VI. EN GUISE DE CONCLUSION : CONCURRENCE, HARMONISATION OU " BONNE CONDUITE " ?
Les
analyses et évaluations présentées dans cette étude
débouchent sur des conclusions mitigées :
l'hétérogénéïté des systèmes
fiscaux en Europe demeure certes considérable ; mais les manifestations
tangibles de la concurrence fiscale sont, à ce jour, limitées.
Elles concernent à l'évidence davantage la fiscalité sur
l'assiette la plus mobile, à savoir le capital, avec d'une part les
prélèvements sur les revenus des placements financiers des
ménages, d'autre part la fiscalité directe sur les
bénéfices des sociétés. Les évaluations
présentées plus haut montrent qu'il existe, pour les entreprises,
des incitations non négligeables à la mobilité, du moins
pour certaines activités, certains types d'investissements, certains
modes de financement. Encore convient-il de souligner, qu'en raison de la
complexité des règles de détermination de l'assiette
imposable, les moyennes présentées recouvrent sans doute une
diversité plus grande encore des situations individuelles. En outre, la
multiplicité des circonstances particulières ne permet pas
d'inclure dans ces évaluations la totalité des
prélèvements qui pèsent sur chaque catégorie
d'agents économiques. Or la fiscalité est
caractérisée, dans tous les pays européens et
singulièrement en France, par un empilement de
prélèvements, avec des règles de
déductibilité différentes selon les cas, notamment en ce
qui concerne la fiscalité locale et les prélèvements
sociaux. Pour chaque agent économique, l'incitation fiscale à la
mobilité est, en principe, la résultante nette de cet empilement
de prélèvement, que l'étude conduite ici par type de
prélèvement ne permet pas d'appréhender
complètement. Cependant, une évaluation exhaustive de l'ampleur
effective de cette incitation fiscale à la mobilité se heurte
à deux types d'obstacles : d'une part, la grande diversité des
situations individuelles, notamment en ce qui concerne la fiscalité
locale ; d'autre part, la nécessité, pour évaluer
l'incidence des différents prélèvements, de faire des
hypothèses sur le mode de fonctionnement des différents
marchés sur lesquels opère l'agent considéré,
notamment les marchés du travail pour les prélèvements sur
les salaires.
Il est cependant très probable que l'achèvement de l'unification
monétaire en Europe suscite un renforcement de la concurrence fiscale
entre Etat membres. Si elle devait se déployer sans règles et
sans contraintes communes, cette concurrence aboutirait inéluctablement
à une moindre redistributivité des systèmes de
prélèvements obligatoires, à une réduction de la
protection sociale et une paupérisation des secteurs publics nationaux.
Pour contrer de telles évolutions, qui remettraient profondément
en cause le " modèle européen " jusqu'à présent
dominant -que l'on pourrait qualifier, à la suite des Allemands, "
d'économie sociale de marché "-, il convient, au minimum,
d'éviter la " concurrence fiscale dommageable ", en instituant des
règles qui encadrent et limitent les actions des Etats : le " code de
bonne conduite " actuellement négocié en Europe, mais
également la politique européenne de la concurrence et, à
une échelle plus large, les négociations conduites au sein de
l'OCDE peuvent sans doute y contribuer. Mais ces règles minimales
risquent de se révéler insuffisantes dans de nombreux domaines et
la dynamique de l'intégration européenne pourrait alors
requérir une nouvelle réflexion sur la manière de
concilier la subsidiarité et la souveraineté fiscale des Etats
membres avec une harmonisation plus poussée de pans entiers des
systèmes nationaux de prélèvements obligatoires, voire
avec l'émergence d'une véritable fiscalité
européenne : l'invention, pragmatique et progressive, d'un modèle
européen de " fédéralisme budgétaire et fiscal ".