Conclusion
Intervention de Delphine O, ambassadrice, secrétaire générale du Forum Génération Égalité (Pékin+25)
Merci beaucoup à la délégation aux droits des femmes du Sénat de m'avoir invitée pour prononcer quelques mots de conclusion que je consacrerai aux initiatives françaises dans le cadre multilatéral et international pour lutter plus largement contre les violences en ligne fondées sur le genre et les cyberviolences.
Je ne reviendrai pas sur le Digital Service Act (DSA), le Règlement européen sur les services numériques, ni sur la Directive sur les violences faites aux femmes, que vous connaissez toutes et tous par coeur. Je noterai simplement que la France est à la fois pionnière dans la mise en oeuvre du DSA et qu'elle a également introduit un certain nombre de mesures supplémentaires par rapport à la réglementation européenne pour lutter contre les cyberviolences, dans le cadre de la loi pour sécuriser et réguler l'espace numérique, dite SREN, adoptée en 2024 en France. Je mentionnerai par exemple la prérogative du juge qui dispose du droit d'interdire à une personne condamnée pour cyberviolence d'utiliser un compte sur les réseaux sociaux pendant le temps d'une enquête judiciaire, et également la reconnaissance de la sextortion entre adultes dans le code pénal.
S'agissant des deepfakes, la loi française impose de supprimer rapidement ces contenus à caractère sexuel qui sont diffusés sans consentement. Elle va là aussi plus loin que la réglementation européenne, parce que l'Union européenne ne criminalise les deepfakes que lorsqu'ils sont susceptibles de nuire ; c'est donc une conditionnalité que la loi française n'a pas introduite.
Maintenant, en ma qualité d'ambassadrice et de porteuse de la diplomatie féministe française, je voulais partager les initiatives internationales dont la France a été porteuse et leader ou qu'elle a rejointes ces dernières années.
L'année dernière, lors de la 79e session de l'Assemblée Générale des Nations Unies, la France a co-porté avec les Pays- Bas la première résolution historique portant sur les violences faites aux femmes et aux filles dans l'environnement numérique. Cette résolution inclut de nouveaux termes qui n'existaient jusqu'à présent dans aucun texte de l'ONU, à la fois les biais sur l'intelligence artificielle, le doxing, les deepfakes, le cyberharcèlement, et elle mentionne même les mouvements masculinistes en ligne. Nous faisons donc avancer avec du soft power le droit international sur la question des cyberviolences.
Nous avons également rejoint en 2023 la première plateforme multilatérale de coordination intergouvernementale pour lutter contre les cyberviolences. Nous n'en sommes pas à l'initiative, ce sont les Etats-Unis qui l'ont lancée en 2022. Nous l'avons rejointe notamment aux côtés du Royaume- Uni, de l'Australie, du Mexique et d'une quinzaine d'autres pays. Cette plateforme est très importante, elle nous permet de nous coordonner entre gouvernements pour pousser des avancées sur la question des cyberviolences. Nous l'avons fait dans le cadre du pacte numérique mondial adopté l'an dernier, du pacte sur le futur, et évidemment de la CSW et de l'Assemblée Générale des Nations Unies. C'est donc une plateforme qui est extrêmement précieuse et la France va prendre davantage de responsabilités puisque les Etats-Unis vont malheureusement se retirer de cette initiative.
Je voulais évidemment mentionner l'initiative phare du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères pour lutter contre les cyberviolences : le laboratoire pour les droits des femmes en ligne, annoncé l'an dernier, le 8 mars 2024. C'est tout d'abord une plateforme de coordination et d'échange de bonnes pratiques multi-acteurs ; pas seulement entre gouvernements, puisque nous allons faire entrer à la fois des gouvernements, des entreprises de la tech, des instituts de recherche, des coalitions de survivants et survivantes de cyberviolences et des organisations internationales comme l'UNESCO, ONU Femmes ou l'UNFPA. Et nous travaillons évidemment avec l'Union Européenne.
Ce laboratoire, c'est aussi un incubateur de projets portés par des associations féministes de terrain de pays du Sud qui luttent contre les cyberviolences.
En marge du sommet sur l'intelligence artificielle, il y a un mois, nous avons été ravis d'accueillir le premier événement de ce laboratoire avec notre ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. Nous avons fait venir de République dominicaine, du Nigeria, d'Afrique du Sud et des territoires palestiniens, des ONG féministes de terrain qui développent des applications, des chatbots et des campagnes de sensibilisation sur les cyberviolences. Et, c'est là où c'est extrêmement intéressant, elles développent des solutions technologiques innovantes utilisant l'intelligence artificielle pour venir en aide aux femmes victimes de cyberviolence. On voit là que l'intelligence artificielle peut être utilisée à mauvais escient, malheureusement, lorsqu'on parle des deepfakes, mais aussi à bon escient pour soutenir la cause des femmes.
Je finirais peut-être justement sur cette question des deepfakes. Je voulais vous donner un exemple de coopération bilatérale et cet exemple tombe bien puisque c'est une coopération bilatérale que nous menons avec la Corée du Sud. Je suis ravie de la présence de la députée coréenne ici. En effet, la Corée du Sud nous a contactés à travers notre poste diplomatique à Séoul pour mener un échange de bonnes pratiques justement sur la question des deepfakes pornographiques.
Je le rappelle, dans un deepfake pornographique, vous avez généralement l'image d'une véritable personne, collée sur une image à caractère pornographique. C'est donc en général son vrai visage, mais ce n'est pas son corps. Il faut rappeler qu'il y a deux idées reçues sur les deepfakes pornographiques. Premièrement, c'est que ce ne sont pas des images réelles - effectivement ce ne sont pas des images qui ont été prises avec un appareil photographique. Deuxièmement, c'est que les dommages sont minimaux puisque ce ne sont pas des vraies images.
En réalité, toutes les victimes de deepfakes pornographiques disent qu'elles ont ressenti la diffusion de ces deepfakes comme des véritables agressions sexuelles, en plus d'être une violation de leur vie privée et évidemment de leur dignité.
Au Royaume-Uni - puisque nous avons également une députée britannique - la criminalisation des deepfakes avec le Online Safety Act, qui va bientôt être passé, commence déjà à fonctionner puisque, d'après nos interlocuteurs britanniques, lorsque le gouvernement britannique a annoncé que le Online Safety Act allait être mis en oeuvre, le plus grand site de deepfakes pornographiques au monde a immédiatement bloqué l'accès aux internautes britanniques par peur de représailles légales.
Je reviens au sujet de la Corée du Sud : elle nous avait interrogé puisque nous avons un partenariat entre l'ARCOM, le régulateur français des télécommunications et du numérique, et le KCSC qui est le régulateur sud- coréen, dans le contexte de ce scandale qui a été mentionné par la députée coréenne où des deepfakes pornographiques ont été diffusés par dizaines de milliers via Telegram. Or, il se trouve, que Pavel Durov, le CEO de Telegram, a été arrêté sur le sol français et le régulateur coréen nous informe que depuis l'arrestation de M. Durov, Telegram coopère de manière extrêmement efficace pour le retrait des deepfakes pornographiques sur ses réseaux en Corée du Sud. Donc la coopération internationale fonctionne !
La France en est à l'initiative très souvent et nous continuerons de travailler sur ce sujet des cyberviolences qui fait partie, et je finirai là-dessus, de la nouvelle stratégie internationale de la France pour une diplomatie féministe qui place la question des enjeux du genre et du numérique comme une des nouvelles priorités de la France. Merci beaucoup !
Laurence Rossignol : Cet événement est désormais terminé. Je veux remercier l'ensemble des intervenantes et des participants. C'était un moment important pour les deux délégations parlementaires aux droits des femmes de la France d'avoir pu vous réunir toutes et d'avoir réuni aussi des actrices engagées dans le public. J'espère que cet événement nous permettra de continuer de travailler en réseau, toutes ensemble, car nous en avons besoin. Les solutions sont au-delà de chacune de nos frontières. Merci beaucoup et bonne continuation !