DEUXIÈME PARTIE
ASSOCIER L'EXTENSION DE LA CAPACITÉ DE RÉTENTION À UNE AMÉLIORATION DE L'EFFECTIVITÉ DE L'ÉLOIGNEMENT DES PERSONNES RETENUES

S'il est indispensable de mettre en oeuvre rapidement l'extension du parc de rétention administrative, son coût doit être maîtrisé. En outre, sa pleine effectivité en matière d'éloignement suppose de rationaliser les conditions du recours à la rétention administrative. 

I. ACCÉLÉRER L'EXTENSION DU PARC DE RÉTENTION TOUT EN MAÎTRISANT SON COÛT

A. UNE MONTÉE EN CHARGE DU PLAN D'EXTENSION À ACCÉLÉRER...

1. Un objectif de 3 000 places initialement fixé pour 2027 qui ne devrait pas pouvoir être atteint, comme le traduit le rythme d'exécution des dépenses d'investissement

Si la dynamique d'augmentation de la capacité d'accueil des CRA lui est antérieure87(*), la LOPMI88(*) a marqué une évolution importante en la matière, son rapport annexé prévoyant que « le nombre de places en centres de rétention administrative sera progressivement porté à 3 000 » en métropole. Du point de vue budgétaire, la trajectoire budgétaire de la LOPMI avait d'ailleurs été complétée d'un montant de 60 millions d'euros annuellement sur la période de programmation, à savoir de 2023 à 2027, pour atteindre cet objectif89(*).

Une instruction ministérielle en date du 10 janvier 2023 avait enjoint aux préfets de zone de défense et de sécurité d'identifier des sites permettant l'implantation de CRA d'une capacité maximale de 140 places. En complément, une politique d'extension du parc des LRA est également déployée90(*).

Les travaux menés par le rapporteur spécial ont néanmoins été l'occasion de confirmer que l'objectif de 3 000 places de places en CRA ne devrait pas pouvoir être atteint dès 202791(*), principalement pour des raisons immobilières.

a) Des obstacles immobiliers qui se reflètent dans le rythme d'exécution des dépenses d'investissement

En premier lieu, sur le plan immobilier, la création de nouveaux CRA se heurte à un ensemble d'obstacles qui ralentissent leur mise en oeuvre. Outre la prise en compte des contraintes urbanistiques et environnementales, la principale difficulté réside dans l'identification d'un foncier adapté. Le terrain recherché doit répondre à plusieurs critères cumulatifs, notamment une superficie suffisante (environ 20 000 m²) et une proximité avec un aéroport international, les juridictions administratives et judiciaires, ainsi que, le cas échéant, les consulats les plus fréquemment sollicités. Il doit également bénéficier d'un accès facile par voie autoroutière, tout en étant éloigné des zones résidentielles. S'ajoutent la nécessité d'assurer une concertation avec les élus locaux, et souvent, celle d'une modification du plan local d'urbanisme. En outre, comme pour tout projet immobilier d'envergure, des études préalables doivent être conduites, un permis de construire sollicité, tandis que des contentieux peuvent survenir à plusieurs étapes du projet.

Ces difficultés se reflètent dans le rythme d'exécution des dépenses d'investissement dans les CRA (et LRA et zones d'attente92(*)) constaté ces dernières années, qui se révèle incompatible avec l'atteinte de l'objectif d'une capacité de 3 000 places en CRA fixé pour 2027. Si les crédits de paiement (CP) effectivement consommés ont connu une nette progression entre 2018 (3,8 millions d'euros) et 2021 (23,3 millions d'euros), leur niveau s'est depuis stabilisé dans une fourchette comprise entre 17 et 19 millions d'euros par an, sans tendance haussière et en-deçà des prévisions annuelles.

Évolution des crédits de paiement d'investissement prévus et exécutés
dans les CRA, LRA et zones d'attente entre 2018 et 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En matière d'autorisations d'engagement (AE), doit en outre être soulignée une baisse marquée de l'exécution entre 2023 et 2024. Les documents budgétaires93(*) imputent ce recul au report de la signature des marchés relatifs aux projets de construction des CRA de Dijon et de Dunkerque à l'année 2025, pour un montant total de 80 millions d'euros.

Évolution des autorisations d'engagement d'investissement prévus et exécutés
dans les CRA, LRA et zones d'attente entre 2018 et 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Par ailleurs, les crédits effectivement exécutés (tant en CP qu'en AE) sont demeurés sur la période, la plupart du temps, inférieurs à ceux prévus annuellement.

Les travaux du rapporteur spécial ont mis en évidence que ce niveau de sous-consommation ne découle pas de restrictions budgétaires imposées en cours d'exécution annuelle, mais bien de difficultés concrètes à engager et à mener à terme les projets dans les délais ambitieux initialement annoncés, en dépit des efforts déployés.

b) Des enjeux d'effectifs

En second lieu, l'augmentation du nombre de places en CRA s'accompagne de besoins renforcés en effectifs, en particulier pour assurer la garde des établissements.

La gestion de 24 des 27 CRA qui incombait, en mai 2025, à la police nationale - et plus spécifiquement à la police aux frontières (PAF) - mobilisait 2 383 agents, dont 200 dans les CRA d'outre-mer. À ces effectifs s'ajoutaient ceux de la gendarmerie nationale, temporairement affectés94(*) à l'un des deux CRA de Lyon (pour 134 effectifs à la même date), ainsi que ceux de la préfecture de police pour les deux CRA situés à Paris, à savoir 33795(*). Au total, environ 2 850 personnels des forces de sécurité intérieure sont ainsi dédiés à la gestion des centres de rétention administrative.

Ces effectifs restent globalement insuffisants, avec des disparités notables selon les centres. Parmi les CRA métropolitains gérés par la PAF, quatre présentent un taux d'encadrement inférieur à 1,15 agent par place. Huit autres disposent d'un taux compris entre 1,25 et 1,45, tandis que les huit restants dépassent le seuil de 1,45 (certains allant au-delà de 2). Ces écarts s'expliquent par plusieurs facteurs : l'implantation géographique des centres (proximité des juridictions, aéroports ou consulats), la configuration des bâtiments (taille, niveau de sécurisation, circulation interne) ou encore leur capacité d'accueil, influant directement sur les économies d'échelle possibles. Un rééquilibrage apparaît néanmoins ponctuellement nécessaire, en particulier pour certains centres tels que Coquelles (taux d'encadrement de 1,09) ou Toulouse (1,04), qui fonctionnent aujourd'hui avec des marges très réduites.

En moyenne, le taux d'encadrement observé dans les CRA gérés par la PAF s'établit à 1,25, soit un niveau inférieur à la cible fixée nationalement, comprise entre 1,3 et 1,6 selon les sites. Sur cette base, il manquait environ 410 agents supplémentaires à l'échelle nationale pour atteindre les standards d'encadrement souhaités au 1er mai 202596(*).

Cette tension sur les effectifs n'a, comme le rapporteur spécial l'a constaté, que peu d'effet sur le nombre de places effectivement ouvertes à la rétention. Néanmoins, elle pèse fortement sur les conditions de travail des agents et limite les capacités d'escorte indispensables au bon déroulement de la rétention et de la procédure d'éloignement (présentations devant les consulats pour l'obtention de laissez-passer consulaires, escortes vers les juridictions et l'aéroport, ainsi que certaines escortes médicales non vitales97(*), etc.).

Dans ce contexte, l'extension à venir des capacités de rétention pose un défi certain en termes de ressources humaines, étant précisé que la reprise par la PAF de la garde du CRA n° 1 de Lyon à compter du 1er septembre 2025 nécessite à elle seule l'affectation de 140 policiers. Le plan d'extension des CRA à l'horizon 2027 prend en compte cette contrainte. Selon les données communiquées au rapporteur spécial, la PAF estime que 1 685 ETP supplémentaires seront nécessaires sur la période 2026-202798(*), répartis en 400 ETP en 2026 et 1 285 ETP en 2027, sous réserve que les travaux avancent selon le calendrier prévu d'ouverture des nouveaux CRA99(*).

Enfin, l'augmentation des capacités de rétention implique également un renforcement des effectifs de l'OFII. À ce titre, un besoin de 29 ETP supplémentaires a été identifié entre 2026 et 2028 (7 en 2026, 8 en 2027 et 14 en 2028).

2. ... mais qui doit l'être au plus tôt

Concrètement, deux phases du « plan CRA », selon la terminologie du ministère, sont mises en oeuvre concomitamment.

La première phase a ainsi consisté à partir de 2017 à étendre le parc de 1 488 places en 2017 à 1 959 places en métropole en 2024, l'année 2025 ne connaissant pas l'ouverture de nouvelles places. Cette première phase du plan est toujours en cours de mise en oeuvre pour ce qui concerne la création des CRA du Périchet et de Bordeaux et la reconstruction de l'un des deux CRA de Paris100(*).

La seconde phase du plan « CRA » vise quant à elle à porter la capacité du parc à 3 000 places en métropole. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, il est désormais prévu d'atteindre ce niveau de capacités à l'horizon 2029, via l'ouverture de 8 nouveaux CRA, selon le séquençage suivant :

- en 2026 : ouverture des CRA de Bordeaux et Dunkerque (140 places chacun), portant la capacité à 2 239 places ;

- en 2027 : ouverture du CRA de Dijon (140 places), portant la capacité à 2 379 places ;

- en 2028 : ouverture des CRA de Nantes (140 places), Béziers (140 places), Oissel (140 places), et Périchet (64 places), portant la capacité à 2 863 places ;

- en 2029 : ouverture du CRA à Aix-en-Provence101(*) (140 places), portant la capacité à 3 003 places.

En outre, une réflexion est actuellement en cours pour répondre aux besoins en termes de capacité de rétention à Mayotte102(*). En parallèle, les capacités des LRA font l'objet d'une progression (la capacité a été portée à 176 places), bien que dans des proportions plus modestes, le temps de séjour ne pouvant dépasser quatre jours.

Prévision de la chronique annuelle d'extension de la capacité du parc de CRA
en métropole de 2025 à 2029

(en nombre de places)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial

Il convient néanmoins d'être prudent quant à l'atteinte des objectifs annuels fixés au regard des obstacles potentiels susmentionnés. Il est d'ailleurs attendu, en 2025, une sous-consommation des crédits initialement ouverts, en raison notamment d'un décalage temporel dans la notification des marchés du futur CRA de Dunkerque et de retards dans le planning de travaux du projet de CRA de Dijon, du fait de la découverte d'aléas103(*).

Dans ce contexte, le rapporteur spécial souligne qu'il est impératif, en cohérence avec les orientations portées par le ministère de l'Intérieur, que l'ensemble des leviers soient mobilisés pour garantir l'atteinte de l'objectif de 3 000 places en CRA à l'horizon 2029, un objectif déjà repoussé de deux ans par rapport à l'échéance initialement prévue.

Recommandation n° 3 : Garantir, d'ici 2029, l'atteinte de l'objectif de 3 000 places en centres de rétention administrative en métropole (ministère de l'Intérieur).


* 87 Voir supra.

* 88 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 89 Via l'adoption d'un amendement des députés Éric Ciotti et Philippe Gosselin en faveur de l'extension des capacités de rétention administrative.

* 90 Dans le cadre de la circulaire du 3 août 2022 visant la poursuite de l'exécution du plan de renforcement des capacités de rétention administrative, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a demandé à l'ensemble des préfets de zone de diversifier les lieux de placement en développant les capacités de LRA d'au moins un tiers de celles existantes. À ce titre, 66 places supplémentaires en LRA ont été programmées en 2024.

* 91 Hors hypothèse d'une très forte mobilisation de l'outil - dont la mise en place est envisagée pour l'avenir - des bâtiments modulaires, cf. infra. Un développement de cette ampleur d'infrastructures modulaires ne semble néanmoins pas prévu à ce jour, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial.

* 92 La granularité budgétaire ne permet pas d'isoler les dépenses d'investissement prévues et exécutées en faveur des seuls CRA. Cependant, ces derniers représentent la majorité des dépenses d'investissement dans les CRA, LRA et zones d'attente.

* 93 Rapport annuel de performances de la mission « Immigration, asile et intégration », annexé au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.

* 94 Jusqu'au 1er septembre 2025. Voir infra.

* 95 Au 1er juillet 2025, selon la réponse de la préfecture de police au questionnaire du rapporteur spécial.

* 96 Source : réponses de la direction nationale de la police aux frontières au questionnaire du rapporteur spécial.

* 97 Du type d'une visite nécessaire chez le dentiste.

* 98 Ce nombre n'inclut pas les 410 agents manquants au 1er mai 2025 pour atteindre le taux d'encadrement cible, voir supra.

* 99 Voir infra.

* 100 Le foncier nécessaire n'ayant pas été identifié pour ce qui concerne le projet prévu à Nice.

* 101 Dans le quartier de Luynes.

* 102 Le rapport annexé à la loi n° 2025-797 du 11 août 2025 de programmation pour la refondation de Mayotte prévoit la création d'un nouveau local de rétention administrative de 48 places en 2026.

* 103 Pollution du terrain.

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