3. Une politique à l'efficacité discutable
3.1 La France doit à la fois disposer d'un pavillon français et d'armateurs présents sur les grands flux commerciaux.
Le problème du pavillon français est un problème économique et politique. Parce que le pavillon a une valeur symbolique, la présence sur les océans et dans les ports du monde de navires battant pavillon français peut être considérée comme un avantage en soi. La politique se fait d'abord avec des signes. D'une certaine manière, les stratégies commerciales aussi. En politique comme en économie, il faut des marques. Le pavillon est la marque d'un pays. C'est la première raison d'être d'un dispositif de soutien du pavillon français. Et c'est, sans doute, une raison suffisante. Il en existe cependant bien d'autres. Un pays n'existe que s'il se voit.
A. Les avantages du pavillon français et des armateurs français
Sur les 110 navires sous pavillon français opérant à l'international, 80 sont immatriculés sous registre Kerguelen. Les références au pavillon national comprennent les navires immatriculés sous registre métropolitain et Kerguelen.
A1. Les armateurs français attachent de l'importance au pavillon français
Dans les faits, les armateurs français portent un intérêt marqué au pavillon français.
74 % du transport par des armateurs français de marchandises transitant par la France se fait sous pavillon français. Le chiffre tombe à 58 % si l'on intègre les trafics entre pays tiers. Il y a, bien sûr, des disparités selon les types de marchandises, allant de 100 % pour les produits pétroliers du fait de la loi d'approvisionnement 36 ( * ) , à 5 % pour les céréales. Les francophiles spontanés étant a priori rares dans le monde armatorial, on peut conclure qu'il existe un avantage à opter pour le pavillon français pour un armateur voulant opérer sur la France. Le surcoût du pavillon français n'induit pas ipso facto le passage sous pavillon de libre immatriculation. Pour les armateurs, le pavillon garde, au-delà du coût, une importance.
A2. La France tire avantage à la fois d'un pavillon français et d'armateurs franç ais
Le débat autour de la politique de la flotte de commerce est obscurci par la confusion entre politique du pavillon français et politique de soutien aux armateurs, lesquels peuvent exploiter des navires sous pavillon étranger. Il nous est apparu indispensable de bien distinguer les avantages économiques retirés par la Nation d'un pavillon français, de ceux qu'elle peut retirer d'armateurs nationaux présents sur les grandes routes commerciales. Souvent - les débats autour de la loi quirataire n'auront pas dérogé à cette confusion -, les arguments invoqués à l'appui du pavillon français - le soutien au pavillon national étant l'objectif explicite de la loi quirataire, sont surtout valables pour légitimer un dispositif de soutien aux armateurs français.
a) Le principe d'indépendance nationale stratégique devrait conduire à favoriser les armateurs nationaux et non le pavillon national.
L'argument le plus souvent avancé dans les débats, est le principe d'indépendance nationale. Il comprend les stratégies militaires, humanitaires et, plus globalement, la représentation du pays dans le monde. Les deux premiers facteurs deviennent effectifs en cas de crise.
L'importance de la projection de forces dans les conflits militaires implique la maîtrise des moyens de communication. La flotte de commerce nationale participe, selon les règles définies par les lois de réquisition de 1887 et de 1959, au soutien logistique en hommes et matériels. Le régime général d'application détermine un système graduel de réquisition de service (rémunération du propriétaire), d'usage (location du navire), et de propriété (achat du navire). La définition du Transport Maritime d'Intérêt National (1969, modifiée en 1996) permet d'alléger la procédure, mais connaît des difficultés d'application.
La réquisition se fait sur le principe de patrimonialité et non sur le critère de la nationalité du pavillon. Tout navire propriété d'armateurs français inscrit sur un registre de libre immatriculation peut ainsi être requis. Le principe d'indépendance nationale ne peut a priori donc être invoqué à l'appui d'un dispositif public aidant la flotte de commerce sous pavillon national. C'est plutôt les armateurs nationaux qu'il convient alors d'aider.
Bien que le critère de réquisition repose sur la propriété et non sur la nationalité, le pavillon français peut cependant apporter deux certitudes aux autorités militaires :
- en premier lieu, les phénomènes réguliers de dépavillonnement rendent difficiles un suivi précis de la flotte sous contrôle, à une date donnée. En outre, le périmètre de propriété n'est pas clairement établi dans le système de 1969 ;
- en second lieu, le pavillon français garantit la qualité de l'entretien des navires et le savoir-faire de l'équipage. Il peut être important, en cas d'opérations militaires périlleuses, de pouvoir disposer de transporteurs civils de qualité. Sur ce point, seul le registre métropolitain assure d'avoir un équipage de nationalité française. Pour la France, la réquisition de navires sous pavillon national assure une cohésion plus importante des navigants dans le cadre d'opérations revêtant un caractère particulier.
Enfin, du point de vue des armateurs, le pavillon ouvre le droit à la protection du pays d'immatriculation. Lors de la guerre du Golfe, des navires norvégiens ont demandé et obtenu le pavillon français, afin de bénéficier de la protection militaire française.
Mais il faut mettre en opposition des considérations qui relativisent ces arguments.
L'évolution « naturelle » de la flotte de commerce tend à déconnecter de plus en plus la flotte de commerce des objectifs militaires qui peuvent lui être assignés. La projection de forces repose sur la réquisition de navires rouliers, qui disparaissent progressivement de la flotte, et de cargos. Si la situation est satisfaisante pour les cargos, on ne recense, en 1997, que deux navires rouliers transocéaniques pouvant faire l'objet de réquisition dans des délais raisonnables. Cependant la flotte de navires rouliers opérant sur les lignes de transport de marchandises en Méditerranée a, souvent, représenté une capacité de transport de réserve importante. Par expérience, compte tenu de la rotation des navires dans les eaux internationales, il faut environ 6 navires en activité pour pouvoir espérer obtenir, en cas de conflit « inattendu », un délai opérationnel acceptable pour un navire.
Trois solutions s'ouvrent, dès lors :
- acquérir une flotte d'État permettant le transport de troupes et de matériels, comme c'est le cas aux États-Unis (achat d'environ 30 navires rouliers), ou en Grande-Bretagne (2 navires) ;
- adapter le matériel militaire (surtout les chars et les pièces d'artillerie) au transport sous forme conteneurisée par voie maritime. La conteneurisation n'est d'ailleurs possible que si les ports de destination sont susceptibles d'accueillir les navires (navigabilité et capacités de levage suffisants) ;
- faire appel au marché international, avec un coût important, du fait de la concurrence entre les États, si le conflit est de grande ampleur.
Tout dépend de la nature du conflit : conflit soudain requérant une mobilisation rapide ou conflit à maturation lente, permettant une montée en puissance progressive des moyens ou conflit bien anticipé ; conflit bilatéral ou conflit de grande ampleur, induisant une forte concurrence entre États alliés ou adversaires. La guerre des Malouines a mis en lumière l'importance de navires ravitailleurs en hydrocarbures. Ce problème ne s'est en revanche pas posé lors du conflit yougoslave ou de la guerre du Golfe.
En tout état de cause, la flotte actuelle sous contrôle français ne permet pas de répondre aux besoins militaires et nous rend, en partie, dépendants du marché international de l'affrètement. En outre, parmi les vingt-quatre dossiers quirataires agréés au 1er juillet 1997, seuls deux navires peuvent donner lieu à réquisition (deux petits navires de charge polyvalents).
Les États-Unis présentent un système fondé sur le « Cargo Preference Act » de 1904, qui stipule que seuls des navires battant pavillon américain peuvent être réquisitionnés. Cette loi a été amendée en 1954 et requiert que 50 % des navires contrôlés par le gouvernement soient sous pavillon national. Selon un rapport du Congrès américain de novembre 1994, la suppression de cette loi entraînerait le dépavillonnement ou la mise à la ferraille de 80 % des cargos (sur un total de 18 en 1994), de 90 % des vraquiers (17 en 1994), d'environ 80 % des navires mixtes (85 en 1994) et de 40 % des pétroliers (sur les 45 existant en 1994).
Ces deux régimes sont donc opposés : d'un côté, une flotte réquisitionnable importante sous pavillon national, mais peu efficace (États-Unis) ; de l'autre, une flotte compétitive, mais peu réquisitionnable du fait de ses caractéristiques (France).
La représentation du pavillon sur les océans n'a que peu d'effet. Du point de critères subjectifs. Aujourd'hui, seul un navire français nous permet de maintenir des liaisons régulières avec l'Algérie, ce qui a une charge symbolique évidente.
b) Les exigences de l'indépendance économique et de la maîtrise du commerce international
Le pavillon français est supposé présenter des garanties dans l'acheminement de sources d'approvisionnement, notamment énergétiques. La loi d'approvisionnement énergétique de 1928, modifiée en 1992, définit ainsi le secteur énergétique comme stratégique. La loi dispose que la capacité de transport par des navires sous pavillon français doit représenter 5,5 % du tonnage raffiné. Ce sont les tonnages effectivement raffinés qui, recensés chaque année, servent d'assiette. L'obligation est de détenir des navires sous pavillon français, mais pas forcément de transporter les importations de pétrole brut.
Mais ce sont autant des arguments économiques et commerciaux que des arguments de sécurité des approvisionnements qu'il convient d'invoquer à l'appui du pavillon français : du fait des orientations prévisibles de certains marchés qui, du fait de la précision croissante des normes, tendent à s'assainir, un pavillon français, garantissant un degré élevé de sécurité et un savoir-faire reconnu, constituera un avantage comparatif important.
Les grandes compagnies pétrolières se sont désengagées du transport. Les flottes des pays producteurs, en revanche, voient leur part de marché s'accroître. Il en résulte que le marché est moins structuré qu'auparavant. Un marché plus internationalisé et éclaté peut, en période de tension, mettre en péril la sécurité des sources d'approvisionnement et renchérir les coûts. Les exigences nouvelles de sécurité et les exigences de la défense de l'environnement devront conduire à un assainissement du marché. L'application, en juillet 1998, du code ISM, dans le processus de certification maritime des vraquiers et pétroliers, conduira à l'harmonisation des procédures d'organisation des compagnies (sous-traitance, normes de sécurité, fournisseurs...). Un processus d'autorégulation apparaît : 51% des transporteurs de produits pétroliers sont déjà certifiés selon le code ISM. Il semble plus efficace que les systèmes de contrôle précédents (Mémorandum de Paris 37 ( * ) en 1981 sur le contrôle par l'État du port). Les groupes pétroliers, soucieux de leur image de marque depuis le sinistre de l'Exxon Valdès (1989), intègrent de plus en plus le pavillon, l'homogénéité et la qualification de l'équipage dans la négociation de leurs contrats. Si cette prime à la qualité se retrouve dans certains contrats à temps, elle n'est pas, il est vrai, encore clairement intégrée sur le marché « spot » 38 ( * ) . Un pavillon de bonne réputation - comme le pavillon français - peut permettre à l'armateur de renforcer sa position sur le marché et pour un pays d'assurer un regain de trafic et de devises.
Le marché des chimiquiers pourrait connaître la même évolution.
Dans le cadre des échanges internationaux de biens manufacturés, un pays gagne-t-il à voir opérer sur des lignes régulières pour lesquelles le pavillon national est présent ?
L'exemple le plus souvent avancé est celui du Japon et de la Corée du Sud dans le transport de voitures. Si des stratégies ont été supposées discriminatoires (taux de fret, desserte des lignes...), le fait que ces pays
Un regain d'intérêt des chargeurs pour des armateurs français puissants apparaît depuis peu de temps, avec la transformation des conditions du marché maritime, jusque là extrêmement concurrentiel, mais qui est en train de s'organiser, voire de s'oligopoliser, avec la création des grandes alliances. Les chargeurs, qui jusqu'ici ont préféré tirer parti de la situation concurrentielle qui leur était très favorable, commencent à prendre conscience du risque que peuvent représenter pour eux les grandes alliances entre armateurs. Les trafics d'exportation français sont plutôt éclatés sur de nombreuses destinations, et les chargeurs ne pèsent pas d'un poids important par rapport à la taille des trafics et des opérateurs sur les grandes routes commerciales. Il n'en reste pas moins que la présence d'un armateur français au sein d'une des principales alliances de ligne régulière pourrait, à hauteur de sa part de marché dans celle-ci, peser sur le choix des dessertes. Les armements français conservent aujourd'hui encore des fonds de trafics significatifs dans les ports français et peuvent donc défendre certaines escales en France (Le Havre, Marseille). C'est donc moins le pavillon national qui compte, pour ce qui concerne les produits manufacturés, que la nationalité française de l'armateur.
Sur certains marchés spécialisés, en revanche, la présence d'une flotte battant pavillon national peut favoriser nos exportations. Le gain des parts de marché, en matière de câbles et de télécommunications ou d'implication d'intérêts français dans les grands projets du Sud Est asiatique, ont été favorisés par la présence du pavillon français.
Le solde de la ligne « transports maritimes » de la balance des paiements est structurellement déficitaire. Il oscille, depuis 1990, aux environs de - 6 milliards de francs. Si le transport maritime a été longtemps présenté comme producteur de devises, l'effet pour le pays ne se fait sentir que dans le cas où cette social de l'armateur est en France. Le pavillon français favorise cette condition. À titre d'exemple, la compagnie Total a délocalisé ses services transport maritime à Londres, dès qu'elle n'a plus eu de navires en propriété et le siège de la compagnie Euronav est à Londres. Il est vrai, cependant, que les systèmes d'information et de télécommunications permettent actuellement aux armateurs d'éclater leurs centres de décision. La compagnie Navale Française possède par exemple son siège social à
Montpellier, sa gestion technique se fait depuis Saint-Malo et sa gestion du personnel depuis Lorient.
A3. Soutenir à la fois l'armement national et le pavillon français
Si beaucoup d'éléments justifient le transport maritime comme secteur économique stratégique, ils ne permettent cependant pas de souligner la supériorité de la flotte sous pavillon national sur une flotte contrôlée par des armements français. Par contre, des critères de sécurité, faisant intervenir la qualité des navires et la qualification des navigants, rendent au pavillon une place potentiellement très importante.
Qu'il s'agisse de l'indépendance stratégique ou économique, les arguments en faveur d'un armement national fort se mêlent parfois - mais pas systématiquement, comme l'affirment un peu trop rapidement les partisans de la loi quirataire-, avec ceux allant dans le sens d'un pavillon national fort. C'est donc par un développement conjugué des deux, voyant coexister un armement français sous pavillon national et tiers que semble résider la solution. Mais cet ensemble ne subsistera que s'il existe effectivement un « noyau dur » suffisant de navires sous pavillon français, présentant des conditions favorables de compétitivité. Or, il semble que pour tous les créneaux, le minimum requis ne soit pas aujourd'hui atteint. C'est ce qui justifie un dispositif puissant et efficace de soutien au pavillon français.
La flotte de commerce sous pavillon français est à un niveau minimal. Il n'existe, par exemple, plus de navires moyens vraquiers (transporteurs de grains), et quasiment plus de transporteurs de voitures et de navires réfrigérés. Quelques grands armements français subsistent comme transporteurs de produits pétroliers, transporteurs de vracs et opérateurs de lignes.
La qualité de la formation et le respect de normes de sécurité plus exigeantes sont les principaux arguments du pavillon national. L'évolution des règles internationales tend à conforter l'importance de ces arguments. Le système actuel de formation français des navigants impose une période d'apprentissage sur des navires sous pavillon national. Le déclin de la flotte sous pavillon français induit la perte du savoir faire maritime de l'ensemble des acteurs du secteur. Sans ce minimum de flotte sous pavillon national, il semble que le déclin de la flotte sous contrôle français suivra inexorablement.
Au terme de cette analyse, les conclusions suivantes peuvent être formulées
- il est indispensable à un pays comme la France de disposer d'armateurs sinon puissants, du moins présents sur les grands flux mondiaux de biens et services. Cela est important économiquement, pour promouvoir les places portuaires françaises, dans une certaine mesure, et pour ne pas être trop dépendants, en ce qui concerne nos exportations, des grandes alliances ;
- il est important, pour des raisons commerciales de disposer d'un nombre minimum de navires sous pavillon français, pour des raisons de sécurité de certains approvisionnements et aussi parce que la tendance du marché de certains produits est à la promotion des avantages de sécurité et de savoir-faire, deux caractéristiques dispensées par le pavillon français ;
- pour ce qui concerne l'indépendance militaire, a priori, c'est moins le caractère national du pavillon qu'il convient d'invoquer que la nécessité de pouvoir disposer d'armateurs puissants, permettant de mobiliser une flotte logistique importante. Mais une analyse précise révèle qu'en cas de conflit soudain, dans l'état actuel des choses, la France devrait faire appel au marché international, avec les risques et les coûts que cela comporterait ;
- reste à savoir si le dispositif public de soutien au secteur correspond véritablement à cet ensemble d'exigences. Il est plaisant de constater que les défenseurs de la loi quirataire invoquent, dans leurs arguments, la nécessité se soutenir le pavillon français alors même que ce sont les armateurs qu'il convient de soutenir dans de nombreux cas. Il est non moins plaisant de constater que la mise en oeuvre de la loi quirataire, depuis un an, ne semble pas garantir la promotion durable du pavillon français.
D. La défense de l'emploi qualifié
B1. Une activité pauvre en main-d'oeuvre et très pauvre en main-d'oeuvre peu qualifiée française .
Pétrole Cabotage
(source : DGMAG-1996-)
La répartition entre officiers et personnel d'exécution est largement fonction des caractéristiques techniques des navires. La répartition au niveau mondial est de un tiers pour le personnel qualifié et deux tiers pour le personnel d'exécution. Pour la France, il y a parité, si l'on isole le cas particulier du passage.
Pour la ligne conteneurisée, les navires sous pavillon français se partagent entre registre métropolitain (100 % de navigants français) et registre Kerguelen. Le vrac est une activité qui, du point de vue de la main-d'oeuvre, est mondialisée. La concurrence des pays à bas salaires est donc particulièrement pesante. Les navires sous pavillon français sont majoritairement sous registre Kerguelen. Pour le pétrole, les conditions de sécurité et les obligations réglementaires d'un nombre minimal de navires sous pavillon français favorisent l'emploi des marins dont la qualification est reconnue. Ces effets sont favorables aux officiers (493 officiers contre 423 personnels d'exécution).
La libéralisation du cabotage de navires de charges datant du 1 er janvier 1997, n'a pas encore d'effet sur la répartition de la qualification des emplois à bord. Le nombre de navigants se répartit conformément aux nécessités de fonctionnement du navire.
B2. Le cas particulier du passage : une activité dont l'importance de la fonction hôtelière augmente le contenu en emplois.
Les navigants ayant une fonction hôtelière représentent 75 % de l'effectif du bord. Le statut de ce personnel n'est pas le même dans toutes les compagnies : la B.A.I. emploie du personnel d'accueil non affilié au système de protection sociale des marins de l'ENIM. Le contenu en emplois du passage doit dépasser les 3094 personnes recensées (55 % de l'emploi de navigants en 1996).
B3. Un avantage comparatif important : la qualité de la formation des officiers de marine marchande.
La polyvalence des officiers français, inscrite dans le programme des écoles françaises, est leur principal atout. La double compétence des activités de pont (navigation, télécommunication, chargement), et de machine (technique de propulsion) permet une meilleure utilisation des navires. Elle favorise la mobilité du personnel sur différents postes du navire, et donc sa gestion.
Les besoins de la flotte de commerce sont évalués à 1600 officiers à l'horizon de 2002. La capacité actuelle d'accueil des écoles d'officiers est de 760 élèves. Elle pourrait atteindre 1300 élèves pour l'année scolaire 2000/2001, en augmentant progressivement le recrutement annuel. Le flux annuel de sortie augmenterait alors jusqu'à 295 officiers en 2001. Le nombre actuel de sortie des officiers polyvalents est d'environ 175. Pour atteindre ce niveau, une amélioration des équipements pédagogiques est nécessaire. Le coût de cette amélioration serait de 30 MF à échéance de 2001. Selon l'enquête des anciens élèves de l'ENMM, le rapport entre élèves formés et officiers embarqués est de l'ordre de trois pour un. Les deux tiers restant se répartissent entre des activités dites paramaritimes (portuaires, classification, département transport d'industries) et autres secteurs.
Les conditions souvent pénibles d'exercice du métier de marin, la mobilité, le niveau de qualification technique qu'il requiert, ont conduit beaucoup d'officiers à se reconvertir dans d'autres secteurs d'activité. Parmi les officiers et les marins, la poursuite du métier dans des compagnies étrangères se heurte cependant à une maîtrise incertaine de la langue anglaise, alors que les qualités des marins français sont unanimement reconnues. L'enseignement de la gestion a fait son apparition dans les écoles maritimes au début des années 1970. La gestion compte à l'heure actuelle pour 13 % du volume horaire, l'électronique pour 25 %, la partie technique et machine pour 50 %. Depuis la réforme de 1989-1994, l'anglais compte pour environ 12 % des horaires annuels de formation, ce qui semble encore insuffisant. Cette langue s'est imposée partout dans le monde du transport international. L'activité dans le transport de passagers la rend obligatoire, pour des raisons de sécurité.
Le développement de l'enseignement de la navigation marchande est aussi largement tributaire des postes de lieutenant offerts sur les navires français. Les élèves doivent effectuer en effet au moins un an de navigation pour obtenir leur diplôme. En réponse, l'ACOMO est accordée aux armateurs, selon certains critères, dont celui du nombre de postes de jeunes lieutenants.
Les budgets de fonctionnement des Écoles Nationales de la Marine Marchande ont connu une érosion de 1992 (7,260 MF de Crédits de Paiements) à 1994 (6 MF), et sont constants depuis.
Cette évolution, défavorable aux ENMM est préjudiciable à la qualité de la formation des officiers et marins qualifiés français, qui est pourtant un avantage comparatif important de la France.
C. L'externalisation sur le territoire français : l'enjeu du cabotage
Le développement du cabotage apporterait à la France trois séries d'avantages :
- la rentabilisation des infrastructures portuaires. La France est géographiquement bien située et possède de nombreux ports bien répartis.
Elle peut offrir des services maritimes de courte distance à l'ensemble de ses partenaires européens. Un essor du cabotage pourrait permettre une rentabilisation des infrastructures portuaires. Or la stratégie européenne vise à contourner le territoire national, et ainsi limiter le nombre d'escales dans les ports français ;
- la protection de l'environnement. En termes de coût et de préservation de l'environnement, le transport maritime par conteneurs de courte distance peut détourner une partie des trafics routiers et limiter ainsi leurs nuisances. Il présente cependant des handicaps par rapport à la route. Il doit être lié à une gestion multimodale du transport, pour le pré et post-acheminement. Il impose des ruptures de charge et il est plus lent ;
- un meilleur service de transport continent-îles. Pour le trafic continent-îles, le cabotage bénéficie d'avantages concurrentiels évidents par rapport aux autres modes de transport, même si un autre mode existe (tunnel sous la Manche). Lorsque le transport doit s'effectuer de port à port, le long d'une même côte, le cabotage bénéficie encore d'une bonne compétitivité/prix, notamment pour des distances supérieures à 600 km.
Cependant, le cabotage rencontre des obstacles :
- la multimodalité oblige les utilisateurs de transport à maîtriser plusieurs modes de transport. Cette gestion logistique peut représenter une barrière « culturelle»;
- actuellement les deux compagnies de cabotage de conteneurs les plus importantes opérant en Europe, sont américaine et taïwanaise ;
- la concurrence des transports terrestres : canal, conduite, fer et surtout route. Des facteurs « prestations » interviennent en plus des facteurs « prix ». Ce phénomène empire au fur et à mesure que le point de destination finale se situe à l'intérieur des terres, puisqu'un transport terminal par la route est nécessaire. On peut estimer que la part de marché de la route sur les trajets intérieurs français est de l'ordre de 75% (en tonnage). Sur des distances plus grandes, les autres modes terrestres, et notamment, en France, le fer, bénéficient, sans toutefois évincer la route, d'avantages compétitifs lorsque les flux peuvent être massifiés. On estime que les parts de marché, toutes distances hors conduite 39 ( * ) , sont de l'ordre de 15 % pour le fer, et négligeables pour le cabotage maritime. En revanche, entre la France et les pays limitrophes, ces parts de marché sont respectivement de 65 % pour la route, 12 % pour le fer et 12 % pour le maritime (Source : Commission citant Eurostat, 1992).
Peut-on alors imaginer une politique favorisant le transport maritime de courte distance au détriment de la route ? Le mode routier entraîne des congestions de trafic et il est réputé ne pas payer ses coûts externes négatifs. Une approche économique relative au choix des investissements de transport et aux tarifications est nécessaire. Deux groupes de travail du Commissariat général du Plan 40 ( * ) ont oeuvré en ce sens. Le groupe « BOITEUX » a proposé de prendre en compte, dans les calculs économiques de rentabilité, le facteur environnement (à titre indicatif, les coûts de pollution proposés pour la route sont de l'ordre de 8 à 10 centimes par tonne-kilomètre). Le groupe « BONNAFOUS » a proposé d'inclure, dans la tarification d'usage des infrastructures, les coûts externes négatifs (pollution, bruit, insécurité) induits par le transport, routier en particulier. La hiérarchie des modes, reste difficile à modifier tant la route est hégémonique à courte distance (là où est l'essentiel du marché) et présente à plus longue distance. Dans le même temps, on peut supposer que les autres modes ne seraient pas inactifs (trains- blocs, construction de canaux à grand gabarit...), de sorte que le cabotage maritime a surtout ses chances sur les plus longues distances continentales.
* 36 La loi du 31 janvier 1992 pour le pétrole brut, oblige les raffineurs à détenir une capacité de transport sous pavillon français égale à 5,5 % du tonnage raffiné. Les navires français sont utilisés dans le monde entier et, en 1997, les quantités de pétrole brut débarquées en France et transportées par des navires français ont été à hauteur de 2,2 % du total.
* 37 Les pays ayant ratifié le traité sont autorisés à exercer un droit de contrôle sur la bonne application des règles de sécurité sur les navires en escale dans leurs ports.
* 38 Marché à la demande de court terme
* 39 Conduite gazière ou pétrolière.
* 40 Groupe « BOITEUX » - « Transports : pour un meilleur choix des investissements », novembre 1994
Groupe « BONNAFOUS » - « Transports : le prix d'une stratégie », 1995