B. LA CSW69, UN BILAN EN DEMI-TEINTE DANS UN CONTEXTE DE CRISES MULTIPLES ET DE MENACES PESANT SUR LES DROITS DES FEMMES
La 69e session de la CSW est intervenue dans un contexte international difficile, marqué par de nombreux conflits armés et crises politiques, économiques, sociales, humanitaires, sanitaires et climatiques, dont on sait que les femmes sont souvent les premières victimes.
De nombreux pays du monde sont aujourd'hui confrontés à un contexte global d'hostilité envers les droits des femmes, l'égalité femmes-hommes et les droits des personnes LGBTQIA+, souvent qualifié de « backlash ».
Théorisé par la journaliste américaine Susan Faluidi en 1991, le terme « backlash » ou « retour de bâton » décrivait à l'origine la réaction des conservateurs aux États-Unis face aux mouvements de libération des femmes dans les années 1970-80. Depuis, les mouvements féministes à travers le monde se sont réapproprié le concept pour décrire des situations de recul des législations nationales sur divers enjeux liés aux droits des femmes : avortement, droits reproductifs, programmes d'éducation sexuelle, discrimination positive et quotas, droits des personnes LGBTQIA+, etc. Le terme renvoie plus globalement à la diffusion d'une rhétorique et de politiques anti-féministes.
Le « backlash » observé aujourd'hui est généralement présenté comme une réaction au mouvement #MeToo lancé en 2017, qui avait permis une libération de la parole des femmes sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. Les crises économiques, politiques et sociales liées au Covid-19 ont également contribué à créer un climat propice à des législations plus conservatrices, ainsi que l'avait déjà envisagé Simone de Beauvoir lorsqu'elle déclarait : « il suffira d'une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question ».
Le peu de progrès de la déclaration politique issue de la CSW69 par rapport aux précédentes déclarations politiques s'explique par ce contexte particulier.
Pour autant, l'existence même d'une déclaration politique, adoptée par consensus, est une victoire qui doit être saluée, alors que des doutes ont existé jusqu'au dernier moment et que l'adoption de conclusions concertées lors de la prochaine CSW pourrait être encore plus complexe, les États-Unis rejoignant les membres officiels de la Commission.
1. Un contexte international complexe pour les droits des filles et des femmes
a) Des progrès depuis 30 ans mais un contexte international difficile selon le bilan du secrétaire général de l'ONU
Comme tous les cinq ans, 2025 était une année de bilan. Il s'agissait d'évaluer les progrès réalisés et les défis restant à surmonter, trente ans après la Conférence mondiale sur les femmes de 1995 (Beijing+30) et à cinq ans de l'échéance des Objectifs de développement durable (ODD) pour 2030.
159 États membres des Nations Unies ont établi des rapports nationaux, qui ont été revus dans le cadre de commissions régionales des Nations Unies. En outre, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a publié un rapport préparatoire à la CSW dressant un bilan des progrès et des obstacles à l'égalité des sexes, fondé sur les évaluations régionales et nationales.
Ce rapport du Secrétaire général, synthétisé par ONU Femmes, dans une publication intitulée Le point sur le droit des femmes, 30 ans après Beijing4(*), fait état de progrès depuis 1995 :
· la parité est atteinte dans l'éducation des filles ;
· la mortalité maternelle a chuté d'un tiers ;
· la représentation des femmes au sein des parlements a plus que doublé ;
· les pays continuent d'abroger les lois discriminatoires.
En dépit de ces progrès notables, seuls 87 pays ont déjà été dirigés par une femme. Près de la moitié de la population mondiale pense que les hommes font de meilleurs dirigeants politiques que les femmes et 43 % pensent que les hommes font de meilleurs chefs d'entreprise que les femmes. Le rapport relève également que le numérique et l'intelligence artificielle propagent des stéréotypes néfastes, tandis que la fracture numérique entre les sexes restreint les perspectives offertes aux femmes.
Le rapport met un accent particulier sur les violences auxquelles les femmes et les filles sont exposées. Au cours des dix dernières années, une augmentation alarmante de 50 % du nombre de femmes vivant en situation de conflit a été observée à l'échelle mondiale. En outre, une femme sur trois subit au cours de sa vie des violences physiques ou sexuelles perpétrées par un partenaire intime ou des violences sexuelles commises par une autre personne. Une femme ou une fille est tuée toutes les 10 minutes par un partenaire ou un membre de sa propre famille. Plus d'un quart de la population mondiale pense qu'il est justifié qu'un homme batte sa femme. Les défenseuses des droits des femmes sont quant à elle confrontées à un harcèlement quotidien, à des attaques personnelles, certaines mortelles.
Enfin, qu'il s'agisse de la pandémie de COVID-19, du dérèglement climatique ou de la flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants, le rapport note que les crises mondiales récentes - qui ne sont pas neutres du point de vue du genre - ne font qu'intensifier l'urgence d'une réponse. Les femmes et les enfants sont 14 fois plus susceptibles de mourir que les hommes lors de catastrophes naturelles.
Bilan des avancées en matière d'égalité des sexes
depuis la Déclaration et le Programme d'action de Beijing de 1995
Source : ONU-Femmes, Le point sur les droits des femmes 30 ans après Beijing, mars 2025.
Au-delà de ce panorama global, selon l'ONU, partout dans le monde, les droits des femmes et des filles font l'objet de menaces grandissantes sans précédent : discrimination croissante, protection juridique faible, diminution des ressources financières allouées aux programmes et institutions consacrés au soutien et à la protection des femmes.
Cela se manifeste notamment par une montée des mouvements hostiles aux droits et à la santé sexuels et reproductifs (DSSR).
b) Une montée des mouvements hostiles aux droits et à la santé sexuels et reproductifs
Les mouvements anti-droits et anti-choix - qu'ils émanent des dirigeants politiques ou de la société civile - se caractérisent par la mise en avant de quatre thématiques principales :
· le rôle de la famille et celui particulier des filles et des femmes au sein de la famille ;
· la lutte contre l'avortement et la défense des « enfants non nés » ;
· le refus des programmes d'éducation complète à la sexualité ;
· la négation de toute notion de « genre » et des droits des personnes LGBTQIA+.
Comme la délégation le rappelle régulièrement, la remise en cause, dans de nombreux pays, des droits sexuels et reproductifs - au premier rang desquels le droit à l'avortement - constitue une violence faite aux femmes, menace leur santé et remet en cause leur droit à disposer de leur corps et à prendre en toute autonomie les décisions relatives à leur santé et à leur avenir.
Aujourd'hui, 40 % des femmes en âge de procréer (soit 753 millions de femmes) vivent dans des régions du monde où la législation en matière d'accès à l'avortement est restrictive. L'avortement est strictement interdit dans 21 pays, autorisé seulement pour sauver la vie de la mère dans 44 pays et seulement pour raisons médicales dans 47 pays.
En 2020, trente-cinq pays ont signé la Déclaration de consensus de Genève sur la promotion de la santé de la femme et le renforcement de la famille. Cette déclaration est en réalité un manifeste contre l'avortement et met en avant le « rôle critique dans la famille » des femmes.
Les représentants du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP/UNFPA), organe de l'ONU en charge des questions de santé sexuelle et reproductive, ont fait part à la délégation de leurs inquiétudes sur les enjeux de santé gynécologique et maternelle, d'accès à l'avortement, de violences sexuelles, de mariages d'enfants et de grossesses précoces. Selon l'OMS, toutes les deux minutes, une femme meurt lors de sa grossesse ou de son accouchement et presque tous ces décès pourraient être évités. En outre, toujours selon l'OMS, les avortements non sécurisés sont à l'origine d'environ 39 000 décès chaque année et entraînent l'hospitalisation de millions de femmes supplémentaires en raison de complications.
Les sénatrices ont échangé avec plusieurs organisations de la société civile engagées dans la défense des droits et de la santé sexuels et reproductifs (DSSR), qui documentent et analysent les stratégies des mouvements anti-droits et masculinistes. Ces organisations ont toutes témoigné d'une professionnalisation des mouvements anti-droits et d'une évolution de leurs stratégies et discours, qui reprennent la terminologie et les codes du droit international et des mouvements féministes.
Pour Paola Salwan Daher, directrice pour l'action collective chez Women Deliver, « ces mouvements n'ont plus recours à des argumentaires absurdes mais reprennent les termes et normes de droit international, qu'ils instrumentalisent, et organisent leurs discours autour des notions de liberté, liberté d'expression, liberté religieuse... ».
Jeanne Hefez, chargée de plaidoyer pour Ipas, a souligné auprès des parlementaires le poids des organisations de la société civile anti-genre et anti-droits, désormais plus audacieuses, plus stratégiques et plus coordonnées, qui collaborent avec certains pays et groupes régionaux pour alimenter des positions conservatrices à l'ONU.
Selon Ipas et Women Deliver, ces mouvements pratiquent également une stratégie d'entrisme, en s'enregistrant comme organisations de la société civile auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) et en cherchant à positionner leurs experts dans les instances internationales.
Les travaux d'Ipas documentent également les modes d'action de nombreux mouvements de jeunes engagés contre l'avortement et l'éducation complète à la sexualité, qui mènent des actions choc et viennent perturber les discussions lors d'événements féministes.
Les militantes africaines rencontrées par la délégation ont, elles aussi, témoigné de la montée d'un discours de haine à l'égard des féministes et des actes de violence auxquels elles sont exposées.
Enfin, les mouvements anti-droits profitent de l'organisation de la CSW pour faire passer leurs messages.
De façon concomitante à la CSW, ont ainsi été organisés deux jours de conférence sur la condition des femmes et de la famille (Conference on the state of women and family, CSWF), sorte de « contre-CSW » pilotée par C-Fam (Center for Family & Human Rights), The Heritage Foundation, Universal Peace Federation et United Families International. Parmi les objectifs affichés par cette conférence sur son site internet :
· changer la culture de la CSW pour y inclure l'importance des enfants (y compris non-nés), du mariage, de la parentalité, et de la foi ;
· diffuser le message selon lequel il y a de nombreuses options pour une femme de réussir sa vie ;
· ne pas laisser la voix pro-famille et pro-vie être réduite au silence à la CSW.
Dans ce cadre, l'un des événements, portant sur l'accord de coopération au développement entre l'Union européenne et les pays du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP-EU), en faisait la présentation suivante : « les femmes et les filles sont les premières à risquer de souffrir de ce traité en raison des exigences trompeuses relatives à la légalisation de l'avortement, de la prostitution, du mariage entre personnes de même sexe, de l'agenda LGBT - dont le transgenrisme est particulièrement dangereux pour les femmes et les filles - ainsi qu'à la sexualisation des enfants à travers les obligations de mettre en oeuvre des documents soi-disant inoffensifs sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, guidés par les orientations internationales de l'Unesco sur l'éducation à la sexualité. »
Par ailleurs, les organisations pilotant la CSWF sont intervenues lors de divers événements parallèles à la CSW69, organisés au siège des Nations Unies par le Saint-Siège, Djibouti ou le Paraguay, gagnant là une visibilité importante.
La délégation apporte un soutien sans équivoque et continu à la défense de la santé et des droits sexuels et reproductifs, face à de tels mouvements anti-droits.
Elle a toutefois été interpellée par les argumentaires de certaines organisations de la société civile françaises présentes à la CSW faisant un amalgame entre la pression des mouvements anti-droits et la lutte contre la prostitution et la pornographie - présentées comme un supposé « travail du sexe ». Elle le réaffirme avec force : la lutte contre la prostitution et la pornographie, qui correspond au positionnement abolitionniste de la France depuis 2016, est un enjeu de société, de droits des femmes et de droits humains, et constitue une priorité de la délégation. Ce combat ne saurait en rien être assimilé à une pression des mouvements anti-droits comme certaines publications, relatives aux événements parallèles organisés par la ministre Aurore Bergé d'une part, et par la délégation parlementaire d'autre part, l'ont laissé entendre.
La délégation se félicite d'avoir pu organiser un événement parallèle à la CSW consacré aux violences pornographiques, de nature à renforcer la prise de conscience globale autour de cette problématique, et se réjouit également d'avoir pu échanger avec de nombreuses organisations impliquées dans la lutte contre l'exploitation sexuelle dans divers pays, notamment au Royaume-Uni, en Roumanie et aux États-Unis. Les sénatrices ont été particulièrement marquées par leurs échanges avec Ioana Bauer, présidente de l'ONG roumaine Liberare, qui leur a indiqué que les principales victimes d'exploitation sexuelle en Europe aujourd'hui sont des femmes et filles roumaines, pour moitié mineures, qu'il y a désormais systématiquement une dimension numérique ou pornographique dans le parcours des victimes d'exploitation sexuelle, qui sont, en outre, de moins en moins reconnues en tant que victimes ; une reconnaissance pourtant nécessaire pour obtenir l'accès à des services spécialisés, une indemnisation, un soutien pour les études, etc.
c) Des inquiétudes liées aux conséquences, aux États-Unis et dans le reste du monde, des annonces de la nouvelle administration Trump et de la révocation de la jurisprudence Roe v. Wade de la Cour suprême
La montée des mouvements hostiles aux droits et à la santé sexuels et reproductifs a été particulièrement notable aux États-Unis. En juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a révoqué sa jurisprudence Roe v. Wade qui garantissait le droit à l'avortement au niveau fédéral. Désormais, l'avortement fait l'objet d'une réglementation à l'échelle de chaque État et a été fortement restreint voire interdit dans de nombreux États.
Législation en matière d'accès à l'avortement au sein des différents États fédérés des États-Unis
Source : Center for reproductive rights, mai 2025
Au-delà des inquiétudes autour de l'accès à l'avortement, l'élection, le 5 novembre 2024, de Donal Trump à la Présidence des États-Unis et ses nombreuses annonces depuis le début de son mandat font peser des craintes importantes sur les avancées précédemment obtenues en matière de droits des femmes et de soutien à l'autonomisation des femmes aux États-Unis et dans le monde.
Le jour même de son investiture, le président Donal Trump a signé plusieurs dizaines de décrets présidentiels (presidential actions et notamment executive orders), mettant fin aux politiques de diversité et d'inclusion, dites DEI (diversity equality inclusion) et engageant une réforme de l'appareil administratif, affectant en particulier des structures finançant des programmes ou recherches en lien avec les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes.
À la suite de ces annonces, le journal américain The New York Times a compilé une liste de 200 termes dont ils ont constaté la disparition sur les sites internet gouvernementaux. Y figurent de nombreux termes liés à l'identité de genre et à la justice sociale, notamment : femmes, féminisme, stéréotypes, biais implicites, systémique, discrimination, inégalités, sous-représentation des femmes, DEI, violences fondées sur le genre, victimes, traumatisme, sexualité, préférences sexuelles, LGBT, transgenre...
Alors qu'aucune liste officielle ne semble avoir été publiée, une telle stratégie alimente une importante forme d'auto-censure. D'après les témoignages recueillis par les sénatrices, les chercheurs ainsi que les responsables de programmes sont invités par leurs institutions à réécrire tous leurs projets et demandes de financement dans un sens conforme aux orientations de la nouvelle administration, en se basant notamment sur les mots signalés comme déconseillés dans la presse et sur les réseaux sociaux. Ainsi, une chercheure française rencontrée à New York a exprimé ses craintes quant à la poursuite de ses recherches portant sur le cancer de l'endomètre et les différences entre femmes noires et femmes blanches s'agissant de cette pathologie. Afin d'éviter tout risque et de maximiser leurs chances de continuer à bénéficier de financements, des acteurs pourtant favorables à des programmes ou recherches en faveur des droits des femmes ou de l'égalité femmes-hommes peuvent avoir eux-mêmes une vision extensive du champ des termes à ne plus employer.
Plusieurs milliards de dollars d'aides publiques fédérales (subventions, allocations et aides d'urgence notamment) ont été réévalués à l'aune des nouvelles priorités politiques de l'administration Trump, avec des conséquences aux États-Unis mais aussi à l'étranger.
Dans ce cadre, le 10 mars 2025, le Secrétaire d'État américain, Marco Rubio, a annoncé la suppression de 83 % des programmes de l'USAID, l'Agence pour le développement international, premier contributeur à l'aide publique au développement dans le monde.
Greeta Rao Gupta, ambassadrice américaine pour les droits des femmes dans le monde, de 2023 à début 2025, a partagé son inquiétude auprès de la délégation, alors que ses anciens collègues lui ont fait part de la suppression de tous les crédits accordés à des programmes comportant le mot « genre » mais aussi « femme, paix, sécurité ».
La suspension puis la suppression des crédits auparavant attribués à des dizaines de programmes d'aide alimentaire et médicale aura des conséquences, parfois vitales, sur la santé des femmes et des enfants dans de nombreux pays du monde, en particulier en Afrique.
Ainsi, Diene Keita, directrice exécutive adjointe du FNUAP, a indiqué à la délégation que 47 projets auparavant financés par USAID devaient être arrêtés, notamment des projets portant sur la santé maternelle. Elle a insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas de « projets LGBTQIA+ ».
Les États-Unis se sont en outre retirés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à laquelle ils n'apportent désormais plus aucun financement.
Lors d'une réunion du bureau exécutif d'ONU Femmes, le 10 février 2025, Jonathan Shrier, représentant des États-Unis auprès d'ECOSOC, a effectué la déclaration suivante, laissant augurer des pressions à venir sur les stratégies et actions menées par ONU Femmes : « à la suite du décret du président Trump, les États-Unis revoient actuellement les organisations internationales et autres instances dont nous sommes membres pour évaluer nos relations et déterminer quelles organisations sont alignées avec les intérêts américains [...] Nous appelons ONU Femmes à se concentrer sur les efforts visant à assurer l'égalité des femmes et des filles et nous insistons sur la nécessité d'éviter une focalisation sur des causes radicales telles que les politiques DEI et l'idéologie de genre, qui n'amélioreront pas le fonctionnement d'ONU Femmes et qui sont dégradantes, injustes et dangereuses pour les femmes et les filles. »
d) Une situation dramatique pour les femmes et filles iraniennes et afghanes
Depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021, l'Afghanistan est le pays le plus répressif au monde pour les femmes et les filles : interdiction pour les filles d'aller à l'école au-delà de 12 ans, interdiction d'accéder aux établissements d'enseignement médical, interdiction pour les femmes d'occuper des postes dans la fonction publique, des ONG et des ambassades, interdiction de se rendre dans des salles de sport et salons de coiffure, interdiction de chanter ou de lire à voix haute en public, de se maquiller ou de se parfumer, obligation de se couvrir entièrement le corps en présence d'un homme qui n'est pas leur mari, obligation d'obstruer les fenêtres donnant sur des espaces résidentiels occupés par des femmes...
Lors d'un side event intitulé “From Afghanistan to New York: Afghan Women Calling for Action. An Interactive Dialogue with Afghan Women from inside Afghanistan and in Exile”, la délégation a entendu, avec émotion, de nombreux témoignages de femmes afghanes. Au-delà des atteintes dramatiques directes à leurs droits, ces femmes ont détaillé l'engrenage vicieux causé par les conséquences que les mesures prises à l'encontre des femmes ont également sur les hommes afghans. Tout d'abord, les hommes doivent accompagner systématiquement toute femme de la famille qui souhaite sortir ou qui doit aller travailler, ce qui conduit inévitablement à des choix, notamment lorsque l'homme doit lui-même se rendre à son travail. Ensuite, en pratique, ce sont souvent les hommes qui imposent des restrictions fortes aux femmes de leur famille par crainte pour leur propre sécurité, puisque lorsqu'une femme bafoue la loi, son père, son mari, son frère ou tout autre homme de sa parentèle est également souvent emprisonné et torturé. Ce système double ainsi le contrôle étatique des femmes d'un contrôle familial et n'incite pas les hommes à défendre les droits des filles et femmes de leur famille.
Lors de cet événement, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer un « apartheid de genre » et appeler à reconnaître et codifier ce terme. De nombreux experts internationaux estiment nécessaire d'en faire un crime contre l'humanité, sur le modèle de l'apartheid de genre.
Au-delà de cette démarche juridique fondamentale, l'association Farageer, organisatrice de l'événement, a formulé plusieurs recommandations concrètes à destination des acteurs internationaux :
- renforcer la pression sur les talibans afin qu'ils reviennent sur les restrictions mises en place ;
- fournir un soutien pour répondre aux crises humanitaires en cours en Afghanistan ;
- nouer un dialogue avec les femmes afghanes et soutenir leur plaidoyer pour la justice et l'égalité ;
- augmenter les financements directs aux organisations opérant en Afghanistan ;
- fournir davantage d'opportunité de télétravail et d'apprentissage à distance aux femmes et filles d'Afghanistan ;
- financer des actions de soutien à la santé mentale et des sessions de thérapie en ligne gratuites ;
- remettre en place des opérations d'exfiltration et de relocalisation de femmes menacées.
Les sénatrices ont également pu s'entretenir avec l'activiste afghane Zarqa Yaftali, voix majeure dans la documentation et la lutte contre les violences et discriminations envers les femmes en Afghanistan, qui a pu bénéficier d'une exfiltration en 2021 et habite désormais au Canada, tout en étant en contact permanent avec l'Afghanistan. Elle a, elle aussi, insisté sur l'urgence d'évacuer les militantes féministes afghanes et plus largement toutes les femmes afghanes qui le souhaitent, déplorant que, « aujourd'hui, il n'y a aucun futur pour les femmes en Afghanistan ». Si elle s'est félicitée du fait que la France accorde désormais le droit d'asile aux femmes afghanes en tant que groupe menacé, elle a néanmoins estimé que cela devait s'accompagner d'actions pour permettre à ces femmes de rejoindre la France en toute sécurité.
La situation particulièrement dramatique des femmes afghanes ne saurait faire oublier celle des femmes iraniennes, victimes d'atteintes flagrantes et systématiques à leurs droits et d'une répression brutale lorsqu'elles cherchent à défendre ceux-ci ou ne se plient pas à l'obligation d'un port strict du hidjab, comme l'a mis en lumière de façon particulièrement tragique la mort de Mahsa Amini en septembre 2022.
La délégation, et plus largement le Sénat, sont particulièrement attentifs à la situation des femmes dans ces deux pays :
- dès août 2021, la délégation exprimait, par communiqué de presse5(*), sa profonde inquiétude quant au sort des femmes afghanes, premières cibles des talibans, et en appelait à la mobilisation de la communauté européenne et internationale ;
- en novembre 2021, la délégation a organisé une table ronde sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan6(*) ;
- en septembre 2022, la délégation exprimait, par communiqué de presse7(*), sa solidarité sans faille avec les femmes iraniennes après la mort de Masha Amini ;
- en novembre 2022, la délégation et le groupe de liaison et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient ont organisé, sous le haut patronage du Président du Sénat, une conférence sur le mouvement Femmes, vie, liberté ! et les actions militantes des femmes iraniennes8(*) ;
- en octobre 2024, la délégation a entendu Marzieh Hamidi, taekwondoïste afghane de 22 ans, qui a fui l'Afghanistan en 2021 après la prise de pouvoir par les talibans, et s'est réfugiée en France9(*) ;
- en novembre 2024, le Sénat a adopté une résolution visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans10(*) ;
- en novembre 2024, à l'initiative de Dominique Vérien, présidente de la délégation, 158 sénateurs ont publié une tribune dénonçant la situation des femmes en Afghanistan11(*) ;
- en janvier 2025, la délégation a entendu Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix et militante iranienne pour les droits des femmes et pour les droits humains12(*) ;
- lors de la CSW, les sénatrices se sont entretenues avec plusieurs femmes afghanes, auxquelles elles ont exprimé tout leur soutien ;
- en mai 2025, la délégation a reçu Hamida Aman, fondatrice et présidente de l'ONG afghane Begum Organization for Women et de Radio Begum, station de radio afghane.
La délégation continuera à suivre avec attention toute évolution de la situation des femmes et filles afghanes et iraniennes et à appeler à une mobilisation du gouvernement français et de la communauté internationale en leur faveur.
2. Une déclaration politique dont l'existence doit être saluée mais dont le contenu est incomplet
Dans un tel contexte international, le simple fait d'être parvenu à un accord, avec une déclaration politique adoptée par consensus, est déjà positif. La rupture par les États-Unis de la procédure de silence, qui prévaut en principe lors des négociations, a laissé craindre jusqu'au dernier moment qu'un des pays partie prenante aux négociations appelle au vote. Or, dans le système onusien, un texte adopté par vote a moins de légitimité qu'un texte adopté par consensus, qui devient du langage agréé, réutilisable par la suite, car l'appel au vote signifie qu'il y a eu des divisions et désaccords entre pays. Jusqu'à présent, il n'y a jamais eu de vote sur des déclarations politiques de la CSW.
Le texte de la déclaration a fait l'objet de débats sur chaque phrase voire chaque mot pendant un mois, entre négociateurs. Certains pays militaient en faveur d'une déclaration très courte. Surtout, plusieurs pays ont manifesté une opposition systématique à l'utilisation du mot genre - ce fut le cas des États-Unis - et aux références aux droits sexuels et reproductifs.
Le fait d'avoir finalement une déclaration politique aussi étoffée, adoptée par consensus, constitue, selon un expert de la Représentation permanente de la France auprès des Nations Unies, « une victoire symbolique sur les États les plus conservateurs sur les questions de genre ».
Parmi les éléments dont on peut saluer la présence au sein de la déclaration politique :
· des références plus approfondies à l'architecture des droits humains et des libertés fondamentales ;
· des mentions des violences sexuelles et en particulier des violences sexuelles en temps de conflit et de la nécessité de tenir les coupables responsables ;
· une mention de la lutte contre les violences facilitées par les technologies ;
· des références à la santé mentale et à la santé menstruelle, qui sont encore tabou dans de nombreux pays ;
· des dispositions plus approfondies sur le rôle des femmes dans les processus de paix et sur l'éducation ;
· une référence aux stéréotypes de genre, alors que pour certains pays ces stéréotypes ne posent pas problème en tant que tels ;
· une mention de la place de la société civile ;
· une mention de la nécessité de proposer des candidates femmes lors du prochain renouvellement du Secrétaire général des Nations Unies et plus globalement dans le système onusien.
Les experts de la représentation permanente de la France auprès des Nations Unies ont souligné auprès des parlementaires l'importance des dispositions de la déclaration politique pour les organisations de la société civile, qui peuvent s'appuyer sur le langage agréé pour tenir leurs gouvernements responsables de leurs engagements.
Par ailleurs, les experts français se sont félicités de l'absence d'un paragraphe, initialement proposé par certains pays, qui mettait en avant la place particulière des femmes et des filles dans la famille ; d'autant que ce paragraphe aurait été placé au début, semblant irriguer tout le texte.
En revanche, les négociateurs français et européens n'ont pas obtenu l'ajout au sein de la déclaration de plusieurs dispositions souhaitées. Le plus notable est l'absence de toute mention des droits sexuels et reproductifs, un repoussoir pour de nombreux États. Selon les experts de la représentation permanente de la France auprès des Nations Unies, les États progressistes ont préféré s'y résoudre plutôt que d'accepter des dispositions au rabais.
Ne figurent également pas de références à :
· la violence conjugale ;
· la représentation égale et inclusive des femmes aux processus de décision, défendue par la recommandation générale n° 40 (RG40) du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), que la France soutient ;
· l'éducation complète à la sexualité ;
· la protection des défenseurs des droits humains ;
· les droits des personnes LGBTQIA+.
Thomas Brisson, coordinateur du Forum Génération-Égalité au cabinet de la directrice exécutive d'ONU Femmes, a également déploré auprès des parlementaires la faiblesse des dispositions relatives à ONU Femmes : certes, son mandat est conservé, mais, selon lui, le langage adopté ne lui donne pas un mandat de coordination des acteurs et resserre son champ d'action par rapport aux dispositions de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing. Dans le même temps, il a déploré le manque de poids politique d'ONU Femmes, essentiellement composée non pas de personnalités politiques mais de spécialistes des droits des femmes et de la mise en place de programmes en faveur des droits des femmes.
* 4 https://www.unwomen.org/en/digital-library/publications/2025/03/womens-rights-in-review-30-years-after-beijing
* 5 https://www.senat.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/presse/cp20210823.html
* 6 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211122/ddf_2021_11_25.html
* 7 https://www.senat.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/presse/cp20220927.html
* 8 https://videos.senat.fr/video.3129887_6383f32476fec.conference-femmes-vie-liberte-!---iran-revolte-ou-revolution--
* 9 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20241021/ddf.html#toc4
* 10 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr23-762.html
* 11 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/detail-actualite/cest-un-veritable-apartheid-fonde-sur-le-genre-qui-se-deroule-sous-nos-yeux-en-afghanistan-4099.html
* 12 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20250120/2025-23-01_ddf_narges_mohammadi.html