B. LES INSTITUTIONS EN CONTACT AVEC LA JEUNESSE ONT UN RÔLE DÉTERMINANT POUR PRÉVENIR, REPÉRER ET ORIENTER
1. La santé scolaire : une insuffisance de moyens en décalage avec son rôle stratégique
a) Les difficultés immenses de la santé scolaire
Les problématiques frappant la santé scolaire sont connues de longue date et demeurent, malheureusement, considérables.
En premier lieu, les effectifs des professionnels de la santé scolaire s'avèrent bien insuffisants en raison de freins persistants aux recrutements et notamment des rémunérations proposées peu attractives.
Il s'agit, d'une part, des médecins de santé scolaire, appartenant au corps des médecins de l'éducation nationale77(*) et dont le nombre décline constamment depuis 2011. Selon les informations transmises aux rapporteurs, 650 médecins titulaires et 200 médecins contractuels occupent 57 % des postes budgétisés (1 500 ETP). En 2013, 1 143 ETP étaient encore effectivement pourvus78(*).
Les services de santé scolaire de l'État sont donc en grande partie composés d'infirmières, appartenant au corps des infirmiers de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Toutefois, leur nombre, avoisinant les 8 000 ETP en 2025, est lui aussi bien insuffisant au regard de l'ensemble de leurs missions.
Enfin, 8 000 psychologues de l'éducation nationale (psys-EN), appartenant à un nouveau corps unique, créé en 2017, se répartissent entre deux spécialités : éducation, développement et apprentissage dans le premier degré ; éducation, développement et orientation dans le second degré. Selon Laurent Chazelas, président de l'Association française des psychologues de l'éducation nationale, entendu en audition par la commission des affaires sociales, ce nombre reste lui aussi trop faible : « aujourd'hui, on compte environ un psy-EN pour 1 600 élèves, alors qu'il faudrait un psychologue pour 800 élèves, selon les recommandations européennes »79(*).
b) Des missions en santé mentale que l'éducation nationale ne parvient pas à assumer
Cette pénurie de moyens humains - qui s'étend également à d'autres corps jouant un rôle essentiel comme les assistants de service social des administrations de l'État (ASSAE) - fragilise le suivi et la prise en charge des élèves. La santé scolaire ne parvient pas à remplir ses missions alors même qu'elle est un maillon essentiel du repérage des troubles psychiques et du suivi des enfants. Cette tension structurelle sur les effectifs affecte tant les missions de prévention et de repérage en santé mentale - dépistages systématiques, éducation à la santé - que l'accompagnement et le suivi des élèves souffrant de troubles psychiques diagnostiqués.
Ainsi, la mise en oeuvre des bilans de santé, légalement obligatoires, s'évère en réalité parcellaire et très inégale selon les départements et les établissements. Moins de 20 % des enfants bénéficieraient de la visite médicale obligatoire de la sixième année80(*). En outre, il ressort de l'audition des syndicats de médecins de l'éducation nationale, que cette visite des six ans, lorsque est réalisée, est trop accès sur les troubles de l'apprentissage et ne permet pas d'aborder effectivement le dépistage des troubles psychiques.
Les dépistages obligatoires à l'école
En vertu de l'article L. 541-1 du code de l'éducation et d'un arrêté du 3 novembre 201581(*), les élèves bénéficient de trois dépistages obligatoires.
Un premier bilan de santé est organisé pour tous les enfants âgés de trois à quatre ans. Il relève de la compétence du service départemental de la protection maternelle et infantile (PMI), mais si le service de PMI n'est pas capacité de l'assurer, il doit être réalisés par les professionnels de santé de l'éducation nationale. Cette visite, aux termes du code de l'éducation, « permet notamment un dépistage des troubles de santé, qu'ils soient sensoriels, psycho-affectifs, staturo-pondéraux ou neuro-développementaux, en particulier du langage oral ».
Une seconde visite, réalisée par le médecin de l'éducation nationale, intervient au cours de la sixième année de l'élève et permet « en particulier un dépistage des troubles spécifiques du langage et des apprentissages ».
Enfin, un bilan réalisé par les infirmières de l'éducation nationale doit se tenir au cours de la douzième année de l'enfant. Au cours de cette visite, l'infirmière doit, entre autres, « s'entretenir avec l'enfant notamment sur ses conditions de vie, sa santé perçue, l'expression éventuelle de difficultés ou de signes de souffrance psychique », en application de l'arrêté précité.
Ces trois visites de santé pourraient pourtant être des occasions privilégiées de prendre en compte la souffrance psychique des enfants et de dépister d'éventuels symptômes de pathologies psychiatriques. L'absence d'application de la loi privent donc les enfants d'un repérage précoce et universel.
S'agissant des missions des psychologues de l'éducation nationale, les syndicats de la profession constatent que, trop mobilisés par des bilans individuels, les psychologues sont, de manière regrettable, peu sollicités sur des missions de prévention en santé mentale.
c) Une refondation ambitieuse annoncée
En clôture des Assises, le 14 mai 2025, Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, a annoncé une « refondation ambitieuse de notre système de santé scolaire ». Les rapporteurs constatent que les différentes mesures promises sont largement axées sur la santé mentale, ce qui témoigne d'une prise de conscience salutaire de la part du Gouvernement.
Mesures du plan de refondation de la santé scolaire
Un des grands axes du plan du Gouvernement pour la santé scolaire est de « mettre la santé mentale des jeunes au coeur de notre action ». Les mesures déclinant cet objectif sont ainsi de :
- systématiser les protocoles dédiés à la santé mentale dans toutes les écoles, les collèges et les lycées d'ici fin 2025 ;
- former à la santé mentale les inspecteurs du premier degré et les personnels de direction ;
- former deux personnels repères en santé mentale dans chaque circonscription pour le premier degré et dans tous les collèges et les lycées d'ici la fin de l'année scolaire 2025-2026 ;
- développer le partenariat avec les maisons des adolescents ;
- organiser un système de coupe-files pour faciliter l'accès des élèves aux centres médico-psychologiques (CMP) ;
- renforcer l'appui aux équipes éducatives ;
- nommer 100 psychologues de l'éducation nationale conseillers techniques en santé mentale (un dans chaque département) identifiés au sein de pôles départementaux santé, bien-être et protection de l'enfance ;
- renforcer la formation des personnels sociaux et de santé en faveur de la santé mentale ;
- renforcer les compétences psychosociales des élèves pour agir sur le climat scolaire et le bien-être des élèves ;
- généraliser le déploiement d'un module de sensibilisation auprès des lycéens et expérimenter son déploiement auprès des collégiens.
Source : Gouvernement, Dossier de présentation « Santé scolaire : Agir pour les élèves, au coeur de l'École », mai 2025
Toutefois, les rapporteurs constatent que ces mesures resteront vaines, à défaut de régler par ailleurs le problème de l'attractivité des corps des professionnels de santé de l'éducation nationale. Dans son discours de clôture des Assises, la ministre Élisabeth Borne a bien annoncé « des mesures en faveur des métiers de la médecine scolaire, qui s'appliqueront dès 2026 » en précisant que : « la carrière des médecins sera revalorisée et fluidifiée. (...) Nous procéderons également à un renforcement des effectifs d'infirmiers, d'assistants sociaux et de psychologues de l'Éducation nationale ». Les rapporteurs prennent note de ces annonces et espèrent que le contexte budgétaire permettra une revalorisation effective des conditions de rémunération des professionnels.
Par ailleurs, les rapporteurs estiment qu'il convient de reconnaître et de renforcer les compétences des professionnels de santé de l'éducation nationale. Les rapporteurs se réjouissent ainsi que la loi du 27 juin 2025 sur la profession d'infirmier82(*), reconnaisse, à l'initiative du Sénat, que les infirmières et infirmiers du corps de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur constituent une spécialité infirmière autonome. Cette reconnaissance, qui induit une formation statutaire diplômante de niveau 7, permettra de renforcer l'attractivité de la profession.
Il convient toutefois d'aller plus loin et les rapporteurs appellent le Gouvernement à se saisir pleinement de la possibilité ouverte par le même texte de loi d'introduire l'exercice de la pratique avancée au sein de l'éducation nationale. Ainsi que le note le rapport de la commission des affaires sociales sur ce texte : « Les IPA en milieu scolaire pourraient notamment participer à la prise en soins des situations complexes en support des équipes éducatives et des services de santé scolaire (...). Ils pourraient également réaliser des examens cliniques approfondis des élèves repérés au préalable par les IDE ou les équipes éducatives »83(*).
Il reviendra donc au Gouvernement de permettre, dans les plus brefs délais, le recrutement de infirmières en pratique avancée (IPA) mention psychiatrie et santé mentale (PSM), de permettre la formation des infirmiers de l'éducation nationale souhaitant exercer en pratique avancée et de créer, en conséquence, un cadre statutaire et indiciaire adapté. Le développement de cette profession au sein de l'éducation nationale permettra de hisser la santé scolaire à la hauteur des enjeux liés à la santé mentale des enfants.
Recommandation n° 7 : Capitaliser sur la loi sur la profession d'infirmier pour recruter et former des IPA mention PSM au sein de l'éducation nationale (Ministère de l'Éducation nationale)
d) Décloisonner les professionnels de l'éducation nationale pour mieux prendre en charge les troubles psychiques
Enfin, les rapporteurs ont relevé des auditions des médecins et des infirmiers de l'éducation nationale un positionnement du système de santé scolaire qui ne permet pas une prise en charge fluide et adaptée des enfants, notamment s'agissant des troubles psychiques.
D'une part, la médecine scolaire paraît coupée des instances de coopération des acteurs de la santé mentale qui peuvent exister dans les territoires. Les représentants des médecins de l'éducation nationale ont déploré le fait qu'ils étaient très rarement conviés aux conseils locaux de santé mentale (CLSM). Il est regrettable en effet que les textes administratifs concernant les CLSM, à savoir les deux instructions de la DGS de 201684(*) et de 202585(*) à l'attention des services déconcentrés, ne mentionnent pas explicitement les professionnels de santé de l'éducation nationale dans la composition du comité de pilotage86(*).
Pour renforcer la coordination des acteurs, les rapporteurs ne peuvent donc qu'encourager les services de l'État et les collectivités territoriales à veiller à la présence des médecins de l'éducation nationale aux instances des CLSM comme à celles du PTSM.
Recommandation n° 8 : Mieux intégrer les professionnels de santé de l'éducation nationale aux conseils locaux de santé mentale et à la démarche des PTSM (DGS, collectivités territoriales, ARS). |
D'autre part, en matière même de coordination des soins, la santé scolaire souffre d'un cloisonnement qui se perçoit sous plusieurs formes. Un manque de coordination et d'échanges avec les soins de ville ou les centres médico-psychologiques (CMP) a été relevé - dans un contexte où les circonscriptions administratives de l'éducation nationale ne se recoupent pas nécessairement avec la délimitation des secteurs psychiatriques. Il a été par ailleurs mentionné aux rapporteurs le manque d'interconnectivité des systèmes d'information, entre l'éducation nationale et, par exemple, la PMI.
Les médecins scolaires regrettent en outre de ne pas avoir accès au dossier médical partagé (DMP). Les freins à cet accès ne paraissent pas de nature juridique87(*), ainsi que le relève la direction générale de l'offre de soins (DGOS). De surcroît, une évolution législative est intervenue par la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique88(*) pour préciser qu'« avec l'accord du représentant légal de l'élève mineur ou de l'élève majeur, les données de santé collectées dans le cadre des examens, des visites médicales et du suivi médical de l'élève sont reportées dans son dossier médical partagé dans les conditions prévues à l'article L. 1111-15 du code de la santé publique »89(*). Toutefois, le décret d'application, pris après avis de la Haute Autorité de santé et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, n'a toujours pas été publié.
En outre, des difficultés d'ordre technique doivent encore être résolues pour que soient versées au DMP les données issues des bilans et du suivi par les infirmières et médecins scolaires, et notamment le compte rendu détaillé de la visite obligatoire de la sixième année. Selon la DGOS, il conviendra :
- soit de rendre les logiciels métiers de l'éducation nationale « DMP compatibles » et de décider d'une méthode d'identification pour les professionnels ;
- soit de demander aux professionnels concernés d'utiliser l'interface webPS DMP pour alimenter le dossier avec, toutefois, une perte de temps pour eux à devoir verser manuellement les documents.
Plus de quatre ans après la promulgation de la loi dite ASAP90(*), les rapporteurs regrettent de constater un avancement encore très partiel des travaux nécessaires à la consultation et l'alimentation effectives du DMP par les professionnels de santé de l'éducation nationale.
Recommandation n° 9 : Rendre effectif l'accès des médecins de l'éducation nationale au dossier médical partagé, avec l'accord des représentants légaux de l'enfant (DGESCO, DGOS) |
2. Les maisons des adolescents : des structures pluridisciplinaires à soutenir dans un contexte d'augmentation des troubles chez les jeunes
Déployées à compte de 2005, les maisons des adolescents constituent des lieux d'accueil destinés aux jeunes, généralement de 11 à 21 ans, parfois jusqu'à 25 ans ayant vocation à offrir un accompagnement global en santé. Elles sont à cette fin composées d'équipe pluridisciplinaire et sont articulées avec les structures sanitaires vers lesquelles elles doivent, le cas échéant, réorienter le jeune.
Les maisons des adolescents
Issues d'initiative locales, les maisons des adolescents (MDA) ont fait l'objet d'une attention particulière de la part du Gouvernement à partir de 2005, dans le cadre du plan « Psychiatrie et santé mentale 2005-2008 ». Leur organisation et intervention ont été précisées dans deux cahiers des charges de 200591(*) et 201692(*) qui confient aux ARS le pilotage du dispositif, organisé « en collaboration étroite avec les départements » et les autres collectivités territoriales.
Leur déploiement territorial s'est opéré de manière progressive mais couvre aujourd'hui tous les départements avec des portages juridiques et institutionnels variés. Selon le rapport public annuel de la Cour des comptes93(*), 42 % des MSA sont rattachées à un centre hospitalier, 36 % à une association, 5 % à un département tandis que 17 % sont rattachés à d'autres structures (mutuelle, groupement d'intérêt public...). Selon ce même rapport, 123 maisons permettent désormais de suivre 100 000 jeunes par an.
En ciblant l'adolescence, les MDA permettent de répondre aux spécificités de cette « période charnière déterminante, marquée par la possible émergence de difficultés scolaires, de conduites transgressives ou à risques et de troubles psychiatriques »94(*), alors que les institutions purement sanitaires peinent généralement à trouver les solutions adéquates pour cet âge de transition. En étant pluridisciplinaires, elles constituent également un lieu moins stigmatisant que les structures de la psychiatrie - parfois estampillées comme infamantes par un public peut-être plus sensible encore aux idées-reçues sur les troubles psychiques.
Les MDA sont, en soi, des structures utiles pour répondre aux problèmes, en forte croissance, de santé mentale des jeunes. Le nombre de jeunes accompagnés, chaque année, par les maisons a atteint le seuil de 100 000 soit une augmentation de 20 % depuis 2018. Or, les rapporteurs constatent que les premiers sujets évoqués par les jeunes qui poussent la porte d'une MDA ont trait à la santé mentale : 72 % d'entre eux expriment un mal-être, une estime de soi contrariée ou une anxiété95(*).
Les maisons des adolescents ne sont, malheureusement, pas exemptes de difficultés qui alourdissent le triste bilan des acteurs de soins de proximité. D'une part, leurs effectifs font apparaître des professionnels de santé en nombre insuffisant pour répondre de manière satisfaisante aux besoins de soins psychiques des jeunes. Selon la Cour des comptes, près de 25 % des MDA n'auraient pas de médecin en leurs murs. Certaines MDA parviennent à recruter des IPA mention PSM, parfois en vacation, mais cette situation est malheureusement trop rare encore.
Le renforcement des ressources humaines des MDA est donc essentiel afin de leur permettre d'assurer certaines missions pour lesquelles elles présentent une vraie plus-value : elles pourraient ainsi être davantage mobilisées dans la lutte contre le décrochage scolaire. Les annonces faites dans le cadre des Assises de la santé scolaire prévoient, au demeurant, un renforcement du partenariat entre l'éducation nationale et les MDA, sous la forme de convention.
Effectifs des professionnels des MDA
Profession |
Taux de représentation de la profession |
Nombre d'ETP moyen |
Médecins |
75,8 % |
0,4 |
Psychologues |
97,1 % |
2,1 |
Infirmières |
86,4 % |
1,5 |
Éducateurs spécialisés |
92,2 % |
2,1 |
Assistantes sociales |
41,8 % |
0,4 |
Source : Cour des comptes, rapport précité, p. 45.
D'autre part, leurs financements, bien quoiqu'en augmentation ces dernières années, ne paraissent pas encore être suffisants. Les ressources issues des départements, qui représentent 13 %, en moyenne96(*), des financements globaux des MDA, sont fluctuants selon les capacités budgétaires de ces collectivités. De même, les financements issus des ARS sont inégaux selon les régions et suivent des règles d'attribution qui ne sont pas uniformes d'un territoire à l'autre.
Les rapporteurs constatent que les budgets contraints des collectivités territoriales ne pourront garantir un engagement financier plus important de la part de tous les départements. Les rapporteurs prennent en revanche acte du récent arbitrage budgétaire conduisant à une nouvelle augmentation de 15 millions d'euros en 2025 qui viennent abonder le fonds d'intervention régionale (FIR) - après un renforcement de 10,5 millions d'euros décidé dans le cadre des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Ils convient que cet effort budgétaire du Gouvernement soit poursuivi.
Enfin, il ressort des auditions des rapporteurs que l'accessibilité territoriale des MDA varie grandement d'un département à l'autre et au sein même des départements. Dans les territoires où la MDA est implantée dans l'agglomération principale, elle ne constitue pas un dispositif pouvant être mobilisé par les jeunes et les familles des zones rurales éloignées. Puisque chaque département est pourvu d'au moins une maison des adolescents, il convient désormais d'affiner leur maillage territorial. Il s'agit là d'un axe important, mis en avant par l'ARS Ile-de-France, pour la poursuite de la feuille de route « santé mentale et psychiatrie ».
Les rapporteurs invitent donc le Gouvernement et l'ensemble des ARS à soutenir le déploiement d'antennes de proximité des MDA ou d'équipes mobiles rattachées à la MDA afin de renforcer l'accessibilité géographique des maisons des adolescents. La Cour des comptes souligne d'ailleurs, dans son rapport, d'autres dispositifs qui pourraient être encouragés comme la constitution d'équipes mobiles interdépartementales (Gard, Vaucluse et Bouches-du-Rhône).
Recommandation n° 10 : Développer les antennes des MDA et les dispositifs mobiles pour accroître leur accessibilité territoriale (ARS, collectivités territoriales) |
Les rapporteurs sont toutefois bien conscients que les MDA constituent une structure de première ligne complémentaire aux structures sanitaires spécialisées et notamment le CMP. Les MDA ne peuvent pas constituer une réponse miracle aux problèmes rencontrées par l'offre de psychiatrie.
Le Dr Louis Tandonnet, chef des pôles psychiatrie de l'enfant et psychiatrie de l'adolescent du centre hospitaliser de La Candélie, et lui-même président de la MDA du Lot-et-Garonne, note, dans sa contribution à la mission d'information, que « les MDA reçoivent des flux cent fois inférieurs aux CMP, ils ne peuvent donc pas s'y substituer en termes de porte d'entrée ». Dans le Lot-et-Garonne, par exemple, la MDA présente une file active de 250 patients, là où le CMP adolescents (12-18 ans) prend en charge une file active de 1 600 jeunes. Ce constat est d'ailleurs partagé par la Cour des comptes qui conclut que « les difficultés du secteur de la psychiatrie ne doivent cependant pas conduire [les MDA] à se substituer aux structures spécialisées d'aval »97(*).
3. Les troubles psychiques des enfants protégés : une prise en charge délaissée
a) Les problèmes de santé mentale exacerbés des enfants confiés à l'ASE
En dépit du manque désolant de données précises et récentes, il semble admis que les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) sont plus susceptibles que les autres de présenter des troubles psychiques en raison, notamment, d'un parcours de vie traumatique. La prévalence de troubles mentaux parmi les enfants protégés pourrait être quatre fois plus élevée qu'au sein du reste de la population98(*). Les syndromes de stress-post traumatiques (SPT) serait entre deux et onze fois plus fréquents parmi les enfants confiés à l'ASE qu'en population générale99(*).
De même, les enfants confiés à l'ASE sont surreprésentés parmi les jeunes pris en charge dans les services psychiatriques, ce qui ressort tant des constats empiriques formulés par les soignants lors des déplacements aux centres hospitaliers de Thuir et du Rouvray que de la littérature scientifique. Une étude de 2017 indique par exemple que les adolescents protégés représenteraient 55 % des jeunes au sein des services de psychiatrie de l'adulte100(*).
Les rapporteurs observent par ailleurs une dégradation préoccupante de la santé mentale des mineurs protégés, dont l'ampleur dépasse celle constatée parmi l'ensemble des enfants. Les représentants des centres départementaux de l'enfance et de la famille des Ardennes, du Doubs et de la Seine-Saint-Denis ont fait état d'une prévalence des troubles psychiques avoisinant désormais un enfant sur deux. Ils ont souligné que cette dégradation se traduisait notamment par une recrudescence des actes de violence à l'encontre des éducateurs, ainsi que par un rajeunissement des problématiques. L'expression du mal-être psychique, notamment sous forme de pensées suicidaires, concerne désormais des enfants particulièrement jeunes - dès l'âge de 8 ans - alors que de telles manifestations demeuraient exceptionnelles il y a encore quelques années.
b) Une réponse de l'ASE et des offreurs de soins qui n'est pas à la hauteur des enjeux
Face à cette situation, les services de l'ASE apparaissent en grande difficulté. Le dépistage des troubles mentaux et, plus généralement, le suivi de la santé mentale pâtit, une fois encore, d'un manque de professionnels de santé disponibles.
La commission a déjà eu l'occasion de souligner les tensions de recrutement des médecins référents de l'ASE et la pénurie de médecins des services de PMI qui entravent le suivi médical des enfants et la bonne réalisation des bilans de santé et de prévention101(*). Ces derniers, réalisés le jour de l'accueil de l'enfant en protection de l'enfance, semblent au demeurant peu propices au repérage efficace des troubles mentaux.
En outre, il convient de souligner que les éducateurs spécialisés demeurent encore insuffisamment formés aux enjeux de santé mentale.
Dans ce contexte difficile, il apparaît nécessaire, à tout le moins, de renforcer les équipes sanitaires des services de protection de l'enfance. Les rapporteurs soulignent que la loi sur la profession d'infirmier ouvre désormais la possibilité, pour les infirmiers en pratique avancée (IPA), d'exercer en protection de l'enfance.
Par ailleurs, le recrutement de psychologues par les départements devrait être amplifié. Si cette mesure ne saurait répondre aux besoins liés aux troubles psychiatriques sévères, elle contribuerait néanmoins à enrichir l'expertise pluridisciplinaire des services de l'ASE et, ainsi, à améliorer le suivi des enfants et la prévention des troubles psychiques.
Recommandation n° 11 : Renforcer la présence des psychologues parmi les effectifs de l'aide sociale à l'enfance (conseils départementaux). |
Enfin, les rapporteurs ont noté que la prise en charge psychiatrique des mineurs en protection de l'enfance se heurte à un manque de coopération entre l'ASE, les établissements hospitaliers et la médecine de ville. Dans un contexte où tous les acteurs se trouvent en difficulté majeure pour assurer leurs missions, chacun tend à se renvoyer la responsabilité de la prise en charge des enfants protégés.
Ainsi que l'indique aux rapporteurs la commission nationale de psychiatrie, « les services de l'ASE sont souvent débordés par les demandes de placement et en grande difficulté pour (...) leur offrir un lieu de vie adapté, ce qui tend à prolonger la durée d'hospitalisation avec un impact non négligeable pour avoir des lits actifs et accueillir des patients en phase aiguë ». À l'inverse, les services de l'ASE rencontrent des difficultés exacerbées pour obtenir des consultations en CMP pour les jeunes dont ils ont la charge.
Dernière illustration d'un système dans lequel chaque acteur semble se défausser sur d'autres intervenants, les représentants des CDEF entendus en audition ont signalé des cas récurrents où les services d'urgences refusent de prendre en charge les enfants confiés à l'ASE, ou ne les accueillent que de manière transitoire, sans prise en charge psychiatrique adaptée.
c) Encourager le déploiement des équipes mobiles intervenant au sein des structures de l'ASE
Afin de remédier à cet isolement supplémentaire que rencontrent les enfants protégés souffrant de troubles psychiques, les rapporteurs estiment que le modèle d'équipe mobile intervenant directement au sein de la structure de l'ASE doit être généralisé. Il s'agit là d'une réponse optimale pour repérer et intervenir précocement auprès des enfants, prévenir les hospitalisations, mais également gérer les crises durant lesquelles le personnel de l'ASE est souvent dépourvu de solutions. Les projets d'équipes mobiles, qui ont vu le jour au sein des établissements psychiatriques, ont ainsi fait leur preuve.
Exemples d'équipe mobile intervenant au sein de l'aide sociale à l'enfance
• Le projet ELIAS porté par l'EPSM de La Réunion : Il s'agit d'une équipe mobile en santé mentale pouvant être spécifiquement sollicitée par les établissements et services habilités par le conseil départemental, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les établissements scolaires. Ses missions comprennent des interventions auprès d'adolescents en souffrance psychique et/ou en rupture d'accès aux services de soins adaptés, ainsi qu'un appui et soutien aux professionnels impliqués. Ce projet a été financé par le fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie (FIOP) à hauteur de 404 000 €.
• Le programme Pégase porté par le centre hospitalier Georges Daumézon de Bouguenais (44) : Initialement expérimentation menée au titre de l'article 51 de la LFSS pour 2018, puis pérennisé, Pégase est une équipe mobile qui a pour mission d'identifier les besoins de soins des enfants et adolescents de 0 à 18 ans, en souffrance psychique et hébergés dans les structures d'hébergement ou unités d'accueil familiales de la protection de l'enfance.
• L'équipe mobile de pédopsychiatrie (EMIL) portée par le CHU de Besançon : Cette équipe intervient dans le cadre d'une réponse coordonnée pour les parcours complexes, en particulier pour les enfants et adolescents en situation de handicap pris en charge par l'ASE. L'EMIL propose une expertise sur des situations compliquées et un appui aux équipes dans les structures médico-sociales, l'éducation nationale, la PJJ et l'ASE.
Source : Pr. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, Réponse écrite aux questions des rapporteurs,
Dans sa réponse écrite aux questions des rapporteurs, le délégué ministériel Frank Bellivier assure que le Gouvernement porte l'ambition de généraliser les équipes mobiles de pédopsychiatrie, pouvant notamment intervenir auprès de la protection de l'enfance et que « la diffusion du modèle des équipes mobiles déployées pour les enfants de l'ASE dans le cadre du fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie (FIOP) est encouragée ».
Le bilan de l'appel à projets national de renforcement de l'offre en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent fait en effet état, sur la période 2019-2023, d'un appui financier apporté à 82 équipes mobiles de pédopsychiatrie pour un montant total de 28,5 millions d'euros. Les rapporteurs ne peuvent qu'encourager le Gouvernement à poursuivre et amplifier ce soutien.
Recommandation n° 12 : Développer les équipes mobiles pluridisciplinaires intervenant en faveur des enfants protégés (établissements psychiatriques, ARS, conseils départementaux). |
* 77 Décret n° 91-1195 du 27 novembre 1991 portant dispositions statutaires applicables au corps des médecins de l'éducation nationale et à l'emploi de médecin de l'éducation nationale - conseiller technique.
* 78 Rapport n° 414 (2023-2024) du 13 mars 2024 de François BONHOMME au nom de la commission des lois du Sénat.
* 79 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires sociales du mercredi 28 mai 2025.
* 80 Rapport précité de la commission des lois
* 81 Arrêté relatif à la périodicité et au contenu des visites médicales et de dépistage obligatoire prévues à l'article L. 541-1 du code de l'éducation.
* 82 Loi n° 2025-581 du 27 juin 2025 sur la profession d'infirmier, article 5, codifié à l'article L. 4311-4-1 du code de la santé publique.
* 83 Rapport n° 557 (2024-2025) de Jean SOL et Anne-Sophie ROMAGNY fait au nom de la commission des affaires sociales.
* 84 Instruction du 30 septembre 2016 relative à la consolidation et à la généralisation des conseils locaux de santé mentale en particulier dans le cadre des contrats de ville.
* 85 Instruction n° DGS/SP4/2025/78 du 20 mai 2025 actualisant l'instruction n° DGS/SP4/CGET/2016/289 du 30 septembre 2016 relative à la consolidation et à la généralisation des conseils locaux de santé mentale en particulier dans le cadre des contrats de ville
* 86 L'instruction de 2016 se borne à indiquer : « En fonction des projets, d'autres structures ou partenaires institutionnels peuvent être associés au comité de pilotage (Éducation nationale, conseils départementaux, Protection judiciaire de la jeunesse...) ». L'instruction de 2025 n'est guère plus précise : La composition du comité de pilotage « inclut également des acteurs clés, indispensables pour définir la stratégie du CLSM en fonction des spécificités du territoire concerné (délégation départementale de l'ARS, professionnels de santé, acteurs sociaux et médico-sociaux, acteurs du logement, de l'éducation, de la justice...) ».
* 87 L'article R. 1110-2 du code de la santé publique prévoit la liste des « professionnels susceptibles d'échanger ou de partager des informations relatives à la même personne prise en charge » qui comprend « Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, quel que soit leur mode d'exercice ».
* 88 Article 98 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020
* 89 Article L. 541-1 du code de l'éducation.
* 90 Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.
* 91 Annexé à une lettre-circulaire du 4 janvier 2005 du ministre des solidarités, de la santé et de la famille.
* 92 Circulaire n° 5899-SG du 28 novembre 2016 relative à l'actualisation du cahier des charges des Maisons des adolescents.
* 93 Cour des comptes, Rapport public annuel 2025 « Les politiques publiques en faveur des jeunes », Volume 2, pp. 38-69.
* 94 Circulaire n° 5899-SG du 28 novembre 2016.
* 95 Cour des comptes, rapport précité, p. 61.
* 96 Cour des comptes, rapport précité.
* 97 Citation.
* 98 G. Bronsard et coll., The prevalence of mental disorders among children and adolescents in the child welfare system, Medicine (Baltimore), 2016.
* 99 Ford T, Vostanis P, Meltzer H. Psychiatric disorder among British children looked after by local authorities: comparison with children living in private households. British Journal of Psychiatry. 2007 ; 190:319-25
* 100 L. Vitte et coll., Adolescents hospitalisés dans les services de psychiatrie adulte : une étude descriptive à la lumière des problématiques relevant de la protection de l'enfance, Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, 2017.
* 101 Voir le rapport de Bernard Bonne, au nom de la commission des affaires sociales, sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance, 5 juillet 2023, pp. 69-72.