II. RATIONALISER LE RECOURS À LA RÉTENTION ADMINISTRATIVE AU SERVICE D'UNE POLITIQUE D'ÉLOIGNEMENT EFFICIENTE
L'objectif final de la rétention administrative consiste à renforcer l'effectivité des mesures d'éloignement prises à l'encontre des étrangers en situation irrégulière.
Toutefois, au regard des capacités d'accueil nécessairement limitées des CRA, de leur coût pour la collectivité et de leur caractère privatif de liberté pour les personnes concernées, il apparaît aujourd'hui que certaines opportunités ou procédures susceptibles de faciliter l'éloignement sans recourir à la rétention, ou en en limitant la durée, restent insuffisamment exploitées. C'est notamment le cas des personnes étrangères détenues, dont l'éloignement pourrait être mis en oeuvre plus systématiquement dès la sortie de prison, ou après une brève rétention. De même, le recours à la procédure d'aide au retour, qu'il s'agisse des détenus ou des retenus, demeure peu mobilisée alors qu'elle constitue un outil potentiellement efficace et économique.
Par ailleurs, le fonctionnement juridique et opérationnel de la rétention administrative pourrait être simplifié, afin d'en renforcer l'efficacité.
A. FAVORISER LES ÉLOIGNEMENTS À L'ISSUE D'UNE DÉTENTION ET MOBILISER LE LEVIER DE L'AIDE AU RETOUR
1. Accélérer l'éloignement des étrangers en situation irrégulière à l'issue de leur détention
Comme cela a été précisé110(*), la rétention administrative est un outil de privation de liberté dont l'objectif est de maintenir à disposition un étranger dépourvu de titre de séjour valide dans le but de préparer et d'exécuter son éloignement du territoire. Elle se distingue nettement de la détention pénale, qui constitue une sanction judiciaire prononcée à la suite d'un délit ou d'un crime.
Ces deux régimes, bien que juridiquement distincts, peuvent néanmoins se succéder. Un étranger incarcéré à la suite d'une condamnation peut, à l'issue de sa peine, être placé en rétention administrative s'il ne dispose pas ou plus d'un droit au séjour. Néanmoins, dans l'idéal, l'éloignement devrait avoir lieu dès la fin de leur peine, ou après une brève rétention.
a) Les détenus en situation irrégulière, un public nombreux dont l'éloignement est prioritaire
La population carcérale de nationalité étrangère constitue un vivier significatif de personnes susceptibles d'être éloignées. Au 1er mai 2025, les personnes de nationalité étrangère représentaient 24,4 % de la population carcérale, dont 20,6 % hors Union européenne et Royaume-Uni. En outre, selon l'administration pénitentiaire, au 15 juin 2025, 36 % a minima des étrangers détenus étaient visés par une mesure d'éloignement, le plus souvent une interdiction judiciaire du territoire français (ITF)111(*).
En 2024, 27,2 % des personnes placées en rétention en métropole sortaient directement d'un établissement pénitentiaire112(*). Ces profils, souvent considérés comme représentant une menace à l'ordre public, justifient une attention particulière.
b) Des dysfonctionnements persistants dans l'articulation de la détention et de la rétention
Les travaux du rapporteur spécial ont mis en évidence, en dépit d'efforts réels, des difficultés persistantes dans la coordination et le partage d'informations (y compris parfois sur le signalement des détenus concernés par une mesure d'éloignement) entre les différents acteurs intervenant dans l'éloignement des étrangers sortants de prison et dépourvus d'un droit au séjour (services préfectoraux, police, administration pénitentiaire, magistrats).
D'une part, trop souvent, la période d'incarcération n'est pas pleinement utilisée pour préparer l'éloignement. Les démarches administratives essentielles (confirmation de l'identité113(*) et de la nationalité, obtention du laissez-passer consulaire) ne sont ainsi régulièrement, pour tout ou partie, engagées qu'à la sortie de prison, une fois le placement en rétention effectué. Cette situation réduit la probabilité d'un éloignement effectif dans les délais légaux applicables à la rétention.
D'autre part, lorsqu'un éloignement immédiat n'est pas possible, la personne devrait être placée sans délai en rétention. Or, dans certains cas, des défaillances entraînent une libération sans placement en rétention, obligeant ensuite les forces de police à retrouver la personne concernée, parfois sans succès. Ces défaillances sont liées à un manque de partage d'information sur la date de fin de peine (notamment en cas de réduction de peine décidée par le juge d'application des peines) et, parfois, à une réactivité insuffisante ou un manque de personnels des différents services lors des libérations imprévues ou tardives, notamment en soirée.
c) Des efforts engagés à renforcer
Face à cette situation, d'importants efforts de coordination ont été engagés, notamment dans le cadre de la circulaire du ministre de la Justice du 21 mars 2025 relative à la prise en charge des personnes détenues de nationalité étrangère définitivement condamnées et de l'instruction du ministre de l'Intérieur du 28 octobre 2024 portant renforcement du pilotage de la politique migratoire114(*).
Ces initiatives, qui vont dans le bon sens, nécessitent une mise en oeuvre approfondie qui devra permettre de répondre à plusieurs nécessités :
- identifier systématiquement les personnes étrangères détenues dépourvues de titre de séjour valable, afin d'exécuter la mesure d'éloignement dont ils font l'objet ou, à défaut, de pouvoir en prendre une ;
- réaliser les formalités nécessaires à l'éloignement de ces personnes immédiatement ou rapidement après la période de détention ;
- renforcer le partage d'information si possible « en temps réel » entre les services pénitentiaires, préfectoraux, judiciaires et de police, notamment via une meilleure interopérabilité des systèmes d'information ;
- prévoir une organisation des services de l'Etat permettant une réactivité opérationnelle renforcée, y compris en horaires décalés, afin d'assurer la prise en charge immédiate des personnes détenues dont la libération n'avait pas été anticipée et dont le placement en rétention est prioritaire.
Recommandation n° 6 : Favoriser l'éloignement rapide des étrangers détenus en situation irrégulière, si possible sans avoir à les placer en rétention, en anticipant les démarches nécessaires en amont de la fin de peine et en assurant une meilleure coordination entre services compétents (ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice).
2. Mobiliser le levier de l'aide au retour pour les étrangers retenus ou détenus
L'aide au retour volontaire s'adresse notamment aux étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'une mesure d'éloignement.
Elle constitue une alternative à l'éloignement contraint, en permettant aux personnes éligibles115(*) de retourner volontairement dans leur pays d'origine, avec un accompagnement logistique (organisation du trajet) et financier (versement d'un pécule). La gestion de ce dispositif est confiée à l'OFII, qui instruit les demandes, organise les retours et en assure le financement.
Ce mécanisme présente de nombreux atouts. Bien moins coûteux pour l'État qu'un éloignement forcé, il s'accompagne en général d'une meilleure coopération de la personne concernée, et permet parfois d'éviter un passage en rétention administrative. En outre, il permet de contourner les freins posés par certains pays quant à la réadmission de personnes faisant l'objet d'un éloignement forcé, puisque le retour est ici volontaire. Pourtant, si la France met effectivement en oeuvre un nombre conséquent de retours forcés, elle fait encore un usage relativement limité des retours aidés, même si leur nombre a nettement augmenté en 2024.
Depuis 2019, l'aide au retour volontaire est accessible aux personnes placées en rétention administrative. L'objectif visé est de favoriser un éloignement effectif et rapide, tout en raccourcissant la durée de rétention et en allégeant la pression sur les places disponibles. En 2024, 188 personnes retenues ont bénéficié de ce dispositif, un chiffre en hausse, mais encore nettement inférieur à l'objectif annuel fixé à 300 bénéficiaires.
Évolution du nombre de bénéficiaires en CRA de l'aide au retour
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de l'OFII au questionnaire du rapporteur spécial
Plusieurs pistes mériteraient d'être explorées pour renforcer l'impact du dispositif. Tout d'abord, une solution devra être trouvée pour contourner les blocages spécifiques à certains États. Ainsi, depuis 2021, l'Algérie n'autorise plus le système de virement via Western Union, ce qui rend inopérante la remise du pécule aux ressortissants algériens, pourtant les plus nombreux en CRA. Il apparaît nécessaire de trouver rapidement une solution pratique à cette difficulté.
Ensuite, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, l'OFII prévoit désormais de proposer de façon plus volontariste l'aide au retour aux personnes détenues116(*), en prévision de leur libération. Cette évolution pourrait représenter une avancée importante en permettant d'anticiper l'éloignement, d'éviter un passage par la rétention administrative, et de réduire les coûts associés, tout en contournant les éventuels freins posés par les pays de réadmission. Elle suppose néanmoins de donner les moyens humains à l'OFII d'y parvenir. En tout état de cause, l'aide au retour devra être déployée dans des conditions de nature à permettre un retour effectivement pérenne dans le pays d'origine.
Recommandation n° 7 : Mobiliser davantage le levier de l'aide au retour volontaire pour les personnes détenues et retenues, afin de renforcer l'efficacité et de réduire le coût des éloignements (ministère de l'Intérieur).
* 110 Voir supra.
* 111 Source : réponses de la direction de l'administration pénitentiaire au questionnaire du rapporteur spécial.
* 112 Source : réponses de la direction nationale de la police aux frontières au questionnaire du rapporteur spécial.
* 113 La condamnation pénale ne nécessite pas de déterminer l'identité exacte de la personne, seule la certitude de sanctionner la bonne personne étant nécessaire. En revanche, l'éloignement nécessite cette identification exacte.
* 114 Ou encore de l'instruction interministérielle du 16 août 2019 relative à l'amélioration de la coordination du suivi des étrangers incarcérés faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, et de la circulaire de présentation des dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.
* 115 L'aide est octroyée à la condition principale que son bénéficiaire, résidant en France depuis au moins 3 mois, retourne dans son pays d'origine de manière volontaire. D'autres conditions s'y ajoutent, notamment s'agissant des pays éligibles.
* 116 Le droit applicable le permettant.