B. ...TOUT EN ASSURANT LA MAÎTRISE DES COÛTS ASSOCIÉS

L'augmentation des capacités de rétention administrative - et leur sécurisation - engendre, par nature, un coût financier. Ainsi, elle a conduit, dans les dernières années, à une progression des dépenses de fonctionnement et d'investissement afférentes. L'extension du nombre de places prévue pour l'avenir conduira aux mêmes effets, selon une intensité qu'il est nécessaire de maîtriser.

1. Un coût de la rétention administrative en hausse sur les dernières années

Bien qu'il soit complexe d'établir le coût complet de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière, la Cour des comptes104(*) l'a récemment évalué à environ 1,8 milliard d'euros par an, en prenant en compte l'ensemble des moyens mobilisés par les différentes administrations concernées.

Au sein de cette enveloppe globale, la rétention administrative (hors coûts directement liés aux opérations d'éloignement) représente une part modeste. Elle recouvre un ensemble de dépenses hétérogènes réparties entre plusieurs missions budgétaires, et notamment les rémunérations des forces de l'ordre, relevant de la mission budgétaire « Sécurités », les dépenses juridictionnelles, portées par la mission « Justice », les crédits d'intervention (assistance sociale, juridique et sanitaire), de fonctionnement courant et d'investissement (rénovation, sécurisation ou construction de centres), imputés à la mission « Immigration, asile et intégration », et, enfin, les effectifs préfectoraux affectés à la gestion de l'éloignement, couverts par la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

En 2024, le coût direct annuel des centres de rétention administrative, incluant les dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention dans les centres (sanitaire, juridique, social), ainsi que les dépenses de personnel des forces de l'ordre, peut être estimé à environ 265 millions d'euros105(*). Cette somme n'inclut notamment pas le coût des personnels des préfectures ainsi que les dépenses liées à la Justice.

La charge budgétaire portée par la mission « Immigration, asile et intégration » est en progression depuis plusieurs années. Ainsi, les dépenses exécutées s'agissant des CRA sont passées de 33,4 millions d'euros en 2017 à 64,9 millions d'euros en 2024.

Évolution des dépenses exécutées dans les CRA entre 2017 et 2024,
hors dépenses de personnel

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial

Ce montant, s'est réparti en 2024 selon la décomposition suivante :

41,2 millions d'euros de dépenses de fonctionnement courant, principalement au titre des dépenses de fonctionnement hôtelier des CRA et de celles liées à l'entretien immobilier courant et à l'interprétariat106(*) ;

5 millions d'euros de dépenses d'investissement immobilier107(*) ;

11,5 millions d'euros au titre de l'accompagnement sanitaire, y compris psychologique, dans les CRA ;

7,3 millions d'euros au titre des dépenses d'accompagnement juridique et social, principalement l'assistance juridique dans les CRA effectuée par les associations.

Dépenses liées aux CRA et assumées par la mission
« Immigration, asile et intégration » en 2024

(en millions d'euros et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial

2. Une augmentation des capacités de rétention qui doit intégrer les préoccupations budgétaires

L'augmentation prévue de la capacité d'accueil des centres de rétention administrative métropolitains de 1 959 places aujourd'hui à 3 000 places à l'horizon 2029 est de nature à rehausser tant les dépenses d'investissement que de fonctionnement, y compris de personnel.

En premier lieu, un effort doit être réalisé en matière d'investissement immobilier, qu'il s'agisse de construire de nouveaux CRA ou d'agrandir des structures existantes. Selon les éléments recueillis par le rapporteur spécial, la construction d'un CRA de référence de 140 places représente un coût d'environ 40 millions d'euros. À ce titre, le coût d'investissement global pluriannuel de l'extension du parc pourrait être estimé à environ 300 millions d'euros.

En deuxième lieu, l'augmentation du nombre de places engendrera une hausse annuelle des dépenses de fonctionnement. Sur la base des coûts actuels, un parc porté à 3 000 places représenterait environ 35 millions d'euros supplémentaires par an, hors dépenses de personnel.

Des solutions peuvent toutefois être envisagées pour limiter cette charge financière tout en favorisant l'accélération de la mise en oeuvre de l'extension du parc.

Tout d'abord, comme l'a récemment évoqué le ministre de l'Intérieur108(*), il serait pertinent de compléter la construction de nouveaux centres « en dur » par la mise en place d'installations modulaires, pérennes ou non, plus rapides à déployer et moins coûteuses. Ces modules pourraient être intégrés à certains CRA existants dont la capacité est inférieure à 140 places, lorsque la configuration le permet, ou implantés de manière autonome. Ils seraient notamment adaptés à l'accueil de personnes ne présentant pas de menace pour l'ordre public et dont l'éloignement est prévu à court terme. Ce format permettrait à la fois d'élargir rapidement les capacités de rétention et de maîtriser les dépenses d'investissement.

Recommandation n° 4 : Recourir, en complément de la construction de nouveaux centres, à des bâtiments modulaires adaptés à la rétention administrative, afin d'accélérer les déploiements et d'en limiter le coût (ministère de l'Intérieur).

Ensuite, afin de contenir l'ampleur de l'augmentation des effectifs de policiers actifs nécessaire à la gestion des futurs centres de rétention, une politique de substitution partielle pourrait être déployée. Davantage de missions pourraient ainsi être confiées à d'autres types de personnels, tels que des agents administratifs, des policiers adjoints, des réservistes, ou encore des agents contractuels.

Parallèlement, l'externalisation de tâches non régaliennes109(*), expérimentée dans le CRA de Palaiseau à compter de 2018 puis progressivement étendue (Lyon, Marseille, Nîmes, Toulouse, Lille, Coquelles et Paris), pourrait être approfondie. Le bilan de l'expérimentation fait en effet état d'un gain de 26 ETP pour les dix CRA concernés, dont 14 ETP pour les transports de retenus. Cette réforme implique de doter la mission « Immigration, asile et intégration » des crédits correspondants, qui viendront réduire ceux nécessaires à la mission « Sécurités » (policiers).

Recommandation n° 5 : Approfondir la politique de substitution des effectifs actifs de police affectés à la rétention administrative par des personnels administratifs, contractuels ou relevant du secteur privé, pour certaines missions précisément définies (ministère de l'Intérieur, direction générale de la police nationale).

Enfin, le rapporteur spécial estime, à la lumière de ses travaux, que le maintien d'un plafond de capacité par centre reste globalement pertinent. Il répond à plusieurs objectifs, en particulier favoriser une gestion apaisée des centres, garantir une mobilisation équilibrée des effectifs sur le territoire, mailler ce dernier, et respecter des délais de construction réalistes. Il considère, en revanche, qu'au regard du besoin d'augmentation des capacités de rétention, il convient de porter la capacité de centres plus nombreux à des niveaux proches de 140 places, a fortiori pour les centres en projet, selon un schéma architectural qui devra être standardisé afin de générer des économies d'échelle, notamment s'agissant des études. C'est la direction qui semble être prise pour les projets en cours.


* 104 La politique de lutte contre l'immigration irrégulière, Cour des comptes, janvier 2024.

* 105 Dont environ 200 millions d'euros au titre des dépenses de personnel, contributions aux pensions comprises (environ 169 millions d'euros pour la police aux frontières, 22,5 millions d'euros pour la préfecture de police et environ 9 millions d'euros pour la gendarmerie nationale).

* 106 Dans le cadre notamment de marchés d'interprétariat physique ou téléphonique et de la délivrance des laissez-passer consulaires.

* 107 Couvrant l'investissement immobilier des CRA, LRA et zones d'attente (travaux d'extension du parc et de sécurisation en raison des nouveaux profils des retenus).

* 108 « Créer des CRA modulaires, moins chers, permettrait de développer notre capacité d'accueil » : Déclaration de M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur les résultats de la politique d'éloignement des personnes sous obligation de quitter le territoire français, à l'Assemblée nationale le 11 juin 2025.

* 109 Notamment pour la conduite des véhicules de transfert, l'accueil des visiteurs, la gestion de la bagagerie, la sécurité incendie ou encore l'assistance aux personnes.

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