INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
A l'initiative de son Président, M. Jacques Larché, la commission
des Lois du Sénat a désigné en son sein une mission
d'information chargée d'évaluer les moyens de la justice.
Sous la présidence de M. Charles Jolibois, la mission a entendu,
à partir de mars 1996, magistrats et auxiliaires de justice,
représentants syndicaux et personnalités
qualifiées
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*
)
. Elle a
clôturé ses auditions par celle du Garde des Sceaux à
l'occasion de laquelle le Président Jacques Larché a exactement
caractérisé l'esprit de ses travaux : "
Notre
problème actuel n'est plus tellement d'aider le citoyen à
accéder à la justice, mais peut-être de lui donner les
moyens d'en sortir, c'est à dire de lui permettre de recevoir (...) une
réponse de la justice dans des délais
raisonnables "
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*
)
.
Allant au devant des juridictions, au cours de déplacements
significatifs dans les cours et tribunaux
7(
*
)
, la mission d'information a
également consulté l'ensemble des chefs de juridictions : Premier
Président et Procureur général de la Cour de cassation,
Premiers Présidents et procureurs généraux des cours
d'appel, Présidents et procureurs de la République des tribunaux
de grande instance. Ceux-ci ont très largement répondu à
cet appel (62 % des TGI et 81 % des cours d'appel sont
représentés) malgré un découragement très
répandu devant les effets limités de leur contribution à
de précédentes consultations
8(
*
)
.
Le constat fait dans la première partie du présent rapport et,
plus encore, l'inventaire des solutions qui ont été
proposées à la mission, dressé dans sa deuxième
partie, sont le fruit de l'ensemble de ces échanges volontairement
centrés sur le fonctionnement très concret des juridictions de
l'ordre judiciaire. Chaque détail, chaque incident cité
reflète la lettre ou l'esprit de témoignages ou de constatations
répétés, pour le réalisme desquels nous remercions
très particulièrement nos interlocuteurs.
Le tableau d'ensemble qui se dégage de l'addition de ces
réflexions montre que l'alarme des professionnels et des parlementaires
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)
, partiellement prise en compte
par les Gardes des Sceaux successifs, encore très récemment au
travers de la loi de programme de 1995, n'a pas suffi à répondre
à l'afflux du contentieux.
Pire, certains envisagent encore, contre l'avis unanime des magistrats
partagé par l'ensemble de la mission d'information, de mettre en oeuvre
des réformes exigeant de nouveaux moyens dont l'objet ne serait pas
d'améliorer l'adéquation des modes de traitement à
l'évolution du contentieux.
Le budget annoncé pour 1997, sur fond d'étalement de la
programmation sur une année supplémentaire, bien
qu'épargné par le contexte de rigueur budgétaire, ne
progressera que de 1,8 % en francs courants.
Seul l'établissement d'une priorité drastique en faveur de la
mission régalienne de la justice permettrait de résoudre
l'équation en des termes purement budgétaires. Cette
priorité n'est pas à l'ordre du jour.
En des temps plus fastes, elle trouverait pourtant quelques fondements dans
certains indicateurs compréhensibles de tous :
- en vingt ans, tandis que le nombre des affaires civiles nouvelles a presque
triplé, le nombre des magistrats n'a crû que de 20 % ;
- près de la moitié des infractions pénales dont l'auteur
est connu fait aujourd'hui l'objet d'un classement sans suite ; certains
tribunaux débordés avoisinent un taux de 80 % ;
- les délais de traitement moyens au civil, maîtrisés pour
une brève période, augmentent à nouveau atteignant 15 mois
devant les cours d'Appel et la Cour de cassation, 9 mois devant les TGI et 5,3
mois devant les TI.
- les retards se traduisent pendant la même période, malgré
de considérables progrès de productivité dus à
l'informatisation et à la mobilisation des magistrats et fonctionnaires
de justice, par un accroissement moyen de 235 % des stocks d'affaires à
juger (civil et pénal confondus, première instance, appel et
cassation) ;
- en dix ans, le rapport entre le nombre des magistrats et celui des avocats
est passé de 1 pour 2,8 à 1 pour 5 ; en 1994 pour un magistrat
recruté 30 nouveaux avocats ont prêté serment ; en 1984 ce
ratio était de 1 pour 18 ;
- enfin, le " trou noir " de l'exécution des décisions
reste masqué par l'indigence des statistiques en la matière.
Au-delà de ces moyennes, la mission partage les analyses comparatives
effectuées sur le terrain au sein des juridictions grâce à
la large diffusion des statistiques d'activité.
Quelles que soient les indispensables précautions à prendre pour
l'examen de ces chiffres, dont une meilleure fiabilité exigerait une
harmonisation des matériels et modes de saisie informatiques, les
écarts de moyens humains et matériels entre ressorts en charge de
volumes d'affaires comparables sont trop importants pour perdurer sans
démobilisation des juridictions les moins bien loties.
Ainsi les délais moyens au civil masquent-ils des disparités
allant du simple au triple dans les Cours d'appel, du simple au quintuple dans
les TGI et de 1 à 7 dans les tribunaux d'instance !
En conséquence, la mission a tout d'abord estimé
qu'au-delà des indispensables redéploiements et
améliorations de la gestion prévisionnelle, au-delà des
augmentations mesurées des effectifs réels, l'examen de la carte
judiciaire ne pouvait être purement et simplement écarté.
Il s'agit autant de l'implantation géographique, mesurée en
fonction de la traduction des évolutions démographiques, sociales
et économiques en nombre d'affaires nouvelles, que de l'architecture
judiciaire à l'aune des transports rapides. Dans ces deux domaines des
orientations à long terme doivent être tracées qui
permettent localement de préparer, concertations à l'appui,
l'adaptation à une carte réaliste (troisième partie, I).
Elle a ensuite souhaité que, à procédures
inchangées, les magistrats puissent consacrer l'essentiel de leur temps
à la mission judiciaire, pour laquelle ils ont été
recrutés et formés et qui rend indispensable leur statut. Ceci
suppose d'actualiser les moyens et les modalités de gestion des
juridictions (troisième partie, II).
Enfin, ne négligeant pas les effets des modifications
procédurales pour améliorer le traitement du flux et
s'étant prononcée contre de nouvelles extensions du domaine du
juge unique, elle a fait siennes plusieurs propositions de la conférence
des premiers présidents de Cour d'appel pour simplifier la
procédure civile et la procédure pénale. Elle a
également souhaité apaiser la multiplication des recours à
la justice dans les cas où le justiciable, mal informé, croit
à tort que les difficultés qu'ils rencontre peuvent
connaître une issue judiciaire favorable.
Consciente cependant du fait qu'aucune de ces mesures ne saurait
remédier substantiellement à la situation actuelle
caractérisée par l'envahissement du contentieux de masse, elle
souhaite la mise à l'étude d'une réforme des tribunaux
d'instance et des tribunaux de police pour les adapter au traitement rapide
mais personnalisé des contentieux les plus abondants, dits
" contentieux de masse " (Troisième partie, III).
L'ensemble de ces propositions, adoptées le 23 octobre
1996,
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)
est orienté vers
l'amélioration concrète du fonctionnement des juridictions, le
rétablissement de l'égalité de traitement des justiciables
en quelque point du territoire qu'ils se trouvent, l'adaptation des
procédures à l'évolution de la nature du contentieux.
Ces choix constituent pour la mission d'information des priorités
à mettre en oeuvre avant que ne puisse être envisagée toute
réforme exigeant des moyens nouveaux non justifiés par ces
objectifs.
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