D. POUR EXTRAIRE L'ÉTABLISSEMENT DES AFFRES D'UN PILOTAGE BUDGÉTAIRE « À VUE », L'ÉTAT DOIT LUI TRACER AU PLUS TÔT UNE STRATÉGIE DE LONG TERME CLAIRE ET SOUTENABLE

La poursuite du pilotage budgétaire annuel « à vue » tel qu'il a été pratiqué ces dernières années, sans que le Cerema ne dispose de visibilité sur son avenir, ne peut être poursuivi, sauf à aboutir à la faillite financière annoncée dès 2027, voire même avant.

Au plus tard au cours de l'année 2026, l'État doit décider clairement de ce qu'il entend faire du Cerema, de sa vision stratégique de long terme pour l'établissement et du périmètre des missions de service public essentielles dont il doit assurer la continuité. Dans un deuxième temps, pour donner à l'établissement la visibilité qui lui manque aujourd'hui cruellement et garantir la mise en oeuvre sur le long terme de cette stratégie, l'État doit lui assurer les conditions d'un modèle économique soutenable dans la durée, prévoyant notamment les moyens nécessaires à une couverture optimisée des coûts relatifs à la production de ses missions de service public « socles ».

Cette réflexion stratégique sur le futur du Cerema, le rôle qu'entend lui assigner l'État, son périmètre d'intervention et la définition des paramètres d'un modèle économique viable sur le long terme s'inscrit dans un contexte de contraintes extrêmement fortes sur les finances publiques. Au cours des prochaines années, en particulier s'agissant du projet de loi de finances pour 2026, la possibilité de dégager des moyens publics supplémentaires pour équilibrer le modèle économique du Cerema sera nécessairement très limitée. À court terme, dans ces conditions, il apparaît peu probable que les crédits alloués au programme 159 de la mission « Écologie, développement et mobilité » du budget de l'État, depuis lequel est versé la SCSP du Cerema, puissent être significativement majorés.

Trois grandes familles de scénarios stratégiques entre lesquels l'État devra trancher de façon explicite, semblent aujourd'hui se dessiner.

Un premier scénario serait celui du statu quo organisationnel et d'une augmentation de la SCSP de l'établissement, via une procédure de « rebasage », afin de combler le déficit structurel actuel et de renflouer la trésorerie du Cerema pour la repositionner au-dessus du seuil prudentiel fixé par la circulaire du Premier ministre datée du 23 avril 2025.

C'est le sens de la demande effectuée par le Cerema et soutenue par sa tutelle métier, le CGDD, dans le cadre des conférences de budgétisation relatives à la préparation du projet de loi de finances pour 2026. Le Cerema et le CGDD ont ainsi demandé un rebasage de la SCSP à hauteur de 37,2 millions d'euros dès 2026, dans une perspective de « rattrapage du déficit structurel du modèle » économique de l'établissement et de compensation des coûts liés à la protection sociale complémentaire et à l'augmentation du taux du CAS pensions. À cette demande s'ajoute celle d'une subvention complémentaire de 6 millions d'euros pour les investissements de rénovation du parc immobilier du Cerema.

Compte-tenu de l'état actuel des finances publiques et de la contrainte forte qui pèse sur le budget de l'État, ces demandes pourront vraisemblablement difficilement être satisfaites en 2026. Aussi, ce scénario d'un rebasage de la SCSP de l'établissement sans évolution organisationnelle apparaît-il peu réaliste à court terme.

Un deuxième scénario serait au contraire celui du statu quo en termes de moyens financiers, c'est à dire le gel durable de la SCSP de l'établissement à son niveau actuel. Toutes choses égales par ailleurs, cette situation aboutirait à une impasse financière dès 2027, la trésorerie du Cerema basculant alors en territoire négatif.

Aussi, ce scénario supposerait-il une nouvelle réforme structurelle profonde de l'établissement se traduisant par une révision à la baisse, probablement substantielle, de son champ d'intervention, notamment pour le compte des services de l'État. Il reviendrait alors à l'État d'assumer pleinement ce choix et de lui signifier clairement et explicitement lesquelles de ses missions le Cerema devra abandonner et lesquelles il devra au contraire prioriser et sanctuariser. Lors de sa mission de contrôle, le rapporteur a pu constater qu'aucune réflexion de la sorte n'a à ce jour été entreprise par l'État. Or, une telle réforme nécessiterait d'être pensée très en amont et accompagnée d'une solide étude d'impact pour s'assurer de ne pas fragiliser des capacités et des missions essentielles réalisées à ce jour par le Cerema, notamment lorsqu'elles revêtent des enjeux importants de sécurité des personnes et des biens, d'interventions d'urgence suite à des catastrophes ou encore de durabilité et d'adaptation des infrastructures.

Un troisième scénario, hybride, pourrait induire un rebasage partiel de la SCSP et, en parallèle, des gains de productivité dégagés par une réforme de l'organisation du temps de travail, par un programme ambitieux de diffusion de l'intelligence artificielle ainsi que par un nouveau recentrage des missions du Cerema qui serait formalisé par le travail nécessaire de détourage de ses activités « socles ». Ce scénario, qui pourrait par exemple être construit dans la perspective de la préparation du projet de loi de finances pour 2027, semble être le plus réaliste pour ne pas remettre en cause profondément le rôle et la plus-value du Cerema dans le contexte budgétaire actuel.

Ce scénario pourrait même être rendu plus soutenable par la recherche de compensations budgétaires du rebasage partiel de la SCSP du Cerema dans un cadre plus large que celui du programme 159 qui ne dispose d'aucune marge de manoeuvre en la matière. En effet, tout le monde s'accorde à dire, y compris la direction du budget, que le programme 159, très fortement affecté par les économies budgétaires depuis plus de dix ans, modeste et essentiellement composé des SCSP de Météo-France, de l'IGN et du Cerema, ne dispose plus d'aucune marge de manoeuvre d'économies budgétaires. Ce constat est renforcé par la situation financière extrêmement délicate de l'IGN qui se trouve dans une impasse similaire à celle du Cerema.

Sur la période récente, entre 2019 et 2024, si le montant des crédits de paiement (CP) consommés sur le programme 159 présente une certaine stabilité en valeur, et si l'on tient compte de l'inflation, il apparaît qu'ils ont accusé une baisse de 13 % en volume.

Évolutions en valeur et en volume des crédits de paiement (CP) consommés
sur le programme 159 de la mission « Écologie, développement et mobilité »
du budget de l'État (2019-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Par ailleurs, comme l'illustre les graphiques ci-après, depuis une dizaine d'année, les subventions versées aux opérateurs du programme 159 sont quant à elles en nette diminution, que ce soit en euros courants ou en euros constants.

Évolutions en valeur et en volume de la subvention versée
à Météo-France (2013-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Évolutions en valeur et en volume de la subvention versée à l'IGN (2013-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Évolutions en valeur et en volume de la subvention versée au Cerema (2014-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Afin de disposer structurellement de davantage de marges de manoeuvre budgétaire pour piloter les subventions versées aux opérateurs actuellement rattachés au programme 159, une reconfiguration de la maquette budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » pourrait le cas échéant être envisagée.

Recommandation n° 7 : alors que le pilotage budgétaire « à vue » fait actuellement peser une menace existentielle sur l'établissement, il est impératif qu'une tutelle étatique renforcée lui fixe, au plus tard au cours de l'année 2026, un nouveau cap stratégique soutenable financièrement.

En toute hypothèse, si les décisions stratégiques relatives à l'avenir du Cerema devaient n'être prises que dans le courant de l'année 2026, les moyens financiers alloués à l'opérateur dans le cadre de la loi de finances pour 2026, au premier rang desquels le montant de sa SCSP, devraient nécessairement être stabilisés, sauf à précipiter la faillite annoncée.

Recommandation n° 8 : en attendant que ce nouveau cap stratégique soit défini, la situation financière extrêmement délicate de l'opérateur suppose a minima de stabiliser sa subvention pour charges de service public en 2026.

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