COMPTE RENDU DE L'ÉVÉNEMENT PARALLÈLE CONSACRÉ AUX VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES

Propos liminaires

Intervention d'Aurore Bergé, ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

La France, vous le savez, est aux avant-postes des combats pour les droits des femmes. À l'heure où les droits humains, et en particulier ceux des femmes, sont attaqués partout dans le monde, nous affirmons, avec force et ensemble, que la liberté des femmes est la condition première de toute société juste, de toute humanité.

C'est le message que j'ai adressé hier, au nom de la France, lors du débat général de cette 69e session de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies.

C'est aussi le message que vous adressez aujourd'hui avec cet événement qui est une des preuves éclatantes du rôle déterminant de la diplomatie parlementaire française dans la construction d'une société plus juste et aussi plus protectrice des droits des femmes. Je sais à quel point je peux compter sur l'engagement des parlementaires, sur vos idées pour porter ces combats à tous les niveaux, en France et dans toutes les enceintes internationales dans lesquelles vous êtes représentés.

Et cette année, vous avez fait le choix fort, et je vous en remercie vivement, d'aborder un sujet qui a été trop longtemps minimisé : l'impact de la pornographie sur la société et, plus spécifiquement, la banalisation des violences qu'elle véhicule à l'encontre des femmes.

Cette violence n'est pas une fiction. Cette violence, elle est bien réelle. Elle blesse, elle traumatise et elle détruit des vies.

En 2022, le rapport sénatorial Porno, l'enfer du décor - dont je vous montre un exemplaire - a dressé un état des lieux glaçant : violences sexuelles, proxénétisme, exploitation des femmes, diffusion massive de contenus violents accessibles aux mineurs... Un véritable système d'exploitation sexuelle et de dégradation du corps des femmes à l'échelle industrielle, dénoncé également par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les gommes (HCE) en 2023.

Je tiens ici à saluer et reconnaître le rôle pionnier du Sénat et l'engagement sans faille des sénatrices qui ont porté ce rapport. Deux co-rapporteures sont présentes ce matin : Laurence Rossignol et Annick Billon.

Votre travail a permis d'ouvrir les yeux du grand public sur cette réalité insoutenable.

Voici la réalité : 90 % des scènes pornographiques comportent des violences.

Des violences systémiques, où les femmes, souvent jeunes et vulnérables, sont exploitées, humiliées et réduites au silence. Des producteurs sans scrupules instrumentalisent leur précarité économique et psychologique, les poussant à accepter des tournages dans des conditions déplorables et dangereuses.

Certaines, parfois mineures, sont manipulées pour signer des contrats qui leur ôtent tout droit sur leur image, les laissant piégées et privées de liberté. Pire encore, une fois en ligne, ces vidéos deviennent quasi impossibles à retirer. On impose aux femmes de payer pour effacer la trace de leur exploitation et ce sont des sommes qui représentent près de dix fois ce qu'elles ont été payées au moment du tournage.

La violence physique, la violence sexuelle, la violence verbale et la violence psychologique, elles, ne sont pas simulées. Elles sont réelles, elles sont infligées à chaque scène, elles sont recommencées à chaque prise.

Ce n'est pas un spectacle, ce sont des souffrances vécues. Les regarder, c'est en être complice.

Ces souffrances vécues façonnent les imaginaires, imprègnent la culture et, insidieusement, légitiment et banalisent la domination masculine et les violences. Elles altèrent profondément la perception du consentement, brouillent les repères entre désir et contrainte, façonnent un référentiel toxique où la violence devient un langage ordinaire des relations intimes.

Les premières victimes de cette industrialisation de la violence, ce sont nos enfants et adolescents, de plus en plus jeunes.

Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des moins de 12 ans ont déjà été exposés à des contenus pornographiques. Chaque mois, près d'un tiers des garçons de moins de 15 ans consultent ces sites.

Ces images omniprésentes modèlent leur perception des relations, les amenant à assimiler des dynamiques de domination et de violence comme des éléments normaux, constitutifs de la sexualité. Elles corrompent aussi la construction du désir, instillent l'idée pernicieuse que la soumission est un synonyme d'attirance, et enracinent des schémas de domination qui entravent l'égalité et l'émancipation. Plongés seuls dans un univers où les relations sexuelles sont réduites à des actes mécaniques, souvent violents, ils peuvent en venir à considérer le sexe comme un terrain sans respect ni des limites ni du consentement.

Cette vision déformée peut aussi les pousser à adopter des comportements à risque, à expérimenter des pratiques dangereuses, sans comprendre les implications réelles sur leur corps et sur leur santé.

Face à cette situation, la France est en action.

Le travail parlementaire a grandement contribué à faire enfin émerger la lutte contre les violences dans l'industrie pornographique comme un enjeu de politique publique. Nous avons engagé une politique résolue pour combattre ces violences.

Je pense à la loi sécurité et régulation de l'espace numérique, adoptée en mai 2024, qui renforce la lutte contre les contenus illégaux et notamment pédopornographiques, et impose enfin des obligations réelles aux plateformes pornographiques. Nous avons renforcé l'obligation de la vérification d'âge sur les sites pornographiques, avec des sanctions inédites contre ceux qui y contreviennent. Nous avons créé une nouvelle infraction pour mieux lutter contre les deepfakes pornographiques, qui portent une atteinte insupportable à la dignité des femmes.

Nous voyons aujourd'hui que les sites pornographiques veulent porter des recours sur nos législations. C'est sans nul doute la marque de leur efficacité.

En 2024, l'actualité française a été marquée par le procès des viols de Mazan, qui a révélé l'indicible continuum entre pornographie, exploitation sexuelle en ligne et violence sexuelle. Le courage et la dignité de Gisèle Pelicot, qui a refusé le huis-clos au cours du procès de ses violeurs, ont largement dépassé nos frontières et ont été salués dans le monde entier, la plaçant parmi les femmes de l'année 2025 pour le magazine Time. Ils ont aussi déclenché une attente inédite, face à laquelle nous ne pouvons pas rester indifférents.

C'est pourquoi, au nom de la France, j'ai choisi de parrainer hier un événement, organisé par Osez le féminisme, consacré à la lutte contre les cyberviolences.

Cet événement a bénéficié du soutien de trois autres pays : le Mexique, le Canada et la Suède. Ensemble, nous avons réaffirmé une exigence commune : il est urgent que la communauté internationale se mobilise pour bâtir un monde numérique sans violence, où la dignité et les droits des femmes et des filles ne seront plus jamais compromis.

Nous en sommes convaincus : face à des industries qui se jouent des frontières, le combat ne peut être mené seul. La coopération internationale est essentielle.

À travers sa diplomatie féministe, la France porte une voix forte, exigeante, déterminée.

Nous agissons d'abord aux côtés de nos partenaires européens. Ces dernières années, le cadre législatif de l'Union européenne s'est considérablement renforcé. Je veux notamment souligner l'apport du Digital Services Act qui impose aux plateformes des obligations strictes en matière de modération des contenus illégaux.

Au-delà de nos engagements européens, la France est attentive aux initiatives menées dans d'autres pays pour mieux lutter contre les violences. Au Royaume-Uni, par exemple, un rapport gouvernemental, publié en février 2025, recommande d'interdire spécifiquement les contenus pornographiques mettant en scène des actes de strangulation et de mieux protéger les victimes d'abus d'images intimes. En Islande, un partenariat avec une plateforme de contenus pornographiques permet d'afficher un message d'alerte automatique lorsqu'un internaute recherche des contenus pédocriminels. S'il clique sur « OK », il est redirigé vers un site qui propose un accompagnement social et psychologique pour prévenir les passages à l'acte.

Oui, la violence dans la pornographie est une violence contre toutes les femmes. Elle ne saurait jamais être tolérée.

La France continuera à mener ce combat, avec détermination et ambition, avec toutes celles et ceux qui refusent que la domination et l'exploitation soient la norme. Car la France ne transigera jamais avec ce principe fondamental : la liberté des femmes n'est pas négociable.

Intervention de Belen Sanz, directrice régionale Europe-Asie centrale à ONU Femmes

Au nom d'ONU Femmes, c'est un réel plaisir d'être ici ce matin pour prendre part à cette conversation essentielle et contribuer à un dialogue collectif sur le rôle de la pornographie dans la perpétuation des violences à l'encontre des femmes.

Je tiens à féliciter le Sénat et l'Assemblée nationale français, la mission française auprès de l'ONU, ainsi que la ministre Aurore Bergé et l'ambassadrice Delphine O.

Comme l'a démontré l'intervention de la ministre Aurore Bergé, les efforts significatifs que la France mène, notamment dans le cadre de l'Union européenne, pour lutter contre les conséquences de la pornographie, nous font comprendre que c'est une question à traiter collectivement ; et je suis très intéressée par les différentes mesures prises par la France en la matière, qui servent déjà de modèle pour d'autres régions du monde.

Nous sommes également très fiers de constater que la France a développé une politique ambitieuse, tant sur le plan national qu'international, pour aborder les questions des droits des femmes. Elle devient une référence, à un moment où nous sommes confrontés à un « backlash », des résistances croissantes contre les avancées en matière d'égalité des sexes, dans certaines régions, y compris en Europe, mettant en péril de nombreux progrès et investissements réalisés en faveur de l'égalité femmes-hommes.

Dans ce contexte, je voudrais partager quelques éléments issus du rapport du Secrétaire général de l'ONU sur l'examen et l'évaluation de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing (Beijing +30). 88 % des États membres déclarent que l'élimination des violences contre les femmes est une priorité pour eux. Des progrès significatifs ont été accomplis au cours des cinq dernières années, 90 % des États membres ont renforcé leurs dispositifs législatifs, 79 % ont adopté ou actualisé un plan d'action national et 75 % ont mis la priorité sur des stratégies de prévention des violences. Ce sont des avancées importantes.

Cependant, en dépit de ces progrès, la mise en application de ces mesures et l'atteinte de l'égalité réelle ne sont pas aussi efficaces que nous le souhaiterions. Nous ne parvenons pas éliminer les violences, notamment sexuelles, contre les femmes et les filles, qui persistent à des taux alarmants, affectant au moins une femme sur trois au cours de sa vie, d'après les données dont nous disposons sur les vingt dernières années. Les stéréotypes sexuels persistent, surtout chez les jeunes générations, appelant à développer des stratégies de prévention.

Nous avons constaté que les technologies et plateformes numériques exacerbent les violences sexistes et sexuelles, et ce dans tous les pays pour lesquels nous avons des données.

Le récent rapport du Secrétaire général sur l'intensification de l'action menée pour éliminer toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles souligne la persistance mais aussi l'évolution des violences fondées sur le genre dans l'espace numérique.

L'espace numérique est devenu un espace à la fois d'autonomisation et d'exploitation. D'un côté, les technologies et le numérique offrent un potentiel énorme pour faire avancer l'égalité femmes-hommes, à travers l'accès à davantage d'opportunités, d'informations et de services essentiels, et pour offrir aux femmes des outils d'organisation collective et de plaidoyer.

D'un autre côté, l'espace numérique amplifie les violences et les risques d'abus et exploitation sexuels. Par conséquent, tous les rapports de l'ONU appellent à étudier les voies les plus pertinentes pour prévenir ce type de violence.

L'utilisation accrue de l'intelligence artificielle générative renforce et intensifie ces manifestations de violences. Une étude estime que 90 % de l'ensemble des deepfakes en ligne sont des images pornographiques non-consensuelles, dont 90 % représentent des femmes.

Comme souligné par le rapport du Secrétaire général, nous avons pleinement conscience que les violences sexistes et sexuelles dans la pornographie sont largement et librement disponibles sur internet.

Les hommes et les garçons consomment statistiquement davantage de contenus pornographiques violents que les femmes et les filles. Il y a de plus en plus d'études qui démontrent que les hommes et les garçons qui consomment de la pornographie violente sont davantage susceptibles de faire pression sur leur partenaire pour reproduire ce qu'ils ont vu dans la pornographie et davantage susceptibles d'être auteurs d'abus sexuels.

Pour conclure, quelques questions importantes pour notre réflexion collective : Quel est le coût pour une société d'avoir de la violence normalisée en tant que divertissement ? Quelles sont les conséquences à long terme sur les relations, sur l'égalité entre les sexes et pour les futures générations qui auront grandi en consommant des narratifs aussi déformés ? Quelles sont les implications en matière d'exploitation sexuelle ?

La France et les Pays-Bas ont co-facilité la résolution sur l'intensification des efforts pour prévenir et éliminer toutes les formes de violence contre les femmes et les filles dans l'environnement numérique. Cette résolution appelle les États à prendre des mesures globales, multi-sectorielles, coordonnées, efficaces et sensibles au genre pour prévenir et éliminer toutes les formes de violences à l'égard des femmes et des filles. Elle appelle aussi les États à s'attaquer aux causes structurelles et sous-jacentes et aux facteurs de risque de violence, qui permettent la perpétuation des violences.

Notre discussion d'aujourd'hui va porter sur les contenus pornographiques mais surtout sur leurs conséquences pour les droits fondamentaux des femmes et des filles. Je me réjouis de participer à cette discussion et d'en apprendre davantage sur ce que différents États mettent en oeuvre.

Je tiens à remercier la France pour son engagement et sa promotion des bonnes pratiques et des réflexions.

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