser dans ses dynamiques comme dans ses enjeux.
Pour ce faire, nous avons conduit douze auditions et organisé une table ronde, ce qui nous a permis d'entendre vingt-neuf spécialistes du sujet. Nous avons également reçu dix-huit contributions écrites émanant de collectivités territoriales, d'associations d'élus, de fédérations professionnelles, d'acteurs privés, associatifs ou universitaires. Nous nous sommes efforcés de mettre en valeur les bonnes pratiques recensées en les insérant dans le rapport sous forme d'encadrés, afin qu'elles puissent utilement inspirer d'autres collectivités.
Sans prétendre à l'exhaustivité sur un sujet aussi complexe, et en nous appuyant sur le vécu de la diversité des acteurs du développement économique territorial sollicités, nous avons cherché à comprendre tout d'abord les mécanismes de l'ingénierie territoriale et du développement économique : les compétences mobilisées, les outils actionnés, la clarification nécessaire, mais insuffisante de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), l'affaiblissement de l'État local, l'hétérogénéité des acteurs publics et privés de l'ingénierie, qui comptent des doublons ou des manques, la complexité normative, qui est un frein au développement économique, la limite de la logique des appels à projets, les inégalités d'accès à l'ingénierie entre territoires, etc.
Ensuite, nous avons mis en lumière les nouvelles dynamiques de l'ingénierie territoriale du développement économique, qui tendent à créer localement des écosystèmes plus cohérents, résilients et durables, à retrouver une maîtrise qualitative du foncier économique, à repenser le modèle industriel, à engager la transition écologique des territoires, etc.
Enfin, nous avons tenté d'identifier les
conditions de réussite d'un développement territorial efficace et
durable, de structurer une ingénierie de la connaissance - je pense
à l'exemple inspirant de la toile industrielle de Dunkerque -, de
promouvoir la planification stratégique, de mobiliser les bons outils au
bon moment, telles les entreprises publiques locales (EPL), de créer des
synergies entre les acteurs du territoire et d'articuler, voire d'hybrider, les ingénieries publiques et privées, comme l'illustre le cas de la Cosmetic Valley, de territorialiser l'action publique, d'impliquer davantage les citoyens, etc.
En somme, la valeur ajoutée de la mission d'information est probablement d'insister sur la nécessité pour les collectivités locales de déployer une approche systématique du développement territorial, en matière de développement économique, mais aussi pour les autres politiques publiques, afin d'assurer une cohérence d'ensemble.
Les auditions ont montré que les approches traditionnelles du développement économique - fondées sur la compétitivité, l'attractivité, la modélisation mondialisation et l'excellence - ont profondément évolué sous l'effet de multiples crises : écologiques, économiques, industrielles, budgétaires, sanitaires, foncières, etc. Pour y faire face, les collectivités ont été contraintes d'adapter leurs méthodes, outils et stratégies de développement économique.
La professionnalisation du métier de développeur économique territorial est souvent évoqué par les personnes auditionnées. Le développeur économique territorial est désormais soumis à l'exigence d'une approche à 360 degrés du développement territorial, qui loblige à prendre en compte l'économie, l'industrie, l'agriculture, l'eau, les déchets, le commerce, le tourisme, l'aménagement, l'urbanisme, le foncier, l'habitat, l'immobilier d'entreprise, l'intelligence économique, l'emploi, la formation, le numérique, les transitions écologique et sociale, la transition démographique.
Néanmoins, les tensions sur le marché de l'emploi dans ce secteur sont vives. Il serait opportun de mieux structurer la filière autour d'un référentiel commun, avec davantage de formations dédiées et certifiantes, y compris pour les élus.
Parmi les bonnes pratiques recensées, nous pouvons citer l'exemple de l'agence régionale du développement économique (ARDE) Dev'up Centre-Val de Loire. Depuis 2017, cette structure organise l'université des développeurs économiques régionaux, qui propose des sessions de formation à destination des élus et des techniciens du développement économique.
Sur ce point, notre première recommandation est de renforcer les métiers du développement économique territorial, afin de mieux partager et diffuser le référentiel des compétences des développeurs économiques territoriaux réalisé par Intercommunalités de France ; de renforcer et de diversifier l'offre de formation pour les développeurs économiques et les élus locaux, en s'inspirant du modèle de formation certifiante mis en place par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) ; et de développer la mutualisation des ressources et des compétences entre collectivités.
Par ailleurs, la loi NOTRe a permis une clarification nécessaire, mais insuffisante, de la compétence développement économique des collectivités territoriales. Si les régions et les intercommunalités ont vu leurs responsabilités renforcées en la matière, elles rencontrent parfois des difficultés à articuler leurs interventions. Les départements et les communes, dont le rôle a été limité par la loi, conservent toutefois certaines formes d'intervention économique.
Les enchevêtrements de compétences et le manque de lisibilité du « Qui fait quoi ? » appellent à un assouplissement de la loi NOTRe sur le volet du développement économique. Notre deuxième recommandation est donc d'engager un travail d'assouplissement de la loi NOTRe sur ce volet, afin de clarifier la répartition des compétences en matière de développement économique, en confirmant le couple région/intercommunalités. Il faudrait pouvoir également expérimenter au cas par cas la possibilité pour les départements de se voir déléguer une partie de la compétence de développement économique, si leur situation financière d'aujourd'hui et de demain le permet. Je précise enfin qu'une mission d'information du Sénat a été lancée le 2 avril 2025 pour faire le bilan, dix ans après, de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) et de la loi NOTRe.
Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Les imprécisions de la loi NOTRe révèlent également la nécessité, pour les différents échelons de collectivités territoriales, de mieux coordonner leurs interventions en matière de développement économique. Les auditions ont souligné l'importance de renforcer les coopérations territoriales et de favoriser les synergies entre les acteurs du développement économique local.
Le recours à la contractualisation est l'un des moyens de renforcer ces coopérations entre les collectivités territoriales. Ainsi, la région Nouvelle-Aquitaine a signé en 2023 cinquante-trois nouveaux contrats de territoire avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), pour la période 2023-2025. Ces contrats permettent non seulement de financer des projets pour les territoires, mais également de cofinancer des postes d'ingénierie au sein des intercommunalités. À titre d'exemple, le contrat de développement et de transitions signé entre la région et un EPCI prévoit le cofinancement de l'extension d'une cité de l'entreprise et du numérique, ainsi qu'une aide à la création et au maintien desu derniers commerces de proximité dans un centre-ville.
La région propose également des contrats spécifiques dédiés au développement économique des territoires fragiles ou ayant subi un sinistre économique. Les Contrats néo-aquitains de développement de l'emploi sur le territoire (Cadet) permettent de renforcer l'appui aux entreprises et aux salariés en reconversion ou en perte d'emploi ; huit territoires ont signé un Cadet dans la région Nouvelle-Aquitaine.
Les actions de développement économique sont à la croisée des compétences régionales, métropolitaines et intercommunales, à titre principal, mais aussi communales et départementales, le cas échéant. Elles nécessitent un effort important de coordination entre ces différents échelons pour être mises en oeuvre avec efficacité à l'échelle des territoires.
Notre troisième recommandation est donc de renforcer les coopérations territoriales et de favoriser les synergies entre les acteurs du développement économique territorial. Pour cela, nous proposons l'organisation d'assises de l'ingénierie du développement économique territorial à l'échelle départementale, sous l'égide du préfet de département, délégué territorial de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), pour mobiliser l'intelligence collective des acteurs du développement économique territorial en matière de gouvernance, de diagnostic, d'évaluation et de développement de projets.
Par ailleurs, les auditions ont mis en relief le repli de l'ingénierie des services déconcentrés de l'État. Avec l'approfondissement de la décentralisation et la montée en puissance de l'ingénierie des collectivités territoriales, l'État a opéré un mouvement de repli de son ingénierie. Ce mouvement s'est traduit notamment par la reconfiguration de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar) en 2009 ou encore par la suppression de l'Assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atésat) en 2015. En se repositionnant en financeur et en facilitateur de projets, privilégiant une logique d'appels à projets, l'État a progressivement abandonné ses prérogatives de prospective et de planification stratégique à l'échelle nationale.
En effet, si la logique d'appels à projets permet de désigner des lauréats, qui jouent le rôle de démonstrateurs à l'échelle locale, elle ne va toutefois pas dans le sens de l'aménagement et de la planification du territoire à grande échelle. Certaines collectivités ont su tirer parti de cette situation en déployant leur propre ingénierie de la prospective et de la planification. C'est notamment le cas des régions, des intercommunalités de grande taille, des métropoles, des communautés d'agglomération, mais aussi de certaines grandes communes. Elles se sont dotées de documents stratégiques, lesquels sont d'ailleurs prévus par la loi, à l'instar du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), du schéma de cohérence territoriale (SCot) ou du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi).
D'autres collectivités, en revanche, n'ont pas eu les moyens nécessaires pour développer cette ingénierie. Selon la Fédération nationale des SCoT, 97 % de la population française et 86 % des communes sont aujourd'hui couvertes par un SCoT. Toutefois, certains départements restent partiellement couverts, à l'image de la Creuse ou de la Meuse.
Le besoin de structurer et de consolider l'ingénierie territoriale de la prospective et de la planification stratégique apparaît donc comme une nécessité impérieuse pour permettre aux collectivités de se projeter à long terme. Les SCoT et les PLUi sont des outils essentiels pour retrouver la maîtrise publique du foncier et sécuriser des projets de développement sur le long terme, intégrant les enjeux économiques, sociaux, environnementaux, etc.
La planification stratégique territoriale est le préalable au développement équilibré et durable des territoires, qui inclut une approche systémique des sujets, pour mettre en cohérence l'ensemble autour du développement économique - l'environnement, l'aménagement, l'habitat, les mobilités, la gestion de l'eau, des déchets, l'emploi, la formation, etc.
Or, les interventions de l'État demeurent trop souvent verticales, ponctuelles et insuffisamment concertées. Les collectivités peuvent certes compter sur l'ingénierie technique et financière des opérateurs de l'État, tels que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ou l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'ANCT, reconnus pour leur expertise, et qui complètent une ingénierie locale parfois manquante et défaillante. Mais, comme l'a rappelé la Fédération nationale des agences d'urbanisme (Fnau), nous regrettons que les politiques d'ingénierie de l'État traduisent la tentation du one shot. Je pense, par exemple, à une intervention ponctuelle dans le cadre d'un marché à bons de commande. Il faut de la continuité, de l'enracinement, un soutien de l'État aux ingénieries locales et éviter des concurrences d'ingénierie qui peuvent être provoquées par cette ingénierie ponctuelle, même si les programmes « Action coeur de ville » et « Territoires d'industrie » sont intéressants.
En outre, certaines personnes auditionnées ont relevé que la technostructure déconcentrée de l'État conservait parfois un pouvoir de contrainte, voire de blocage, des projets des projets concertés et portés par les élus locaux. Les acteurs du développement économique sont confrontés à la prolifération normative, qui a des conséquences sur le coût, la complexité et le retard dans la réalisation des projets. À cela s'ajoute une diversité d'interprétations des règles selon les territoires et les interlocuteurs.
L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) dénonce ce cercle vicieux de la complexité normative française : plus les normes sont complexes, plus les collectivités ont besoin d'ingénierie, ce qui implique plus de temps et plus d'argent. Or les collectivités territoriales ne sont pas toutes en capacité de s'outiller en ingénierie pour répondre correctement, faire face à cette complexité et répondre à leurs besoins de développement économique.
Le constat d'une ingénierie à deux vitesses révèle une fracture territoriale entre, d'une part, les grandes collectivités - régions, métropoles, communautés d'agglomération - et, d'autre part, les plus petites, souvent situées dans les territoires ruraux. Or, l'urbain et le rural sont interdépendants ; il faut donc construire entre eux des solidarités et des réciprocités, notamment économiques.
Les appels à projets lancés par l'État et ses opérateurs reflètent ces inégalités d'accès à l'ingénierie, qui peuvent générer de la concurrence entre les territoires ou conduire à faire entrer des projets dans des cases, alors qu'il faudrait partir des initiatives locales et planifier le développement sur le long terme.
Notre quatrième recommandation est donc de repenser les modalités d'intervention de l'État et de ses opérateurs. Il convient de sortir de la logique systématique d'appel à projets et de labellisation, pour privilégier une planification stratégique de long terme, à l'échelle de territoires plus vastes. Il s'agit également d'éviter les concurrences territoriales et les inégalités nationales, d'encourager les initiatives locales, de renforcer la territorialisation de l'accompagnement des collectivités, en particulier les moins bien dotées en ingénierie ; c'était précisément l'une des missions attendues de l'ANCT.
Pour reprendre les termes de l'Association nationale des pôles d'équilibres territoriaux et ruraux et des pays (ANPP), il manque aujourd'hui une ingénierie publique territoriale de long terme, continue, au service du développement local et des transitions, qui connaît les réseaux, comprend la culture politique locale, et qui est capable d'animer avec une vision à long terme, et ne se limite pas à des contrats de deux ans.
M. Jean-Jacques Lozach,
rapporteur. - Si les collectivités territoriales ont
renforcé leurs capacités d'ingénierie interne
- près de 91 % des intercommunalités disposent d'un
service de développement
économique -, elles s'appuient
également sur des structures externes, qu'elles ont elles-mêmes
créées, qu'il s'agisse d'agences - agences d'urbanisme,
agences de développement -, d'entreprises publiques locales, de
structures de coopération territoriale - pays, pôles
d'équilibre territorial et rural (PETR), à qui peuvent être
confiés des documents stratégiques tels que les SCoT -, mais
aussi des chambres consulaires - chambres de commerce et d'industrie, chambres
d'agriculture, chambres de métiers et de l'artisanat -, ainsi que des
acteurs associatifs, privés ou encore de l'ingénierie
financière, telles que les banques publiques ou privées.
Je ne détaillerai pas ici l'organisation ni les missions de ces entités, qui figurent dans notre rapport. Je me contenterai de souligner l'hétérogénéité et le morcellement de ces acteurs, qui nuisent à la lisibilité de l'offre d'ingénierie territoriale pour les entreprises en quête d'accompagnement, le « Qui fait quoi ? »..
Notre cinquième recommandation vise donc à faciliter l'orientation des entreprises vers l'interlocuteur compétent. Pour ce faire, nous proposons, en premier lieu, de systématiser la structuration des administrations déconcentrées de l'État, des collectivités territoriales et de leurs opérateurs sous forme de guichets ou de réseaux. L'objectif est de permettre aux entreprises d'être orientées efficacement vers le niveau de collectivité ou l'opérateur adéquat en matière de développement économique. En second lieu, nous préconisons de généraliser l'élaboration de guides ou de cartographies des ressources d'ingénierie territoriale dans chaque département, à l'image des documents élaborés sous l'égide de l'ANCT. Ces guides devraient recenser les structures, leurs missions, ressources, dispositifs de financement et contacts utiles.
Au-delà de ces constats sur le développement de cette ingénierie multiforme, se pose la question centrale de sa mobilisation au service d'un développement économique durable. Si la nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique territorial peut apparaître difficilement compréhensible en raison de sa complexité, de la multiplicité de ses acteurs et de la diversité de ses outils, les auditions ont permis d'identifier de nouvelles dynamiques qui démontrent la nécessité d'avoir une approche systémique de l'ingénierie territoriale pour mettre en cohérence le tout, afin de créer les conditions de réussite d'un développement économique plus durable des territoires.
Dans le contexte de l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) et de la raréfaction du foncier économique - pourtant indispensable au développement des activités -, de nouvelles stratégies, outils et pratiques émergent pour restaurer une maîtrise publique du foncier et bâtir de véritables stratégies de planification.
Ainsi, le recours au bail à construction permet de favoriser des projets qualitatifs, durables, bien intégrés à l'écosystème local. Confrontées à la raréfaction du foncier économique, les collectivités incitent les industriels à repenser leurs implantations, en développant notamment la verticalité des sites de production, là où les usines étaient historiquement pensées à l'horizontale, réduisant ainsi leur emprise au sol.
L'exemple emblématique est celui de la cimenterie bas-carbone Hoffmann Green, en Vendée. L'usine H2 optimise ses procédés grâce à une tour verticale équipée de silos compartimentés : les matières premières, stockées en hauteur, descendent par gravité dans un mélangeur ; le ciment est ensuite injecté dans les compartiments de stockage situés à la base, permettant un chargement direct des camions. Ce dispositif permet contribue à la fois de à limiter l'emprise foncière et de à réaliser d'importantes économies d'énergie, réduisant ainsi l'empreinte carbone de l'entreprise.
Autre illustration, dans le domaine de l'économie circulaire : en juin 2024, la métropole de Toulouse et l'Eurométropole de Strasbourg ont signé un accord de réplicabilité. Les deux collectivités ont défini une feuille de route commune pour l'économie circulaire dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, à partir de l'expérience de déconstruction du parc des expositions. La méthodologie développée est désormais transposée au projet de rénovation du stade de la Meinau. Ce développement de la valorisation des déchets du bâtiment a été rendu possible grâce à l'outil de la commande publique durable.
Néanmoins, les réformes de la
fiscalité locale engagées depuis 2018 ont fragilisé
le lien contributif entre les entreprises et les collectivités
territoriales. Cette déterritorialisation des impôts locaux
constitue un frein au développement économique, en
réduisant l'incitation des collectivités à accueillir de
nouvelles activités.
Au-delà de cette nouvelle donne fiscale, les auditions ont mis en exergue plusieurs conditions, endogènes et exogènes, que les collectivités doivent réunir pour assurer un développement économique efficace et durable.
Parmi les conditions endogènes, figure la nécessité de structurer l'ingénierie de la connaissance en amont de tout projet. Disposer de connaissances, analyses et données utiles est nécessaire pour comprendre les spécificités d'un territoire.
L'approche écosystémique de la toile
industrielle, imaginée par l'Agence d'urbanisme
Flandre-Dunkerque, constitue un exemple particulièrement
inspirant. Il s'agit d'un outil d'intelligence économique qui
représente de façon schématique l'écosystème
dunkerquois. L'ensemble des réseaux, flux, échanges,
marchés, interdépendances, synergies qui peuvent exister entre
les différentes entreprises implantées sur le territoire est
matérialisé, à la manière des fils d'une toile
d'araignée.
Par exemple, pour l'installation de sa gigafactory de batteries électriques prévue pour 2025, la société Verkor s'est rapprochée de la société Clarebout, productrice de frites surgelées, pour récupérer son eau industrielle en sortie de process et l'utiliser pour refroidir ses installations.
Le concept de toile est décliné en une trentaine de thématiques : toile énergétique, toile industrielle, toile de la transition agricole et alimentaire, toile sanitaire et sociale, ou encore toile de la bière. Ce modèle a été repris à l'échelle nationale, mais aussi internationale ; une délégation du territoire dunkerquois sera présente au pavillon France à l'occasion de la quinzaine thématique « Ville et port durable » de l'Exposition universelle d'Osaka 2025.
Notre sixième recommandation est donc de promouvoir le développement et la structuration de l'ingénierie de la connaissance et de la prospective au sein des collectivités. Il s'agit de créer des outils de mesure de la santé économique des territoires - baromètres, indicateurs -, de mettre en place des outils d'analyse et de prospective - observatoire, études, toiles industrielles, etc. -, et de favoriser la mutualisation de ces outils. En développant davantage l'ingénierie de l'observation et de la prospective, les collectivités se structurent pour renforcer le poids de la planification stratégique de long terme, que l'État a délaissé au profit d'une logique d'appels à projets de court terme.
L'élaboration de documents ou de schémas stratégiques permet ainsi aux collectivités territoriales de planifier avec une vision de long terme le développement économique de leur territoire et de mettre en cohérence l'ensemble de l'écosystème par une approche systémique et structurée des politiques publiques : environnement, aménagement, habitat, mobilité, gestion de l'eau, gestion des déchets, emploi, formation, etc.
Tel est l'objet de notre recommandation n° 7 : renforcer le poids de la prospective et de la planification stratégique du territoire, mobiliser davantage les outils de prospective et de planification stratégique - PLUi, SCoT, etc. - pour piloter l'aménagement et le développement économique des territoires sur le long terme.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Pour poursuivre l'analyse des conditions de réussite endogènes liées à l'ingénierie territoriale, j'aborderai ici la question cruciale du choix d'outils juridiques adaptés, essentiels pour accompagner efficacement le développement économique des territoires.
Recourir à une entreprise publique locale peut, à cet égard, offrir une agilité précieuse, faciliter les opérations complexes et l'accès au financement, tout en permettant aux élus de conserver la maîtrise de la gouvernance. L'exemple de la transformation économique opérée sur le territoire de Chartres Métropole, bien connu de notre collègue Daniel Gueret, en témoigne. Cette collectivité a su mobiliser tout son réseau d'EPL pour convaincre la société pharmaceutique danoise Novo Nordisk, implantée depuis les années 1960, d'investir plus de 2 milliards d'euros sur son territoire.
Cet investissement majeur vise à doubler la taille du site existant et à développer de nouvelles capacités de production, notamment pour fabriquer un médicament innovant destiné au traitement de l'obésité par l'insuline. Le territoire de Chartres était en concurrence avec d'autres territoires, notamment en Irlande et en Allemagne.
Pour accueillir ce projet, la collectivité a mobilisé plusieurs de ses satellites spécialisés : une société publique locale (SPL) pour l'aménagement, une société d'économie mixte (SEM) pour le développement immobilier, et une société d'économie mixte à opération unique (Semop) pour la gestion de l'eau et de l'assainissement.
En tant qu'élue de Seine-Maritime, je souhaite également évoquer l'action engagée par Caux-Seine développement Développement pour la structuration d'une filière de chimie décarbonée, avec l'implantation prochaine de deux sites industriels majeurs. La société Eastman y développera une activité de recyclage de plastiques complexes, difficilement valorisables à ce jour, tandis que la société Futerro y implantera une usine de production de bioplastiques.
L'effet levier des EPL peut être considérable. Selon la Fédération des EPL, chaque euro investi par une collectivité dans une EPL génère entre quatre et cinq euros de valeur ajoutée globale pour le territoire et son écosystème.
D'autres formes juridiques méritent également d'être mobilisées. C'est le cas des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), qui permettent de s'inscrire dans une logique d'activité économique et commerciale, tout en impliquant fortement les acteurs du territoire : les salariés, les clients, les fournisseurs, ou les citoyens, dans une logique d'économie sociale et solidaire. Un exemple éclairant est celui de la transformation de l'office du tourisme de Strasbourg, en SCIC, pour tendre vers un tourisme responsable.
Notre collègue Sonia de La Provôté a évoqué à l'instant le développement du recours à la contractualisation comme outil d'articulation des ingénieries territoriales ; celle-ci permet également d'impliquer plus étroitement les acteurs de l'écosystème.
Je pense, par exemple, à l'expérimentation des plans de progrès dans les marchés publics passés par l'Eurométropole de Strasbourg. Il s'agit de fixer des objectifs d'amélioration continue aux titulaires des marchés publics passés par la collectivité, les incitant à coopérer activement avec l'acheteur public en cours d'exécution du marché. L'expérimentation porte sur une dizaine de marchés publics. Par exemple, celui qui porte sur l'éclairage public a donné lieu à la co-construction d'un plan de progrès en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Le titulaire a été incité à travailler sur l'égalité des effectifs affectés au marché. Le plan de progrès peut être ajusté en cours d'exécution du marché. Il permet par ailleurs à l'entreprise d'améliorer la qualité de son offre et de pouvoir candidater à des marchés plus volumineux.
Enfin, le choix des outils financiers adaptés compte évidemment aussi avec la mobilisation de nouveaux outils innovants comme les fonds de capital investissement, les produits d'épargne fléchés ou l'éco-socio-conditionnalité des aides. La région Normandie déploie le dispositif « Impulsion Proximité » à destination des artisans et des commerçants pour leurs opérations de transmission, -reprise d'actifs matériels et immatériels, et leurs opérations de développement. La région précise que l'aide régionale est apportée sous forme d'un prêt à taux zéro sans garantie d'un montant maximum de 50 000 euros versés en une seule fois, sous forme d'une subvention pouvant atteindre 10 % du montant du prêt.
Notre recommandation n° 7 vise donc à aider les collectivités territoriales à mobiliser les bons outils juridiques et financiers pour conforter l'ingénierie publique territoriale et soutenir le développement économique des territoires. Pour cela, il conviendrait que l'État mette à disposition des collectivités territoriales une boîte à outils juridiques et financiers du développement économique territorial. Cette boîte à outils pourrait comprendre des fiches thématiques actualisées sur les principaux dispositifs juridiques et financiers mobilisables par les collectivités pour accompagner le développement économique de leurs territoires : EPL, foncières, SCIC, baux à construire, contractualisations, outils et produits financiers. Les préfets de département pourront utilement relayer l'information auprès des collectivités et de leurs départements les moins dotés en ingénierie.
Après l'ingénierie du financement, nous nous sommes aussi intéressés au financement de l'ingénierie, car, disposer d'une ingénierie du développement économique territorial, c'est, bien sûr, aussi pouvoir la financer. Or les collectivités territoriales qui ont le plus besoin d'ingénierie sont celles qui en sont le moins bien dotées. Dans le contexte de contraintes budgétaires et financières qui pèse plus particulièrement sur les petites collectivités territoriales, notamment en milieu rural, il paraît important de trouver les moyens de sécuriser le financement de l'ingénierie mobilisable par ces collectivités, pour réduire les fractures territoriales.
En ce sens, notre recommandation n° 8, qui figurait déjà dans un précédent rapport que nous avions rédigé avec Charles Guené sur l'ANCT, soutient la mise en place du « 0,1 % ingénierie » pour financer l'ingénierie du développement économique territorial des collectivités les moins outillées. Ce « 0,1 % ingénierie » prendrait la forme d'une contribution de 0,1 % prélevée sur les dépenses d'investissement des collectivités territoriales. Cette contribution aurait un caractère redistributif en faveur des territoires moins outillés en ingénierie du développement économique.
S'agissant enfin des conditions exogènes à l'ingénierie, les auditions ont mis en avant une série de bonnes pratiques : se doter d'une vision politique stratégique, mettre en place une gouvernance efficace pilotée par la puissance publique, renforcer les coopérations, les réciprocités et les solidarités entre les territoires, renforcer les synergies entre les acteurs économiques locaux, rapprocher voire hybrider les ingénieries publiques et privées, territorialiser l'action publique économique, éviter les doublons d'ingénierie - il en existe - mieux articuler l'urbain et le rural, ou encore associer davantage les citoyens pour rendre plus acceptables les projets de développement économique.
Je m'arrêterai ici sur un exemple inspirant, même s'il ne concerne pas la Normandie, qui parlera au président Bernard Delcros attaché à la ruralité puisqu'il vise à créer des solidarités nouvelles entre les territoires urbains et ruraux. Je veux parler du contrat de réciprocité signé entre l'Eurométropole de Strasbourg, la communauté d'agglomération de Saint-Dié-des-Vosges et la communauté de communes de la vallée de la Bruche. Sans structure institutionnelle supplémentaire - j'y insiste -, il s'agit de créer un réseau de collectivités au service de l'équilibre et de la cohésion des territoires, en se mobilisant autour de projets fédérateurs communs. Le contrat s'articule autour de deux biens communs : le massif des Vosges et la voie ferrée entre Strasbourg et Saint-Dié-des-Vosges. Les projets phares portent sur deux grands sujets : la promotion d'un tourisme de proximité, en valorisant la voie de chemin de fer - tarification spéciale lors de manifestations, vélotourisme depuis les gares - et le partage de bonnes expériences autour de certaines filières économiques comme l'agriculture, la filière bois ou la transformation des friches.
En conclusion, la nouvelle donne de l'ingénierie du développement économique territorial, éclairée par des expériences inspirantes partagées par les personnes auditionnées et mises à contribution, souligne le rôle essentiel de la puissance publique pour développer une approche systémique des politiques publiques, planifier la stratégie sur le long terme, articuler les compétences, coordonner les ingénieries, qu'elles soient publiques ou privées, ou encore pour favoriser les synergies et les réciprocités entre les acteurs économiques, sans perdre de vue le principal : donner du sens aux écosystèmes territoriaux et permettre le développement de projets qui ont pour finalité de contribuer au développement responsable et durable des territoires et au bien-être de leurs habitants.
M. Grégory Blanc. - Merci pour la qualité et la densité de vos recommandations, qui nous livrent un panorama à la fois exhaustif et précis. J'ai particulièrement apprécié les exemples que vous avez donnés. Votre exposé démontre que nous avons besoin d'ingénierie dans les territoires et qu'il est possible de construire des solutions adaptées aux spécificités locales.
Vous avez insisté sur la nécessité d'avoir une planification stratégique. Nous voyons bien la tension qui existe entre l'enjeu d'approfondissement de la décentralisation et la nécessité de repositionner l'État dans les territoires. Nous avons besoin d'une planification stratégique, notamment pour faire face au défi de la transition lié au réchauffement climatique, comme le démontre le Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc).
Par ailleurs, lorsqu'on échange avec la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), on observe une perte de compétences à l'échelle nationale pour l'accompagnement de nos filières. S'il existe des personnels très compétents dans les départements, en matière d'infrastructures notamment, nous relevons des manques sur le plan des compétences scientifiques.
Enfin, si l'on parvient à bien articuler l'ingénierie dans les territoires, je doute que le fait de permettre aux départements de réutiliser leurs compétences économiques soit de bon augure pour l'utilisation efficiente de l'argent public, compte tenu des difficultés financières qui sont les leurs.
M. Franck Montaugé. - L'état des lieux du développement des territoires en matière économique et la mise en évidence de leurs dynamiques ou de leur manque de dynamisme sont des points majeurs, pour mieux comprendre leurs difficultés, passées et futures. Tous les élus ne sont pas forcément sensibilisés au devenir de leur territoire à moyen et long termes. Or, pour avoir des territoires dynamiques, il faut une prise de conscience. Vous avez proposé des outils pour y parvenir. C'est fondamental.
N'oublions pas par ailleurs l'intérêt national et les enjeux de souveraineté. Je regrette que nous ayons abandonné la notion d'aménagement du territoire national. J'aimerais que la planification écologique qui a été engagée au plus haut niveau de l'État parvienne dans les territoires, que leurs acteurs se l'approprient, et que cela se traduise par un dialogue avec l'ensemble des collectivités territoriales concernant l'objectif de développement économique. Malheureusement, nous n'en sommes pas encore là.
Le département reste effectivement un périmètre pertinent pour travailler sur les questions économiques, complémentaire des EPCI.
Je regrette que vous ayez laissé de côté les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), qui ont pourtant toute leur pertinence pour autant qu'on les construise collectivement et qu'on les fasse vivre. En Occitanie, personne n'y fait référence, alors qu'il s'agit d'un cadre de programmation très intéressant, qui doit résulter du croisement entre l'approche nationale et les approches de terrain.
Quant aux chambres consulaires, elles sont missionnées, suivant des objectifs donnés. Si elles font, certes, de l'animation utile, nous gagnerions à ce qu'elles soient davantage impliquées dans les questions économiques, pour autant qu'elles en aient les moyens. Le point de vue des professionnels est irremplaçable.
Enfin, sans politique volontariste au plus haut niveau en faveur d'un aménagement territorial national pour réanimer économiquement les territoires ruraux, ces derniers risquent de se transformer en déserts.
M. Bernard Delcros, président. - L'aménagement du territoire est effectivement un sujet central. Une politique d'aménagement du territoire est indispensable pour qu'à travers le développement économique les territoires contribuent à répondre aux enjeux nationaux que sont la réindustrialisation, la souveraineté alimentaire, la transition énergétique, etc. Les contrats de réciprocité fonctionnent lorsqu'ils s'inscrivent dans une politique d'aménagement du territoire pensée à l'échelle régionale.
Le Gouvernement a missionné Dominique Faure pour relancer la stratégie d'aménagement du territoire. Je propose que nous l'invitions prochainement pour l'entendre et lui faire part de certaines de nos propositions.
Enfin, l'idée n'est pas de donner une compétence obligatoire aux départements, mais de leur permettre, quand ils le peuvent et le jugent utile, en fonction des situations locales, d'intervenir dans le domaine économique. Plus nous mettrons de souplesse dans le partage de ces compétences, mieux ce sera. Pendant la crise du covid-19, le maire d'une commune que je connais bien a voulu donner 1 000 euros à chaque commerçant qui avait dû fermer sa boutique, mais n'a pas pu le faire parce qu'on lui a dit que la compétence économique relevait de la région. C'est regrettable.
M. Patrice Joly. - La question de l'ingénierie se pose différemment selon la typologie des territoires : urbains, ruraux, métropolitains. Les réponses doivent être adaptées. Cela renvoie à la question de la définition des périmètres de compétences entre les régions, les intercommunalités, etc. À titre d'exemple, si des intercommunalités nivernaises de 15 000 habitants parviennent à accompagner des entreprises individuelles ou des petits commerces ou artisanats, elles ne peuvent aller au-delà, faute de compétences et de moyens.
Lorsque j'étais président du conseil départemental de la Nièvre, si j'ai toujours trouvé une écoute auprès des représentants de la région pour accompagner les projets que nous souhaitions développer, à l'inverse, ils ne sont jamais venus me trouver pour me proposer de développer tel ou tel projet dans mon département. Cette tendance s'est renforcée après 2015, avec l'instauration des grandes régions.
La région est trop éloignée et les collectivités intercommunales n'ont pas la taille suffisante pour avoir une ingénierie solide et professionnelle. Il faut en effet renforcer la professionnalisation.
L'ingénierie doit se déployer en outre à différents niveaux. L'ingénierie stratégique est importante pour avoir une vision et faire converger les synergies publiques et privées. Mais il existe aussi l'ingénierie d'accompagnement et l'ingénierie d'émergence. Ainsi, lorsque la loi NOTRe a été examinée, j'étais en train de lancer une agence de développement dans mon département, composée d'une douzaine de personnes, chargées d'identifier les ressources des territoires et de voir comment les valoriser, de trouver de nouveaux modèles économiques ainsi que les réponses techniques associées, et d'échanger avec les partenaires extérieurs susceptibles d'accompagner les projets, financièrement ou techniquement.
Le problème est que nous manquons d'investisseurs qui identifient les ressources des territoires. Il faut leur livrer les projets clés en main. En effet, les équipes chargées de l'ingénierie à l'échelle régionale, soucieuses de voir aboutir les projets qu'elles accompagnent, ont tendance à cibler les grandes villes plutôt que les petits territoires, car elles s'attendent à de meilleurs résultats. Il arrive ainsi que des projets se déplacent, pour cette raison, d'un territoire à l'autre, parfois de manière tout à fait illégitime.
Il est important de donner aux départements, notamment à ceux qui manquent de moyens, la possibilité de se doter de la compétence de développement économique, à condition de leur donner les moyens de cette compétence. L'ingénierie financière est également une question importante. Malheureusement, nous manquons souvent de compétences en la matière.
Si la réciprocité paraît pertinente en théorie, n'oublions pas que l'on a souvent tendance à voir les choses de son point de vue. Celui qui est doté d'une compétence en ingénierie en métropole aura tendance à vouloir transposer son expérience. Or de telles transpositions ne seront pas toujours possibles. La vigilance est donc de mise à cet égard.
Enfin, dans un territoire comme le mien, les doublons n'existent pas. C'est un problème de riche ! Posons-nous les bonnes questions selon la réalité des territoires. Les territoires ruraux ont sur ce point l'avantage de pouvoir s'appuyer sur les préfets.
M. Bernard Delcros, président. - Que pensez-vous de la cotisation de 0,1 % proposée par les rapporteurs pour les programmes d'investissement ?
M. Franck Montaugé. - Combien ces programmes représentent-ils ?
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Je ne sais plus.
Mme Ghislaine Senée. - Sachant que ce montant est censé avoir fait exploser le budget de l'État, je pense que cela fait beaucoup... (Sourires)
M. Bernard Delcros, président. - Ce serait intéressant de le connaître, effectivement.
M. Bernard Buis. - Le département de la Drôme a fait le choix d'intervenir en complément des communautés de communes et de la région sur les dossiers économiques ayant un lien avec l'agroalimentaire. Il a donc signé des conventions en ce sens, qui permettent d'aboutir à des niveaux de subventions intéressants, pour des aides à l'équipement, à l'investissement et à la création d'emplois.
M. Daniel Gueret, rapporteur. - Nous reprendrons certains éléments de vos interventions, mais je retiens surtout de vos propos la nécessité de renouer avec une véritable stratégie d'aménagement du territoire. Il faudrait effectivement recevoir Dominique Faure. Sa mission est le signe d'une volonté d'agir, mais nous devons aller beaucoup plus loin. Le Sénat doit être force de proposition à ce sujet.
Concernant le financement, ce que nous proposons n'est effectivement pas suffisant. Nous en avons bien conscience.
Nous avons voulu ouvrir la possibilité, pour les départements qui le veulent, et qui le peuvent, de se doter de la compétence de développement économique, tout en étant bien conscients de leurs difficultés financières présentes et à venir.
La volonté de clarification portée par la loi NOTRe a parfois abouti à de réelles complexifications. À ce sujet, notre souhait a été de ne pas anticiper les réflexions de nos collègues qui réfléchissent à cette question. Il reste qu'il n'est pas seulement nécessaire d'assouplir cette loi : plusieurs éléments doivent être revus. Plusieurs collectivités nous ont fait part de leur désarroi lors de leur audition. Il est vrai toutefois que les situations varient selon les territoires : dans certains cas, certaines régions se tournent spontanément vers les départements, et dans d'autres cas l'inverse se produit, sans que la réciproque s'applique. On observe aussi parfois une sorte de compétition politique. Or toutes les énergies doivent être rassemblées pour pouvoir avancer sur ces sujets.
M. Franck Montaugé. - Dans la perspective de l'audition de Dominique Faure, il serait intéressant d'avoir les chiffres - je n'ai pas réussi à les obtenir, y compris auprès de la Banque de France - concernant l'évolution du produit intérieur brut (PIB) par département dans le temps. Ce serait un indicateur révélateur du dynamisme des territoires.
M. Bernard Delcros, président. - Ce serait effectivement un indicateur intéressant à connaître.
M. Franck Montaugé. - Le périmètre des indicateurs de développement durable produits par l'Insee - les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies - s'étend jusqu'aux régions, mais ne va pas jusqu'aux départements. Il s'agit pourtant de données intéressantes. Une extension de ce périmètre aux départements serait bienvenue.
Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Le rapport souligne à plusieurs reprises l'importance de la planification stratégique et de la prospective. Il faut une vision nationale pour éviter que les fractures s'aggravent.
La loi NOTRe a conduit à associer la compétence de développement économique à la taille des territoires, donc à la concentration de l'activité économique. Les petites mailles des territoires ont été laissées de côté. C'est pourtant là que l'ingénierie locale joue tout son rôle. Créés sur l'initiative des collectivités locales - intercommunalités, départements, etc. -, les lieux d'ingénierie locale sont à la fois des lieux d'ancrage territorial, de diagnostic partagé, de programmation commune et de bonne connaissance des réalités locales, à toutes les échelles. Cela n'enlève rien à l'intérêt des Sraddet et des SRDEII, mais cela permet de réfléchir à l'échelle intercommunale au développement économique et au maintien des commerces et services de proximité.
À titre d'exemple, il est regrettable que l'action de l'État se focalise, dans un territoire donné, sur deux communes labellisées « Action coeur de ville » au détriment des autres communes. L'ingénierie locale doit pouvoir s'emparer de ce sujet, car les élus ne s'opposent pas les uns aux autres, mais doivent essayer de construire ensemble.
Le rapport a confirmé qu'il ne pouvait y avoir de développement économique sans stratégie de moyen et long terme, sans diagnostic partagé et sans prise en compte des aménités nécessaires pour favoriser le développement économique : logement, mobilités, logistique, formation, etc. Pour y parvenir, il faut des lieux où l'on traite de tout. Or seule la planification le permet.
Par ailleurs, les départements font du développement économique sans en faire, par le biais des agences d'attractivité, par exemple, ou lorsqu'ils s'occupent de tourisme ou d'agriculture. Les intercommunalités peuvent également leur déléguer la gestion de zones d'activité au titre de l'aménagement foncier. L'échelon départemental est essentiel pour garantir la réussite des projets économiques dans les territoires.
Nous demandons à l'État d'avoir une vision régalienne et juste de l'aménagement du territoire, et surtout de nous faciliter la tâche sur le terrain. Les chefs d'entreprise souhaiteraient disposer d'un guichet unique, doté d'un personnel capable de les accompagner.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Depuis dix à quinze ans, compte tenu des difficultés financières et des besoins des départements, notamment en matière d'action sociale, les sessions plénières des conseils départementaux ne comportent presque plus de débat sur le développement économique. Ce phénomène est lié également au redécoupage des grandes régions.
Dans l'hyperruralité, les communautés de communes sont incapables d'exercer leurs compétences en matière de développement économique. J'ai vu passer des dossiers d'expansion d'entreprises d'un montant de 2 millions d'euros, dont le plan de financement faisait état d'une contribution de la communauté de communes de 50 000 euros !
Enfin, j'ai beaucoup défendu, pour ma part, les contrats de réciprocité. Certaines régions continuent à jouer le jeu dans ce domaine. C'est une véritable forme de péréquation horizontale, bénéfique pour tous, à la ville comme à la campagne. Il faudrait les réhabiliter.
M. Bernard Delcros, président. - C'est une forme d'aménagement du territoire.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Oui. Une impulsion de l'État sur ce type de contractualisation est pertinente.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Je partage les propos de Franck Montaugé concernant l'importance d'établir un état des lieux des dynamiques locales. Exxon a mis fin, il y a un peu plus d'un an, à ses activités chimiques situées en Seine-Maritime, le long de la vallée de la Seine. Cela représentait 670 emplois, et encore davantage d'emplois induits. Or il a fallu que les services de la préfecture et de l'agglomération recensent l'ensemble du tissu économique affecté par cette décision, car nous ne disposions pas de cette connaissance en temps réel.
L'exemple de la toile de Dunkerque a été cité dans notre présentation, fruit d'un travail approfondi visant à étudier toutes les interactions locales. Il est indispensable que l'on se dote de ce genre d'outil dans nos territoires, pour pouvoir réagir plus rapidement si une nouvelle décision comme celle d'Exxon devait être prise.
Concernant les départements, nous avons été très prudents : la possibilité de se doter de la compétence de développement économique a été ouverte au cas par cas, en fonction de leurs moyens. Mais il est bon d'avoir un débat à ce sujet. Nous spécialisons nos collectivités pour gagner en lisibilité. Or toutes les personnes que nous avons auditionnées nous ont dit que le développement économique nécessitait en parallèle le développement de logements, de formation, de transports, d'infrastructures de santé. Comment mener un tel travail global avec des collectivités spécialisées ?
Ce débat est nécessaire et doit attirer notre attention dans le cadre des débats relatifs à la loi NOTRe.
L'État comme les collectivités doivent jouer leur rôle de stratège en matière de développement économique et d'aménagement du territoire. Nous sommes tous de fervents défenseurs de la décentralisation. Mais comment tout cela se mettra-t-il en oeuvre ? Sur ce point, j'ai hâte de voir ce que donnera l'application de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Le préfet de mon territoire m'a dit toutefois qu'il fallait attendre la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avant de la voir se mettre en oeuvre.
M. Franck Montaugé. - Les préfets ne tiennent pas tous le même discours à cet égard.
Mme Céline Brulin, rapporteure. - Comment articuler planification et stratégie nationales, besoins nationaux et rôle des collectivités ? Cette question est cruciale.
Nous avons parfois des visions un peu faussées des territoires, du fait d'une méconnaissance de leurs réalités, y compris dans le monde économique. Savez-vous que le département de l'Orne, peuplé de 280 000 habitants, affiche un PIB industriel aussi important que celui de la Seine-Maritime ? Les industries y sont en effet très nombreuses.
M. Franck Montaugé. - La composition sociologique des populations des territoires est un point important, car l'équilibre et la vitalité des territoires se mesurent à l'aune de celle-ci. Il ne faut pas raisonner exclusivement en termes économiques, il peut y avoir une différence entre l'importance d'une production et le nombre de ceux qui y contribuent.
M. Bernard Delcros, président. - Plus nous assouplissons les systèmes, plus nous pouvons répondre aux spécificités des territoires. À l'inverse, plus l'on cloisonne, moins l'on répond aux situations locales et moins l'on peut saisir d'opportunités.
Les recommandations sont adoptées.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
AUDITIONS RAPPORTEURS
MARDI 3 DÉCEMBRE 2024 - FRANCE
URBAINE
- Mme Anne-Marie JEAN, vice-présidente emploi, formation, économie durable et transition écologique des entreprises, commerce et artisanat, tourisme durable de l'eurométropole de Strasbourg ;
- M. Jean-Claude DARDELET, vice-président de Toulouse métropole, chargé de l'attractivité, du tourisme, de l'Europe et de l'international.
MARDI 17 DÉCEMBRE 2024 - INTERCOMMUNALITÉS DE FRANCE
- M. Laurent TROGRLIC, président de la communauté de communes du bassin de Pompey, secrétaire national d'Intercommunalités de France, premier vice-président délégué du conseil d'administration du CEREMA ;
- M. Lucas CHEVRIER, conseiller industrie, Intercommunalités de France.
JEUDI 19 DÉCEMBRE 2024 - FÉDÉRATION DES EPL (FEDEPL)
- M. Julien PLANTIER, premier adjoint au maire de Nîmes délégué à l'urbanisme, conseiller départemental du Gard, président de la société publique locale AGATE, administrateur de la FedEPL ;
- M. Franck MASSELUS, vice-président de Chartres métropole, adjoint au maire de Chartres, président de Chartres aménagement et membre du bureau de la FedEPL ;
- M. Benjamin GALLEPE, directeur général, FedEPL ;
- M. Fabien GUEGAN, responsable adjoint du département immobilier et développement économique, FedEPL.
MARDI 14 JANVIER 2025 - ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE (AMF)
- M. Alain CHRETIEN, maire de Vesoul, président de la communauté d'agglomération de Vesoul, vice-président de l'AMF, ancien député.
JEUDI 23 JANVIER 2025 - ASSOCIATION DES PETITES VILLES DE FRANCE (APVF)
- M. Jean-Marc VASSE, maire de Terre-de-Caux ;
- M. Jean-Michel PERRET, maire de Saint-Hilaire de Brethmas.
JEUDI 6 FÉVRIER 2025 - FÉDÉRATION NATIONALE DES AGENCES D'URBANISME (FNAU)
- Mme Brigitte BARIOL, déléguée générale ;
- M. Jean François VEREECKE, agence d'urbanisme Flandre-Dunkerque, directeur délégué ;
- M. Olivier DELBECQ, agence d'urbanisme Boulogne-sur-Mer Développement, délégué général ;
- Mme Émeline BAUME, 1re vice-présidente de la métropole de Lyon, en charge de l'économie, de l'emploi, du commerce, du numérique et de la commande publique ;
- M. Vincent COUTURIER, agence d'urbanisme UrbaLyon, ancien coordonnateur de l'Observatoire partenarial économie, emploi, insertion (OPALE).
MARDI 11 FÉVRIER 2025 - FÉDÉRATION NATIONALE DES SCHÉMAS DE COHÉSION TERRITORIALE (FÉDÉSCOT)
- M. Nicolas HASLÉ, membre du conseil d'administration de la FédéSCoT, président du Scot du Grand Vendômois (Loir-et-Cher), vice-président de la communauté d'agglomération Territoires vendômois ;
- Mme Stella GASS, directrice de la FédéSCoT.
MARDI 11 FÉVRIER 2025 - ASSOCIATION NATIONALE DES PÔLES TERRITORIAUX ET DES PAYS (ANPP)
- M. Michael RESTIER, directeur de l'ANPP ;
- M. Jérôme CLEMENT, directeur territorial du pôle territorial du Perche (Eure et Loire).
JEUDI 13 FÉVRIER 2025 - ASSOCIATION DES MAIRES RURAUX DE FRANCE (AMRF)
- M. Louis PAUTREL, maire
de Le Ferré (35), membre du bureau de l'AMFR, président de
l'Association des Maires Ruraux
d'Ille-et-Vilaine.
MARDI 1ER AVRIL 2025 - COMMUNAUTÉ DE COMMUNES CHAMPAGNOLE-NOZEROY
- M. Rémi HUGON, président de la communauté de communes
- M. Antoine GINDRE, directeur général des services ;
- M. Morgan BOURDENET, directeur adjoint aménagement du territoire et urbanisme.
MARDI 1ER AVRIL 2025 - FÉDÉRATION NATIONALE DES AGENCES DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE (CNER)
- M. Alil BENABDILLAH, président, vice-président de la région Occitanie-Pyrénées-Méditerranée en charge de l'économie, l'emploi, l'innovation et la réindustrialisation, vice-président de l'agence de développement économique Ad'Occ ;
- M. Mathieu DEJOUY, directeur général.
MERCREDI 9 AVRIL 2025 - ASSOCIATION BOUGE TON COQ
- M. Emmanuel BROCHOT, co-fondateur ;
- M. Christophe BROCHOT, co-fondateur ;
- Mme Margot ALQUIER, responsable pouvoirs publics.
RÉUNIONS PLÉNIÈRES
JEUDI 20 FÉVRIER 2025 - TABLE
RONDE
- M. Jean-Marc VASSE, maire de Terres de Caux, président de Caux Seine Agglo ;
- Mme Anne-Marie JEAN, 5e vice-présidente de l'eurométropole de Strasbourg en charge des politiques de l'emploi, de la formation, de l'économie durable, de l'économie circulaire et de la transition écologique des entreprises ainsi que du tourisme durable ;
- M. Nicolas PORTIER, professeur à Science Po, ancien directeur général d'Intercommunalités de France ;
- M. Stéphane VINCENT, délégué général de l'association La 27e Région ;
- Mme Sylvine BOIS-CHOUSSY, cheffe de projets coopération internationale, association La 27e Région.
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Collectivités territoriales et structures de coopération intercommunale
- Département de Seine-et-Marne
- Communauté d'agglomération Chartres Métropole
- Communauté d'agglomération Le Grand Chalon
- Communauté de communes Val'Eyrieux
- Commune de Lille
- Syndicat mixte Chambéry-Grand Lac Économie
- Territoire d'industrie Nevers Val de Loire
Associations d'élus
- Régions de France
- Départements de France
- Villes de France
Fédérations et associations professionnelles
- Fédération nationale des entreprises publiques locales (FédéEPL)
- Fédération nationale des schémas de cohérence territoriale (FédéScot)
- Fédération nationale des agences de développement (CNER)
- CCI France
Acteurs privés
- Pôle de compétitivité Cosmetic valley
- Cabinet d'audit Ernst&Young
- Cabinet de conseil Rouge vif territoires
- Association Bouge ton coq
* 1 CEREMA, agence de la transition écologique (ex-Ademe), agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), etc.
* 2 Voir l'exemple de la transformation économique du territoire de Chartres Métropole grâce à son réseau d'entreprises publiques locales.
* 3 Voir l'exemple de la transformation de l'office du tourisme de Strasbourg en SCIC pour tendre vers un tourisme responsable.
* 4 On
pourra se référer au cycle de travaux de la
délégation consacré à l'ingénierie publique,
initié par
le rapport
d'information n°557 (2009-2010) de M. Yves DAUDIGNY
relatif à l'ingénierie publique, prolongé par
les rapports
d'information n°591 (2019-2020) de Mme Josiane COSTES et
M. Charles GUENÉ relatif à l'ingénierie territoriale et
l'Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT),
n°909
(2021-2022) de Mme Agnès CANAYER et M. Éric
KERROUCHE relatif aux services préfectoraux et
déconcentrés de l'État,
n°313
(2022-2023) de Mme Céline BRULIN et M. Charles
GUENÉ relatif à l'ANCT,
n°87
(2023-2024) de MM. Laurent BURGOA, Pascal MARTIN et
Guy
BENARROCHE relatif à la transition environnementale des
collectivités territoriales,
n°693
(2023-2024) de MM. Daniel GUÉRET et Jean-Jacques LOZACH
relatif à l'ingénierie des petites communes,
n°702
(2023-2024) relatif au suivi du rapport du Sénat de
2023 sur l'ANCT (rapport d'étape) et
n°126
(2024-2025) relatif au suivi du rapport du Sénat de
2023 sur l'ANCT de Mmes Sonia de LA PROVÔTÉ et
Céline BRULIN.
* 5 Cf rapport d'information n°591 précité, p.19.
* 6 cf. le site internet de Nord France Invest, en particulier le dossier thématique Comprendre les agences de développement économique - NFI
* 7 Source : Guide des ressources d'ingénierie locale de la Moselle (2024), réalisé par le préfet de la Moselle et l'Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT).
* 8 Encadrés de couleur verte pour les bonnes pratiques, bleue pour les focus et jaune pour les recommandations.
* 9 cf. le site internet consacré au programme Rebonds : https://rebonds.la27eregion.fr/programme/
* 10 Le Sénat a adopté, en première lecture, le 18 mars 2025, la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux à un rythme compatible avec l'ensemble des stratégies favorisant la transition écologique en France.
* 11 https://www.intercommunalites.fr/publications/rapport-dactivite-2021-2022/
* 12 Source : Étude quinquennale économique 2022, Intercommunalités de France : https://www.intercommunalites.fr/publications/etude-quinquennale-economie/
* 13 Lien vers l'étude du CNFPT : https://www.cnfpt.fr/sites/default/files/document/1701766209/etude-metiers-tension-rapport.pdf
* 14 Lien vers le référentiel d'Intercommunalités de France : https://www.intercommunalites.fr/publications/partager-un-referentiel-de-competences-des-developpeurs-economiques-territoriaux/
* 15 Voir sur ce sujet le rapport d'information n°447 (2024-2025) relatif à l'intelligence artificielle dans l'univers des collectivités territoriales par Mmes Pascale GRUNY et Ghislaine SENÉE.
* 16 cf. présentation et détail du programme de la formation : https://formation.cnam.fr/rechercher-par-discipline/certificat-de-specialisation-cs13800a-developpeur-economique-territorial-1475313.kjsp
* 17 Source : Étude quinquennale économique 2022, Intercommunalités de France : https://www.intercommunalites.fr/publications/etude-quinquennale-economie/
* 18 Sociétés d'économie mixte (SEM), sociétés publiques locales (SPL), sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP).
* 19 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
* 20 Article 4251-12 CGCT.
* 21 L'article 4251-13 du CGCT dispose ainsi que :
« La région élabore un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation.
Ce schéma définit les orientations en matière d'aides aux entreprises, de soutien à l'internationalisation et d'aides à l'investissement immobilier et à l'innovation des entreprises, ainsi que les orientations relatives à l'attractivité du territoire régional. Il définit les orientations en matière de développement de l'économie sociale et solidaire, en s'appuyant notamment sur les propositions formulées au cours des conférences régionales de l'économie sociale et solidaire ».
* 22 L'article 4251-1 du CGCT dispose que :
« La région, à l'exception de la région d'Île-de-France, des régions d'outre-mer et des collectivités territoriales à statut particulier exerçant les compétences d'une région, élabore un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires.
Ce schéma fixe les objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière d'équilibre et d'égalité des territoires, d'implantation des différentes infrastructures d'intérêt régional, de désenclavement des territoires ruraux, d'habitat, de gestion économe de l'espace, de lutte contre l'artificialisation des sols, d'intermodalité et de développement des transports de personnes et de marchandises, de développement logistique et industriel, notamment en matière de localisation préférentielle, de maîtrise et de valorisation de l'énergie, de lutte contre le changement climatique, de développement de l'exploitation des énergies renouvelables et de récupération, de pollution de l'air, de protection et de restauration de la biodiversité, de prévention et de gestion des déchets. Sont inclus des objectifs relatifs aux installations de production de biogaz. En matière de lutte contre l'artificialisation des sols, les objectifs fixés sont traduits par une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols ainsi que, par tranches de dix années, par un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation. Cet objectif est décliné entre les différentes parties du territoire régional ».
* 23 https://reseauactionclimat.org/wp-content/uploads/2017/04/Nouvelles-compe%CC%81tences-climat-e%CC%81nergie-des-collectivite%CC%81s-territoriales-.pdf
* 24 Article L1511-3 CGCT : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031104374/2025-05-08/
* 25 Article L4251-17 CGCT : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000030999409/2025-05-08
* 26 https://www.legifrance.gouv.fr/download/file/pdf/cir_40360/CIRC
* 27 https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/ra/La circulaire minist%C3%A9rielle du 3 novembre 2016.pdf
* 28 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
* 29 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
* 30 Article L. 2251-3 CGCT : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000028640770/2025-05-09
* 31 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/missions-dinformation-communes/mission-dinformation-10-ans-apres-la-loi-notre-et-la-loi-maptam-quel-bilan-pour-lintercommunalite.html - c90102 (Jean-Marie Mizzon, président ; Maryse Carrère, rapporteure).
* 32 Rapport d'information n° 289 (2022-2023) de Mme Françoise GATEL et M. Rémy POINTEREAU, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 26 janvier 2023.
* 33 Le CNEN est une instance de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, qui a pour mission d'évaluer les impacts techniques et financiers du "flux" des normes nouvelles, ainsi que du "stock" de normes réglementaires en vigueur ayant un impact sur les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Il formule des propositions pour simplifier et alléger les normes applicables aux collectivités territoriales (Rapport d'activité 2017 - juin 2018).
* 34 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-collectivites-territoriales-et-a-la-decentralisation/detail-actualite/assises-de-la-simplification-adapter-les-normes-a-la-diversite-des-territoires-4898.html
* 35 L'étude s'appuie sur un échantillon de 301 intercommunalités, qui représente un quart des intercommunalités françaises.
* 36 Source : Étude quinquennale économique 2022, Intercommunalités de France : https://www.intercommunalites.fr/publications/etude-quinquennale-economie/
* 37 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000722113
* 38 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000722113
* 39 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000593625
* 40 https://medias.amf.asso.fr/docs/DOCUMENTS/AMF_12602_FIN_ATESAT.pdf
* 41 https://www.entreprises.gouv.fr/la-dge/qui-sommes-nous
* 42 Les subdivisions des directions départementales de l'équipement ont fait l'objet de regroupements voire de suppressions dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale des services de l'État.
* 43 Rapport d'information n°126 (2024-2025), par Mmes Sonia de la PROVÔTÉ et Céline BRULIN, déposé le 7 novembre 2024.
* 44 91 % des intercommunalités, selon l'étude précitée : Source : Étude quinquennale économique 2022, Intercommunalités de France : https://www.intercommunalites.fr/publications/etude-quinquennale-economie/
* 45 https://cner-france.com/quest-ce-quune-agence/
* 46 Articles L. 1521-1 à 1525-3 du code général des collectivités territoriales.
* 47 Articles L. 1541-1 à 1541-3 du code général des collectivités territoriales.
* 48 Article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales.
* 49 Article L. 327-1 du code de l'urbanisme.
* 50 Le GAL Perche 2.8. est porté par le Pôle territorial du Perche d'Eure-et-Loir (28).
* 51 Anciennement cabinet Ernst&Young.
* 52 https://www.ccomptes.fr/fr/documents/62397
* 53 Banque publique d'investissement française.
* 54 Plan local d'urbanisme interommunal.
* 55 Créée en 2020, cette start-up industrielle aux besoins d'investissements élevés est spécialisée dans l'export de générateurs d'hydrogène.
* 56 Fonds national d'aménagement et de développement du territoire.
* 57 Créées dans les années 1960, les SAFER sont des sociétés anonymes sans but lucratif, qui remplissent des missions d'intérêt général, sous la tutelle de l'État, en vue de soutenir les projets agricoles et non agricoles en milieu rural. À l'origine, elles avaient vocation à réorganiser les exploitations agricoles vers une agriculture plus productive et à faciliter l'installation des jeunes agriculteurs. Leurs missions ont progressivement été élargies : appui au développement durable dans l'agriculture, protection de l'environnement, accompagnement des projets fonciers des collectivités territoriales, etc.
* 58 https://www.laregion.fr/nautisme
* 59 https://www.banque-france.fr/system/files/2024-07/Situation-financiere-des-start-up-en-2023.pdf
* 60 Rapport d'information n°447 (2024-2025), par Mmes Pascale GRUNY et Ghislaine SENÉE, déposé le 13 mars 2025.
* 61 cf. : Un appel à communs pour la conception du Jumeau numérique de la France et de ses territoires - Institut - IGN
* 62 https://www.rtes.fr/system/files/inlinefiles/20222026_SPAR_NantesetNantesM%C3%A9tropoleOK.pdf
* 63 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250115-Levolution-de-la-repartition-des-impots-locaux-entre-menages-et-entreprises-et-de-la-deterritorialisation-de-limpot_1.pdf
* 64 https://videos.senat.fr/video.5144328_67d1add9de4a6
* 65 https://www.strasbourg.eu/indicateurs-eco-territoire
* 66 https://www.strasbourg.eu/documents/976405/0/Pacte-economie-locale-durable-202103.pdf/35c56dfa-9074-7cd5-45aa-e877c56af15f?version=1.1&t=1725958589217
* 67 Auprès de la SEMIA (Sciences, Entreprise et Marché, Incubateur d'Alsace), une association qui accompagne les porteurs de projets innovants à Strasbourg : https://www.startup-semia.com/
* 68 Allocation aux adultes handicapés.
* 69 https://www.agur-dunkerque.org/etudes-et-projets-994/economie-1002/la-toile-industrielle-un-outil-au-service-des-synergies-et-du-developpement-territorial-billet-1571.html
* 70 https://www.lejournaldesentreprises.com/article/dunkerque-la-toile-industrielle-en-version-20-et-bientot-30-98182
* 71 https://www.fnau.org/fr/publication/le-havre-les-dessous-de-la-toile-industrielle-de-lestuaire-de-la-seine/
* 72 https://www.epures.com/images/pdf/economie-emploi/publi-Toile_Fev2025.pdf
* 73 https://www.audap.org/nos-ressources/toile-beton/
* 74 https://www.franceosaka2025.fr/actualites/dunkerque-officialise-son-partenariat-avec-le-pavillon-france-lors-de-lexposition
* 75 La délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), créée en 1963, devenu la délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) en 2005, puis la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) en 2009, remplacée par le commissariat à légalité des territoires (CGET) en 2014, fondu dans l'ANCT en 2020. Historiquement centrées sur la prospective, la planification stratégique et l'aménagement du territoire, les missions de la DATAR ont été progressivement élargies (attractivité, compétitivité, cohésion entre les territoires, etc.), mais la logique de rationalisation des services et de mutualisation des moyens ne lui a plus permis d'assurer « un développement équilibré du territoire » ( rapport d'information du Sénat n°565 (2016-2017) fait par MM. Hervé MAUREY et Jean-Louis de NICOLAY).
* 76 L'assistance technique fournies par les services de l'État pour des raisons de solidarités et d'aménagement du territoire.
* 77 https://www.ccomptes.fr/fr/documents/63844
* 78 Économie sociale et solidaire.
* 79 https://www.lelabo-ess.org/system/files/2021-05/2021.05.07 Relancer les PTCE - WEB.pdf - :~:text=On%20peut%20estimer%20%C3%A0%2056%20les%20PTCE%20existants,se%20qualifiant%20pas%20ainsi%20%28certains%20tiers-lieux%20par%20exemple%29.
* 80 Fonds de co-investissement destiné aux start-up et PME de la Région Nouvelle-Aquitaine.
* 81 https://www.auvergnerhonealpes.fr/actualites/le-fonds-dinvestissement-de-la-region-souvre-lepargne-des-habitants-une-premiere-en
* 82 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
* 83 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
*
84 Très petites entreprises (TPE, moins de
10 salariés), petites et moyennes entreprises (PME, entre
10 et 250
salariés), entreprises de taille intermédiaire (ETI, entre 250 et
4 500 salariés).
* 85 Le rapport d'information n° 743 (2022-2023) de la délégation sénatoriale aux entreprises, publié le 15 juin 2023, par MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jean-Pierre MOGA et Olivier RIETMANN, préconise la sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises.
La sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises.
* 86 L'ADIRA (association de développement et d'industrialisation de la région Alsace).
* 87 À noter, le projet de loi pourrait devenir définitif d'ici la publication du rapport.
* 88 Exposé des motifs de la loi : https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/pjl23-550-expose.html
*
89
Rapport
d'information n°520 (2021-2022) fait par Mme
Françoise GATEL et
M. Jean-Michel HOULLEGATTE, déposé
le 17 février 2022.
* 90 https://www.laregion.fr/Convention-citoyenne-pour-l-Occitanie-41566
* 91 https://www.lagazettedescommunes.com/729426/les-conventions-citoyennes-a-la-mode-locale/?abo=1
* 93 https://dunkerquelenergiecreative.fr/la-fabuleuse-factory/