2. Le supermarché des options au lycée : une caricature de la spécialisation disciplinaire
a) Une sélection déguisée à travers la multiplication des options
Le
simple examen des options offertes aux élèves des lycées
illustre l'excessive spécialisation des disciplines enseignées.
Cette spécialisation résulte sans doute des avancées
réalisées dans les sciences elles-mêmes, mais en
procédant par scissiparité dans les disciplines, celles-ci sont
devenues de plus en plus pointues, et le découpage disciplinaire dans
certains secteurs, notamment technologique et professionnel, est d'une finesse
excessive et conduit à certains excès. Pas moins de
350 disciplines sont enseignées dans le second degré.
Au niveau du baccalauréat, le bac général comporte trois
séries et 27 spécialités, le bac technologique,
quatre séries et 15 spécialités et le bac
professionnel, 70 spécialités.
D'après les indications fournies à la commission par un recteur,
pour le seul enseignement général, un élève de
seconde, compte tenu du choix d'options qui s'offre à lui, a à sa
disposition 130 combinaisons d'enseignement possibles. En ce qui concerne
l'enseignement des langues par exemple, le système français ne
propose pas moins de 14 langues vivantes, alors qu'en Angleterre ou en
Allemagne, seules deux ou trois langues sont enseignées. Si cette
diversification linguistique est la contrepartie de la politique du maintien de
l'enseignement de la langue française dans les pays concernés,
force est de constater que l'organisation de ces options induit certains effets
pervers.
Il faut souligner également que les lycées s'efforcent d'offrir
un très grand nombre d'options sans nécessairement qu'une
politique de complémentarité soit mise en oeuvre au niveau d'une
académie.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène : il faut
d'abord y voir l'une des conséquences de la sectorisation qui renforce
la demande sociale en matière d'options. Compte tenu de
l'éventail des choix offerts au niveau des baccalauréats, il est
légitime que les familles trouvent, dans le lycée où elles
sont obligées d'inscrire leurs enfants, le plus grand nombre d'options
possibles.
Par ailleurs, force est de reconnaître que la politique des options
constitue pour les lycées un moyen de sélection pour attirer les
meilleurs élèves ou en tout cas les plus motivés. Dans le
cadre de la carte scolaire, l'affichage de telle ou telle option rare sert de
produit d'appel justifiant alors des demandes d'inscriptions
dérogatoires.
Cette évolution n'est pas neutre en terme d'aménagement du
territoire et de politique de la ville puisqu'on assiste ainsi à une
concentration en centre-ville de lycées proposant des options rares, qui
attirent les meilleurs éléments pendant que les lycées
périphériques se vident et s'homogénéisent par le
bas de façon préoccupante.
Du point de vue de la gestion des moyens de l'éducation nationale, cette
dérive apparaît coûteuse, car la multiplication des options
mobilise des professeurs devant de petits groupes d'élèves. La
déperdition est particulièrement forte dans les lycées
professionnels, où l'on recense beaucoup d'options -dont certaines
obsolètes ou très pointues- qui ne sont suivies que par un
très faible nombre d'élèves.
Dans les collèges publics, si la taille moyenne d'une division est de
23,4 élèves, le nombre d'élèves par enseignant
compté en équivalents temps plein est de
14,4 élèves. Dans les collèges privés, le taux
d'encadrement pédagogique est moins élevé,
reflétant un choix d'options moins large :
16,1 élèves par enseignant. Dans les lycées
professionnels, le taux d'encadrement, est de 9,5 (à comparer au 11,1 du
privé) à comparer à des tailles moyennes de divisions de
21,7 et 21,3 respectivement. Dans les lycées généraux, ce
taux d'encadrement est de 11,8 (12,3 dans le privé), à comparer
aux tailles moyennes de divisions de 29,3 et 25,6 respectivement.
Cette multiplicité d'options renchérit considérablement le
coût de l'enseignement du second degré en France, qui est l'un des
plus élevé en Europe, complique sensiblement les systèmes
de remplacement, et ne permet pas de concentrer les moyens existants sur les
savoirs fondamentaux.
On peut, en effet, s'interroger sur l'intérêt pédagogique
d'un certain nombre de ces options, lorsque l'on sait, de plus, que beaucoup
d'élèves les abandonnent en cours d'études.
Comme le soulignait le professeur Antoine Prost, le niveau de l'enseignement
dispensé ne se calcule pas à l'aune du nombre de disciplines
enseignées. Rappelant une formule d'Alain, il a jugé qu'il n'y
avait rien de pire dans l'enseignement que des élèves
"
qui ne savent rien, qui se rappellent simplement avoir entendu
quelqu'un qui savait
".
b) Une nécessaire mutualisation des options
Afin de
permettre une meilleure gestion des moyens tout en maintenant une offre
raisonnablement diversifiée d'options, il faut mettre fin à la
logique de compétition qui prévaut entre les
établissements situés sur un même site, logique
fondée sur une culture de différenciation poussée à
l'extrême.
Votre commission ne peut qu'être favorable à une mutualisation des
options entre lycées situés dans une même aire
géographique. Cette mise en commun, en regroupant des
élèves venant d'établissements différents pour
l'enseignement de telle ou telle discipline permettrait de réaliser des
économies d'échelles importantes, sans pour autant aller
jusqu'à l'uniformisation des options proposées par les
différents établissements, et d'aboutir ainsi à une sorte
de " lycée unique " sur le modèle si
décrié du collège.
Dans l'enseignement professionnel particulièrement, il conviendrait de
procéder à un toilettage des disciplines enseignées, et
pour les plus spécialisées d'entre elles, qui sont peu
enseignées, mais qui concourent à l'excellence d'une formation,
il conviendrait sans doute de développer un partenariat avec les
entreprises pour y recruter des formateurs " professionnels ".