III. UNE POLITIQUE DE RÉTENTION CONFRONTÉE À DES FREINS STRUCTURELS À L'ÉLOIGNEMENT
A. UN TAUX D'ÉLOIGNEMENT ENCORE TROP MODESTE MALGRÉ UNE AMÉLIORATION EN 2024
Le taux d'éloignement des personnes placées en rétention administrative en France métropolitaine demeure, depuis de nombreuses années, inférieur à 50 %. Dans les années récentes, exception faite de la période marquée par l'épidémie de COVID-19, les modifications tenant au ciblage beaucoup plus fort, à compter de 2022, des personnes présentant une menace à l'ordre public, et dont une part est plus difficilement éloignable, y ont sans doute contribué, bien que de manière modérée. Ainsi, le taux d'éloignement est passé de 43,2 % en 2022 à 35 % en 2023. Il a toutefois connu un redressement en 2024.
Évolution du taux d'éloignement des
personnes retenues en CRA
en France métropolitaine
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial
Sur l'ensemble du territoire national, 30 115 personnes ont été placées en CRA en 202465(*). Parmi elles, 16 206 ont effectivement été éloignées, dont 6 286 en métropole et 9 920 dans les territoires ultramarins. Le taux d'éloignement global s'est ainsi établi à 53,8 %, avec un net contraste entre la métropole (38,8 %) et les outre-mer (71,4 %). Cette situation s'explique notamment par les différences de nationalités, de profils des retenus et des dynamiques géographiques dans les différents territoires. À titre d'illustration, même sur le seul territoire métropolitain, les taux d'éloignement varient considérablement selon les CRA, s'étalant de 21 % à Nice à 73,7 % à Mayotte.
a) Dans l'hexagone
En 2024, 61 % des personnes placées en CRA en métropole n'ont finalement pas été éloignées. Dans les deux tiers des cas (66,8 %), la remise en liberté a été ordonnée par le juge judiciaire en raison d'irrégularités de droit, de procédure ou de forme affectant la décision de placement. Dans une proportion plus réduite, la libération est intervenue à l'issue du délai maximal de rétention sans exécution de l'éloignement (12,4 %), à l'initiative de l'administration (9,9 %), à la suite d'une décision du juge administratif (6 %) ou pour d'autres motifs, tels que l'ouverture de poursuites pénales, une hospitalisation ou une fuite du centre.
Ventilation des
voies de libération des personnes retenues
dans les CRA
métropolitains en 2024
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au questionnaire du rapporteur spécial
Parmi les 6 286 personnes éloignées depuis un CRA situé en métropole en 2024, environ 40 % étaient originaires des pays du Maghreb. Ce chiffre, sensiblement inférieur à leur part dans les placements en rétention (55 %), met en lumière les difficultés persistantes rencontrées dans l'exécution des éloignements vers cette zone géographique.
Nationalités des personnes éloignées en 2024 depuis un CRA métropolitain
(en nombre de personnes et en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la réponse de la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) au questionnaire du rapporteur spécial
Parmi les mêmes personnes, si les profils « troubles à l'ordre public » ont été les plus nombreux (74 %), ceux dits « frictionnels » ont continué à représenter une part notable (24,5 %), témoignant, au regard de leur part beaucoup plus réduite au sein de l'ensemble des retenus, de la plus grande facilité de leur éloignement.
Ventilation des éloignements depuis un CRA
métropolitain
par catégories de personnes en 2024
(en nombre de personnes et en pourcentage)
Note : FSPRT : Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.
Source : commission des finances du Sénat, d'après la réponse de la direction nationale de la police aux frontières au questionnaire du rapporteur spécial
b) Dans les outre-mer
Les éloignements réalisés depuis les CRA des outre-mer ont concerné, en 2024, majoritairement des ressortissants comoriens, qui représentaient 81,3 % des personnes éloignées, loin devant les ressortissants brésiliens (8,3 %) et malgaches (4,3 %). Cette répartition reflète relativement fidèlement le profil des personnes retenues dans ces territoires. La quasi-totalité des éloignés (96 %) relevaient de profils dits « frictionnels », c'est-à-dire ne présentant pas de menace particulière pour l'ordre public. Seuls 4 % étaient classés comme de profils « troubles à l'ordre public »66(*).
Le CRA de Mayotte a comptabilisé 8 648 éloignements, soit plus de la moitié des éloignements réalisés à l'échelle nationale (53,3 %) et 87 % de ceux effectués depuis l'ensemble des territoires ultramarins. Ce niveau élevé s'explique principalement par la relative facilité des éloignements vers les Comores. La coopération avec ce pays est en effet globalement efficace de ce point de vue, ce qui permet une exécution rapide des mesures et favorise une forte rotation des places disponibles en rétention.
* 65 Dont 16 222 en métropole et 13 893 dans les outre-mer, voir supra.
* 66 Une seule personne éloignée était inscrite au FSPRT et aucun individu au profil terroriste n'a été éloigné.