B. DES PLACEMENTS EN RÉTENTION ADMINISTRATIVE CIBLANT DÉSORMAIS LES PROFILS MENAÇANT L'ORDRE PUBLIC

La rétention administrative ayant pour finalité première de garantir l'exécution effective des mesures d'éloignement, elle s'applique donc en principe prioritairement aux personnes en situation irrégulière pour lesquelles un départ forcé apparaît nécessaire en raison du risque de fuite. Toutefois, l'évolution de la politique migratoire a progressivement fait émerger un second objectif, à savoir permettre l'éloignement prioritaire des personnes dont la présence constitue une menace pour l'ordre public.

Ce second objectif a été affirmé clairement à compter de la circulaire du 3 août 2022 du ministre de l'Intérieur d'alors, Gérald Darmanin56(*). Cette dernière indiquait que la rétention devait désormais être prioritairement utilisée à l'encontre des étrangers représentant une menace pour l'ordre public, « y compris lorsque l'éloignabilité ne paraît pas acquise au jour de la levée d'écrou ou de l'interpellation ». Ces instructions sont régulièrement rappelées dans les différentes circulaires ministérielles.

À titre d'illustration, cette doctrine s'est traduite concrètement en Île-de-France, à compter de septembre 2022, par une priorisation des placements visant les personnes inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), condamnées pour des faits de terrorisme, fichées « S », sortant de détention, ou encore visées par des mesures d'expulsion ou d'interdiction du territoire ou ayant des antécédents judiciaires.

La loi CIAI du 26 janvier 2024 a formalisé au niveau législatif la priorité accordée à la menace sur l'ordre public en en faisant un critère de placement et de maintien en rétention57(*), dont la mobilisation est encouragée par la circulaire du ministre de l'Intérieur du 28 octobre 2024 portant renforcement du pilotage de la politique migratoire.

Les deux objectifs fixés à la rétention administrative ne présentent pas, par nature, un caractère concurrent. Il apparaît au demeurant logique, dans un contexte de nombre de places de rétention limité, de placer en rétention celles qui sont le plus menaçantes pour la société et ce afin d'augmenter les chances d'éloignement effectif, à titre principal, et d'empêcher la commission d'un trouble à l'ordre public dans l'intervalle, à titre accessoire. D'autres pays ont également fait ce choix, à l'image de l'Allemagne.

Néanmoins, une tension entre les deux objectifs peut se révéler lorsqu'un choix doit être réalisé entre le placement ou le maintien en rétention d'une personne menaçant l'ordre public mais dont la probabilité d'éloignement est relativement faible, par exemple du fait de sa nationalité, et celui d'une personne ne présentant pas un tel profil mais facilement éloignable. Les travaux menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater que c'est globalement la menace à l'ordre public qui prime aujourd'hui, la circulaire ministérielle précitée du 3 août 2022 précisant par ailleurs qu'« en cas de manque de places disponibles, il convient de libérer systématiquement les places occupées par les étrangers en situation irrégulière sans antécédents judiciaires non éloignables et de les assigner à résidence ».

Concrètement, le nombre de personnes répondant parmi les retenus à un profil dit « trouble à l'ordre public » (ou « TOP ») - un groupe hétérogène dont le point commun est le risque qu'ils emportent pour l'ordre public - a très fortement augmenté.

Ventilation des placements dans les CRA métropolitains
par catégories de personnes retenues, en 2024

(en nombre de personnes et en pourcentage)

Note : FSPRT : Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.

Source : commission des finances du Sénat, d'après la réponse de la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) au questionnaire du rapporteur spécial

En 2024, 86 % des retenus correspondent à ce profil, contre 7,3 % en 2021 ; 12,4 % correspondent à des profils plus classiques, désormais qualifiés de « frictionnels ».

Évolution de la proportion de personnes retenues dans les CRA métropolitains répondant au profil « trouble à l'ordre public »

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial

Ces équilibres ne se retrouvent pas, en revanche, dans les outre-mer où les profils « frictionnels » ont continué en 2024 d'être largement majoritaires (95,4 %), les profils « troubles à l'ordre public » en représentant 4,5 %, tandis que les personnes inscrites au FSPRT étaient au nombre de trois, et les profils terroristes non-représentés.

L'observation du taux d'éloignement constaté depuis 2022 témoigne de l'équilibre trouvé dans la conciliation des deux objectifs de la rétention. En effet, malgré une orientation renforcée vers les profils les plus problématiques sur le plan sécuritaire, le taux global d'éloignement n'a connu qu'un recul modéré58(*).

Cette stabilité s'explique par deux facteurs principaux. D'une part, le ciblage des personnes placées en rétention a montré une certaine efficacité. D'autre part, la catégorie des profils « troubles à l'ordre public » recouvre une large diversité de situations, allant d'infractions de gravité modérée à des faits relevant de crimes, ce qui permet, dans de nombreux cas, de concilier le caractère réalisable de l'éloignement avec celui de protection de l'ordre public.


* 56 Instruction du 3 août 2022 du ministre de l'Intérieur relative aux mesures nécessaires pour améliorer la chaîne de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l'ordre public, complétée par celle du 17 novembre 2022 sur l'exécution des OQTF et le renforcement des capacités de rétention.

* 57 Voir supra.

* 58 Voir infra.

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