C. UNE SPÉCIALISATION DISCIPLINAIRE EXCESSIVE
L'enseignement du second degré, s'agissant de la spécialisation des enseignants, s'inscrit en totale rupture avec le premier degré. Outre sa dimension pédagogique, cette spécialisation disciplinaire emporte des conséquences déterminantes en termes de gestion.
1. De l'école au collège : de la polyvalence à la spécialisation disciplinaire
Force
est de reconnaître que la réforme de 1975, instituant le
collège unique, et qui avait pour objet de donner les mêmes
chances aux élèves, a été un échec dû
notamment au fait que cette réforme n'a pas été assortie
des moyens pourtant prévus à l'origine.
Du fait notamment d'une hétérogénéité
croissante des classes, le collège est devenu le maillon faible du
système éducatif et entretient l'échec scolaire.
A n'en pas douter, une partie de cet échec provient d'une
spécialisation disciplinaire qui n'est pas de mise dans les
premières classes du collège.
La commission d'enquête constate que plusieurs rapports publiés
sur le collège depuis quinze ans préconisent un retour à
la polyvalence des enseignants de type PEGC, afin d'assurer une meilleure
transition avec le primaire, ainsi qu'un accompagnement pédagogique
inclus dans leur service.
Le rapport Legrand, publié en 1982, préconisait ainsi un
enseignement de 22 heures hebdomadaires incluant trois heures de
concertation et trois heures de tutorat, ainsi qu'une certaine
pluridisciplinarité des enseignants et la constitution d'équipes
pédagogiques, des dernières années du primaire
jusqu'à la classe de cinquième.
Pour sa part, le rapport Bouchez, publié en 1994, proposait
également une harmonisation des formations du premier et du second
degré, notamment pour la liaison CM2-classe de sixième.
a) Les conséquences pédagogiques de l'extinction du corps des PEGC
La
suppression du corps des professeurs d'enseignement général de
collège décidée en 1986 par le ministre de
l'éducation nationale de l'époque était d'abord
inspirée par le fait que la formation de ce corps était
insuffisante pour répondre aux demandes nouvelles d'enseignement et aux
objectifs fixés au collège unique.
On peut, à cet égard, regretter que ce corps, le plus souvent
issu de l'enseignement primaire, n'ait pas été remplacé
par des professeurs de collège susceptibles d'enseigner sur des champs
disciplinaires élargis.
D'un point de vue pédagogique, la spécialisation disciplinaire au
collège est à l'origine d'une rupture avec l'école
préjudiciable pour les élèves. Ceux-ci se retrouvent
brutalement confrontés à une dizaine d'intervenants, dont
certains pour une ou deux heures seulement par semaine. Pour des
élèves parfois en difficultés, l'effort d'adaptation
demandé est le plus souvent trop important.
Par ailleurs, cette spécialisation disciplinaire a sans doute
contribué à renforcer le contenu universitaire des formations des
futurs enseignants -ce qui était sans doute nécessaire- mais
celle-ci s'est effectuée au détriment de la dimension
pédagogique de l'enseignement, d'autant plus indispensable que le
collège accueille des publics de plus en plus diversifiés.
S'agissant des langues vivantes, comme le soulignait le professeur Antoine
Prost devant la commission d'enquête, "
à vouloir des
certifiés étroitement spécialisés en langues, on
assure l'hégémonie de l'anglais
".
Le maintien de l'offre de langues telles que l'italien et l'espagnol dans les
petits collèges, notamment en milieu rural, serait sans doute
facilité par une bivalence des professeurs qui pourraient
également enseigner le français.
La commission a, par ailleurs, observé que la plupart des pays
européens ignoraient cette spécialisation disciplinaire au niveau
du collège.
Une telle spécialisation en collège n'est pas non plus sans
conséquence sur la gestion des enseignants : les remplacements ne
peuvent pas se faire aussi aisément que dans le premier degré et
l'organisation des emplois du temps dans les petits collèges est rendue
très difficile par la disparition progressive des PEGC.
Si ces anciens instituteurs enseignent dans plusieurs disciplines, il est en
revanche beaucoup plus difficile de faire accepter à un enseignant
capésien en français, d'enseigner en plus l'histoire et la
géographie.
Faute de pouvoir proposer un service complet dans un même collège,
ces professeurs doivent donc se partager entre plusieurs établissements
qui sont parfois très éloignés géographiquement les
uns des autres, notamment dans des zones de montagne ou dans l'académie
de Corse qui comporte de nombreux collèges de faible
dimension.
b) Vers un élargissement de la définition des champs disciplinaires au collège ?
Votre
commission n'a pas manqué d'interroger chacune des personnes
auditionnées sur la question de la bivalence au collège, et un
très large consensus s'est dégagé pour reconnaître
l'intérêt de ce débat d'un point de vue pédagogique.
Seules deux organisations syndicales -le syndicat national des enseignants du
second degré (SNES) et le syndicat national des lycées et
collèges (SNALC)- se sont déclarées opposées
à la réintroduction de la polyvalence au collège, le SNALC
se déclarant toutefois prêt à certaines concessions, non
pas sur les principes, mais pour des adaptations pratiques qu'il n'a pas
précisées.
Pour tous les autres interlocuteurs entendus, il conviendrait d'introduire plus
de souplesse en mettant en avant la notion de " champ
disciplinaire ", comme le préconisait dès 1988, M. Claude
Allègre alors conseiller de M. Lionel Jospin, ministre de
l'éducation nationale.
Le développement du travail en équipes des enseignants
constituerait également une étape intermédiaire et un
élément complémentaire vers une redéfinition plus
large des champs disciplinaires au collège, la spécialisation au
lycée pouvant rester plus fine.
Cette volonté d'introduire plus de souplesse dans l'organisation de
l'enseignement au collège permettrait d'atténuer la rupture pour
les élèves existant entre l'école et le collège.
Pour la commission, il est très important de restaurer une
continuité éducative entre l'école et le collège.
L'encouragement au travail en équipe et à
l'interdisciplinarité permet de réduire le nombre des
intervenants et d'éviter ainsi de basculer trop brutalement de la
logique du maître unique à celle de la multiplicité des
enseignants.
S'agissant de l'articulation entre le primaire et le secondaire, la commission
est en revanche plus réservée sur les solutions proposées
par le ministre délégué chargé de l'enseignement
scolaire. Il lui apparaît en effet que la généralisation du
principe de l'échange de professeurs entre le CM2 et la sixième,
pour que le suivi des élèves soit mieux assuré, serait
source de difficultés supplémentaires pour la gestion des
enseignants.
Il lui semble préférable d'encourager effectivement les
enseignants, surtout dans les premières années de collège,
à enseigner dans plusieurs disciplines proches. Il ne serait pas absurde
d'envisager un système incitatif pour encourager de telles pratiques.
Il conviendrait également, pour assurer le succès d'une telle
réforme, que la formation dispensée en IUFM soit renforcée
pour compléter la formation universitaire le plus souvent monovalente
des étudiants.
Les IUFM ont déjà l'expérience de telles formations
complémentaires pour les enseignants de disciplines
générales (histoire, géographie, mathématiques et
français) qui exerceront dans des établissements d'enseignement
professionnel.
En conséquence, la commission proposera de redéfinir les
périmètres disciplinaires afin de développer une certaine
polyvalence dans les premières années de collège, laquelle
devrait se traduire dans la formation initiale et continue des enseignants et
l'établissement des programmes.