B. UN ÉTABLISSEMENT FINANCIÈREMENT EN SURSIS
Dans un rapport daté du mois de juin 202163(*), le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et l'inspection générale de l'administration (IGA) avaient « tiré la sonnette d'alarme » quant à la situation et aux perspectives financières du Cerema. Leur constat était sans appel. « Non soutenable depuis son origine », « la trajectoire financière et budgétaire » de l'établissement ainsi que le « déséquilibre structurel » de son modèle économique engageaient « son pronostic vital ». Le rapport signalait déjà un phénomène de « cavalerie financière » qui ne pouvait être viable sur le long terme.
Synthèse des alertes sur la situation et
les perspectives financières
du Cerema ainsi que sur l'exercice de sa
tutelle formulées en juin 2021
par la mission inter-inspections
consacrée au rôle du Cerema
en matière d'appui aux
collectivités territoriales
Selon le rapport de la mission, « la trajectoire financière et budgétaire » du Cerema « engage son pronostic vital ». Elle est « non soutenable depuis son origine ». Son modèle économique est en « déséquilibre structurel » depuis sa création.
Le rapport souligne notamment que « le budget n'a jamais été' en mesure de dégager un excédent d'exploitation susceptible d'alimenter une capacité' d'autofinancement pour ses investissements : l'intégralité' des investissements réalisés (a` un niveau cependant très insuffisant) l'a été' a` partir d'opérations additionnelles ou circonstancielles de régulation (opérations fléchées notamment) ainsi que par un mécanisme de « cavalerie financière » s'appuyant sur le décalage des flux en recettes et en dépenses de ces opérations additionnelles ou circonstancielles, dont le volume est devenu croissant avec le temps. En d'autres termes, une partie des investissements non pris en charge directement par des ressources additionnelles a été' financée en flux, a` partir de droits constatés de décaissements futurs sur d'autres opérations additionnelles ».
La mission soulignait l'injonction paradoxale à laquelle est soumise le Cerema alors que l'État réduit ses moyens en lui demandant d'augmenter ses ressources propres mais sans formaliser de diminution des prestations délivrées par l'établissement aux services de l'État : « il ne peut y avoir de développement de recettes propres nettes dans un contexte de maintien ou de diminution continue de la capacité' globale de production, avec une forte baisse des effectifs, sans la fixation préalable a` due proportion d'un objectif identifie' et assume' de diminution des prestations d'ingénierie pour le compte de l'État ce qui n'a pas été' fait, ni en 2014, ni depuis ».
Le rapport soulignait que « les injonctions paradoxales adressées au Cerema aboutissent a` une impasse ». Il ajoutait que « le modèle économique adopté pour le Cerema a engagé l'établissement sur une trajectoire financière, mortifère dans le temps ».
La mission considérait que « pour mettre en oeuvre ce projet stratégique, comme pour asseoir la crédibilité' du projet de transformation de l'établissement en agence commune a` l'État et aux collectivités locales, le maintien a` leur niveau actuel du nombre d'emplois (2 600) et de la subvention pour charge de service public (SCSP) apparait comme une condition essentielle ».
Enfin, le rapport pointait ce qu'il considérait comme des manquements de la part de l'État. La mission qualifiait à ce titre que les tutelles de l'établissement de « lacunaires » et elle leur reprochait « l'absence de définition d'une stratégie de l'établissement ».
Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport de la mission conduite par le CGEDD et l'IGA sur « le rôle du Cérema en matière d'appui aux collectivités territoriales : renforcer son activité au bénéfice des collectivités locales », juin 2021
Au regard de la situation actuelle, force est de constater que bon nombre des constats réalisés par les inspections en 2021 étaient justifiés. Alors que dès la fin de l'année 2021 le rapporteur avait interpelé le Gouvernement sur les conclusions de ce rapport lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, il regrette que le travail des inspections n'ait pas été suffisamment pris au sérieux.
1. La cavalerie budgétaire à laquelle le Cerema a été contraint par l'État s'apparente à une véritable « fuite en avant »
Compte-tenu de son déséquilibre budgétaire structurel, accru en 2025 par une nouvelle baisse de sa SCSP conjuguée à une hausse sensible de sa masse salariale, le Cerema n'a eu d'autre choix que de mobiliser sa trésorerie fléchée, notamment celle qu'il est tenu de redistribuer aux collectivités dans le cadre du programme « ponts », pour assurer ses dépenses courantes, en particulier ses charges de personnel.
Suffisamment inhabituel pour être signalé et symbolique de la gravité de la situation, dans une motion du 22 octobre 2024 relative aux moyens financiers du Cerema64(*), le conseil d'administration de l'établissement avait lui-même revendiqué la nécessité de recourir à cette forme de « cavalerie budgétaire ». La motion soulignait ainsi que l'effort financier demandé au Cerema était « totalement impossible dans son épure budgétaire sauf à toucher aux crédits d'intervention ». Elle était même plus explicite en précisant que si la baisse de sa SCSP prévue par le projet de loi de finances devait être confirmée, « l'établissement serait ainsi contraint, pour assurer son fonctionnement, déjà resserré autour des missions opérationnelles, de prendre sur les moyens votés par le Parlement, consacrés aux collectivités (programme ponts, etc) ». Or, la diminution a finalement été accrue de 2 millions d'euros en cours d'examen.
Le principe de « cavalerie budgétaire » a ensuite été validé par ce même conseil d'administration via l'adoption du budget initial pour 2025. Dans les réponses faites au rapporteur, le Cerema lui a confirmé la nécessité d'utiliser au cours de la gestion actuelle des fonds issus de sa trésorerie fléchée pour honorer ses dépenses courantes : « dans un contexte de réfaction de la dotation servie par l'État au titre de la SCSP, les crédits mobilisés pour l'allocation de ces subventions constituent de la trésorerie qui supporte les besoins de l'établissement en termes de fonds de roulement nécessaire à son fonctionnement »65(*).
La situation a pu être améliorée par la mise en oeuvre d'un plan de retour à l'équilibre, mais n'est bien évidemment pas viable et s'apparente à une véritable « fuite en avant » financière.
Le paradoxe est que tout en regrettant cette situation, l'État a pu dans le même temps justifier la baisse significative de sa SCSP imposée au Cerema, notamment en 2025, par le fait que, contrairement à d'autres de ses homologues, notamment du programme 159, il disposait d'un niveau de trésorerie élevé qui lui permettrait de supporter cet effort. Pour le rapporteur, cette situation est un cas d'école symptomatique des injonctions contradictoires devant lesquelles le Cerema a pu être placé par l'État au cours de ces dernières années.
Le rapporteur s'étonne tout de même que l'État ait pu se résoudre à un système aussi « baroque » et aussi éloigné des règles élémentaires de bonne gestion des deniers publics. Il ne serait bien évidemment pas raisonnable de poursuivre sur cette voie sauf à vouloir « reculer pour mieux sauter » et retenir une vision « court-termiste ».
2. Alors que sa trésorerie sera épuisée en 2027, le « compte à rebours » de la survie financière du Cerema est lancé
Les trajectoires financières prévisionnelles du Cerema les plus actualisées sont extrêmement préoccupantes. En retenant des hypothèses de stabilisation de sa SCSP et de ses effectifs, d'une augmentation modérée de ses ressources propres, d'une baisse significative de ses dépenses de fonctionnement, liée notamment à la pérennisation des mesures prises dans le cadre du plan de retour à l'équilibre de 2025, le déficit budgétaire de l'établissement continuerait de se creuser jusqu'à approcher les 47 millions d'euros en 2027.
Dépenses, recettes et solde budgétaire prévisionnelle du Cerema à horizon 2027
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
Ces modélisations financières prévoient que la trésorerie globale du Cerema, intégrant la trésorerie fléchée, basculerait en territoire négatif en 2027. Cette situation pourrait même intervenir plus tôt si certaines des hypothèses retenues n'étaient pas vérifiées. Le rapporteur constate que le Cerema est engagé dans une impasse financière manifeste, et ce, à très court terme. Une analyse plus fine révèle que la trésorerie non fléchée de l'établissement, la seule dont il dispose réellement, deviendra quant à elle négative dès 2026.
Un des scénarii envisagés pour atténuer cet effondrement rapide de la trésorerie de l'établissement serait de ralentir le rythme de décaissement des dépenses d'intervention liées aux grands programmes. Cependant, cette solution ne ferait que décaler encore un peu plus la résolution des problèmes structurels du Cerema. En outre, elle créerait une situation de tension entre l'établissement et ses partenaires, susceptible de nuire à sa réputation. Cette méthode ne consisterait une nouvelle fois qu'à « reculer pour mieux sauter ».
Trésorerie prévisionnelle en fin d'année du Cerema à horizon 2027
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
* 63 « Le rôle du Cérema en matière d'appui aux collectivités territoriales : renforcer son activité au bénéfice des collectivités locales », juin 2021.
* 64 Adopté à l'unanimité des représentants des collectivités et des personnels ainsi que des personnalités qualifiées, les représentants de l'État n'ayant pas pris part au vote.
* 65 Réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur.