C. UNE RÉTENTION RECENTRÉE, PROLONGÉE, ET MARQUÉE PAR UNE STABILITÉ DES PRINCIPAUX PROFILS NATIONAUX

1. Une rétention recentrée

Depuis 2019, le nombre de personnes retenues en CRA sur l'ensemble du territoire national a eu tendance à se réduire. Il atteignait 50 486 en 2019, avant de reculer à partir de 2022, d'abord sous l'effet de la pandémie de COVID-19, puis en raison d'autres facteurs, parmi lesquels un ciblage plus sélectif des placements - qui a contribué à un allongement de la durée moyenne de rétention et donc à une moindre rotation des places -, une diminution du nombre de personnes relevant de la procédure « Dublin », qui généraient un turn-over important et, enfin et surtout, une forte variabilité du nombre de placements dans les outre-mer.

Évolution du nombre de personnes placées dans les centres de rétention administrative sur le territoire national entre 2019 et 2024

(en nombre de personnes)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial

En 2024, 30 115 personnes ont été placées en CRA, dont 16 222 en métropole et 13 893 dans les outre-mer. Ce faible niveau global résulte principalement de la forte baisse des placements dans les outre-mer en un an, illustrant la variabilité importante observée chaque année dans ces territoires. En 2024, le CRA de Mayotte a ainsi connu une forte baisse des placements par rapport à l'année précédente, notamment dans un contexte de blocages sociaux en début d'année sur l'île, et de l'impact du cyclone Chido en fin d'année. En métropole, en revanche, les volumes sont restés globalement stables par rapport à 2023.

Ventilation des placements en CRA sur le territoire national, en 2024

(en nombre de personnes et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après la réponse de la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) au questionnaire du rapporteur spécial

Dans le même temps, 24 916 personnes ont fait l'objet d'une assignation à résidence sur le fondement d'une mesure d'éloignement. Ce chiffre demeure quasi identique à celui de 2023 (24 767)59(*).

2. Une rétention prolongée

En métropole, la durée moyenne de rétention a nettement augmenté au cours des dernières années, passant de 17,5 jours en 2019 à 34,5 jours en 2024. Dans les outre-mer, en revanche, elle demeure beaucoup plus courte, s'établissant à 5,9 jours en 2024.

Évolution de la durée moyenne de rétention dans les CRA métropolitains
entre 2019 et 2024

(en nombre de jours)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial

L'allongement de la durée moyenne de rétention en métropole s'explique à la fois par des évolutions juridiques et des contraintes concrètes liées à l'éloignement et à l'évolution du profil des personnes retenues.

Sur le plan légal, la durée maximale de rétention a été progressivement étendue.

Une extension progressive de la durée maximale légale de rétention
demeurant modeste en comparaison européenne

La limite maximale de droit commun60(*) de la durée de rétention administrative a fait l'objet d'allongements successifs. Initialement fixée à 7 jours61(*), elle a été portée à 10 jours en 1993, à 12 jours en 1998, à 32 jours en 2003, à 45 jours en 2011 puis, enfin, à 90 jours en 2019. La loi CIAI de 2024 n'a, quant à elle, pas modifié ce plafond.

Une telle durée demeure modeste au regard de l'encadrement prévu par le droit européen, qui prévoit une durée maximale de 6 mois, pouvant être portée à 18 mois62(*). Cette durée maximale de rétention a été adoptée dans plusieurs pays européens, à l'image de l'Allemagne.

Le projet de règlement « Retour » présenté par la Commission européenne le 11 mars 2025, en cours de négociation, prévoit en outre de porter à 24 mois la durée maximale de rétention de droit commun.

Source : commission des finances

Sur le plan pratique, les difficultés liées à l'éloignement effectif63(*) sont restées fortes, tandis que le profil des personnes retenues s'est durci. Ces dernières, qui présentent le plus souvent une menace à l'ordre public, tendent à être moins coopératives, alors que certains pays tiers rechignent à délivrer les documents de voyage nécessaires ou à accepter le retour de ce type de profils, allongeant ainsi les délais requis pour finaliser la procédure d'éloignement.

En 2024, environ 61 % des éloignements depuis les CRA métropolitains ont eu lieu à l'issue d'une rétention d'une durée inférieure ou égale à 30 jours ; 39 % ont eu lieu après.

Ventilation des éloignements en fonction de la durée de rétention effective
dans les CRA métropolitains en 2024

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après la réponse de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial

3. Une rétention marquée par une stabilité des principales nationalités représentées

En 2024, la répartition des nationalités parmi les personnes placées en CRA illustre des dynamiques différenciées entre le territoire métropolitain et les outre-mer, tout en confirmant une stabilité dans les grandes tendances observées ces dernières années.

a) Dans l'hexagone

Parmi les 16 222 personnes placées en CRA dans l'hexagone en 2024, plus de la moitié (55 %) étaient originaires des pays du Maghreb, l'Algérie représentant à elle seule près d'un tiers du total (32 %), suivie par la Tunisie (12,2 %) et le Maroc (10,6 %), reflétant la structure migratoire de la France. Cette prédominance des ressortissants des pays du Maghreb s'inscrit dans une continuité observée sur plusieurs années. S'y ajoute la présence - plus marginale mais notable - de ressortissants roumains (4,4 %) et albanais (2,9 %), la totalité des autres nationalités représentant 38 % des placements.

Nationalités des personnes placées en CRA en 2024 en France métropolitaine

(en nombre de personnes et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après la réponse de la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) au questionnaire du rapporteur spécial

Le profil des personnes retenues dans les CRA métropolitains est aujourd'hui très largement masculin, les hommes représentant 96 %64(*) des personnes placées en 2024.

Dans plus d'un quart des cas (27,2 %), la rétention est intervenue à la suite d'une sortie de détention. Elle peut également faire suite à un contrôle de police, qu'il soit ou non lié à une infraction suspectée, ainsi qu'à d'autres situations, tels qu'un contrôle routier, une interpellation à la frontière, un contrôle en gare ou encore une arrestation au domicile de l'intéressé.

b) Dans les outre-mer

La situation observée dans les territoires ultramarins se distingue nettement de celle de la métropole. Sur les 13 893 placements en CRA recensés dans les outre-mer en 2024, les ressortissants comoriens représentaient à eux seuls trois quarts (74 %) des personnes retenues, soit 10 242 individus. Cette forte concentration traduit le caractère structurel de la pression migratoire aux abords de Mayotte, dans un contexte de proximité géographique avec l'archipel des Comores. Les autres principales nationalités sont les Brésiliens, les Malgaches, les Congolais, et les Haïtiens, les autres nationalités représentant 9 % du total.

Nationalités des personnes placées en CRA en 2024 dans les outre-mer

(en nombre de personnes et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après la réponse de la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) au questionnaire du rapporteur spécial

Enfin, le nombre de personnes retenues sortant d'un établissement pénitentiaire est beaucoup plus faible dans les outre-mer qu'en hexagone, s'établissant à 4,2 %.


* 59 Source : documents budgétaires de la mission « Immigration, asile et intégration ».

* 60 Hors profils terroristes, voir supra.

* 61 Loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

* 62 En vertu de l'article 15 de la directive 2008/115 dite « directive retour », voir supra.

* 63 Voir infra.

* 64 Source : réponse de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial.

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