2. Le GIE, une structure de coopération soumise aux défis de la gestion
L'organisation des tâches de production au sein du GIE ne
serait pas optimum du fait de la règle de « retour
d'activité » chez chacun des partenaires. Plus globalement
,
la capacité d'action et de réaction de l'avionneur
européen suscite des doutes.
En réalité, cette appréciation négative se
décline sur plusieurs modes en partant de la base industrielle pour
arriver à la direction stratégique de l'entreprise.
Sont dénoncés tour à tour :
- des délais excessifs de fabrication ;
- les rigidités du processus de conception ;
- et la lenteur des décisions stratégiques.
S'agissant des questions relatives à la production
, un
élément essentiel est de réduire les délais
s'écoulant entre les spécifications demandées par les
clients et la livraison des appareils. Les délais observés en
1994 sont rappelés dans le tableau ci-dessous.
Délais de livraison
|
A300/A310 |
A320 |
A319/A321 |
A330/A340 |
1994 |
16,5 |
15,5 |
12,5 |
17,5 |
Ces
délais importants apparaissaient en particulier plus
élevés que ceux supportés par les clients de Boeing qui
serait en mesure de livrer ses gros-porteurs et ses avions à couloir
unique en un an et 10 mois respectivement.
Or, l'objectif d'un raccourcissement de ces délais est une
priorité compte tenu de ses implications commerciales et
financières.
Objectifs de délais de livraison
|
A300/A310 |
A320 |
A319/A321 |
A330/A340 |
1996 |
12 |
9 |
9 |
12 |
2001 |
10 |
6 |
6 |
10 |
Les
objectifs fixés pour 1996 ont été atteints. Mais, en
dépit des efforts de rationalisation entrepris afin de rassembler en des
lieux spécifiques les ateliers d'assemblage, il n'est pas certain que
les contraintes résultant d'un partage de la production des
éléments des appareils du GIE permettent de satisfaire
aisément les conditions de succès dans la poursuite de cet
objectif.
Cette contrainte se traduit, on le sait, par un partage de la production entre
les partenaires.
Le partage industriel dans Airbus est censé procurer aux entreprises une
prestation financièrement équivalente à leurs poids dans
le consortium. Il est équilibré programme par programme et peut
conduire à des retours de sous-traitance.
Il obéit à la répartition suivante.
Aérospatiale est responsable :
- de la conception générale des avions,
- de la pointe avant, cockpit inclus et avionique associée,
- des commandes de vol,
- de l'assemblage des A300/310, A330/340 et des A320,
- de l'aménagement intérieur des A330/340
- de la réalisation de tronçons dont la jonction ailes-fuselage,
- des mâts réacteur,
- des essais en vol,
- de la certification.
BAe est responsable de la fabrication des tronçons d'ailes.
Dasa est responsable :
- de tronçons de fuselage,
- de l'assemblage des ailes,
- de l'assemblage des A319/321,
- des dérives,
- des volets et spoilers,
- du cône arrière,
- de l'aménagement intérieur des A300/310 et A319/320/321
Casa est responsable :
- des portes,
- des empennages,
- du train d'atterrissage avant,
La spécialisation des tâches génère sans doute des
gains de productivité liés à une meilleure
technicité des équipes, une concentration des outillages
particulièrement coûteux, et au regroupement dans une
proximité immédiate des sous-traitants spécialisés.
Mais elle a des incidences importantes sur la localisation géographique
de la production du consortium.
On peut sans doute objecter que la société Boeing est
elle-même confrontée à la dispersion géographique de
ses lieux de production et de ses sources d'approvisionnement.
Toutefois, les usines d'assemblage du constructeur américain sont
beaucoup plus intégrées que celles d'Airbus, les sites de
Seattle, au demeurant idéalement placés pour recevoir les
très nombreux éléments produits en Asie du sud-est et au
Japon en particulier, abritant dans un ensemble aussi spectaculaire que
cohérent l'assemblage de la quasi-totalité des productions
civiles de l'entreprise.
La dispersion des sites d'assemblage d'Airbus présente donc un contraste
réel, source de coûts d'acheminement et de duplications
d'infrastructures qu'il ne sera guère aisé d'atténuer
à court terme, comme le montre le schéma ci-après.
Organisation géographique de la fabrication des Airbus
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Dasa Brême |
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BAe Filton |
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Fokker Amsterdam |
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Dasa Hambourg |
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BAe Chester |
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Belairbus Gosselles |
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Dasa Stade |
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Aérospatiale Nantes |
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Dasa Münich |
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Aérospatiale St-Nazaire |
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Aérospatiale Toulouse |
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Casa Madrid |
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Casa Séville |
Transport par route Transport par avion
Source : Airbus Industrie
Une faiblesse analogue atteindrait les bureaux d'étude du GIE.
Chaque bureau d'études national aurait tendance à
développer ses propres concepts au-delà du stade ou d'une
confrontation des différents projets naîtrait, idéalement,
la sélection de l'un d'entre eux.
En un mot, la logique d'appartenance à des entreprises
différentes pourrait l'emporter sur la logique d'appartenance au GIE.
Enfin, le GIE constitue sans doute une structure de coopération efficace
mais qui reste limitée.
La forme du groupement d'intérêt économique (GIE) est
régie par l'ordonnance française du 23 septembre 1967.
Cette formule qui permet des coopérations industrielles et commerciales
entre des entreprises conservant par ailleurs leur personnalité propre a
le mérite de la simplicité.
Le GIE peut être constitué sans apport en capital, c'est le cas
d'Airbus, pour se concentrer sur son objet social sans avoir à
gérer les moyens de son ambition, ceux-ci restant sous la
responsabilité de ses membres et dispose en outre d'une grande
transparence fiscale malgré une personnalité morale qui lui
permet, en particulier, de s'endetter.
Pour autant, la formule du GIE étant par excellence une formule de
coopération entre des membres indépendants suppose pour
connaître le plein succès un
« affectio
societatis »
proche de celui qu'exige le régime de la
société. Or, c'est bien parce que celui-ci fait défaut
qu'on recourt en général à la formule du GIE.
Plusieurs conséquences s'ensuivent.
En premier lieu,
la prise de décision dans un GIE est
nécessairement lente puisque, toutes les décisions importantes
devant recueillir l'unanimité des membres, ses modalités sont
celles de la négociation et non celles de la décision
unilatérale.
A titre d'illustration, il faudrait qu'Airbus modifie
ses statuts pour développer tout nouveau type d'appareil qui
n'apparaîtrait pas comme un dérivé des avions
mentionnés à l'article 3 de ses statuts.
En deuxième lieu,
la négociation impliquant compromis, il est
clair que les intérêts propres du groupement
d'intérêt économique doivent parfois céder la place
aux intérêts de chacun des partenaires qui peuvent
présenter quelques divergences avec ceux du groupement
lui-même.
En bref, les GIE mobilisant l'activité de partenaires
indépendants ne sont pas à l'abri de forces centrifuges
nées de l'évolution des intérêts bien compris de
chacun.
Ce risque est d'autant plus grand que les entreprises concernées sont
dissemblables dans leurs caractéristiques. Or, c'est
précisément le cas des entreprises qui constituent le GIE Airbus
(voir infra).
L'ensemble de ces considérations milite pour la transformation du GIE
Airbus en une société de plein exercice afin d'optimiser les
performances du consortium. C'est aussi elles qui rendent si délicat le
processus.