Réponse de Charlotte Jacquemot
Je vous remercie chaleureusement pour votre travail remarquable et pour votre engagement sans relâche en cette période mouvementée. Le concours actuel de masculinité et de régression des droits des femmes fait froid dans le dos. Soutenir les droits des femmes est plus que jamais une nécessité, mais ce n'est plus du tout tendance.
Merci pour cet espace de discussion et de réflexion au sein du Sénat. Merci de ne pas abdiquer face aux normes sociales et à la pensée unique, et de continuer à questionner la parité avec autant d'enthousiasme et de bienveillance.
Merci aussi, Mesdames les sénatrices, d'être des exemples, dans votre diversité, mais surtout dans ce qui vous unit : la conviction qu'avancer ensemble et intelligemment est possible. Merci d'être des role models.
Dans le domaine des sciences, les femmes sont une minorité. Toutes les études scientifiques montrent que cette absence de parité n'est pas due à des différences biologiques mais à des normes sociales et à une construction culturelle qui produisent des stéréotypes et des biais de genre. Ces normes sociales imprègnent chaque moment de la vie, de l'enfance à l'âge adulte, de la sphère familiale à la sphère professionnelle, sur les réseaux sociaux et dans les médias, et jusqu'au prestigieux prix Nobel dont les femmes représentent moins de 7 % des récipiendaires. Pourtant, elles représentent 50 % de l'humanité ; c'est une minorité qui n'a rien de minoritaire ! Exclure les femmes, c'est se priver de la moitié des talents, ce qui, en plus d'être une atteinte au principe d'égalité, coûte cher à la société.
Mon travail est de comprendre le fonctionnement du cerveau et la façon dont les êtres humains interagissent et façonnent des sociétés. Sur la parité, je cherche à comprendre les racines de la situation et à explorer des solutions. Comment expliquer au plus grand nombre le poids de la culture dans ce manque de parité ? Comment mettre en place des actions pour y remédier ? Comprendre la construction des normes sociales permet de proposer des solutions concrètes pour plus de parité, en sciences notamment. Ces réponses sont détaillées dans l'excellent rapport XX=XY, féminiser les sciences, dynamiser la société. Toute la société en bénéficiera. Les solutions proposées nécessitent des moyens financiers et humains mais aussi une réelle volonté politique. J'espère que vous serez entendues.
En tant que femme scientifique, j'expérimente quotidiennement le manque de parité, parfois de manière désagréable. Peut-être que si cela n'avait pas été le cas, je ne serais pas devant vous ; je ne me serais pas autant mobilisée contre les biais et les stéréotypes de genre.
Ce prix me touche profondément. C'est la reconnaissance de mon engagement. C'est aussi la reconnaissance d'un travail collectif rendu possible par le soutien d'institutions engagées telles que l'ENS. Je remercie ma famille, Octave, Isidore et Ernest, mes fils, mes amis et mes collègues. Last but not least, je dédie ce prix à mon père qui aurait été très heureux d'être ici. Il était déconstruit avant l'heure ; il maniait aussi bien le fer à repasser que la scie sauteuse. J'ai retenu tous ses conseils sur le bricolage ; un peu moins sur le repassage.