SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
1. Procès-verbal (p. 1).
2. Loi de finances pour 2004. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 2).
Travail, santé et solidarité (suite) (p. 3)
II. - SANTÉ, FAMILLE, PERSONNES HANDICAPÉES
ET SOLIDARITÉ
MM. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées ; Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle.
MM. Paul Blanc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la solidarité ; Gilbert Barbier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la santé.
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
M. le ministre, Mmes la ministre déléguée, Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.
M. Guy Fischer, Mme le ministre délégué.
MM. Gilbert Barbier, le ministre.
MM. Bernard Cazeau, le ministre.
MM. Jean Boyer, le ministre.
MM. Jean-Pierre Cantegrit, le ministre.
Mmes Michelle Demessine, la secrétaire d'Etat.
MM. Yves Krattinger, le ministre.
MM. Dominique Leclerc, le ministre.
Mmes Nelly Olin, la secrétaire d'Etat.
MM. Christian Demuynck, le ministre.
M. Max Marest, Mme la ministre déléguée.
MM. Paul Blanc, le ministre.
M. Robert Del Picchia, Mme la ministre déléguée.
Crédits du titre III. - Adoption (p. 4)
Crédits du titre IV
Mmes Odette Terrade, la ministre déléguée, M. Jean Chérioux.
Adoption des crédits.
Crédits des titres V et VI. - Adoption (p. 5)
Suspension et reprise de la séance
Article 81 (p. 6)
Amendement n° II-13 de la commission. - MM. Jean-Philippe Lachenaud, au nom de la commission des finances ; le ministre. - Adoption.
Amendements n°s II-24 de M. Michel Mercier et II-38 de M. Alain Vasselle. - MM. Jean Boyer, Dominique Leclerc, Jean-Philippe Lachenaud, au nom de la commission des finances ; le ministre. - Retrait de l'amendement n° II-24 ; adoption de l'amendement n° II-38.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 81 (p. 7)
Amendement n° II-5 rectifié de M. Roland Muzeau. - MM. Roland Muzeau, Jean-Philippe Lachenaud, au nom de la commission des finances. - Irrecevabilité.
Article 82 (p. 8)
M. Bernard Cazeau.
Amendement n° II-25 de M. Jean Boyer. - MM. Jean Boyer, Jean-Philippe Lachenaud, au nom de la commission des finances. - Retrait de l'amendement n° II-25.
Reprise de l'amendement n° II-25 rectifié par M. Roland Muzeau. - MM. le ministre, Roland Muzeau, Bernard Cazeau. - Rejet.
Amendement n° II-26 de M. Jean Boyer. - Devenu sans objet.
Adoption de l'article.
Affaires étrangères (p. 9)
MM. Jacques Chaumont, rapporteur spécial de la commission des finances pour les affaires étrangères ; Michel Charasse, rapporteur spécial de la commission des finances pour l'aide au développement ; Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères pour les affaires étrangères ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères pour les relations culturelles extérieures et la francophonie ; Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères pour l'aide au développement ; Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour les relations culturelles extérieures ; MM. Jacques Legendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour la francophonie ; André Dulait, président de la commission des affaires étrangères ; Gilbert Barbier, Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Jacqueline Gourault, M. Robert Del Picchia, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Aymeri de Montesquiou, Mme Josette Durrieu, M. Jean-Pierre Cantegrit, Mme Hélène Luc.
Suspension et reprise de la séance (p. 10)
3. Désignation d'un sénateur en mission (p. 11).
4. Loi de finances pour 2004. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 12).
Affaires étrangères (suite) (p. 13)
MM. Guy Penne, Serge Mathieu, Paul Dubrule, AndréFerrand.
Suspension et reprise de la séance (p. 14)
MM. Jacques Pelletier, Christian Cointat, Yves Dauge, Louis Duvernois, Hubert Durand-Chastel, Daniel Goulet.
MM. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères ; Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Crédits du titre III (p. 15)
Mme Hélène Luc.
Adoption des crédits.
Crédits des titres IV à VI. - Adoption (p. 16)
Articles additionnels avant l'article 72 (p. 17)
Amendement n° II-43 rectifié de M. Christian Cointat. - MM. Christian Cointat, Jacques Chaumont, rapporteur spécial de la commission des finances ; le ministre délégué, Michel Charasse, Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° II-44 de M. Christian Cointat. - MM. Christian Cointat, le rapporteur spécial, le ministre délégué. - Retrait.
5. Ordre du jour (p. 18).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
LOI DE FINANCES POUR 2004
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004 (n° 72, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale [Rapport n° 73 (2003-2004).]
L'exécution de cet exercice a été marquée par la régulation budgétaire,
Travail, santé et solidarité (suite)
II. - SANTÉ, FAMILLE, PERSONNES HANDICAPÉES
ET SOLIDARITÉ
M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le travail, la santé et la solidarité : II. - Santé, famille, personnes handicapées et solidarité (et les articles 81 et 82).
J'indique au Sénat que, pour cette discussion, la conférence des présidents a opté pour la formule fondée sur le principe d'une réponse immédiate du Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou orateurs des groupes.
Ainsi, les ministres répondront immédiatement et successivement au rapporteur spécial, puis aux deux rapporteurs pour avis et, enfin, à chaque orateur des groupes.
Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de discussion.
Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur ; ce dernier disposant d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
J'invite chaque intervenant à respecter l'esprit de la procédure, qui repose sur des questions précises et en nombre limité, et les temps de parole impartis.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, les crédits du budget de la santé, de la famille, des personnes handicapées et de la solidarité s'établiront à près de 11,18 milliards d'euros en 2004, contre 15,48 milliards d'euros en 2003. C'est une diminution mais elle n'est qu'apparente puisque, à périmètre constant, le budget présente un taux de croissance de 3,8 %.
Ce budget est avant tout un budget d'intervention, les dépenses du titre IV constituant plus de 88 % des crédits.
Ce budget comporte six agrégats. Trois d'entre eux sont gérés par le ministre de la santé, deux par le ministre des affaires sociales et du travail, tandis que le dernier relève d'une compétence partagée.
Première observation : l'exécution budgétaire de 2002 traduit certaines améliorations. Les crédits inscrits en loi de finances initiale en 2002 étaient de 14,8 milliards d'euros. Les crédits ouverts se sont élevés, en fin d'année, à plus de 17,7 milliards d'euros.
L'exécution de cet exercice a été marquée par la régulation budgétaire, qui a entraîné un rythme d'engagements des crédits, déséquilibré, puisque « un peu plus de 30 % du nombre des engagements juridiques et comptables de l'année 2002 ont été présentés au visa du contrôle financier à partir du mois de novembre ».
En dépit de ces difficultés, on a assisté à un apurement de certaines dettes sociales de l'Etat grâce au collectif d'été. Je note néanmoins une dette que l'Etat détient encore à l'égard de l'assurance maladie au titre de l'interruption volontaire de grossesse, l'IVG, à hauteur de 18,5 millions d'euros.
Deuxième observation, l'exécution budgétaire de 2003 témoigne de quelques difficultés que je vais relever.
Ces difficultés tiennent aux annulations de crédits pour 104 millions d'euros à la régulation qui a porté sur 130 millions d'euros. Ces dispositions ont créé de réelles difficultés de fonctionnement au ministère de la santé, qui a même été contraint de réquisitionner certaines entreprises pour les travaux de réhabilitation de l'immeuble situé avenue de Ségur.
Il faut toutefois reconnaître que les mesures de régulation ne sont pas seules en cause, monsieur le ministre. Je pense que votre administration a parfois des difficultés à gérer certaines dépenses.
Je note également, toujours à propos de cet exercice, que le ministère de la santé a supporté seul le financement de la campagne de communication sur la réforme des retraites.
Ma troisième observation porte sur l'application de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Dans le cadre de sa mise en place, il est envisagé de créer deux missions : une mission « solidarité et intégration » et une mission « politique de santé ». Toutefois, plusieurs catégories de crédits relevant de politiques interministérielles, il est prévu de recourir, selon le cas, soit à une mission interministérielle, soit à un projet coordonné de politique interministérielle.
Je note, et c'est peut-être la remarque la plus importante, qu'il est envisagé de créer un programme qui serait commun aux deux missions évoquées, ce qui n'est pas dans l'esprit de la LOLF. Vous aurez sans doute à coeur, monsieur le ministre, de m'apporter des précisions à cet égard.
Le projet annuel de performance esquissé est encore lacunaire et les indicateurs de résultats sont très partiels. Les indications du ministère laissent penser que la structuration présentée n'est pas destinée à être pérenne, compte tenu du fait que les problèmes traités peuvent encore faire l'objet de regroupements. Un travail important de réflexion doit donc encore être mené. Je souhaite obtenir des précisions sur les modifications que vous souhaitez apporter.
Quatrième observation, les orientations budgétaires pour 2004 sont satisfaisantes.
Le budget de la santé, de la famille, des personnes handicapées et de la solidarité est de manière générale un budget très contraint.
Il faut à cet égard noter que cet exercice sera marqué par le transfert aux départements de près de 5 milliards d'euros de crédits au titre du revenu minimum d'insertion, le RMI.
Je rappelle que s'agissant des minima sociaux, l'allocation adulte handicapé, l'AAH, l'allocation de parent isolé et la contribution de l'Etat au fonds de financement de la couverture maladie universelle représentent, à elles seules, 57 % des crédits du fascicule.
Pour autant, ce projet de budget fait clairement apparaître des actions prioritaires.
Bien entendu, la plus importante et la plus visible concerne la lutte contre le cancer, qui fera l'objet d'un effort important, avec 18 millions d'euros de mesures nouvelles, dont 11 millions d'euros pour la création d'un institut du cancer. Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous précisiez les missions de cet institut, la date de sa mise en place et ce que l'on peut en attendre.
En ce qui concerne la politique en faveur des personnes handicapées, chacun sait l'effort que vous avez fait, madame la secrétaire d'Etat, mais je laisserai à mon collègue M. Paul Blanc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la solidarité, le soin de l'évoquer, car nous sommes tous tenus par les temps. Je tiens pour ma part à saluer cet effort qui est très substantiel et que j'ai constaté dans mon propre département.
Des efforts, que je veux saluer sont également faits, monsieur le ministre, pour rationaliser l'organisation des agences sanitaires, qui concernera les relations des agences entre elles. Il faut éviter les chevauchements, les doublons.
Vous avez annoncé la mise en place d'une agence de biomédecine.
Je souhaite vous demander en quoi consistera cet effort de rationalisation pour rechercher plus d'efficacité, un meilleur rendement des crédits investis et ce que cela changera dans les relations des agences entre elles, d'une part, et dans leurs relations avec les services du ministère, d'autre part.
Tout cela doit être mieux articulé, et j'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous en dire plus à ce sujet.
Parallèlement à ces actions, doit être relevé un effort de maîtrise de certaines dépenses qui touche, notamment, les interventions interministérielles de lutte contre la drogue, la toxicomanie, les dépenses de personnel et les crédits d'intervention en faveur des droits des femmes.
A ce propos, madame la ministre, je saisis l'occasion qui m'est donnée ici pour vous dire que j'apprécie - et j'ai fait des contrôles car c'est le rôle des parlementaires, en particulier des membres de la commission des finances - les efforts que vous avez faits pour rationaliser les interventions en faveur des associations. Il y avait beaucoup à faire. C'est l'un des moyens d'intervention du ministère ; il est essentiel pour vous, je le sais. Je ne peux que vous encourager à continuer dans la voie dans laquelle vous vous êtes engagée.
Madame la ministre, je souhaite que vous nous précisiez vos intentions en ce qui concerne l'aide médicale de l'Etat, le calendrier prévu et le projet de décret attendu.
Monsieur le ministre, je me tourne vers vous pour vous poser deux questions qui n'étaient pas prévues dans mon projet d'intervention mais que l'actualité impose.
Pouvez-vous nous dire aujourd'hui quels sont très exactement vos réflexions et vos projets, si vous en avez, en ce qui concerne les relations entre la médecine de ville et l'hôpital ? Comment faire pour éviter l'engorgement des hôpitaux pour des cas qui ne justifient pas une hospitalisation ?
Par ailleurs, c'est aujourd'hui la journée mondiale de lutte contre le sida. Pouvez-vous faire le point sur les actions menées dans ce domaine ? J'ai entendu ce matin sur les ondes qu'en France les nouveaux cas de sida étaient d'environ 1 800 chaque année. C'est une situation, hélas ! stable. Peut-on espérer la redresser ?
Telles sont les questions que je souhaitais vous poser, en vous indiquant que la commission des finances émettra un avis favorable à l'adoption de votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le rapporteur spécial, vous m'avez d'abord interrogé sur l'évolution de la structure de programmes de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Nous avons adopté, dès janvier, une structure de programmes qui reflète les missions de nos ministères, afin que les services soient en mesure de décliner au cours de l'année des objectifs de performance, des propositions d'indicateurs pour chaque programme.
Mais le cas des actions de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la MILDT, et des actions dites « support » n'était pas formalisé dans la structure de programme initiale dans l'attente des orientations transverses du ministère des finances.
S'agissant des crédits de la MILDT, qui ne représentent que 38 millions d'euros, nous n'avons pas retenu de mission interministérielle. Ces crédits devaient s'inscrire dans la mission « politique de santé ». Nous sommes favorables à un programme propre. Le caractère interministériel pourrait être assuré par un projet coordonné de politique interministérielle, le PCPI, qui, bien que n'étant pas un outil budgétaire au sens de la LOLF, contribuerait à coordonner les objectifs des différents ministères concernés.
S'agissant du programme support, la structure actuelle a vocation à évoluer. Nous sommes face à une difficulté compte tenu de l'organisation actuelle des services, notamment des services déconcentrés qui dépendent de deux ministères et opèrent au profit de deux missions. Je suis partisan de la définition d'un programme support au sein de la mission de politique de santé.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jean-François Mattei, ministre. D'autre part, nous souhaitons intégrer dans les programmes opérationnels - santé publique et prévention, veille et sécurité sanitaires, offre de soins et qualité du système de soins - les ressources en effectif ne relevant que du domaine sanitaire, c'est-à-dire de la direction générale de la santé et de la direction de l'hospitalisation ainsi ainsi que de l'organisation des soins.
Vous m'avez également interrogé sur le « plan cancer ». Je vous répondrai brièvement, car, au début du mois de janvier prochain, nous examinerons en première lecture dans cet hémicycle le projet de loi relatif à la politique de santé publique, qui prévoit un article définissant très clairement les missions de l'Institut national du cancer chargé de coordonner les actions de lutte contre le cancer.
Ses missions sont les suivantes : observation, évaluation du dispositif de lutte contre le cancer, définition de référentiels de bonne pratique et de prise en charge en cancérologie ainsi que des critères d'agrément des établissements et des professionnels de santé pratiquant la cancérologie, information des professionnels et du public sur l'ensemble des problèmes relatifs au cancer, participation à la mise en place et à la validation d'actions de formation médicale et paramédicale continue des professions et des personnes intervenant dans le domaine de la lutte contre le cancer, mise en oeuvre, financement, coordination d'actions particulières de recherche et de développement et désignation d'entités et d'organisations de recherche en cancérologie répondant à des critères de qualité en liaison avec les organismes publics de recherche concernés, développement et suivi d'actions communes entre opérateurs publics et privés en cancérologie dans les domaines de la prévention, de l'épidémiologie, du dépistage, de la recherche, de l'enseignement, des soins et de l'évaluation, participation au développement d'actions européennes et internationales, réalisation, à la demande des ministres intéressés, de toute expertise sur les questions relatives à la cancérologie et à la lutte contre le cancer.
Cet institut établira un rapport d'activité annuel, transmis au Gouvernement et au Parlement.
Voilà, monsieur Gouteyron, ce que je peux vous dire sur l'Institut national du cancer, dont nous reparlerons plus abondamment lors de la discussion du projet de loi relatif à la politique de santé publique.
En ce qui concerne les agences de sécurité sanitaire, je vous rappelle que la politique de veille et de sécurité sanitaires s'appuie aujourd'hui sur l'action des six agences nationales que sont l'AFSSAPS, l'Agence française de sécurité sanitaire pour les produits de santé, l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire pour l'alimentation, l'AFSSE, l'Agence française de sécurité sanitaire pour l'environnement, l'EFG, l'Etablissement français des greffes, l'INVS, l'Institut national de veille sanitaire, et l'ANAES, l'Agence nationale pour l'accréditation et l'évaluation en santé.
La loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle sanitaire des produits destinés à l'homme, à laquelle le Sénat a fortement contribué, a ainsi permis de mettre en place un dispositif de bonne qualité. Mais des progrès restent à faire. Je suis persuadé, par exemple, que l'Etablissement des greffes a en commun avec une agence qui était prévue dans la loi de bioéthique les démarches éthiques et de sécurité sanitaire, ainsi que l'unité de raisonnement autour du traitement du vivant par le vivant. En effet, lorsque l'on travaille sur un organe, sur des tissus, des cellules, des gènes, on sort de la thérapie chimique traditionnelle : c'est le vivant au service du vivant.
L'intention du Gouvernement est donc de regrouper, dans un premier temps, toutes ces stratégies utilisant le vivant comme matière première au service du vivant, en une agence de biomédecine. Mais, comme la frontière est de moins en moins délimitée entre la thérapie génique, et la thérapie médicamenteuse classique et que l'on est, malgré tout, dans un raisonnement thérapeutique, dans un second temps, peut-être en 2005, on pourrait procéder à un regroupement de l'agence de biomédecine et de l'AFSSAPS en une seule grande agence qui serait l'agence de biomédecine et de produits de santé.
Vous m'avez aussi questionné sur le sida, sujet ô combien d'actualité. En effet, l'épidémie, loin de se réduire, n'est pas même contenue, en dépit et peut-être à cause des traitements par trithérapies qui ont été annoncés il y a quelque temps. L'habitude, la croyance en l'efficacité des traitements ont fait ressurgir les comportements à risque, qui ont tendance à ressurgir et à se répéter. La lutte contre cette épidémie devrait bénéficier d'un certain nombre d'actions de prévention que le Gouvernement remet sur le devant de la scène, notamment une prochaine campagne du ministère de la santé et de l'Institut national pour la prévention et l'éducation en santé mettant l'accent sur les préservatifs et rappelant combien la prévention est importante.
Il s'avère qu'un grand nombre de personnes atteintes du sida découvrent leur séropositivité au moment où elles tombent malades, sans avoir été dépistées précédemment, et ces personnes n'ont donc pu bénéficier d'un traitement précoce. Nous allons relancer l'action pour le dépistage anonyme et gratuit permettant ainsi de prendre en charge les personnes suffisamment tôt.
Vous le savez, l'année dernière, nous avons intégré les services de prise en charge du sida. C'est un peu l'originalité de l'approche française : la prévention, c'est bien, le traitement, c'est bien, mais c'est encore mieux quand les deux sont menés de pair. Ainsi, au niveau international, est menée l'action Esther, ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau contre le sida, qui fait partie des jumelages hospitaliers qui viennent compléter les actions de prévention.
En outre, la France, conformément au souhait du Président de la République, a triplé sa participation au Fonds mondial de lutte contre le sida, qui est passée de 50 millions d'euros à 150 millions d'euros. La France est donc largement présente sur le front de la lutte contre le sida et ne compte pas relâcher ses efforts.
Enfin, vous m'avez interrogé sur un sujet d'actualité : nos services d'urgences. Effectivement, depuis une semaine, compte tenu de l'afflux des patients, généralement de jeunes enfants atteints de bronchiolites, de syndromes grippaux ou de gastro-entérites, les services d'urgences sont de nouveau soumis à une pression importante.
Votre question portait précisément sur l'articulation entre la ville et l'hôpital. Nous avons, monsieur le rapporteur spécial, une excellente médecine libérale. Nous avons d'excellents services d'urgences. Mais une grève de sept mois de la médecine générale entre la fin de l'année 2001 et l'année 2002 a complètement désorganisé la permanence des soins en ville.
A la suite d'un rapport confié à votre ancien collègue Charles Descours, nous avons réorganisé la permanence des soins en ville. Les décrets sont parus voilà maintenant deux mois et la circulaire d'application est en cours d'élaboration. Les médecins libéraux doivent se réinvestir dans la permanence des soins.
J'ai été frappé d'apprendre, au cours des visites que j'ai effectuées jeudi soir à l'hôpital Trousseau, vendredi à l'hôpital Robert-Debré et hier au centre hospitalier d'Argenteuil, qui possède également une maison médicale, que, sur cent patients se présentant aux urgences, quatre-vingt-dix quittent l'hôpital après une simple consultation accompagnée d'une prescription. Cela veut dire qu'il n'y a pas lieu d'engorger les services des urgences et qu'il faut tout faire pour que la médecine de ville et l'hôpital travaillent mieux ensemble.
Je n'ai pas dit, contrairement à ce qui est écrit dans la presse, que les médecins de ville s'étaient désengagés. Je dis simplement que nous devons leur fournir un outil plus cohérent de façon que la médecine de ville et l'hôpital soient complémentaires.
Nous disposons maintenant, monsieur le rapporteur spécial, de tous les outils nécessaires. Il faut simplement faire preuve de pédagogie et retrouver des habitudes qui se sont perdues. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. Je remercie M. le ministre pour la précision et pour la qualité de ses réponses.
Je veux préciser dès maintenant, à propos des agences, puisque je n'aurai sans doute pas la possibilité de le faire lorsque ce texte viendra en discussion, que je m'associe, du moins moralement, à l'amendement visant à abaisser le taux de la taxe sur le chiffre d'affaires des dispositifs médicaux à 0,24 %, car il semble que ce taux soit suffisant pour obtenir le rendement que l'on recherche.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. François Fillon, retenu à Bruxelles par le Conseil de l'emploi, m'a chargée de le représenter.
Monsieur le rapporteur spécial, l'aide médicale de l'Etat, créée en 1999 dans le cadre de la loi instaurant la CMU, finance pour l'essentiel les frais médicaux des étrangers en situation irrégulière.
Les incohérences que nous avons perçues dans sa conception, les mauvaises estimations initiales de son coût comme les défaillances de son contrôle risquaient de remettre en cause la pérennité de ce dispositif.
Le Gouvernement a donc souhaité engager une réforme maintenant à la fois le principe de l'accès aux soins pour tous et le caractère exceptionnel de ce dispositif à vocation humanitaire.
Le dispositif initial était à la fois mal conçu, mal organisé, mal estimé et mal contrôlé, et les principes d'une bonne gestion du système de santé imposaient une nouvelle approche de cette question.
Le Gouvernement a donc la volonté d'achever et de mettre en oeuvre la réforme de l'AME avec un meilleur contrôle de l'ouverture des droits ; les textes réglementaires - décret en Conseil d'Etat, décret simple et circulaire - indispensables à la mise en oeuvre du contrôle de l'accès à l'AME seront présentés, monsieur le rapporteur spécial, dans les meilleurs délais, probablement d'ici à un ou deux mois.
Comme tous les assurés, les demandeurs de l'AME devront justifier de leur identité, de leur domicile et de leurs ressources.
L'instauration d'un délai de trois mois avant l'accès à l'AME est nécessaire à une bonne instruction des dossiers. Il existe déjà d'ailleurs pour la CMU. Bien entendu, l'accès aux soins urgents sera garanti pendant cette période transitoire. Là aussi, ces dispositions, qui figureront dans le projet de loi de finances rectificative, permettront une application extrêmement rapide.
L'application d'un ticket modérateur sera prévue : la participation financière des bénéficiaires sera introduite avec un montant plafonné afin de préserver le principe de l'accès aux soins de tous. Surtout, comme tous les assurés, les personnes atteintes de pathologies graves - sida ou cancer - les femmes enceintes, les enfants mineurs, de même que les actes de prévention tels que la vaccination ou le dépistage continueront d'être intégralement pris en charge.
Le projet du Gouvernement est donc équilibré et vise à responsabiliser les bénéficiaires tout en leur garantissant l'accès au système de soins.
Ainsi réformé, le système d'accès aux soins français reste parmi les plus complets et les plus protecteurs au sein des pays de l'Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, rapporteur pour avis.
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la solidarité. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de budget que nous examinons cette année est à replacer dans un contexte particulier : celui du transfert du RMI aux départements, qui donne le coup d'envoi de l'« acte II de la décentralisation ».
Ce dispositif sera complété par la création du RMA et par la décentralisation des fonds d'aide aux jeunes, à partir de 2005. Il accorde aux conseils généraux la maîtrise de l'ensemble des outils permettant d'apporter une réponse de proximité aux situations d'exclusion sociale.
La discussion de la première partie du projet de loi de finances nous a déjà permis d'approfondir les conditions de la compensation aux départements de ce transfert de compétence, et le rendez-vous fixé en 2005 sera l'occasion d'établir avec précision le périmètre de ces charges, y compris celles qui résultent de la gestion de l'allocation et des réformes de l'assurance chômage.
C'est ce même pari des responsabilités locales qui présidera à la décentralisation, en 2005, des établissements de formation en travail social. Le projet de budget pour 2004, qui achève la rénovation de ce secteur, nous autorise à envisager dans la sérénité leur transfert aux régions.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la compensation de ce transfert en 2005 ne se limitera pas aux dépenses constatées en 2004 et qu'elle inclura le financement de l'extension, en année pleine, des places de formation en travail social ouvertes à la rentrée 2004 par le présent projet de budget ? Par ailleurs, dans la mesure où la dotation des fonds d'aide aux jeunes n'est pas individualisée en loi de finances, pouvez-vous nous en préciser le montant pour l'année à venir, puisque c'est elle qui servira de base à la compensation ?
Compte tenu de la dégradation de la situation économique et de ses inévitables répercussions budgétaires, le Gouvernement a parfois été contraint de faire des choix et de hiérarchiser ses priorités. Les besoins sociaux sont tels que certains pourraient contester ces choix ou regretter qu'un effort plus substantiel n'ait pas été engagé : l'aurait-on fait que les critiques n'auraient pas manqué, dénonçant un saupoudrage de crédits sans stratégie globale ou un relèvement, par force inévitable, des prélèvements obligatoires.
J'approuve donc la démarche du Gouvernement qui consiste non pas à dépenser plus, au mépris de l'équilibre de nos finances publiques et donc du contribuable, mais à dépenser mieux, en misant sur le partenariat entre l'Etat, les collectivités locales et le monde associatif, ce qui est le véritable sens de la solidarité nationale.
En définitive, le projet de budget pour 2004 relève un défi qui aurait pu sembler impossible : financer des chantiers nouveaux, malgré une situation économique et budgétaire tendue. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la solidarité pour 2004.
Le projet de budget pour 2004 parvient d'abord à dégager les marges de manoeuvre nécessaires au financement des nouvelles priorités qui résultent du plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion pour la période 2003-2005 et auxquelles, sur l'ensemble de la période, un milliard d'euros sera consacré.
Dans ce cadre, un effort particulier est consenti, en 2004, à l'assainisement de la situation budgétaire des centres d'herbergement et de réinsertion sociale, les CHRS, au développement du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile et à la préparation du transfert aux régions de l'appareil de formation en travail social.
Il reste que les minima sociaux qui relèvent toujours de l'Etat, l'allocation de parent isolé, l'API, l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, et l'aide médicale d'Etat, l'AME, représentent encore près de 83 % des crédits consacrés à la lutte contre les exclusions. Les dotations prévues par le projet de budget pour 2004 se fondent toutefois sur une hypothèse d'évolution de ces allocations sensiblement moins dynamique que les années précédentes, soit une augmentation de 1,8 % contre 9,5 % en 2003, et cela m'intrigue.
Je m'interroge notamment sur le ralentissement prévu de la progression du nombre de bénéficiaires de l'AAH, qui me paraît relever davantage d'un objectif volontariste que de l'évolution spontanée du nombre d'allocataires. Par conséquent, quelles sont les actions que le Gouvernement compte mettre en oeuvre pour tenir cet objectif sans remettre en cause les conditions d'attribution de l'allocation ? Pour être plus direct, peut-on espérer améliorer l'insertion professionnelle des personnes handicapées, notamment celles dont le taux d'incapacité se situe entre 50 % et 80 % ? Est-elle possible tant que la réforme de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 n'est pas adoptée ?
Vous savez combien notre commission est attachée à la réforme de cette loi et, dans cette attente, elle a tenu à saluer les progrès que laisse espérer le présent projet de budget.
Malgré l'arrivée à échéance des plans quinquennal et triennal, le rythme de création de places en établissements pour enfants et adultes handicapés ne s'est pas ralenti. A ce sujet, madame le secrétaire d'Etat, vous avez indiqué à la commission des affaires sociales que vous comptiez fixer deux priorités aux services déconcentrés : achever les opérations partiellement financées, et lancer des opérations nouvelles pour l'accueil des personnes polyhandicapés et autistes.
L'aspiration légitime des personnes handicapées à vivre de façon autonome à domicile est désormais prise en compte par nos politiques publiques, grâce au développement des services d'auxiliaires de vie et à l'achèvement du dispositif des sites pour la vie autonome.
L'intégration scolaire des enfants handicapés est enfin consacrée comme une mission à part entière de l'éducation nationale, qui assume dorénavant la responsabilité du dispositif des auxiliaires de vie scolaire.
Il reste que les attentes des personnes handicapées et de leurs familles ont changé, tant à l'égard des modalités de la prise en charge institutionnelle que dans le domaine de l'égalité des droits et des chances. Cette évolution s'est traduite par la revendication d'un droit nouveau : le droit à compensation.
Le Premier ministre a inscrit ce droit dans la perspective de la création d'une nouvelle branche au sein de notre régime de protection sociale, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA. Dès 2005, il est prévu que cette caisse consacre 850 millions d'euros au financement d'une prestation de compensation du handicap, dont votre commission des affaires sociales demandait l'instauration depuis deux ans.
Il est vraisemblable que le coût de cette nouvelle prestation sera au moins équivalent à celui de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, et qu'il nécessitera des financements complémentaires. J'aimerais donc savoir, madame le secrétaire d'Etat, si le Gouvernement a d'ores et déjà chiffré le coût de cette future prestation. Sa création s'accompagnera-t-elle du maintien de l'actuelle allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, ou, à tout le moins, du transfert des sommes qui y étaient consacrées par les départements ?
Enfin, comme tous les ans, mais particulièrement cette année compte tenu de la décentralisation de nouveaux dispositifs d'aide sociale, j'ai souhaité faire porter mon analyse sur l'évolution des dépenses d'action sociale décentralisées.
Ces dépenses ont connu une progression sans précédent de 12 % en 2002, puis de 19 % en 2003, pour atteindre plus de 15 milliards d'euros. Une telle évolution n'avait pas été observée depuis la décentralisation de 1983. Cette progression est liée à trois facteurs : tout d'abord, l'évolution normale des coûts, compte tenu de l'indexation des salaires sur les prix et des places créées, notamment dans le domaine du handicap afin d'adapter l'offre de service aux besoins ; ensuite, la montée en charge de l'APA ; enfin, l'inflation du coût des prestations en établissements et en services sociaux et médicosociaux.
Ce dernier point donne une acuité particulière à la question de la maîtrise des dépenses de personnel, car celles-ci représentent les deux tiers des dépenses de fonctionnement des établissements. Or, après plusieurs années de modération salariale forcée pour cause de réduction du temps de travail, les dépenses de personnel repartent à la hausse, sans que le poids des 35 heures ait pour autant été entièrement digéré. A titre d'exemple, la sortie des aides « Aubry II », qui avaient un caractère temporaire, n'a pas été anticipée dans l'élaboration des budgets des établissements et génère un besoin de financement de l'ordre de 260 millions d'euros.
Les engagements conventionnels pour la période 2003-2006 s'élèvent déjà à 375 millions d'euros, soit une augmentation de 2,2 % de la masse salariale des établissements, et ce avant même toute négociation sur la valeur du point, et alors que plusieurs accords restent en attente d'agrément.
Il en résulte les questions suivantes : les établissements sociaux et médicosociaux se trouvent dans une situation paradoxale, soumis au droit du travail, mais financés entièrement sur des fonds publics. Les contraintes conventionnelles et la modification du régime des allégements de charge seront-elles prises en compte lors de la détermination par les financeurs publics des dotations pour 2004 ? La fixation annuelle par l'Etat des paramètres d'évolution de la masse salariale permettra-t-elle de mieux maîtriser la dépense de personnel ?
Enfin, l'année 2004 sera celle de la rénovation du cadre budgétaire et comptable de ces établissements. Le nouveau décret pris en application de la loi du 2 janvier 2002 renforce la responsabilité des gestionnaires, grâce à une nouvelle procédure contradictoire de fixation des budgets et à des enveloppes de financement opposables. Je me félicite de cette modernisation, en suspens depuis deux ans, qui devrait permettre de donner des perspectives financières claires, tant aux établissements qu'aux financeurs.
J'observe toutefois que, malgré l'adoption de ce nouveau décret, les conditions de financement de l'accueil des jeunes adultes maintenus dans des établissements d'éducation spéciale au titre de l'amendement Creton ne sont toujours pas clarifiées et que la pratique actuelle, qui consiste à partager le financement de ces mesures entre l'Etat, le département et l'assurance-maladie, risque toujours d'être remise en cause par la jurisprudence. Ne croyez-vous pas qu'il aurait été plus raisonnable de donner une base juridique sûre à ce financement dans le nouveau décret ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, rapporteur pour avis.
M. Gilbert Barbier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la santé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les crédits du ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées progressent, pour 2004, de 1,4 % à périmètre constant. Les dotations s'élèvent à 9,605 milliards d'euros et intègrent les crédits de gestion des politiques sanitaires et sociales, cogérés avec le ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
Hors minima sociaux, les crédits disponibles augmentent de 0,9 % pour financer, en particulier, la santé publique, le plan de lutte contre le cancer et la remise à niveau des subventions aux agences sanitaires. Dans un contexte budgétaire fortement contraint qui a conduit le Gouvernement à opérer des choix difficiles, cette progression témoigne de l'intérêt qu'il porte au domaine de la santé.
Mon analyse concernera plus précisément les agrégats 21 « santé publique et sécurité sanitaire » et 22 « offre de soins et accès aux soins », ainsi que les mesures les plus importantes prévues par ce texte. Il nous est toutefois difficile de ne pas resituer le débat dans l'environnement plus large dans lequel évolue le secteur de la santé. Je pense, en particulier, aux deux projets de loi relatifs l'un aux responsabilités locales, l'autre à la politique de santé publique, tous deux en cours d'adoption par le Parlement, et bien entendu au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, que nous venons d'adopter.
Cette année, le budget de la santé s'inscrit dans la perspective de la réforme de la politique de santé publique. La volonté de mettre en cohérence les actions de santé publique et de prévention apparaît clairement dans l'agrégat « santé publique et sécurité sanitaire », doté de 322 millions d'euros pour 2004.
Y est inclus, notamment, un programme intitulé « santé publique et prévention », pour 189 millions d'euros, qui préfigure à la fois ce que devra être, demain, notre politique de santé publique, mais également la présentation des crédits telle qu'elle a été rendue obligatoire par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Il se présente comme l'ébauche d'un futur « projet annuel de performance » qui, à terme, devrait intégrer les dépenses de sécurité sanitaire, compte tenu des liens très étroits existant entre cette dernière et les politiques de prévention.
L'objectif du programme « santé publique et prévention » a été déterminé en fonction de l'état sanitaire de notre pays, et plus particulièrement au regard du déséquilibre qui existe entre les dépenses engagées au titre de la prévention - environ 3,6 milliards d'euros par an - et celles qui sont engagées au titre des soins curatifs, soit quelque 154,4 milliards d'euros. Ces chiffres suffisent à mesurer le retard qui reste à combler avant d'établir une véritable politique de prévention.
De ce constat et des travaux préparatoires au projet de loi relatif à la politique de santé publique découlent les objectifs du programme : diminuer la « mortalité évitable », selon la nouvelle terminologie ; améliorer la qualité de vie des personnes malades et lutter contre les incapacités ; réduire les inégalités d'accès à la prévention ; enfin, renforcer les connaissances disponibles en matière de santé publique et leur diffusion en améliorant les sytèmes d'information et en favorisant la recherche et la formation.
Pour atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés, vous avez choisi, monsieur le ministre, d'agir sur les déterminants de santé.
Je ne peux qu'apporter mon entier soutien au plan de mobilisation contre le cancer que vous avez évoqué, annoncé par le Président de la République le 24 mars dernier, et me réjouir qu'il franchisse une étape décisive dès 2004 avec la généralisation du programme de dépistage organisé du cancer du sein et la création de l'Institut national du cancer. Au total, 59 millions d'euros seront consacrés à ce projet, dont 18 millions d'euros de mesures nouvelles.
Dans le même souci, 27 millions d'euros seront affectés à la lutte contre le tabac et l'alcool, dont la consommation est un facteur de risque de pathologie évitable. L'année 2004 doit en outre être l'occasion de donner une nouvelle impulsion à l'action de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, à laquelle 38 millions d'euros seront alloués.
Enfin, dans le cadre général, d'autres mesures sont prévues, notamment dans le domaine de la santé mentale et du suicide, ou encore des traumatismes par accident et violence.
Ma première question, monsieur le ministre, sera relative à la notion de prévention. Vous avez, à plusieurs reprises, fait part de votre volonté d'insérer un volet préventif plus important au sein de notre système de santé, et cette préoccupation est visible y compris dans la présentation des agrégats budgétaires. Pouvez-vous nous exposer brièvement les différents niveaux de prévention, je pense notamment à la distinction entre la prévention destinée à des sujets sains en matière de lutte contre la consommation de tabac ou d'alcool, et le dépistage, qui est un acte médical, à l'égard de sujets potentiellement malades ? Pouvez-vous nous préciser en particulier quel niveau doit atteindre, selon vous, le préventif par rapport au curatif dans notre système de soins ?
J'aborderai maintenant notre système de sécurité sanitaire, qui a été mis à rude épreuve cette année, qu'il s'agisse de la crise du printemps dernier, avec l'épidémie de SRAS, ou des conséquences de l'épisode caniculaire de cet été. Ces épisodes ont montré la nécessité de renforcer la cohérence et l'efficacité des systèmes d'alerte et de prévention en coordination avec la sécurité civile.
Aujourd'hui, la politique de veille et de sécurité sanitaire s'appuie sur l'action de six agences nationales spécialisées par secteur entre lesquelles le Gouvernement répartit une dotation de 75 millions d'euros. Ces crédits ne sont pas, il faut le souligner, l'unique source de financement de ces agences puisqu'elles peuvent également recevoir des dotations en provenance de l'assurance-maladie - c'est le cas de l'ANAES, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé -, ou percevoir des ressources propres - comme l'AFSSAPS, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui perçoit des taxes et des redevances sur les médicaments.
Ces dotations budgétaires devraient permettre la création de trente-cinq postes supplémentaires, répartis entre les agences. Monsieur le ministre, vous venez de répondre à notre rapporteur spécial, Adrien Gouteyron, sur la nécessité de rationaliser le rôle de chacune des agences afin d'éviter les chevauchements de compétences en annonçant la création de l'Agence de biomédecine, prévue dans le projet de loi relatif à la bioéthique.
En outre, la redéfinition des compétences attribuées à l'Institut national de veille sanitaire figure parmi les dispositions du projet de loi relatif à la politique de santé publique et de nouvelles compétences seront attribuées à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé.
Je souscris pleinement, monsieur le ministre, à la demande de rationalisation et de réorganisation des agences que j'avais moi-même formulée dans mon rapport sur le projet de budget pour 2003.
Après avoir présenté les grandes lignes de l'agrégat « santé publique et sécurité sanitaire », je voudrais évoquer quelques points saillants de l'agrégat « offre de soins et accès aus soins », dont le montant s'élève à 1,2 milliard d'euros pour 2004, dont 957 millions d'euros sont affectés à la seule couverture maladie universelle.
Permettez-moi à ce sujet de développer plus particulièrement les deux points essentiels que sont, d'une part, la rationalisation et l'amélioration de l'offre de soins et, d'autre part, l'organisation et la régulation des professions de santé.
Aujourd'hui, la politique en matière d'offre de soins est très largement financée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment au moyen de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie, le fameux ONDAM.
L'Etat ne prend désormais plus en charge les dépenses d'investissement des hôpitaux puisque, avec la disparition du fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO, ces financements sont assurés par l'intermédiaire de l'assurance-maladie. L'Etat ne joue plus qu'un rôle de régulation en s'assurant de la bonne répartition de l'offre de soins sur tout le territoire et en finançant les agences régionales de l'hospitalisation, les ARH.
Les moyens des ARH - 19,2 millions d'euros en 2004 - ont été maintenus pour leur permettre de faire face au missions nouvelles que leur avait assignées la loi visant à simplifier le droit : transfert des pouvoirs de police du ministre de la santé au directeur de l'ARH, nouvelles compétences en matière de planification sanitaire, puis celles résultant du plan Hôpital 2007 qui fixe leurs priorités pour les cinq années à venir, enfin celles qui conduiront à mettre en oeuvre la tarification à l'activité que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 vient d'entériner.
Dans le souci de soutenir le plan Hôpital 2007, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 avait déjà créé deux missions chargées d'apporter une expertise technique : l'agence technique d'information sur l'hospitalisation, l'ATIH, et la mission d'expertise et d'audit hospitalier, la MEAH, dont l'Etat continue d'assurer le financement, aux côtés des ARH.
Ces mesures illustrent la nouvelle organisation de notre système de santé, qui multiplie les cofinancements et rationalise les interventions repectives de l'Etat, de l'assurance-maladie, des collectivités locales, et d'autres opérateurs, et dans lequel l'Etat conserve un rôle de maîtrise d'oeuvre et de maîtrise d'ouvrage.
Dans ce bref panorama de la politique de santé, le dernier point que je voudrais aborder concerne les professions de santé.
Lors de votre audition devant notre commission, monsieur le ministre, vous vous êtes félicité des moyens supplémentaires prévus pour subventionner les instituts et écoles privés de formation des professionnels paramédicaux, auxquels 28 millions d'euros seront affectés, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2003.
L'augmentation du quota des élèves infirmiers passe de 26 436 à 30 000, soit une augmentation de 13 %. Cette amélioration globale de la situation constitue un préalable utile au transfert de ces formations aux régions.
Le projet de budget pour 2004 accorde également 4,7 millions d'euros de crédits de fonctionnement des conseils nationaux en charge de la formation médicale continue.
Ma troisième question concerne les professions de santé.
La presse, professionnelle ou généraliste, se fait l'écho du malaise des professions de santé. Abstraction faite des réactions corporatistes, il existe un vrai malaise professionnel, en ville comme à l'hôpital. Vous avez déjà agi pour augmenter le nombre d'étudiants dans les années à venir. Quelles autres mesures comptez-vous prendre ? Allez-vous développer une nouvelle répartition des tâches et des partages de compétences entre les professionnels de santé ?
Enfin, mes chers collègues, j'achèverai cet exposé par la présentation des deux articles rattachés, cette année, au budget de la santé : l'article 81 concerne les ressources propres de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et prévoit cinq majorations, justifiées par l'élargissement des missions de l'Agence, pour un montant évalué à 15 millions d'euros ; l'article 82 prévoit la mise en place d'un forfait unifié de prise en charge des dépenses de couverture maladie universelle complémentaire relevant d'une caisse d'assurance maladie ou d'un organisme complémentaire. Après l'avoir augmenté de près de 25 % en 2003, le Gouvernement poursuit l'ajustement de la déduction forfaitaire et la porte à 300 euros par an.
Par ailleurs - c'est le point que notre collègue Alain Vasselle avait abordé à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale -, cet article 82 prévoit que le fonds de financement de la couverture maladie universelle complémentaire allouera aux régimes obligatoires une dotation par bénéficiaire d'un montant égal à la déduction accordée aux organismes complémentaires.
Par conséquent, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l'adoption de l'ensemble des crédits de la santé pour 2004. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Guy Fischer au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. En ce qui concerne le champ de la prévention, monsieur le rapporteur pour avis, il faut arrêter de séparer artificiellement prévention et curatif. Ce qui est sûr, c'est que chaque fois que nous gagnons sur la prévention, c'est autant de plus que nous pouvons consacrer à faire encore mieux pour le soin. Nous avons du chemin à faire. Les mauvais chiffres de la mortalité prématurée en France, qui contrastent avec l'exceptionnelle longévité de notre population, sont là pour le rappeler à tous.
C'est le sens du discours constant que je tiens - vous avez bien voulu le rappeler - depuis que je suis arrivé à la tête de ce ministère de la santé. C'est la philosophie qui entoure la loi de santé publique que vous allez examiner dans quelques jours. Elle fixe la responsabilité de l'Etat sur la définition d'objectifs clairs et poursuivis dans la durée.
La prévention primaire, vous le savez, vise à traiter très en amont les déterminants des maladies. Vous connaissez les ravages du tabac sur la santé de nos concitoyens. Ils justifient la lutte acharnée que nous menons aujourd'hui. Mais bien d'autres fléaux doivent également être combattus : alcool, drogue, sida, sur lesquels il s'agit de ne pas relâcher la pression, car d'autres menaces se font déjà préoccupantes : pollution, nutrition... Et que dire des inégalités géographiques de santé qui, plus près de vous, constituent une justice inacceptable ?
Pensez-vous que l'on soit très loin du soin en matière de prévention secondaire lorsqu'on s'appuie sur des politiques de dépistage précoce pour y appliquer des thérapeutiques performantes ? Le dépistage du cancer du sein est l'exemple même de notre responsabilité collective. Nous devons nous en inspirer sur biens d'autres domaines et le plan Cancer vise, bien sûr, à nous donner ces ambitions.
En matière de sécurité sanitaire, qu'il s'agisse de risque infectieux ou environnemental, de nombreux exemples montrent aussi qu'il nous faut renforcer notre dispositif de veille sanitaire. Nos agences sanitaires doivent s'y employer au quotidien.
Pour résumer, s'agissant de cette question très importante, monsieur le rapporteur pour avis, la démarche du Gouvernement concerne à la fois le soin et la santé publique. Les deux se rejoignent, car le soin conduit à développer une prévention secondaire, voire primaire, dans le millieu familial, et la prévention peut permettre de dépister des personnes malades et de les faire entrer dans la filière de soins. Autrement dit, il y a deux approches différentes, mais, en réalité, la santé ne forme qu'un tout, qu'il s'agisse de la prévention ou du soin.
Je ne reviendrai pas longuement sur l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Naturellement, nous essayons de lui donner plus de moyen à la fois en personnel et en termes budgétaire. Nous essayons aussi de rationaliser ses actions en mutualisant les départements administratifs, les départements d'expertise et les compétences.
Cela dit, je vous le dis comme je le pense : les exigences en matière de sécurité s'accroissent tellement que je suis convaincu qu'au-delà des économies que nous pourrons réaliser en évitant les gaspillages et les abus, les besoins pour assurer notre sécurité sanitaire augmenteront régulièrement.
Le malaise dont vous avez fait état en ce qui concerne les professionnels de santé résulte d'une situation ancienne que nous essayons de faire évoluer point par point. S'agissant de la démographie, les numerus clausus sont désormais totalement débloqués ; j'y reviendrai plus en détail. Ces deux dernières années, nous avons augmenté de 20 % le nombre d'étudiants admis en première année de médecine. Le nombre des élèves infirmières est passé à trente mille. Il est clair que nous avons pris du retard. Il nous faudra, avec modestie et humilité, les uns et les autres d'ailleurs, revenir sur ce manque de prévoyance, qui nous conduit aujourd'hui à être confrontés à des difficultés invraisemblables.
En ce qui concerne les conditions d'exercice, l'offre de soins peut aussi être améliorée par l'organisation de transferts de compétences entre différentes professions. Telle est la proposition du rapport du doyen Berland, que je vais valider. Nous devons faire évoluer les limites des compétences des différentes professions de santé. Je ne prendrai qu'un exemple : la surveillance régulière de la tension artérielle chez un malade hypertendu. Les médecins ne sont pas les seuls à pouvoir assurer cette surveillance. Des professionnels paramédicaux correctement formés sont tout à fait capables de faire ce que l'on demande trop souvent aujourd'hui à des médecins. Il faudra donc insister sur les transferts de compétences. Nous allons mettre en oeuvre, dès le 16 décembre prochain, une série d'expérimentations. Mais tout cela n'est acceptable que dans la mesure où existent, en amont, l'évaluation de la qualité et la sécurité des soins.
Enfin, afin de permettre une amélioration de la qualité de vie de ces professionnels, nous sommes en train de discuter avec eux, notamment avec les médecins, sur une nouvelle classification commune des actes médicaux, qui situerait véritablement la valeur de chaque acte. En effet, avec le temps, des actes sont devenus aujourd'hui routiniers - ils ne doivent donc plus être appréciés au même niveau -, alors que d'autres ont pris une importance considérable. Une commission tripartite réunissant les professionnels, les caisses et le ministère mène une réflexion à cet égard. Nous progressons, et cela me paraît extrêmement important.
Enfin, les médecins se sentiront d'autant mieux qu'ils seront intégrés dans un véritable corps de santé, conservant certes les spécificités libérale et hospitalière, mais qui ne sépare pas deux mondes juxtaposés. Il faut, au contraire, qu'ils apprennent à travailler ensemble. Ainsi, chacun trouvera chez son confrère le soutien et le conseil nécessaires, jusque et y compris dans des réunions de pairs, véritables séances de formation médicale continue. De la sorte, chacun aura la possibilité de progresser dans la mesure où, vous le savez, la médecine est une discipline qui évolue chaque jour davantage et qui, quotidiennement, nous conduit à réapprendre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais apporter à M. le rapporteur des réponses aux deux questions qu'il a posées.
Tout d'abord, s'agissant des établissements sociaux et médico-sociaux, je rappelle que le passage du dispositif dit « Aubry II » au nouvel allégement de charges sociales prévu par la loi de janvier 2003 produit, effectivement, des résultats contrastés et encore mal appréhendés. Les expertises qui sont en cours dans nos services ne permettent pas, pour l'instant, d'accréditer la thèse d'un surcoût important pour les établissements.
Le secteur social et médico-social emploie un assez grand nombre de personnels peu qualifiés. La structure des salaires permettra donc de maintenir un niveau d'exonération élevé. C'est du reste, je le souligne, l'un des objectifs de cette réforme qui vise à favoriser l'emploi en renforçant le niveau des exonérations de charges sur les bas salaires.
Au début de l'année 2005, un bilan sera réalisé, afin d'appréhender plus finement les conséquences financières du nouveau dispositif dans le secteur.
En ce qui concerne la maîtrise de l'évolution de la masse salariale, la définition de paramètres d'évolution est avant tout destinée à améliorer, pour les partenaires sociaux, la lisibilité des marges financières dont ils pourront disposer en début d'année. Les principaux facteurs d'évolution actuelle de la masse salariale sont liés, en effet, à des contraintes externes comme la réglementation européenne sur le travail de nuit ou à la rénovation des conventions collectives du secteur, sur l'initiative des partenaires sociaux.
Le Gouvernement, je puis vous l'assurer, monsieur le sénateur, suivra très précisément la situation de ces établissements, afin de leur apporter son soutien chaque fois que nécessaire.
Vous avez bien voulu souligner l'effort accompli pour le rattrapage des subventions au CHRS. Soyez assuré que notre engagement à l'égard du secteur social et médico-social ne faillira pas.
Pour ce qui est de la décentralisation des formations sociales et des fonds d'aides aux jeunes, je rappellerai simplement que l'Etat a réalisé, en trois ans, un effort considérable de création de places de formation initiale de travail social, ce qui a permis d'accroître le nombre de promotions de trois mille, soit une hausse d'un tiers entre 2002 et 2004.
Le plan s'achevant avant la date de mise en application de la décentralisation, la montée en charge des financements sera donc pratiquement terminée au moment de celle-ci. Par conséquent, le transfert ne devrait pas poser de difficultés particulières ; le détail des modalités de ce transfert devra naturellement être discuté dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2005.
En ce qui concerne les fonds d'aide aux jeunes, les crédits font l'objet d'une gestion globalisée au sein de l'enveloppe consacrée à la lutte contre l'exclusion. Par conséquent, ce qui servira de base à la compensation, c'est la dépense réelle de l'exercice 2004, qui ne sera connue, par définition, qu'à la fin de l'année 2004. Toutefois, le Gouvernement n'entend pas modifier substantiellement le niveau de cette dépense en 2004 par rapport aux années antérieures.
A cet égard, le Gouvernement a fait le choix de la confiance vis-à-vis des départements, d'abord, en leur transférant un champ très important de la responsabilité sociale, ensuite, en soutenant ce transfert par une clarification des compétences et une réforme accomplie ; je pense notamment à celle que nous venons d'achever sur le RMI-RMA.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Je souhaite répondre plus particulièrement aux questions posées par M. Blanc, rapporteur pour avis, et d'abord sur le problème concernant le nombre de bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, pour 2004.
La réforme de la loi d'orientation de 1975 portera essentiellement sur le droit à compensation.
Pour ce qui est des ressources des personnes handicapées, mon objectif vise à accroître la possibilité de cumul entre les revenus tirés de l'allocation aux adultes handicapés et ceux qui sont liés à l'exercice d'une activité professionnelle, éventuellement à temps partiel.
Cet objectif, vous le savez, monsieur le rapporteur pour avis, concerne tout particulièrement les bénéficiaires de l'AAH au titre de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire ceux qui sont reconnus handicapés entre 50 % et 80 %.
S'agissant plus précisément de la prévision budgétaire pour 2004, celle-ci tient compte d'un ralentissement observé en 2003 pour l'admission à l'allocation aux adultes handicapés, précisément pour les personnes dont le handicap est reconnu entre 50 % et 80 %. En outre, je compte mener, avec le concours du service public de l'emploi, des partenaires sociaux et de l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, un effort renouvelé d'accompagnement vers l'emploi, sans attendre la réforme de la loi de 1975.
La semaine pour l'emploi « handicapé et compétent », qui s'est achevée le 21 novembre dernier, a suscité, partout en France, une mobilisation forte sur ce thème. Cela montre que l'objectif que le Gouvernement s'est fixé est raisonnablement envisageable et qu'il peut être atteint.
Le plan Vieillissement et solidarité, annoncé par le Premier ministre le 6 novembre dernier, comprend le financement de la réforme de la loi de 1975. En effet, les ressources qui seront tirées d'une journée de travail supplémentaire seront affectées, à hauteur d'environ 850 millions d'euros par an, aux personnes handicapées à partir de 2005 et jusqu'en 2009. Cette somme, très importante, dont tout un chacun comprend l'effort collectif qu'elle représente, s'ajoute aux moyens qui sont aujourd'hui consacrés à la compensation. Elle permettra de créer une véritable prestation de compensation, comme vous l'avez souhaité, pour couvrir les dépenses supportées par les personnes handicapées pour le recours aux aides techniques et aux aides humaines, essentiellement.
Ce financement supplémentaire s'ajoutera aux crédits qui sont aujourd'hui consacrés par la sécurité sociale aux aides techniques et, par les départements, à l'allocation compensatrice pour tierce personne. Il confortera le niveau des fonds de compensation des sites Vie autonome.
La nouvelle prestation visera à solvabiliser les personnes handicapées au regard d'une évaluation personnalisée de leurs besoins. Elle sera gérée, comme l'allocation compensatrice pour tierce personne, par les départements, mais le financement par la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en garantira l'égalité sur l'ensemble du territoire.
Enfin, monsieur le sénateur, en ce qui concerne l'amendement Creton, le Gouvernement a, comme vous, le souci de clarifier le rôle des financeurs pour l'application de cet amendement.
Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 28 mai 2003, a jugé que les dispositions de la loi du 13 janvier 1989 ne nécessitaient pas de texte réglementaire. C'est la raison pour laquelle le décret du 22 octobre 2003 relatif à la gestion budgétaire, comptable et financière des établissements sociaux n'y fait pas mention.
Cependant, le Gouvernement envisage d'introduire, dans la prochaine ordonnance de simplification que le Parlement l'a autorisé à prendre, les précisions juridiques nécessaires pour clarifier la répartition des charges entre les financeurs appelés à couvrir les frais de soins ou d'hébergement des jeunes adultes maintenus en établissements pour enfants. Il s'agit, en particulier, de fixer la référence tarifaire opposable aux départements pour leur participation en cas d'orientation en foyer.
Cela étant, monsieur le sénateur, nous souhaitons tous que ces mesures soient transitoires ; le Gouvernement fait tout pour que, à terme, les amendements Creton disparaissent, en faisant porter l'essentiel de ses efforts sur l'augmentation du nombre de places en CAT ainsi qu'en maisons d'accueil spécialisé, sans parler des foyers de vie, qui doivent être également développés.
Il n'est pas pensable que perdure une situation préjudiciable pour tous, d'abord pour ces jeunes adultes, qui n'ont rien à faire en établissements pour enfants, ensuite pour les enfants qui sont déjà accueillis, et peut-être plus encore pour ceux qui attendent de pouvoir l'être. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Nous passons à la procédure de questions et de réponses.
Je rappelle que chaque intervenant dispose de cinq minutes maximum pour poser sa question, que le ministre dispose de trois minutes pour répondre et que l'orateur dispose d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Madame la ministre, ma question concerne l'aide médicale d'Etat.
Le Parlement a voté, en décembre 2002, les premiers éléments du démembrement de l'accès aux soins des personnes vivant dans les conditions les plus précaires : les bénéficiaires de l'AME.
Selon M. Paul Blanc, rapporteur pour avis, le projet de loi de finances pour 2004 avait prévu « une dotation stable de 233 millions d'euros au titre de l'AME ». Il relève cependant que la dépense prévisionnelle pour 2003 dépasse déjà les crédits initialement prévus, puisqu'on estime les besoins compris entre 590 millions d'euros et 742 millions d'euros. Le Gouvernement aurait donc, d'après M. Paul Blanc, envisagé, pour cette raison, une réforme de l'AME selon quatre axes, que je reprends, mais qui sont développés dans le rapport de notre collègue : un meilleur contrôle de l'ouverture des droits ; la mise en oeuvre du ticket modérateur introduit par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 ; la limitation des remboursements aux soins médicalement indispensables ; enfin, la possibilité, pour les bénéficiaires de l'AME, d'accéder à la médecine de ville.
Au 31 décembre 2002, les bénéficiaires de l'AME étaient au nombre de 145 394, soit une progression de 15 %. L'inspection générale des affaires sociales prévoit une stabilisation de l'effectif en 2003.
Madame la ministre, je voudrais me faire en quelque sorte le porte-voix des sans-voix. Vous avez précisé que l'entrée en vigueur de la CMU au 1er janvier 2000 « a entraîné une modification de l'aide médicale de l'Etat : celle-ci concerne désormais les personnes étrangères en situation irrégulière ne pouvant prétendre à la CMU et, accessoirement, les Français de l'étranger venant se faire soigner en France ».
Ce projet de loi de finances pour 2004 concrétise la mise en place du ticket modérateur, véritable « ticket d'exclusion » pour ceux qui doivent compter chaque euro pour survivre au quotidien, et ne prévoit la prise en compte que de certains soins médicalement indispensables. Y aurait-il plusieurs catégories d'êtres humains ? Ces personnes n'ont pas de papiers, pas de droit au travail, pas de ressources. Elles ne demandent le bénéfice de l'AME que lorsqu'elles ont besoin de soins, c'est-à-dire, en général, très tard, parfois trop tard pour que l'on puisse les sauver.
Trois raisons fondamentales justifient que l'on conforte l'accès aux soins des sans-papiers, c'est-à-dire des étrangers en situation irrégulière.
D'abord, pour faire de réelles économies, il faut renforcer l'accès à la prévention et aux soins précoces ; les études actuelles sur la CMU le prouvent.
Ensuite, l'amélioration de la prise en charge sanitaire des plus précaires est une nécessité de santé publique, puisque, toutes les études le prouvent, les inégalités de santé reflètent avant tout les inégalités sociales, madame la ministre.
Enfin, l'accès aux soins des sans-papiers est indispensable pour des raisons éthiques : il s'agit de droits fondamentaux d'êtres humains.
Ces mesures, en pénalisant les plus fragiles, tentent de les écarter un peu plus de notre système de santé, de repousser en dehors de la société des femmes, des hommes et des enfants qui ne demandent qu'à vivre dignement.
En s'attaquant aux pauvres et non à la pauvreté, l'Etat les pénalise pour une carence qui est d'abord la sienne !
Ne conviendrait-il pas, madame la ministre, d'améliorer et de faciliter l'accès à la couverture maladie des plus précaires en fondant l'AME dans la CMU ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, vous mettez en cause l'action du Gouvernement concernant l'AME.
Puis-je vous le rappeler, le précédent gouvernement, comme pour l'APA, avait mis en place un dispositif non financé ; nous l'avons financé, donc, nous l'avons sauvé ! Nous dépenserons 650 millions d'euros en 2003, soit 600 millions de plus que prévu par le gouvernement socialiste.
Le dispositif était inopérant et mal conçu. En effet, si l'accès immédiat des bénéficiaires de l'AME à la médecine de ville était interdit, en revanche, les personnes restées trois années en situation irrégulière sur notre territoire bénéficiaient, elles, de ce droit. C'était donc une solution assez incohérente qui, de surcroît, contribuait encore à la saturation des services d'urgences des hôpitaux.
Le système était, en outre, mal organisé, parce que les enfants mineurs d'étrangers en situation irrégulière étaient censés relever d'un régime distinct, celui de la CMU, disposition qui s'est révélée d'ailleurs parfaitement inapplicable dans les faits.
Mal organisé, le système avait été également mal estimé, car la dotation initiale de Mme Aubry était de 45 millions d'euros, pour une prévision de dépenses, en 2003, comprise entre 645 millions d'euros et 650 millions d'euros.
La mise en oeuvre du dispositif était, enfin, mal contrôlée, car la formule de la simple déclaration sur l'honneur quant à l'identité, le domicile et les ressources des demandeurs, initialement exceptionnelle, s'est trop souvent généralisée, comme le souligne fortement l'IGAS dans le rapport qu'elle consacre à l'évolution de l'aide médicale de l'Etat.
Il fallait donc réformer ce système, ce que nous faisons, de manière équilibrée. L'ouverture des soins de ville dès le premier jour contribuera au désengorgement des urgences. Surtout, monsieur le sénateur, s'agissant du ticket modérateur plafonné, sur lequel vous avez insisté, personne ne peut réellement comprendre que tous les assurés contribuent, sauf les étrangers en situation irrégulière ! Cela étant, ce ticket modérateur-là sera très inférieur au droit commun en la matière.
Enfin, dans la tradition française de faire prévaloir le souci humanitaire, je précise que les personnes atteintes de pathologies lourdes, les enfants mineurs et les femmes enceintes sont intégralement pris en charge.
C'est donc, en l'occurrence, une réforme pragmatique et juste, qui nous paraît répondre à un besoin, effectivement, important.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Madame la ministre, prenez garde ! N'allez pas rendre certaines catégories de la population responsables de la saturation des services des urgences des hôpitaux !
Le financement de l'AME est source de discussions. D'ailleurs, les experts du ministère eux-mêmes ne peuvent faire état que de tendances. Ces 600 millions d'euros ne représentent pas seulement les bénéficiaires de l'AME. Il faut compter aussi avec les demandeurs d'asile, bien souvent orientés vers l'AME au lieu de la CMU. Cela ne change rien pour les comptes de la nation, puisque les deux dispositifs sont financés à 100 %.
De même, les interruptions de grossesse anonymes et les naissances sous x seraient, dit-on, aussi imputées à l'AME, puisque c'est le seul moyen pour les hôpitaux d'obtenir le remboursement des coûts inhérents.
Rappelons que l'AME est l'une des dernières couvertures à 100 %. On ne peut donc pas sérieusement la comparer avec le régime général, qui ne prend en charge qu'environ 65 % des coûts, ou avec la CMU, dont les dépenses ne sont, le plus souvent, comptabilisées que pour la seule partie complémentaire, soit 35 % du total.
Nous aurons à débattre des nouvelles modalités d'attribution du RMI aux étrangers, mais je relève que le délai de résidence imposé vient d'être porté de trois à cinq ans. Tout cela relève d'une politique globale qui vise, au-delà des contraintes de fermeture des frontières invoquées, à restreindre aussi l'accès à différents droits, dont le droit à la santé. Nous contestons les arguments qui fondent une telle politique.
Durant l'année écoulée, vous n'avez pas mis en oeuvre certaines dispositions, le décret d'application n'ayant pas été publié, mais nous restons vigilants !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. « La drogue est une gangrène qu'il faut combattre dans toutes ses dimensions, loin en amont de routes, par une combinaison d'approches répressive et judiciaire, sanitaire et sociale, économique et financière et sur tous les fronts, national, régional, mondial. »
Ces propos, tenus par le Président de la République lors de la cérémonie d'ouverture de la Conférence internationale sur les routes de la drogue, à Paris, en mai dernier, marquent la priorité qu'il accorde à la lutte contre la toxicomanie, ce dont nous nous félicitons tous.
Sur l'initiative de nos collègues MM. Bernard Plasait et Henri de Raincourt, le Sénat a constitué une commission d'enquête sur les drogues illicites, à laquelle je participais moi-même et qui était présidée, avec beaucoup d'autorité et de compétence, par notre collègue Mme Nelly Olin.
Après six mois de travaux, éclairés par de multiples auditions et de nombreux déplacements tant en métropole, dans des maisons d'arrêt et des centres de soins spécialisés pour toxicomanes qu'à l'étranger, cette commission a rendu ses conclusions le 4 juin, dans un rapport au titre triste, mais réaliste : « Drogue : l'autre cancer ».
Paradoxe étrange, en effet, que celui de la France, pourtant pays de la douceur et de l'art de vivre, où une personne sur dix consommerait des drogues ! La France est d'ailleurs en tête du classement des pays de l'Europe élargie en termes de prévalence chez les jeunes de quinze à seize ans.
La consommation de cannabis explose. Les drogues de synthèse à usage festif règnent dans les rave parties. La polytoxicomanie, qui mélange des produits psycho-actifs licites et illicites, est de plus en plus fréquente. Enfin, l'économie souterraine liée à la drogue devient la première activité dans certaines de nos cités.
Combien de vies brisées, combien de famille déchirées, de promesses gâchées, parce qu'un jeune, un enfant, souvent, a croisé un jour sur son chemin un marchand de mort ?
Nous avons tous été frappés, lors de nos visites, par la détresse des patients rencontrés, la diversité de leur profil, leur dépendance à l'égard des produits chimiques de substitution et de la psychiatrie, les conditions difficiles dans lesquelles ils tentent de se reconstruire.
Cette situation illustre jusqu'à la caricature combien la loi de 1970 est restée lettre morte. Le délit d'usage n'est pratiquement plus sanctionné ; l'injonction thérapeutique, c'est-à-dire l'obligation de se soigner contre une remise de peine, est diversement utilisée ; le volet « prévention » a été négligé et, surtout, les capacités de prise en charge des toxicomanes sont, en dépit du dévouement exemplaire des personnels, dramatiquement insuffisantes.
Force est de constater également qu'en privilégiant la réduction des risques, notamment par l'échange des seringues et la délivrance de produits de substitution, on a accrédité l'idée que les pouvoirs publics, via la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la MILDT, se bornaient à gérer le problème de la toxicomanie.
Cédant à la pression d'un lobby favorable à la légalisation du cannabis, les déclarations de certains responsables politiques au cours des années récentes ont aussi contribué à brouiller le discours, ce qui n'est évidemment pas dépourvu de tout lien avec la banalisation de la consommation des stupéfiants.
Il est temps de réagir.
Parce qu'elle ébranle la cohésion sociale et marginalise les personnes touchées, la toxicomanie est un véritable enjeu de santé publique.
Or, que constate-t-on aujourd'hui ?
Les nouvelles priorités définies par le Gouvernement rejoignent, certes, tout à fait le sens des propositions que la commission d'enquête a formulées dans son rapport, à savoir : une prévention axée prioritairement sur le plus jeune âge, notamment à l'école, restée trop longtemps à l'écart de cette action ; une sensibilisation du grand public sur le caractère illégal de l'usage des stupéfiants ; des modes de prise en charge diversifiés et innovants proposant des réponses adaptées aux différentes consommations, aux types d'usage et aux populations.
Mais les dotations budgétaires de la MILDT, qui coordonne les différents champs de l'action publique de lutte contre la drogue et la toxicomanie, sont en constante régression : de 46 millions d'euros en 2002, elles sont passées à 40 millions d'euros en 2003 et atteignent, pour 2004, un montant de 38 millions d'euros, 10 millions d'euros étant consacrés au financement des dispositifs nouveaux. Ces moyens sont-ils à la hauteur de l'enjeu ?
Par ailleurs, alors que le projet de loi relatif à la politique de santé publique comporte des dispositions visant spécifiquement le tabac et l'alcool, on n'y trouve pas grand-chose sur les drogues illicites.
Vous me direz sûrement qu'il prévoit l'élaboration d'un plan spécifique sur les conduites addictives. Mais cela reste un peu laconique. Quels seront ses contours ? Pourquoi ne pas avoir retenu la toxicomanie parmi les déterminants comportementaux ayant un impact prouvé sur les chiffres de la mortalité et de la morbidité évitables, pour lesquels des objectifs ont été fixés pour les cinq années à venir ?
La commission d'enquête du Sénat avait formé le voeu que ses conclusions sonnent comme un signal d'alarme. Je sais que vous l'avez entendu, monsieur le ministre, et que vous combattrez avec toute la force de votre conviction et de votre détermination ce terrible fléau qu'est la drogue. Je souhaiterais néanmoins que vous nous apportiez quelques précisions sur vos objectifs et sur les moyens que vous y consacrerez.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur Barbier, le Gouvernement et le Sénat ont le souci commun d'une action plus efficace, plus cohérente, plus homogène, plus volontariste pour lutter contre ce véritable fléau, pour reprendre votre expression.
Pourquoi le Gouvernement n'est-il pas plus explicite, dans le projet de loi relatif à la politique de santé publique, sur la lutte contre les toxicomanies d'une façon générale ? Tout simplement parce qu'il a décidé de revoir la loi de 1970 pour la rendre plus applicable. Il vaut mieux, en effet, disposer de sanctions proportionnées, donc applicables, que de peines si élevées que personne ne les prononce.
Donc, après quelques hésitations, le choix a été fait de rassembler l'ensemble des mesures destinées à prévenir, à éduquer et à lutter, y compris par la répression, dans un texte spécifique. C'est la seule raison pour laquelle vous ne trouvez pas de dispositions plus précises dans le projet de loi relatif à la politique de santé publique.
D'une façon générale, monsieur le sénateur, il faut bien reconnaître que nous en sommes arrivés là parce que, autant sur le tabac, autant sur l'alcool, chacun s'est accordé et a tenté de prendre les mesures qui s'imposaient, autant sur la drogue, pour différents motifs que je ne vais pas développer ici, on a, certes, un peu gesticulé, mais pas beaucoup agi. D'ailleurs, la commission d'enquête sénatoriale a bien montré les manques en la matière.
C'est le devoir du Gouvernement d'engager maintenant une politique forte dans ce domaine, s'appuyant sur l'information sur la nocivité des drogues, en particulier du cannabis. Car le cannabis est une drogue, comme d'ailleurs le tabac, comme l'alcool et d'autres drogues illicites. Dès qu'une substance peut conduire à une dépendance et peut avoir des effets sur le bon fonctionnement de la personne au sens psychosomatique du terme, il est légitime d'utiliser ce vocable.
La prévention doit être mise en oeuvre en milieu scolaire, et la sanction doit être crédible et adaptée. Nous y travaillons. Le répérage et la prise en charge des consommateurs, grâce à des consultations de conseil et de repérage, permettent une orientation précoce vers le système de soins.
Enfin, concernant la MILDT, il convient de préciser que, malgré la contrainte budgétaire, ses moyens sont pratiquement reconduits à l'identique : 38 millions d'euros au lieu de 40 millions d'euros l'année dernière.
J'indique, à cet égard, que des économies seront faites plus particulièrement sur le système d'écoute téléphonique DATIS, « Drogues, alcool, tabac, info-service », aujourd'hui peu opérant et coûteux. Cela nous permettra d'être plus efficaces et mieux organisés pour des sommes sensiblement identiques et donc, je l'espère, de répondre au souci que vous venez de manifester, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Ma question portera sur le chapitre « Santé publique et sécurité sanitaire », plus particulièrement sur le programme « Santé publique et prévention ».
La crise sanitaire de cet été a montré, si besoin était, la nécessité d'améliorer l'organisation de notre système de santé. Or, pour 2004, les crédits de la santé, de la famille et des personnes handicapées ne connaissent par rapport à 2003 qu'une légère progression, de 1,73 %. Ils s'élèvent à 8,593 milliards d'euros, dont plus de la moitié - 4,6 milliards d'euros - est consacrée à la simple reconduction du financement de l'allocation aux adultes handicapés.
Pourtant, monsieur le ministre de la santé, vous avez affiché la volonté de financer en priorité la santé publique, la lutte contre le cancer, la lutte contre la drogue, ainsi que la petite enfance et l'autonomie des handicapés. Mais la lecture du budget laisse dubitatif sur la réalité de ces objectifs.
Déjà, l'année dernière, malgré l'annonce au plus haut niveau de la priorité accordée aux actions en faveur des personnes handicapées et à la lutte contre le cancer, les décrets d'annulation de crédits, aux mois de février, mars et septembre 2003, ont touché de plein fouet le ministère de la santé, concerné pour 90,32 millions d'euros.
Il y a donc de quoi douter du projet de budget soumis à la représentation nationale pour 2004, dans la mesure où la situation économique ne s'annonce guère plus florissante.
Ma question portera sur la prévention en matière de santé, et plus particulièrement sur le financement du dépistage du cancer.
Monsieur le ministre, vous avez expliqué à la commission des affaires sociales du Sénat que nous entrions dans une étape décisive de la couverture complète du territoire en matière de prévention, avec la généralisation du programme de dépistage organisé du cancer, plus particulièrement du cancer du sein.
En effet, dans l'agrégat « santé publique et sécurité sanitaire », doté de 322 millions d'euros pour 2004, vous incluez un programme intitulé « santé publique - prévention », évalué à 189 millions d'euros, afin de mettre en cohérence, dites-vous, les actions « santé publique et prévention ».
Comment ne pas être d'accord avec un tel programme ? Mais, monsieur le ministre, les chiffres invitent au doute.
En effet, si nous considérons les dépenses de santé, qui s'élèvent en France à 158 milliards d'euros, dont 154,4 milliards en curatif et 3,6 milliards en préventif, nous constatons déjà que la part de la prévention est de l'ordre de 2,3 % de l'ensemble. C'est peu !
En outre, si nous considérons votre budget, nous constatons que vous ne comptabilisez que 189 millions d'euros pour couvrir les dépenses de prévention. Certes, il faut distinguer entre crédits d'intervention et crédits de fonctionnement, mais qu'en est-il de la différence ?
Par ailleurs, ces crédits relèvent-ils bien de vos choix budgétaires, ou bien de ceux d'autres collectivités ou institutions qui, placées devant le fait accompli, devraient obligatoirement, comme l'on dit plus vulgairement, « mettre la main au porte-monnaie » ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur le sénateur, permettez-moi de dire et de redire que le drame que nous avons connu cet été n'est en rien une crise sanitaire. J'ai déjà eu l'occassion de le souligner, et, chaque fois que cette expression sera utilisée, je la relèverai pour qu'elle ne s'ancre pas dans la mémoire collective.
Nous avons vécu une crise de société qui s'est révélée au travers d'un encombrement des urgences. Le pays a brutalement découvert à cette occasion qu'il ne s'était pas mis en situation de répondre aux besoins du grand âge et de la dépendance.
Vous m'interrogez sur la prévention. Je vous rejoins totalement quand vous appuyez la politique du Gouvernement, qui consiste à la placer au premier rang de ses préoccupations !
La prévention, on en a beaucoup parlé dans le passé, mais on ne l'a jamais érigée en véritable priorité. Lorsque j'aurai l'occasion de défendre le projet de loi relatif à la politique de santé publique devant la Haute Assemblée, je rappellerai que ce texte sera le premier à être présenté en la matière depuis l'adoption de la loi de 1902 qui rendait obligatoires la vaccination et la déclaration des maladies infectieuses !
Le budget de la politique de prévention connaît une augmentation de 30 %, et je vous remercie de l'avoir noté. En outre, nous mettons en place une nouvelle organisation pour que, à l'échelon régional, les moyens, qui sont aujourd'hui répartis entre des structures parfois redondantes, soient mieux coordonnés et davantage mutualisés.
Nous nous sommes fixé cinq priorités principales : la lutte contre le cancer ; la santé environnementale ; la violence, notamment la sécurité routière, la toxicomanie, les suicides ; les maladies orphelines, pour qu'elles ne soient pas oubliées une seconde fois ; enfin, l'amélioration de la qualité de vie des malades atteints de maladies chroniques.
Tels sont les chantiers que nous avons ouverts. Pour ne reprendre que votre premier exemple, celui du cancer, je vous confirme, monsieur Cazeau, que, grâce à la participation des départements, dont, voilà encore dix-huit mois, seulement un tiers avaient mis en place le dépistage du cancer du sein, c'est la totalité des cent départements français qui, le 31 décembre ou le 1er janvier, sera en mesure, comme nous nous y étions engagés, de procéder à ce dépistage pour l'ensemble des femmes âgées de cinquante à soixante-quatorze ans. Ce progrès est dû à la rencontre, d'une part, du volontarisme politique et, d'autre part, de la coordination et de la collaboration avec l'ensemble des départements, auxquels je veux rendre hommage.
Monsieur le sénateur, le temps de réponse qui m'est imparti ne me permet pas d'apporter plus de détails, mais sachez que c'est là un souci majeur du Gouvernement. Je pourrais y ajouter les éléments que j'ai déjà apportés tout à l'heure sur la prévention primaire, sur la prévention secondaire, de même que sur l'action d'éducation dans le domaine de la santé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je n'engagerai pas de polémique avec vous pour déterminer s'il faut faire des difficultés rencontrées cet été une lecture sanitaire ou sociétale, car ce n'en est plus le moment. Nous avons chacun notre point de vue, l'un et l'autre sont nuancés et prennent en compte les deux perspectives.
Nous aurons à débattre de la question de la prévention lors de l'examen du projet de loi relatif à la politique de santé publique. Ma question aujourd'hui portait plus précisément sur la participation de l'Etat. Je prendrai l'exemple de mon département - car on connaît toujours mieux ce que l'on vit ! -, où ce sont essentiellement, la caisse de sécurité sociale, la Mutualité sociale agricole et le conseil général qui financent le programme de prévention du cancer du sein mis en place pour trois ans.
J'espère qu'à l'avenir vous individualiserez bien les crédits d'Etat dans chacun des secteurs auxquels vous souhaitez participer et que les collectivités ou les caisses ne seront pas contraintes d'intervenir dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Nous n'avons pas choisi le lieu de notre naissance ni ne choisirons celui de notre mort. De même, personne ne peut prévoir sa dernière heure ni l'état de santé qui la précédera. En effet, personne ne peut estimer si sa mort sera subite ou précédée d'un état de dépendance avancée.
Qui, aujourd'hui, peut assurer, dans notre société malade, que demain il pourra compter sur la présence d'un membre de sa famille ou d'un ami à ses côtés ?
L'évolution de l'espérance de vie est certes réjouissante, mais elle est aussi inquiétante.
On peut vivement regretter ce phénomène de société qui voit l'individualisme et l'égoïsme prendre le pas sur les valeurs humaines et familiales, qui devraient pourtant se révéler naturellement. Ce constat est particulièrement préoccupant : si l'homme a des pouvoirs dans la construction de routes ou la réalisation d'équipements, l'arrivée du handicap et de la dépendance lui échappe. Dès cet instant, l'accompagnement social n'est plus une simple prise en charge, mais s'exprime par une présence humaine indispensable : on ne s'occupe pas d'une personne fragilisée, handicapée ou malade, comme d'un robot ou d'une machine.
L'accompagnement humain n'est ni quantifiable ni mesurable : il est illimité. La dépendance doit être au coeur de nos préoccupations actuelles. Elle implique automatiquement que l'on a besoin de l'autre pour réaliser tout ou partie des actes de la vie quotidienne. Le défi est énorme, qu'il s'agisse de promouvoir le maintien à domicile ou l'accueil adapté, et ce quels que soient la dépendance et le handicap.
Les événements dramatiques de cet été nous ont tous sensibilisés à l'isolement dont certaines personnes âgées sont victimes. Cette situation de négligence, voire d'abandon familial, - et, monsieur le ministre, je rejoins totalement votre analyse et votre réponse -, risque malheureusement de se reproduire demain, que ce soit dans un contexte de canicule ou de tempête sibérienne. On peut le constater même dans nos campagnes, où des personnes âgées décèdent sans personne à leurs côtés.
A ce propos, je voudrais remercier et rendre hommage aux personnels hospitaliers, mais aussi aux associations départementales d'aide à domicile, qui jouent un rôle essentiel dans l'animation de notre vie sociale, sans oublier les nombreux bénévoles qui se dévouent dans l'ombre et sans bruit.
Construire une politique en faveur des personnes plus âgées ou handicapées, c'est aussi un état d'esprit, c'est une prise de conscience, c'est une présence essentielle, qui nous concernent tous sans exception.
En effet, la définition d'actions envers les personnes âgées, actions liées à l'augmentation de l'espérance de vie, nécessite une politique de prévention et de prise en charge de la dépendance la plus précoce possible. Assurément, le grand chantier de la lutte contre le cancer, au coeur duquel est placée la politique anti-tabac, engage résolument notre pays dans cette voie. Il est important de lancer des chantiers de santé publique afin de mieux répondre au vieillissement de notre société. Ne transformons pas cette chance de vivre plus âgé en un handicap durable !
A cet égard, monsieur le ministre, je voudrais saluer votre combat contre le cancer, marqué par la création de l'Institut national pour le cancer et par un budget qui a été multiplié par 10 en deux ans, passant de 5 millions d'euros en 2002 à plus de 50 millions d'euros en 2004. Cet objectif est essentiel si nous voulons apporter demain des réponses au vieillissement de la population.
Placer la question du handicap au coeur de la politique gouvernementale, c'est rendre à la personne handicapée sa dignité et « une partie de son autonomie ». La compensation du handicap doit concerner tous les aspects de la vie sociale afin de favoriser une meilleure intégration, non seulement citoyenne, mais aussi professionnelle.
Nous devons nous réjouir de la création de nouvelles maisons d'accueil spécialisées. Mais qu'en est-il des foyers d'accueil médicalisés, dont une grande partie ne bénéficie pas d'une enveloppe de soins suffisante ?
A ce sujet, membre pendant de très nombreuses années d'une des COTOREP, les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, je souhaite, monsieur le ministre, vous livrer mes interrogations sur le projet de décret engageant une réforme de ces commissions et la mise en place d'une commission unique de vingt-six membres.
Une telle commission est-elle-bien adaptée aux caractéristiques de l'entretien avec les personnes handicapées ? L'impérieuse nécessité d'un quorum ne risque-t-elle pas de se poser régulièrement ? S'achemine-t-on vers une réelle simplification administrative ? Je reste dubitatif.
Nous devons nous réjouir de la démarche au sein de laquelle, monsieur le ministre, s'inscrit votre gestion des politiques de santé et de solidarité, à savoir la maîtrise de l'emploi public en même temps que la recherche de l'amélioration et de la qualité du service. Toutefois, la gestion des personnels de santé nécessite une attention toute particulière, car l'accompagnement humain, qu'il soit offert à la dépendance ou à la maladie, constitue un appui précieux auquel on ne peut se dérober. Il faut rompre avec l'isolement et permettre une humanisation essentielle de nos structures de soin.
Cet objectif doit se traduire par la présence d'un personnel plus nombreux et plus qualifié pour répondre aux nécessités qui découlent des nouvelles formes de dépendance.
Le monde rural l'a démontré au cours de cet été, il porte en lui des ressources insoupçonnées ; mais la question du maintien au coeur de nos territoires de nos médecins de campagne et de nos infirmières se pose avec une acuité sans précédent.
Monsieur le ministre, j'espère que votre réponse pourra apaiser mes inquiétudes relatives au manque de personnels que l'on déplore dans nombre d'établissements ainsi qu'au projet de décret concernant la restructuration des COTOREP.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur le sénateur, s'agissant du financement des places nouvelles par l'ONDAM, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, le Gouvernement a décidé de doubler les crédits de la tranche 2003 du plan pluriannuel de création de places pour adultes lourdement handicapés et d'y consacrer 70,12 millions d'euros, au lieu de 35,05 millions, afin de porter l'objectif total à 6 600 places nouvelles en maisons d'accueil spécialisées et en foyers d'accueil médicalisé. Le bilan des programmations régionales réalisé en septembre 2003 montre que plus de la moitié des places créées à cette date dans le cadre du plan l'avaient été dans des foyers d'accueil médicalisé.
En 2004, l'évolution de l'ONDAM permettra de poursuivre au même rythme qu'en 2003 la progression nécessaire de la création de nouvelles places.
En ce qui concerne le projet de fusion des deux sections des COTOREP, le décret, vous l'avez rappelé, est en cours de publication. Il s'agit d'appréhender la personne handicapée dans sa globalité pour que l'évaluation de la situation, l'élaboration de préconisations par l'équipe technique et les décisions prises par la commission intègrent toutes les dimensions nécessaires : orientation professionnelle, accompagnement médico-social et aide financière. Cela suppose une évolution du rôle de la commission, qui devra notamment mener un dialogue avec les équipes d'évaluation et porter à la fois un regard critique sur les parcours et une grande attention à l'effectivité des décisions prises. La commission pourra ainsi jouer un rôle plus stratégique et plus critique, et mieux garantir la qualité des décisions.
Quant au plan en faveur des personnes âgées, il prévoit des efforts très importants pour accroître le nombre de personnes et renforcer la médicalisation.
Monsieur le sénateur, des mesures en faveur de la formation sont également annoncées dans le plan, qui contribueront à pourvoir les postes créés. Il en va ainsi de la validation des acquis de l'expérience et de l'élargissement des modes d'accès aux formations qualifiantes.
Il faut enfin considérer que le plan adopté instaure une dynamique de renforcement de la médicalisation, la période 2004-2007 n'étant que la première phase d'un plan de recrutement des personnels nécessaires à la mise en oeuvre des mesures que je viens de détailler, plan qui doit se prolonger jusqu'en 2015. La formation des professionnels de santé en général est un point essentiel qu'il ne faut pas oublier.
Monsieur le sénateur, il y aurait encore beaucoup à dire sur les questions que vous avez posées avec, je crois, beaucoup d'humanité, en essayant d'englober l'ensemble des problèmes liés à la dépendance.
S'agissant tant du plan pour les personnes handicapées que du plan pour les personnes âgées, le Gouvernement veut que les personnes victimes d'une perte d'autonomie soient véritablement accompagnées pour pouvoir espérer mener une vie comme vous et moi. Car, vous l'avez souligné, nous ne choisissons ni le lieu de notre naissance ni, généralement, le lieu de notre mort, pas plus que nous ne choisissons la façon dont nous vieillissons et dont nous nous acheminons progressivement vers la fin de notre vie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m'est imparti, mes propos se limiteront à la caisse de sécurité sociale des Français de l'étranger.
Le 4 septembre, la caisse des Français de l'étranger, la CFE, a fêté son vingt-cinquième anniversaire en présence d'une assistance nombreuse : administrateurs de la caisse, délégués du Conseil supérieur des Français de l'étranger, entreprises expatriatrices, assureurs partenaires de la caisse des Français de l'étranger, organismes liés à l'expatriation ou à la protection sociale, sans oublier nos ministères de tutelles : le ministère des affaires étrangères représenté par le secrétaire d'Etat, M. Renaud Muselier, le ministère des affaires sociales et le ministère du budget, représentés par des conseillers, les ministres étant alors à l'étranger.
Ce fut un moment réussi qui a permis de constater combien les prestations et les services rendus par la CFE étaient appréciés de l'ensemble des acteurs de la mobilité internationale, en particulier de nos entreprises qui envoient du personnel à l'étranger.
A cette occasion, j'ai, en tant que président du conseil d'administration de la caisse, exposé les nouveaux objectifs que nous fixions pour l'avenir afin qu'elle demeure incontournable pour nos expatriés, y compris pour les plus modestes d'entre eux, et qu'elle poursuive ainsi son engagement au service du développement de la présence française à l'étranger.
Toutefois, monsieur le ministre, les nouvelles mesures que le Gouvernement a déjà prises ou s'apprête à prendre pour tenter de limiter le déficit de l'assurance maladie vont avoir une incidence non négligeable sur la caisse des Français de l'étranger, qui, je vous le rappelle, est une caisse d'assurance volontaire soumise à la concurrence des compagnies privées d'assurance, mutuelles, etc.
Or, ces nouvelles mesures vont indéniablement entraîner une diminution de la couverture sociale de nos compatriotes expatriés adhérant à la CFE. Je pense en particulier à la baisse du taux de remboursement de certains médicaments, notamment des médicaments homéopathiques, à la suppression du remboursement pour 157 spécialités médicamenteuses, au forfait journalier hospitalier, qui va passer à 13 euros, à la limitation des cas d'exonération du ticket modérateur et, bien sûr, à l'instauration du tarif forfaitaire de remboursement qui limite les remboursements au prix des médicaments génériques.
Comment est-il possible que la CFE applique le tarif d'un médicament générique à des médicaments étrangers prescrits par des ordonnances rédigées en langue étrangère, d'autant qu'elle n'a pas forcément connaissance du médicament générique correspondant au médicament étranger prescrit et que l'on ne peut pas toujours distinguer à l'étranger entre médicaments d'origine et médicaments génériques quand ces derniers existent ?
J'ajoute qu'à l'étranger les actes médicaux ou les hospitalisations ne sont pas partout codifiés de la même façon. Pour une opération chirurgicale, on paie d'un côté l'hospitalisation en tant qu'hôtellerie et, de l'autre, on règle directement au médecin sa prestation chirurgicale, sans parler des médicaments que les patients doivent apporter eux-mêmes, par exemple en cas de dialyse, alors qu'en France tout est compris.
Aussi, s'il est normal et logique que ces nouvelles mesures s'appliquent à nos assurés pendant leurs séjours en France et pour les soins qu'ils y reçoivent, lorsqu'ils sont à l'étranger dans leur pays de résidence, il est pratiquement impossible de les mettre en oeuvre pour des raisons pratiques.
Cela va donc entraîner, monsieur le ministre, de graves difficultés pour la caisse des Français de l'étranger, qui se trouve dans une situation bien différente des caisses métropolitaines. Vous le savez, sa gestion est saine et rigoureuse, l'équilibre de ses comptes est positif depuis l'origine, son personnel est compétent et performant. Quant aux assurés, ils ont une attitude responsable et n'abusent ni des prestations, pour les petits soins par exemple, ni des arrêts de travail ou des indemnités journalières. Nous procédons en outre à des vérifications et à des contrôles réguliers auprès des adhérents afin d'éviter les fraudes.
J'ajoute que, bien que nous soyons dans un contexte concurrentiel et de volontariat, le nombre des assurés de la CFE est en hausse constante.
Pour répondre à leur attente, la CFE va donc poursuivre son activité dans le même sens et continuer à s'adapter aux problèmes complexes que rencontrent nos compatriotes, mais il s'agira cette fois pour elle d'une double adaptation puisqu'elle devra aussi s'adapter aux nouvelles mesures gouvernementales.
Parallèlement, la CFE va tout mettre en oeuvre pour tenter de modérer les surcoûts de cotisation qui ne manqueront pas d'être appliqués par les organismes d'assurance complémentaire en réponse à l'accroissement de la participation demandée aux assurés pour les frais médicaux qu'ils engagent et qu'ils voudront voir pris en charge par les caisses complémentaires. Ce sera d'autant plus nécessaire qu'en ce qui concerne les Français de l'étranger cette surcotisation ne sera pas totalement fondée.
Dans cette perspective, monsieur le ministre, je souhaite qu'une information soit faite et que des instructions soient données, par les ministères des affaires sociales et de la santé, à leurs représentants au conseil d'administration de la CFE afin qu'ils ne se réfèrent pas systématiquement à une application stricto sensu de règles métropolitaines pour les mesures qui viennent d'être décidées ou qui vont l'être prochainement. En effet, si ces règles sont recevables dans un contexte franco-français, elles ne peuvent l'être dans un contexte international. Il ne faudrait pas que les représentants des ministères opposent aux délibérations et aux décisions des administrateurs de la caisse de sécurité sociale des Français de l'étranger des avis négatifs se fondant sur les récents textes.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur Cantegrit, je sais combien vous êtes attaché à la caisse des Français de l'étranger, dont nous avons eu l'occasion de discuter à différentes reprises, y compris en une occasion avec des Français de l'étranger venus vous rendre visite.
Je n'avais pas pu me rendre moi-même au vingt-cinquième anniversaire de la caisse des Français de l'étranger, étant au même moment à une conférence des ministres de la santé à Milan, mais un de mes conseillers a pris part à cet événement.
Vous mettez l'accent sur plusieurs questions importantes.
Je vais tenter d'y répondre en ayant conscience de la limite de l'exercice et en sachant qu'il nous faudra probablement trouver des solutions dérogatoires.
Le problème du tarif des remboursements de la caisse des Français de l'étranger ne peut être dissocié de la mise en oeuvre de la jurisprudence découlant des arrêts Kohl et Decker et des arrêts suivants de la Cour de justice des Communautés européennes, qui a considérablement étendu les possibilités de remboursement des soins dont bénéficient les assurés français à l'étranger.
Dans ce cas, les soins sont remboursés sur la base d'un tarif identique à celui de soins qui auraient été dispensés en France.
Je sais que, s'agissant de l'hospitalisation, la base de remboursement est établie sur le tarif de l'Assistance publique Hôpitaux de Paris moins 30 %, tarif suffisant pour la plupart des soins hospitaliers, à l'exception des soins dispensés aux Etats-Unis, où les coûts sont généralement supérieurs.
Vous m'indiquez qu'un certain nombre de mesures prises par le Gouvernement peuvent créer des difficultés à vos assurés. J'observe néanmoins, et sachez que je vous en remercie vivement, que vous soutenez ces mesures lorsqu'elles s'appliquent aux affiliés de la CFE pendant leurs séjours en France, et que le problème est donc plutôt leur transposition à l'étranger.
Les déremboursements, l'abaissement du taux de remboursement de certains produits de santé, des médicaments pour l'essentiel, diminuent-ils la couverture sociale des assurés de la CFE à l'étranger ?
Je rappelle que les déremboursements n'ont concerné qu'un très faible nombre de produits - 82 seulement - comparé à l'ensemble des produits disponibles et qu'il s'agissait de médicaments dont l'usage n'était plus souhaitable en France comme à l'étranger.
Quant à l'abaissement du taux de remboursement de 65 % à 35 %, il a concerné des médicaments que leur efficacité ne rend pas absolument indispensable. C'est le cas en particulier de l'homéopathie, qui est une spécificité française, et je m'interroge d'ailleurs sur la possiblité de recourir à l'homéopathie à l'étranger de manière aussi courante qu'en France.
Dans le même temps, de nouveaux produits plus modernes et plus efficaces ont fait leur apparition et ils ont été admis au remboursement pour un meilleur service rendu aux assurés.
S'agissant du forfait journalier hospitalier, sans reprendre les arguments que j'ai déjà développés dans cet hémicycle, je veux rappeler qu'il n'avait pas été augmenté depuis 1996 et que, par ailleurs, il existe dans un grand nombre de pays étrangers.
Quant au tarif forfaitaire de responsabilité, le TFR, il vise à développer dans notre pays l'utilisation des médicaments génériques. J'observe d'ailleurs que, depuis sa mise en oeuvre, contrairement à ce qui avait dit, la part des médicaments génériques continue de progresser de façon extraordinaire, mais je sais que les génériques sont d'usage peu courant dans certains pays.
Je conçois donc que l'ensemble de ces mesures puissent poser problème, mais mes services se tiennent prêts à étudier les propositions que la CFE voudra leur soumettre de façon à atténuer le sentiment d'inégalité ou d'iniquité qui pourrait apparaître chez les uns ou chez les autres.
La caisse des Français de l'étranger a vocation à assurer la couverture sociale de deux millions de nos compatriotes expatriés. Vous veillez sur elle avec attention, monsieur Cantegrit. Je puis vous dire que le Gouvernement y veille avec la même attention.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le ministre, la caisse des Français de l'étranger apprécie l'attention que vous-même, votre ministère et, plus largement, le Gouvernement, portent à la couverture sociale des Français de l'étranger, et particulièrement à la caisse des Français de l'étranger. Lorsque le nouveau conseil d'administration a été mis en place, tous ses membres ont beaucoup apprécié d'être reçus par vous.
Vous m'avez longuement et complètement répondu, et je vous en suis très reconnaissant, monsieur le ministre. Vous avez compris quel était le sens de mon intervention. Nous disposons de fonctionnaires de qualité qui émanent de votre ministère et des ministères du budget ou des affaires étrangères et siègent à notre conseil d'administration. Ce que je souhaite, c'est que, ayant devant eux le code de la sécurité sociale, ils ne s'y réfèrent pas trop stricto sensu. Vous avez cité des arrêts européens qui montrent la complexité de l'application de nos textes aux Français vivant à l'étranger. Il faut donc laisser une marge d'appréciation aux fonctionnaires pour que la CFE puisse continuer à couvrir nos compatriotes comme elle le fait actuellement.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne vous étonnerai pas en vous précisant que je partage l'appréciation négative portée sur le projet de loi de finances pour 2004 par mes collègues communistes de la commission des finances au cours de la discussion générale sur la première partie.
Dans la logique des politiques menées depuis deux ans, le présent projet de loi de finances décline pour l'essentiel de vieilles recettes qui ont pourtant fait la preuve de leur inefficacité, voire de leur nocivité, tant en termes de croissance que d'emploi.
Le projet de loi de finances pour 2004 est sans conteste un texte libéral, et même le budget « le plus libéral depuis le gouvernement de Jacques Chirac de 1986 », si l'on en croit le quotidien Les Echos.
Pour notre part, nous le considérons comme un texte dangereux, car il prend l'exact contre-pied des besoins sociaux du plus grand nombre de nos concitoyens au profit des plus nantis d'entre eux.
Dans le contexte général d'austérité budgétaire, les crédits consacrés à la solidarité affichent une progression de près de 2 %.
D'aucuns, satisfaits des orientations budgétaires retenues, félicitent le Gouvernement d'avoir su dégager les marges de manoeuvre nécessaires au financement de nouvelles priorités, telles que le plan de renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion ou les actions en direction des personnes handicapées.
Plusieurs éléments viennent néanmoins relativiser cette habile présentation. Mis bout à bout, ils reflètent bien la vision négative de la solidarité nationale du Gouvernement, qui entend surtout se décharger de ses responsabilités sur les collectivités et sur le monde associatif.
En premier lieu, je rappellerai à la majorité sénatoriale les gels budgétaires passés, qui n'ont pas épargné, loin s'en faut, les crédits d'intervention en faveur des publics les plus fragiles. L'annulation, le 3 octobre dernier, de 5 millions d'euros des crédits inscrits au chapitre 46-35, consacrés aux interventions en faveur des personnes handicapées, en témoigne.
En second lieu, il convient de ne pas oublier que cet « effort », a priori consenti, est largement financé par des redéploiements, donc par une diminution des autres budgets, parmi lesquels celui du logement, qui enregistre une baisse de 8,8 %, au mépris de la pénurie de l'offre locative sociale et des aides à la personne, et celui de l'emploi, dans sa partie portant sur le traitement social du chômage, comme en témoignent les mesures relatives à la suppression après deux ans de l'ASS, l'allocation spécifique de solidarité.
Des économies sont également réalisées au détriment des populations précaires et au mépris du principe de l'égal accès aux soins et à la prévention ainsi que du droit à la santé. L'AME, l'association mairies emploi, est plus que jamais en sursis, comme vient de le rappeler mon collègue Guy Fischer.
Ce sont autant de restrictions des budgets sociaux qui ne sont pas sans inquiéter les associations travaillant dans le secteur social.
Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que quarante associations nationales, regroupées au sein du réseau Alerte, ont dénoncé, le 23 octobre dernier, « une accumulation de mesures régressives qui risquent de jeter dans la précarité les publics les plus fragiles », et qu'à cette occasion elles ont demandé au Gouvernement la traduction explicite, dans le budget 2004, de l'exclusion comme priorité nationale ?
Le Gouvernement va pourtant à rebours de ces exigences. Il pénalise les assurés sociaux, comme nous venons de le constater à travers le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Par sa réforme du RMI et la création du RMA, il stigmatise, sous couvert de « responsabilisation », les chômeurs de longue durée qui se « seraient installés dans l'assistance ».
Tel est aussi le sens réel du budget pour 2004.
En dernier lieu, pour apprécier à leur juste mesure les crédits solidarité, il convient, mes chers collègues, de regarder plus en détail les crédits consacrés à l'aide aux adultes handicapés, l'AAH, premier minimum social à la charge de l'Etat.
Là encore, le décalage est grand entre le souci du Président de la République de faire de la cause des personnes handicapées une priorité nationale et la réalité.
Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées a ainsi indiqué fort justement devant la commission des affaires sociales que « la croissance moyenne du nombre de bénéficiaires de l'AAH avait été de 6 % par an, entre 1995 et 2002 ». Or, pour 2004, la dotation de 4,7 milliards d'euros n'est en hausse que de 1,9 % contre 2,2 % initialement en 2003. Le Gouvernement ne prend pas en compte la forte demande en faveur d'un relèvement substantiel du montant de l'AAH émanant d'un grand nombre d'associations, qui souhaitent en outre son indexation sur l'évolution des salaires moyens, mais, de surcroît, il sous-évalue la progression du nombre de bénéficiaires.
Les conditions sont réunies pour que demain, pour des raisons étroitement budgétaires, le Gouvernement « grignote », pour ne pas dire remette en cause, les conditions même d'attribution de l'allocation.
De deux choses l'une : ou ce gouvernement est particulièrement imprévoyant, ce que je ne crois pas, puisqu'il explique la forte croissance des bénéficiaires « par l'évolution de la catégorie des personnes ayant un taux d'incapacité entre 50 % et 80 % et auxquelles on octroie l'AAH car elles n'ont pas d'emploi », ou, en conscience, il fait le choix de faire l'impasse sur la réalité des besoins - qui iront forcément croissants, avec l'envolée des chiffres du chômage qui ne manquera pas de toucher de plein fouet, nous le savons, les personnes handicapées au regard de l'emploi - parce que, dès aujourd'hui, il prépare une réforme de fond de l'AAH.
Ma question est simple : que cachent ces crédits en trompe-l'oeil ? Serait-ce une remise en cause de l'AAH ?
J'attends donc des précisions sur les intentions du Gouvernement quant au devenir de cette prestation dans la future réforme.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Madame Demessine, je ne reviendrai pas sur vos accusations générales. C'est en tant que secrétaire d'Etat aux personnes handicapées que je vous réponds, et je trouve que les qualificatifs de « libéral » et de « dangereux » ne sont pas du tout adaptés à un projet de budget qui, vous le savez, est en progression pour la seconde année. Nous avons fait des progrès importants, et je suis fière des budgets 2003 et 2004, même si, comme je dis dans chacune de mes interventions, il y a encore énormément à faire.
Nous avons un retard de plusieurs décennies dans ce domaine, mais, contrairement à vous, je ne « politise » pas du tout. Je n'ai qu'un souci : assurer une meilleure intégration des personnes handicapées dans notre société.
Nous sommes sur le bon chemin : deux bons budgets et l'année 2004 sera aussi celle de la nouvelle loi sur le handicap qui nous permettra, je le sais, de passer à la vitesse supérieure.
Vous m'avez posé une question précise sur le devenir de l'allocation aux adultes handicapés, madame Demessine. Je crois avoir déjà répondu tout à l'heure à M. Paul Blanc s'agissant de la progression des crédits affectés à cette allocation. J'ajouterai seulement que le Gouvernement a le souci de faire en sorte, cette année et les années à venir, que l'allocation aux adultes handicapés s'adresse bien aux personnes handicapées, et non pas à des personnes simplement privées d'emploi.
Il me semble donc nécessaire de clarifier les choses en matière d'allocations, afin que leur attribution corresponde bien à leur finalité initiale. D'autres aides sont prévues au profit des demandeurs d'emploi, et je serai pour ma part extrêmement attentive à ce que le bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés soit réservé aux personnes handicapées.
L'AAH est aujourd'hui la ressource principale de plus de 760 000 personnes. Au taux plein, son montant est actuellement de 577,92 euros par mois. Les principales critiques dont elle est l'objet ont trait à son insuffisance et au fait qu'elle n'incite guère au travail. A mes yeux, elle est surtout complexe et ambiguë, et la situation mérite, là encore, d'être clarifiée.
En effet, qu'est-ce que l'allocation aux adultes handicapés aujourd'hui ? C'est à la fois un revenu d'existence et la compensation d'un handicap.
Je veux d'abord simplifier les modalités de son calcul pour qu'elles soient compréhensibles par tous.
En outre, dans le projet de loi sur le handicap qui sera discuté en 2004, l'allocation aux adultes handicapés sera définie comme une ressource d'existence, une ressource de base.
Parallèlement, après une évaluation personnalisée du handicap, une allocation de compensation sera allouée, qui recouvrira des aides humaines, des aides techniques, des aides au logement et des aides diverses, en fonction des personnes et des cas.
Enfin, au travers de l'élaboration de la future loi sur le handicap, nous ferons en sorte que l'allocation aux adultes handicapés incite davantage au travail qu'elle ne le fait aujourd'hui. Il ne faut plus que les personnes handicapées puissent continuer de penser demain qu'elles n'ont pas intérêt à travailler, parce qu'elles risqueraient alors de perdre le bénéfice de l'AAH.
Le travail représente évidemment, pour toutes les personnes handicapées qui peuvent travailler, un mieux, un plus. Il leur permet de s'insérer dans la société, d'y trouver leur utilité, comme chacun d'entre nous. Il faut donc que demain le cumul de l'allocation aux adultes handicapés et d'un revenu d'activité soit intéressant pour les personnes concernées. Nous avancerons dans ce domaine des propositions très précises pour inciter chaque personne handicapée qui le peut à travailler, ne serait-ce qu'à temps très partiel. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Madame la secrétaire d'Etat, je ne déplore bien sûr absolument pas l'augmentation, fût-elle très modeste, des crédits budgétaires consacrés aux personnes handicapées. Je regrette seulement qu'elle intervienne au détriment d'autres politiques sociales et qu'il ne s'agisse que d'un redéploiement.
Par ailleurs, j'ai bien entendu la réponse que vous nous avez faite sur la question de l'AAH. Dans le cadre de la future réforme, l'AAH sera donc définie à la fois comme un revenu d'existence et une compensation du handicap.
A cet égard, je souhaite que la compensation du handicap vienne s'ajouter au revenu d'existence, dont le niveau actuel est trop faible et mérite d'être revu. On pourrait alors dire que l'AAH n'est pas menacée, mais sera au contraire améliorée.
En revanche, s'il s'agit de partager ce qui existe déjà et se révèle insuffisant, je ne crois pas que le monde des personnes handicapées pourra formuler un jugement positif sur votre projet de loi.
En tout état de cause, je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'Etat. Nous en débattrons avec les personnes handicapées elles-mêmes, avant que vous ne présentiez votre texte en conseil des ministres puis au Parlement.
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.
M. Yves Krattinger. Le Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO, a été créé par la loi de finances de 1998 afin d'apporter aux établissements de santé sous dotation globale une aide de l'Etat destinée à permettre la réalisation d'opérations de restructuration hospitalière.
De l'avis général, ce fonds a fonctionné de manière peu satisfaisante : sa gestion était trop lourde et centralisée, les opérations retenues n'étaient financées qu'au terme d'une longue procédure et selon des critères restrictifs.
Les autorisations de programme de ce fonds ont donné lieu à une bonne consommation des crédits jusqu'en 2001, année où ils ont été utilisés à hauteur de 80 %. En 2002, ce sont seulement 17,6 % des crédits ouverts au titre des autorisations de programme qui ont été consommés. La suppression du FIMHO a été décidée l'an dernier. La loi de finances de 2003 n'a ouvert aucune autorisation de programme nouvelle, une simple dotation résiduelle en crédits de paiement étant maintenue, afin de couvrir les engagements contractés. Ce processus n'ira même pas jusqu'à son terme, puisque l'assurance maladie est censée prendre le relais.
Les engagements pris par l'Etat vont ainsi être couverts par des crédits provenant de l'assurance maladie, ce qui est tout de même surprenant.
De la même façon, aucune autorisation de programme ne sera ouverte en 2004 au titre de l'aide aux investissements dans les établissements sanitaires. Seulement 11 millions d'euros de crédits de paiement sont inscrits au projet de budget pour 2004, probablement en vue de solder des opérations déjà engagées.
L'article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 prévoit que, sur 300 millions d'euros de dotations de l'assurance maladie au fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés pour le financement du plan « Hôpital 2007 », 20 millions d'euros proviendront des chapitres 66-11 et 66-12, respectivement dotés, en 2003, de 15,21 millions d'euros et de 15,25 millions d'euros de crédits de paiement.
Afin de mettre en oeuvre le plan « Hôpital 2007 », le Gouvernement a pris des dispositions juridiques nouvelles permettant d'externaliser la réalisation de certaines opérations. Il a, en effet, supprimé le chapitre 66-12 et, pour l'essentiel, le chapitre 66-11, et réformé l'investissement hospitalier par voie d'ordonnances, notamment par celle du 4 septembre 2003.
Le montant total des investissements susceptibles d'être retenus au titre du plan « Hôpital 2007 » s'établit à 10,2 milliards d'euros pour 937 opérations, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission.
Sur ces 10,2 milliards d'euros, 4,2 milliards d'euros seraient apportés par les acteurs de l'hospitalisation, grâce aux excédents qu'ils auront dégagés. De quels excédents s'agit-il ? pourrait-on se demander. Sauf par le biais d'une augmentation du prix de journée des hôpitaux, on voit mal comment ceux-ci, exsangues, pourraient dégager des excédents. Si des établissements se trouvent en mesure d'investir, on peut alors se demander ce que deviendront les autres.
Les 6 milliards d'euros restants devraient, semble-t-il, être à la charge de l'Etat. Or, de 2003 à 2007, cela représente 1,2 milliard d'euros en moyenne par an, mais, pour l'année 2003, le montant investi est de un milliard d'euros, composé notamment de 300 millions d'euros d'aide en capital pour tous les établissements, et non pas seulement pour les établissements bénéficiaires du plan « Hôpital 2007 », et de 70 millions d'euros d'aide au fonctionnement pour les établissements sous dotation globale. Or, 300 millions d'euros auxquels s'ajoutent 70 millions d'euros en font 370, me direz-vous. Effectivement, 700 millions d'euros correspondent au montant total des emprunts contractés par les hôpitaux pour financer l'investissement ; sachant que la somme de 70 millions d'euros en représente le remboursement annuel, si l'on suit votre logique, la part des fonds sociaux dans le financement des investissements atteindra à terme 100 %. En externalisant la réalisation des opérations et en en confiant le suivi à l'assurance maladie, l'Etat ouvre la voie à son désengagement en matière de santé publique.
En effet, après avoir divisé le montant des autorisations de programme par cinq et demi en 2003, le Gouvernement les divise par deux pour 2004, et transfère peu à peu la charge des investissements hospitaliers à d'autres sources de financement. L'Etat abandonne l'effort d'investissement au titre du plan « Hôpital 2007 » à ses partenaires publics. L'assurance maladie est à l'agonie, mais on lui laisse assumer la plupart des investissements hospitaliers. Les hôpitaux publics sont, comme le titrait en fin de semaine dernière un grand journal du soir, « au bord de la rupture », mais ils doivent financer l'effort d'investissement prévu par le plan « Hôpital 2007 ».
Monsieur le ministre, l'Etat, qui était jusqu'alors, malgré des dysfonctionnements, garant de l'égalité d'accès aux soins, garant aussi de la qualité des soins sur le territoire national, a-t-il encore un avenir dans votre vision de la gestion hospitalière ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez tenté de résumer, conformément à votre vision des choses, la situation de l'hôpital en matière de fonctionnement et d'investissement.
Je rappellerai que, ces dernières années, l'hôpital investissait 2,7 milliards d'euros par an, dont 1,6 milliard d'euros de crédits d'entretien et 1,1 milliard d'euros consacrés à des projets nouveaux, notamment de construction et de réhabilitation.
Manifestement - vous l'avez dit vous-même et je vous remercie de votre objectivité sur ce point -, le FIMHO n'a pas fonctionné de façon satisfaisante. Malheureusement, en raison des lourdeurs de l'Etat, les crédits alloués à ce fonds n'ont pu être utilisés correctement.
Au regard de ce constat, qu'avons-nous décidé ? Nous avons voulu que, en cinq ans, notre pays retrouve un parc hospitalier décent et moderne.
En effet, si de nombreux hôpitaux ont été construits dans les années soixante-dix et, dans une moindre mesure, dans les années quatre-vingt, le rythme des réalisations s'est nettement ralenti par la suite et l'entretien a été parfois insuffisant. Nous avons donc décidé d'engager un effort d'investissement de 6 milliards d'euros sur cinq ans, entièrement à la charge de l'Etat, par le biais de l'assurance maladie. Vous avez d'ailleurs parfaitement résumé quelle serait la ventilation de ces crédits, monsieur le sénateur : 300 millions d'euros de subventions seront attribués chaque année, ainsi que 70 millions d'euros au titre du groupe IV pour permettre le remboursement de la dette.
Vous vous êtes par ailleurs interrogé sur la provenance des 4,2 milliards d'euros supplémentaires prévus au titre du plan « Hôpital 2007 ». A vrai dire, nous ne les attendions pas. Nous avions prévu 6 milliards d'euros de crédits, mais, quand les budgets prévisionnels ont été établis, à hauteur de 10,2 milliards d'euros, les agences régionales de l'hospitalisation, interrogées, nous ont fait savoir qu'elles disposaient d'une capacité d'autofinancement et d'emprunt qui leur permettait de porter l'effort au niveau souhaité. Les responsables des ARH ont ajouté que les subventions de l'Etat représenteraient ainsi 60 % du total du programme, alors que jamais le taux de financement des programmes publics par les subventions n'avait auparavant dépassé 15 %.
En outre, s'agissant du rôle de l'Etat, permettez-moi de vous dire que, au-delà des bâtiments, ce qui est vraiment important, c'est le personnel qui anime et fait vivre l'hôpital, qui assume la mission hospitalière. Or cette fonction publique hospitalière est sous la tutelle directe de l'Etat. Il conviendra d'ailleurs de discuter de son organisation future : faut-il continuer à séparer l'hôpital et le secteur ambulatoire ? Nous verrons bien. En tout état de cause, pour le moment, les hôpitaux relèvent directement de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, qui est placée sous mon autorité.
L'Etat était confronté à un défi, qu'il a dû relever. Permettez-moi de vous dire, monsieur Krattinger, qu'il faut quelquefois être un peu plus souple dans ses raisonnements : l'assurance maladie, c'est l'argent des Français destiné aux soins, et je ne trouve pas du tout indécent que cet argent contribue également au financement de la construction des lieux de soin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.
M. Yves Krattinger. Monsieur le ministre, je vous remercie de la sincérité de votre réponse. Vous avez confirmé que c'était bien l'assurance maladie qui financerait intégralement le plan « Hôpital 2007 ».
Cela étant, votre réponse ne me satisfait pas complètement.
Ainsi, dans mon département, la Haute-Saône, la création de l'hôpital départemental unique sera financée presque exclusivement par le biais d'emprunts, qui seront ensuite remboursés grâce à l'augmentation du prix de journée.
En effet, pour une opération dont le coût total est estimé à un peu plus de 118 millions d'euros, le plan « Hôpital 2007 » prévoit une subvention de zéro euro en 2003, de zéro euro en 2004, de 1,8 million d'euros en 2005, de 2,3 millions d'euros en 2006 et de 2,1 millions d'euros en 2007, ce qui fait 6,2 millions d'euros de subventions de l'Etat, soit 5,2 % de l'ensemble des dépenses, selon l'agence régionale de l'hospitalisation de Franche-Comté.
Monsieur le ministre, vous ne m'avez pas complètement rassuré. Vous avez lancé à grand renfort de publicité ce plan « Hôpital 2007 ». En réalité, celui-ci ne bénéficie d'aucun crédit nouveau, mais fait seulement l'objet d'une mobilisation de fonds provenant de l'assurance maladie, laquelle est dans l'état de santé financière que nous savons. L'assurance maladie, pour tenir ses engagements, devra donc trouver des ressources nouvelles. Pis encore, ce recours à l'assurance maladie vous a permis de faire des économies sur les investissements de l'Etat.
Dans les circonstances actuelles, avec une sécurité sociale en grande difficulté, comme vous l'avez vous-même reconnu devant la commission des affaires sociales, et des hôpitaux qui s'essoufflent, le résultat est plus que prévisible : une hausse inexorable des coûts des soins hospitaliers - vous aurez du mal à soutenir le contraire -, avec, à terme, la fin de l'égalité d'accès aux soins, avant la privatisation partielle, pour équilibrer le tout, de l'assurance maladie.
M. Jean-François Mattei, ministre. Il ne manquait plus que ça !
M. Jean Chérioux. C'est l'Apocalypse !
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Je voudrais situer mon propos de ce matin dans le prolongement de ceux que j'ai tenus lors de la discussion de l'article 31 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004.
En effet, depuis les ordonnances de 1996 qui organisent, notamment, la régulation des dépenses de santé, nous avons toujours le même débat relatif à la maîtrise de ces dernières. Dès lors qu'il y a maîtrise des dépenses de santé, elle est obligatoirement comptable. Toutefois, sa médicalisation est délicate. Bien des dispositifs ont déjà été mis en place à cette fin, parmi lesquels, en particulier, les RMO, les références médicales opposables, et le SMR, le service médical rendu.
A cet égard, l'adoption de l'article 31 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 a constitué une décision politique essentielle. Vous avez voulu, monsieur le ministre, donner à la loi toute la force que les circulaires n'avaient pas. Désormais, lorsque des soins seront dispensés à des patients atteints d'une affection de longue durée, ou ALD, le médecin traitant et le médecin conseil établiront conjointement un protocole de diagnostic et de soins.
Jusqu'à présent, on constatait une multiplicité de demandes pour un même patient, sur l'initiative de différents intervenants, d'où une multiplicité de protocoles thérapeutiques, une absence de coordination médicale, un manque de transfert d'informations entre des intervenants qui d'ailleurs ne se connaissent pas, ainsi, évidemment, qu'une aggravation du « nomadisme médical ».
S'agissant du contexte thérapeutique, décisionnel ou de suivi, le fameux PIRES, le protocole interrégimes d'examen spécial, s'avère simpliste, peu précis, incomplet ; ce n'est pas un dossier médical. De plus, il n'engage pas les médecins hospitaliers, pas toujours identifiés, en termes de respect des règles de prescription. Pour chacune des pathologies, il ne comporte pas la totalité des critères médicaux de diagnostic, de suivi, de traitement. Le référentiel décisionnel reste imparfait, les recommandations n'ont pas de caractère d'opposabilité. On comprend que tous ces éléments n'aient pas à ce jour permis l'application de la maîtrise médicale des dépenses de santé, s'agissant notamment de la prise en charge des ALD.
Dorénavant, on peut espérer une meilleure coordination des soins au sein d'un groupement de professionnels complémentaires. On peut espérer un développement de la circulation de l'ensemble de l'information médicale. On peut espérer l'engagement et la responsabilisation des patients dans le processus thérapeutique.
En ce qui concerne l'article 31 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, monsieur le ministre, vous avez indiqué que les modalités de la mise en oeuvre du dispositif seront fixées par décret. En effet, l'établissement de ce protocole constitue un préalable indispensable, d'une part, à la maîtrise des coûts, et, d'autre part, à la qualité des soins en matière d'ALD. Pour ma part, je m'étais félicité de la place prépondérante que semblaient prendre le contrôle médical et les médecins-conseils dans ce dispositif.
Je voudrais évoquer, monsieur le ministre, un récent rapport de l'IGAS, le rapport Gissler, d'octobre 2003, qui conteste les missions actuelles du service médical et, surtout, la répartition quantitative des activités des praticiens-conseils entre leurs différentes missions. Cette répartition a conduit à réduire le temps consacré aux avis individuels sur les demandes de prestation, et ce depuis bien des années. On pourrait expliquer en partie la dérive constatée - et la Cour des comptes s'y attarde -, relative aux dépenses d'indemnités journalières et aux dépenses liées aux ALD.
Monsieur le ministre, l'ordonnance du 24 avril 1996 fait du service médical des caisses un acteur majeur de la maîtrise médicalisée des dépenses de soins reconnu par l'assurance maladie. Par ailleurs, je constate que le Conseil national de l'ordre des médecins insiste sur la confraternité entre médecins traitants et médecins-conseils. Il préconise un contrôle médical mieux informé, des dossiers médicaux lui permettant d'être acteur efficace de la maîtrise médicalisée en pratiquant plus de conseils que de répression, en ayant les moyens de la responsabilisation des patients. L'établissement de meilleurs protocoles pour les ALD serait souhaitable et urgent.
Enfin, les parlementaires doivent-ils cautionner les objectifs régionaux édictés par la Caisse nationale d'assurance maladie ou mettre en avant les recommandations du rapport Gissler, qui les contredisent ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Avant de répondre à M. Leclerc, je vous précise, monsieur Krattinger, que je m'assurerai qu'il n'y a aucune subvention complémentaire, puisque c'est ce que vous prétendez.
Monsieur Leclerc, qu'avons-nous voulu faire sur les affections de longue durée, à l'article 31, et sur les arrêts de travail, à l'article 34 bis ?
S'agissant des ALD, ces dépenses représentent près de la moitié des dépenses totales d'assurance maladie. C'est normal parce qu'elles correspondent aux soins les plus coûteux et il n'est pas question de diminuer la prise en charge de ces patients.
Il faut clarifier le cadre juridique et pratique des ALD. Il y a déjà un « protocole de soins », qui définit clairement le périmètre des soins pris en charge à 100 %. Mais il n'est pas toujours bien respecté, à la fois parce qu'il n'est pas assez précis et que personne ne se sent juridiquement tenu de le respecter.
J'ai donc souhaité renforcer ce document établi conjointement entre le médecin traitant et le médecin-conseil. Il s'agit que le patient comme le praticien à l'origine du PIRES et le médecin-conseil connaissent précisément le périmètre des soins pris intégralement en charge et que les recommandations du Haut Comité médical de la sécurité sociale - qui définissent le seuil de gravité ouvrant droit à l'exonération - soient parfaitement transparentes et opposables, y compris pour le patient.
Bien entendu, le vote de l'article 31 nécessitera, en conséquence, de modifier les textes réglementaires.
Il s'agira, d'abord, de modifier l'article R. 324-1 du code de la sécurité sociale, qui devra supprimer la mention actuelle selon laquelle c'est le règlement intérieur des caisses qui fixe les conditions dans lesquelles doit intervenir l'examen susceptible d'ouvrir droit à la prise en charge à 100 % : c'est le décret qui fixera désormais ces conditions, et notamment les principes généraux de l'exonération, de même que les voies de recours pour l'assuré qui contestera la décision de la caisse.
Il s'agira, ensuite, de modifier l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale, qui précisera qu'en annexe de chaque pathologie exonérante figureront les recommandations du Haut comité de la sécurité sociale précisant les conditions médicales d'exonération, ainsi que, le cas échéant, le rythme de révision des protocoles de soins.
Il s'agira, enfin, de modifier l'arrêté modifiant l'imprimé PIRES actuel : cet imprimé doit être plus précis et doit être le support d'un véritable accord du médecin traitant et du médecin-conseil sur la nature des soins pris en charge à 100 %.
J'ajoute, enfin, qu'il faudra, à terme, informatiser le PIRES, de façon à l'actualiser en routine et à en faire un instrument plus facilement modifiable et une véritable navette entre médecin-conseil et médecin traitant.
Concernant les arrêts de travail, même si elles ne mettent pas en évidence de phénomène explicatif, les premières conclusions du rapport IGF-IGAS montrent une augmentation forte des indemnités journalières - 10,1 % en 2002 - et des disparités géographiques anormales, variant de 1 à près de 2,5.
Il appartient déjà au service du contrôle médical de « constater les abus en matière (...) de prescription d'arrêt de travail », aux termes du II de l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale. J'ai souhaité que puisse être mis en oeuvre par les caisses, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, un renforcement des procédures de contrôle tant à l'égard des professionnels que des patients. Ce n'est pas une question de moyens, c'est une question de priorité à mettre en oeuvre dans la politique de gestion du risque : d'abord, en vérifiant la justification médicale de l'arrêt de travail chaque fois qu'il existe de bonnes raisons de penser qu'il y a versement injustifié d'indemnités journalières ; ensuite, en mettant sous surveillance les prescripteurs atypiques d'indemnités journalières, de façon à examiner les mauvaises pratiques de prescription et à progressivement les corriger. Il s'agit simplement d'être attentif à la juste utilisation des fonds publics. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nelly Olin.
Mme Nelly Olin. Madame le secrétaire d'Etat, le budget relatif aux personnes handicapées augmente de 3,2 % dans un contexte budgétaire très complexe, démontrant ainsi l'attachement très fort du Gouvernement et du Président de la République à la cause du handicap.
Certes, la loi de 1975, voulue par Jacques Chirac, alors Premier ministre, était volontariste et courageuse. Mais, depuis, aucune réforme d'envergure n'est venue compléter ces dispositions, et la France a pris du retard dans plusieurs domaines. Il s'agit notamment de l'accueil des jeunes enfants handicapés en milieu ordinaire, du droit au travail, de l'accès à la culture et au sport, de la mobilité urbaine et des soins à domicile ou en établissement.
Dès 2003, des moyens importants ont été engagés par l'Etat et l'assurance maladie pour répondre aux besoins des personnes handicapées et aux attentes légitimes de leur famille.
Le projet de budget pour 2004 apporte de nouvelles réponses. Madame le secrétaire d'Etat, vous avez d'ores et déjà inscrit les crédits nécessaires afin de créer 1 014 postes d'auxiliaires de vie, 3 000 places supplémentaires en centres d'aide par le travail, CAT, et de financer trente sites de vie autonome.
Cela représente, pour les centres d'aide par le travail, un doublement de leur rythme de progression annuelle, portant à près de 100 000 le nombre de places. Plus largement, entre juin 2002 et janvier 2003, la France sera passée de moins de 3 000 à environ 5 000 auxiliaires de vie sociale : c'est un vrai progrès de la solidarité nationale. De nouvelles places en maisons d'accueil spécialisé, les MAS, et en foyers d'accueil médicalisé, les FAM, vont également être créées.
En outre, madame le secrétaire d'Etat, vous avez annoncé que le projet de loi relatif aux droits des personnes handicapées, qui sera discuté au Parlement en 2004, contiendra des dispositions très précises en matière de compensation des conséquences du handicap. L'attente des personnes handicapées sur ce sujet est très forte, mais nous connaissons votre volonté et celle du Gouvernement.
Aujourd'hui, vous me permettrez de vous interroger sur les perspectives concernant les places en établissements.
Chaque fois que cela est possible et souhaité, il importe de favoriser le maintien des personnes handicapées dans leur lieu de vie habituel et d'assurer la continuité de leur prise en charge. Mais il peut arriver que la lourdeur du handicap et des incapacités induites ne permettent pas l'autonomie nécessaire à une vie à domicile. Les institutions spécialisées constituent, dans ce cas, la réponse la plus adaptée aux besoins de ces personnes.
Or de nombreux problèmes demeurent concernant l'offre de places en établissements.
Tout d'abord, fort heureusement, les personnes handicapées vivent de plus en plus tard. Mais la dépendance augmente avec le vieillissement. Trop peu de structures existent à l'heure actuelle pour accueillir les personnes handicapées vieillissantes.
En outre, de nombreux jeunes adultes restent dans les instituts médico-éducatifs faute de place dans les établissements spécialisés. Des jeunes de vingt-cinq ans bloquent ainsi, bien involontairement, les structures d'accueil pour enfants.
Par ailleurs, les lieux d'accueil à temps partiel, même si vous avez beaucoup oeuvré pour les développer, restent encore insuffisants.
Enfin, l'offre d'accueil est inégale selon les régions. Au handicap vient s'ajouter en effet l'éloignement, lorsque les familles ne trouvent des structures que dans d'autres départements. La solitude face à la gestion quotidienne du handicap dans des domiciles inadaptés et la nécessité pour l'un des parents d'abandonner son activité professionnelle alourdissent encore les conséquences du handicap.
Si vous me le permettez, j'évoquerai le cas de mon département, le Val-d'Oise.
Les chiffres de 2002 communiqués par la préfecture indiquent notamment que 408 enfants et adolescents handicapés sont en attente de places, 124 sont maintenus tant bien que mal à domicile et 172 sont scolarisés à temps partiel lorsque cela est possible. Seuls 112 enfants et adolescents sont accueillis en établissements spécialisés, où résident de nombreux jeunes adultes qui devraient être dans des structures adaptées à leur âge. Le fait que 600 jeunes Val-d'Oisiens soient désormais placés hors département, sachant ce que cela implique comme sacrifices pour leurs familles, parle de lui-même.
Concernant les adultes handicapés, le recensement des besoins est attendu depuis 1998 et nous n'avons aucun chiffre officiel.
La DDASS se voit contrainte d'avouer son impuissance lorsque les agréments sur des projets de création de places supplémentaires sont obtenus mais non suivis de crédits. Les 256 places annoncées pour 2006, financées par le département et la région, couvriront à peine la moitié des besoins.
Madame le secrétaire d'Etat, il vous incombe la lourde responsabilité de rendre notre société un peu plus solidaire, de faire en sorte que ce soit elle qui s'adapte, afin que le handicap soit mieux soulagé. Nous savons pouvoir compter sur vous.
Aussi, j'aimerais connaître les mesures que vous entendez mettre en oeuvre afin de poursuivre votre action contre la pénurie de places en établissements en faveur des personnes handicapées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Madame Olin, je vous remercie d'avoir noté l'effort fait par le Gouvernement en dix-huit mois. Depuis la loi fondatrice de 1975, il y a eu la loi de 1987 - M. Chirac était alors Premier ministre -, qui me paraît importante en matière d'emploi des personnes handicapées.
Comme vous l'avez dit, il y avait 25 000 places en maisons d'accueil spécialisé au 31 décembre 2002. En deux ans, nous avons augmenté le nombre de places de l'ordre de 20 %, ce qui est considérable. En effet, nous avons créé 2 200 places par an, soit 4 400 places.
En ce qui concerne les CAT, nous avons créé 3 000 places en 2003. Nous en créerons également 3 000 en 2004. Si mes renseignements sont bons, il manquait, lorsque nous sommes arrivés au gouvernement, 15 000 places en CAT. Si nous poursuivons après 2004 l'effort entamé en 2003, la liste d'attente à l'entrée des CAT sera résorbée en cinq ans, pendant le quinquennat, d'autant que nous menons parallèlement d'autres politiques comme celle qui vise à mieux insérer un plus grand nombre de personnes handicapées en milieu de travail ordinaire.
Cela étant dit, vous l'avez noté, le retard est lourd et des problèmes importants subsistent sur de nombreux points.
S'agissant du problème soulevé par l'amendement Creton, maintes fois évoqué, y compris ce matin - les personnes handicapées adultes bloquent des places en instituts médico-éducatifs, les IME -, la politique du Gouvernement visant à augmenter le nombre de places dans les établissements va dans le sens de la résorption au plus vite des listes d'attente.
Par ailleurs, l'accueil temporaire est absolument essentiel. En effet, encore aujourd'hui, au xxie siècle, plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de personnes lourdement handicapées, qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes, sont à la charge de leurs familles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Cet accueil temporaire commence à se développer. Nous avons voulu le conforter par un décret, qui est à la signature. Il faudra, dans les années à venir, développer partout des accueils temporaires pour soulager les familles le temps d'un week-end ou, mieux, pendant des vacances.
Le problème des personnes handicapées vieillissantes est un problème nouveau, et c'est heureux, si je puis dire, puisqu'il montre que l'espérance de vie de ces personnes augmente considérablement. Pour m'être fréquemment déplacée sur le terrain, je dirai que ce problème n'appelle pas une réponse unique. Il appartient aux associations et aux DDASS d'innover et d'apporter la réponse la plus appropriée en fonction du contexte : cela peut être quelques places dans une maison de retraite, une annexe à un CAT pour des personnes qui y travaillent et qui commencent à vieillir, mais cela peut être aussi la création d'établissements pour personnes handicapées vieillissantes. Beaucoup reste à faire en ce domaine.
Enfin, vous avez relevé les inégalités entre les régions. C'est un fait, c'est le fruit de l'histoire. Ainsi, les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nord - Pas-de-Calais et Languedoc-Roussillon ainsi que la région d'Ile-de-France sont manifestement en retard par rapport aux autres régions. C'est pourquoi, dès 2003, j'ai veillé, dans un souci de justice, à apporter des réponses inégalitaires.
En ce qui concerne le Val-d'Oise, madame Olin, 312 places - toutes catégories d'établissements confondues - ont été créées en 2003. Par rapport aux 3 146 places créées à l'échelon national, cela signifie que 10 % des places nouvelles concernent le Val-d'Oise. Vous en conviendrez, c'est un effort important, nouveau, même si, je le reconnais, il est encore insuffisant et devra être poursuivi.
En outre, ont été créés, par le ministère de l'éducation nationale, 91 postes d'auxiliaire de vie scolaire. Dans votre département, comme dans la plupart des autres départements, la rentrée des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire s'est à peu près bien déroulée, pour la première fois depuis longtemps.
J'ignore d'où vous tirez la création de 256 places d'ici à 2006 car, à ma connaissance, les DRASS indiquent le chiffre chaque année.
Avec la réforme de la loi de 1975 et la nouvelle loi de 2004, un contenu sera enfin donné au droit à la compensation. Cette compensation sera individuelle, comme je l'ai déjà dit antérieurement, mais elle se traduira aussi par la création de nouvelles places en établissements. J'ose espérer que, grâce à la solidarité nationale et à cette nouvelle loi, nous allons pouvoir accélérer encore la création, nécessaire, de places en établissements dans notre pays, en particulier dans les régions défavorisées, et tout spécialement dans votre département, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nelly Olin.
Mme Nelly Olin. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie des réponses précises que vous m'avez apportées. Je ne doute pas de votre volonté ni de celle du Gouvernement. Je dois souligner que l'effort que vous faites est important compte tenu de la situation désastreuse que vous avez trouvée en arrivant au Gouvernement.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, ma question porte sur l'évolution de la démographie médicale et la répartition territoriale des professionnels de santé, qui conduit à une inégalité des citoyens devant l'offre de soins médicaux et paramédicaux.
Des projections statistiques indiquent que, à numerus clausus constant, le nombre de médecins devrait décroître à partir de 2005 et que la démographie médicale en 2020 serait comparable à celle de 1980 si rien n'est fait.
La crise qui se profile a déjà atteint les régions rurales, qui représentent 80 % de notre territoire et où vivent 20 millions de personnes. Notre pays souffre d'ores et déjà d'inégalités criantes dans la répartition territoriale, qu'il s'agisse de la médecine de ville ou de la médecine hospitalière. Les écarts moyens varient de un à quatre selon les régions. Ainsi, la densité médicale en Seine-Saint-Denis, où je suis élu, est de 66 généralistes pour 100 000 habitants, contre 130 dans les Hautes-Alpes.
Certaines spécialités - anesthésie, chirurgie et pédiatrie - sont frappées par la baisse démographique liée aux départs à la retraite, mais aussi au désintérêt des étudiants pour ces métiers difficiles ou mal rémunérés. Actuellement, la France compte 332 praticiens pour 100 000 habitants. Si rien n'est fait, cette densité sera inférieure à 300 après 2012.
Outre le mode de recrutement et notamment le niveau du numerus clausus au concours d'entrée de la faculté de médecine, le blocage des honoraires pour les spécialistes du secteur 1 et l'augmentation des procédures judiciaires engagées à l'encontre des médecins ne contribuent pas à l'amélioration des conditions d'exercice. C'est notamment le cas des anesthésistes et des obstétriciens.
Le cas des infirmières libérales est particulièrement grave. Alors que les demandes de soins à domicile augmentent, les conditions de travail des infirmiers libéraux se sont progressivement détériorées, je pense notamment aux difficultés de remplacement, à la rémunération des actes, aux indemnités de déplacement et aux indemnités kilométriques.
Aussi, aujourd'hui, dans certaines régions, il est difficile pour un médecin ou une infirmière de trouver un remplaçant à l'occasion de ses congés. Le dispositif actuel ne permet pas de parer à une absence temporaire. Faute de confrères en mesure de prendre la relève ponctuellement, les cabinets sont purement et simplement fermés le temps de leurs vacances. C'est le même problème pour les gardes, les samedis, dimanches et jours fériés, et les nuits.
De même, pour obtenir un rendez-vous avec certains spécialistes, il faut au patient six à huit mois ! Il s'entend même de plus en plus souvent répondre que, puisqu'il n'est pas client du cabinet, il ne peut lui être accordé de rendez-vous.
Monsieur le ministre, vous avez d'ores et déjà pris un certain nombre de dispositions : augmentation du mumerus clausus, mesures incitatives fiscales et financières.
De son côté, la Caisse nationale d'assurance maladie développe un service de conseils aux médecins généralistes libéraux sur le choix de leur lieu d'installation.
Je souhaiterais donc connaître le détail des initiatives que vous avez prises et celles que vous comptez prendre pour enrayer la pénurie de médecins, pour les convaincre de venir s'installer dans les secteurs difficiles et de choisir certaines spécialités délaissées.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur le sénateur, la politique de démographie des professions de santé que j'ai mise en oeuvre dès mon arrivée au ministère s'oriente dans les trois directions que vous venez d'évoquer et que je vais un peu développer en répondant à vos questions.
Ainsi, nous nous orientons vers une hausse résolue des numerus clausus et des quotas de l'ensemble des professions de santé, alors que ces numerus clausus ou quotas étaient bloqués depuis de nombreuses années, par exemple à 1 466 pour les masseurs-kinésithérapeutes, à 700 pour les sages-femmes et à 800 pour les odontologistes.
Ces hausses seront de 4 700 à 5 600, soit une augmentation de 20 %, en deux ans pour les médecins ; de 801 à 930, soit une augmentation de 16 % en deux ans, pour les dentistes ; de 1 406 à 1 655, soit une augmentation de 18 %, pour les masseurs-kinésithérapeutes ; de 2 250 à 2 600, soit une augmentation de 16 % en deux ans pour les pharmaciens, dont le nombre était bloqué depuis plus de dix ans ; de 26 436 à 30 000 en un an pour les infirmières.
De plus, un effort sans précédent sera fait pour certaines spécialités à la fin de la sixième année d'études, notamment pour les pédiatres et les gynécologues-obstétriciens. Il en sera formé 200 chaque année, ce qui représente un doublement du nombre de spécialistes formés en quatre ans.
Une deuxième série de mesures nouvelles permet d'orienter, à partir d'engagements contractuels pluriannuels, l'installation ou le maintien des professionnels dans les zones où les conditions d'exercice s'avèrent difficiles.
Examinons d'abord les mesures prévues par le CIADT, le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, de septembre 2003, et qui viennent d'être traduites dans la loi de finances pour 2004.
Une exonération de la taxe professionnelle est prévue pour les professionnels de santé qui s'installent dans les zones de revitalisation rurale, sur délibération des collectivités locales.
Une aide financière de l'Etat sera accordée à l'installation et au regroupement des médecins en zone sous-médicalisées. Le décret de zonage est en attente de publication. Pour l'année 2004, 2 millions d'euros seront ouverts au collectif budgétaire de 2003 pour l'aide financière de l'Etat.
Ensuite, le projet de loi en faveur du développement des territoires ruraux, en son article 38, prévoit la possibilité d'aide financière des collectivités territoriales aux professionnels de santé dans les zones identifiées par le même décret « zonage ».
Ce dispositif est complété par les dispositions conventionnelles, notamment les contrats de pratique professionnelle applicables en cas de conditions d'exercice difficiles et prévoyant des rémunérations forfaitaires.
Enfin, est envisagée une meilleure connaissance de la situation actuelle ou projetée des professions médicales et paramédicales. C'est la mission dévolue à l'observatoire de démographie des professions de santé, créé le 11 juillet dernier et dont les vingt-six comités régionaux constitués des observatoires régionaux de santé, des agences régionales de l'hospitalisation, des unions régionales des médecins libéraux, des unions régionales des caisses d'assurance maladie, des directions régionales des affaires sanitaires et sociales et des universités, en contact avec les réalités du terrain, sont maintenant au travail.
Les travaux de l'Observatoire s'appuieront également sur les données du répertoire partagé des professionnels de santé, premier fichier exhaustif et fiabilisé, dont la réalisation sera accélérée.
Nous avions besoin de nous doter d'outils pour disposer des repères nécessaires. Ces outils sont maintenant en place, le mouvement est lancé. Il va falloir continuer de les ajuster et de les régler au fil des ans.
En tout cas, monsieur le sénateur, on peut observer depuis un an un renversement de la politique en faveur de la démographie des professionnels de santé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Je veux simplement vous remercier, monsieur le ministre, de ces réponses qui témoignent de l'effort considérable que vous faites pour que la répartition des médecins soit plus homogène sur le territoire national.
M. le président. La parole est à M. Max Marest.
M. Max Marest. Madame la ministre, ma question concerne les crédits affectés aux actions en faveur des rapatriés d'origine nord-africaine et des harkis. C'est un dossier difficile, chargé d'émotion, qui renvoie la France à une page de son histoire récente et encore très douloureuse pour beaucoup. Le travail de mémoire demeure inachevé et exige que nous nous y investissions davantage.
Les crédits consacrés pour 2004 aux familles des harkis apportent des premières réponses à la situation financière parfois encore très difficile de ces personnes.
Tout d'abord, nous nous réjouissons que la communauté des harkis, à laquelle il est de plus en plus rendu hommage, ait enfin obtenu une reconnaissance qui s'illustre par un soutien financier permanent sous la forme d'une allocation de reconnaissance étendue au conjoint survivant. Les crédits correspondants pour 2004 sont en hausse de plus de 30 %.
Certains dossiers demeurent toutefois en suspens tel, par exemple, celui des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, qui sont pour la plupart d'origine européenne. Nombreux sont ceux qui se sont placés dans une situation de surendettement par nécessité.
C'est la Commission nationale des désendettements, créée en 1999, qui doit leur apporter une aide. Des retards ont été pris. Il a été accordé des délais supplémentaires pour négocier le plan d'apurement de leurs dettes avec leurs créanciers. Quelques centaines de dossiers sont encore en attente d'examen. Dans quels délais pensez-vous qu'ils pourront être traités ?
Par ailleurs, la question de l'indemnisation des rapatriés reste particulièrement délicate. Les sommes avancées sont considérables et se chiffre en plusieurs milliards d'euros tandis que les crédits inscrits se chiffrent en dizaines de millions d'euros.
Les rapatriés aspirent, et on les comprend, à ce qu'un geste en leur faveur soit consenti, bien que le dossier soit très complexe. Bien sûr, il est indispensable de tenir compte du contexte budgétaire actuel et chacun doit bien le comprendre. Un rapport sur la pertinence des mesures à mettre en place en faveur des rapatriés a été rendu récemment au Gouvernement. Peut-on espérer un règlement définitif des préjudices subis par cette population ?
Ne pourrait-il être l'occasion d'une grande réflexion sur le dispositif à mettre en place par devoir de justice mais aussi tout simplement pour mieux appréhender l'avenir ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole et à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, vous avez souligné que le Gouvernement porte un intérêt particulier aux rapatriés, et je tiens à vous en remercier.
En 2003, l'action du Gouvernement s'est en effet déployée aussi bien sur le plan de la reconnaissance morale de la nation à l'égard de ces populations meurtries que sur celui de la réparation de la dette matérielle.
En ce qui concerne la reconnaissance et le devoir de mémoire que nous devons aux rapatriés, les derniers mois ont été marqués par des décisions importantes.
En pérennisant, par le décret du 31 mars 2003, le 25 septembre comme journée nationale d'hommage aux harkis, le Gouvernement a voulu que notre nation se souvienne et commémore l'engagement de tous ces soldats, leur sacrifice et leur fidélité au drapeau français.
Parallèlement, pour promouvoir l'oeuvre accomplie par des générations de Français outre-mer, le Premier ministre a décidé que l'Etat s'associerait à la ville de Marseille dans la réalisation d'un mémorial de l'oeuvre française outre-mer, qui sera à la fois un musée mais aussi un centre de recherche, dont l'ouverture est prévue en 2006.
La réparation matérielle s'est, quant à elle, exprimée par la mise en place, le 1er janvier 2003, d'une allocation de reconnaissance de 343 euros par trimestre, désormais attribuée à tous les harkis et à leurs veuves âgées de plus de 60 ans. Elle est indexée sur l'inflation et n'est pas soumise à des conditions restrictives de ressources, comme l'était la rente viagère.
Conjointement ont été réactivées un certain nombre de mesures en faveur, notamment, du logement de ces populations. Les préfets sont actuellement mobilisés, ainsi que le service public de l'emploi pour venir en aide de manière prioritaire aux enfants de harkis demandeurs d'emploi.
Pour répondre à vos interrogations, monsieur le sénateur, je souhaite apporter les précisions suivantes.
Le Gouvernement proposera à la représentation parlementaire une revalorisation de l'allocation de reconnaissance pour les harkis et leurs veuves.
En second lieu, s'agissant du dossier complexe de l'indemnisation des rapatriés, je sais que les associations portent, depuis plus de dix ans, une revendication qu'elles considèrent comme prioritaire : réparer une différence de traitement entre rapatriés résultant de la superposition de trois lois d'indemnisation.
M. Michel Diefenbacher, député en mission, qui vient de rendre son rapport le 3 octobre dernier, prend position en faveur de la restitution des prélèvements opérés en vertu de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970. Je puis vous assurer que le Gouvernement est particulièrement attentif à cette revendication, qui ne lui semble pas illégitime.
Vous plaidez l'urgence qu'il y a à clôturer l'étude des dossiers d'aménagement des dettes des rapatriés. Le Gouvernement, d'une part, a doté la Commission nationale de désendettement de nouveaux moyens pour accélérer le traitement des dossiers et, d'autre part, a modifié le décret de 1999 pour que la commission soit en mesure de prendre en compte, dans l'élaboration des plans d'apurement, les dettes liées non seulement à l'acquisition, mais également à l'amélioration des résidences principales.
Les résultats ne se sont pas faits attendre, puisque la commission a examiné, à ce jour, l'éligibilité de 1 856 demandes sur les 3 145 dossiers déposés avant le 28 février 2002. Malgré tout, il reste encore quelques difficultés pour régler définitivement le dossier de la réinstallation. C'est pourquoi le Premier ministre a demandé à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale de l'administration de conduire un audit des procédures destinées à accélérer la réalisation des plans d'apurement. Les conclusions de cette expertise ont été communiquées ces jours-ci et serviront aux pouvoirs publics pour améliorer le dispositif.
Dans les semaines qui viennent, le Gouvernement vous présentera ses orientations sur l'avenir des politiques en faveur des rapatriés. Vous aurez l'occasion d'en débattre au cours de ce mois. Le Gouvernement a déjà pris de nombreuses initiatives concernant les rapatriés. Il entend continuer dans cette voie, je puis vous l'assurer, en association étroite avec la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Max Marest.
M. Max Marest. Madame le ministre, je vous remercie de vos propos et, surtout, du témoignage que vous avez donné de ce que le Gouvernement s'intéresse à ce lourd dossier qui, historiquement, commence à prendre de l'âge...
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Monsieur le ministre, dès votre nomination comme ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, vous nous avez fait part de votre intention de remodeler la politique de santé publique en insérant une dimension préventive qui ne fait pas partie à l'heure actuelle de notre culture sanitaire, essentiellement centrée sur le curatif.
Ainsi que notre excellent collègue rapporteur pour la santé l'a rappelé, « le déséquilibre qui existe entre les dépenses engagées au titre de la prévention - environ 3,6 milliards d'euros par an - et celles qui sont engagées au titre des soins curatifs - environ 154,4 milliards d'euros - illustre le retard qui reste à combler avant d'établir une véritable politique de prévention ».
La politique de prévention mérite donc une attention particulière. C'est bien grâce à elle que l'on peut mettre en place les instruments indispensables d'information et de formation pour prévenir les comportements à risque qui nuisent gravement à la santé de leurs auteurs. Nous savons trop combien de personnes meurent prématurément en France de pathologies que l'on pourrait éviter ou mieux soigner si on les avait dépistées plus tôt.
Cette politique se décompose en différents crédits : en crédits consacrés à la prévention de la survenance de la maladie en agissant sur les causes, qui recouvrent notamment l'éducation pour la santé, les actions d'information à destination du public en général ou de certains groupes ciblés ; en crédits consacrés à détecter les maladies à un stade précoce où l'on peut intervenir utilement et qui recouvrent notamment le dépistage ; enfin, en crédits visant à diminuer les récidives et les incapacités et à aider les personnes malades ou handicapées à vivre au mieux de leurs possibilités.
Ainsi, nous nous réjouissons que le projet de loi relatif à la politique de santé publique pose trois principes : l'affirmation du rôle de l'Etat en matière de prévention ; la mise en place de groupements régionaux de santé publique, qui auront la charge de coordonner les moyens sanitaires au niveau régional ; la publication des objectifs prioritaires de santé publique, assortis de tableaux de bord permettant de suivre et d'évaluer les politiques relatives à ces objectifs.
Les crédits alloués à la politique de prévention de votre budget - 189 millions d'euros - sont principalement destinés au financement d'actions en matière de lutte contre l'alcoolisme, le tabac et plusieurs pathologies, dont le cancer et le sida. Des actions sont également prévues dans le domaine de la santé mentale, la prévention des suicides ou encore des traumatismes par accident.
Des moyens importants sont, bien évidemment, mis en place pour la lutte contre le cancer, qui est une des priorité du Président de la République et du Gouvernement.
Le budget finançant le plan de lutte contre le cancer s'élève en 2004 à plus de 59 millions d'euros, dont 18 millions d'euros de mesures nouvelles. Ces crédits permettront d'abord d'étendre à tout le territoire le programme de dépistage organisé du cancer du sein, et des efforts seront faits pour le dépistage du cancer de l'utérus et du cancer colorectal.
Le plan de lutte contre le cancer prévoit notamment de développer un système d'information à destination des patients et des familles. Les crédits soutiendront également les associations nationales et les actions de formation professionnelle et contribueront à la mise en place d'un institut national du cancer, à hauteur de 11 millions d'euros.
Ces crédits sont complétés par les sommes consacrées par l'assurance maladie à la prévention et au dépistage de plusieurs maladies telles que le cancer. De même, des crédits sont également consacrés à la prévention par les collectivités territoriales.
Les sommes réellement consacrées à la prévention en France dépassent donc celles du budget de l'Etat.
Dans le cadre de cette politique, vous avez, de façon ambitieuse, déterminé des objectifs de performance en matière de prévention qui s'inscrivent dans la réforme de la loi organique relative aux lois de finances. Ainsi, dès 2005, l'ensemble des programmes sera présenté de façon plus claire en attendant une entrée en vigueur complète de la nouvelle présentation budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2006.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous préciser les modalités de cette réforme qui devrait permettre une meilleure évaluation de notre politique globale de prévention en France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur un sujet qui a déjà été abordé par M. Barbier, mais vous avez choisi de le faire sous un angle plus particulier, c'est-à-dire les modalités d'intégration de la prévention dans la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Je commencerai par décrire le programme « santé publique - prévention » qui a été élaboré dans le cadre d'une expérimentation de la loi organique relative aux lois de finances et présenté dans le « bleu » budgétaire.
Les buts généraux de ce programme sont de diminuer la mortalité prématurée évitable et de diminuer la morbidité évitable, de réduire l'inégalité d'accès à la prévention et de renforcer les connaissances par l'amélioration des systèmes d'information, de la recherche et de la formation en santé publique.
Pour atteindre de tels objectifs, ce programme a été construit en tenant compte des trois niveaux de prévention - primaire, secondaire et tertiaire - distingués par l'Organisation mondiale de la santé. Ainsi, dix-sept problèmes de santé ont été identifiés comme pouvant recouvrir l'ensemble des cent objectifs figurant dans le projet de loi relatif à la politique de santé publique.
Ces dix-sept problèmes de santé, parmi lesquels figurent l'alcool, le tabac, le sida, le cancer, les maladies rares, les maladies mentales, le suicide et la douleur constituent l'ossature du projet annuel de performance que nous allons mettre en oeuvre en 2004.
Ils ont été regroupés en trois actions stratégiques de notre politique de prévention - « déterminants », « pathologies » et « thématiques », c'est-à-dire des programmes ciblés - et deux actions transverses - « autres programmes de santé publique », c'est-à-dire les programmes populationnels, et « fonctions supports ».
Je précise que les actions transverses ont vocation à être davantage réparties entre les trois actions stratégiques. C'est une situation transitoire et, conformément à la LOLF, nous travaillons déjà à la résolution de cette difficulté pour le budget de 2005.
Je décrirai simplement quatre domaines dans lesquels la direction générale de la santé s'investit pour poursuivre la mise en oeuvre de la LOLF.
Premièrement, en ce qui concerne le projet annuel de performance, l'affectation des crédits, explicitée dans les documents budgétaires, dans « le bleu », traduit, pour l'année à venir, nos priorités. Comme le rapporteur spécial l'a relevé, il n'a pas été possible de répartir la totalité des crédits. Ce travail est en cours, en particulier avec les services déconcentrés, qui sont les principaux vecteurs de la mise en oeuvre de la prévention puisque 143 millions d'euros sur les 189 millions d'euros du programme leur sont consacrés.
Deuxièmement, s'agissant des indicateurs, nous en avons déjà fixé quelques-uns dans le « bleu », mais un travail important reste à faire pour déterminer ceux qui manquent à ce jour. Un bon indicateur doit répondre à des critères de validité, de fiabilité, de reproductibilité et, surtout, il doit être partagé par tous les acteurs chargés du suivi et de l'évaluation de la politique de santé publique.
Troisièmement, au sujet de l'activité de l'administration, le suivi et l'évaluation de cette politique de santé publique exigeront de décrire dans ce projet annuel de performance l'activité déployée par l'administration pour cette politique.
Enfin, quatrièmement, le rapport annuel de performance vous permettra d'apprécier, d'évaluer l'activité déployée par le ministère au regard des objectifs fixés et des moyens votés.
Ce rapport devra comporter une analyse des actions mises en oeuvre par l'assurance maladie et les collectivités territoriales, qui investissent de plus en plus ce champ de la santé publique. A cet égard, le projet de loi relatif à la politique de santé publique qui viendra en débat au Sénat en janvier prochain garantira une plus grande cohérence et donc une plus grande efficience de la politique de santé publique dont l'Etat a la responsabilité et reste le garant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Madame la ministre, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes n'est pas encore une réalité en France, malgré un cadre juridique important au plan tant international et européen que national.
En droit français, les bases de l'égalité professionnelle sont inscrites dans la Constitution elle-même.
En outre, trois lois défendent ce principe : la loi Roudy de 1983 sur la prohibition de toute discrimination dans la relation salariale, notamment dans l'offre d'emploi, l'embauche et les rémunérations ; la loi Génisson de 2001 sur l'obligation de négociation sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise et dans la branche ; et, enfin, la loi de novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, qui fait peser la charge de la preuve sur l'employeur en cas de litige.
Madame la ministre, lors de votre communication sur l'égalité professionnelle devant le conseil des ministres, le 29 octobre dernier, vous avez expliqué que le Gouvernement voulait placer les femmes au coeur de la stratégie de croissance.
Cette ambition ne pourra se réaliser que si l'on respecte, au coeur même de l'entreprise, l'égal accès des femmes et des hommes à la formation professionnelle. Vous pensez que les chefs d'entreprise, comme les actionnaires, ont aujourd'hui pris conscience de cette exigence.
La semaine prochaine, l'Assemblée nationale examinera le « projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social ».
Ce projet de loi reprend les principales dispositions de l'accord national interprofessionnel du 20 septembre dernier, qui a pour objectif de rénover notre système de formation professionnelle. Il prévoit un dispositif nouveau avec la période de professionnalisation destinée, en particulier, à favoriser le maintien en activité des femmes qui reprennent leur activité après un congé de maternité ou un congé parental. Il vise également à renforcer la négociation au niveau des branches en faveur du respect de la parité entre les hommes et les femmes.
Par ailleurs, le plan national d'action pour l'emploi, dans le cadre de la décentralisation, doit mobiliser l'ensemble du service public concerné pour faciliter l'accès ou le retour à l'emploi des femmes, par exemple après des plans de licenciement.
Des actions vont être menées pour favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et prendre en compte la « parentalité » au sein de l'entreprise.
Par ailleurs, divers outils sont en cours d'élaboration avec les partenaires sociaux, comme le « label égalité » dans les entreprises, le « guide des bonnes pratiques de l'égalité professionnelle en entreprise » ou le « tableau de bord de l'égalité professionnelle ».
Une autorité indépendante de lutte contre toutes les discriminations doit être créée en 2004 pour permettre de mieux combattre la discrimination au travail, notamment.
Enfin, dans la mise en oeuvre de la LOLF, vous prévoyez un programme « égalité entre les hommes et les femmes ».
Nous ne pouvons que nous féliciter de cette mobilisation générale des pouvoirs publics et des partenaires sociaux. Mais la conjoncture budgétaire défavorable et la nécessité d'une gestion plus rigoureuse ont contraint le Gouvernement à diminuer de plus de 6 % les crédits destinés aux « actions en faveur des droits des femmes et de l'égalité entre les hommes et les femmes ».
Dès lors, madame la ministre, comment comptez-vous optimiser votre budget pour réaliser les objectifs ambitieux que le Gouvernement s'est fixés ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, je vous remercie de l'attention extrêmement vigilante que vous portez à cette question fondamentale des droits des femmes dans notre pays.
Je rappelerai que le volume des crédits, qui a en effet baissé de 5,6 %, répond à l'objectif de réduction des dépenses publiques que partage le Gouvernement, mais n'ôte rien au caractère central des priorités que nous portons, mais aussi à la détermination qui est la mienne de faire progresser sur tous les plans l'égalité dans notre pays. Je reprendrai le sujet central de votre intervention en rappelant que la performance au féminin, notamment dans l'emploi, a été insuffisamment valorisée dans notre pays.
C'est très clair, la France moderne a aujourd'hui besoin de tous ses talents et les femmes doivent être en première ligne de cette exigence de compétitivité, de croissance, au-delà simplement de la justice sociale et de l'éthique qui commandent cette égalité professionnelle.
Pour faire de l'égalité un contenu au-delà du droit proclamé et au-delà des textes, que vous les avez légitimement rappelés, mais qui ont démontré, au fil du temps, que la contrainte ne suffisait pas, il faut aujourd'hui convaincre. Dès l'installation de notre gouvernement, mon ministère a donc cherché à faire en sorte que l'égalité professionnelle soit un objectif partagé.
A cet égard, nous avons relancé le dialogue social en saisissant du dossier les partenaires sociaux, ce qui ne s'était pas fait depuis 1989. J'ai donc le plaisir et la fierté de vous dire qu'ils ont avancé sur cette question essentielle, au point de s'engager, pour le début de l'année prochaine, à aboutir à un accord interprofessionnel.
Nous avons là la traduction de la gouvernance moderne à laquelle nous aspirons, c'est-à-dire une responsabilité partagée et la conviction commune que le travail des femmes doit aujourd'hui s'analyser en termes d'égalité réelle. Cela implique une action en termes de correctifs salariaux, car il existe encore des discriminations, des disparités de salaires qui sont incompatibles avec la modernité et l'intérêt même de l'entreprise. Cela suppose également une action positive, très volontariste en termes de déroulement de carrière. Si elles travaillent, les femmes n'occupent pas des postes de responsabilité conformes à leurs diplômes ou à leur capacité professionnelle. En outre, vous l'avez évoqué, les femmes doivent être directement bénéficiaires - ce doit être une priorité - des nouvelles possibilités offertes dans le cadre de la formation tout au long de la vie.
Cette démarche des partenaires sociaux que nous soutenons devrait aboutir très rapidement à un changement d'état d'esprit et de regard au sein de l'entreprise, qui a tout intérêt - je le dis avec beaucoup de force - à ce que la compétitivité passe par l'égalité. Nous aurons la possibilité, ce sera une première européenne, d'annoncer la création d'un « label égalité » qui permettra précisément de distinguer ces entreprises qui font de la diversité un critère de croissance.
Cette exigence devient aujourd'hui une urgence, d'autant que l'évolution démographique va priver la France de centaines de milliers de compétences d'ici à quelques années. Il faut que les femmes soient au rendez-vous de cette économie moderne dans laquelle la diversité des talents sera reconnue. Elles y ont toute leur place.
Dans une telle culture de la compétence, caractéristique du xxie siècle, il me semble que les assemblées parlementaires, le Sénat et l'Assemblée nationale, mais aussi les partenaires sociaux et les acteurs professionnels que représente l'ensemble du monde consulaire doivent tout faire pour que cette égalité, qui n'est souvent restée qu'un droit proclamé, devienne aujourd'hui une réalité concrète et quotidienne. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Madame la ministre, je vous remercie de la qualité de votre réponse. Elle montre bien qu'il y a égalité au sein du Gouvernement ! (Sourires.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant le travail, la santé et la solidarité. II : - Santé, famille, personnes handicapées et solidarité.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 215 559 858 euros. »
Je mets aux voix les crédits du titre III.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre IV : moins 4 502 155 450 euros. »
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. A l'occasion de l'examen de ce titre IV, je souhaite faire part de quelques remarques sur les crédits ouverts au chapitre 43-02 « interventions en faveur des droits des femmes ». Ces crédits sont plus que modestes : 17 millions d'euros pour 2004, soit une baisse de 6,6 % par rapport à 2003. Il est donc difficile de justifier d'actions d'envergure avec un budget aussi réduit.
Certes, comme le rappelle M. Adrien Gouteyron à la page 35 de son rapport, il convient de compléter ces crédits budgétaires par des crédits en provenance d'autres ministères et des crédits européens.
En 2003, le total des moyens consacrés aux droits des femmes s'élevait ainsi à près de 57,2 millions d'euros ; pour 2004, 43,37 millions d'euros sont prévus, soit une diminution de 24,2 %.
Voilà résumée toute l'attention portée par ce Gouvernement à la question des droits des femmes : un budget amputé du quart des moyens de l'année précédente. On comprend ainsi pourquoi les subventions aux associations partenaires du secrétariat d'Etat aux droits des femmes et à l'égalité professionnelle, dont les actions sont pourtant si précieuses sur le terrain, ne sont pas revalorisées, voire baissent.
Sur quels crédits seront organisées les campagnes que Mme la ministre a annoncées, pour l'égalité professionnelle, contre les violences faites aux femmes ou aux jeunes filles dans les quartiers ? Les intentions généreuses ne suffisent pas.
Les rapports des ministères des associations de femmes soulignent que notre société est en régression concernant l'égalité des droits des femmes, qu'il s'agisse de l'accès à l'emploi, du déroulement de carrière, de la formation professionnelle ou bien encore de la violence à l'encontre des femmes. Il est de la responsabilité de l'Etat de mettre en oeuvre une politique nationale à la hauteur des enjeux.
Le renforcement de ces actions doit être soutenu par des choix budgétaires volontaristes et efficaces. Malheureusement, les moyens que prévoit ce projet de loi de finances ne sont pas au rendez-vous.
Après le vote de l'amendement de M. Jean-Paul Garraud à l'Assemblée nationale la semaine dernière visant à créer un nouveau délit d'interruption involontaire de grossesse, je ne peux prendre la parole sur la question des droits des femmes sans revenir sur les dangers de cet amendement.
Alors que l'article L. 223-10 du code pénal prévoit déjà qu'une interruption de grossesse sans consentement de l'intéressée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, l'amendement Garraud, voté le 27 novembre dernier, dans le cadre du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, vise à punir d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende une interruption de grossesse provoquée par « une maladresse, une imprudence, une inattention, une négligence ou un manquement à une obligation de sécurité ». Ces peines sont doublées en cas de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».
Décidément, une nouvelle fois, les lobbies anti-IVG et leurs relais complaisants sur le terrain ne reculent devant rien, car, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel meilleur symbole du mépris des droits des femmes et de leur liberté à disposer de leur corps que de rattacher un tel amendement à un texte sur la grande criminalité ?
En fait, cet amendement, outre le fait qu'il instituerait une différence en droit pénal entre la femme et la femme enceinte, n'est rien d'autre qu'un premier pas vers la reconnaissance du statut de personne humaine du foetus et de l'embryon, une nouvelle attaque contre le droit à l'interruption volontaire de grossesse, droit - faut-il le rappeler ? - durement et chèrement acquis au péril de leur santé, voire de leur vie, par des générations de femmes, droit sans cesse remis en cause par les commandos anti-IVG, dont les actions sont trop rarement sanctionnées, droit à l'effectivité trop souvent virtuelle, dont la mise en oeuvre s'apparente plus à un parcours d'obstacles pour de nombreuses femmes compte tenu du manque de moyens des hôpitaux publics, mais droit que les femmes, toutes générations confondues, ne sont pas prêtes à laisser remettre en cause.
Fort heureusement, de nombreuses voix s'élèvent contre cette nouvelle disposition, comme celle du généticien Axel Kahn, qui affirme qu'on ne peut être tué avant d'être né, ou bien encore celle du professeur Israël Nizan, qui met en garde contre la qualification d'interruption de grossesse non intentionnelle, qui pourrait mettre en cause la responsabilité pénale des médecins.
Avec un tel amendement à notre droit pénal, que deviendra la médecine foetale, ou bien encore un simple prélèvement d'amniocentèse quand on sait qu'un prélèvement sur cent peut provoquer involontairement la mort du foetus ?
Je dois reconnaître quelque constance à M. Garraud, député de la Gironde, qui, arguant d'un prétendu vide juridique, tente, pour la deuxième fois, de faire adopter son amendement. Mais je n'oublie pas que si le Sénat a une première fois fait échouer son projet, des sénateurs, dans notre assemblée, ont, avec la même intention, déposé quelques jours plus tard une proposition de loi reprenant exactement le texte de cet amendement.
C'est bien pour cela que de très nombreuses femmes et de non moins nombreux professionnels de santé sont aussi inquiets des conséquences possibles d'un tel texte. Sa discussion intervient, en effet, dans un climat où se multiplient les propos intégristes et moralisateurs tendant à inférioriser la femme et les remises en cause insidieuses ou ouvertes du droit à l'interruption volontaire de grossesse.
Coïncidence ou stratégie organisée, le même jour, l'association SOS Tout-Petits, présidée par Xavier Dor, condamné à maintes reprises pour entraves à des interruptions volontaires de grossesse, appelait à manifester devant le siège parisien du Mouvement français pour le planning familial. Vous comprendrez donc que nous voyions là une attaque concertée contre ce droit.
Madame la ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, monsieur le ministre de la santé, ne laissez pas remettre en cause l'interruption volontaire de grossesse et, pour situer vos différents ministères du côté des droits des femmes et non de la régression de leurs acquis, rendez visible et lisible la position du Gouvernement contre les actions de groupuscules intégristes et de leurs commandos anti-IVG.
Monsieur le ministre de la santé, n'attendez plus pour publier rapidement les circulaires d'application sur l'IVG médicamenteuse, attendue depuis plus de deux ans. Intervenez pour faciliter la délivrance gratuite par les pharmacies de la contraception d'urgence aux mineures.
M. le président. Veuillez conclure, madame le sénateur.
Mme Odette Terrade. C'est un sujet important, monsieur le président !
Cette délivrance gratuite, malgré le décret n° 2002-39, paru au Journal officiel du 9 janvier 2002, n'est toujours pas la règle dans la totalité des officines. Prévoyez et budgétez de nouvelles campagnes publiques pour la contraception, qui articulent prévention des risques sexuels et prévention des risques des comportements sexistes. Engagez, avec le ministère de l'éducation nationale, dès l'école primaire, les heures d'éducation sexuelle prévues dans les programmes scolaires par la loi de 2001 : dans les collèges et les lycées, de telles heures d'information seraient également de nature à lutter contre les violences et à apprendre le respect « garçons-filles ».
Pour être crédible, l'engagement du Gouvernement en faveur du droit des femmes, d'une part, suppose de ne pas céder aux sirènes obscurantistes et intégristes de tous bords,...
M. Dominique Leclerc. Faites-la taire !
M. Christian Demuynck. Oh là là ! Oui !
Mme Odette Terrade. ... qui ne jurent que par la remise en cause de la liberté des femmes à choisir leur maternité et, d'autre part, exige des moyens budgétaires significatifs.
Les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC n'ont perçu la volonté de satisfaire à ces deux conditions ni dans votre projet de budget ni dans le nouveau projet de loi sur la parité.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. Madame la sénatrice, j'aurais souhaité que le constat cruel que vous faites quant à l'évolution du droit des femmes au cours de ces dernières années vous amène à plus d'humilité.
M. Christian Demuynck. Très bien !
Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. En effet, si le Gouvernement a souhaité créer un ministère délégué à l'égalité, c'est précisément parce que, lorsqu'il a été constitué, entre le droit proclamé et la réalité, il y avait un écart sensible ; la situation que nous avons trouvée était extrêmement difficile. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler certains chiffres, car je crois que ce sujet mérite autre chose que la polémique. Il m'apparaît que les arrière-pensées politiciennes n'ont pas leur place dans un débat de société qui rassemble beaucoup plus qu'il ne divise, du moins au sein des deux assemblées.
Puisque vous m'avez interrogée à nouveau sur la question budgétaire, je vous indique que le volume des crédits se situe à un niveau assez proche de ce qui était réservé aux droits des femmes au cours des dernières années.
Dans la répartition des crédits, les crédits déconcentrés ne seront pas touchés. Autrement dit, l'action de notre réseau sera totalement préservée.
S'agissant des associations, nous avons fait en sorte que, à 80 % ou 90 %, elles puissent bénéficier de l'ensemble de leurs subventions pour l'année écoulée et nous travaillons avec elles pour définir les moyens d'un partenariat, qui peut du reste être élargi, car nous avons constaté que nous pouvions apporter une aide en recourant à des procédures innovantes. Cela, bien entendu, n'ôte rien à l'action déterminante des associations - je vous rejoins sur ce point -, qui effectuent un travail de proximité, incomparable en termes de qualité et d'efficacité.
Cette appréciation très positive que nous portons sur les associations ne doit pas nous empêcher de veiller, parallèlement, à la qualité de la gestion du ministère, afin de réaliser certaines économies. C'est une tâche à laquelle nous nous attelons.
J'ajoute que la transversalité du ministère fait qu'un certain nombre d'actions sont portées par d'autres ministères.
Je tiens à répondre également à la question que vous m'avez posée sur l'IGV, même si elle n'est pas directement liée au budget.
Le droit à l'IVG est un acquis irréversible. Le droit des femmes à disposer de leur corps constitue une des plus grandes avancées du xxe siècle et c'est notre majorité, sous l'égide du Président Valéry Giscard d'Estaing et de Simone Veil, qui avait mené à bien cette grande réforme.
Le droit à l'IVG est le socle à partir duquel ont pu se développer d'autres droits, permettant au statut et à la place des femmes dans notre société de progresser. Vous me verrez toujours défendre tous ces droits, tous ces progrès avec force et conviction.
Ce principe n'est nullement remis en cause aujourd'hui, et je ne peux pas vous laisser dire un instant qu'il y a une quelconque confusion à cet égard.
La jurisprudence a toujours refusé de placer le débat de la nécessaire reconnaissance du dommage causé par imprudence ayant entraîné une interruption de grossesse sur le terrain de l'homicide involontaire. Je partage pleinement cette analyse, en vertu de laquelle l'embryon n'a pas de personnalité juridique.
Pour autant, la question qui nous est posée est une vraie question. Comment ne pas considérer comme une atteinte intolérable le fait, pour une femme enceinte, d'être victime d'un accident qui entraîne la perte d'un enfant à naître.
L'amendement qui a été présenté par M. Garraud vise à créer une infraction spéciale d'interruption involontaire de grossesse. Le fait même d'avoir créé cette qualification, au lieu de considérer cet acte comme un délit d'homicide involontaire, montre bien qu'il ne s'agit pas du tout d'une remise en cause de l'IVG, et cela me paraît être tout à fait essentiel.
Je remercie d'ailleurs Dominique Perben d'avoir engagé cette clarification lors du débat à l'Assemblée nationale. Au demeurant, il convient peut-être, au-delà du rappel des principes, de prendre des précautions supplémentaires. La concertation à laquelle Dominique Perben a appelé permettra de les définir. A titre personnel, j'en suggérerai deux : tout d'abord, vérifier que cette disposition ne peut s'appliquer qu'à un tiers, afin d'éviter que la mère elle-même ne soit reconnue coupable en cas d'accident ; ensuite, exclure les activités médicales du champ d'application de cette décision.
Si l'introduction de cette disposition dans la partie du code pénal qui traite de l'interruption de grossesse soulève des problèmes, on pourrait envisager de prévoir, dans le cadre des atteintes involontaires à l'intégrité de la personne, des circonstances aggravantes pour blessures involontaires infligées à une femme enceinte.
En tout état de cause, madame la sénatrice, je vous demande, avec toute la solennité qui s'impose, de bien croire qu'il n'y a jamais eu, de la part du Gouvernement, pas plus, je le pense, que de la part de l'auteur de cet amendement, une quelconque volonté de remettre en cause un droit qui nous paraît, comme à vous, fondamental. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le ministre, tout à l'heure, en réponse à notre excellent rapporteur spécial, Adrien Gouteyron, vous avez fait état d'une certaine résurgence du sida en France et vous avez manifesté votre inquiétude à ce sujet.
Comme vous l'avez dit, la prévention passe fondamentalement par la protection et par le dépistage.
En ce qui concerne la protection, il est vrai que l'on observe actuellement dans ces milieux, que je connais, hélas ! très bien pour avoir créé une fondation, une certaine banalisation des choses. Il apparaît que l'on est beaucoup moins attentif et que l'on prend moins de précautions.
Mais j'insisterai plus particulièrement sur le dépistage.
Le dépistage permet d'abord à celui qui se révèle séropositif de pouvoir se soigner à temps, car le traitement est d'autant plus efficace qu'il est entrepris tôt.
Le dépistage permet ensuite de savoir que l'on est contaminant. Pour ceux qui savent qu'ils risquent d'être contaminants, c'est même un devoir de se faire dépister régulièrement puisque le dépistage n'est pas obligatoire.
Voilà quelques années, j'avais proposé de rendre le dépistage obligatoire, mais il ne s'agissait que des personnes qui avaient subi une transfusion sanguine, puisqu'on avait découvert que, malheureusement, beaucoup de personnes avaient été contaminées par cette voie et, de ce fait, étaient devenues elles-mêmes contaminantes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix les crédits du titre IV.
(Ces crédits sont adoptés.)
ÉTAT C
M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 11 215 000 euros ;
« Crédits de paiement : 3 454 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits du titre V.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 32 041 000 euros ;
« Crédits de paiement : 1 852 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits du titre VI.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la santé, la famille, les personnes handicapées et la solidarité.
J'appelle en discussion les articles 81 et 82 qui sont rattachés pour leur examen aux crédits affectés à la santé, à la famille, aux personnes handicapées et à la solidarité, ainsi que, en accord avec la commission des finances, l'amendement II-5 rectifié, qui tend à insérer un article additionnel après l'article 81.
II. - Santé, famille, personnes handicapées et solidarité
I. - A l'article L. 5121-16 du code de la santé publique, la somme : « 23 000 EUR » est remplacée par la somme : « 25 400 EUR ».
II. - L'article L. 5121-17 du même code est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, la somme : « 3 050 EUR » est remplacée par la somme : « 17 000 EUR » ;
2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« L'assiette de la taxe est constituée par le montant des ventes de chaque médicament ou produit réalisées au cours de l'année civile précédente, à l'exclusion des ventes à l'exportation. Le barème de la taxe comporte au moins cinq tranches. »
III. - A l'article L. 5122-5 du même code, la somme : « 460 EUR » est remplacée par la somme : « 510 EUR » et le mot : « redevance » est remplacé, par deux fois, par le mot : « taxe ».
IV. - L'article L. 5123-5 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « Toute demande d'inscription », sont insérés les mots : « , de renouvellement d'inscription » ;
2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le montant de la taxe perçue à l'occasion d'une demande de renouvellement d'inscription ou de modification d'inscription est fixé dans les mêmes conditions, dans les limites respectives de 60 % et 20 % de la taxe perçue pour une demande d'inscription. » ;
3° Dans l'ensemble de l'article, le mot : « redevance » est remplacé par le mot : « taxe ».
V. - Au deuxième alinéa de l'article L. 5211-5-2 du même code, le taux : « 0,15 % » est remplacé par le taux : « 0,28 % ».
VI. - Les dispositions des I à V s'appliquent au 1er janvier 2004. En outre, les dispositions du II et du V sont applicables aux taxes dues au titre de l'année 2003 et exigibles en 2004.
M. le président. L'amendement n° II-13, présenté par M. Gouteyron, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le troisième alinéa (2°) du IV de cet article :
« 2° La dernière phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée : »
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud, en remplacement de M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. Cet amendement vise simplement à clarifier la rédaction de cet article.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Mattei, ministre. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-13.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° II-24, présenté par MM. Mercier, J. Boyer, Moinard et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :
« I. - Supprimer le V de cet article.
« II. - En conséquence, rédiger ainsi le paragraphe VI :
« VI. - Les dispositions des I à IV s'appliquent au 1er janvier 2004. En outre, les dispositions du II sont applicables aux taxes dues au titre de l'année 2003 et exigibles en 2004. »
L'amendement n° II-38, présenté par MM. Vasselle, Leclerc, Carle et Thiollière, est ainsi libellé :
« A la fin du V de cet article, remplacer le taux : "0,28 %" par le taux : "0,24 %". »
La parole est à M. Jean Boyer, pour présenter l'amendement n° II-24.
M. Jean Boyer. Il s'agit de revenir sur la hausse du taux de la taxe sur le chiffre d'affaires des dispositifs médicaux.
La mesure consistant à faire passer la taxe de 0,15 % à 0,28 % du chiffre d'affaires des dispositifs médicaux représente un coût trop important pour les fabricants, en particulier pour les entreprises de l'industrie du textile, secteur économiquement sensible, chacun le sait.
En outre, je note une incohérence : les dispositifs médicaux étant très divers, pourquoi certains seraient-ils seuls à payer ?
Je me permets de souligner que cet amendement a reçu un soutien de qualité, le vôtre, monsieur le président : j'ai cru en effet comprendre ce matin, alors que vous vous exprimiez en tant que rapporteur spécial, que vous le jugiez digne d'intérêt.
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc, pour présenter l'amendement n° II-38.
M. Dominique Leclerc. C'est un amendement qui a le même objet que l'amendement n° II-24. Pour les mêmes raisons, il s'agit d'abaisser le taux de la taxe sur le chiffre d'affaires des dispositifs médicaux de 0,28 % à 0,24 % - il était à l'origine de 0,15 % - et ainsi de mettre à la hauteur le rendement des dépenses de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé en la matière.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. La commission est défavorable à l'amendement n° II-24 et en demande le retrait.
En revanche, elle est favorable à l'amendement n° II-38 à la suite de nouveaux calculs effectués sur le rendement de cette majoration de taxe.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Mattei, ministre. Le Gouvernement est du même avis que la commission et serait reconnaissant à M. Jean Boyer de bien vouloir retirer l'amendement n° II-24, le fond du problème étant beaucoup mieux réglé par l'amendement n° II-38, qui tend à réduire la hausse de la taxe sur le chiffre d'affaires sur les dispositifs médicaux de 0,28 % à 0,24 %.
M. le président. Monsieur Jean Boyer, l'amendement n° II-24 est-il maintenu ?
M. Jean Boyer. A la suite de l'avis que vient de donner M. le ministre, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° II-24 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° II-38.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 81, modifié.
(L'article 81 est adopté.)
Article additionnel après l'article 81
M. le président. L'amendement n° II-5 rectifié, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 81, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le premier alinéa de l'article L. 262-9 du code de l'action sociale et des familles est ainsi rédigé :
« Les étrangers titulaires de la carte de résident ou du titre de séjour prévu au cinquième alinéa de l'article 12 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, ou encore d'un titre de même durée que ce dernier et conférant des droits équivalents, ainsi que les étrangers titulaires d'un titre de séjour prévu par les traités ou accords internationaux et conférant des droits équivalents à ceux de la carte de résident, peuvent prétendre au revenu minimum d'insertion. »
« II. - L'augmentation des charges découlant de l'application du I ci-dessus est compensée à due-concurrence par le relèvement des taux fixés au III bis de l'article 125 A du code général des impôts. »
La parole est à M Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. En conséquence de la modification de l'article 14 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France, un étranger régulièrement installé en France ne pourrait plus désormais bénéficier du RMI que s'il justifie de cinq ans de résidence minimum en France, contre trois ans auparavant.
Une telle disposition apparaît en contradiction avec le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui rappelle que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle ».
Elle heurte singulièrement le principe d'égalité et de non-discrimination entre nationaux et étrangers, posé notamment par l'article 4 de la Convention n° 118 de l'Organisation internationale du travail, l'OIT, qui édicte que « l'égalité de traitement doit être assurée sans condition de résidence », par le paragraphe 30, partie I, de la Charte sociale européenne selon lequel « toute personne a droit à une protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale » et, enfin, par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, combiné avec l'article 1er du protocole n° 1.
Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 20 janvier 1990, que si le législateur peut prévoir des dispositions spécifiques applicables aux étrangers, c'est à condition de respecter les engagements internationaux de la France. En conséquence, le législateur de 1998 a supprimé toute disposition discriminatoire de notre droit fondée sur la nationalité.
La seule condition qui subsiste aujourd'hui est celle de la régularité du séjour : les articles L. 816-1 et L. 821-9 du code de la sécurité sociale indiquent clairement que les prestations sociales sont applicables « aux personnes de nationalité étrangère titulaires d'un des titres de séjour ou documents justifiant la régularité de leur séjour en France ».
Le revenu minimum d'insertion, en vertu de l'article 8 de la loi du 1er décembre 1988, soumet les étrangers à la nécessité de présenter un titre de séjour régulier et, par référence à l'article 14 de l'ordonnance de 1945, à une condition de résidence en France de trois ans, jusqu'à la révision du 26 novembre 2003.
Nous avions, dès 1988, souligné combien cette disposition contrevenait au principe d'égalité qui fonde le droit à la protection sociale, alors que les étrangers cotisent à même hauteur que les nationaux. Ma collègue Danielle Bidard-Reydet avait défendu un amendement en ce sens.
Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 13 août 1993, que « les étrangers jouissent des droits à la protection sociale dès lors qu'ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ». Or il n'est pas du tout certain que l'allongement à cinq ans de la durée de résidence pour obtenir un titre de résident doive valider un allongement corrélatif de la durée nécessaire pour bénéficier du RMI.
Je rappelle notamment pour mémoire les observations formulées en 1987 par M. Prétot à propos de la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 : si la condition de résidence n'est pas en elle-même génératrice d'inégalité, « il appartient au pouvoir réglementaire de fixer la durée de la condition de résidence de façon à ne pas aboutir à mettre en cause les dispositions précitées du préambule en tenant compte à cet effet des diverses prestations d'assistance dont sont susceptibles de bénéficier les intéressés. » Or l'allongement à cinq ans de la condition de résidence apparaît singulièrement excessif.
En tout état de cause, le Sénat s'honorerait de voter et le Gouvernement de soutenir une disposition qui réaffirme la volonté de traiter sans discrimination les étrangers régulièrement installés en France. A l'heure où un certain parti se fait le maître d'oeuvre d'une politique d'exclusion à l'égard des étrangers, notamment s'agissant des prestations sociales - on se souvient des pratiques de certaines mairies -, la majorité sénatoriale serait bien inspirée de marquer ainsi sa différence et de réaffirmer son attachement aux principes républicains, en corrigeant un « effet collatéral », que personne n'avait mesuré, de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Monsieur le président, je suis contraint d'opposer l'article 40 de la Constitution à cet amendement qui augmente les charges publiques.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, l'amendement n° II-5 rectifié n'est pas recevable.
I. - Le a de l'article L. 862-2 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« a) Par le versement aux organismes de sécurité sociale, au titre de chaque trimestre, d'un montant égal au produit de la somme prévue au III de l'article L. 862-4 par le nombre de personnes bénéficiant, le dernier jour du deuxième mois du trimestre civil au titre duquel le versement est effectué, de la prise en charge des dépenses mentionnées à l'article L. 861-3 au titre des dispositions du a de l'article L. 861-4 ; ».
II. - Au III de l'article L. 862-4 du même code, la somme : « 70,75 EUR » est remplacée par la somme : « 75 EUR ».
III. - Les dispositions du I entrent en vigueur à compter du versement dû au titre du premier trimestre 2004. Les dispositions du II entrent en vigueur pour la contribution définie à l'article L. 862-4 du code de la sécurité sociale versée au titre du premier trimestre 2004.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, sur l'article.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 82 amorce le désengagement de l'Etat du dispositif de la CMU, la couverture maladie universelle, et donc, à notre avis, le démantèlement de la loi sur la CMU.
Il s'agit de la mise en place d'un forfait unifié de prise en charge des dépenses de couverture maladie universelle complémentaire, ou CMUC, relevant d'une caisse d'assurance maladie ou d'un organisme complémentaire.
Sous couvert d'une unification des conditions de prise en charge des dépenses de couverture maladie universelle complémentaire entre les régimes obligatoires d'assurance maladie et les organismes complémentaires, l'article 82 du projet de loi de finances pour 2004 conduit à supprimer la participation du budget de l'Etat au bouclage du financement de la couverture maladie universelle complémentaire.
La Caisse nationale d'assurance maladie, la CNAM, qui a l'obligation de prendre en charge, dans le cadre de sa mission de service public et pour le compte de l'Etat, la couverture complémentaire des bénéficiaires de la CMU qui lui en font la demande, est sommée de gérer le risque CMU, comme n'importe quel assureur privé, qui conserve quant à lui la faculté de participer au dispositif ou de s'en retirer.
C'est donc un transfert de charges du budget de l'Etat vers les régimes sociaux qui, actuellement, n'en ont pas besoin.
Or, cette disposition a été unanimement rejetée par le conseil de surveillance de la CNAM réuni en séance le 25 novembre 2003. La CNAM, par la voix de son président, M. Spaeth, l'ensemble des organismes mutualistes, des organismes d'assurances et institutions de prévoyance, la mutualité sociale agricole, la MSA, et l'organisation humanitaire Médecins sans frontières ont exprimé leur opposition totale à cette disposition.
En outre, rappelons que le Conseil constitutionnel, par sa décision 99-416 DC du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une CMU, avait justifié la différence de traitement entre organismes complémentaires et caisses d'assurance maladie, par la nécessité faite à la Caisse de garantir un accès aux soins des plus démunis. Je rappelle que la CMU est une prestation de solidarité et non pas seulement une prestation d'assurance qui sélectionne les bons et les mauvais risques.
C'est pourquoi, en l'état, nous voterons contre cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements présentés par M. J. Boyer.
L'amendement n° II-25 est ainsi libellé :
« Supprimer le I de cet article. »
L'amendement n° II-26 est ainsi libellé :
« Supprimer la première phrase du III de cet article. »
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. L'amendement n° II-25 a pour objet de conserver le système actuel de prise en charge des dépenses de couverture de maladie universelle complémentaire, par un remboursement total, lorsque les dépenses sont couvertes par l'assurance maladie, et par un remboursement au forfait pour les dépenses couvertes par les organismes d'assurance complémentaire.
L'Etat rembourse aux caisses primaires d'assurance maladie l'intégralité des dépenses à supporter, les autres organismes bénéficiant d'un forfait qui, cela ne nous a pas échappé, a été actualisé cette année. Nous le considérons toutefois insuffisant.
L'amendement n° II-26 tire les conséquences de l'amendement n° II-25.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Monsieur Boyer, je vous rappelle qu'un amendement de même portée a été examiné lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004. Cet amendement n'avait pas alors été adopté.
S'il entraîne effectivement un risque supplémentaire, il constitue aussi une incitation à une meilleure gestion et à un meilleur contrôle des coûts de la CMU.
Toutefois, à ce stade du débat du projet de loi de finances, la commission souhaite que vous retiriez cet amendement. A défaut, elle exprimera un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° II-25 est-il maintenu, monsieur Jean Boyer ?
M. Jean Boyer. Compte tenu de l'effort qui a été fait dans ce projet de budget et de la multitude des besoins, c'est à contrecoeur, mais sans hésitation, que je retire l'amendement n° II-25. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° II-25 est retiré.
M. Roland Muzeau. Je le reprends, monsieur le président.
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° II-25 rectifié.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Mattei, ministre. Nous avons bien compris le sens de cet amendement puisque, comme l'a dit M. le rapporteur, nous avons déjà exposé tous les arguments au cours de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS.
Sur le fond, cette mesure vise à maîtriser l'augmentation continue des dépenses de CMU complémentaire en responsabilisant les gestionnaires des régimes obligatoires, comme le sont déjà ceux des organismes de protection sociale complémentaire.
Il n'y a pas de raison que les malades qui bénéficient de la CMU soient soumis à deux régimes différents. Le forfait a été fixé à 300 euros, soit une progression de 17 euros par rapport à 2003, parce qu'il correspond au coût effectif moyen de la CMU complémentaire pour un organisme de protection complémentaire.
Je rappelle d'ailleurs que le Gouvernement a revalorisé pour la première fois en 2002 le montant du forfait de près de 25 %, passant de 228 euros à 283 euros l'année dernière. Ce n'est donc ni un forfait au rabais ni un forfait irréaliste.
C'est la raison pour laquelle je remercie M. Boyer d'avoir retiré son amendement. J'ai bien compris qu'il le faisait à contrecoeur après avoir exprimé les souhaits de son groupe, mais qu'il en revenait à la logique du PLFSS.
Je vous rappelle que le Gouvernement et la commission auraient très bien pu invoquer l'article 40 de la Constitution dans la mesure où le PLFSS a été voté et où il y a un amendement miroir aux termes duquel désormais nous sommes très exactement tenus dans le cadre du projet de loi de finances de nous conformer aux dispositions du PLFSS qui ont été votées.
Je n'invoquerai pas l'article 40 pour que la discussion et les explications de vote aient lieu et pour que la Haute Assemblée se prononce.
J'émets donc un avis défavorable, comme la commission.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Je tiens à préciser que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen avaient prévu de voter cet amendement de suppression tel qu'il avait été déposé par notre collègue. Comme il a été retiré, je l'ai repris avec plaisir parce que son objet est juste et je trouve intéressante la position de M. le ministre permettant que la discussion ait lieu. Par les temps qui courent, cela devient rare dans cet hémicycle !
Le Gouvernement tente d'imposer une mesure d'économie supplémentaire de 117 millions d'euros sur le dos des personnes les plus éloignées de l'accès aux soins, faute de moyens, mais également parce que la fin du système actuel de prise en charge par l'Etat via le fonds de financement de la CMU complémentaire de l'intégralité des dépenses engagées par les organismes d'assurance maladie est une mesure structurante pour la sécurité sociale et pour les caisses d'assurance maladie.
Le Gouvernement s'abritait derrière le paravent de la revalorisation du forfait de déduction pour les assurances complémentaires volontaires dans le cadre du dispositif de la CMU complémentaire.
Cette revalorisation est nécessaire, dans la mesure où nous savons que le panier de soins de la CMUC a un coût supérieur pour les mutuelles au forfait de déductibilité, pour tenter de mettre un terme au remboursement au franc le franc des prestations gérées par les organismes d'assurance maladie pour le compte de l'Etat.
Sous couvert de rétablir l'égalité entre les organismes complémentaires et les caisses de sécurité sociale qui gèrent plus de 85 % des situations de CMUC, le forfait unifié est présenté.
C'est oublier bien vite que cette différence de traitement entre les caisses de sécurité sociale, dont les dépenses sont compensées intégralement, et les organismes complémentaires, se justifie, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans sa décision du 23 juillet 1999, précisément par la différence de situation de ces derniers au regard de l'objet de la loi.
Le rôle des caisses de sécurité sociale est sans conteste différent de celui des organismes complémentaires, les premières ayant obligation de prendre en charge les dépenses de CMUC dans le cadre de leur mission de service public.
Nous n'acceptons pas que l'on change ainsi la nature des missions des caisses de sécurité sociale et ce d'autant moins que cette transformation se fait dans un contexte particulier, marqué par la volonté du Gouvernement d'avancer vers la privatisation de la sécurité sociale.
Nous n'acceptons pas non plus que, sous couvert de rééquilibrer le dispositif, l'Etat se désengage de la solidarité nationale.
Pourquoi l'assurance maladie supporterait-elle les 10 % du coût réel de la CMUC ? Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, notre collègue Alain Vasselle a tenté de soustraire de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie les sommes prévues pour assurer les dépenses supplémentaires au titre de la CMUC. Démarche vaine, malheureusement !
Aujourd'hui, en votant cet amendement, nous entendons nous opposer au transfert de charges du budget de l'Etat vers celui de la CNAM, au titre de la CMUC, mais, surtout, nous marquons notre refus de voir les caisses de sécurité sociale se transformer en assureur complémentaire, porteur d'un risque financier, alors que ce n'est ni leur métier ni leur vocation.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. M. Muzeau a très bien complété mon intervention précédente. Je m'associe à ses propos et je soutiens l'amendement qu'il a repris.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-25 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° II-26 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 82.
(L'article 82 est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la santé, la famille, les personnes handicapées et la solidarité.
M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant les affaires étrangères.
La parole est à M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial.
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les affaires étrangères. Ce budget est tout à fait surréaliste, puisque, aussitôt voté par le Parlement, il sera régulé, gelé, mis en pièces et, dans ce contexte, je me laisse à penser que, cet après-midi, monsieur le ministre, nous interprétons Dada contre la gargouille !
Pour revenir à une approche plus classique, je soulignerai que, depuis dix années, alors que les autres ministères régaliens ont été épargnés, le ministère des affaires étrangères a été frappé durement par les mesures de régulation budgétaire.
Monsieur le ministre, lors de la discussion de votre projet de budget à l'Assemblée nationale, vous avez déclaré : « Cette régulation à répétition a remis en cause, au moment où bien des opérations étaient déjà lancées, plusieurs de nos programmations, notamment en matière immobilière et, bien entendu, en termes d'aide publique au développement et de coopération. » Vous ajoutiez : « Dès lors que notre politique étrangère s'inscrit dans les priorités voulues par le Président de la République et le Gouvernement et qu'elle est approuvée par la représentation nationale, nous devons tout faire pour la soustraire aux aléas de la régulation budgétaire, car c'est le crédit même de notre pays qui est remis en cause face à nos partenaires étrangers ».
Aujourd'hui, à côté des problèmes légitimes de rémunération, cette journée de protestation, sans précédent dans l'histoire de ce ministère, témoigne aussi de l'exaspération qui résulte des mesures de régulation de crédits et des conditions de travail qu'elles engendrent. Ainsi, il arrive que nos ambassades fassent effectuer par des entreprises des travaux qu'elles ne peuvent pas payer, ou que nos agents, après avoir réalisé un important travail de programmation visant à définir des actions utiles au rayonnement de la France, soient obligés de les annuler parce que les crédits dont on pensait pouvoir disposer ont été gelés ou annulés.
Il me semble donc indispensable que n'intervienne, pour 2004, aucune régulation, car le budget ne le permettra pas. En effet, si les crédits augmentent de 2,5 %, cette progression est uniquement due à la hausse de l'aide publique au développement, qui voit ses crédits progresser de plus de 100 millions d'euros, et à notre contribution à la francophonie, qui augmente de 20 millions d'euros. Les autres dotations diminuent : par conséquent, toutes les mesures nouvelles, hors aide publique au développement, ne peuvent être financées que par redéploiements de crédits.
Je constate que, malgré toutes ces difficultés, le ministère contribue à l'effort de rigueur budgétaire qu'a souhaité M. le Premier ministre. Cela mérite d'être souligné.
Cet effort se traduit notamment par la suppression de 116 emplois, soit le non-renouvellement de la moitié des départs en retraite, et par une réduction sensible des dépenses de fonctionnement.
Vous avez d'ailleurs engagé une rationalisation du dispositif à l'étranger. Elle s'articule autour de deux objectifs : d'une part, la fermeture de consulats au sein de l'Union européenne et le transfert d'une partie de leurs tâches ; d'autre part, la suppression des alliances françaises ou des centres culturels à l'étranger lorsqu'ils font double emploi et génèrent une concurrence inutile.
Cette rationalisation du réseau me semble tout à fait judicieuse. En effet, j'ai souvent indiqué que notre réseau consulaire en Europe, en particulier en Allemagne, était surdimensionné : l'approfondissement de l'Union européenne justifie pleinement que l'on y ferme la plupart de nos consulats, en dehors des capitales, avec quelques exceptions qui confirment la règle, comme la Catalogne ou l'Ecosse. Mais les moyens ainsi dégagés devraient pouvoir être affectés à d'autres régions du monde et à certaines grandes puissances en devenir, comme la Chine et l'Inde.
L'effort de rigueur que vous avez engagé se traduit également par un ajustement des indemnités de résidence versées aux agents en poste à l'étranger. C'est une question très sensible et il conviendra d'analyser, pays par pays, le coût de la vie, l'éloignement, les conditions de sécurité mais aussi les charges de famille.
A l'occasion de l'assemblée générale des Nations unies, j'ai constaté que nos diplomates en poste aux Etats-Unis connaissaient de véritables difficultés pour vivre convenablement : si l'on ajoute au niveau élevé des loyers celui des frais de scolarité - ils atteignent 17 000 dollars par an pour les classes terminales du lycée français de New York - on mesure les difficultés auxquelles sont confrontés les personnels expatriés et les personnels locaux.
Il me semble donc indispensable de mieux prendre en compte, dans le calcul de l'indemnité de résidence, les charges de famille, les frais de scolarité et le coût plus important des logements dès lors que l'on a des enfants. Ne pas tenir compte de cette réalité impliquerait de ne plus envoyer aux Etats-Unis que des agents célibataires ou sans enfant.
Le ministère s'est engagé dans une stratégie de réforme qui constitue un véritable plan d'action pour les années à venir et qui vise les mêmes objectifs que la loi organique relative aux lois de finances, la fameuse LOLF.
Plusieurs orientations se dégagent de cette stratégie ministérielle de réforme.
D'abord, il existe une volonté très nette de développer la prise en compte de la dimension interministérielle de l'action extérieure de la France. Elle implique une très grande ouverture du ministère vers l'extérieur, la mise en place de « budgets-pays » permettant à l'ambassadeur de disposer d'une vision d'ensemble des crédits de la France dans son pays de résidence, ainsi que la création d'un service administratif unique pour l'ensemble des services qui relèvent de l'action des différents ministères. Ces projets vont tous dans le bon sens.
J'ajoute - mais c'est un point qui concerne plus directement mon excellent collègue Michel Charasse - que la cotutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'équipement doit s'exercer enfin pleinement sur l'Agence française de développement et qu'il faut aussi veiller à ce que les contrats de développement-désendettement ne soient pas uniquement axés sur le désendettement pour faire plaisir à la direction du Trésor et au FMI, mais que l'accent soit mis aussi sur le développement pour que ces actions puissent profiter aux plus pauvres et aux plus démunis.
Un contrôle de gestion se mettra en place pour accompagner la déconcentration des moyens vers les postes, déconcentration qui est engagée depuis plusieurs années. J'ai déjà eu l'occasion de souligner ce point par le passé.
Après la fusion du ministère des affaires étrangères et de celui de la coopération, la mise en oeuvre de la LOLF constitue la deuxième étape d'une véritable révolution culturelle. J'ai le sentiment que, à travers les réflexions qui sont menées, la gestion est enfin entrée dans le champ des priorités du ministère des affaires étrangères et que souplesse, imagination, pragmatisme, mobilisation, choix des priorités, décisions, actions - pour citer un philosophe chinois apocryphe (Sourires) - sont désormais, monsieur le ministre, au coeur de votre gestion.
S'agissant du patrimoine immobilier, vous avez indiqué que des regroupements seront recherchés et qu'une politique active de cession sera engagée. Il s'agit là d'intentions extrêmement louables, mais les crédits du titre V sont depuis plusieurs années en diminution constante et ne sont pas épargnés par la régulation. Dans certains pays, alors que des immeubles sont dans un scandaleux état de délabrement avancé, de nombreux projets sont bloqués depuis plusieurs années. Les solutions provisoires durent beaucoup plus longtemps que prévu.
Est-il raisonnable que, faute de financement, la construction de nos ambassades à Pékin et à Tokyo ainsi que le transfert des archives diplomatiques à la Courneuve soient bloqués ? Le ministère n'a pas été en mesure de payer, en 2003, de nombreuses entreprises avec lesquelles il avait contracté. Il s'est endetté, à ce titre, de plus d'une dizaine de millions d'euros.
Cette situation n'est pas admissible, car, outre qu'une mauvaise gestion entraîne des pénalités de retard, elle expose le ministère à des contentieux. Cela donne de notre pays une image désastreuse, car notre impécuniosité est souvent interprétée politiquement, comme le président de la commission, M. Dulait, et moi-même l'avons constaté en Turquie.
Comment changer cette situation ? Il existe peu de solutions : il faut soit revaloriser les crédits d'équipement, soit procéder à la vente des bâtiments qui ne pourront être rénovés avant plusieurs années. Par ailleurs, il serait peut-être sage de cesser de construire des ambassades conçues comme des pavillons français pour des expositions universelles et qui occasionnent ensuite des dépenses de fonctionnement considérables.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Bravo !
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. La mise en oeuvre de la LOLF sera l'occasion de pallier une partie de ces difficultés, en permettant le redéploiement, en cours de gestion, des crédits entre les différents titres de dépense, et de mieux répartir les effets de la régulation budgétaire. J'espère que l'on pourra, grâce à cette globalisation des crédits, répondre aux besoins, mais aussi aux opportunités qui se présentent en cours d'année dans le secteur de l'immobilier. En effet, actuellement, nous n'avons aucune réactivité, et il serait judicieux de vendre des résidences qui ne servent plus à grand-chose, dans la mesure où elles sont tellement éloignées du centre-ville que l'on ne peut pas les utiliser pour des réceptions. Mais il faudrait trouver des solutions, par exemple, pour le centre culturel Victor-Hugo à Tachkent.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. C'est notre seul centre culturel dans toute l'Asie centrale. Le propriétaire est disposé à le céder à un prix raisonnable, mais nous ne sommes même pas capables de lui faire une offre !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il demande cent cinquante-cinq mille euros !
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. On veut rationaliser le réseau : il est le deuxième du monde, mais on ne dispose pas des moyens nécessaires à la traduction de cette volonté.
Avant de conclure, monsieur le ministre, j'évoquerai rapidement quelques sujets d'actualité.
Comme chaque année, je déplore la faiblesse de nos contributions volontaires aux grandes organisations internationales, de l'UNICEF, le fonds des Nations unies pour l'enfance, au CNUD, le programme des Nations unies pour le développement. Je tiens à souligner l'effort très important que vous avez consenti pour l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, auquel j'ai consacré une partie importante de mon rapport écrit.
S'agissant de l'audiovisuel extérieur, TV 5 s'est très bien redressée et continue, cette année, de se développer. C'est maintenant un vecteur apprécié de la francophonie, et sa couverture du conflit irakien a accru sa crédibilité.
En ce qui concerne la chaîne française d'information internationale, souhaitée par le Président de la République, il semble que l'on s'oriente vers une chaîne associant TF 1 et France Télévisions, qui émettrait vers la zone méditerranéenne, l'Afrique et le Moyen-Orient.
Mais une difficulté considérable a trait à son financement qui est évalué à plus de 70 millions, voire 80 millions d'euros par an. Je ne vois pas comment une telle somme pourrait être prise sur les crédits du ministère des affaires étrangères.
L'AEFE, l'Agence française pour l'enseignement du français à l'étranger, a connu une situation financière très difficile à la fin de 2002. Elle a engagé une réflexion approfondie sur ses missions et son organisation. Les relations entre l'agence et les établissements scolaires français à l'étranger devraient être revues, et des réformes devraient leur permettre de mieux remplir leur rôle à l'avenir, notamment en développant l'intégration des établissements scolaires dans les réseaux éducatifs étrangers.
Dernier point : l'accueil des étudiants étrangers en France. Les bourses sont en trop faible nombre. Mais ce problème est accentué par l'insuffisante prise en compte de l'accueil des étudiants étrangers en France. La création d'Edufrance n'a pas vraiment changé la donne. Au contraire, depuis quelques années, même les enfants des élites de pays de tradition francophone, comme le Sénégal, privilégient les études aux Etats-Unis ou dans les pays anglo-saxons au détriment de la France. Il est urgent de prendre en considération cette situation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances propose au Sénat d'adopter ce projet de budget. En effet, malgré nos réserves, il marque l'engagement du ministère des affaires étrangères de financer les priorités énoncées par le Président de la République, tout en participant à l'effort de rigueur budgétaire et de réforme que nous appelons de nos voeux et « tout en chassant sur les terres d'élection l'imagination, le courage, l'humilité, l'éthique et l'action », pour citer le même philosophe chinois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, rapporteur spécial.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour l'aide au développement. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après une décennie de mise à l'écart, l'aide au développement revient au tout premier plan de la scène internationale et des préoccupations budgétaires de notre pays. L'appauvrissement de nombreux pays et les liens entre sous-développement et terrorisme ont fait prendre conscience à la communauté internationale que des engagements concrets devaient intervenir et que de nouvelles initiatives conjointes de bailleurs de fonds étaient nécessaires.
A ce titre, l'année 2003 marquera peut-être un réel progrès, à moins que ce ne soit le début des illusions. Dans la continuité des conférences qui se sont tenues en 2002, les propositions internationales ne manquent pas : présentation au forum de Kyoto du rapport de M. Camdessus sur le financement des infrastructures de l'eau, engagements financiers en faveur du Fonds mondial de lutte contre le sida, proposition franco-britannique d'une « facilité financière internationale », nouveau traitement de la dette des pays pauvres dans le cadre du sommet du G8 à Evian, etc. Mais toutes ces nobles intentions tardent à se concrétiser sur le terrain, et les huit « objectifs du millénaire » assignés à l'horizon 2015 se révèlent, pour l'instant en tout cas, bien difficiles à remplir.
Il faut donc se féliciter que la France s'attache à respecter les engagements précis qu'elle a pris en matière d'aide publique au développement, notamment lors de l'élection présidentielle, par la voix de Jacques Chirac, pour revenir cette année au quatrième rang, en volume, des contributeurs bilatéraux.
Ces engagements sont toutefois quelque peu mis à mal par la régulation budgétaire, dont je ne conteste évidemment pas - surtout pas moi ! - la nécessité, mais dont les modalités peuvent parfois être critiquées. Je mentionnerai ici les gels de reports intervenus sans préavis en mars dernier et les grandes difficultés de gestion, de plus en plus précoces chaque année, que connaît le fonds de solidarité prioritaire.
Avant de vous présenter mes principales observations, que la commission des finances a fait siennes, je vais à présent rappeler les grandes caractéristiques budgétaires de l'aide française au développement.
L'aide au développement est une politique publique fondamentalement interministérielle qui implique pas moins de douze ministères. Celui des affaires étrangères en est toutefois le chef de file, suivi par le ministère de l'économie. Les crédits budgétaires de coopération des affaires étrangères s'élèveront ainsi à un peu plus de 2 milliards d'euros en 2004, soit une hausse de 7,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2003. Au total, les dépenses budgétaires augmentent de 3,1 %, pour atteindre près de 3,25 milliards d'euros.
Les dépenses d'aide au développement, telles qu'elles sont communiquées à l'OCDE, s'élèvent toutefois à près de 6,9 milliards d'euros.
Je vous rappelle en effet, mes chers collègues, qu'il existe des différences importantes entre la comptabilisation budgétaire, l'ensemble des crédits concourant à la coopération, qui incluent les dotations extra-budgétaires transitant par les comptes spéciaux du Trésor, et le périmètre pris en compte par l'OCDE. Les écarts entre la comptabilisation de l'OCDE et la comptabilisation budgétaire portent notamment sur les annulations de dette, la coopération militaire ou la part du prélèvement européen affectée aux dépenses communautaires de coopération.
En outre, ces périmètres disjoints, tout comme la dispersion des crédits, ne facilitent vraiment pas la lecture budgétaire de la politique française d'aide au développement.
A ce titre, quelles mesures comptez-vous prendre, messieurs les ministres, avec votre collègue en charge du budget, pour améliorer l'harmonisation entre les données d'aide publique au développement au sens de l'OCDE et les crédits de coopération au strict sens budgétaire ?
Nous avons, bien entendu, pour l'intérêt du contrôle parlementaire, beaucoup de demandes pressantes à formuler dans ce domaine. Et si nous, parlementaires, souhaitons y voir clair, c'est avant tout pour qu'à l'extérieur on y voie clair aussi et que, par la lecture d'un document regroupant l'ensemble des données, on puisse aisément prendre connaissance de l'effort global que consent la France.
La hausse de l'aide française au développement se poursuit donc. Je me réjouis qu'elle continue de privilégier l'aide bilatérale et l'Afrique subsaharienne.
Un examen plus attentif de la ventilation des crédits révèle cependant que cette augmentation repose plus particulièrement sur certains postes de dépenses.
Elle repose, tout d'abord, sur une augmentation des concours financiers et des allégements de dette, notamment par l'intermédiaire de la nouvelle procédure des contrats de désendettement-développement, dits C2D, que Jacques Chaumont et moi-même connaissons bien, puisque l'on en traite au conseil de l'Agence française de développement, l'AFD. Les annulations de dette représentent désormais près du tiers de l'aide au développement.
Ensuite, elle repose sur une hausse de 14 % des versements au fonds européen de développement. Il semblerait donc que cette quasi-« caisse d'épargne » fonctionne un peu moins mal. J'y reviendrai ultérieurement.
Il faut également relever une augmentation soutenue et très bienvenue des crédits de paiement des deux opérateurs majeurs que sont le fonds de solidarité prioritaire et l'Agence française de développement. Les inscriptions budgétaires se montrent plus réalistes et la réduction sensible de l'écart entre autorisations de programme et crédits de paiement permettra évidemment une meilleure gestion de leurs interventions.
Citons enfin l'augmentation de 27 % de la dotation du fonds multilatéral unique dédié à la francophonie.
En revanche, la coopération technique et la coopération décentralisée s'inscrivent en baisse, et la coopération militaire comme les subventions aux opérateurs audiovisuels sont stables.
Ces évolutions budgétaires traduisent des choix stratégiques que je ne partage pas totalement, et j'en viens dès maintenant à mes principales observations.
Je constate, tout d'abord, quatre mutations dans la stratégie d'aide française.
En premier lieu, de nombreux indices, que ce soit dans le plan d'action stratégique du ministère ou l'importance donnée aux fonds multilatéraux ad hoc, maintiennent une réelle ambiguité sur la pérennité de l'aide-projet. Les craintes que j'exprimais l'année dernière quant à sa possible marginalisation au profit de l'aide-programme ne sont donc pas dissipées.
Certes, l'aide-programme a une utilité et peut contribuer à financer des réformes de structure dans les pays bénéficiaires, mais l'aide-projet conserve de nombreux atouts : elle implique une présence effective sur place, elle est plus visible pour les populations et contribue concrètement à l'amélioration de leurs conditions de vie. L'aide-programme, quant à elle, fait courir le risque d'une dilution de l'excellence française dans une vaste « boîte noire » au sein de laquelle l'aide devient apatride et où le péquin de base, si je puis dire, sur le terrain, ne retrouve jamais l'aide française, quand il sait même qu'il y en a une !
Aussi, je vous pose les questions suivantes, messieurs les ministres : qui est l'opérateur privilégié de l'aide-projet, le Fonds de solidarité prioritaire ou l'Agence française de développement ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour assurer une réelle visibilité et une meilleure communication de l'apport français dans des programmes multibailleurs ? C'est bien d'aider nos partenaires, mais encore faut-il que les populations le sachent !
En deuxième lieu, l'impact budgétaire des annulations de dette est très important, mais ses résultats sont incertains, en particulier dans le cadre de l'initiative pour les pays pauvres très endettés. En effet, ces annulations ne garantissent absolument pas la durabilité d'un endettement soutenable, les résultats en termes de développement ne sont pas encore réellement visibles et la croissance des recettes d'exportations des pays bénéficiaires est bien moindre qu'escomptée. Ce n'est donc pas seulement le service de la dette qu'il faut réduire, c'est aussi et surtout les recettes fiscales et commerciales qu'il faut accroître, c'est-à-dire le numérateur du ratio d'endettement.
Il importe donc, mes chers collègues, de renforcer l'insertion des pays pauvres dans le commerce international, ainsi que l'efficacité de leurs administrations, notamment financières, fiscales et douanières.
Messieurs les ministres, j'en viens à ma troisième question : comment remédier aux imperfections actuelles des mécanismes d'allégement de dette et faire en sorte qu'ils n'apportent pas seulement un soulagement temporaire pour les pays pauvres et coûteux pour les bailleurs ?
En troisième lieu, les risques que comporte la stratégie actuelle d'externalisation croissante des capacités d'intervention de la France et de recentrage sur la seule ingénierie financière doivent être soulignés. Il est vrai que la concertation avec les autres bailleurs et la recherche de la taille critique de l'aide sont importantes. Mais la coopération française ne doit pas pour autant se « dépouiller » au profit d'expertises extérieures, qu'elles émanent de l'Europe, d'institutions internationales ou de cabinets privés qui, soit dit en passant, ont parfois fait la preuve de leur moindre efficacité et surtout de leur coût astronomique.
En ce qui concerne le Fonds européen de développement, le FED, vous connaissez, messieurs les ministres, les critiques que la commission des finances formule depuis longtemps sur cet instrument européen qui thésaurise abusivement les promesses d'aide. Nous nous réjouissons donc que le Président de la République, alerté à de fréquentes reprises par la commission des finances et même à titre personnel, ait récemment accentué la pression sur le FED.
Ce fonds reçoit beaucoup, particulièrement de la France qui en est le premier contributeur, mais décaisse peu du fait d'un processus décisionnel particulièrement lourd, et je suis plutôt aimable cet après-midi ! Les restes à liquider s'accumulent et le taux de décaissement est insuffisant, puisqu'il s'élève à 38 %, par exemple, pour le huitième FED.
La situation a certes progressé grâce à la déconcentration de la Commission européenne, à laquelle la commission des finances n'est d'ailleurs pas étrangère, à la réforme du comité du FED et à des contributions exceptionnelles effectuées au profit de fonds multilatéraux. Mais comment peut-on accepter que les restes à liquider représentent encore plus de trois années et demie de paiements ?
Mes chers collègues, j'ai moi-même pu constater, à l'occasion d'un contrôle sur place et sur pièces au Kosovo, que, quand on veut aller vite, qu'il s'agisse de crédits bilatéraux français ou européens, on peut réaliser des opérations en trois ou six mois, alors que des opérations analogues mettent trois ans, six ans, parfois plus ou même ne voient jamais le jour lorsqu'il s'agit de crédits européens - ces durées sont généralement moindres pour les crédits nationaux. Donc, quand on veut, on peut et on sait faire. C'est donc une espèce de manie ou de maladie intellectuelle de ne pas faire !
En outre, le FED n'a pas vocation à devenir une sorte de « sas » budgétaire vers l'abondement de programmes multilatéraux. Cette externalisation constitue en effet une solution de facilité. C'est pourquoi je cautionne largement l'initiative française, aujourd'hui relayée par la Commission, tendant à la budgétisation du FED, c'est-à-dire à l'inclusion du FED, qui est une ligne particulière aux charges communes, dans le budget européen, donc dans le prélèvement européen.
L'intégration de ce fonds dans le budget européen permettrait de le soumettre au droit commun de la gestion et du contrôle budgétaire sans faire obstacle à sa dimension partenariale. La charge du financement serait également mieux partagée et la France verrait sa clef de contribution ramenée à des proportions plus raisonnables. En effet, notre contribution normale à l'Europe tourne autour de 17 % - le président de la commission des affaires étrangères ne me démentira pas - alors que, pour le FED, elle s'établit à 24,5 %. La situation serait ainsi replacée « dans les clous ».
Le dernier point de mon intervention portera sur les réformes de structure que le ministère des affaires étrangères met actuellement en place, et qui ont été très largement évoquées par mon collègue Jacques Chaumont.
Tout d'abord, la nouvelle loi organique relative aux lois de finances est un outil sans précédent de réforme de l'Etat, et nous serons tous responsables, croyez-le bien, de son succès ou de son échec. C'est pourquoi, messieurs les ministres, votre projet m'apparaît perfectible.
Au sein de la nouvelle nomenclature en trois programmes que vous proposez, je suis en effet plutôt circonspect sur le contenu du programme de coopération et d'action culturelle. Ce programme ne représenterait en effet qu'un peu plus de la moitié des actions d'aide au développement du ministère, le reste étant disséminé dans les autres programmes.
La nouvelle nomenclature ne serait donc guère plus lisible et rationnelle que l'actuelle, et je plains à cet égard les administrateurs de la commission des finances qui devront continuer à faire de l'équilibrisme pour retrouver laborieusement et à la loupe des crédits dispersés partout, sur toutes les lignes, dans tous les coins, dans des tiroirs et des vieux placards ! Je ne vois pas de progrès déterminants par rapport aux agrégats que comporte aujourd'hui le « bleu » budgétaire. De plus, les intitulés de certaines actions sont peu opérationnels ou explicites, trop littéraires, parfois même assez « fumeux ».
Enfin, nous savons que deux visions s'opposent sur le périmètre de la mission interministérielle, et que la vôtre se réfère à une mission « action extérieure de la France ». Je ne suis pas résolument opposé au principe d'une telle mission, mais j'ai une préférence pour le projet de mission « aide publique au développement », qui correspond vraiment aux exigences de lisibilité et de définition d'une politique publique telle que la pose la nouvelle loi organique. Permettez-moi de vous dire, messieurs les ministres, que c'est votre intérêt d'avoir une mission de cette nature parce que vous aurez plus facilement un oeil sur l'ensemble des programmes qu'elle comporte que si vous vous limitiez à des programmes « riquiqui » qui seraient rattachés chez vous.
Messieurs les ministres, vous avez également impulsé une vaste réflexion interne sur la stratégie, les missions et les moyens du ministère des affaires étrangères. La stratégie ministérielle de réforme demandée par le Premier ministre vient s'inscrire dans ce nouveau plan stratégique pour la période 2004-2007. Ce document est ambitieux et témoigne d'une réflexion approfondie et opérationnelle sur vos objectifs. Nombre d'orientations semblent intéressantes, telles la modernisation du réseau des établissements culturels, l'augmentation du nombre d'assistants techniques et la diversification de leurs parcours ou la création d'un réseau d'experts en recherche sur le développement.
Il est cependant un sujet qui me tient plus particulièrement à coeur, en tant que suppléant de notre collègue Jacques Chaumont au conseil de surveillance de l'Agence française de développement. Comme Jacques Chaumont l'a dit tout à l'heure, il s'agit de la double tutelle exercée sur cet organisme par le ministère des affaires étrangères et celui de l'économie et des finances. Messieurs les ministres, cette double tutelle est mal exercée et ne fonctionne pas bien, la technique financière de l'Agence prend trop souvent le pas sur les intérêts diplomatiques et même sur les orientations de votre ministère.
En tant que représentants du Parlement au sein de ce conseil, nous sommes obligés de nous battre pour soutenir les représentants du ministère des affaires étrangères contre les représentants du ministère des finances, alors que la France a pris des engagements de financement de certaines opérations et qu'un sous-chef de bureau du Trésor se permet de « la ramener » en expliquant que ce n'est pas bien, pour des raisons d'opportunité plus ou moins maladives qui ne le regardent pas ! En effet, jusqu'à nouvel ordre, la politique extérieure relève du Président de la République, du Premier ministre, des ministres chargés des affaires étrangères et de personne d'autre. Nous avons de temps en temps le sentiment que la politique extérieure est éclatée un peu partout et que personne n'y comprend plus rien, en tout cas, que tout est fait pour que l'on ne puisse pas mettre en oeuvre les engagements de la France.
M. Xavier de Villepin. Bravo !
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial, et Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Messieurs les ministres, je vous demande donc quelles mesures concrètes seront prises pour améliorer l'exercice de la double tutelle sur l'AFD. Il faudrait, permettez-moi de le dire, une information un peu plus claire des malheureux sénateurs qui siègent au conseil de surveillance. Je n'insiste pas, mais vous connaissez l'incident grave que nous avons eu cet été en raison d'un cafouillage dans la transmission des dossiers.
Je souhaiterais également connaître l'état d'avancement de la démarche de certification et de qualité, dont vous nous avez dit, monsieur le ministre, lors de votre audition le 10 juin dernier par la commission des finances, qu'elle en était encore à la phase de définition des moyens et des méthodes.
Pour conclure, nous devons nous réjouir du fait que la France respecte les engagements qu'elle a souscrits en matière de hausse de son aide aux pays les plus pauvres, mais nous devons veiller à ce que ces crédits contribuent tant au développement des pays récipiendaires qu'au renforcement de l'influence et du rayonnement français. C'était essentiellement le but de mon intervention.
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des finances vous propose, à l'unanimité, mes chers collègues, de voter le budget de l'aide publique au développement pour 2004. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'Union centriste, de l'UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis.
M. Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour les affaires étrangères. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les interventions très précises des éminents rapporteurs spéciaux de la commission des finances me permettront d'être plus bref.
Le projet de budget pour 2004 est marqué par la contrainte financière. J'aurais souhaité, comme beaucoup de mes collègues de la commission des affaires étrangères, que plusieurs dotations soient meilleures ; je citerai simplement les contributions volontaires aux organisations internationales. Elles seront, en 2004, inférieures de moitié à celles que la France versait dix ans plus tôt, nous amenant à n'être que le treizième contributeur volontaire aux institutions de l'ONU alors que nous sommes le quatrième contributeur obligatoire. Je crois donc qu'un effort est souhaitable en la matière, en nous donnant pour objectif d'être parmi les dix premiers contributeurs dans les principales organisations internationales.
Cela étant, la conjoncture économique est difficile. Chaque ministère doit donc faire des économies et le ministère des affaires étrangères y participe pleinement par la réduction de ses effectifs et de ses crédits d'investissement. Plus encore, le ministère des affaires étrangères, par un important effort de redéploiement, parvient à dégager les moyens nécessaires au financement de ses priorités en matière d'aide au développement, de francophonie, de réforme du droit d'asile ou de sécurité des Français à l'étranger. Cet effort financier et de gestion est suffisamment peu commun pour être salué solennellement.
Le projet de budget pour 2004 prévoit en outre la mise en oeuvre de la première phase de la réforme des rémunérations à l'étranger. Je crois que chacun s'accorde à reconnaître le bien-fondé d'une démarche visant à corriger des incohérences entre les pays et à ajuster les différentes indemnités aux besoins réellement constatés. J'en avais défendu le principe l'année dernière. Je m'interroge toutefois sur les modalités de sa mise en oeuvre.
Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu'une application graduelle tenant compte des dates de prise de fonction, des grades et des situations familiales serait de nature à rendre son application plus aisée ? Comme un grand nombre de mes collègues de la commission, il me paraît en effet assez légitime que les personnels déjà en poste, qui ont pris des engagements financiers pour leur logement et la scolarité de leurs enfants à partir de leur rémunération globale, acceptent difficilement la remise en cause d'une part significative de leur revenu.
Je voudrais ensuite, monsieur le ministre, apporter mon entier soutien à la mise en place d'une mission interministérielle regroupant l'ensemble des moyens de l'Etat à l'étranger, dans le cadre de la loi organique sur les lois de finances. Je la crois absolument indispensable. On ne peut plus faire l'économie d'une réelle coordination de nos moyens à l'étranger. Leur dispersion est préjudiciable à notre influence et l'ambassadeur - je le dis très fortement - doit être confirmé dans son rôle de chef de poste, à même d'animer et d'arbitrer. Certes, il s'agit de rassembler plusieurs politiques distinctes, mais toutes tournées vers le même objectif : l'influence de la France à l'étranger.
Cependant, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez les raisons qui vous ont conduit à proposer un programme unique regroupant coopération culturelle et développement. Il apparaît en effet comme la simple transposition des structures administratives et rassemble deux objectifs distincts : le rayonnement culturel et l'aide au développement.
En conclusion, ce projet de budget marque à la fois la volonté du Gouvernement de gérer au plus juste les finances publiques et son souci de dégager des moyens pour financer ses priorités, tout en poursuivant la réforme de l'Etat. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées émet un avis favorable sur le projet de budget pour 2004. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour les relations culturelles extérieures et la francophonie. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'action culturelle extérieure de la France ne cesse de voir ses moyens financiers réduits depuis une quinzaine d'années, en particulier pour ses actions traditionnelles, tels les centres culturels. A titre personnel, je déplore cet état de fait, mais il me semble conforme à l'orientation de la majorité de la commission des affaires étrangères de proposer des pistes pour adapter notre réseau culturel aux contraintes financières qui s'aggravent.
Tout d'abord, il faudrait peut-être admettre que ce réseau est excessivement dense : la France compte près de 600 implantations culturelles diverses dans le monde entier, constituées par les centres culturels, leurs antennes et leurs annexes, et par les Alliances françaises.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, cette densité nuit à l'image de notre pays, car elle se traduit par un manque de personnels et de moyens financiers dont souffrent ces établissements. Vous en étiez conscient, monsieur le ministre, puisque vous aviez annoncé un plan de restructuration qui aurait dû s'étaler de 2003 à 2006.
Je souhaiterais donc savoir si cette annonce s'est déjà concrétisée dans les faits, quelles sont les perspectives en ce domaine et comment les intérêts des personnels qui travaillent de longue date au rayonnement de la France seront sauvegardés.
Ayant consacré mon intervention de l'an passé aux difficultés de tous ordres que l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, doit surmonter, je n'y reviendrai pas, sauf pour rappeler que la commission des affaires étrangères compte sur la volonté que vous avez toujours manifestée, monsieur le ministre, pour soutenir l'agence. Cette dernière a besoin de notre appui pour continuer à défendre pied à pied un budget qui a été sous-dimensionné dès sa création.
Je voudrais savoir si la dizaine de déconventionnements d'établissements constatée en 2003 résulte d'une coïncidence ou si c'est le début de la réalisation d'un plan de réduction du périmètre de l'AEFE.
Les réussites de notre réseau audiovisuel extérieur méritent d'être soulignées. Radio France internationale, RFI, est désormais captée par 45 millions d'auditeurs réguliers répartis sur tout le globe, ce qui place ce réseau radiophonique au troisième ou quatrième rang mondial, à peu de distance de la Deutsche Welle. Je salue, sur ce point, la possibilité enfin offerte aux auditeurs français, qui contribuent au financement de RFI par leur redevance, de capter cette station dans tout l'Hexagone s'ils disposent de postes de radio permettant la réception en mode numérique. Je souhaite également souligner la qualité du site internet de la chaîne, dont la consultation enregistre d'ailleurs une croissance continue.
J'en arrive maintenant à la chaîne francophone TV5 Monde, qui aura vingt ans en 2004, et qui a considérablement développé son attractivité et son audience durant cette période.
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. C'est vrai !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. Pour la seule année 2003, TV5 a accru son audience de 20 %, avec près de cent cinquante millions de foyers qui reçoivent cette chaîne à travers le monde. Le dernier exemple en date de cette audience en expansion est l'accord signé lors de la récente visite du président Thabo Mbeki en France, qui va permettre à TV5 d'être diffusée en Afrique du Sud à partir du mois de janvier 2004 sur l'offre de base du satellite sud-africain Multichoice.
L'extension de l'audience de TV5 passe à l'avenir par une politique, certes coûteuse, mais nécessaire, de sous-titrage.
Je me poserai maintenant la même question que M. Chaumont, rapporteur spécial ; c'est une identité de vue sarthoise (Sourires) : en l'absence d'une ligne de crédit, dévolue au financement de la chaîne télévisée d'information internationale, dont les grandes lignes sont esquissées dans le premier rapport Brochand, je m'interroge.
Un consensus règne, semble-t-il, sur l'utilité pour la France d'une telle création. Mais avec quels financements, sachant, d'une part, qu'un tel type de chaîne coûte beaucoup plus cher que les 80 millions d'euros annoncés par M. Brochand et que, d'autre part, elle ne peut être que déficitaire et que, même si l'un des opérateurs est privé, le service devra être payé par le contribuable ?
Enfin, je conclurai en me félicitant du retour en France des étudiants étrangers : 221 660 en 2002, pour 122 200 en 1986. Il reste beaucoup à faire pour les accueillir, surtout en matière de logement. Certaines universités ont mis en place un « guichet unique » pour faciliter leurs démarches administratives. C'est un exemple à suivre. Mais il faut aussi que les programmes de bourses Major et Eiffel se développent et continuent à attirer en France les meilleurs étudiants étrangers. A cet égard, monsieur le ministre, j'exprimerai quelques inquiétudes sur la montée en puissance de ces programmes. En effet, si les crédits ne continuent pas à augmenter régulièrement d'année en année, il faudra progressivement les restreindre.
En conclusion, je vous précise que la commission vous recommande l'adoption des crédits des relations culturelles extérieures pour 2004. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur le banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis.
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour l'aide au développement. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'aide au développement a été placée par le Président de la République au nombre des priorités françaises.
Le projet de budget pour 2004 traduit cet engagement et garde le cap, en dépit d'une conjoncture difficile : en 2004, la part consacrée à l'aide au développement devrait atteindre 0,43 % du PIB. L'aide française progresse de 387 millions d'euros et de près de 6 %.
Le redressement de notre aide s'accompagne nécessairement d'une réflexion sur ses modalités, et son pilotage doit reposer sur des choix clairs : des choix géographiques, d'abord, pour une zone de solidarité véritablement prioritaire où puisse s'exercer une réelle programmation ; des choix clairs, ensuite, quant aux moyens d'intervention.
Je salue le redressement de notre aide bilatérale, qui atteint, en 2004, 69 % du total. Cette manifestation de l'engagement français est indispensable si nous voulons influer sur l'action des bailleurs multilatéraux. Elle signifie tout simplement le redressement de notre aide.
Les crédits destinés au fonds de solidarité prioritaire, le FSP, et aux dons-projets de l'Agence française de développement enregistrent un redressement notable. Le FSP se trouve cependant sollicité de multiples façons et l'augmentation annoncée lui permettra difficilement de faire face à ces sollicitations si la pratique est maintenue de financer sur ses crédits des interventions hors zone de solidarité prioritaire.
Le traitement de la dette, qui occupe une place prépondérante avec 30 % de l'aide totale et 43 % de l'aide bilatérale, doit appeler notre vigilance.
Notre pays ne doit pas céder à la tentation du « chèque » et de la « sous-traitance » du développement. C'est tout l'enjeu de la réussite des contrats de désendettement et de développement.
Je considère, par ailleurs, qu'au nombre des objectifs prioritaires de ce dispositif figure la restauration de la confiance dans le cadre juridique des Etats destinataires. Cela implique notamment le financement, sur les annulations de dettes, des mécanismes d'indemnisation des investisseurs privés victimes de spoliations et l'affectation de crédits aux caisses locales de sécurité sociale, sous la réserve formelle qu'elles honorent leurs engagements à l'égard de tous leurs affiliés, au nombre desquels figurent de nombreux compatriotes. L'enjeu est ici la crédibilité même de notre aide et la responsabilité des destinataires.
Ce précompte des sommes dues aux personnes spoliées constitueraient un signe fort en matière de respect des règles. C'est un point extrêmement important, monsieur le ministre, d'abord pour nous-mêmes, notre dignité, notre crédibilité ; ensuite pour nos compatriotes, dont on comprend l'amertume en voyant leur pays consentir, sans condition, des remises de dettes et des prêts extrêmement importants à des Etats où eux-mêmes ont été spoliés, soit dans leurs biens, soit dans leurs émoluments, soit dans leurs retraites, et qui finissent parfois leur vie ruinés, sans aide, pratiquement dans la misère ; enfin, pour les pays eux-mêmes que nous aidons, avec lesquels s'instaure alors un véritable partenariat et qui sortiront enfin de l'assistanat, situation qui, lorsqu'elle dure trop longtemps, n'est valable ni pour l'un ni pour l'autre.
J'ai évoqué ce problème à plusieurs reprises et j'aimerais savoir, messieurs les ministres, où nous en sommes à cet égard.
Ce volet de notre aide a pour corollaire l'augmentation de l'aide programme, qui représente désormais 2 % du total de l'aide. L'aide programme est justement conforme à notre volonté de bâtir de réels partenariats. Elle appelle cependant l'instauration d'un équilibre, difficile à obtenir, entre rapidité des décaissements et contrôle de l'affectation des moyens, faute de quoi elle s'expose aux mêmes travers que l'aide communautaire, souvent dénoncés à cette tribune.
Les choix qui président à la définition de notre politique d'aide au développement doivent être plus lisibles et plus transparents. La présentation actuelle des crédits ne répond pas encore à cet impératif, ni à l'exigence d'un pilotage réel de cette politique.
Sur tous ces points, la réforme bugétaire en cours nous fournit une occasion que nous n'avons pas le droit de laisser passer.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères vous demande, mes chers collègues, d'adopter les crédits du ministère des affaires étrangères pour 2004. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis.
Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour les relations culturelles extérieures. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, compte tenu du peu de temps qui m'est imparti, je n'aborderai que deux des principales incertitudes qui caractérisent le projet de budget des relations culturelles extérieures pour 2004.
La première d'entre elles trouve aujourd'hui un écho dans le monde entier, et jusque devant le Sénat, avec la grève des personnels expatriés. En effet, la situation de notre réseau d'établissements scolaires et culturels à l'étranger est très préoccupante.
Force est de constater que le ministère des affaires étrangères n'a, semble-t-il, plus les moyens de financer correctement cet élément pourtant essentiel de la présence française et de la francophonie.
Ainsi, alors que l'AEFE peine à financer la réforme de la rémunération des personnels résidents et que le niveau de son fonds de roulement reste extrêmement faible, les subventions de fonctionnement qui lui sont allouées diminuent de près de 6 millions d'euros en 2004.
De même, alors que la vétusté de certains établissements scolaires devient inquiétante, les dotations d'investissement consacrées à la construction et à la rénovation des établissements en gestion directe sont réduites, de façon drastique, de 36 %.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, comment comptez-vous garantir la pérennité et l'attractivité d'un réseau qui accueille un nombre sans cesse grandissant d'élèves ? Est-il acceptable de demander aux familles françaises établies hors de France de concourir, de manière sans cesse croissante, au financement de la scolarité de leurs enfants ? Est-il acceptable, face à un désir de France, heureusement grandissant dans de nombreux pays, de rejeter un nombre croissant d'étrangers voulant s'inscrire dans nos établissements ?
La seconde incertitude tient à la future composition du paysage audiovisuel extérieur français.
Dans ce domaine, monsieur le ministre, les années se suivent et se ressemblent. En effet, comme l'an passé, vous nous proposez d'adopter un budget de transition caractérisé par la reconduction des moyens mobilisés en 2003, soit 165 millions d'euros.
Ce budget comporte, certes, quelques points positifs, mais il n'est pas à la hauteur d'une véritable diplomatie d'influence. Je me félicite néanmoins du processus de rationalisation des structures, engagé par votre prédécesseur, que vous avez courageusement poursuivi.
La cession des actifs de la Société financière de radiodiffusion, la SOFIRAD, la suppression de la subvention allouée aux bouquets satellitaires, mais aussi l'arrêt de la diffusion de CFI-TV devraient ainsi permettre de donner une certaine cohérence à un paysage audiovisuel extérieur qui en manquait jusqu'alors sérieusement.
Toutefois, j'estime, à titre personnel, que ce budget se caractérise surtout par un certain manque d'ambition. J'en veux pour preuve l'augmentation insuffisante des crédits alloués à TV5, véritable porte-parole de la francophonie, et, de plus en plus, de la France à travers le monde, désormais présente sur près de six mille réseaux câblés et trente réseaux satellitaires, reçue par cent cinquante-trois millions de foyers et regardée quotidiennement par douze millions de téléspectateurs à travers le monde.
Le travail accompli par Serge Adda et ses équipes a porté ses fruits et TV5 bénéficie désormais d'une véritable renommée internationale et d'une crédibilité accrue en matière d'information.
L'information est devenue la véritable épine dorsale de la nouvelle grille. En témoigne la diffusion, seize fois par jour, des journaux télévisés à heures rondes et la suppression des tunnels d'information grâce à la programmation d'un journal par signal, par pays et par jour.
TV5 a su, par ailleurs, faire preuve de réactivité pour couvrir les principaux événements de politique internationale. Elle est, à ce titre - cela mérite d'être souligné -, la seule chaîne généraliste à s'être transformée pendant six semaines en chaîne d'information continue non seulement pour relater et analyser le déroulement du conflit irakien, mais aussi pour donner le point de vue de la France. Cette heureuse initiative a d'ailleurs eu un effet non négligeable sur son audience. Pour ne prendre qu'un exemple, l'audience moyenne de la chaîne en Suisse a plus que doublé sur cette période.
Mais cette période a aussi vu exploser l'audience aux Etats-Unis. En effet, plus de cent soixante trois mille foyers américains sont désormais abonnés au service payant proposé par la chaîne, pour un chiffre d'affaires annuel supérieur à 3 millions de dollars.
Je tiens donc à souligner que le « petit » million d'euros de crédits supplémentaires accordé à la chaîne est insuffisant pour financer deux des priorités du plan stratégique 2002-2005. En effet, 10 millions d'euros par an seraient nécessaires pour financer l'augmentation du volume de programmes sous-titrés et introduire de nouvelles langues telles que le russe et le chinois. De même, 5 millions d'euros supplémentaires permettraient de faire de l'information de TV5 une référence mondiale.
Dans ces conditions, et alors que le Gouvernement semble décidé à financer deux chaînes d'information complémentaires, je suggère qu'il soit prioritairement donné à TV5 les moyens financiers pour poursuivre son développement mondial.
Enfin, je ne peux conclure sans évoquer la création de la future chaîne d'information internationale que le projet de loi de finances qui nous est présenté se garde bien de mentionner.
Alors que les ordres de grandeur financiers sont désormais connus - M. Bernard Brochand avance un coût de fonctionnement en année pleine de 70 millions d'euros -, chacun d'entre nous, monsieur le ministre, aurait aimé connaître la nature des ressources appelées à financer un projet dont le coût représente tout de même plus du tiers des crédits consacrés chaque année à l'action audiovisuelle extérieure française.
Par-delà cet aspect financier, pour conclure, je souhaiterais faire part, à titre personnel, de mon scepticisme quant au choix d'associer TF1 et France Télévisions pour mener à bien ce projet.
Il aurait été plus raisonnable, s'agissant d'un projet sur fonds publics, de choisir le projet rassemblant France Télévisions et RFI et d'exploiter ainsi les complémentarités des différents organismes de l'audiovisuel public.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des relations culturelles extérieures pour 2004. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis.
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la francophonie. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme chaque année, la discussion du projet de budget du ministère des affaires étrangères nous permet d'évoquer les crédits consacrés par le service des affaires francophones au financement de la francophonie multilatérale et, à travers lui, de débattre de l'action conduite par les pouvoirs publics en faveur de la langue française.
Je relève avec satisfaction, messieurs les ministres, que les crédits inscrits au projet de budget pour 2004 du ministère des affaires étrangères en faveur de la francophonie reflètent bien les engagements pris par la France au sommet de Beyrouth.
Au cours de cette conférence des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage, qui s'est tenue en octobre 2002, le Président de la République avait annoncé que la France accomplirait un effort supplémentaire en faveur de la francophonie. Celui-ci s'est traduit, avant même la fin de l'année, par le vote, dans la loi de finances rectificative pour 2002, d'une enveloppe de 20 millions d'euros supplémentaires au profit de la francophonie multilatérale.
Le projet de loi de finances pour 2004 prévoit, à son tour, 20 millions d'euros de mesures nouvelles : la moitié de ces nouveaux crédits - 10 millions d'euros - bénéficiera, à travers le fonds multilatéral unique, aux opérateurs de la francophonie. La subvention que leur versera, en 2004, le ministère des affaires étrangères sera ainsi portée de 36,7 millions d'euros à 46,7 millions d'euros, soit une hausse de 27 %, ce qui constitue, dans le contexte actuel, la marque d'une véritable priorité.
Les 10 autres millions d'euros devraient contribuer au renforcement du programme de bourses dans le cadre de la francophonie, programme ô combien nécessaire ! C'est une bonne chose, car un effort me paraît nécessaire en ce domaine, si nous voulons mettre notre système universitaire en situation d'attirer les meilleurs étudiants de nos partenaires francophones.
J'ai relevé, monsieur le ministre, dans la présentation de cette mesure nouvelle dans le bleu budgétaire, une ambiguïté, qui n'est, je l'espère, qu'apparente, sur le montant effectif de cette mesure nouvelle. Je souhaiterais donc que vous me confirmiez qu'elle portera bien sur 10 millions d'euros, et non sur 6,3 millions d'euros, comme pourrait, sans doute à tort, le faire penser l'examen du chapitre 42-15, article 20.
Nous souhaitons que tous les crédits dont vous pouvez disposer soient effectivement mis à votre disposition. C'est pourquoi vous me permettrez d'y être particulièrement attentif.
La commission des affaires culturelles - vous le savez, monsieur le ministre - est par principe hostile aux gels de crédits dont est régulièrement victime votre ministère, quels que soient d'ailleurs les gouvernements en place.
Nous nous sommes donc alarmés des mesures de gel ou d'annulation qui ont touché certains des crédits inscrits en loi de finances rectificative pour 2002 et en loi de finances pour 2003 : avez-vous quelque espoir d'obtenir, avant la fin de l'année, un déblocage de certains de ces crédits ? Nous le souhaitons ardemment !
La participation du ministère au fonds multilatéral unique et l'enveloppe de 580 000 euros dont il disposera en 2004, comme les années précédentes, pour subventionner des associations conduisant des actions multilatérales en faveur de la langue française ne représentent toutefois qu'une partie de l'effort global consenti par notre pays en faveur de la langue française et de la francophonie. Celui-ci fait l'objet, depuis 1987, d'un état annexé au projet de loi de finances, qui répond à une demande formulée jadis par Maurice Schumann, alors président de la commission des affaires culturelles.
Ce document, dont nous regrettons, cette année encore, la publication trop tardive, évalue à 882,6 millions d'euros en 2004 le montant de cette contribution globale. C'est évidemment une somme importante, mais, messieurs les ministres, il s'agit de donner à la francophonie la possibilité d'être véritablement, au xxie siècle, une expression du rayonnement de la langue et de la culture française.
Je souhaite par ailleurs insister sur deux points.
Il faut nous pencher particulièrement sur l'aide à porter aux Africains pour sauver leurs systèmes éducatifs.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. Comment espérer un avenir pour la francophonie africaine si les systèmes éducatifs africains s'effondrent ? Comment imaginer que ces pays, où vivent tant de francophones virtuels, soient un jour des pays de francophonie réelle, si nous ne les aidons pas à mettre sur pied un système éducatif qui permette un apprentissage du français dans de bonnes conditions ?
Mais il est une autre chance pour que le français reste l'une des grandes langues internationales : qu'il prenne toute sa place dans l'Europe en construction.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. La langue française a été, au début de la construction européenne, la langue de l'Europe. Elle n'est plus maintenant que l'une des langues de l'Europe - mais de moins en moins - et l'anglais, de plus en plus, apparaît comme la seule langue des relations extérieures de l'Europe. Sans doute cela tient-il à la force des choses, mais sans doute aussi à la légèreté dont font preuve certains de nos représentants au sein des institutions européennes, ce qui n'est pas admissible !
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Les diplomates pourraient parler français systématiquement !
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. Voilà pourquoi, messieurs les ministres, je souhaiterais que, au-delà de la considération des crédits que la France consacre à cette action, qui sont importants, nous soyons assurés, quand nous pensons « francophonie », qu'il y a bien une volonté française d'en faire l'une des expressions de la présence internationale de notre pays au xxie siècle.
Sous ces réserves, messieurs les ministres, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable à l'adoption de vos crédits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Messieurs les ministres, les rapporteurs qui viennent de s'exprimer ayant très précisément détaillé les grandes lignes du budget de votre ministère, je ne reviendrai donc pas sur leurs analyses financières et me concentrerai sur certains aspects de ce budget, avant d'évoquer quelques questions de politique étrangère.
La rigueur a effectivement lourdement affecté l'exécution 2003 du budget du ministère, à hauteur de quelque 250 millions d'euros, soit plus encore que l'année dernière. Ces gels et annulations en cours d'exercice participent, bien sûr, de l'effort partagé, dans un cadre budgétaire difficile, en vue d'une meilleure maîtrise de la dépense, mais, par nature, ces régulations qui touchent le ministère des affaires étrangères remettent en cause des actions sensibles pour nos partenaires, actions qui traduisent concrètement nos orientations politiques, notamment dans les domaines de la coopération et du développement : si la gestion budgétaire y gagne à court terme, notre crédibilité extérieure y perd.
Le budget 2004 est aussi un budget d'économies et de redéploiement. Le Quai dégage en effet des économies sur les effectifs et sur ce qu'il est convenu d'appeler « le train de vie du ministère ». Ces économies permettront - si elles sont effectivement recyclées dans votre administration - d'augmenter les crédits d'intervention, qui sont au coeur de notre diplomatie, notamment pour la coopération au développement.
De fait, les priorités en la matière seront substantiellement dotées l'an prochain, qu'il s'agisse des dotations au FED, des concours financiers ou des crédits d'investissement.
Par ailleurs, le ministère des affaires étrangères a préparé, sous votre impulsion, sa stratégie ministérielle de réforme, notamment à l'occasion de la mise en oeuvre prochaine de la loi organique relative aux lois de finances. J'en retiens tout spécialement la recherche d'une cohérence interministérielle accrue de notre action extérieure. Il s'agit là d'une préoccupation ancienne du Parlement, tout d'abord, parce qu'elle relève du bon sens comme source d'une efficacité et d'une rationalité financière accrues ; ensuite, parce que, pour nous, parlementaires, elle permettra, enfin, d'appréhender clairement les actions de toute nature conduites hors de nos frontières.
Si nous sommes nombreux, dans cette enceinte, à partager les objectifs de cette ambitieuse réforme - meilleure définition des priorités, rénovation des méthodes, valorisation des compétences -, nous sommes aussi convaincus qu'elle nécessitera un financement crédible. Cela fait en effet plus de dix ans que le Quai est engagé dans un effort continu de réduction de ses moyens, réduction à laquelle il faudra bien mettre un terme un jour, faute de quoi cette gestion vertueuse finira par asphyxier une administration chargée de mettre en oeuvre l'une des priorités politiques majeures de tout gouvernement.
Car c'est bien d'une action prioritaire qu'il s'agit pour la France lorsque notre diplomatie s'implique, comme elle le fait, au coeur des crises qui sont le quotidien de notre environnement international. Elle le fait avec des principes et une vision de l'avenir qui ont renforcé son rôle et son audience sur la scène internationale. Avec votre équipe, monsieur le ministre, vous n'avez pas ménagé vos efforts pour cela. Soyez-en ici remercié.
C'est, en effet, peu dire qu'au cours de l'année écoulée notre diplomatie s'est résolument impliquée dans les diverses crises qui ont fait l'actualité du monde.
Tout d'abord, la crise en Côte-d'Ivoire a démontré la fragilité politique et institutionnelle du pays, dès lors qu'a pris fin la relative prospérité qu'il avait connue, laissant libre cours aux intérêts de clans, à des comportements politiques souvent irresponsables et à l'incursion de forces extérieures incontrôlées.
La détermination française à proposer et à mettre en oeuvre un règlement à ce conflit, comportant un volet politique et un volet militaire, est tout à l'honneur de notre pays. Personnellement, j'y vois d'ailleurs plus qu'une stratégie de gestion de crise. En effet, en s'efforçant de prévenir le pire en Côte-d'Ivoire, et donc dans l'ensemble de la région, la France concourt à la nécessaire sollicitude pour un continent en danger. Ce type d'engagement de la part de notre pays est aussi, à mon sens, une contribution majeure contre le sous-développement, même s'il n'est pas comptabilisé dans les statistiques de l'aide publique en la matière.
Malheureusement, la tension dans le pays est permanente - nous l'avons vu encore hier - et la mise en oeuvre des accords de Marcoussis rencontre de nombreuses difficultés qui font craindre la reprise des combats, voire la pérennisation de l'actuelle division du pays.
Monsieur le ministre, vous avez récemment rencontré le président ivoirien et débattu de ces questions ; peut-on espérer une évolution qui remette clairement le processus de réconciliation sur les rails ?
Vous vous en doutez, les préoccupations de la commission des affaires étrangères du Sénat portent également sur la situation au Proche-Orient et au Moyen-Orient, sur l'évolution de la situation en Irak, mais aussi sur le blocage du processus de la « feuille de route ». Je pourrais y ajouter le risque de prolifération nucléaire entretenu par l'Iran : la gestion, par vos deux collègues britannique et allemand, et par vous-même, monsieur le ministre, a permis de réduire la différence d'approche entre les Etats-Unis et les Européens pour aboutir à un compromis. Ces foyers de crises ou de tensions ont beau avoir leurs ressorts spécifiques, ils sont cependant un défi commun à la communauté internationale, qui apparaît trop souvent comme démunie ou désunie pour y apporter une réponse efficace.
Tout d'abord, sur le conflit israélo-palestinien, le vote à l'unanimité du Conseil de sécurité de la résolution endossant la feuille de route est un événement important. Par ailleurs, dans son récent discours, à Londres, le président américain a fait montre d'une vigueur inhabituelle pour inciter le Gouvernement israélien à respecter ses engagements. Enfin, la constitution du nouveau gouvernement palestinien et la perspective d'une reprise des contacts directs, parallèlement à l'arrêt indispensable des actions terroristes, pourraient contribuer à recréer une confiance aujourd'hui détruite.
Mais il faut surtout saluer cette « initiative de Genève », officiellement lancée aujourd'hui même, qui, même si elle n'a pas de valeur officielle, démontre que, pour répondre aux aspirations des deux peuples pour la paix, des solutions sont possibles, et que des sujets tabous comme, entre autres, le statut de Jérusalem ou le droit au retour, peuvent être mis sur la table et faire l'objet d'accords. Il y a là un complément, une concurrence stimulante à une feuille de route dont les échéances sont déjà dépassées.
Il reste sur cette question - nous le savons d'expérience - que la préparation des élections américaines conduit toujours à une paralysie des initiatives extérieures qui, seules, peuvent dépasser le statu quo de la violence. Dès lors, pour ne pas perdre une année de plus, est-il concevable que les autres membres du Quartet, dont l'Union européenne, finalement assez unie sur ce sujet, prennent le relais des frémissements que l'on perçoit aujourd'hui ?
Dernière observation : l'évolution de la situation en Irak a conforté - j'oserai dire « malheureusement » ! - les analyses formulées par vous-même et notre diplomatie au début de l'année. Mais il faut désormais regarder devant nous pour gérer au mieux une instabilité néfaste pour tout le monde, d'abord pour les Irakiens eux-mêmes.
La violence persistante et son extension régionale ont conduit la coalition et le conseil de gouvernement à un accord sur une restauration de la souveraineté irakienne et la désignation d'un gouvernement transitoire d'ici six mois, en vue de l'élection d'une Constituante avant deux ans.
Cet accord, dicté par le réalisme, est positif, mais il ne change rien à une logique qui laisse encore l'ONU de côté. Par ailleurs, qui seront les participants au gouvernement transitoire ? Ne devra-t-il pas, pour marquer sa différence, s'ouvrir à d'autres acteurs politiques que les membres des actuelles instances irakiennes ? Faudra-t-il garder aux forces étrangères leur actuel statut de forces d'occupation ou imaginer une autre solution ? En d'autres termes, ne conviendrait-il pas, pour entériner, voire ajuster la nouvelle démarche proposée, de prévoir une résolution du Conseil de sécurité qui placerait, clairement, cette fois, l'ensemble du processus de reconstruction politique, économique et sécuritaire sous la responsabilité d'une communauté internationale enfin réunie ?
Dans toutes ces turbulences, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la diplomatie française est présente pour analyser, proposer et agir. Afin que notre diplomatie soit dans la meilleure situation possible pour continuer sur cette voie, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite à voter les crédits du ministère des affaires étrangères pour 2004. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 85 minutes ;
Groupe socialiste, 47 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 23 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi une intrusion rapide dans ce débat sur un sujet peut-être plus diplomatique que budgétaire. Je suis en effet frappé de constater combien le différend entre la France et les Etats-Unis, né de la crise irakienne survenue au premier semestre 2003, pèse aujourd'hui lourdement sur les relations internationales dans leur ensemble.
Aux divergences d'hier sur l'opportunité de la guerre en Irak ont en effet succédé des désaccords nouveaux sur la façon de sortir de la crise - rôle de l'ONU, présence des forces militaires en Irak, transfert de souveraineté aux Irakiens -, et sur le conflit israélo-palestinien. Plus grave peut-être, un divorce durable semble s'être installé au niveau des opinions publiques, des deux côtés de l'Atlantique.
Côté Amérique, l'attitude française dans la crise irakienne n'a pas été oubliée. Au contraire, témoigne l'ancien ambassadeur des Etats-Unis en France, Félix Rohatyn, elle « plane sur toute la panoplie de nos relations, même si elle pèse davantage du côté diplomatique que du côté des entreprises ».
A cela, il y a une raison principale : la France n'a pas seulement eu une interprétation différente de celle des Etats-Unis, elle a été aussi un élément moteur et actif du front du refus à la position américaine : évocation a priori du veto français au Conseil de sécurité ; tournée militante auprès des Etats indécis, intonations aux accents jugés neutralistes ou tiers-mondistes des interventions françaises à l'ONU.
Cette attitude a été incontestablement perçue comme une sorte de trahison de la part du premier allié historique de l'Amérique, de surcroît redevable d'une lourde dette de sang contractée en 1917, puis en 1944. Il en est résulté un fort mouvement francophobe dans les cercles du pouvoir américain, qu'ils soient républicains ou démocrates, mais aussi au sein du peuple américain.
Un dégel semble aujourd'hui se faire jour. La presse populaire ne tire plus à boulets rouges sur tout ce qui est français. The National Report, magazine politique réputé à Washington pour son sérieux et son objectivité, affirmait même voilà deux semaines à propos de l'Irak « The French were right ». Les consignes de boycott des produits français, qui circulaient au printemps, n'ont par ailleurs pas provoqué les ravages redoutés.
Un groupe d'amitié franco-américaine, composé de « poids lourds » démocrates, mais aussi de républicains, a récemment été créé à Capitol Hill.
Mais, selon M. Rohatyn, « il y a toujours une grande brèche » dans l'opinion publique. Et de déplorer qu'il n'y ait pas eu de progrès sur le fond !
Côté Europe, les Français, qui ont brandi le haut-parleur le plus sonore dans le concert de condamnations prononcées à l'encontre des Etats-Unis, ne sont plus que 31 % à avoir une opinion favorable à l'Amérique.
Après la « coca-colonisation » du monde dans les années cinquante, on dénonce aujourd'hui volontiers l'arrogance, l'unilatéralisme, voire l'impérialisme des Etats-Unis, leur ambivalence entre la pureté des principes invoqués et la prégnance des intérêts. Nous pouvons, certes, nous demander si ce puissant hegemon veut des partenaires et des alliés, ou seulement des affidés. Mais la sentence flétrit également la société américaine dans son fonctionnement interne, dans son identité de valeurs.
Je pense qu'il est urgent de désamorcer cet anti-américanisme ambiant, exprimé par beaucoup de jeunes notamment, en rappelant la réalité de la communauté d'intérêts qui constitue le ciment de l'alliance entre la France et les Etats-Unis.
Nos deux pays ont d'abord deux siècles d'histoire commune, faite d'entraides et d'apports réciproques. Ils ont, en outre, une communauté, active et forte, de références et d'idéal démocratiques. Ils ont des convergences essentielles face aux risques du terrorisme international et face à ceux qui contestent radicalement le modèle occidental. Une France, une Europe hostile aux Etats-Unis, ce n'est ni réaliste ni souhaitable.
La France n'a pas à battre sa coulpe ; sa position dans la crise irakienne a pu être d'une logique implacable. Mais, maintenant que la guerre a eu lieu, rien ne sert de pleurer sur le lait répandu ! Aucun Français ne peut souhaiter un échec américain dans la région. Que l'espérance d'une reconstruction d'un Irak libre et démocratique s'évanouisse, et ce sera alors la mort annoncée de tous les régimes musulmans modérés qui s'efforcent de résister à la déferlante islamiste. Que la plus grande puissance militaire du monde soit défaite, et un signal dévastateur sera envoyé à tous les Ben Laden du Proche-Orient, du Maghreb.
La France dispose tout à la fois de l'expérience historique, de l'audience dans le monde arabe et de moyens non négligeables pour peser sur l'issue de cette crise. A condition cependant de ne pas se cantonner dans le rôle de conseiller extérieur, voire de donneur de leçons.
L'heure est peut-être venue de tourner la page sur les désaccords politiques d'hier et de rétablir des relations de confiance avec nos alliés américains. Je sais que vous vous y attelez, monsieur le ministre, et que la contradiction dans laquelle l'administration Bush s'est enfermée rend difficile cet objectif.
En tant que puissance dominante à l'échelle mondiale, les Etats-Unis ont la responsabilité de faire preuve de ce que leur déclaration d'indépendance appelle « le respect dû à l'opinion de l'humanité ». Leur plus grand défi consiste à renforcer les mécanismes, peut-être défectueux, mais pourtant nécessaires, de la gouvernance mondiale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. « De grandes ambitions pour la France sur la scène internationale », voilà votre propos, monsieur le ministre.
Grandes ambitions qui se sont concrétisées dans l'action de la France à l'ONU à propos de l'Irak et du Proche-Orient, mais aussi à propos de l'élargissement de l'Union européenne et de la mise en place d'institutions qui permettraient, nous l'espérons, le fonctionnement à 25.
Mes collègues du groupe socialiste s'exprimeront sur ces sujets. Mais nous apprécierions que l'action soit le plus souvent possible en adéquation avec la proclamation.
Ainsi en est-il de notre partenariat avec les pays du Maghreb, en principe orienté tout autant vers le progrès politique que vers la croissance économique.
Habitants des pays riverains de la Méditerranée occidentale, membres d'une même communauté de destin, aucune indifférence ne nous est possible envers les peuples du Maghreb.
Aussi, à la veille de la visite d'Etat du Président Chirac en Tunisie et du sommet 5+5, je me permets d'attirer votre attention et de vous interroger, monsieur le ministre, sur la situation de Mme Radhia Nasraoui, avocate, qui fait la grève de la faim à Tunis depuis le 13 octobre dernier pour dénoncer le harcèlement dont elle-même, sa famille, ses clients, sont victimes, harcèlement qui l'empêche d'exercer normalement son métier.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Radhia Nasraoui met sa vie en danger parce que les faits sont graves. Elle est l'un des symboles de la vocation démocratique de son pays, qui pourra fêter en 2007 le centenaire de son premier parti politique moderne.
Non, la Tunisie n'est pas un pays arriéré dont le peuple ne serait pas mûr pour l'Etat de droit : je voudrais que la diplomatie française en soit consciente.
Mme Josette Durrieu. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Venons-en à votre projet de budget, monsieur le ministre, objet central du débat de ce soir. Quel écart entre les ambitions proclamées et la réalité des moyens déployés pour les services publics à l'étranger !
Cette année encore, le Quai d'Orsay va perdre 116 agents. Nous arrivons ainsi à une réduction de 10 % des effectifs en dix ans.
La baisse des crédits est de 16,2 % pour la rémunération des personnels en poste à l'étranger et de 9,3 % pour ceux qui sont affectés dans les établissements culturels et de coopération, soit une diminution de 4,2 % de la masse salariale et de 2 % des frais de fonctionnement.
Je rappelle que les effectifs du ministère ont déjà diminué de près de 6 % entre 1995 et 2003, alors que les autres ministères bénéficiaient de créations de postes. Monsieur le ministre, le malade était maigre ; il devient cachectique !
Aujourd'hui même, et pour la première fois, la totalité des syndicats du ministère ont appelé à la grève pour dénoncer la baisse des crédits de fonctionnement, qui porte un coup très dur à l'efficacité de leur travail. C'est bien là la première chose qu'ils mettent en avant !
A la diminution des effectifs s'ajoute maintenant la réforme de l'indemnité de résidence à l'étranger, pour une économie globale de 34 millions d'euros, c'est-à-dire de 6 %. Cette réduction, destinée à réaliser une économie à court terme, est ressentie comme une injustice et comme un camouflet par les personnels.
La double vocation, élargie à tous les grades, est mal acceptée, parce qu'elle réduit les revenus sur la durée de la carrière. C'est particulièrement dur pour la catégorie C. Que propose-t-on aux agents, en contrepartie, alors que la mobilité est une lourde contrainte familiale, qu'elle prive leur conjoint - le plus souvent leur conjointe ! - de la possibilité de travailler, d'apporter un revenu supplémentaire et de se constituer une retraite propre ? Que leur propose-t-on ? Pour l'instant, rien de précis, à quinze jours de la publication du décret, à un mois de son application !
Comment se répartiront les baisses de l'indemnité de résidence ? Mystère ! En principe, l'abattement pourrait atteindre jusqu'à 12 %, selon les pays.
On parle d'une hausse de 40 euros mensuels pour la catégorie C quand les agents seront en administration centrale, mais on ne sait pas très bien de quelles indemnités il s'agit. Pour les agents de catégorie B - le chiffre varie -, ce seraient 80 euros mensuels : un pactole ! Et pour les personnels d'encadrement, la catégorie A, la prime bondirait de 200 euros à 400 euros. C'est l'égalité républicaine revue et corrigée selon les normes « Quai d'Orsay » !
M. Philippe Marini. C'est un peu facile !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Oui, le ministère des affaires étrangères n'a pas encore tout à fait digéré les révolutions successives du xixe siècle. Mais nous sommes au xxie siècle !
M. Philippe Marini. Surprenant propos !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Avec une famille à loger, des enfants étudiants, un conjoint qui ne retrouve pas d'emploi, comment vos agents vivent-ils, à Paris et à Nantes ? Quant à la vieillesse, comment la préparer dignement, sur la base d'un seul salaire, si les primes restent exclues du calcul de la pension ?
Une meilleure répartition des rémunérations des agents entre les périodes d'expatriation et celles de service en France aurait pu assainir le climat social dans votre ministère et améliorer la gestion financière individuelle des contraintes imposées par le va-et-vient entre l'étranger et la France. Alors même que les agents de chancellerie, qui étaient entrés aux affaires étrangères pour travailler à l'étranger, vivent très mal la fusion des corps, comment l'ensemble des agents supporteraient-ils la baisse de rémunération, très inégalitaire de surcroît, que vous voulez leur imposer ?
Pour la première fois dans l'histoire de votre ministère, ils sont dans la rue, tous, tous les syndicats, et même des associations telles que celle du cadre d'Orient ou celle des anciens élèves de l'ENA. Monsieur le ministre, tous se révoltent ! Lorsque, comme nous, sénateurs des Français de l'étranger, on connaît leur dévouement, les heures de travail sans compter en poste, les nuits passées bénévolement à Paris, en cellule de crise, à chaque catastrophe qui se produit dans le monde, on les comprend !
C'est pourquoi je suis allée leur témoigner ma sympathie, et nous sommes nombreux dans cet hémicycle à le dire plus ou moins fort. Mais moi, monsieur le ministre, je l'ai toujours dit, quel que soit le gouvernement au pouvoir !
M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Moi aussi !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. C'est pourquoi je vous demande instamment de cesser de mettre leur tête sur le billot de Bercy en même temps que la vôtre. C'est votre choix politique, ce n'est pas le leur !
Monsieur le ministre, revenez sur ce projet, négociez avec ceux sans qui la France ne peut plus mener d'action effective à l'étranger !
Votre ministère, c'est de l'énergie, et c'est de la matière grise. Si vous ne donnez pas de récompense à vos personnels, si vous ne les dynamisez pas, vous n'aurez rien ! Défendez-les ! Ne les sacrifiez pas : vous n'avez pas de chars, vous n'avez que des êtres humains en chair et en os, il est très important que vous gardiez cela présent à l'esprit.
Les Français de l'étranger ne sont pas oubliés dans les mesures d'austérité.
Les crédits affectés à l'action sociale baissent de 0,6 %, et la conception de l'aide sociale apportée à nos compatriotes les plus démunis a radicalement changé. Pour les personnes âgées et handicapées, l'aide sociale avait pour référence les minima sociaux français, garanties de dignité de vie. Aujourd'hui, la consigne est de s'aligner sur le plus petit salaire local, dérisoire dans les pays pauvres.
Il est bien fini le temps où le gouvernement Jospin, soucieux de l'insertion de ses compatriotes, lançait des programmes d'allocation locale d'insertion sociale, déployait des assistantes sociales et mettait en place des centres de formation professionnelle à l'étranger !
Parmi les 107 propositions figure la création d'associations d'entraide dans toutes les circonscriptions consulaires. Excusez-moi, monsieur le ministre, mais elles existent déjà depuis le xixe siècle et sont pour la plupart le bras séculier des organisations politiques de droite à l'étranger, un instrument de clientélisme électoral que vos amis politiques gèrent comme leur propriété privée ! Je rencontrerai d'ailleurs mes amis de Tunis à ce sujet dans deux jours.
M. Philippe Marini. C'est la liberté d'association !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. De plus, cette année, nombre de sociétés d'entraide sont exsangues pour n'avoir pas reçu leur subvention. Toutes vivotent, faute de généreux donateurs : les entreprises françaises s'implantent à l'étranger pour dégager des bénéfices, non pour faire de l'aide sociale !
Au-delà des restrictions de crédits, ce qui m'inquiète davantage encore, c'est l'idéologie libérale qui tend à remettre en cause l'idée même de solidarité nationale pour nos compatriotes résidant à l'étranger. Les comités consulaires pour la protection et l'action sociale, les CCPAS, créés en 1982, expriment la solidarité nationale, principe qui figure dans le préambule de notre Constitution et qui n'a rien de comparable avec la charité publique que vous voulez restaurer.
Le sabordement des CCPAS serait-il à l'ordre du jour, monsieur le ministre ? Je vous demande des garanties concrètes sur l'aide sociale consulaire républicaine qui est en place depuis 1982, sur la formation professionnelle à l'étranger et sur l'aide au rapatriement pour indigence.
Je poursuivrai mon propos en évoquant les écoles françaises à l'étranger.
Les crédits qui leur sont affectés diminuent, ce qui est très difficile à supporter. Cette baisse est rendue possible par une réduction sans précédent du nombre d'enseignants expatriés et par la rupture des contrats avec une dizaine d'écoles. Ce sont des choix politiques qui conduisent inévitablement à transférer la charge financière sur les familles, qui paient toujours davantage les enseignants, ces derniers étant de plus en plus recrutés localement - qu'ils soient ou non titulaires de l'éducation nationale.
En cinq ans, la part des familles dans le budget du réseau est passée de 50 % à 60 % parce que l'AEFE doit autofinancer l'amélioration de la rémunération des résidents, souvent recrutés en France et plus mobiles que les expatriés. C'est un choix politique contre lequel je m'étais élevée du temps de votre prédécesseur : je continue à le faire, monsieur le ministre !
Il est inacceptable que l'Etat ne restitue pas à l'AEFE les efforts consentis par les familles pour diminuer les coûts de scolarisation, efforts dont bénéficie l'Etat. C'est une perte de substance pour l'Agence, un déni de justice pour les familles et, à terme, une menace de dégradation pédagogique.
A quand une participation financière du ministère de l'éducation nationale au fonctionnement du réseau proportionnée au nombre d'élèves français scolarisés ?
Mme Danièle Pourtaud. Tout à fait !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Quelles garanties pouvons-nous attendre sur l'avenir du réseau et sur sa qualité ?
Avant de conclure, j'ajouterai un mot sur l'aide publique au développement, l'APD.
Compte tenu des difficultés apparues au cours de l'exercice budgétaire 2003 - gels, annulations et retards de mise en oeuvre de certains crédits -, compte tenu des faibles données disponibles permettant l'identification claire des fonds affectés à l'allégement de la dette, quels efforts de rénovation et de transparence des instruments de la coopération prévoyez-vous, monsieur le ministre, d'engager pour l'exercice 2004 ?
Je ne voterai pas ce budget, insuffisant à tous égards.
M. Philippe Marini. Quelle surprise !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais je forme surtout le voeu que les crédits que votre majorité votera soient pour le moins dépensés, et non annulés.
Je rappelle que 250 millions d'euros ont été gelés sur l'ensemble des crédits pour 2003 et que, à ce jour, 98,4 millions d'euros sont encore réservés : autant dire qu'ils ne seront pas dépensés !
Jamais l'écart entre les crédits votés et les paiements n'a été aussi important ! C'est une question grave : il y va de la sincérité du budget voté ; il y va - et c'est encore plus grave à mes yeux - de la confiance que nos concitoyens placent dans le Parlement, dans leurs institutions et dans notre système politique en général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la discussion du budget du ministère des affaires étrangères s'effectue cette année dans un contexte pour le moins « peu banal », pour reprendre l'expression que vous avez, monsieur le ministre, utilisée la semaine dernière pour décrire le mouvement de grève d'aujourd'hui.
Le deuxième réseau diplomatique du monde tourne aujourd'hui au ralenti. Aux quatre coins du monde, la voix de la France, en ce 1er décembre 2003, est bien difficile à entendre.
Notre débat ne pouvait ignorer cette mobilisation sans précédent. A Paris, à Nantes et dans les postes, les agents du ministère des affaires étrangères expriment la même crainte : celle que notre pays n'ait plus la même capacité à traduire son ambition internationale en termes concrets.
En vous adressant à eux, jeudi dernier, vous avez rappelé, monsieur le ministre, que « rien de ce qui a été fait au cours des dernières années par notre pays sur la scène internationale n'aurait été possible sans l'engagement de chacun des agents du ministère des affaires étrangères ».
Monsieur le ministre, vous avez eu bien raison de leur adresser ce message de reconnaissance, car il suffit de parcourir le monde et de constater la position particulière que la France a reconquise sur la scène internationale pour mesurer combien cet engagement a été déterminant.
Le contexte budgétaire, extrêmement difficile, nous impose des choix. L'augmentation de 2,5 % du budget du ministère des affaires étrangères pourrait apparaître comme une première réponse à l'ambition internationale fixée au Gouvernement par le Président de la République et le Premier ministre.
Cette progression résulte d'une augmentation de plus de 6 % des crédits consacrés à l'aide publique au développement, l'APD.
Cet effort doit être souligné : il poursuit le mouvement d'augmentation de la part de notre produit intérieur brut consacrée à l'APD, conformément aux objectifs affichés par le Président de la République. Il est d'autant plus remarquable lorsqu'on sait que le déficit public excède 4 % du PIB.
Pour être encore plus exemplaire dans ses actions, notamment dans ses actions internationales, la France doit disposer de marges financières que seule la réforme de l'Etat lui donnera.
Cet effort ne serait pas possible sans la volonté de poursuivre parallèlement l'effort de rationalisation du fonctionnement du réseau diplomatique français, tant à Paris et à Nantes que dans les postes. Le Quai d'Orsay s'est ainsi porté à la pointe de la modernisation de l'administration d'Etat. De cela encore, tous ses agents doivent être félicités.
Pour autant, la rationalisation des moyens de fonctionnement, pour être acceptée, doit se dérouler dans la plus grande transparence. C'est l'engagement que vous avez pris devant les agents de votre département ministériel.
La réforme doit en effet s'efforcer sans cesse de rendre complémentaires, et non contradictoires, les impératifs d'efficacité et de justice. C'est ce qu'attendent, je crois, les agents qui se sont mobilisés aujourd'hui.
Pour beaucoup, l'année 2003 a été difficile. Les gels et les annulations de crédits ont considérablement altéré la visibilité de l'action internationale de la France. Les mesures de régulation de crédits n'ont pas seulement représenté une économie de 284 millions d'euros : elles ont aussi mis à mal le travail et la crédibilité, sur le terrain, de dizaines de postes.
Les économies sont à trouver ailleurs. Je sais que notre réseau consulaire en Europe est en voie de restructuration. Dans la mesure où les citoyens français seront bientôt des concitoyens européens dans vingt-cinq pays, nous vous encourageons, monsieur le ministre, à poursuivre dans cette voie.
De même l'effort diplomatique français mériterait-il sans doute d'être partagé dans certaines régions du monde par l'établissement de représentations communes rassemblant plusieurs Etats membres de l'Union européenne.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
Mme Jacqueline Gourault. Tel est, en quelques mots, monsieur le ministre, le message que, au nom du groupe de l'Union centriste, je souhaitais vous adresser.
Nous savons combien vous êtes personnellement attaché à la modernisation de votre département ministériel. Pour entreprendre une réforme juste et, par là même, durable, pour répondre aux craintes exprimées aujourd'hui par les agents du ministère des affaires étrangères, nous serons à vos côtés. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Monsieur le ministre, nous connaissons votre action et votre engagement pour la France, qui suscitent très souvent l'admiration. Je veux vous en féliciter au nom des Français de l'étranger. Nous félicitons aussi votre équipe : Mme Lenoir, M. Wiltzer et M. Renaud Muselier, qui a notamment en charge les Français établis hors de France et assume cette tâche avec compétence et passion.
Le président de la commission des affaires étrangères, M. Dulait, a parfaitement résumé la présence de notre diplomatie dans le monde. Je n'y reviens pas.
Monsieur le ministre, votre budget doit s'adapter à la rigueur budgétaire imposée par une conjoncture économique internationale peu favorable. Il vous a donc fallu rationaliser et faire des économies tant sur les emplois que sur les frais de fonctionnement.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, le coût de la modernisation du ministère implique la réforme du régime des indemnités de résidence des agents du ministère, et même des professeurs en poste à l'étranger, réforme qui fait la une de l'actualité en ce 1er décembre.
Elle devrait permettre une économie importante sur les crédits de rémunération. La baisse, disons-le, assez brutale des indemnités de résidence, il est vrai, est très mal perçue sur le terrain. On peut comprendre, sur le plan humain, ces agents qui se sont engagés dans des dépenses parfois coûteuses. Outre les loyers élevés auxquels ils doivent faire face, je vous rappelle par exemple que, au lycée français de New York, les frais de scolarité peuvent s'élever jusqu'à 16 000 euros, voire 17 000 euros par an et par enfant.
Il y a donc une grève aujourd'hui, je n'y reviens pas. Quelle réponse apportez-vous, monsieur le ministre, aux personnels en poste à l'étranger qui manifestent leur inquiétude et leur désapprobation ? Pouvez-vous les rassurer ? Car, trop souvent, c'est le manque d'information qui est à l'origine de l'incompréhension et des craintes !
Vous avez déjà fort bien rassuré les agents réunis au ministère, et vous avez même pris devant eux des engagements très clairs. Je tiens d'ailleurs à la disposition de ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga un résumé des mesures que vous avez prises, monsieur le ministre. Vous avez évoqué un système transparent, la prise en compte du coût de la vie, et même du logement, vous avez mentionné les majorations familiales... Je ne reviens pas sur les détails. Vous avez même envisagé un « solde de tout compte », et vous avez donné une certaine assurance sur l'avenir.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu'il serait peut-être utile que le Premier ministre voire peut-être le Président de la République adressent un message solennel aux fonctionnaires des affaires étrangères pour leur expliquer ces restrictions budgétaires, dont vous n'êtes en rien responsable, mais qui les pénalisent tous, eux dont la qualité est reconnue de tous ? Je tiens d'ailleurs à les féliciter, au nom de mes collègues : leur engagement et leur dévouement aux intérêts de la France est indiscutable et indiscuté.
Monsieur le ministre, vous vous êtes attaché à maintenir les subventions aux opérateurs de l'audiovisuel extérieur. Nous attendons les arbitrages sur les propositions qui vous seront faites dans les semaines à venir et qui porteront notamment sur le financement de la chaîne d'information internationale, que, je tiens à le souligner, nous souhaitons voir totalement liée à votre ministère. Mais j'aimerais aussi obtenir quelques précisions sur cette affaire dont on a parlé : l'arrêt de la diffusion de France 2 en Italie depuis le mois d'octobre.
Les restrictions budgétaires imposées par Bercy, bien sûr, n'ont pas épargné les Français de l'étranger. Les secteurs essentiels sont toutefois préservés, au premier rang desquels la sécurité, qui voit même son enveloppe augmenter de 18,3 %. Nous en sommes satisfaits en cette époque de terrorisme aveugle et de mondialisation de l'insécurité.
Les restrictions n'ont pas épargné non plus le budget de l'AEFE, dont les crédits s'élèvent pour 2004 à 332 millions d'euros, on le sait.
Il faut souligner que, malgré les crises, la gestion rigoureuse de l'Agence a permis cette année de dégager des marges qui vont être réinvesties dans les priorités. L'Agence devrait ainsi augmenter les crédits destinés aux bourses pour faire face à la croissance des effectifs.
Face aux difficultés financières de l'AEFE, il faut donc, mes chers collègues, explorer de nouvelles possibilités de financements privés hors les frais de scolarité, déjà trop élevés, payés par les parents. L'Etat ne pouvant pas non plus payer toujours plus, c'est ailleurs qu'il faut trouver l'argent.
Dans le plan de stratégie 2007 de l'Agence, conçu en concertation avec les parents, les syndicats, l'administration et même des parlementaires, il est proposé de faire appel à des fonds privés en créant à Paris une fondation pour les écoles françaises à l'étranger.
La loi relative au mécénat du 1er août 2003, qui permet une défiscalisation partielle, est une piste intéressante. Elle pourrait s'appliquer au financement par cette fondation de certains programmes immobiliers de l'Agence, comme le ministre délégué au budget vient de me le confirmer dans une réponse à une question écrite.
Pour pallier ces problèmes financiers, que l'on retrouve tous les ans depuis que l'Agence existe, il y aurait aussi, bien sûr, la possibilité, évoquée depuis des années, d'une cotutelle de l'AEFE avec l'éducation nationale.
Vous vous êtes déclaré, monsieur le ministre, « évidemment ouvert » à la cotutelle et prêt à engager une réflexion avec Luc Ferry. Cette réflexion devrait porter sur le partage de la charge financière et sur un projet éducatif international. Honnêtement, monsieur le ministre, il y a eu tellement de tentatives depuis que l'AEFE existe que nous sommes assez sceptiques quant à l'aboutissement de cette réflexion. Toutefois, je ne demande qu'à me tromper.
La pérennité même de notre réseau exige l'évolution vers un enseignement trilingue débouchant sur un bac reconnu en premier lieu en Europe, mais notre ambition ne doit pas se limiter à l'Europe.
Monsieur le ministre, nous devons avoir un véritable bac international, diplôme identifiable mondialement qui servira de passeport pour tous les systèmes universitaires à travers le monde.
Par ailleurs, vous proposez une réforme de l'action culturelle et je vous approuve pleinement. Il faut bien avouer que des économies importantes pourraient être réalisées dans ce domaine.
J'évoquerai, monsieur le ministre, une petite anecdote : je me rendais, il y a quelques années, dans un centre culturel français à l'étranger où l'on m'avait convié à voir une pièce de théâtre. C'était une pièce d'un auteur turc, jouée en allemand !
M. Philippe Marini. Intéressant !
M. Robert Del Picchia. Elle est restée programmée pendant trois semaines et a reçu le succès qu'elle méritait, c'est-à-dire aucun.
Le secrétaire général du ministère de ce pays, invité lui aussi, a manifesté auprès de moi sa déception : il était venu pour entendre du bon français et il n'a entendu que du mauvais allemand !
Quelques mois plus tard, je retourne dans ce même centre culturel : la pièce était toujours au programme...
M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères. Quelle obstination !
M. Robert Del Picchia. ... et toujours en allemand ! Je m'insurge. On me répond : « Ce n'est pas la même pièce, c'est la suite ! » (Sourires.)
Cela n'existe certainement plus aujourd'hui, monsieur le ministre, mais il est bon de rappeler, de temps en temps, qu'on ne peut pas utiliser les centres culturels français à l'étranger au profit d'une poignée de personnes qui se font plaisir. Il s'agit de l'image de la France et de ses crédits !
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Robert Del Picchia. Les coûts de fonctionnement des centres culturels devraient d'ailleurs être évalués plus précisément à l'aune des résultats. J'estime, comme vous, que, s'il le fallait, nous devrions fermer les centres culturels inutiles.
Vous prenez également des mesures pour la rationalisation du réseau consulaire. C'est en effet nécessaire.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur les dévolutions de compétences qui seront faites aux pays d'accueil et sur leur mise en oeuvre, qui ne sera sans doute pas toujours facile dans l'Europe des Vingt-Cinq ?
Vous proposez, par ailleurs, une régionalisation de la structure diplomatique et consulaire. A cet égard, je crois, il ne faut pas limiter la possibilité d'effectuer les démarches administratives aux frontières d'un pays.
Je vais vous donner un exemple, dont j'ai été saisi par un Français qui réside à Seattle et qui doit dorénavant se rendre à San Francisco pour renouveler son passeport, donc prendre l'avion, passer une nuit à l'hôtel, ce qui entraîne une perte de temps et d'argent. Or le consulat de Vancouver est à deux heures de voiture, mais de l'autre côté de la frontière canadienne.
Or - chacun le sait - tous les passeports sont maintenant établis à Nantes, où tout l'état civil de cette personne est sur ordinateur. Il me semble donc que la frontière canadienne ne devrait pas être un obstacle et que ce Français devrait pouvoir déposer sa demande à Vancouver.
Monsieur le ministre, la régionalisation induit, en effet, la mondialisation de la transmission des données administratives. Il est donc indispensable d'accorder une place prépondérante au financement des moyens informatiques des postes et du système Intranet, ou de tout autre réseau mondial de transmission sécurisée des données.
Permettez-moi encore, monsieur le ministre, de remercier en quelques mots les services de la DFAE et le secrétariat général du CSFE pour l'aide qu'ils apportent aux Français établis hors de France, concernant la réforme des immatriculations et la fusion des listes électorales.
Ainsi, une réponse positive est apportée à deux des demandes de la commission de la réforme du CSFE, qui se réunira bientôt pour une deuxième assemblée plénière. Nous espérons tous que l'année 2004 verra la modification en ce sens de la loi de 1982.
La conjoncture économique internationale tendant vers la reprise, nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que le projet de budget que vous nous présentez pour l'année 2004 échappe aux régulations budgétaires des années antérieures.
Monsieur le ministre, le budget n'est certes pas à la hauteur de la mission qui vous incombe, mais c'est un défi de la réussir tout de même, et nous savons que vous relevez les défis avec brio, panache et conviction du succès.
Voilà pourquoi je vous apporte mon entier soutien et voterai avec confiance votre projet de budget.
Je vous prie, par avance, de bien vouloir m'excuser : je serai absent au moment de vos réponses. Je dois partir en effet pour Naples, où nous avons, vous le savez, une réunion de préparation pour l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, qui vous remettra ses propositions demain ou après-demain. Mais, je lirai vos réponses avec intérêt dans le Journal officiel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, afin de respecter le temps qui m'est imparti, je privilégierai deux questions éclairées par l'actualité. En effet, ce lundi 1er décembre n'est pas un jour ordinaire.
Pour la première fois, l'ensemble des syndicats du ministère des affaires étrangères a déposé un préavis de grève et décidé de cesser le travail. Leur unanimité souligne le caractère exceptionnel de leur action et révèle le grand malaise social de tous les personnels, puisque seront vraisemblablement touchés l'administration centrale, le réseau diplomatique et consulaire, mais aussi les établissements français à l'étranger.
La revendication porte sur « une mission action extérieure de l'Etat avec des moyens financiers et humains à la hauteur des ambitions affichées ». Nous la partageons pleinement, et j'ai d'ailleurs eu l'occasion de formuler cette même revendication lors d'une de vos autiditons devant la commission des affaires étrangères, monsieur le ministre.
Compte tenu de la complexité, de l'instabilité et des dangers du monde d'aujourd'hui, votre budget devrait bénéficier d'une attention toute particulière et de moyens importants. C'est indispensable si la diplomatie française veut continuer à jouer un rôle positif et constructif.
Les positions françaises ont, ces derniers mois, été appréciées et partagées par les Etats et par les peuples qui veulent construire un monde fondé sur la justice et le droit, un monde multipolaire où les conflits seraient réglés autrement que par la force.
Notre réseau diplomatique est l'héritier de notre histoire et des liens politiques, économiques et culturels que nous avons tissés. La densité de son maillage est une vraie richesse pour notre pays et ne se résume pas à un simple coût, ou à un surcoût, comme le prétendent certains.
Ce réseau nous permet d'établir et de multiplier nos relations, d'apprécier la complexité de certaines crises et d'aider à leur règlement. Il permet à bon nombre de nos compatriotes expatriés d'entretenir des contacts avec notre pays.
Qu'il faille procéder à des réajustements et à des remises en perspective est tout à fait concevable et parfois nécessaire pour conserver la qualité de nos interventions. Mais cette qualité est menacée si l'on touche à l'essentiel. Or l'essentiel repose sur le professionnalisme et la stabilité des hommes et des femmes qui y travaillent et ce sont eux qui, aujourd'hui, sont les plus touchés par les mesures annoncées.
Hormis l'aide publique au développement, qui augmente sensiblement, ce dont nous nous réjouissons pour l'avoir souvent demandé, nous déplorons que votre budget soit en recul de 1,26 % et que toutes les lignes budgétaires baissent ou stagnent. Deux exemples : les crédits de rémunération et de fonctionnement baissent de 2,37 %, représentant désormais 35,6 % du total des crédits du ministère contre 37,4 % en 2003 et 41,2 % en 2002 ; les effectifs diminuent de 116 postes et les rémunérations passent de 773 à 740 millions d'euros.
Ces choix imposés ne peuvent que susciter amertume et contestations. Entraînant une baisse des effectifs comme des indemnités de résidence à l'étranger et une réduction de certains crédits de fonctionnement, ils s'ajoutent aux mesures de régulation - réserves, gel ou annulation - ayant marqué le budget précédent, amputations que nous dénonçons régulièrement.
Ces mesures de rigueur anticipent d'ailleurs le plan d'économie et de réforme 2004-2007. En abaissant les indemnités de résidence à l'étranger pour augmenter certains personnels de l'administration centrale, elles renforcent les inégalités salariales. Les agents expatriés, notamment aux Etats-Unis, dénoncent ces incohérences, le non-respect des engagements et le mépris des personnels.
L'accroissement du recours au recrutement local, basé sur des contrats de droit privé étranger, souvent précaires et mal rétribués, on le sait, confirme la volonté de remettre en cause le service public et de désengager progressivement l'Etat.
Enfin, il faut signaler le blocage des carrières et les retards dans les règles d'avancement automatique. Ils sont vécus comme une non-reconnaissance du travail accompli et risquent de favoriser les départs de personnels jeunes, actifs, compétents, mais sans perspective de carrière. Cela pourrait également freiner la venue de jeunes fonctionnaires permettant un renouvellement et un enrichissement pour le ministère. Tout cela ne pourrait qu'entraîner une baisse de motivation et de dynamisme.
Ma deuxième question porte sur l'initiative de Genève. Aujourd'hui, 1er décembre, après plusieurs mois de rencontres et de travail, plusieurs personnalités israéliennes et palestiniennes ayant occupé des postes ministériels présenteront ce qu'il est convenu d'appeler le « plan de Genève ». Celui-ci, s'inspirant des négociations de Taba, apporte des propositions très détaillées pour aboutir directement à une solution politique mettant fin à cinquante ans de conflit.
Ce document peut faire renaître l'espoir, mais il suscite beaucoup d'interrogations et déjà des oppositions. Dès son annonce, il a été fortement combattu par Ariel Sharon. Il faut cependant souligner ses points positifs. Tout d'abord, c'est la première fois qu'une solution politique d'ensemble est présentée depuis l'arrivée d'Ariel Sharon au gouvernement. Ce document contredit tous ceux qui ne cessent de déclarer qu'il n'existe aucun interlocuteur chez les Palestiniens. Ensuite, il s'adresse à l'ensemble des citoyens israéliens et palestiniens pour permettre ainsi à chacun de se déterminer personnellement, en pleine connaissance et en pleine transparence. Enfin, il interpelle les milieux politiques, qui, depuis de longs mois, sont particulièrement silencieux.
Cette nouvelle initiative, qui peut redonner courage et confiance à tous ceux qui pensent que la paix est possible et qu'il est temps de sortir de ce conflit historique, doit être soutenue.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré que ce document était complémentaire de la feuille de route ; confortons cette complémentarité par un engagement significatif de la France, de l'Europe et du quartet. Ne serait-il pas possible de sortir la feuille de route de l'impasse ?
J'aborderai maintenant quelques autres questions.
Après l'échec du sommet de l'OMC à Cancún, où les pays pauvres, refusant les choix des pays riches, ont proposé des alternatives, de nouvelles règles doivent être établies. La très forte mobilisation des altermondialistes au Forum social européen qui vient d'avoir lieu à Paris, Saint-Denis, Bobigny et Ivry, a conforté, s'il en était besoin, la nécessité de développer d'autres rapports humains, politiques, économiques et culturels avec les pays du Sud. La France et l'Union européenne doivent s'impliquer avec encore plus de vigueur dans cette direction, notamment en Afrique.
L'Europe en construction doit prendre en compte les aspirations des citoyens européens qui s'opposent à une marchandisation et à une concurrence effreinées, et qui réclament plus de démocratie, plus de solidarité et de justice sociale. Ils demandent à être entendus et consultés, d'où la nécessité d'organiser un référendum dans notre pays. Nous aurons à reparler de ce sujet ultérieurement.
Le dernier point que j'évoquerai concerne la situation en Irak. L'an dernier, tous nos efforts consistaient à soutenir le travail des observateurs de l'ONU et à éviter une guerre dont nous savions qu'elle aurait des conséquences incontrôlables et funestes. L'enlisement des forces de la coalition américano-britannique en Irak prouve combien la position française était justifiée.
Alors qu'aucune trace d'armes de destruction massive n'a été décelée, ce conflit s'enfonce dans une crise majeure et le bilan des pertes humaines s'alourdit chaque jour. Dans le même temps, le peuple irakien attend des mesures concrètes pour l'amélioration de sa vie quotidienne et aspire à retrouver une véritable souveraineté sur les plans politique et économique, notamment pour l'exploitation de ses ressources pétrolifères. La position française comme celle de l'ONU que nous soutenons répondent à ces aspirations. Elles permettraient d'éviter une totale déstabilisation de l'Irak et de toute la région.
Le sens de l'engagement de la France est positif et doit être poursuivi. Il donne une image particulièrement belle de notre pays. Mais, pour ce faire, le ministre doit pouvoir s'appuyer sur des moyens à la hauteur de nos ambitions et sur des personnels motivés parce que respectés. Ce projet de budget ne le permet pas. Au contraire, il traduit une sous-estimation de la place que la France doit tenir. Il démontre, une fois de plus, que les priorités et les choix du Gouvernement ne sont pas ceux que l'on a comme ambition pour notre pays.
Nous espérons que la mobilisation des personnels et que votre action, monsieur le ministre, permettront d'améliorer ce projet de budget, mais, en l'état, le groupe CRC a décidé de ne pas le voter.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre diplomatie a prouvé sa qualité et cette année en particulier, son dynamisme et sa sérénité par une analyse pertinente de la situation irakienne en même temps que sa volonté de défendre la légalité internationale.
Cette diplomatie ambitieuse a été servie par un outil fortement sollicité. Le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est pas celui d'une puissance dite moyenne ! Nous en éprouvons une réelle fierté. Nous la devons au Président de la République et à vous aussi, monsieur le ministre, qui défendez avec brio son message.
Quels seront vos moyens financiers au regard des enjeux internationaux dans le contexte d'un exercice qualifié à juste titre par M. le rapporteur général de « budget des temps difficiles » ?
Rappelons tout d'abord que les 4,22 milliards d'euros du budget des affaires étrangères représentent 44 % des crédits affectés à l'action extérieure de la France. Les affaires étrangères en gèrent une part croissante depuis plusieurs années. Cette croissance traduit un retrait des autres ministères. Elle n'en demeure pas moins en trompe-l'oeil, car elle a bénéficié des effets de structures, telle l'intégration du fonds européen de développement.
Ne pourrait-on pas poursuivre cet indispensable mouvement de restructuration de l'action extérieure par une part plus importante encore du ministère des affaires étrangères ? Efficacité, économies, rationalisation justifient l'émergence d'un ministère moderne.
Trois priorités définies par le Président de la République, l'aide publique au développement, le soutien à la francophonie et la politique envers les demandeurs d'asile, font l'objet d'augmentation de crédits.
Mon collègue Jacques Pelletier approfondira ce volet. Réjouissons-nous de l'augmentation de ces crédits pour des raisons humanitaires, la sous-nutrition mondiale ne reculant plus, pour des raisons politiques, la misère conduisant légitimement à un sentiment de révolte, lit du terrorisme.
Les 0,5 % du produit intérieur brut consacré en 2007 à l'aide publique au développement sont un objectif louable, mais sans doute encore insuffisant. L'aide publique au développement, l'APD me semble la seule réponse concrète aux difficultés considérables de l'intégration, de l'immigration clandestine et aux potentiels d'affrontements ethniques et religieux auxquels sera confrontée l'Europe. Il s'agit non pas de limiter le malheur des peuples hors de leurs frontières, mais de favoriser leur bonheur là où leurs cultures s'épanouissent. La profondeur du fossé qui nous sépare des pays en voie développement souffre d'une aide trop faible, parfois détournée ou mal utilisée.
Le soutien à la francophonie est indispensable en raison de ses retombées politiques et économiques, tant au niveau tant des institutions internationales, et notamment communautaires, que dans la formation des élites étrangères.
Le renforcement de la politique d'aide aux réfugiés et apatrides, avec un budget qui augmente de plus de 33 % et un transfert de cinquante emplois, permettra de traiter plus efficacement et avec plus d'humanité le nombre croissant de dossiers de demandeurs d'asile, qui a plus que doublé depuis 1998 !
Ces augmentations de crédits devront être financées par des économies, notamment par une rationalisation de notre réseau diplomatique et consulaire. Monsieur le ministre, le contexte budgétaire général vous conduit sans doute à réformer plus rapidement que prévu votre administration.
Le ministère des affaires étrangères ayant déjà largement participé à l'effort de rigueur, seule une réorganisation fondée sur une réelle stratégie à destination de pays à fortes potentialités sera efficace, telle est la dynamique souhaitable.
Votre ministère a ainsi procédé à la réorganisation de ses services. Depuis 1995, les effectifs budgétaires civils ont crû de 2,5 %, alors que ceux du Quai d'Orsay ont diminué de plus de 5,8 %. Pour 2004, il est encore prévu 116 emplois budgétaires de moins qu'en 2003. Cette année, ce ministère a subi de plein fouet la rigueur budgétaire, M. le rapporteur en a précisé le détail.
Il faut mesurer ce que cela représente pour l'ensemble des actions des agents du ministère ! Une diminution du personnel et de moindres crédits : monsieur le ministre, je suis persuadé que vous estimez les risques d'une trop grande réduction des effectifs et des moyens lorsque cette réduction atteint le fonctionnement courant de l'administration. L'exemple de la cessation de paiement de la valise diplomatique a été tristement emblématique. De même, au mois d'octobre, l'administration centrale a été privée de papier pendant trois jours,...
M. Philippe Marini. Est-ce bien vrai ?
M. Aymeri de Montesquiou. ... les fournisseurs n'ayant pas été payés. Connaît-on d'autres ministères dans cette situation ?
Quelle décision prendre dans ce contexte ? Monsieur le ministre, peu de temps après votre nomination, vous aviez souhaité adapter la carte diplomatique et consulaire aux nouvelles réalités internationales. La nécessaire rationalisation engagée a pour corollaire une modification de la rémunération des agents et, surtout, une restructuration de notre représentation.
La réforme des indemnités de résidence à l'étranger est un sujet complexe. Au-delà d'une économie modeste, cette réforme peut avoir du sens : les pays seront reclassés en fonction d'un coefficient « coût de la vie » pondéré par un coefficient « difficulté de la vie ». L'objectif est équitable, car il existe aujourd'hui des injustices, à la hausse comme à la baisse, dues aux évolutions des pays d'accueil. Les agents de l'administration centrale semblent bien moins traités que dans d'autres ministères. Monsieur le ministre, vous aurez certainement à coeur de prendre les moyens financiers permettant de fidéliser les meilleurs éléments de votre administration.
La rationalisation du réseau consulaire engagée en Europe s'accompagne d'une volonté de mieux responsabiliser les chefs de poste en leur confiant la gestion d'une enveloppe globale de gestion de l'ambassade mais également des consulats. Parmi les cinq pays choisis pour cette expérimentation, quatre font partie de l'Union européenne. Monsieur le ministre, ce choix signifie-t-il que vous confiez à l'ambassadeur la responsabilité de modifier éventuellement le périmètre de certains postes ?
Je ne sous-estime pas la qualité des travaux menés depuis l'année 2000 par le groupe de coopération consulaire : s'il a confirmé que certaines formalités pouvaient être effectuées par nos ressortissants auprès des autorités locales, et non plus auprès des consulats, il a mis en lumière les obstacles juridiques rendant, pour l'instant, impossible un transfert intégral. Des solutions imaginatives résident sans doute dans une étroite coopération avec les administrations locales. Le choix de la Belgique comme laboratoire de la réorganisation des services consulaires dans l'Union est évidemment judicieux en raison de sa francophonie et de sa petite taille, et l'objectif de concentration des fonctions administratives à Bruxelles est réaliste. Les consulats généraux de Liège et d'Anvers se concentreront sur les missions d'information. Mais leur existence est-elle désormais justifiée ?
Dans une vision prospective, monsieur le ministre, ne faudrait-il pas opter pour un choix « radical » : la fermeture de l'ensemble des consulats français dans l'Union européenne à l'heure de la mise en oeuvre de la citoyenneté européenne ? Cet objectif est porteur de sens et d'économies !
Dans le même esprit, la logique ultime voudrait que les services du commerce extérieur, et donc leur budget, soient rattachés à votre ministère. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce sujet ?
La suppression des représentations des missions économiques dans les pays de l'Union traduirait une recherche d'efficacité. En effet, les régions françaises possèdent des correspondants qui travaillent fort bien avec nos ambassades : un exemple parmi d'autres, en Espagne, quarante fonctionnaires sont présents au titre de l'action économique ; est-ce justifié ?
La réorganisation du réseau pourrait être utilement aidée par l'appui des coopérants techniques et les volontaires internationaux.
Le nombre des coopérants techniques rémunérés sur le titre relatif aux « interventions publiques » a considérablement chuté depuis 1999. Monsieur le ministre, quel avenir envisagez-vous pour ces personnels ?
Depuis la fin du service national à l'étranger et la création du volontariat international, le nombre de volontaires internationaux affectés dans nos services à l'étranger est constant. Depuis trois ans, 40 000 candidatures ont été dénombrées : pensez-vous favoriser la vocation de ces jeunes Français ?
La rationalisation permettrait un redéploiement de personnels et de crédits dans de nouvelles zones, qui, à mon sens, mériteraient un investissement budgétaire et humain supérieur, pour des raisons humanitaires, de stratégie économique, mais aussi d'équité salariale. Ne peut-on, inversement regrouper certaines ambassades en une représentation régionale ?
La politique française à l'égard de l'Irak constitue un réel investissement dans toute la région. Quels moyens le département engagera-t-il pour y affirmer notre présence et défendre les intérêts économiques de la France ?
De nouvelles orientations semblent se dessiner en Iran et en Arabie saoudite. Cette dernière a engagé des démarches envers la Russie, ce qui modifiera ses relations avec les Etats-Unis. N'y a-t-il pas là une opportunité pour notre diplomatie, et donc pour nos entreprises ?
Notre poids démographique et budgétaire est bien celui d'une puissance moyenne. Pourtant, notre diplomatie, qui est le deuxième réseau mondial, s'affirme comme le fleuron de notre administration. Les choix politiques et les réformes en cours, particulièrement nécessaires dans un domaine qui est, par définition, confronté en permanence aux évolutions du monde, devraient permettre à notre outil diplomatique d'être encore plus performant. Les chantiers que vous avez engagés vont dans le sens d'une meilleure adaptation de cet outil, sous réserve, je le répète, qu'il ne soit pas touché dans son fonctionnement.
Monsieur le ministre, vous avez donné un souffle à notre diplomatie. Aussi, la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous soutient et vous accordera les moyens que vous souhaitez, même si elle ne les juge pas suffisants, pour travailler à l'action et au rayonnement de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le ministre, cette rigueur est sévère. A la suite d'un concours de circonstances, j'ai eu l'occasion de visiter cinq pays, donc cinq ambassades, du Proche-Orient puis, quelques jours plus tard, les ambassades des pays baltes. La crainte et l'angoisse sont immenses ! Je ne vais pas vous livrer des anecdotes, mais on économise sur tout, y compris sur le chauffage, et, dans certains de ces pays, on fait de grands feux...
Je regrette que le président du Sénat, qui ira dans l'un de ces pays en janvier, ne puisse inaugurer le centre culturel français faute d'avoir pu meubler le bâtiment qui est achevé.
Ces problèmes concrets, matériels et humains, ont un effet cumulatif qui, selon moi, portera atteinte à l'enthousiasme des personnels concernés et nuira sans doute aux services qu'ils rendront à notre pays. Je suis sûr, monsieur le ministre, que vous serez vigilant sur les mesures que vous prenez et qui génèrent ces problèmes, car, à l'évidence, elles sont trop sévères.
J'ai effectué une mission au Proche-Orient pour l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale. J'assumais seule cette mission, ce qui m'a permis de nouer des contacts directs et intéressants en Israël, en Palestine, en Jordanie, en Syrie et au Liban.
Aujourd'hui, chacun a fait référence à l'initiative de Genève. J'ai, moi aussi, nourri un espoir et, à cette heure, je regrette une occasion manquée : il ne sortira rien de Genève, et c'est dommage. Personne n'a « dynamisé la situation » pour reprendre votre expression. Or tout le monde attendait que nous le fassions, en tout cas que l'Europe le fasse. Chaque fois que l'on parle de l'Europe, cela fait mal car il n'y a pas que la feuille de route à être en panne. Au niveau du Quartet, je ne sais pas exactement quelle place nous occupons.
S'agissant du conflit au Proche-Orient, j'ai envie de dire ce que chacun sait et, surtout, ce que j'ai vécu et comment je l'ai ressenti. Il tourne mal : les murs à Qalqilya et à Tulkarem, c'est insoutenable ! Que Sharon qualifie les initiateurs de Genève de traîtres ne surprend pas. Mais nous, que répondons-nous à Sharon et aux autres ?
Le travail qui m'était confié portait sur le thème « stabilité au Proche-Orient et sécurité en Europe ». L'Europe est là. En effet, la Grèce, Chypre et Malte sont tout près du Proche-Orient. Par conséquent, ce conflit, qui nous intéresse à plusieurs titres, nous concerne directement et concerne la paix en Europe. Certes, les opinions publiques, qu'elles soient arabes ou européennes, s'opposent à la politique de Sharon, mais je crains que le conflit ne change irrémédiablement de nature, ce qui est peut-être le vrai problème aujourd'hui.
N'oublions pas non plus que, dans les pays du Proche-Orient, il faut le dire et le répéter, les problèmes économiques deviennent majeurs, ce qui n'arrange pas les choses. Certes, on parle des 60 % de Palestiniens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit 2 dollars par jour. Mais on ne dit pas suffisamment qu'en Israël, 21 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui est de 540 euros par couple.
Quatre millions de Palestiniens sont réfugiés ; 1,3 million sont dans des camps ! Ce sont des chiffres qu'il faut répéter, mais ce sont surtout des situations qu'il faut regarder de près. Il vaut mieux être réfugié en Jordanie qu'en Syrie, mais mieux vaut être réfugié en Syrie qu'au Liban, car, au Liban, c'est totalement insupportable : on n'a aucun droit, on n'a même pas la possibilité d'exercer un métier qualifié ou de devenir propriétaire de quoi que ce soit.
La France fait des efforts, au même titre que les autres, en faveur de ces réfugiés, y compris au Liban, sans doute pour assurer une certaine stabilité. J'ai rencontré les Français de la FINUL, la force intérimaire des Nations unies au Liban.
Je suis allée sur la « ligne bleue ». Nous avons encore 200 militaires français là-bas, qui font certainement du bon travail. Quelqu'un représente-t-il officiellement la France à Genève ? En effet, beaucoup de Français sont présents.
Monsieur le ministre, je voudrais vous entendre dire qu'il existe une perspective de paix, à laquelle vous croyez. Les bases, on les connaît : ce sera obligatoirement ce qui est dans ce pacte de Genève. Bien sûr, les limites seront celles de 1967 ; bien sûr, s'il n'y a pas le retour de réfugiés, il y aura les compensations, quel qu'en soit le prix, et celui-ci a été estimé, à un certain moment, à 20 milliards ou 30 milliards de dollars ; bien sûr la question de Jérusalem sera réglée. Mais quand ? En effet, la situation actuelle ne peut perdurer. Vous avez dit vous-même, à un certain moment, que ce pouvait être l'enclenchement de la dynamique d'une dynamique.
Monsieur le ministre, j'ai rencontré, comme vous-même, les initiateurs de ce plan de paix, et ils y croyaient. J'ai rencontré longuement le président Arafat et le Premier ministre Abou Alaa. Sharon ne veut pas réellement la paix. Il ne veut pas un Etat palestinien. Il veut une entité qu'il est en train de fabriquer avec notre complaisance, voire notre complicité : 40 % de la Cisjordanie, trois îlots, la « bantoustanisation » de la Palestine. En face, Arafat veut-il la paix ? Je ne suis pas sûre. Abou Alaa, peut-être. La semaine dernière, Arafat a prononcé une phrase, qui a été reprise par Abou Alaa : « Genève, nous le soutenons, ce n'est pas une démarche officielle, mais c'est une bénédiction. » Qu'a-t-on fait de ces mots qui, à mon avis, ont dû se répandre comme une onde. En Syrie, le chef d'état-major des armées a dit : c'est peut-être une perspective au bout du tunnel. Tous attendaient que l'on embraye sur cette initiative, mais de façon plus significative.
Chaque fois, quand on nous dit que c'est l'Europe qui doit prendre les initiatives et, à l'intérieur de l'Europe, la France, on y croit, peut-être grâce au Président de la République, à vous-même, monsieur le ministre, et à tous ceux qui, dans notre pays, ont mené une politique qui générait une certaine confiance. Aussi, qu'avons-nous fait à Genève aujourd'hui ?
Je suis convaincue que l'on attendait beaucoup de nous. J'ai hâte de savoir comment cela finira ce soir, mais je crains que cela ne finisse comme on s'y attendait. Nous n'avons pas le droit de laisser passer toutes les occasions.
Quelles initiatives seront prises après ? Quelles nouvelles chances ? Le pacte de Genève est un outil. Il a généré un espoir. Or, à force de décevoir en permanence les espérances, on risque, y compris dans notre pays, de voir une partie de l'opinion publique basculer redoutablement. (Applaudissents sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant d'aborder le budget de ce ministère, plus particulièrement le chapitre budgétaire consacré à l'assistance à nos compatriotes expatriés, je souhaite vous dire quelques mots de la mission sénatoriale que je viens de conduire au Gabon, en Guinée équatoriale et à São Tomé. Le groupe France-Afrique centrale France-Gabon, sur l'initiative du président du Sénat de la République gabonaise, s'est rendu, du 29 octobre au 6 novembre, dans le golfe de Guinée. Il a pu s'entretenir au Gabon avec le Président de la République, M. El Hadj Omar Bongo, ainsi qu'avec ses homologues sénateurs réunis en bureau sous la présidence de M. Rawiri. Il s'est également rendu dans le moyen Ogoué, à Lambaréné.
Ces contacts ont été particulièrement fructueux.
Permettez-moi de rappeler, messieurs les ministres, que les liens sont forts entre notre Haute Assemblée et le Sénat de la République du Gabon puisque nous avons aidé ce dernier, lors de son installation, à mettre en place ses institutions par l'envoi de fonctionnaires qualifiés de notre Sénat.
L'accueil fut donc exceptionnel, les entretiens avec le président Bongo furent d'une grande densité. Ce dernier est un élément incontournable de l'Afrique centrale et, plus largement, par l'ancienneté de son mandat, de l'Afrique tout court.
Ce n'est pas le fruit du hasard si, quelques jours après notre visite, le Président de la République du Gabon et son pays ont accueilli le Président de la République de Côte d'Ivoire, M. Laurent Gbagbo, et vous-même, monsieur le ministre.
La politique pétrolière de son pays, le différend pétrolier qui oppose le Gabon à la Guinée équatoriale, la dette gabonaise et ses relations avec le Fonds monétaire international, la coopération décentralisée ainsi que quelques actions ponctuelles ont été au coeur du débat.
Les conversations furent riches au sein du Sénat gabonais et le dialogue franc et ouvert entre les sénateurs.
Le voyage s'est poursuivi en Guinée équatoriale et à São Tomé et Príncipe.
Ces deux Etats issus de la colonisation espagnole et portugaise n'avaient jamais reçu de délégation parlementaire de la France. L'accueil fut donc exceptionnel et nous avons pu constater combien, dans ces pays riches en pétrole, on s'étonnait qu'au cours des dernières années la France et ses groupes pétroliers aient été étrangement absents de propositions d'extractions qui, dans un premier stade, sont pratiquement assurées par des compagnies américaines.
Ces pays très ouverts à notre langue sont demandeurs d'une présence économique, culturelle et politique de notre pays. La Guinée équatoriale fait partie de la zone franc CFA, donc de la zone euro.
São Tomé et Príncipe y réfléchit et je me réjouis donc que notre ministre de la coopération et M. de Bonnecorse, le conseiller des affaires africaines et malgaches, effectuent un voyage dans ces pays demandeurs de relations plus étroites avec la France.
J'en reviens maintenant, monsieur le ministre, au budget que vous nous soumettez pour 2004. Comme l'an passé, son contexte est celui de la rigueur économique et de la maîtrise des dépenses, tout en respectant les engagements et les priorités définis par le Président de la République.
Néanmoins, avec un montant global de 4,22 milliards d'euros pour 2004, il progresse de 2,61 % par rapport à celui de 2003.
Dans les grandes orientations et les actions prévues pour 2004, j'ai noté avec satisfaction votre volonté d'apporter une assistance aux Français de l'étranger les plus démunis et de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures en vue de renforcer la sécurité de nos compatriotes vivant à l'étranger, à l'heure où nombre d'entre eux résident dans des pays en crise ou sujets à la menace terroriste. Toutefois, cette satisfaction doit être nuancée.
C'est ainsi que, au sein du chapitre 46-94 consacré à l'assistance aux Français de l'étranger, la ligne budgétaire consacrée à la sécurité des Français de l'étranger est la seule qui connaisse une hausse substantielle, ce qui est compréhensible compte tenu de la situation internationale. En revanche, les crédits de ce chapitre subissent une baisse de 150 000 euros pour 2004 et s'établissent à 24 millions d'euros.
Il a donc nécessairement fallu procéder à un redéploiement des dépenses, notamment en diminuant la contribution à la couverture santé des personnes à faible revenu dans le cadre de la Caisse des Français de l'étranger, c'est-à-dire l'aide à la troisième catégorie aidée de la CFE.
Certes, nous constatons qu'un peu plus d'un an après sa mise en oeuvre les résultats de la création de la troisième catégorie aidée s'avèrent contrastés et que nous sommes loin des prévisions du gouvernement et du ministère des affaires étrangères de l'époque, mais vous comprendrez que je sois particulièrement attentif à ce point en tant que président du conseil d'administration de la caisse des Français de l'étranger.
S'agissant du fonds d'assistance de votre ministère, qui permet d'attribuer des allocations de solidarité aux handicapés à l'étranger, vous savez que l'une de mes demandes constantes est que tous les allocataires de ce fonds d'assistance, qui ne bénéficient ni des minima sociaux ni de la couverture maladie universelle qui leur est attachée, puissent un jour bénéficier de la couverture maladie de la CFE. Pour cela, il est nécessaire que la ligne budgétaire correspondante progresse de façon importante.
Or je constate que les crédits qui lui sont consacrés stagnent, puisque la somme qui lui est attribuée pour 2004 est identique à celle de 2003, soit un peu plus de 17,8 millions d'euros.
Déjà, lors de la réunion de la commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étranger du 25 février 2003 - commission qui est, en principe, appelée à déterminer le montant de ces aides versées dans chaque pays à nos compatriotes âgés ou handicapés à faibles ressources - nous n'avons pu qu'entériner les propositions des services administratifs, aucune marge de manoeuvre n'étant possible.
Il serait souhaitable que la même situation ne se reproduise pas cette année, mais la reconduction pure et simple des crédits de 2003 me fait redouter qu'il en soit de même et qu'on limite encore plus certaines de ces aides, les allocations à durée déterminée, par exemple, ou les subventions aux sociétés françaises de bienfaisance, ce qui serait mal ressenti par nos compatriotes, tant l'action de ces dernières à leur égard est devenue indispensable au fil des années afin de compléter ou de se substituer à l'action sociale de nos consulats et de répondre aux demandes urgentes ou insatisfaites.
Alors qu'en France les personnes âgées, dépendantes ou non, mais aussi les handicapés, font l'objet de réformes prioritaires et de la mise en place de deux programmes d'action sur la période 2003-2007, conformément aux engagements pris par le Président de la République pendant la campagne électorale, il serait paradoxal que les Français de l'étranger se trouvant dans des situations similaires en soient exclus du fait de la restriction du budget et, par conséquent, des aides consulaires, déjà peu nombreuses et moins élevées qu'en France.
C'est dans ce cadre, monsieur le ministre, que j'émets le souhait que nous n'ayons pas, comme l'an dernier, à faire face à de nouveaux gels budgétaires, gels qui avaient obligé l'ensemble des sénateurs des Français de l'étranger à réagir fortement afin que ces mesures ne s'appliquent pas à la solidarité des Français de l'étranger. Du fait de leur annonce intempestive par certains personnels de votre ministère, elles avaient provoqué des désordres dans plusieurs de nos postes consulaires, entraînant mesures et contre-mesures.
Il est indispensable que, quel que soit le contexte économique auquel la France doit faire face, les crédits du fonds d'action sociale de votre ministère - en fait des crédits de solidarité - soient systématiquement exclus de toute mesure de gel ou de rigueur budgétaire, et que, au contraire, ils connaissent des augmentations réelles et consistantes qui permettent de répondre de façon satisfaisante aux besoins des Français de l'étranger. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, aborder la question de la coopération et du développement, c'est aborder la question du monde dans sa globalité, la question des femmes, des enfants, des hommes qui peuplent notre belle planète.
En ce début du troisième millénaire, les inégalités mondiales n'ont jamais été aussi importantes entre le Nord et le Sud : 50 % des habitants de la planète vivent avec moins de 2 euros par jour ; chaque jour, 30 000 enfants meurent de maladie, 2 millions de personnes décèdent de la tuberculose, plus de 1 million du paludisme et 40 millions sont atteintes du sida, dont 90 % dans les pays en voie de développement. De plus, 1,1 milliard de personnes n'ont toujours pas accès à l'eau potable et 815 millions sont victimes de la faim. Enfin, 113 millions d'enfants, dont 60 % de filles, ne fréquentent pas l'école. Ces chiffres terribles sont l'expression du drame que vit l'humanité aujourd'hui.
C'est ainsi que quarante des quarante-quatre pays d'Afrique noire sont plus pauvres aujourd'hui qu'en 1990.
C'est dans ce cadre général que la France apporte sa contribution tout en menant dans le cadre de l'ONU une action audacieuse, persévérante, une action qu'elle devrait mener avec encore plus de vigueur, comme elle l'a fait pour l'Irak, où la situation est aggravée par la guerre.
Il y a un an de cela, je m'inquiétais, monsieur le ministre, des suppressions possibles de crédits. En effet, celles-ci sont intervenues dès janvier 2003.
Sur l'initiative d'une centaine d'organisations non gouvernementales et d'associations, un appel a alors été lancé en juillet dernier - un appel que j'avais soutenu - pour vous exprimer notre inquiétude face aux dysfonctionnements engendrés par cette situation et face aux conséquences sur la politique française de coopération au niveau mondial.
Le budget qui nous est présenté est loin de répondre aux attentes. La grogne grandissante au sein du ministère des affaires étrangères en est la preuve. Les personnels sont dans la rue pour dénoncer les suppressions de postes qui se multiplient. Les conséquences en sont désastreuses pour le ministère dans sa globalité. Ainsi, par exemple, cette situation empêchera dorénavant notre pays de tisser et de garder un réseau de lycées et d'Alliances françaises de haut niveau.
Lors des missions que nous effectuons souvent à l'étranger, nous sommes tous interpellés par le manque de moyens du ministère des affaires étrangères.
J'ai rencontré aujourd'hui l'intersyndicale des personnels du ministère et des établissements scolaires français à l'étranger, qui réclame un accroissement de ces moyens financiers et humains. Je m'associe pleinement à leurs revendications.
L'augmentation du budget de la coopération résulte essentiellement des annulations de dette des pays pauvres les plus endettés et des contrats de développement-désendettement.
A l'instar de certaines ONG et associations, je m'interroge à la fois sur l'extrême opacité qui entoure ces allégements et sur la surévaluation de leur impact.
Les pays qui en ont bénéficié n'auraient certes pas pu rembourser leur dette. Mais cette forme d'aide ne doit pas se substituer aux autres et être la seule variable d'ajustement.
Messieurs les ministres, la discussion du budget de la coopération est la seule occasion pour le Parlement de discuter réellement des questions inhérentes aux inégalités dans le monde et à l'action de la France pour les réduire. C'est pourquoi j'ai suggéré à la commission des affaires étrangères que nous disposions d'un rapport annuel du Gouvernement sur l'évolution de l'aide publique au développement en France, accompagné d'une mission parlementaire.
Il faut s'attacher aux objectifs du millénaire fixés par l'ONU, caractérisant les grands axes de réflexion que nous devons tenir. Pour y parvenir, il faudrait que l'aide publique au développement atteigne 0,7 % du PIB d'ici à 2005. Je rappelle que cette demande est loin d'être nouvelle puisqu'elle date de 1969. Plus de trente ans après, nous faisons le constat d'une trop lente avancée. Le contrat est loin d'être rempli.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous souhaitons que soit déposée une loi de programmation en matière de coopération pour atteindre les objectifs du millénaire.
La question des femmes constitue à mon sens un problème charnière de la coopération. Je reste convaincue qu'un effort particulier doit être fait à leur égard.
Les femmes sont dans de nombreuses sociétés le moteur, le ciment et le centre de la famille. Elles ont un rôle stratégique incontestable, mais elles sont aussi les premières victimes des inégalités, des guerres et subissent régulièrement brimades, souffrances et violences.
Il faut constater avec regret que l'évolution actuelle ne permettra pas d'atteindre l'objectif du millénaire de réduire les inégalités entre les sexes et qu'il faudra au minimum vingt ans supplémentaires.
Le récent rapport du PNUD, le programme des Nations unies pour le développement, a insisté sur le rôle des femmes en matière tant d'éducation que de santé. Selon ce rapport, « dans la quasi-totalité des sociétés, les femmes sont les premières à s'occuper des autres. Leur éducation contribue donc davantage à la santé et à l'éducation de la génération suivante [...]. Lorsque les femmes sont plus instruites et en meilleure santé elles favorisent aussi la productivité. »
Ainsi, nous devons absolument prendre des mesures dans ce sens en aidant à la construction d'écoles près des habitations dans les pays pauvres, mais aussi en permettant de réduire les coûts de l'éducation et de recruter de nombreuses enseignantes. Aujourd'hui encore, le taux d'alphabétisation des jeunes femmes dans les pays en voie de développement est de 60 %, contre 80 % chez les hommes. La disparité est trop importante.
Le sida est un autre grand sujet de préoccupation, dont l'importance ne peut être négligée.
En cette journée d'action contre cette pandémie, gardons en mémoire la phrase lancée hier par Nelson Mandela : « Le sida n'est plus une maladie, c'est une question de droits humains ! »
Les faits sont là, le monde meurt encore et toujours des ravages du sida. Trois millions de personnes atteintes du sida sont mortes cette annnée et plus de 40 millions sont infectées. Les jeunes sont particulièrement touchés. Un jeune est infecté toutes les quatorze secondes, et cette population représente près de la moitié de tous les nouveaux cas d'infection.
Nos sociétés riches ne doivent plus se masquer derrière des considérations purement financières pour gêner l'accès aux médicaments.
L'ONUSIDA a alerté la communauté internationale, relevant l'insuffisance dramatique de l'aide des pays les plus riches aux pays africains. L'avancée opérée à l'OMC par rapport à l'accès aux médicaments ne saurait nous satisfaire ; il faut faire encore plus.
Les pays pauvres doivent, eux, engager des politiques de sensibilisation plus poussées. Nous nous en sommes aperçus lorsque nous nous sommes rendus au Soudan. Je me félicite ainsi que l'Afrique du Sud ait enfin décidé d'adopter un plan gouvernemental de distribution gratuite d'antirétroviraux.
Je me félicite aussi, monsieur le ministre, que vous ayez nommé un ambassadeur sur le problème du sida.
En ce qui concerne le problème de l'eau, je citais précédemment le rapport du PNUD, et je veux dénoncer la volonté de certains de justifier une coexistence entre le secteur public et le secteur privé dans la politique de gestion. L'eau est un bien commun qui est du ressort de l'humanité. Ce n'est pas une marchandise, elle constitue un droit. La réunion du Fonds social européen, qui vient de se tenir en France, l'a rappelé avec force. Les dérives de la privatisation de l'eau dans les pays pauvres sont inacceptables alors même que l'on connaît l'extrême difficulté qu'ont ces derniers pour y avoir accès. L'eau est un enjeu majeur de la vie et non du profit !
Monsieur le ministre, j'en viens à la faim et à la pauvreté.
Une personne meurt de faim toutes les quatre secondes dans le monde, soit 24 000 personnes par jour. C'est intolérable ! Dans quelques jours, nous allons discuter du budget de la défense. Faut-il se surarmer ou faut-il sauver des vies et réduire les inégalités ? Pour moi, la réponse ne fait aucun doute. La montée du terrorisme, qu'il faut dénoncer et combattre fermement, ne doit pas faire oublier ses sources profondes et le malaise qui le nourrissent. L'aide à la démocratisation des pays, à leur essor, la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités doivent être le seul objectif de la France, et cela doit se faire au sein de l'ONU.
En conclusion, j'évoquerai la coopération décentralisée.
De nombreuses collectivités territoriales prennent conscience de leurs responsabilités en matière d'aide au développement et effectuent un énorme travail avec leurs homologues des pays du Sud.
Cette coopération doit continuer à se développer, car elle apporte une aide concrète aux pays en voie de développement, parallèlement à l'action du ministère des affaires étrangères puisqu'elle ne doit pas se substituer à l'Etat.
Monsieur le ministre, les crédits du budget du ministère des affaires étrangères ne sont pas à la hauteur des ambitions de la France, de son rayonnement et de son action dans le monde.
C'est dans un esprit offensif, et pour faire en sorte que votre ministère ne subisse plus les coupes budgétaires qu'il connaît depuis de longues années, pour qu'enfin il obtienne les moyens financiers et humains indispensables à sa mission, que nous exprimons notre désaccord sur l'insuffisance des crédits. Ainsi, tout en reconnaissant l'action que vous menez à la tête de votre ministère, particulièrement en ce qui concerne l'Irak et la question palestinienne, nous voterons contre votre budget en raison de cette insuffisance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, je vais interrompre la séance pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
DÉSIGNATION D'UN SÉNATEUR EN MISSION
M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 1er décembre 2003 par laquelle il a fait part au Sénat de sa décision de placer en mission temporaire auprès du ministre délégué au commerce extérieur M. Jean Bizet, sénateur de la Manche.
Acte est donné de cette communication.
LOI DE FINANCES POUR 2004
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale.
M. le président. Dans la suite de l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant les affaires étrangères, la parole est à M. Guy Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après tous les collègues qui m'ont précédé à cette tribune, je répète que le budget présenté cette année pour le ministère des affaires étrangères est tout à fait insuffisant.
Nous savons tous ici la responsabilité qui est la vôtre, monsieur le ministre, dans votre action diplomatique. Mais, pour un secteur aussi vital que la capacité de la France à s'exprimer dans le monde, on ne peut pas évoquer de « restrictions budgétaires ». Il est plus que jamais vrai qu'on ne peut pas faire une bonne politique ou une bonne diplomatie quand on n'a pas de bonnes finances.
Ne pourriez-vous demander l'arbitrage du Président de la République, dont l'omniprésence sur la scène internationale montre ses priorités d'intervention politique ? Il est urgent qu'il sache combien l'action extérieure de la France dépend aussi du budget alloué au ministère des affaires étrangères.
La hausse des crédits accordés à l'aide au développement donne l'illusion d'un secteur en progrès dans votre budget. Et, sur ce point également, vous le savez bien, il y a beaucoup à dire : on peut s'interroger, par exemple, sur le choix de centrer l'augmentation de l'APD, l'aide publique au développement, sur les contrats de désendettement-développement, les C2D, qui sont gérés dans la plus grande opacité.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Bravo !
M. Guy Penne. Qui plus est, sur les 141 millions d'euros supplémentaires annoncés, 90 millions résultent des gels de crédits de l'an passé. Ce n'est pas sérieux !
Parallèlement à la hausse consentie, on observe une diminution inquiétante des effectifs, déjà évoquée plusieurs fois : 116 emplois ne seront pas renouvelés. Les efforts toujours plus importants demandés aux personnels du ministère s'accompagnent de coupes sur les primes.
De plus, cette diminution révèle une disproportion entre les discours sur le rôle de la France dans le monde et les moyens dont dispose la diplomatie française pour s'exprimer et développer son action.
Pour s'en convaincre, il suffit de penser à la grève historique des personnels du ministère des affaires étrangères, contraints de travailler dans des conditions de plus en plus étriquées.
Ne vous y trompez pas, la manifestation d'aujourd'hui devant le Sénat n'est que la preuve de l'attachement de tous les agents à leur métier et à leur mission, qu'ils estiment mis en cause par ce budget. Si le dévouement des agents ne fait aucun doute, la politique d'attrition imposée au ministère a déjà des effets nocifs.
Par ailleurs, au vu des annulations et gels de crédits intervenus au cours de l'année, nous ne pouvons que douter de l'intangibilité de ce qui nous est proposé aujourd'hui.
Plus que jamais, cependant, la France a besoin de pouvoir s'exprimer comme elle le doit.
L'année écoulée a été malheureusement riche en conflits. La diversification des menaces requiert de la France une capacité de réaction accrue, mais la crise irakienne et les lacunes de la politique américaine ont également mis en lumière la nécessité de développer une diplomatie préventive.
La plus inquiétante des menaces actuelles, c'est le développement de l'islamisme radical avec sa conséquence sanglante, le terrorisme. Ces dernières semaines, le péril s'est précisé. La France doit continuer à protester contre la violence aveugle, continuer à soutenir les hommes de bonne volonté qui luttent contre le fanatisme. Car le terrorisme n'est jamais seulement l'affaire des autres.
On peut d'ores et déjà affirmer qu'il ne sert à rien de frapper en force, au hasard et au mépris de toutes les règles internationales, fût-ce pour éliminer la plus abjecte des dictatures.
Il faut mettre au crédit de la diplomatie que vous conduisez, monsieur le ministre, un certain courage dans la fermeté opposée à nos amis américains lors de la crise irakienne. Cette position nous a valu leur incompréhension, mais beaucoup d'entre eux commencent à reconnaître que la France avait raison.
Vos interventions à l'ONU ont attiré à la France de nombreuses sympathies dans le monde. Quelques semaines plus tard, notre pays a cependant voté la résolution 1511 qui entérine la politique américaine en Irak.
Les Nations unies retrouvent certes une place, à travers le rôle qui leur est reconnu dans le domaine humanitaire. Sur le plan politique, il est indiqué en termes vagues que l'ONU doit concourir « aux efforts visant à créer et rétablir les institutions nationales et locales nécessaires à un gouvernement représentatif ». Mais ces orientations, dictées par l'incapacité des Etats-Unis à rétablir la paix et la sécurité, restent en l'état actuel des choses purement théoriques.
Faut-il voir dans cette acceptation de la résolution 1511 une tentative de conciliation, d'apaisement ? Et, si oui, jusqu'où cela peut-il aller ? Peut-on espérer voir évoluer la politique de George Bush, ce qui serait évidemment souhaitable ?
Au chapitre de l'islamisme, on lit une longue suite de noms de pays qui sont autant de menaces, c'est-à-dire de défis lancés à notre diplomatie. Pour chacun de ces pays, monsieur le ministre, que propose la France ?
Je m'arrêterai un instant sur l'Iran et l'Afghanistan.
En Iran, on ne peut que saluer les résultats de l'action que vous avez engagée en octobre dernier avec vos homologues allemand et britannique pour faire la lumière sur les programmes nucléaires du régime fondamentaliste. L'inquiétude demeure cependant, avec ce jugement formulé récemment par Colin Powell : selon lui, l'Iran ne collabore pas assez avec les inspecteurs de l'ONU.
De telles phrases en rappellent malheureusement d'autres, entendues voilà quelques mois à propos de la dictature de Saddam Hussein. Quelles initiatives la France entend-elle prendre dès maintenant pour éviter une nouvelle guerre préventive ?
En Afghanistan, les suites de l'intervention internationale montrent, là encore, que les difficultés avaient été sous-estimées. Les talibans ont été chassés du pouvoir, mais ne lâchent pas prise ; la guérilla qu'ils mènent interdit près du tiers du pays aux organisations internationales.
L'assassinat de l'une de nos compatriotes, membre du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, témoigne une nouvelle fois de l'insécurité, pour ne pas parler de la terreur, qui subsiste dans ce pays. La loi islamique la plus dure n'a pas cédé.
Le trafic de drogue, qui se fait au vu et au su de tout le monde, prend des proportions alarmantes. Quelles sont, monsieur le ministre, les actions, et surtout les intentions de la France concernant l'Afghanistan ?
Que deviennent, d'autre part, les prisonniers français détenus sur la base américaine de Guantanamo ?
Formés pour beaucoup en Afghanistan, les islamistes tchétchènes constituent un autre facteur de déstabilisation régionale. Il est inutile de préciser que je n'avalise pas l'analyse de la situation faite par Vladimir Poutine. La Tchétchénie est un drame épouvantable, et c'est vraisemblablement la répression barbare des Russes qui est à l'origine du terrorisme brutal auquel ils sont confrontés.
Comment pouvons-nous encore supporter les massacres de femmes, d'enfants et d'adolescents, cette parodie de consultation populaire qu'a été l'élection d'un président fantoche dirigé par Moscou ? Une fois encore, monsieur le ministre, la France va-t-elle accepter longtemps cette situation ?
Que dire encore de ce qui constitue, à travers le monde, l'un des prétextes de l'intégrisme islamiste, à savoir le conflit israélo-palestinien ? La situation au Proche-Orient est aujourd'hui dans une impasse : l'autorité palestinienne est trop affaiblie et déconsidérée pour contenir le terrorisme, tandis que le gouvernement israélien a trop souvent pour seule ligne d'action la force militaire. Le Quartet et la « feuille de route » sont à bout de souffle.
Deux idées surnagent pourtant dans ce chaos : la proposition d'une conférence internationale et la mise en place d'une force d'interposition. Vous vous êtes fait le promoteur de ces deux idées, monsieur le ministre ; tous, dans cette enceinte, nous vous en donnons acte et vous encourageons. Mais il faut aller plus loin, avec toujours plus de détermination. Quelles mesures comptez-vous prendre pour faire avancer ces deux idées ?
La France doit entraîner l'Union européenne dans une synergie positive susceptible de conduire à la fin du conflit. Sinon, monsieur le ministre, nous aurons à payer comptant les conséquences de notre passivité.
L'une de ces conséquences est déjà la crispation communautaire, mais aussi la montée de l'intolérance envers les Juifs et les Arabes en France depuis le début de la seconde Intifada.
Certes, le terrorisme n'a pas de justification ; il n'a pas, non plus, besoin de prétexte. Mais il est tout aussi vrai que le terrorisme se nourrit de l'injustice, du sentiment d'abandon et de l'humiliation constante.
Dans cette perspective, le « plan de Genève » proposé par MM. Beilin, Burg et Rabbo pourrait constituer un motif d'espoir.
Vous avez reçu ces hommes de paix, monsieur le ministre, et nous nous en félicitons. Il faut maintenant beaucoup de courage et d'énergie pour faire « prendre » cette initiative. Le plan de Genève a été présenté aujourd'hui ; nous devrions nous y associer, malgré l'opposition des « faucons » dans les deux camps.
Il est temps d'encourager cette initiative ambitieuse qui constitue le plan de paix le plus complet proposé depuis longtemps.
A cet égard, je soumets à la sagesse du président de la commission des affaires étrangères, M. Dulait, l'idée d'une mission parlementaire, qui serait chargée d'une mission de bons offices auprès des parlementaires israéliens et palestiniens. En prenant comme base le plan de paix de Genève et la « feuille de route », ils pourraient établir d'utiles contacts avec leurs homologues isréaliens et palestiniens.
Vous le savez, les contacts personnels directs permettent souvent de débloquer des situations désespérées. Il ne s'agirait pas de créer un énième groupe d'études, mais, en quelque sorte, une force de frappe, de travail, de contact, dynamique ramassée et cherchant à concrétiser des accords.
Je conclurai, monsieur le ministre, en évoquant l'Afrique, ce continent qui m'est cher.
L'année 2003 a été marquée par de nombreux troubles. Nous avons salué la promesse de paix que furent pour la Côte d'Ivoire les accords de Marcoussis. Rien n'est cependant réglé, comme le prouve l'irruption de quelques militaires à la télévision, à la suite d'accrochages dans la zone de sécurité. La situation reste tendue et précaire, la violence toujours prête à ressurgir, y compris envers nos compatriotes, comme le prouve aussi l'assassinat odieux d'un journaliste de RFI.
J'ai passé quarante-huit heures en Côte d'Ivoire la semaine dernière. J'y ai rencontré de nombreux représentants des forces en présence, ainsi que le Premier ministre, dont je salue la détermination. Je poursuivrai les rencontres à Paris, cette semaine.
J'approuve votre démarche auprès du président Gbagbo lors de votre rencontre à Libreville. Il faut surtout que la France rappelle qu'elle n'encourage pas en Afrique la remise en cause des frontières issues de l'époque coloniale. Il faut tout faire pour que la méfiance entre toutes les tendances, qui suscite les drames, soit réduite. Il faut que l'opération « Licorne », presque unanimement appréciée, soit maintenue et renforcée par l'arrivée des Casques bleus. Il faut, dans un contexte de difficultés économiques, soutenir les cours intérieurs du cacao et faire en sorte que les ministères puissent payer les soldes de leurs fonctionnaires. Il faut aider à la recomposition de l'armée nationale. Il faut, au regard des revendications des personnels de santé, soutenir les efforts de ceux qui sont responsables de ces secteurs. Les cas de victimes d'épidémies variées, dont le sida, se développent. Il n'y a en Côte d'Ivoire ni personnels ni équipements pour faire face à cette dramatique évolution.
Monsieur le ministre, en conclusion, si, à titre personnel, j'approuve votre style, votre volonté et votre action personnelle, je regrette que votre budget soit aussi mauvais et je crois que le meilleur service que je puisse vous rendre pour vous prouver mon soutien et mon affection, c'est de ne pas le voter !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. D'un ancien de l'Elysée à un autre...
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. Ils sont forts, les jésuites !
M. le président. La parole est à M. Serge Mathieu.
M. Serge Mathieu. Messieurs les ministres, l'examen des crédits de votre département ministériel me fournit l'occasion de vous poser plusieurs questions concernant la diplomatie française au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
La première a trait à l'Irak et, avant toute chose, je voudrais rappeler ici combien la position arrêtée par vous-même et les plus hautes autorités de l'Etat concernant la non-intervention de la France dans les opérations du mois de mars m'est apparue comme une mesure sage et intelligente.
La difficile maîtrise - c'est le moins que l'on puisse dire - que connaissent aujourd'hui les forces de la coalition anglo-américaine, en Irak, n'est pas la seule justification a posteriori de notre non-intervention, car celle-ci reposait sur des considérations d'équilibre général du Moyen-Orient et l'observation des principes fondamentaux régissant les relations internationales, comme celui du primat des décisions de l'ONU dans le domaine de la belligérance des Etats.
S'agissant de la situation actuelle, je souhaiterais revenir sur les principes arrêtés lors de la récente conférence de Madrid consacrée à la reconstruction de l'Irak, au cours de laquelle l'Union européenne a proposé une contribution de 200 millions d'euros.
Lors des échanges, la position française a été précisée de la façon suivante : la France ne participera à cette reconstruction qu'après la restauration de la souveraineté irakienne et seulement dans le cadre d'une aide multilatérale.
Or, en cet automne 2003, indépendamment de la situation sécuritaire, les conditions de vie, pour ne pas dire de survie, économiques et sociales demeurent très préoccupantes. A cet égard, ne serait-il pas possible, d'ores et déjà, de dégager des crédits d'urgence pour aider les populations irakiennes et les empêcher de sombrer dans un désespoir qui ne fera qu'alimenter les extrémismes ?
Il y aurait là une façon d'exprimer la continuité de la présence de la France qui ne manquerait pas d'être porteuse de promesses pour l'avenir de la coopération économique, politique et culturelle avec le nouvel Irak qui est en train de naître.
Ces mesures me paraissent d'autant plus s'imposer que la disparition de l'Etat irakien et la difficile reconstruction d'une administration rendent les aides alimentaires et sanitaires urgentes.
Sans remettre en cause les principes avancés à Madrid, ne peut-on pas aider ce peuple, qui a déjà beaucoup souffert, à passer le cap difficile de l'hiver 2003-2004 ?
L'Irak finira, à moyen terme, par se stabiliser et, ce jour-là, les éléments francophiles et francophones, qui sont importants, pourront nous aider à densifier notre future présence, dans le domaine tant économique que culturel.
La reconstruction de l'Irak sera fondée sur des investissements, qui doivent être préparés d'ores et déjà par des aides. Si je comprends la position qui consiste à écarter le bilatéralisme au bénéfice d'une action concertée multilatérale, en attendant il faut tout de même consolider nos aides alimentaires et sanitaires à ce pays.
De même, concernant l'Afghanistan, qui a été pendant des décennies un pôle actif de francophonie dans la région, il ne faudrait pas que les futures élites en cours de formation abandonnent cet héritage culturel. Comment réimplanter dans la société afghane des éléments durables d'intérêt de coopération culturelle à Kaboul ?
Depuis vingt ans, sous différentes formes, Paris a été proche et solidaire de l'Afghanistan. Ne pourrait-on pas dans la continuité de cette sollicitude multiplier le nombre de bourses dont peuvent disposer les Afghans pour venir étudier ?
Ne pourrait-on pas non plus développer une coopération avec les autorités de sécurité afghanes pour les aider à contrôler les flux de drogue qui, à partir des plantations de pavots, via Kaboul, se déversent vers l'Asie et vers l'Europe ? Concernant l'Afghanistan, il y a de nombreux plans possibles de coopération durable et consolidée, dans un cadre bilatéral.
En dernier lieu, en tant que président du groupe d'amitié France-Albanie au Sénat, j'observe depuis plusieurs années le comportement diplomatique de ce pays et je pense qu'il faudrait accélérer son intégration à l'Union européenne. Ayant su se tenir à l'écart des troubles qui ont affecté la péninsule balkanique ces quinze dernières années, l'Albanie, qui démarre au plan économique, mérite d'être encouragée dans un cadre européen.
Là aussi, il existe une tradition ancienne de francophonie qui remonte à l'entre-deux-guerres et il ne faudrait pas que ces sillons tracés disparaissent aujourd'hui sous l'effet d'autres attractions culturelles et politiques. Ayant subi une longue et terrible dictature qui a complètement gelé la vie économique et culturelle de ce pays, l'Albanie est en train de sortir de cette glaciation et de devenir une démocratie. Celle-ci doit être encouragée et je pense qu'un effort particulier mériterait d'être fait.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de l'attention que vous porterez à mes demandes, et je tiens à dire qu'à l'instar de mon groupe je voterai votre budget, car je considère que votre diplomatie oeuvre d'une façon particulièrement efficace au rayonnement de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Dubrule.
M. Paul Dubrule. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues. « Oui, j'ai une patrie : la langue française ! », disait Albert Camus.
Face à la mondialisation, le besoin de lien, de signes de reconnaissance est encore plus grand. Le respect de la diversité culturelle et linguistique est au coeur de ce défi. C'est toute la raison d'être de la francophonie.
Ce qui frappe lorsqu'on s'intéresse à votre budget, monsieur le ministre, c'est l'absence de chiffre global permettant de se faire une idée des moyens mis à disposition de la francophonie. Il faut en effet une connaissance pointue des rouages de la « diplomatie d'influence », comme la qualifie Mme Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Je ne me hasarderai donc pas à entrer dans des détails qui ne sont maîtrisés que par quelques spécialistes.
C'est sans doute cette situation d'éparpillement - huit ministères consacrent des crédits à l'action culturelle extérieure - qui a permis la prolifération d'organismes, d'agences, de directions, de sous-directions ayant quasiment tous leurs objectifs, leurs règles, leurs colloques, leurs rapports, leurs bonnes volontés et leurs gaspillages propres. C'est aussi cette situation qui permet quelques dérapages relevés par les différents rapporteurs. Vous avez, semble-t-il, commencé à rationaliser cette situation. Nous ne pouvons que vous encourager à accélérer le mouvement.
J'ai approuvé au cours de cette discussion, avec quelques-uns de mes collègues, la diminution de certains budgets. Elle était nécessaire tant la reconduction aveugle et arithmétique de certaines dépenses frise le gâchis et le mépris de l'argent des contribuables.
Je n'aurai pas le même jugement pour le budget affecté à la francophonie.
Nul ne peut calculer la rentabilité d'un euro investi pour apprendre, diffuser et maintenir le français dans le monde.
Le travail, à cet égard, des alliances françaises et des centres culturels est primordial. Cependant, là encore, l'addition ou la coordination des forces serait plus efficace.
Mme Cerisier-ben Guiga préconise la fermeture de certaines alliances françaises. Pourquoi pas ? Mais a-t-on exploré toutes les pistes, en particulier l'appel aux fonds privés ? Dans ce domaine comme dans d'autres, l'Etat doit accepter de ne plus être le seul à apporter les moyens. Dans ce domaine également, le mécénat doit être libéré.
J'ai insisté auprès du ministre de la culture pour qu'il aille plus loin dans l'ouverture au mécénat. Le réalisme finira par faire son chemin. Bien sûr, quelques fonctionnaires perdront de leur pouvoir d'attribution de la manne étatique. Mais, au final, tout le monde y gagnera !
Je reviens un instant sur les fermetures de certaines alliances. Les quatre dernières ont eu lieu en Allemagne. Attention, la défense de la place du français en Europe est une lutte quotidienne ! Si nous n'y prenons garde, la langue unique guette le continent.
Pourtant le maintien du plurilinguisme est nécessaire. Le projet de traité constitutionnel, que prépare la convention sur l'avenir de l'Europe, réaffirme la diversité linguistique comme l'un des fondements de la construction européenne.
A ce sujet, la lecture du rapport du député Michel Herbillon est très instructive.
En 1986, 58 % des documents de la Commission étaient rédigés en français ; aujourd'hui, nous sommes à 30 %. Ce rapport rappelle au passage que le multilinguisme partagé est un choix politique au Parlement européen.
Dans ces conditions, on ne peut que soutenir le plan pluriannuel pour le français signé avec le Luxembourg et la communauté française de Belgique.
L'avenir de la France dans le monde passe aussi par notre capacité à attirer les étudiants étrangers, et les meilleurs !
Là aussi, le « marché » est devenu mondial. Heureusement, la politique, dans ce domaine, s'est inversée, et le nombre des étudiants étrangers a presque doublé en quatre ans.
Ce qui évolue aussi, et nous devons nous en féliciter, c'est, d'une part, la provenance des étudiants étrangers - Asie et Amérique latine, Europe centrale et orientale - et, d'autre part, l'orientation vers des filières d'économistes, d'ingénieurs, de juristes, de scientifiques, qui formeront les futurs décideurs dans leurs pays. Les bourses « Eiffel » et « Major » portent leurs fruits.
A ce sujet, je souhaite, tout comme le rapporteur pour avis Jacques Legendre, que vous confirmiez, monsieur le ministre, que le programme de bourses au soutien de la francophonie bénéficie bien, en pratique, des 10 millions d'euros supplémentaires promis lors du sommet de Beyrouth, en octobre 2002, par le Président de la République.
Cependant, le bât blesse. Accueillir des étudiants étrangers n'est pas qu'un mot. Il faut leur donner les moyens matériels de vivre décemment en France.
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. Très bien !
M. Paul Dubrule. Il convient, tout d'abord, de les loger. Les cités universitaires affichent complet et leur vétusté n'est pas à l'honneur de notre pays. Il y a urgence à trouver des relais. Compte tenu des contraintes budgétaires, que j'approuve, il conviendrait de mettre en place de nouvelles formules de financement faisant appel au privé.
J'attire votre attention sur la remarque de M. Jacques Legendre concernant un double handicap pour le « recrutement » des étudiants étrangers, notamment de haut niveau.
Le fait que l'enseignement supérieur public français soit totalement gratuit n'est pas perçu dans certains pays comme un atout, et peut même être considéré comme dévalorisant. Ajoutez des conditions d'obtention de visas difficiles, un accès au logement impossible, et vous comprendrez que le choix soit fait dans de nombreux cas au profit d'universités étrangères qui font peut-être payer leurs cours, mais qui ont une qualité matérielle d'accueil certaine. (M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial, acquiesce.)
Là encore, monsieur le ministre, n'hésitez pas à développer la piste du mécénat. L'Etat ne peut et ne doit pas tout faire.
Je peux vous assurer qu'aujourd'hui des chefs d'entreprise seraient prêts à s'investir et à investir pour le rayonnement de la France à l'étranger, car ils considèrent que c'est un capital et un investissement sur l'avenir. Investir dans le développement du savoir et de l'intelligence est une nécessité pour l'avenir de notre pays en France comme à l'étranger. Ne décourageons pas les bonnes intentions ! Votre ministère a récemment refusé une subvention de fonctionnement à une école financée par un chef d'entreprise dans un pays du tiers monde au motif que ledit chef d'entreprise n'était pas indigent ou avait suffisamment de moyens.
Hâtons-nous de faire tomber ces barrières de séparation encore trop présentes dans les actions qui doivent être menées conjointement, au bénéfice de tous, par le public et par le privé.
Pour terminer, j'évoquerai trois points qui me tiennent à coeur.
Le premier concerne l'augmentation des crédits relatifs au droit d'asile. Comme je l'ai souligné dans un rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à notre assemblée, il ne peut y avoir de dignité dans l'exercice de ce droit, sans un minimum de moyens. Pour l'année 2003, comme le confirme le rapporteur spécial, M. Chaumont, on note une hausse de 50 % par rapport à 2002 et, surtout, la prise en compte réaliste du règlement de ce problème.
Le deuxième point vise l'engagement de la francophonie en faveur du développement durable : en effet, la promotion de l'éducation et de la formation est prioritaire et « l'éducation de base pour tous » est la première pierre des futures démocraties.
Le troisième point, enfin, concerne la coopération décentralisée. Le colloque organisé au Sénat au mois d'octobre dernier sur l'initiative du président Christian Poncelet, dont vous me permettrez de citer les propos, a montré combien « dans tous les cas, la coopération décentralisée contribue à soutenir nos échanges économiques, sociaux et culturels, à renforcer nos liens d'amitié, et donc à favoriser le rapprochement entre les peuples ».
J'adhère tout à fait aux grandes lignes du plan sénatorial de coopération décentralisée, en particulier au fait que le partenariat doit s'inscrire dans la durée et qu'il doit privilégier les types d'actions porteurs de développement durable, en insistant sur la formation des hommes et sur l'équipement des territoires.
Courage, détermination, obstination : telles sont les qualités qu'il vous faudra, monsieur le ministre, pour poursuivre, pour réorganiser et pour rationaliser ce vaste domaine de la francophonie. Soyez assuré de notre vigilant, mais amical soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. André Ferrand.
M. André Ferrand. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après les exposés très complets de nos rapporteurs, après et avant ceux de mes collègues sénateurs des Français établis hors de France, je voudrais essayer de limiter les redondances et, tout en m'associant aux préoccupations exprimées par les orateurs de la majorité, évoquer un certain nombre de points auxquels je suis particulièrement sensible. Mais avant de les présenter, je tiens à vous donner mon sentiment sur deux questions d'actualité ; je veux parler de la Côte d'Ivoire et du mouvement social qui affecte aujourd'hui le ministère des affaires étrangères.
En Côte d'Ivoire, d'abord, nos compatriotes ont désigné hier leurs représentants au Conseil supérieur des Français à l'étranger. Il faut féliciter les élus, se réjouir qu'aucun événement fâcheux n'ait entravé cette journée et, bien sûr, regretter que le taux de participation, encore une fois, n'ait pas été plus important.
Mais cet événement doit surtout nous rappeler la réalité : malgré l'engagement déterminé et les efforts de la France, la situation sur le terrain n'évolue pas dans le sens que nous souhaitons. Plus que jamais, il nous faut demeurer attentifs au sort de nos compatriotes, qui paraît aujourd'hui particulièrement aléatoire. Il convient de rester très vigilants quant à leur sécurité, certes, mais, au-delà, il nous faudra, je le crains, réfléchir à la manière de faciliter la reconversion de ceux pour qui elle deviendrait nécessaire.
A cet instant je tiens à saluer nos troupes engagées dans l'opération Licorne, dont tous les témoignages qui nous arrivent quant à leur comportement sur le terrain montrent à quel point elles sont porteuses de valeurs et des traditions militaires dont nous sommes fiers.
Ensuite, j'évoquerai le mouvement social qui touche aujourd'hui le ministère des affaires étrangères.
Nous connaissons les contraintes budgétaires du moment, l'exigence de rigueur qui s'impose partout, la nécessité de moderniser, de réformer, la pression liée aux conséquences de la loi organique relative aux lois de finances et nous ne pouvons, monsieur le ministre, que saluer votre détermination à y prendre votre part et vous encourager à jouer le jeu de la solidarité gouvernementale.
Certes, le chemin que vous êtes ainsi contraint de prendre ne peut pas être populaire. Mais, comme tous mes collègues qui représentent les Français établis hors de France, je suis amené à rencontrer souvent les agents de votre ministère, à tous les niveaux de responsabilités, et à les voir à l'oeuvre dans leurs postes sur le terrain, où ils travaillent parfois dans des conditions difficiles.
Cette observation m'a amené à les tenir en haute estime. Comme vous l'avez vous-même exprimé, monsieur le ministre, cette grève, « qui n'est pas une affaire banale », ne peut pas être prise à la légère. J'espère donc très vivement qu'une solution sera trouvée, qui, malgré la trop grande modicité du budget des affaires étrangères, vous donnera les moyens à la fois de poursuivre une politique extérieure ambitieuse et, en rassurant, de mettre fin à un malaise qui, à terme, risque de démotiver un corps de grande qualité, dont le rôle est essentiel, ainsi que les enseignants, qui sont l'âme de nos écoles. Nous serons à vos côtés dans cette démarche.
J'en viens maintenant aux points sur lesquels je voudrais attirer votre attention. Ils sont de natures diverses et leur seul lien réside dans le fait qu'ils relèvent tous de votre ministère.
Permettez-moi, d'abord, de vous dire que je soutiens votre ambition d'obtenir que notre action extérieure soit mieux coordonnée au niveau interministériel sous la houlette de l'ambassadeur ou, selon le cas, du consul général. Efficacité et lisibilité en sont les enjeux. Nous serons, là encore, à vos côtés, le long du chemin qui doit, d'ici à 2007, conduire à des résultats concrets grâce à la mission interministérielle « action extérieure de l'Etat », que vous appelez de vos voeux. Je pense, en effet, que le Parlement, la LOLF aidant, doit ici jouer un rôle important.
Restant dans l'interministériel, je vous parlerai ensuite de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. C'est, pour nous, un grand sujet, et, après m'être contenté de souligner à quel point il est important que nous trouvions les moyens de répondre à la grande demande qui s'exprime de par le monde, je l'aborderai sous deux aspects.
S'agissant de l'interministériel, précisément, sans dire a priori quel devrait être le degré et les formes de la contribution du ministère de l'éducation nationale, ni son degré d'implication dans la gestion de l'Agence, il est évident qu'il ne saurait en être absent. C'est là, vous le savez, un sujet de débat récurrent. La question a été abordée ici même, vendredi dernier, lors de l'examen du budget du ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, et votre collègue, M. Luc Ferry, s'est montré particulièrement ouvert. Il a déclaré ceci : « Il serait bon que nous nous en expliquions dans une réunion tripartite - les affaires étrangères, l'éducation nationale et vous-mêmes » - il voulait parler des élus représentants les Français de l'étranger - « afin de dresser une liste des priorités. Si nous ne nous réunissons pas à trois pour travailler ainsi, chaque ministère sera tenté de se défausser sur son voisin ; il faut organiser cette réunion avec M. de Villepin. »
J'aimerais beaucoup, monsieur le ministre, connaître votre réaction à cette invitation, qui est en quelque sorte une réponse à l'ouverture dont vous avez vous-même fait preuve dans votre récente intervention devant le Conseil économique et social.
Je serai bref quant à mon deuxième point concernant l'AEFE. Il a trait à la nécessité de prendre, maintenant, des initiatives concrètes concernant de nouvelles formes de financement telles que celles qui ont été évoquées en particulier dans le rapport du Conseil économique et social, ce qui vous a donné, monsieur le ministre, l'occasion de nous faire part de votre vision sur ce sujet.
Le temps qui m'est imparti passe vite et je ne ferai que lister rapidement les autres points sur lesquels je souhaite attirer votre attention.
Le maillage, la nécessaire couverture du terrain dans un contexte de strict contrôle des moyens budgétaires représente presque une gageure. Or il existe, à travers le monde, des consuls honoraires, des chambres de commerce françaises à l'étranger, des conseillers du commerce extérieur, des acteurs de l'Alliance française, des compatriotes et amis de la France prêts à se mobiliser pour constituer des pôles de rayonnement à vocation économique et culturelle et assurer la présence de la France. Regardons, par exemple, du côté de Calgary !
Une action organisée et déterminée, en interministériel avec Bercy - décidement, on y revient toujours ! -, devrait permettre d'obtenir des résultats intéressants à coûts nuls ou modiques.
Pour ce qui est de la francophonie, j'ai pu remarquer, lors d'une réunion interparlementaire qui s'est tenue à Genève dans le cadre de l'OMC, combien nos partenaires francophones, en particulier les moins avancés, bien sûr, manquaient de moyens et souvent d'expérience pour tenir utilement leur place dans ce genre d'organisations internationales où l'Association parlementaire du Commonwealth est en revanche très présente.
Notre représentation à Genève en est bien consciente et elle apporte son aide aux représentants gouvernementaux de ces pays. Mais je voudrais attirer spécialement l'attention de M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie sur ces occasions de montrer à nos amis parlementaires le sens de la solidarité francophone.
J'en viens au FED. A mon tour, messieurs les ministres, après les débats de l'an dernier, après les déclarations du chef de l'Etat au Niger, j'aimerais savoir quelle ligne de conduite nous avons adoptée en ce qui concerne les crédits non décaissés. Nous avons en effet bien besoin de toutes les ressources disponibles pour tenter de faire décoller cette Afrique à qui nous voulons tant de bien.
L'attractivité de nos universités et de nos écoles représente un enjeu majeur. Monsieur le ministre, vous avez, il y a peu, installé avec votre collègue M. Luc Ferry le Conseil national pour le développement de la mobilité internationale des étudiants. Or, vous le savez, le problème du logement constitue l'une des faiblesses principales de notre système et, là aussi, la puissance publique, malgré les efforts entrepris, ne parviendra pas seule avant longtemps à nous mettre à niveau. C'est pourquoi M. Dubrule et moi-même avons proposé à M. Luc Ferry de réfléchir à la possibilité d'associer des entreprises spécialisées à la construction et, éventuellement, à la gestion de résidences universitaires. Cela a été réalisé avec succès dans d'autres secteurs.
Nous souhaiterions obtenir votre appui pour progresser rapidement dans cette direction. En effet, être capable d'accueillir beaucoup de jeunes dans nos écoles à l'étranger et recevoir, en France, de nombreux étudiants venus des cinq continents, c'est, vous le savez, monsieur le ministre, l'un des meilleurs moyens de promouvoir notre culture et notre langue, de développer notre économie et de conforter notre influence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant les affaires étrangères.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jacques Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de budget pour 2004 concernant les affaires étrangères s'inscrit dans la perspective de l'objectif fixé par le chef de l'Etat d'une aide publique au développement représentant 0,5 % de notre PIB en 2007. C'est une bonne chose, car la décennie quatre-vingt-dix a été peu propice à l'APD, dont le montant a diminué durant dix ans. Son montant est passé de 0,32 % en 2001, à 0,41 % cette année, et devrait atteindre 0,43 % l'an prochain.
La part de notre aide bilatérale poursuit sa progression en 2004, puisque, de 62 % du total de l'aide en 2001, elle en représentera 72 % en 2004, malgré l'augmentation de notre contribution au fonds européen de développement.
Au-delà du soutien apporté à l'Afrique dans les enceintes multilatérales, notre aide bilatérale lui a été destinée à hauteur de 72 % l'an dernier, et cette proportion devrait augmenter au cours des prochains exercices, ce dont je me félicite.
Une part importante de l'APD est affectée aux opérations d'allégement de la dette : 2 milliards d'euros y seront consacrés en 2004, contre seulement 470 millions d'euros en 2001.
Notre aide est aussi prioritairement utilisée dans le cadre de l'initiative pour les pays pauvres très endettés et les contrats de désendettement-développement, qui permettent de conjuguer un effort exceptionnel des créanciers avec la mise en oeuvre, par les pays bénéficiaires, d'une stratégie de lutte contre la pauvreté.
Ainsi, les organisations de solidarité internationale se réjouissent des efforts engagés pour augmenter l'aide publique au développement. Dans un contexte budgétaire contraignant, cet effort financier traduit une réelle volonté politique d'inscrire l'APD parmi les priorités du Gouvernement.
Cependant, au-delà de ces chiffres encourageants, l'évolution globale de l'APD française depuis 2002 suscite toute une série d'interrogations, notamment en ce qui concerne le poids croissant des allégements de dettes. Ces annulations de dettes sont par ailleurs indispensables au développement des pays que nous voulons aider.
Les méthodes actuelles de comptabilisation de ces annulations de dettes conduisent à une nette surévaluation de leur effet en termes de financement du développement.
Par ailleurs, se pose le problème de l'opacité qui entoure ces allégements de dette, notamment en ce qui concerne l'affectation des dépenses et les méthodes de comptabilisation.
La majeure partie de ces allégements transite par un compte spécial du Trésor, ou même sur un compte hors du budget de l'Etat pour les créances commerciales. Les données disponibles ne permettent pas d'identifier clairement l'affectation des fonds dégagés par ces allégements, ni le détail de la nature des créances annulées.
Ce manque de transparence de l'APD française pose un réel problème, car le Parlement ne peut exercer pleinement son droit de contrôle de la mise en oeuvre de cette politique. Je suggère que les parlementaires soient plus étroitement associés à la mise en oeuvre et au suivi de cette politique publique. Une information ciblée devrait également permettre aux citoyens de mieux comprendre l'effort national de coopération.
Par ailleurs, on peut noter que les crédits de coopération du ministère des affaires étrangères progressent de 141 millions d'euros en 2004, ce qui traduit une priorité politique claire.
Il est vrai que l'exercice 2003 a été marqué par des régulations qui ont entraîné un report de charges d'environ 90 millions d'euros. Notre contribution au FED augmente de près de 14 %, les crédits de paiement alloués à l'Agence française de développement progressent de plus de 15 %, ceux du fonds de solidarité prioritaire de 25 % et les concours financiers de 29 %.
Des opérations de développement plus immédiates et plus visibles que les annulations de dettes pourront ainsi être menées par notre pays.
Les régulations budgétaires ont par ailleurs entravé la mise en oeuvre du plan de relance de la francophonie annoncé par le Président de la République lors du sommet de Beyrouth.
La situation pour 2004 devrait être meilleure en raison de l'augmentation de 20 millions d'euros des crédits du titre IV et du fonds multilatéral unique. L'importance qu'attache notre pays à son rayonnement culturel est ainsi clairement exprimée, et je m'en réjouis.
Concernant les emplois, la baisse constatée depuis dix ans est très importante, puisqu'elle atteint près de 10 %. L'effort fourni en 2004 relève de la contribution du ministère des affaires étrangères à l'effort global revendiqué par le Gouvernement et consistant à ne remplacer que la moitié des fonctionnaires partant à la retraite. Je pense, monsieur le ministre, qu'il n'est plus possible de continuer dans cette voie. A l'avenir, les rationalisations devront concerner l'ensemble des réseaux de l'Etat à l'étranger : il faudra pouvoir apprécier dans chaque pays le nombre d'agents nécessaires pour chaque ministère, dans une vision d'ensemble de l'action extérieure de l'Etat.
La mise en place de la polyvalence des agents est nécessaire afin de mettre fin aux cloisonnements entre ministères possédant un réseau à l'étranger. De plus, afin de prendre en compte les évolutions du monde, par exemple celles qui sont liées à l'élargissement de l'Europe, la présence française à l'étranger doit pouvoir s'adapter.
Je pense, enfin, que le capital politique dont dispose la France est insuffisamment utilisé dans la coopération multilatérale, si bien que notre pays ne semble plus jouer dans les institutions multilatérales et européennes un rôle aussi important qu'auparavant.
On constate en effet que certains pays, malgré des efforts financiers moindres que les nôtres, sont capables d'exercer une influence plus grande que la France dans les institutions internationales. Cela semble tenir au fait que la coopération française, dans l'ensemble de ses composantes, n'est capable ni d'établir des complémentarités et des synergies entre les activités bilatérales et multilatérales, ni de « satelliser », en quelque sorte, les institutions multilatérales, voire d'autres partenaires bilatéraux, autour de nos objectifs et de nos priorités stratégiques.
L'articulation entre le bilatéral, l'Europe et le multilatéral n'est pas pleinement assurée. Des complémentarités ont parfois pu être établies dans certains domaines, par exemple dans la lutte contre le sida, contre la tuberculose ou contre le paludisme. Mais, dans nombre de domaines de la coopération au développement, les divers aspects semblent déconnectés les uns des autres : aspects multilatéraux, aspects européens et aspect bilatéral.
Cela est singulièrement vrai dans les domaines du social, de l'éducation et de la santé, terrains privilégiés de la lutte contre la pauvreté, où il ne semble pas que l'on ait cherché ni réussi à faire prévaloir à l'échelon multilatéral les concepts et les méthodes de la coopération française.
Je ferai un dernier constat : le moteur à idées de la France doit être relancé. Les institutions multilatérales, et c'est d'ailleurs plus vrai encore des institutions financières onusiennes que des institutions européennes, fonctionnent à partir d'une combinaison relativement efficace de structures de recherche qui s'appuient sur des laboratoires universitaires de haut niveau et de structures opérationnelles alimentées par les premières. Le débat d'idées occupe donc une place importante.
Or la coopération française paraît mal positionnée dans les débats d'idées sur les questions de développement, d'abord parce qu'elle a du mal à mobiliser ses ressources intellectuelles et expérimentales, ensuite, parce qu'elle éprouve des difficultés à capitaliser sa propre expérience et à la confronter à d'autres.
Le Haut Conseil de la coopération internationale essaie d'oeuvrer au mieux pour permettre une concertation régulière des différents acteurs de la coopération internationale pour le développement afin de trouver des idées et de « relancer la machine ». Il est également chargé, et c'est important, de sensibiliser l'opinion publique aux enjeux de cette coopération.
En conclusion, monsieur le ministre, je féliciterai le Gouvernement d'avoir maintenu l'aide publique au développement parmi ses quatre priorités budgétaires. Cependant, le volume de l'APD française s'explique essentiellement par les allégements de dettes accordés dans le cadre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés, les PPTE.
Une autre amélioration envisageable serait de remédier à l'opacité de l'APD française. En effet, notre politique de coopération au développement n'est pas assez lisible, car plus d'une dizaine de ministères disposent en la matière de crédits dont la mise en oeuvre implique à son tour toute une série d'organismes publics.
Enfin, le dernier point contre lequel je tiens à m'élever est la réduction du nombre d'assistants techniques, qui font pourtant l'image de la France à l'étranger et qui sont très précieux sur le terrain pour nos relations avec les pays du monde entier. Nous avons aujourd'hui un peu plus de 2 000 assistants techniques en activité ; lorsque j'étais aux affaires, voilà maintenant assez longtemps, ils étaient au nombre de 12 000 ou 13 000. Ce chiffre était sans doute trop élevé, car nous faisions de la formation directe, alors que le bon type de coopération consiste certainement dans la formation de formateurs, Cependant, en passant de 12 000 ou 13 00 à 2 000, on atteint, me semble-t-il, un « étiage » limite. Ces suppressions d'emplois au sein du ministère des affaires étrangères ne me paraissent pas opportunes : il y va du rayonnement et de l'influence de la France, qui doit tenir toute sa place, notamment face aux Etats-Unis, qui, vous le savez, sont de plus en plus présents sur le continent africain. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, un budget, des crédits : c'est le sort d'êtres humains qui se joue. Ce sont des visages et non de simples statistiques, des montants vivants et non des chiffres morts. C'est « une politique » qui s'exprime.
Le sort très concret de deux millions de Français à l'étranger doit y trouver sa place. Une simple gestion de crédits ne répond pas à notre ambition. Nous attendons davantage : imagination et esprit d'invention.
Une question grave mérite d'abord d'être soulevée, celle du gel dit « républicain », mais qui est fondamentalement antidémocratique.
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. Bravo !
M. Christian Cointat. A quoi sert-il de voter le budget, acte fondamental visant à soutenir une politique, si, quelques mois après, Bercy remet unilatéralement tout en cause par un blocage des crédits et donc de la politique définie, sans saisine du Parlement ?
M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Christian Cointat. Nos « spécialistes » - bien grand mot ! - du ministère des finances ont failli gravement mettre à mal cette année la politique sociale et la politique de l'enseignement des Français de l'étranger. Une véritable catastrophe ! Je remercie chaleureusement le Président de la République et le Gouvernement d'avoir pris courageusement la position qui s'imposait pour sauver cette expression de la solidarité nationale, malgré la situation difficile de nos finances.
La politique des Français de l'étranger ne doit pas se faire à Bercy, dans le confort d'une haute administration certes talentueuse, mais éloignée des réalités. Les orientations générales de votre politique, monsieur le ministre, doivent être tenues, les engagements pris, respectés.
L'une des missions premières du Conseil supérieur des Français de l'étranger est de servir de courroie de transmission entre les pouvoirs publics et nos compatriotes expatriés. Peut-être mieux que d'autres - car ils sont confrontés aux réalités du monde -, ces derniers savent comprendre les difficultés et en accepter les conséquences, pour autant que celles-ci soient justes, équilibrées et partagées.
Faites donc travailler le Conseil supérieur, monsieur le ministre, puisque vous en êtes le président et que la loi vous en donne le pouvoir ! Cela permettra au Gouvernement d'être mieux éclairé.
A cet égard, la réforme introduite par la loi organique de 2001 sur les lois de finances - je me refuse à prononcer cet horrible mot de « LOLF » ! - devrait renforcer cette approche plus politique du budget, cette logique de projets et d'actions, de préférence à une approche purement comptable.
Cela soulève une question d'importance : comment le Gouvernement entend-il conduire la réforme budgétaire à l'égard des Français de l'étranger ? Dans quels programmes, dans quelles missions figureront les moyens financiers et logistiques en faveur de nos compatriotes expatriés et ceux qui sont nécessaires au fonctionnement du Conseil supérieur des Français de l'étranger ? Celui-ci pourra-t-il bénéficier, comme nous l'avons toujours demandé, de l'individualisation qui sied à toute assemblée d'élus, instance représentative et non simple administration ?
Cela m'amène, monsieur le ministre, à vous interroger sur un deuxième point : la réforme de la représentation des Français de l'étranger.
Une commission spéciale du Conseil supérieur a beaucoup travaillé, pendant de nombreux mois. Le Gouvernement et vous-même, en votre qualité de président dudit Conseil, en avez très largement accepté les conclusions, et vous avez pris les premières mesures par voie réglementaire. On ne peut que s'en féliciter et vous en remercier. Mais il faut aller au bout de la démarche et présenter le projet de loi qui s'impose ! Où en est-on, monsieur le ministre ?
A l'heure où la décentralisation est en marche, les élus des Français de l'étranger demandent à être associés à ce mouvement vers plus de proximité. Sur mon initiative, et grâce à l'appui de mes collègues, nos compatriotes expatriés ont été pris en compte par la réforme de notre Constitution, qui prévoit désormais que les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France sont déposés en premier lieu au Sénat. Il faut donc qu'en soient tirées au plus vite les conséquences pour que les dispositions nouvelles soient pleinement opérationnelles.
Lors de la discussion de cette réforme constitutionnelle devant le Sénat, le Gouvernement a promis pour le printemps dernier - nous sommes déjà à l'automne ! - le vote d'une loi organique à cet effet. J'ai engagé auprès de votre cabinet comme auprès des administrations compétentes et des autres ministères concernés, monsieur le ministre, un dialogue républicain tendant à l'exécution par le Gouvernement de cette promesse faite solennellement devant le pouvoir constituant. J'ai même déposé, pour faciliter les discussions, une proposition de loi organique.
L'expertise engagée dans ce domaine ne peut être limitée à une approche purement juridique, de surcroît contestable, qui, drapée du manteau et du renom de Thémis, néglige les facteurs politiques. La décision ne peut être circonscrite aux craintes et aux peurs que suscite malheureusement tout projet nouveau. Que peut nous dire le Gouvernement dans ce domaine ?
Les élus des Français de l'étranger, vous le savez fort bien, ont déjà été assimilés sur des points essentiels aux élus locaux. La présentation des candidatures à la Présidence de la République en est un exemple parmi d'autres. Comme les élus locaux, ils souhaitent que les règles d'organisation et de fonctionnement de leurs instances représentatives soient fixées par cet instrument éminemment politique et démocratique qu'est la loi. Allez-vous répondre, monsieur le ministre, à la fois à l'engagement pris par le Gouvernement et aux aspirations de nos compatriotes sur ce point ?
Enfin, je voudrais évoquer la décentralisation. Elle nous préoccupe beaucoup, car elle aura des conséquences sur la vie quotidienne de nos compatriotes expatriés : ils ont peur d'être laissés sur le bord du chemin.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. Ils ont raison !
M. Christian Cointat. Les transferts de compétences de l'Etat aux collectivités territoriales ne doivent pas se traduire pour eux par la perte de leurs droits.
Grâce à vous, monsieur le ministre, le Conseil supérieur a créé une commission temporaire pour examiner ces questions. Nous allons y travailler sérieusement, mais nous aurons besoin de vous pour convaincre le Gouvernement de la République d'apporter à nos problèmes les solutions qu'ils méritent. Etes-vous prêt, monsieur le ministre, à répondre à cet appel ?
Lors du récent débat sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, je me suis efforcé d'apporter ma contribution à la recherche de solutions. J'ai pu mesurer à quel point il était difficile de faire prendre réellement conscience que la France, grâce à ses ressortissants vivant hors de ses frontières, ne se limitait pas au territoire national.
Le Gouvernement a fait un pas important, et je l'en remercie, tant en acceptant mes amendements sur les questions scolaires et universitaires qu'en prenant l'engagement de faire procéder à une étude exhaustive pour déterminer comment faciliter l'inscription des enfants français de l'étranger dans les établissements des communes frontalières de notre pays. C'est une première étape.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour soutenir activement ces mesures concrètes qui tendent à un mieux-être dans l'existence quotidienne de nos compatriotes expatriés et pour leur apporter le prolongement qui s'impose.
Nos compatriotes établis hors de France vibrent au rythme des grands projets internationaux que vous portez avec tant de talent, monsieur le ministre, de cette grande politique que vous savez si bien initier. Mais ils espèrent aussi beaucoup de la politique ordinaire - des « mains dans le cambouis », si j'ose dire -, celle qui s'adresse non pas à des chefs d'Etat, mais à des hommes et à des femmes, autrement dit à des visages, à des âmes et à des coeurs.
Cela étant, même s'il ne répond pas à mon attente, je voterai votre projet de budget, car je fais confiance à la qualité de votre engagement et de votre action. Je vous fais confiance, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.
M. Yves Dauge. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà deux ans, j'ai eu le plaisir de travailler sur le réseau culturel français à l'étranger, action que j'ai d'ailleurs menée en étroite collaboration avec les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères. Je dois reconnaître que j'y ai pris un grand plaisir et que j'ai beaucoup apprécié la qualité des services, tant à l'échelon national qu'à l'échelon local.
J'ai axé ma réflexion sur les centres culturels, mais je me suis également intéressé aux Alliances. Depuis cette époque, je suis resté en contact étroit avec nombre de responsables de ces établissements, ce qui m'a permis, ces derniers jours, de mener ma petite enquête pour savoir ce qu'ils pensaient de la situation budgétaire : il est normal d'aller voir la situation sur le terrain !
J'imagine, monsieur le ministre, que vous êtes vous-même bien informé. Pourtant, je m'interroge parfois. Permettez-moi de vous le dire, il faut réellement prendre conscience des conséquences qu'ont eues les budgets votés pour les années 2002 et 2003 - les perspectives pour 2004 sont fort semblables -, mais surtout les régulations et les gels de crédits, qui ont fortement déstabilisé le réseau en cours d'année. Imaginez que vous soyez en train de monter des actions en partenariat avec des acteurs locaux et que l'on vous indique que vous n'aurez pas les sommes prévues ! Bien évidemment, cela vous place dans une situation délicate, et vous perdez une partie de votre autorité et de votre réputation vis-à-vis des partenaires étrangers. C'est grave !
Lorsqu'il a installé le Haut Conseil à la coopération internationale, dont je suis membre en tant que représentant du Sénat, le Premier ministre s'était d'ailleurs explicitement engagé à ne procéder à aucune régulation budgétaire sur les crédits de la coopération, précisément pour éviter - monsieur le ministre de la coopération, vous connaissez parfaitement ces questions-là - de mettre nos agents, nos Instituts et les Alliances dans la situation absolument déplorable d'être contraints d'interrompre des partenariats en cours d'année.
Malheureusement, l'enquête que j'ai menée montre que les crédits pour 2004 connaîtront une baisse comprise, selon les centres, entre 20 % et 30 %. Il faut bien comprendre que l'impact sera bien plus fort que les chiffres que j'annonce, parce que, en fin de compte, nos institutions vont fonctionner avec les postes. Certes, tant qu'on ne les supprime pas, ils sont encore là !
Encore faut-il noter - vous me permettrez une parenthèse sur la coopération - que l'assistance technique est, elle aussi, en baisse régulière. On ne sait pas où cela s'arrêtera, d'ailleurs, car la question n'a jamais été clarifiée : quel est le rôle de l'assistance technique ? Quel est le nombre de postes que l'on veut en définitive garder ?
Pour en revenir aux centres culturels, ils en sont réduits à être des instruments sans plus de crédits d'intervention, des institutions qui ne peuvent plus répondre à leurs missions. La situation est véritablement critique, monsieur le ministre !
Ce matin m'est parvenue une dernière information en provenance d'une Alliance qui fait aussi fonction de centre culturel, en Irlande exactement. D'après les chiffres que l'on m'a annoncés et que je suis allé chercher à la source - on pourra les vérifier -, l'Alliance verrait ses crédits baisser de 40 % et se demande comment elle fonctionnera en 2004.
J'ai également contacté le réseau des Alliances à Paris. Alors que, l'an passé, cette institution avait reçu 520 000 euros de subventions de votre ministère, elle en aura 420 000 en 2004. Avec cette somme, elle devra faire le même travail, et même un peu plus, puisqu'on lui a demandé de se substituer aux centres qui vont fermer en Allemagne.
Je vous le dis sincèrement, monsieur le ministre, nous en sommes arrivés à un point où les gens perdent confiance. Certes, on peut accepter une certaine rigueur budgétaire, car tout le monde connaît la situation budgétaire actuelle, mais cela ne doit pas mettre en péril ce véritable trésor que constitue le réseau des centres culturels. Nous sommes en voie de passer un cap au-delà duquel nous entrerons dans une phase de déstructuration d'un instrument qui permet de donner sa portée à une politique que le Président de la République promeut d'ailleurs avec talent. Ainsi, je garde présent à la mémoire le discours sur la diversité culturelle qu'il a prononcé à l'UNESCO. On insiste à juste titre sur le thème de la coopération, de la dimension culturelle du développement. Il nous semble essentiel de chercher à conserver à notre pays une place importante dans le monde sur ce plan.
On vous reconnaît également beaucoup de talent, monsieur le ministre. Je compte sur ce talent pour qu'il soit mis un terme à cette déstructuration que j'évoquais à l'instant. Votre relation avec le chef de l'Etat, qui est particulièrement étroite, devrait vous permettre de l'alerter sur cette situation et de porter un coup d'arrêt au démantèlement d'un outil exceptionnel, qui a fait ses preuves mais qui est en train de dégrader. Je rencontre en effet bien des promoteurs de la culture française à l'étranger qui n'y croient plus et veulent quitter leurs fonctions. Dans ces conditions, comment voulez-vous que nos interlocuteurs étrangers y croient ? La confiance que la France doit susciter à l'extérieur doit reposer sur une confiance interne.
Outre la question budgétaire, il y a le problème de la ligne politique suivie. Quelle est la ligne politique de la France et quelle doctrine développons-nous au travers de notre réseau de centres culturels et de l'Alliance française ? Je vous le dis franchement, tout cela est flou. Cela ne date pas de votre arrivée aux responsabilités, puisque j'avais tenu les mêmes propos à l'adresse de votre prédécesseur.
Certes, je sais bien que les ministres des affaires étrangères sont pris par un emploi du temps terrifiant et sont absorbés dans des tâches immenses, mais il faut absolument que nous mettions en place un dispositif interministériel. J'ai d'ailleurs toujours plaidé pour que le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture s'impliquent davantage dans la gestion de notre politique culturelle extérieure et y consacrent eux aussi des moyens. Après tout, le budget de l'éducation nationale, qui représente quelque 100 milliards d'euros, pourrait bien être sollicité pour contribuer à la défense de la pensée française et de la diversité culturelle dans le monde. Il est inadmissible que votre ministère assume seul les dépenses de cet ordre ! J'ai d'ailleurs lu des textes tout à fait remarquables de M. Aillagon sur ce sujet. Nous devons regrouper nos forces et sans doute, à cette fin, procéder à une réforme institutionnelle, comme je le préconisais dans un rapport, pour que la tête de réseau soit mieux identifiée, plus opérationnelle, et que le message politique passe mieux.
Pour en revenir à la situation budgétaire, je rappellerai que j'avais émis une proposition pour la mise à niveau du réseau culturel français à l'étranger. Le coût de sa mise en oeuvre était de 500 millions de francs sur cinq ans, soit environ 80 millions d'euros. L'année suivante, on a consenti un petit geste, à hauteur de 20 millions de francs. C'était toujours cela de pris, mais l'effort restait très insuffisant. Depuis, monsieur le ministre, à cause des régulations budgétaires, nous régressons. J'estime qu'il faut réagir et mettre un terme à cette évolution.
C'est là une question essentielle pour l'identité de la France dans le monde. Nous devons sans doute être forts militairement, je n'en discute pas, mais nous devons aussi être forts sur le plan culturel, être présents dans le combat pour la diversité culturelle.
Or la défense de cette dernière passe par la création d'industries locales, et l'UNESCO, qui lance actuellement un grand programme sur ce thème, reproche à la France, qui a fait de la diversité culturelle son cheval de bataille dans les négociations commerciales multilatérales, de rester en retrait. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que nous sommes noyés dans un magma d'idées générales, sans disposer d'une ligne directrice ni de moyens suffisants.
Nos moyens étant ce qu'ils sont, il serait du moins nécessaire de savoir qui pilote l'action culturelle française à l'étranger et selon quel axe de pensée. Monsieur le ministre, sans vouloir vous faire porter la responsabilité d'une situation qui perdure depuis de longues années, je vous le dis solennellement ce soir : nous sommes en situation de crise, non pas seulement financière, mais aussi intellectuelle. Il s'agit de définir le positionnement de la France par rapport aux autres pays. Notre discours généreux est en trop profond décalage avec la réalité, et l'on constate une perte de confiance, tant à l'intérieur du dispositif que parmi nos partenaires étrangers. Je n'ai nullement la volonté de vous agresser ou de créer une polémique en disant cela ; c'est ma conviction profonde, fondée sur ma connaissance du terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. « Voulons-nous être une grande puissance dans la nouvelle organisation du monde ? Telle est la question essentielle à se poser pour que la France puisse peser sur les enjeux identitaires qui refont surface avec une brutalité dont les attentats du 11 septembre 2001 ont illustré l'effroyable noirceur. »
Ces propos sont de vous, monsieur le ministre, et nous les faisons nôtres. Les enjeux culturels, dans un monde en quête d'identité et dans lequel les cultures constituent le nouvel élément clé de notre destin, représentent le défi véritable de cette troisième mondialisation, après celles de la Déclaration des droits de l'homme et de la globalisation économique renforcée par l'affaiblissement de la tension Est-Ouest.
Que veut maintenant la France, fidèle à son riche passé et qui doit néanmoins s'exprimer sur les changements de l'avenir, dans ce combat engageant son existence ? Le futur est plein de ressources, à la condition de sortir de la dictature de la non-décision.
J'évoquerai trois des principaux secteurs de cette action qui nourrit nos préoccupations : la modernisation du ministère des affaires étrangères, la gestion de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger et la configuration de la chaîne française d'information internationale.
Concernant en premier lieu la modernisation du ministère des affaires étrangères, la réflexion engagée par le Quai d'Orsay conduit à proposer un plan d'action stratégique pour les quatre prochaines années. Il comporte un grand nombre de propositions, cent sept au total, mais il faut regretter que seules dix-sept d'entre elles concernent directement le « culturel et le développement ».
Cette troublante constatation chiffrée ne peut que préoccuper celles et ceux qui attachent un intérêt majeur à l'action extérieure de la France.
Le contexte de rigueur budgétaire exige des arbitrages politiques, certes douloureux. Cependant, est-il légitime, étant donné l'intérêt national en cause, de s'interroger sur les modalités d'une démarche menée uniquement par l'administration et qui donnera vraisemblablement comme résultat la rédaction d'un énième plan de reconfiguration du dispositif culturel, sous-tendu d'abord et avant tout par des mesures d'économies budgétaires, imposées et nécessaires ?
La réflexion sur l'action extérieure de la France doit être conduite de manière plus large que celle qui a été entreprise par l'administration. Des enjeux aussi essentiels ne méritent-ils pas que l'on associe la classe politique à la réflexion et que l'on consulte également la société civile ?
L'Etat doit apprendre un rôle plus modeste et aussi plus difficile, à savoir celui de mettre en place des services publics plus performants.
Désespérément arc-boutées sur une vision unique tirée d'un modèle unitaire, autoritaire et tutélaire aujourd'hui dépassé, les administrations centrales, de moins en moins réactives, aspirent encore à jouer le rôle d'opérateur, à l'encontre de l'affirmation du Président de la République, M. Jacques Chirac, qui considère qu'elles doivent dorénavant se consacrer à leurs missions principales de conception, d'animation des politiques et de contrôle de l'application de celles-ci.
Une articulation durable et cohérente entre la langue et le message culturel français a d'abord façonné la physionomie de l'action internationale de la France. La langue et les questions d'enseignement du français à l'étranger ont, ensuite, toujours été les vecteurs essentiels du rayonnement national, et elles demeurent aujourd'hui l'un des enjeux de la compétition mondiale pour la conquête politique ou la quête de nouveaux marchés.
Veillons donc à ne pas détruire tant d'années d'efforts ! Trouvons des solutions modernes, innovantes et, en tout cas, adaptées aux contraintes budgétaires.
A cet égard, évitons de nous appesantir sur le projet de budget pour 2004 du ministère des affaires étrangères, car la progression officielle de 2,52 % du montant de ses crédits est en trompe-l'oeil.
En effet, le ministère a mis en oeuvre en 2003 de sévères mesures de régulation budgétaire, pour plus de 250 millions d'euros. Le budget voté par le Parlement ne correspond guère à la réalité des crédits disponibles, ce qui est inadmissible.
L'interruption de l'activité de la valise diplomatique ou l'annulation de concours de recrutement, faute de crédits pour louer des salles, conduisent à des situations totalement absurdes. Que dire, par ailleurs, et cela est encore plus grave, du versement de salaires à des agents expatriés que l'on prive de moyens d'action ?
Combien de temps pourrons-nous tenir dans ces conditions ? Les mesures de régulation portaient jusqu'à présent sur les crédits d'intervention qui permettent d'animer cet incomparable réseau d'aide et d'influence dont la France s'est dotée à l'extérieur de son territoire. Ces mesures affectent, aujourd'hui et pour la première fois, les rémunérations et autres indemnisations des agents expatriés, qui mènent une grève suivie, selon les dernières informations recueillies. Une telle situation n'est pas acceptable : conséquence du mauvais héritage d'une vision à court terme entraînant une gestion au coup par coup des moyens financiers et des ressources humaines, elle nuit à l'image de notre pays à l'étranger.
La loi organique de 2001 relative aux lois de finances devrait permettre, cependant, de passer d'un budget de moyens à un budget orienté vers les missions et les résultats. Soyons confiants dans cette gestion nouvelle. Nous verrons bien à l'usage !
Le budget des affaires étrangères regroupe 44 % des crédits consacrés à l'action extérieure de la France. Ces crédits devraient être affectés, en tout ou partie, à une mission interministérielle portant sur l'action de la France à l'étranger. Cela présenterait l'avantage de permettre au ministre des affaires étrangères de mieux affirmer le rôle de coordination et de synthèse qu'il revendique légitimement.
En deuxième lieu, j'évoquerai la gestion de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.
Depuis plusieurs années, le principe d'une participation du ministère de l'éducation nationale à la gestion de l'AEFE a été avancé, avec le très fort soutien du Conseil supérieur des Français de l'étranger, que vous présidez de droit, monsieur le ministre.
L'an passé, à l'occasion de l'examen des crédits de votre département ministériel, vous nous aviez dit avoir trouvé l'AEFE au bord de l'asphyxie financière. De 1997 à 2002, on a noté une augmentation sensible, à hauteur de 6 %, du nombre d'enfants français scolarisés dans ce réseau, et, pour 2004, la subvention à verser à l'AEFE, sous tutelle unique du ministère des affaires étrangères, sera de 332 millions d'euros, soit une diminution de 1,8 %. Aucune académie en France ne pourrait fonctionner avec des effectifs scolarisés en hausse et des crédits de fonctionnement en baisse !
A la progression des bourses scolaires s'ajoute la hausse constante de la charge financière supportée par les parents d'élèves, qui assument désormais 60,3 % du coût total de fonctionnement des établissements français à l'étranger. La spirale inflationniste devient ingérable, et la situation actuelle de l'AEFE implique de prendre des décisions courageuses et claires.
La recherche des économies demandées requiert, au préalable, la définition de priorités, car un « bricolage » sans perspective ni ambition réalistes serait désastreux pour l'avenir de l'agence.
Le 28 octobre dernier, devant le Conseil économique et social, vous vous êtes déclaré « évidemment ouvert », selon vos propres termes, à une cotutelle du Quai d'Orsay et du ministère de l'éducation nationale sur l'enseignement français à l'étranger. Il faut maintenant, monsieur le ministre, engager rapidement une réflexion sur ce thème avec votre collègue Luc Ferry, ministre de l'éducation nationale, qui se montre a priori favorable à une plus grande synergie interministérielle.
Nous entendons bien qu'un tel partenariat ne saurait être une fin en soi et reposer sur le partage de la seule charge financière. Nous devons, et c'est notre souhait commun, lui donner un sens et des objectifs, autour d'un véritable projet éducatif international. Votre idée d'un baccalauréat international est, à cet égard, une bonne idée.
Il devient dès lors indispensable que l'Etat conclue un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, comportant, à partir d'un état des lieux détaillé, un engagement de l'agence sur des résultats.
Nous devons, parallèlement, explorer d'autres possibilités de financement de l'agence, par le biais d'associations ou de fondations qui défiscalisent les dons versés par des entreprises oeuvrant à l'échelon internationnal à des organismes d'intérêt général concourant à la diffusion de la langue et de la culture françaises. C'est juridiquement possible, faisons-le !
Par ailleurs, ne serait-il pas normal que le ministère de l'éducation nationale participe à l'attribution de bourses scolaires aux enfants français, comme c'était le cas voilà quelques années ?
Ne serait-il pas également normal que ce même ministère soit davantage associé à la gestion financière des personnels enseignants titulaires, expatriés et résidents, qui contribuent fortement au rayonnement culturel de la France ?
La transformation de la délégation aux relations internationales et à la coopération en direction ministérielle ne souligne-t-elle pas le renforcement de la dimension internationale de l'action du ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche ?
En matière de coopération, nous souhaiterions, en outre, connaître les intentions de votre département ministériel. La suppression d'un grand nombre de postes d'assistant technique ne conforte pas, à l'évidence, la présence de la France dans les pays en voie de développement, spécialement en Afrique. Entre 1993 et 2002, les effectifs sont passés de 4 877 à 1 307, soit une baisse de 73 %. Et que dire de l'arrêt et de la suppression brutale de programmes, comme au Sénégal ou au Niger, faute des crédits nécessaires ? Nous le savons, le désengagement de la France signifie l'implication croissante d'autres pays.
En troisième et dernier lieu, je traiterai de la configuration d'une chaîne d'information audiovisuelle extérieure.
La création d'une chaîne française d'information internationale constitue une ambition forte portée par le Président de la République. Chacun s'accorde à reconnaître les progrès accomplis par Radio France internationale, qui pâtit cependant de la double tutelle du ministère des affaires étrangères et de celui de la culture et de la communication, dont les objectifs souvent ne concordent pas. Citons également TV5, qui a amélioré de manière significative la qualité de ses programmes.
On constate, toutefois, l'absence d'une grande chaîne d'information internationale en français et plurilingue, capable de rivaliser avec la BBC ou CNN. Le ministère des affaires étrangères, qui avait, en 2003, reporté l'inscription de crédits à cette fin à l'année suivante, reste timide à l'égard de ce grand projet audiovisuel extérieur. Il est incompréhensible de se placer, une fois de plus, dans l'attente de décisions à venir en ce qui concerne le lancement de cette chaîne.
Le rapport Brochand au Premier ministre préconise de retenir une solution associant un opérateur public, Francetélévisions, et un opérateur privé, TF1, soit deux actionnaires de référence aux intérêts contrastés et qui cantonneront à un second rôle tant RFI que l'AFP, deux entreprises de presse mondiales oeuvrant depuis longtemps à la pratique d'une nécessaire diversité culturelle, avec un savoir-faire professionnel exceptionnel. A l'heure d'un partenariat renforcé entre la France et l'Allemagne, le rapport Brochand n'explore pas, en outre, les potentialités audiovisuelles extérieures de notre premier partenaire dans l'Union européenne. Je pense ici à la complémentarité qui pourrait être trouvée avec la Deutsche Welle.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Louis Duvernois. J'en termine, monsieur le président.
Dans l'attente du rapport de synthèse au Premier ministre, dont la remise, prévue en décembre, est reportée, semble-t-il, à 2004, on peut douter de la force et de la viabilité du processus en cours, qui aurait certainement exigé, en amont, une « remise à plat » d'un paysage audiovisuel français éclaté en chapelles concurrentes.
Nous croyons qu'il est temps, pour votre ministère, de s'engager pleinement dans la création d'une chaîne de télévision internationale « tout-info », après avoir considéré les années 2002 et 2003 comme une période de transition.
Devant la stagnation des crédits affectés à l'action culturelle extérieure de la France et de ceux qui sont consacrés à la promotion de la langue française, il convient, monsieur le ministre, d'améliorer, par le redéploiement des ressources financières et humaines, les moyens d'intervention des centres culturels et de coopération scientifique.
Insatisfait du projet de budget présenté pour le ministère des affaires étrangères, solidaire néanmoins des réformes engagées par le Gouvernement, je suis, malgré tout, favorable à l'adoption des crédits proposés.
M. le président. La parole est à M. Hubert Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'examen du projet de budget des affaires étrangères pour 2004 intervient dans un contexte davantage marqué par la réforme que par la rigueur, puisqu'il s'agit d'un budget prioritaire, qui bénéficie d'une hausse de crédits de 2,5 %, essentiellement dédiée à l'aide publique au développement.
Le paradoxe de cette situation est qu'elle mécontente un peu tout le monde, par l'effet des restrictions de crédits inévitables dans certains secteurs, ou par celui de la modification des structures, mouvement qui doit se poursuivre dans le droit-fil de la politique de réforme définie par le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre. La grève inédite que connaît aujourd'hui le ministère et la manifestation qui se déroule devant le Sénat à l'appel des syndicats des personnels des affaires étrangères montrent la difficulté de l'exercice.
Si l'action extérieure de la France exige des moyens pour s'affirmer, elle requiert aussi du volontarisme politique et de la continuité dans le message dispensé au monde. Sur ce point, on ne peut que se réjouir, messieurs les ministres, de votre action à la tête de la diplomatie française, concernant non seulement la crise en Irak, qui fut le point d'orgue de l'expression de notre souveraineté dans le concert des nations, mais aussi d'autres dossiers brûlants, comme la menace nucléaire en Iran, l'application de la feuille de route pour la paix au Moyen-Orient ou les fractures graves en Afrique. Du reste, c'est quand la France s'associe à d'autres volontés européennes que son influence est le plus manifeste. Messieurs les ministres, la France a-t-elle une réelle capacité d'entraînement en Europe, et sa vision du monde vous paraît-elle partagée par l'ensemble des Etats membres, y compris par les nouveaux entrants dans l'Union ?
La politique étrangère dépend aussi du réseau de diffusion qu'elle se forge pour la mener à bien. Or votre cadre budgétaire toujours restreint, qui représente 1,25 % du budget de la nation, constitue un handicap. On peut regretter que, face aux enjeux de la mondialisation, les crédits de l'action extérieure de la France n'aient pas été regroupés au sein de votre seul ministère, ou dans un comité interministériel placé sous votre autorité, afin de donner une cohérence à 100 % des dépenses de l'Etat pour son action extérieure, au lieu de 44 % actuellement.
Les contributions aux organismes internationaux grèvent une partie des crédits, sans que nos apports volontaires soient portés à la hauteur des attentes. En 2004, seule la francophonie verra notre contribution s'accroître de 11,5 %, après trois années de stagnation. Cette insuffisance nuit à l'influence et la crédibilité françaises dans les instances internationales, en particulier à notre langue. La France recule au cinquième rang des pays contributeurs au budget de l'ONU, qui vient de décider de regrouper à Bruxelles les activités de ses centres d'information en Europe, à l'exception de Genève et de Vienne. Or, sur les six langues officielles de l'ONU, seuls l'anglais et le français sont les langues de travail. L'abandon de Paris par les Nations unies est un sérieux revers pour la francophonie. La langue est, en effet, une dimension du patriotisme et, en ce sens, nous devons soutenir le projet de l'UNESCO d'instaurer une convention prônant la défense de l'identité culturelle.
La France s'appuie, pour la diffusion de sa langue et de sa culture à l'extérieur, sur un très vaste réseau d'établissements scolaires, d'instituts et d'alliances françaises, très prestigieux, qui font encore sa renommée aujourd'hui. De nombreux pays comptent, en effet, sur le réseau éducatif français, comme cela a été le cas du lycée technologique de Mexico accepté par le Général de Gaulle en 1964 sur la demande expresse du président de la République mexicaine Adolfo López Mateos. S'agissant des écoles françaises à l'étranger, les crédits stagnent ou diminuent en 2004, situation jugée préoccupante par le Conseil économique et social, qui s'est interrogé dans un rapport publié récemmment sur l'avenir de l'enseignement français à l'étranger.
L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, qui scolarise près de 160 000 élèves français et étrangers, voit, pour 2004, ses crédits baisser de plus de 6 millions d'euros, pour atteindre 332 millions d'euros. Même si cette dimunution est, pour l'essentiel, imputable à des éléments extérieurs au fonctionnement de l'Agence - l'effet de change par exemple -, aucune marge de manoeuvre ne lui sera permise. La participation de l'Etat s'est réduite d'année en année et ne représente aujourd'hui que 38 % du coût total de l'enseignement français à l'étranger. Heureusement, les crédits de bourses scolaires s'accroissent de 1 million d'euros, ce qui permettra la continuité du soutien à la scolarisation en faveur de nos ressortissants à l'étranger.
Dans vos efforts de rationalisation du réseau, monsieur le ministre, envisagez-vous de maintenir et même, si la situation le nécessite, d'accroître les crédits de bourses pour nos expatriés ?
La dépendance des établissements français à l'étranger à la seule aide budgétaire du ministère des affaires étrangères leur confère un caractère de précarité. Certains ont donc pensé à faire appel au ministère de l'éducation nationale et de la recherche, pour résoudre ce problème financier. Mais une cotutelle peut-elle être justifiée par le seul transfert de charges ? Sans sous-estimer le rôle de l'éducation nationale, qui fournit d'excellents professeurs et veille à la bonne pédagogie, je pense que le ministère des affaires étrangères et l'AEFE se sont fort bien acquittés de leurs responsabilités à l'égard de nos établissements à l'étranger. La cotutelle ne risque-t-elle pas de créer plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait ? En effet, l'éducation nationale est essentiellement centrée sur l'Hexagone et les départements et territoires d'outre-mer. Or c'est dans le cadre de l'Union européenne qu'il faut imaginer d'autres formules comme les regroupements de nos écoles avec celles d'autres pays européens ; c'est déjà le cas à Taïwan avec les Anglais et les Allemands, aux Philippines avec les Allemands et les Hollandais, ainsi qu'à Shanghai avec les Allemands.
Il convient aussi de développer les sections françaises à l'intérieur des établissements étrangers dans des pays où l'enseignement est d'une qualité comparable à la nôtre, à l'instar de Canberra en Australie. De même, il faut développer tout système de coopération débouchant sur la délivrance de diplômes internationaux, reconnus d'abord dans toute l'Union européenne.
Les savoir-faire du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'éducation nationale doivent être mis en synergie, mais la formule de la cotutelle est-elle la mieux adaptée ? Votre avis sur ce point nous intéresse, monsieur le ministre.
Il faudra, par ailleurs, résoudre la question de l'acquisition de nos implantations à l'étranger, pour lesquelles les crédits du titre V sont notoirement insuffisants. J'ai cru comprendre, monsieur le ministre, que Bercy autorisait désormais le recours aux dispositions de la loi du 2 juillet 1966 sur le crédit-bail, ou une formule analogue. Cette information est-elle exacte ?
En conclusion, le budget du ministère des affaires étrangères, bien que difficile, doit permettre de poursuivre l'action engagée voilà dix-huit mois. Me félicitant du renforcement des crédits pour la sécurité des Français à l'étranger, du maintien du budget de la coopération militaire et de défense, de l'effort en faveur de l'aide au développement, tous ces éléments concourant à l'influence de notre pays dans le monde, je voterai votre projet de budget pour 2004, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Goulet.
M. Daniel Goulet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je n'ai pu assister cet après-midi au débat sur le projet de budget du ministère des affaires étrangères, puisque j'étais à Genève où j'ai assisté, avec d'autres invités, au lancement du pacte de Genève. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler. N'ayant donc pas assisté aux interventions de mes collègues, vous voudrez bien me pardonner si je reviens sur un certain nombre de thèmes qu'ils ont déjà évoqués.
Monsieur le ministre, je considère, pour ma part, que votre budget n'est pas un budget comme les autres. Votre administration n'est pas une administration comme les autres. Vous représentez en effet la France dans le monde, à l'extérieur de nos frontières. Vos diplomates en poste dans le monde entier sont les relais de votre politique et le reflet de la grandeur de la France en tant que puissance mondiale.
Peut-on, dès lors, parler de grandeur sans avoir les moyens financiers pour asseoir des actions multiples qui m'apparaissent, quant à moi, de plus en plus importantes et par conséquent prioritaires ?
Comme le disait le philosophe Otto Marquard : « Avec l'âge vient la faculté de théoriser, c'est-à-dire de dire les choses commes elles sont et non pas comme on voudrait qu'elles soient. Le discours alors ne s'illusionne plus. L'âge permet en quelque sorte de dire la vérité puisqu'il ne s'agit plus de ménager son propre avenir, qui est par définition derrière soi. » Alors, je vous le dis franchement, monsieur le ministre, nous avons le devoir impératif de soutenir votre action, mais comment faire avec le document budgétaire qui nous est proposé et qui, à de rares exceptions près, n'est qu'une douloureuse litanie d'annulations de crédits et de modestes reconductions.
Comprenez-moi bien, monsieur le ministre, il est indéniable que, dans votre administration comme dans toutes les autres, des économies sont possibles et même souhaitables, que chacun a pu constater certaines gabegies de papier, de documentations diffusées sans considération du destinataire.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Et les missions inutiles !
M. Daniel Goulet. Votre ministère n'est pas le seul concerné. Voilà quelques mois, j'avais d'ailleurs demandé au ministre de la réforme administrative de bien vouloir limiter, pour l'ensemble des ministères, les publications et les kilos de documents que nous recevons tous chaque jour, alors que leur contenu est intégralement accessible sur internet.
C'est un point d'économies qui peut certes paraître ridicule à cette heure, mais qui n'en existe pas moins ! J'attends encore que les promesses en ce sens soient suivies d'effets : les habitudes ont la vie dure.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Et les imprimeurs sont importants !
M. Daniel Goulet. Mais revenons à notre sujet, monsieur le ministre.
Les économies que vous engagez sont louables. Vous jouez, bien entendu, la solidarité gouvernementale. En effet, toutes les économies réalisées vont dans le meilleur des sens. Toutefois celles qui concernent votre ministère ne sont malheureusement pas d'égale valeur. Une économie de 100 euros d'électricité ou de papeterie ou d'entretien d'ascenseur n'a pas la même valeur que 100 euros de suppression de crédits dans le fonctionnement d'une ambassade. Je m'explique à la lumière de quelques exemples.
Récemment, j'ai rencontré certains de vos agents, comme ceux des autres ministères, notamment du ministère de l'économie et des finances et du ministère du commerce extérieur, qui voyagent, ce qui est peut-être normal pour eux, en première classe, alors qu'ils sont chargés à travers le monde des contrôles budgétaires de nos ambassades. C'est un comble ! Qu'ils commencent par faire eux-mêmes des économies ! Dans le même temps, vos ambassadeurs doivent, à travers le monde, faire signer un registre pour leurs invités afin que leurs dépenses de réception soient contrôlées. Cette mesure de défiance à l'égard de nos ambassadeurs porte atteinte au prestige de la France à l'étranger. Jugée humiliante pour les invités, surtout dans certains pays asiatiques ou arabes dans lesquels la notion d'hospitalité répond à des critères très stricts, cette démarche, sans doute cogitée par des énarques parisiens, me paraît vexatoire. Alors, monsieur le ministre, interdisez à vos fonctionnaires l'usage de la classe « affaires », qui doit être réservée aux ambassadeurs et aux consuls, et abandonnez la pratique ridicule et sans impact budgétaire de ce livre de présence des invités de la France à travers son réseau diplomatique.
Autre exemple, à la page vingt-deux du rapport de l'Assemblée nationale, le rapporteur M. Eric Woerth mentionne une innovation : des crédits de 3,37 millions d'euros non reconductibles permettront d'abonder en gestion les moyens de fonctionnement des services si - le « si » a son importance - les recettes provenant des délivrances des visas dépassent de 10 millions d'euros celles qu'ont été enregistrées pour 2002. Je ne sais pas très bien de quoi il s'agit, mais peut-être allez-vous nous éclairer. Si cette disposition conditionne un crédit à une obligation de résultat des services des visas, je ne comprends pas très bien. Il ne s'agit pas d'une obligation de bonne exécution du travail consistant à recevoir les usagers dans de bonnes conditions, ne pas les faire trop attendre aux guichets et les aider à comprendre les formulaires. Non, rien de tout cela, me semble-t-il. Il s'agit d'une obligation de résultat appréciée au nombre de visas délivrés. Alors là, je dis non, franchement non ! J'aimerais avoir en face de nous le fonctionnaire de Bercy qui a eu cette lumineuse idée, sans doute après consultation du ministère de l'intérieur, pour qu'il nous en expose les motivations et, surtout, les effets.
La délivrance d'un visa est un acte politique et de sécurité, notamment en cette période de mondialisation du terrorisme. Conditionner une subvention comme cela est décidé constitue, à mon avis, un non-sens du point de vue de la gestion financière et de la sécurité du territoire.
Puisque nous parlons de rationaliser les actions et de faire des économies, parlons maintenant, une nouvelle fois - d'autres ont évoqué ce point avant moi, mais je tiens à apporter ma contribution au débat -, de tous les problèmes liés à la francophonie, qui rime si souvent avec cacophonie. Je n'ai rien inventé puisque cela a déjà été dit à cette tribune.
Il s'agit d'un sujet que je connais pour avoir présidé, avant notre collègue M. Louis Duvernois, une association importante qui envoyait plus de six millions de livres dans plus de cent pays, livres qui provenaient effectivement des grandes sociétés d'édition, ce qui évitait un gâchis puisqu'ils échappaient ainsi au pilon.
Pour cela, combien d'efforts et combien de temps passé pour rechercher des subventions !
Depuis des années, et déjà avec votre prédécesseur et ses services qui, j'imagine, sont devenus les vôtres, j'ai tenté d'engager une grande réforme de la francophonie, d'engager ou en tout cas d'y contribuer modestement. Monsieur le ministre, il y a trop d'associations - j'en ai relevé un certain nombre que je connais bien -, d'agences, de forums et ainsi trop de subventions attribuées, et pas toujours après évaluation. Chaque association organise son colloque ici ou là selon les circonstances, pour la plus grande gloire, bien éphémère d'ailleurs, de son président, mais quelle cohérence et quel résultat global ?
Il faudrait, monsieur le ministre, commander un état des lieux de toutes ces organisations chargées de la francophonie. Vous feriez ainsi oeuvre utile.
Par ailleurs, c'est le domaine de prédilection où doit se développer un partenariat public-privé. Nous allons, avec M. Louis Duvernois, l'imaginer, et je pense que cet exemple pourrait être suivi. Il est plus normal de faire financer ou cofinancer une opération de francophonie par une grande marque de voitures française que de lui demander de contribuer à payer des petits fours de la réception du 14 Juillet dans telle ou telle de nos ambassades !
Au sujet de la cohérence, j'ai relevé à la page trente-deux du rapport pour avis de notre collègue Mme Monique Cerisier-ben Guiga que cent quarante et un enseignants étaient détachés à Monaco. Je rappelle que treize seulement sont détachés en Chine, vingt-cinq au Japon et six au Brésil. Là encore, je ne comprends pas très bien. Peut-être pourriez-vous nous expliquer les raisons de cette situation. Je ne pense pas que les Monégasques aient besoin d'un soutien logistique de la part du ministère des affaires étrangères ; peut-être cela pourrait-il relever du ministère de l'éducation nationale. Un tel poste, monsieur le ministre, à le supposer fondé, dépend-il vraiment de votre budget ?
Pourriez-vous satisfaire ma curiosité ? Elle est certes anecdotique, mais dans la situation budgétaire qui vous est faite et par conséquent qui est faite à la diplomatie française, il me serait agréable d'avoir des précisions sur la question des enseignants détachés à l'étranger.
Je pourrais aussi vous parler, monsieur le ministre, de la place de la France dans un certain nombre d'organisations dites internationales. Il serait, là aussi, nécessaire de débattre plus longtemps, mais le temps nous est compté. Je citerai seulement l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO. Avec votre collègue de la défense, il faudrait envisager une consultation très sérieuse en vue, peut-être, de dissoudre cette assemblée dont les missions ont, depuis longtemps, été transférées à l'Union européenne. Cette assemblée aurait déjà dû être dissoute. Malheureusement, la pression des personnels et des hauts cadres de cette noble assemblée a été la plus forte. Nous sommes ici dans un cas d'acharnement thérapeutique diplomatique, mais pour un coût exorbitant et des budgets qui trouveraient certainement une meilleure utilisation. Par exemple, je vous suggère d'aider à la réfection du lycée français d'Abu Dhabi, mais nos collègues représentant les Français établis hors de France vous en ont sans doute déjà parlé.
En conclusion, monsieur le ministre, vous en conviendrez, il n'est pas anormal que nous nous interrogions - et je suis de ceux-là - sur le véritable contenu de ce budget, qui, en réalité, relève plus de difficultés comptables et financières qui sont imposées par Bercy. Néanmoins, vous pouvez compter sur mon soutien dans toutes les actions difficiles qui sont les vôtres et que vous menez si bien à la tête de ce département ministériel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord saluer la grande qualité des contributions de vos commissions et de vos rapporteurs et remercier tous les orateurs de leurs interventions, en particulier le président André Dulait, ses appréciations sur notre gestion budgétaire et sur notre action en Côte d'Ivoire et au Moyen-Orient étant autant d'encouragements. Votre travail de fond, lucide et attentif, mesdames, messieurs les sénateurs, sur nos missions et nos moyens, a souligné les efforts de rigueur du ministère des affaires étrangères, dans un contexte budgétaire difficile.
De même, vous avez mis en évidence le respect des priorités assignées par le Président de la République, notamment pour l'aide publique au développement - M. Pierre-André Wiltzer en exposera le contenu tout à l'heure -, la qualité du service rendu à nos compatriotes à l'étranger et la réforme du droit d'asile.
Vous avez tous relevé enfin notre volonté de poursuivre résolument la réforme de l'action extérieure de l'Etat.
Alors que le Quai d'Orsay, fait sans précédent, est en grève aujourd'hui, j'y reviendrai dans un instant, nous sommes particulièrement sensibles à votre soutien à notre action, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi qu'aux orientations de ce projet de budget pour 2004, certes marqué par la rigueur, mais surtout par la ferme volonté d'adapter notre outil diplomatique aux défis qui se présentent à nous.
Pour tenter d'être synthétique et le plus précis possible dans mes réponses, je les regrouperai autour de trois thèmes. Tout d'abord, les perspectives de réforme du ministère sont-elles conformes aux objectifs du Gouvernement ? Ensuite, les crédits ouverts sont-ils à la hauteur de nos ambitions ? Enfin, où en est notre diplomatie sur plusieurs dossiers d'actualité ?
Nos efforts de modernisation sont-ils à la hauteur des ambitions de la réforme de l'Etat ?
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, les organisations syndicales du ministère des affaires étrangères ont appelé à la grève aujourd'hui. Ce mouvement est très suivi, avec un taux de participation à la mi-journée de plus de 50 % dans nos postes à l'étranger, d'un tiers à Paris, d'un quart à Nantes. Il doit être pris au sérieux.
Car cette mobilisation traduit l'incertitude, le doute, la crainte même des agents du ministère devant la détérioration de leurs conditions de travail et de rémunération. Ces hommes et ces femmes ont conscience des efforts, des sacrifices même, auxquels ce ministère a consenti depuis des années. Ils souscrivent, dans l'esprit de responsabilité qui est le leur, à la volonté de réforme que j'ai constamment exprimée depuis dix-huit mois. S'ils sont convaincus qu'il faut aller de l'avant pour maximiser les atouts de notre diplomatie, ils sont tout autant persuadés que cet effort ne peut reposer sur le seul ministère des affaires étrangères.
C'est un message de justice, de volonté et d'ambition que je veux vous transmettre aujourd'hui, parce que je crois à la modernisation de notre Etat, et à celle de notre action extérieure. Je sais pouvoir compter sur les agents du Quai d'Orsay dans cette entreprise nécessaire. Mais eux-mêmes veulent être assurés que leur engagement dans cette réforme se fera sous le signe de l'équité et que les autres acteurs de l'action internationale de la France prendront leur part dans la vaste rénovation en cours.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons entendre cet appel et avancer dans la voie de la réforme avec encore plus de détermination.
Détermination pour ne pas décevoir leurs attentes légitimes, bien sûr. Détermination aussi, car chacun mesure combien, au-delà de nos frontières, partout dans le monde, c'est bien le destin des Français et des Européens qui se joue. Le ministère des affaires étrangères a la responsabilité particulière d'éclairer l'avenir, et cette responsabilité le place nécessairement au coeur de l'action extérieure de l'Etat.
Cette fonction stratégique nous impose le devoir de nous réformer. S'il veut pleinement remplir sa mission, ce ministère doit être à la pointe de la modernisation de l'Etat. C'est tout le sens de l'action que je mène avec trois objectifs prioritaires : tout d'abord renforcer la capacité stratégique du Quai d'Orsay pour mieux définir les priorités de l'action extérieure de la France ; ensuite, assurer la cohérence interministérielle de notre action diplomatique ; enfin, rénover les méthodes et les outils, en valorisant davantage les compétences de notre ministère.
Avec ces objectifs, mon ambition est bien de mettre en cohérence l'action extérieure de l'Etat pour qu'elle soit à la hauteur de la place de la France dans le monde.
Il faut donc fédérer toutes les énergies qui y concourent. Voilà pourquoi, dans le cadre de la nouvelle constitution financière de l'Etat, je plaide pour une mission interministérielle « action extérieure de l'Etat ». Elle devra permettre d'avoir, enfin, une vue d'ensemble de l'action des différents départements ministériels qui agissent à l'étranger et, bien évidemment, de mieux hiérarchiser et rationaliser nos priorités.
Comme le dit le président André Dulait, nous sommes à la recherche d'une « cohérence interministérielle accrue pour notre action extérieure ». Une mise en cohérence que Jacqueline Gourault, Jacques Chaumont et Daniel Goulet ont légitimement appelée de leurs voeux.
C'est tout l'objet de la stratégie ministérielle de réforme que j'ai soumise au Premier ministre, à l'issue d'une consultation approfondie de l'ensemble des agents de mon ministère.
Cette stratégie passe par trois étapes : une étape politique et parlementaire d'abord. En rassemblant, au-delà du « jaune budgétaire », dont le caractère lacunaire et tardif souligné par Guy Branger dans son rapport, tous les moyens de l'Etat au sein d'une mission interministérielle « action extérieure », vous aurez enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, une vision consolidée des actions de la France en dehors de ses frontières en même temps qu'une meilleure maîtrise des crédits qu'elle y consacre. Plusieurs d'entre vous - notamment MM. Branger, Durand-Chastel ou de Montesquiou - l'ont dit avec force.
Quand je défends devant vous les crédits de mon ministère, il ne s'agit que de 45 % environ des crédits de l'action extérieure de l'Etat. Il manque tout le reste et nous voyons bien, dès lors, que la stratégie d'ensemble est peu lisible et ne permet pas de faire dans la clarté les choix nécessaires. Si chacun des ministres concernés contribuait à ce débat, la représentation nationale et nos concitoyens n'en seraient-ils pas mieux informés ? N'est-ce pas là que résident aussi les disparités et les redondances que vos missions à l'étranger décrivent avec constance ? N'est-ce pas ainsi que devient possible la réforme du réseau procédant de la réflexion interministérielle que Jacques Chaumont appelle de ses voeux ?
C'est donc bien à travers la validation politique, par le Parlement, des finalités et des moyens de notre politique étrangère que nous pourrons lui donner sa pleine cohérence. A défaut, le risque est bien que chaque administration cherche à atteindre ses objectifs propres sans aucune vision d'ensemble.
La deuxième étape, qui vient en appui à cette démarche interministérielle, c'est une réforme en profondeur du ministère des affaires étrangères. Car, pour emporter la conviction, il faut être exemplaire.
Il s'agit d'abord de renforcer notre capacité stratégique pour mieux définir les priorités de notre action extérieure. J'en prendrai trois exemples : rendre tout leur rôle aux directions géographiques qui incarnent la fonction de synthèse politique qui nous incombe ; faire de chaque ambassade une équipe réellement pluridisciplinaire et dont l'unité d'action s'incarnera dans un plan triennal ; enfin, redonner vie au comité interministériel des moyens extérieurs de l'Etat, comme le préconise fort justement André Ferrand, pour mieux coordonner l'ensemble des crédits de personnel, de fonctionnement et d'intervention de l'action extérieure.
Il s'agit ensuite de valoriser les compétences et motiver les agents des affaires étrangères. Comment ? Monique Cerisier-ben Guiga et Danielle Bidard-Reydet s'en sont inquiété. En favorisant avant tout la promotion interne, y compris d'un corps à l'autre, mais aussi en donnant une véritable impulsion à l'exigence d'évaluation, elle sera généralisée à tous les niveaux, d'abord aux ambassadeurs, et inclura les jugements des collaborateurs selon la méthode dite d'évaluation à « 360 degrés ». Les nominations aux emplois supérieurs seront désormais préparées par un comité diplomatique et consulaire réunissant des représentants du ministère chargés de proposer, sur la base des évaluations, des choix en toute transparence.
Il faut enfin, je l'ai dit, rénover les méthodes et les outils du ministère. En réorganisant l'administration centrale pour mieux identifier et encadrer les grandes fonctions stratégiques ; en développant parallèlement une gestion par objectifs, fondée sur un vrai contrôle de gestion et sur l'évaluation des résultats.
Enfin, c'est la troisième étape, cette réforme trouvera sa traduction au niveau local à travers le choix résolu d'une approche interministérielle et déconcentrée. Les instruments de cette démarche commencent déjà à se mettre en place : conférences d'orientation budgétaire au niveau local autour de la pratique des budgets-pays, globalisation des crédits, création de services administatifs unifiés... Il s'agit d'amener l'ensemble des ministères à mettre en place une gestion concertée des crédits de l'action extérieure. Le document cadre que j'ai signé au mois de juin dernier avec Francis Mer en a jeté les bases.
Je suggérerai au Premier ministre d'aller plus loin, en lui proposant d'instaurer un mandat de gestion, par pays, des crédits et des effectifs de tous les services de l'Etat, mandat qui sera confié aux ambassadeurs. Cela devrait répondre aux attentes de Michel Charasse, qui a souhaité davantage d'interministérialité au niveau local.
Vos rapporteurs ont fait une large place au thème de la loi organique relative aux lois de finances. Ce chantier va incontestablement contribuer à la modernisation du ministère, comme le souhaite Louis Duvernois. Jacques Chaumont nous l'a dit : il conduit à une véritable « révolution culturelle » et doit mettre la gestion au coeur des priorités du ministère.
Je viens d'évoquer la mission interministérielle et je me réjouis du consensus qui nous réunit sur ce point. Messieurs Branger, Charasse et Durand-Chastel se sont interrogés sur son périmètre : doit-elle regrouper l'ensemble des crédits de l'action extérieure de l'Etat ou uniquement les crédits d'aide publique au développement ?
L'objectif, selon la LOLF, d'une mission interministérielle est d'apporter aux parlementaires une vision transversale et consolidée d'une politique publique. Il paraît donc nécessaire que la mission « action extérieure de l'Etat » soit la plus large possible et qu'elle regroupe tous les programmes à composante internationale et pas uniquement ceux de l'aide publique au développement. Dois-je rappeler que les coûts de fonctionnement et de structure de l'ensemble de notre action extérieure engloutissent un peu plus de 20 % du montant total des crédits ? Quelle organisation moderne peut souffrir de tels coûts indirects ?
Enfin si, comme certains l'ont souligné, cette mission ne pouvait regrouper la totalité des crédits internationaux, du fait de leur dispersion et de l'impossibilité pour certains ministères de définir des programmes à dimension internationale, la mission pourrait s'accompagner d'un ou de plusieurs projets coordonnés de politique interministérielle permettant d'harmoniser, dans le cadre des finalités politiques décidées par le Parlement, les objectifs de nos interventions extérieures.
La structuration en programmes du budget du ministère des affaires étrangères a suscité, c'est naturel, des interrogations, notamment de MM. Branger, Charasse et Cointat. Paulette Brisepierre a même demandé que cette réforme ne soit pas une « occasion manquée ».
Plusieurs schémas ont été envisagés. La version dont vous avez fait état demeure susceptible de modifications, d'abord parce que le Parlement tient de la LOLF elle-même le pouvoir d'amender les programmes, ensuite parce que nous voulons prendre en compte l'avis du comité interministériel d'audit des programmes, qui analyse en ce moment même nos propositions et, enfin, parce que le Premier ministre aura également à rendre son arbitrage.
Nous avons à ce stade retenu trois programmes correspondant aux trois principaux métiers de notre ministère tels qu'ils apparaissent en particulier, de manière claire, dans les activités de nos postes à l'étranger : un programme « rayonnement et influence de la France », qui réunit les crédits de l'action diplomatique proprement dite ; un programme « coopération et action culturelle », qui regroupe l'essentiel de nos crédits d'action culturelle, scientifique et technique, ceux de l'audiovisuel extérieur et enfin ceux de l'aide publique au développement, y compris le Fonds européen de développement ; un programme, enfin, « réseaux et services publics à l'étranger », où figureront les crédits consulaires ou dédiés aux Français de l'étranger et au CSFE - cela répond à une question de Christian Cointat -, les crédits consacrés aux activités de direction et de gestion du ministère et, à titre provisoire, les crédits de personnel et de fonctionnement des services extérieurs.
Messieurs Charasse et Branger, notamment, s'interrogent sur la pertinence du regroupement des crédits culturels et de l'aide publique au développement dans un même programme.
Ce choix reflète une réalité profonde de communauté de métiers et de complémentarité des actions. Ces politiques ne se détachent pas l'une de l'autre, elles sont menées par les mêmes structures administratives. Ainsi, la politique de coopération universitaire est menée par la même direction, qu'elle concerne des pays de l'OCDE ou des pays en voie de développement.
En outre, la structuration du programme « coopération et action culturelle » en budgets opérationnels de programme répondra au souhait, exprimé notamment par Michel Charasse et que je comprends tout à fait, d'identifier clairement les moyens alloués à ces deux politiques.
Les dépenses de personnels de l'administration centrale sont ventilées entre les trois programmes. Comme je vous l'indiquais à l'instant, les crédits de rémunération des agents expatriés le seront également, une fois que nous aurons tiré tous les enseignements de notre expérimentation des « budgets - pays LOLF » et que la rationalisation en cours de nos réseaux aura porté ses fruits. Répartir les effectifs entre les trois programmes avant d'avoir redistribué les emplois des réseaux compliquerait singulièrement cette tâche déjà délicate.
A cet égard, vous avez tous montré un grand intérêt pour la nécessaire évolution des réseaux du ministère.
Au cas par cas, vous le savez bien, les décisions sont difficiles à prendre. Mmes Gouraud et Cerisier-ben Guiga, MM. Chaumont, Del Picchia et de Montesquiou estiment que les réseaux consulaire et culturel sont surdimensionnés, notamment en Europe. Ces interrogations sont légitimes. Le contexte international a évolué : nous avons le devoir de nous y adapter et cela a été trop longtemps différé.
C'est pourquoi j'ai demandé que l'ensemble des paramètres de notre présence soient examinés, dans un esprit d'innovation. Les chefs de poste ont été consultés afin que les propositions retenues soient au plus près des réalités du terrain et de l'évolution des enjeux. Mais cet exercice n'a de sens que s'il s'incrit dans une démarche d'ensemble, commune à toutes les administrations présentes à l'étranger.
A ce propos, je voudrais rassurer le président André Dulait, qui s'est interrogé sur notre capacité à financer le plan de modernisation du ministère. S'il n'est pas question, sauf exception, de fermetures sèches, nous allons en revanche supprimer les doubles emplois, rassembler les sites, promouvoir la polyvalence de l'encadrement. Telle a été l'inspiration des postes mixtes, alliant fonction consulaire et commerciale, expérience à laquelle je sais qu'André Ferrand est très attaché et qui a donné de bons résultats.
De cet effort devraient émerger des marges de manoeuvres budgétaires, peut-être quelques dizaines de millions d'euros - ce n'est à ce stade qu'une évaluation sommaire - qui seront affectés notamment au financement des dépenses de formation, d'équipements de sécurité, de communication, de rénovation de locaux ou de promotions internes, qu'implique le plan de modernisation.
Notre présence dans une Union européenne élargie à vingt-cinq au coeur de notre réflexion stratégique. M. de Montesquiou a raison de s'interroger sur l'utilité de maintenir en l'état notre administration consulaire alors que des solutions européennes ou innovantes existent déjà. Mais soyons lucides : dans une Europe où les pouvoirs locaux auront de plus en plus d'influence - voyez l'Allemagne, l'Espagne ou encore l'Italie - nous devons conserver au niveau régional un réseau d'observation et d'influence politique et culturelle, sans doute sous des formes nouvelles.
Pour ce qui est du réseau consulaire, nous allons élargir l'expérimentation lancée en Belgique et dont Robert Del Picchia s'est fait l'écho. En Belgique, depuis le 1er juin 2003, les Français résidant à Liège ou à Anvers peuvent s'adresser indifféremment aux consultats de ces villes ou de Bruxelles pour les opérations administratives courantes.
En regroupant les compétences consulaires sur un seul poste pour un pays ou un groupe de pays, nous allons nous appuyer sur des équipes spécialisées, tout en maintenant une fonction d'accueil dans les autres postes. Ainsi, le traitement de l'état civil dans chaque pays de l'Union européenne va être réorganisé selon ce modèle puisque les opérations seront centralisées à Bruxelles dès le 1er janvier 2004, et la télé-administration permettra de travailler plus efficacement et d'offrir à nos compatriotes des informations et des services plus professionnels.
Vous savez le rôle primordial, dans notre effort pour promouvoir la diversité culturelle, du vaste réseau de nos établissements dans le monde : instituts, centres culturels et alliances françaises. Monique Cerisier-ben Guiga a rappelé tout l'intérêt de ce réseau. Son déploiement sur les cinq continents et le travail minutieux de coopération ou d'influence accompli au quotidien sont plus que jamais nécessaires dans un monde où le dialogue, l'écoute et le respect de l'autre sont des éléments essentiels dans l'action extérieure de notre pays.
La France a la chance de pouvoir s'appuyer sur un dispositif que lui a légué l'histoire. Comme vous l'avez prôné, monsieur Dauge, et sachez que j'ai entendu votre appel, elle entend le préserver mais dans une perspective d'évolution constante, puisque la carte du monde change et qu'il nous faut en permanence adapter nos outils de coopération à des nécessités nouvelles. Nous avons ouvert, ou sommes sur le point d'ouvrir, de nouveaux centres à Kaboul, en Asie centrale à Achkhabad, par ailleurs en Algérie à Constantine ou Tlemcen. Nous poursuivons le déploiement d'alliances françaises en Russie et, surtout, en Chine, à raison de deux ouvertures par an.
A l'inverse, nous réfléchissons à des formules alternatives en Europe, où il n'est sans doute pas nécessaire de conserver une présence permanente, du moins sous la forme d'un établissement, dans des villes de moyenne importance. Il est donc capital que nous réussissions à dégager des marges de manoeuvre et à faire respirer notre réseau culturel. Dans le même temps, notre effort de modernisation se poursuit : les personnels recrutés locaux de ces établissements bénéficieront de près de 2 millions d'euros pour améliorer leurs grilles salariales, ce qui répond, je crois, aux préoccupations de Monique Cerisier-ben Guiga.
Le deuxième thème de vos préoccupations porte sur les dotations du ministère des affaires étrangères : sont-elles à la hauteur de nos ambitions diplomatiques ?
Tous vos rapporteurs ont tenu à rappeler les difficultés de l'exécution du budget en 2003 et leurs conséquences sur nos engagements internationaux ou sur notre coopération : Michel Charasse pour souligner que le principe de régulation est légitime et inévitable en période de situation budgétaire très tendue, Jacques Chaumont pour estimer que l'autorisation votée par le Parlement est bafouée par la régulation budgétaire qui a frappé le ministère des affaires étrangères en 2003.
Il est vrai que cette régulation a été massive, puisque les annulations et les gels ont amputé de 15 % les crédits hors rémunérations et les engagements internationaux. Elle a affecté, fait sans précédent, les crédits de reports, alors même que mon ministère s'était vu imposer 103 millions d'euros de reports obligatoires dans le cadre de la régulation budgétaire en 2002. Elle a aussi été tardive puisque ses derniers avatars ont été notifiés en avril, alors que bien des actions avaient déjà été engagées ou des promesses données.
Cette régulation à répétition a d'abord porté sur le fonctionnement du ministère à des niveaux sans égal, ce qui a provoqué de sérieuses perturbations dans l'activité quotidienne de notre maison. Compte tenu de son ampleur, elle n'a pas permis d'exonérer totalement l'aide publique au développement. Comme l'ont relevé Monique Cerisier-ben Guiga, Jacques Chaumont et Michel Charasse, les crédits de l'ADP n'ont pu être sanctuarisés, pas plus que n'ont été épargnés les crédits de la francophonie, comme l'a regretté Jacques Legendre.
J'ajoute que les organisations de solidarité internationales, le fonds de solidarité prioritaire ainsi que notre assistance technique - 200 recrutements ont dû être suspendus jusqu'à l'année prochaine - ont eu également à subir les conséquences de cette régulation.
C'est là un sujet de réflexion pour l'avenir : dès lors que notre politique étrangère s'inscrit dans les priorités voulues par le Président de la République et le Gouvernement et approuvées par la représentation nationale, nous devons tout faire pour lui épargner les aléas de la régulation budgétaire. Car c'est le crédit même de notre pays qui risque d'être mise en cause aux yeux de nos partenaires étrangers. Il est clair en tout cas qu'il ne sera pas possible de continuer ainsi à appliquer, sans nuances, à notre ministère des régulations qui bouleversent profondément nos actions de coopération et font douter de la parole de la France. Je le dis ici avec beaucoup de sérieux : nous ne pourrons pas en 2004 subir des gels et des annulations, comme cela a été le cas cette année, sous peine de devoir renoncer, de manière définitive, à certaines de nos activités. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
A ce propos, Christian Cointat a formulé le souhait d'une plus grande concertation entre l'Etat et le Conseil supérieur des Français de l'étranger avant toute décision de gel budgétaire. Je n'ai pas d'objection, pour ma part, à un tel dialogue, bien au contraire, et je vous confirme la volonté des autorités françaises de tenir régulièrement informées les instances représentatives de nos compatriotes à l'étranger.
Dans ce contexte difficile, quelles sont les priorités de ce budget ? Je salue l'unanimité avec laquelle vos rapporteurs ont relevé la continuité dans ce budget des priorités engagées en 2003, d'abord la poursuite de notre aide au développement tel que l'a voulu le Président de la République, pour permettre de porter l'effort de la France à 0,5 % du PIB d'ici à 2007. Cet engagement sera tenu.
Cette augmentation ne résultera pas de nos seuls engagements communautaires ou d'annulations de dettes. Je tiens à répondre aux inquiétudes exprimées par Mme Paulette Brisepierre devant la commission des affaires étrangères : nous ne céderons ni à « la tentation du chèque » ni à celle de « la sous-traitance » généralisée. Je suis déterminé à mettre en avant nos atouts et notre savoir-faire.
Pierre-André Wiltzer évoquera tout cela plus complètement tout à l'heure. Il répondra notamment à la question de Robert Del Picchia sur la budgétisation du Fonds européen de développement.
Ce budget reflète ensuite la priorité maintenue à la francophonie, conformément aux engagements pris lors du sommet de Beyrouth en octobre 2002. Les crédits alloués au Fonds multilatéral unique vont donc augmenter de 10 millions d'euros, et les synergies entre notre coopération et les interventions des institutions de la francophonie seront davantage exploitées.
Par ailleurs - c'est la troisième priorité - dans le cadre de la réforme du droit d'asile, les crédits destinés à l'office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA et à la Commission de recours des réfugiés augmentent de près de 10 millions d'euros, soit une croissance de 35 % environ par rapport à 2003. Grâce à ces efforts, l'OFPRA aura ramené le délai de traitement des demandes de dix à quatre mois d'ici à la fin de l'année et devrait atteindre l'objectif de deux mois assigné par le Président de la République avant l'été prochain.
MM. les rapporteurs ont bien voulu relever que le ministère a pris toute sa part dans l'effort de rigueur du Gouvernement cette année : à 4,2 milliards d'euros, nos crédits sont en progression de 2,6 % par rapport à la loi de finances initiale de 2003 mais, hors crédits dédiés à l'aide publique au développement, ils baissent de 1,26 %.
M. Jacques Chaumont a souligné, à juste titre, l'importace de cet effort. Les effectifs sont de nouveau réduits, de 116 emplois exactement, soit le non-remplacement de 46 % des départs à la retraite. Au total, cela représente une réduction de près de 10 % des effectifs en moins de dix ans.
Par ailleurs, une économie de 20 millions d'euros nous a été demandée sur les indemnités de résidence. Nous y avons vu un motif supplémentaire de procéder à la réforme trop longtemps différée de ces indemnités, afin de corriger les incohérences géographiques qui aboutissaient à des écarts de rémunération inéquitables.
Une partie de cette économie, à savoir 3,8 millions d'euros, servira à revaloriser les primes de l'administration centrale, à travers une augmentation linéaire de 11 %. Une autre partie, s'élevant à 4,2 milions d'euros, financera l'amélioration de la rémunération et de la protection sociale des recrutés locaux.
Pour répondre aux préocupations exprimées par Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jacques Chaumont et Jean-Guy Branger, je précise qu'il sera tenu le plus grand compte du coût de la vie dans les différents pays mais aussi de la situation hiérarchique des agents : les indemnités des agents de catégorie C et de la plupart des personnels enseignants diminueront moins que celles de leurs collègues des catégories A et B.
A cet égard, je souligne que le ministère des affaires étrangères a eu une politique volontariste pour préserver et améliorer le revenu des agents des catégories C et B.
Depuis 1998, date de la fusion avec le ministère de la coopération, qui pratiquait des taux de primes plus élevés pour ses agents de catégories C et B, l'effort de rattrapage concernant les catégories C et le premier grade de la catégorie B a permis, en moyenne, un doublement de ces primes sur six ans, alors que les catégories B supérieures progressaient de 40 % à 50 % et les catégories A de 20 % à 50 % pour les A types.
Ainsi, l'éventail des primes à l'intérieur du ministère a bien été resserré alors que le différentiel des catégories A avec celles d'autres ministères s'est accru.
La réforme des indemnités de résidence ne s'arrêtera pas, au demeurant, à un exercice de mise en cohérence. Des modifications des textes réglementaires sont en cours d'étude pour rendre plus juste le régime des congés de maladie à l'étranger ainsi que le système des majorations familiales. La nature des responsabilités exercées, et non plus leur corps ou leur grade, déterminera le groupe dans lequel les agents seront classés. Un système de classement des ambassades, inspiré du modèle existant dans les préfectures, permettra également de remettre de l'ordre dans la gestion des crédits et des carrières.
Je suis bien conscient que ce reformatage des indemnités de résidence constitue un effort exceptionnel demandé aux agents de l'Etat en poste à l'étranger. Je m'en suis expliqué directement avec les agents du ministère et avec les organisations syndicales. J'ai marqué la nécessité que cet effort soit pour solde de tout compte.
Autre effort significatif d'économies, les frais de fonctionnement de l'administration centrale et de nos réseaux à l'étranger vont baisser de 2 % par rapport à 2003 ; les crédits immobiliers, de 10,3 % en crédits de paiement et de 23,5 % en autorisations de programme.
Au-delà de ces baisses, mesdames et messieurs les sénateurs, certaines dotations, clairement insuffisantes, n'ont pu être augmentées. Au moins sommes-nous parvenus à les stabiliser.
Il s'agit, d'abord, des contributions volontaires aux organismes internationaux, hors francophonie, contributions qui, comme l'a souligné M. Branger, jouent un rôle déterminant dans la crédibilité de la France au sein des organisations internationales.
Il y a une divergence évidente entre notre engagement politique en faveur des institutions multilatérales et le niveau de nos contributions volontaires. Je reste convaincu que, à moyen terme, l'objectif que nous nous sommes fixé d'une augmentation de notre aide publique au développement conduira à accroître ces contributions qui, je le rappelle, constituent plus de 90 % de l'APD.
Les subventions aux opérateurs de l'audiovisuel demeureront également stables et permettront à Radio France internationale, RFI, et à TV 5 d'assurer leurs missions. Enfin, l'érosion des crédits de la coopération militaire et de défense a été stoppée, même si ces dotations demeurent à l'évidence insuffisantes.
Dans une conjoncture budgétaire difficile, nous nous sommes donc organisés pour préserver l'essentiel.
A propos des moyens du ministère, je voudrais à présent revenir sur quatre sujets que vous avez été nombreux à évoquer : l'enseignement français à l'étranger, l'audiovisuel extérieur, nos investissements immobiliers et nos concitoyens à l'étranger.
Tous les sénateurs représentant les Français de l'étranger se sont inquiétés du niveau des crédits alloués à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et des déconventionnements qui sont intervenus cette année.
Mais vous avez également noté que la gestion rigoureuse de l'Agence, aidée, il est vrai, par le redressement de l'euro par rapport au dollar, a contribué à l'amélioration sensible de sa situation financière et de sa capacité à financer ses priorités.
Vous m'interrogez sur le déconventionnement de nos établissements scolaires. Pour des raisons très diverses, qui peuvent tenir au souci d'indépendance des comités de gestion, aux avantages offerts par la législation locale ou encore - c'est le cas aux Etats-Unis - à une incompatibilité entre le statut de résident et des dispositions réglementaires ou légales, il peut arriver, en effet, que l'Agence décide de substituer au lien contractuel qu'elle entretient avec des associations gestionnaires un simple appui pédagogique et financier.
A vrai dire, il ne s'est guère passé une année dans la vie de l'Agence sans qu'elle ait été amenée à « déconventionner ». Ce mouvement se poursuivra en fonction de besoins soigneusement identifiés et, bien entendu, avec l'accord de tous les partenaires de la communauté scolaire.
Mais - et je le dis solennellement - il n'y a aucune politique de déconventionnement systématique, menée par l'Agence ou par le ministère des affaires étrangères. C'est même tout le contraire : des conventions sont en cours d'élaboration avec un certain nombre d'établissements - Saint-Pétersbourg, bientôt Ljubljana et Bratislava, à terme Vilnius - pour accompagner le mouvement vers l'est de l'Europe des communautés françaises expatriées. Et gardons en mémoire la forte montée en puissance de notre réseau en Chine.
Quant à l'effort demandé aux familles pour participer à ces développements, un rapport récent de l'inspection générale des finances a montré que les droits de scolarité ont augmenté à un rythme inférieur à l'inflation.
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner devant le Conseil économique et social, la principale difficulté de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger réside dans la gestion du parc immobilier de nos écoles et lycées à l'étranger. L'état de ces bâtiments est loin d'être partout satisfaisant, et des ressources aléatoires ne permettent pas toujours de répondre aux besoins d'entretien et aux impératifs de sécurité. Ce dernier point est pour moi une priorité absolue.
Pour prolonger la proposition d'André Ferrand, ce ne sont pas un, mais deux fonds d'investissement qu'il est prévu de mettre en place au terme du plan d'orientation stratégique en cours d'élaboration avec les partenaires de l'AEFE.
Le premier serait constitué par le transfert à l'Agence des crédits du titre V que le ministère des affaires étrangères destine aux établissements en gestion directe, complétés par les contributions des établissements eux-mêmes, et surtout par l'émission d'emprunts auxquels la loi autorise l'agence à procéder.
Le second serait destiné aux établissements conventionnés, sous la forme d'un fonds alimenté soit par les loyers versés, lorsqu'il s'agit d'immeubles appartenant à l'Etat, soit par des dons d'entreprises - je sais qu'André Ferrand y est très attentif - ou des autorités publiques des pays d'accueil, soit par des cotisations des établissements scolaires.
Vous le savez, une nouvelle loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations a été adoptée le 1er août dernier, sur l'initiative de M. le ministre de la culture et de la communication. Elle prévoit notamment de porter à 60 % les déductions d'impôt dont pourraient désormais bénéficier les entreprises mécènes. En réponse à une question de M. Robert Del Picchia, M. le ministre du budget a clairement indiqué que nos établissements scolaires à l'étranger pourraient en bénéficier, à condition que les associations ou les fondations concernées aient leur siège en France.
Robert Del Picchia a également soulevé la question du baccalauréat international. Comme vous le savez, les lycées français à l'étranger, pourtant considérés comme des établissements d'excellence, éprouvent aujourd'hui des difficultés à garder les meilleurs élèves du dernier cycle du secondaire, car le baccalauréat français n'est pas toujours reconnu par les autorités locales, notamment aux Etats-Unis. Dans le même temps, le baccalauréat international, dit de Genève, se développe rapidement, mais n'offre pas les mêmes garanties pédagogiques que le bac français.
Aussi a-t-il paru utile d'envisager la mise au point d'une certification de fin d'études secondaires à caractère international. Le ministère de l'éducation nationale étudie à cette fin les modalités d'un baccalauréat accessible à tous les élèves qui le souhaiteraient, et reposant, pour partie, sur les épreuves du baccalauréat français et, pour le reste, sur les certifications proposées dans le pays d'accueil.
Voilà une nouvelle illustration de la collaboration étroite que nous poursuivons avec le ministère de l'éducation nationale en faveur du réseau de l'AEFE. Qu'il s'agisse de l'homologation des établissements, de l'affectation du personnel expatrié ou résident, ou encore des conditions de retour des enfants d'expatriés, nos liens avec l'éducation nationale sont nombreux et confiants.
Faut-il aller plus loin et prévoir un cofinancement de l'AEFE par l'éducation nationale, par exemple pour les bourses scolaires ou les salaires indiciaires des enseignants ? J'ai noté les suggestions d'André Ferrand et de Hubert Durand-Chastel sur ce point, et j'entends charger l'agence et la DGCID - la direction générale de la coopération internationale et du développement - d'une mission exploratoire sur ces différents sujets.
J'en viens maintenant à l'audiovisuel extérieur.
S'agissant de la chaîne d'information internationale, évoquée par plusieurs orateurs et à propos de laquelle Mme Cerisier-ben Guiga s'est inquiétée des conséquences de son financement sur celui de RFI et de TV 5, je ne reviendrai pas sur la nécessité de mieux faire entendre notre voix et diffuser nos images.
M. Bernard Brochand a rendu son rapport au Premier ministre. C'est une première étape qui définit, de façon générale, le dispositif proposé : une chaîne indépendante, fondée sur un partenariat TF 1-France Télévisions, diffusant en français, arabe, anglais pour commencer, le Maghreb, l'Afrique, le Proche et le Moyen-Orient étant naturellement les zones prioritaires pour la diffusion de cette future entreprise.
Comme vous le savez, le Premier ministre a demandé à M. Brochand de poursuivre sa mission pendant trois mois. Beaucoup de questions se posent, en effet, pour préciser le projet : la définition du cahier des charges ; l'analyse d'impact sur le dispositif existant de l'audiovisuel extérieur ; la clarification de ce que seront les relations de cette chaîne indépendante avec l'Etat ; naturellement, les questions de financement.
Nous attendons les conclusions de ce nouveau rapport, étant entendu que le choix a été fait de ne pas remettre en cause le dispositif autour de RFI et de TV 5.
D'ailleurs, je vous rappelle que TV 5 est une entreprise internationale et que nous sommes tenus à une concertation régulière et préalable avec nos partenaires concernés.
Robert Del Picchia a appelé mon attention sur l'arrêt de la diffusion hertzienne de France 2 en Italie.
Je suis, comme vous, attaché à la défense de la francophonie et du rayonnement culturel de notre pays dans le monde. La situation que vous évoquez est, malheureusement, la conséquence d'une récente évolution de la législation italienne qui contraint à court terme tous les opérateurs hertziens de télévision à numériser leur réseau d'émetteurs, sauf à renoncer définitivement à être présents.
Face à cette obligation, nous avons fait le choix de céder une partie du réseau de France 2 en Italie du nord et du centre pour dégager une capacité de financement et préparer l'avenir. Il s'agira, en effet, de tirer parti de la généralisation de la réception numérique pour accroître les capacités de diffusion terrestre en Italie. A ce moment-là, tout sera mis en oeuvre pour réinstaller une chaîne française sur l'un de ces réseaux, avec l'objectif de couvrir la plus grande partie possible du territoire italien.
Dans l'immédiat, je vous confirme qu'il n'a jamais été question d'interrompre la diffusion de France 2 à Rome et que l'investissement nécessaire à la numérisation de l'émetteur sera fait. Par ailleurs, l'ensemble des téléspectateurs italiens de France 2 ont été informés qu'ils pouvaient continuer à recevoir cette chaîne, moyennant l'installation d'une parabole et l'emploi d'un décodeur. Il est probable qu'une bonne partie d'entre eux feront cet effort financier modeste, comme l'ont d'ailleurs fait, avant eux, des millions d'Algériens ou de Tunisiens.
Je formulerai maintenant quelques commentaires sur notre politique immobilière.
M. Durand-Chastel et M. Chaumont, qui a effectué une mission en Turquie en septembre dernier, ont estimé qu'il fallait tirer au plus vite les enseignements des réelles difficultés que connaît le ministère des affaires étrangères en matière d'investissement.
Vous avez raison, nos difficultés en matière d'investissement immobilier ont été aggravées par la régulation budgétaire. Nous avons dû notamment différer des paiements dus à certaines entreprises. Comme l'a souligné M. Jean-Guy Branger dans son rapport, ces difficultés ont amené à surseoir à la construction du bâtiment des archives à La Courneuve et des nouvelles ambassades de Tokyo et de Pékin.
Si des solutions innovantes en matière de financement sont toujours recherchées, notamment à Tokyo, la loi ne nous permet pas actuellement de financer des bâtiments d'archives en partenariat public-privé.
Il faut donc poursuivre nos réflexions et probablement faire des choix. A cet égard, nous devrons vendre davantage pour pouvoir, progressivement, redonner au ministère sa capacité d'investissement en matière immobilière. Cela ne peut cependant se faire dans la précipitation et doit s'inscrire dans le cadre plus global de la rationalisation de nos réseaux à l'étranger que j'évoquais précédemment.
M. Durand-Chastel a suggéré le recours à la formule du crédit-bail pour l'acquisition d'immeubles destinés à une mission de service public. Nous examinons, en effet, des solutions de ce type, mais cela implique une modification de la réglementation actuelle qui est à l'étude.
Je terminerai cette partie de mon intervention par notre action en faveur des Français de l'étranger.
Je voudrais d'abord évoquer la proposition de loi organique déposée par le sénateur Christian Cointat, qui vise à intégrer, dans le domaine législatif, les règles concernant les instances représentatives des Français de l'étranger.
Le Gouvernement souhaite effectivement associer davantage les Français de l'étranger à la gestion de leurs affaires, conformément à la politique de décentralisation. Il compte, en particulier, donner davantage de pouvoirs et de responsabilités aux représentants élus des Français de l'étranger, essentiellement au niveau local, pour tout ce qui touche aux affaires sociales, à l'enseignement et à l'emploi de nos compatriotes.
En revanche, je suis moins certain qu'il soit possible d'assimiler ces « instances » à des collectivités territoriales proprement dites. Les Français de l'étranger constituent-ils réellement une collectivité au sens propre ? Ce sont des communautés diverses et nombreuses, le plus souvent bien intégrées dans leur pays d'accueil, mais, évidemment, très dispersées sur le plan géographique. Enfin, pour s'administrer librement, comme le prévoit la Constitution, cette collectivité nouvelle devrait pouvoir disposer de ressources propres.
La proposition de M. Cointat a le mérite de poser les bonnes questions et d'aller dans la bonne direction. Le Gouvernement en partage l'esprit. Reste que la réflexion approfondie engagée dans ce sens doit être poursuivie, notamment au sein du CSFE.
L'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales de nos communes est également une préoccupation de Christian Cointat.
Le projet d'ordonnance portant simplification administrative en matière électorale vient d'être soumis au Conseil d'Etat. Son article 1er concerne directement les Français établis hors de France, qui pourront désormais demander leur inscription dans la « commune sur la liste électorale de laquelle est inscrit ou a été inscrit un de leurs parents jusqu'au quatrième degré ». Cette ordonnance devrait être soumise au prochain conseil des ministres et publiée très rapidement.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Cantegrit se sont préoccupés de l'assistance aux Français de l'étranger.
Le fonds d'action sociale du ministère des affaires étrangères a bénéficié d'une revalorisation régulière, de près de 19 % au cours des six dernières années. Près de 18 millions d'euros sont consacrés à l'aide sociale aux Français en difficulté à l'étranger, principalement en faveur de nos compatriotes âgés ou handicapés.
Votre mobilisation a permis de préserver ces crédits du gel budgétaire. Ils sont intégralement maintenus en 2004, malgré un contexte budgétaire particulièrement tendu, et apporteront ainsi une aide sociale permanente à plus de 5 000 de nos compatriotes les plus démunis.
Je souligne l'effort fait en faveur des personnes handicapées : le nombre de bénéficiaires de l'allocation « handicapé » a augmenté de 3 %. De même, les allocations versées aux enfants handicapés et les aides complémentaires ont été revalorisées de 3 %.
Je voudrais, pour terminer, répondre aux questions ayant trait à notre action dans plusieurs régions du monde.
Je commencerai par les questions portant sur le Proche-Orient et l'Irak.
Je souscris totalement à l'approche volontariste du président Dulait : l'inaction au Proche-Orient n'est pas une option.
La résolution du conflit israélo-palestinien répond à une exigence de justice, elle est aussi dans l'intérêt de tous : la situation en Irak, les progrès politiques et économiques du Moyen-Orient, la lutte contre le terrorisme sont indissociables du règlement de ce conflit.
Face à cela, il y a une contradiction que nous avons le devoir de surmonter. Le monde entier s'accorde, d'une part, sur l'objectif à atteindre - il faut que les deux Etats vivent côte à côte en paix et en sécurité - et, d'autre part, sur la méthode pour y parvenir : la feuille de route du Quartet, désormais endossée par le Conseil de sécurité à l'unanimité dans le cadre de la résolution 1515. Mais ce consensus est sans effet face à la situation sur le terrain, qui s'aggrave ; Mme Danielle Bidard-Reydet nous a dit son indignation sur ce point.
Pourtant, une nouvelle dynamique, timide et fragile, s'esquisse aujourd'hui : le niveau de violence a fortement baissé ; le gouvernement d'Abou Alaa a été formé ; il y a, en perspective, l'espoir d'une reprise des contacts officiels ; enfin, les sociétés civiles se mobilisent.
La France, avec l'Europe, soutient ce mouvement en relançant la feuille de route par une action diplomatique volontariste ; d'où notre soutien à Abou Alaa, qui s'efforce d'obtenir un nouveau cessez-le-feu ; d'où également notre insistance pour qu'Israël allège concrètement les effets de l'occupation et gèle l'extension des colonies et la construction du mur de séparation édifié en partie sur le territoire palestinien.
Une action internationale plus audacieuse est nécessaire pour surmonter les obstacles. A cette fin, notre pays a avancé une double proposition : une conférence internationale pour marquer l'engagement de la communauté internationale ; une présence internationale sur le terrain pour garantir la sécurité et remettre sur pied l'Autorité palestinienne.
Sur l'initiative de Genève, à propos de laquelle m'ont interrogé Mmes Durrieu et Bidard-Reydet, ainsi que M. Penne, je rappelle que la France a exprimé à plusieurs reprises son intérêt pour ce projet porteur d'espoir. Il fixe l'horizon et décrit ce que pourrait être le contenu d'un accord définitif. Il est complémentaire de la feuille de route. J'ai moi-même rencontré, le 22 octobre dernier, les initiateurs de l'accord de Genève, MM. Beilin et Rabbo. Leur initiative témoigne qu'il existe au sein des deux peuples au Proche-Orient les ressorts d'un dialogue et le souci d'une espérance commune.
En Irak, pays sur lequel MM. Dulait, de Montesquiou, Mathieu et Penne ont bien voulu m'interroger, nous restons confrontés à l'urgence, à la montée des périls et à l'extension de la violence.
Les attaques terroristes ont de nouveau démontré qu'une logique seulement sécuritaire est insuffisante et qu'il faut privilégier en Irak une approche politique et concertée.
Un processus politique s'est engagé le 15 novembre à Bagdad.
La France a salué, avec ses partenaires de l'Union européenne, l'accord signé par le président du Conseil de gouvernement intérimaire et l'Autorité de la coalition, car cette nouvelle approche représente un pas vers la restauration de la souveraineté irakienne, comporte un calendrier précis de transition politique et prévoit un gouvernement de transition avant l'achèvement du calendrier constitutionnel.
Mais l'urgence en Irak doit conduire à une approche collective à la mesure de l'enjeu. Voilà pourquoi la France plaide pour l'accélération et l'élargissement du processus politique, seule réponse efficace pour briser la spirale du terrorisme. Les discussions en cours montrent d'ailleurs que l'accord de Bagdad n'est pas figé et que les Irakiens souhaitent s'approprier le processus.
Il faut également associer et responsabiliser tous les Etats de la région. A cet égard, la France se félicite de l'annonce par le secrétaire général de l'ONU de la mise en place d'un groupe de contact avec les Etats voisins de l'Irak.
Il faut enfin mettre l'ONU en mesure de soutenir efficacement la transition en Irak à chacune de ses étapes. La France a avancé l'idée d'un envoyé spécial du secrétaire général qui pourrait contribuer à engager les Irakiens et les pays de la région dans le processus.
La France veut, en même temps, répondre à l'exigence de solidarité à l'égard du peuple irakien. Le dialogue politique est engagé. Je poursuivrai prochainement les contacts noués avec les membres du Conseil de gouvernement. En outre, une assistance humanitaire de l'ordre de 7 millions d'euros et des actions de coopération de près de 1 million d'euros sont mises en oeuvre, dans l'environnement difficile que l'on connaît. Je vous le confirme bien volontiers, monsieur de Montesquiou, la France est prête à participer plus largement au développement de ce pays dès lors que les conditions seront réunies.
Mme Cerisier-ben Guiga a posé plusieurs questions sur la situation en Tunisie.
La France est attachée à la défense des droits de l'homme et à l'Etat de droit, en Tunisie comme partout dans le monde. Ces questions sont évoquées régulièrement avec les autorités tunisiennes dans le cadre de notre dialogue politique étroit et confiant. Elles seront abordées, sans esprit d'ingérence, lors de la visite d'Etat du Président de la République en Tunisie du 3 au 5 décembre prochain.
Dans ce contexte, nous suivons avec attention, depuis le début de sa grève de la faim, la situation de maître Radhia Nasraoui, personnalité tunisienne bien connue en Europe. Nous sommes en contact régulier avec les autorités tunisiennes sur ce sujet. Nous espérons que cette affaire trouvera rapidement une issue positive.
M. Gilbert Barbier a bien voulu m'interroger sur l'état des relations franco-américaines.
Dans sa relation bilatérale avec les Etats-Unis, la France est restée fidèle à ses principes et elle a constamment veillé à privilégier le pragmatisme. Elle a agi en parfaite loyauté, indiquant à chaque étape quelle serait son attitude. Nous avons eu un désaccord, ce qui peut parfaitement survenir même entre amis, et nous l'assumons.
Nous n'avons donc rien à retirer à nos choix ni à nos actes. L'évolution de la situation montre à quel point le recours aux Nations unies et la nécessité d'un transfert de souveraineté rapide au peuple irakien demeurent prioritaires.
Nos objectifs se rejoignent : nous n'avons pas plus intérêt que les Etats-Unis à ce que la situation au Moyen-Orient se dégrade encore davantage. C'est cette crainte qui motivait nos réticences face aux projets d'intervention militaire. A présent, il convient d'organiser le redressement de l'Irak et de promouvoir une paix régionale. Je crois profondément qu'elle ne pourra voir le jour sans un règlement du conflit israélo-palestinien, ce qui implique un engagement plus fort et plus équilibré des Etats-Unis.
Notre différend sur la gestion du dossier irakien continue sans doute à marquer l'atmosphère de nos relations. Mais je note que cette situation n'a eu guère d'effets sur nos échanges commerciaux qui se sont poursuivis normalement, en dépit des quelques appels au boycott. Nos relations économiques demeurent excellentes et elles font preuve surtout depuis dix ans d'un dynamisme inégalé.
Sur le plan politique, l'ambiance est loin d'être aussi sombre que certains se complaisent à la décrire. Le lancement en octobre d'un groupe d'amitié sur la France au Congrès en est l'illustration. Je saisis d'ailleurs cette occasion pour souligner tout l'intérêt d'un dialogue entre notre Parlement et le Congrès américain, complément indispensable à la concertation entre nos deux gouvernements.
Ce dialogue, et cette amitié, doivent sans cesse être renforcés. L'anti-américanisme me semble être en France le fait d'une infime minorité, et ce n'est évidemment pas ce qui a inspiré notre action ces derniers mois, est-il besoin de le préciser.
La large majorité de nos concitoyens aiment l'Amérique et savent ce que la France et l'Europe lui doivent. Nous sommes toujours unis en temps de crise. Le Président Jacques Chirac était le premier à se rendre à New York après le 11 septembre et la France demeure un allié actif en Afghanistan, aux côtés des Etats-Unis.
Il est donc temps de mettre fin aux procès d'intention : nous sommes les plus vieux alliés des Etats-Unis et nous comptons le rester. Cette amitié ne saurait pourtant être réduite à un alignement systématique sur les choix américains, qui peuvent de manière parfaitement légitime ne pas correspondre ni à nos principes ni à nos intérêts. C'est quelque chose que nous devons accepter, en liaison avec nos partenaires européens, dans ce monde multipolaire de l'après-guerre froide.
J'ai bien entendu la question de M. Guy Penne sur la Tchétchénie : la situation dans cette république est grave, sur le plan politique comme sur le plan humanitaire, et la France, comme ses partenaires européens, condamne la violence sous toutes ses formes.
Cela étant, il n'y a pas de solution toute faite : ni l'indépendance autoproclamée en 1991, ni les accords de paix de 1996, qui la reconnaissent de fait, n'ont réglé le problème.
Moscou a lancé un processus politique, avec une nouvelle Constitution, des élections présidentielles et bientôt législatives. Ne le condamnons pas par principe. Mais conservons vigilance et fermeté, et continuons de demander un retour sur le terrain des ONG et organisations internationales afin d'aider à ce processus dans la transparence.
Vous m'avez interrogé, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, sur l'évolution de la situation en Côte d'Ivoire, et fait part de vos inquiétudes sur la mise en oeuvre des accords de Marcoussis.
Certes, depuis l'origine, le processus qui doit nous conduire à la tenue, fin 2005, d'élections libres, transparentes et ouvertes à tous, a connu des hésitations et des blocages. Il en connaîtra peut-être d'autres. Je considère toutefois que, moins d'un an après Marcoussis, les responsables ivoiriens sont parvenus à franchir plusieurs étapes importantes. Prenons acte de l'engagement déterminé du président Gbagbo à « faire taire les armes pour toujours » et à passer, sans plus tarder, à la phase de mise en oeuvre des accords de Marcoussis. Notons aussi qu'après sa déclaration de jeudi soir, le chef de l'Etat a tenu, hier, à se rendre personnellement sur le terrain à M'Bahiakro pour faire part de ce message d'apaisement. Différentes réunions sont envisagées cette semaine pour évoquer le retour des forces nouvelles au gouvernement, l'examen des principaux textes d'application de Marcoussis, la mise en oeuvre des opérations de regroupement, puis de désarmement. Elles témoigneront, je veux l'espérer, de l'engagement concret de l'ensemble des acteurs de la crise à prendre toute leur part à la poursuite du processus et de leur volonté de sortir définitivement de l'état de guerre.
Cette évolution souligne aussi la mobilisation de l'ensemble de la communauté régionale et internationale pour laquelle nous n'avons cessé de plaider depuis le début de la crise. Depuis quinze jours, ce mouvement s'est accéléré : les chefs d'Etat de la région, la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, la CEDEAO, l'Union européenne, les Nations unies enfin, se sont engagés avec détermination pour rétablir les fils d'un dialogue encore fragile, mais incontournable.
C'est le passage à la phase concrète de mise en oeuvre des accords de Marcoussis, marqué par le début de l'examen des textes législatifs et le regroupement de toutes les forces en présence, qui ouvrira la voie au retour progressif de l'administration et des services publics sur l'ensemble du territoire, au désarmement, à la préparation sereine des échéances électorales et aux nécessaires mesures de reconstruction. Tous ces éléments seront mis en oeuvre avec l'appui de la communauté des bailleurs, tous mobilisés depuis le sommet de Kléber.
Je tiens enfin à rassurer le président Jean-Pierre Cantegrit et à lui confirmer que les élections au CSFE se sont déroulées hier sans incident.
Vous avez plus généralement, monsieur Cantegrit, salué l'engagement déterminé de la France au service des sorties de conflit, et je vous en remercie.
Depuis un an, nous avons effectivement progressé de façon constructive sur plusieurs théâtres : en République démocratique du Congo, l'intervention européenne sous égide française dans le cadre de l'opération Artemis a permis de conforter le processus de transition politique. Nous sommes désormais en mesure de préparer la tenue d'une conférence sur les Grands Lacs l'été prochain. En Centrafrique, où nous sommes fortement présents, la mobilisation de nos partenaires européens a permis d'aboutir, voilà quelques jours, à la reprise des relations avec l'Union européenne, prélude, nous y travaillons, à une reprise des relations avec le FMI. Au Soudan, où notre envoyé spécial suit les négociations en permanence depuis un an, un accord de paix pourrait intervenir en début d'année prochaine après plus de vingt années de guerre.
Certes, d'autres points restent fragiles ou vulnérables. Nous les suivons avec la plus grande vigilance. Soyons en effet conscients de cette réalité : il n'y aura pas d'effort efficace en faveur du développement du continent africain s'il n'y a pas, au préalable, un engagement déterminé au profit de la solution rapide des conflits qui le secouent.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les remarques et les observations que je voulais faire en réponse à vos interventions. J'espère qu'elles seront de nature à vous convaincre que le projet de budget que j'ai l'honneur de vous soumettre mérite votre approbation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après Dominique de Villepin et en complément de ses propos, je veux d'abord remercier et féliciter vos rapporteurs pour la qualité de la réflexion qu'ils ont développée sur la coopération et la francophonie. Dans le temps limité dont je dispose, je ne pourrai répondre qu'aux principales questions que les rapporteurs et les orateurs ont soulevées, me réservant le droit de répondre aux autres questions personnellement ou en commission.
Je ne reviendrai pas sur la croissance de notre aide publique au développement, qui rompt avec la période précédente, vos rapporteurs ayant donné les précisions nécessaires sur ce point.
Ce qu'il faut retenir principalement de cette évolution, c'est la volonté politique du Gouvernement de tenir ses engagements au regard de l'aide au développement et de la coopération, en dépit des circonstances très difficiles que nous connaissons sur le plan budgétaire.
Au risque de vous paraître en décalage par rapport à l'appréciation souvent quelque peu morose portée au cours de ce débat sur les mesures d'économie contenues dans ce projet de budget et sur leurs conséquences sur le budget du ministère des affaires étrangères, je mettrai l'accent sur les trois points forts, trois bonnes nouvelles, de ce projet de budget.
Pour la francophonie, une contribution supplémentaire de 20 millions d'euros est versée au fonds multilatéral de la francophonie. Pour la coopération, il faut noter une augmentation de 25 % des crédits de paiement du fonds de solidarité prioritaire, ainsi qu'une majoration de 15,3 % des crédits de paiement consacrés à l'Agence française de développement au titre de sa vocation de donateur.
Ces points méritent d'être relevés et sont susceptibles de donner confiance grâce aux moyens renforcés, malgré les difficultés rencontrées et les rattrapages à faire sur 2003 qui a été une année difficile. Il n'est donc pas interdit de s'en montrer satisfait et je me réjouis de constater que cela a été le cas sur toutes les travées de votre assemblée.
S'agissant de l'aide au développement, qui devrait atteindre 0,43 % de notre produit intérieur brut en 2004, deux priorités ont été choisies : le renforcement de l'aide bilatérale et la fidélité à nos partenaires traditionnels, notamment africains, qui sont les plus nécessiteux. Tels sont les axes majeurs de notre politique, qui rejoignent les préoccupations exprimées notamment par Mme Brisepierre et par M. Charasse.
Notre aide bilatérale poursuivra donc sa progression en 2004 : partant de 62 % du total en 2001, sa part prévisionnelle devrait s'établir à 72 % dans le projet de budget tel qu'il vous est soumis.
L'Afrique verra sa part confortée puisqu'elle devrait sans doute augmenter quelque peu encore.
Je formulerai quelques remarques sur les priorités géographiques de notre coopération. J'indiquais, voilà quelques instants, que notre effort d'aide au développement allait continuer de se renforcer en faveur de nos partenaires traditionnels, principalement africains. Vous savez que notre politique de coopération se concentre à cet égard sur la zone de solidarité prioritaire, la ZSP. Mme Paulette Brisepierre a exprimé quelques réserves à ce sujet. Pour ma part, je crois que nous avons tout intérêt à conserver cette zone de solidarité prioritaire.
Elle nous préserve en effet du danger de saupoudrage tout en nous permettant de cibler nos efforts sur les pays qui ont le plus besoin d'aide. Cela concerne avant tout le continent africain, comme le démontre la simple composition de cette zone. L'utilisation des outils qui sont affectés à la zone de solidarité prioritaire, à savoir le fonds de solidarité prioritaire et les dons de l'Agence française de développement en dehors du périmètre de la zone, reste possible au cas par cas, mais elle demeure limitée. A titre d'exemple, en 2003, 1,4 % seulement des autorisations de programme du fonds de solidarité prioritaire ont été affectés à des projets en dehors de la ZSP. Ce pourcentage est donc tout à fait marginal et il est destiné à le rester.
La signification de la ZSP a pu s'affaiblir au cours des dernières années, parce que notre aide n'était plus suffisante pour assurer une couverture raisonnable des pays concernés, qui sont assez nombreux. Ce n'est pas au moment où notre aide reprend de façon durable et où la priorité est accordée à l'action bilatérale au sein de la ZSP que nous devons faire disparaître celle-ci. Tous nos partenaires y sont attachés et sa suppression serait mal perçue.
Je pense donc que les réserves exprimées par Mme Brisepierre deviendront sans fondement.
J'en viens maintenant au traitement de la dette.
Comme cela a été relevé par vos rapporteurs et par plusieurs intervenants, l'augmentation de notre aide publique au développement provient pour une large part actuellement, et ce sera certainement encore le cas l'année prochaine, de nos opérations d'allégement de dette, en particulier dans le cadre de l'initiative pour les pays pauvres très endettés, les PPTE, et de son complément bilatéral français, les contrats de désendettement- développement, ou C2D.
Je voudrais à cet égard m'élever contre l'idée selon laquelle la réduction ou l'annulation de la dette des pays pauvres n'est pas une aide au développement. Tous ceux qui plaidaient pour alléger le poids de la dette ne font plus, et je m'en étonne, valoir ce thème qui était depuis trente ans au coeur de leurs revendications.
Je crois au contraire que l'importance des efforts engagés pour l'allégement de la dette répond à une situation tout à fait réelle : les pays les plus pauvres ne peuvent pas décoller, après avoir remis de l'ordre dans leur gestion financière, tant qu'ils restent soumis à la pression d'une telle dette.
Je rappelle que ramener la dette à un niveau dit supportable est d'ailleurs l'un des objectifs du Millénaire pour le développement fixé par l'assemblée générale des Nations unies en septembre 2000. Sans être évidemment une réponse à tous les problèmes de développement, l'allégement du fardeau de la dette permettra aux pays qui en bénéficient d'accroître leur capacité à dépenser intelligemment pour lutter contre la pauvreté.
A cet effet, un cadre est employé maintenant de manière systématique et le sera en particulier pour tous les contrats de désendettement-développement : il s'agit des programmes stratégiques de lutte contre la pauvreté qui sont élaborés par les pays bénéficiaires en partenariat avec les bailleurs de fonds.
C'est donc réellement une aide au développement et, par conséquent, il n'est pas illégitime de la comptabiliser comme telle.
L'importance de la dimension de cette aide à l'heure actuelle est en revanche un problème réel qu'il convient d'étudier. Elle impose tout d'abord une meilleure transparence de notre action. Je reconnais avec M. Pelletier que les circuits budgétaires utilisés par les allégements de dette ne sont pas de la plus grande simplicité actuellement.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Mais le Trésor adore cela !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. Je fais d'ailleurs la même observation à propos de la question soulevée par le rapporteur spécial, Michel Charasse, sur la nécessité d'une plus grande cohérence entre la comptabilisation de l'aide publique au développement telle qu'elle est effectuée par l'OCDE et nos nomenclatures budgétaires. Des progrès doivent être réalisés dans ce domaine. Je suis, pour ma part, tout à fait disposé à y contribuer en concertation avec les techniciens, les services du ministère des affaires étrangères, ainsi que les commissions compétentes des deux assemblées.
Plusieurs intervenants se sont interrogés sur l'utilisation des fonds dégagés par les annulations de dette. Je suis d'accord avec eux sur la nécessité d'une totale clarté et, plus encore, d'une évaluation de la mise en oeuvre des projets.
J'ajoute que, dans cet esprit, la procédure des C2D prévoit une association des sociétés civiles des pays du Nord comme des pays du Sud à la réalisation et au suivi de ces contrats. Mais ne condamnons pas d'avance cette nouvelle procédure qui commence tout juste à être expérimentée et dont le principe me paraît bon.
Certes, comme le souligne M. Charasse dans son rapport, les efforts consentis par la France et par l'ensemble des créanciers dans le cadre de l'initiative en faveur des PPTE pour l'allégement de la dette ne sont pas un remède miracle qui réglerait à lui seul tous les problèmes du sous-développement.
Ramener aujourd'hui l'endettement à un niveau soutenable ne garantit pas que les bénéficiaires ne se réendetteront pas ultérieurement et seront définitivement immunisés contre le surendettement.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. C'est ce qu'ils ont toujours fait !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. En définitive, l'idéal est non pas de limiter le poids de la dette mais de construire des économies capables de supporter la charge d'emprunts finançant les indispensables investissements.
Mais si le traitement de la dette n'est pas une conditions suffisante du décollage économique, il en est certainement une condition nécessaire dans de nombreux cas. J'ajoute que le contexte dans lequel l'aide au développement est accordée a profondément évolué au cours des dernières années. La discipline parfois féroce imposée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international y sont certainement pour quelque chose, de même - soyons plus optimistes ! - que la prise de conscience par les gouvernements des pays sous-développés de la nécessité, pour eux, de définir des politiques rigoureuses et de respecter des engagements précis et contrôlés. L'esprit dans lequel a été conçu par les Africains eux-mêmes le NEPAD, le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, en témoigne et constitue une évolution très positive des mentalités.
C'est ainsi que les annulations de dette peuvent avoir un effet positif direct sur le développement lorsqu'elles sont liées à des politiques sociales, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé. C'est le cas des initiatives PPTE et C 2 D, qui ont, comme le note d'ailleurs M. Charasse dans son rapport, entraîné une hausse plus que proportionnelle des dépenses sociales des bénéficiaires. Il est encore un peu tôt pour tirer un bilan de ces initiatives, mais ce serait un beau résultat que d'aboutir à une lutte contre la pauvreté pilotée et prise en charge plus directement par les gouvernements des pays concernés !
Un autre aspect, également relevé par Mme Brisepierre et M. Charasse, a trait à la forme que prennent généralement ces annulations de dette : l'aide programme. Cette question dépasse d'ailleurs le cadre du seul traitement de la dette et concerne d'autres instruments de notre coopération.
Je ferai quelques réflexions sur ce thème de l'aide programme et de l'aide projet.
En poussant à l'extrême les conclusions de vos rapporteurs, je pourrais dire que l'aide programme peut être la meilleure ou la pire des choses selon l'application qui en est faite aux situations concrètes, très différentes, que l'on rencontre.
L'aide programme a de nombreuses qualités : bonne efficacité, harmonisation de nos actions avec celles d'autres bailleurs, approche partenariale avec les bénéficiaires, etc.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il y a eu d'énormes cafouillages !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. Elle suppose en revanche un niveau minimum assez élevé des capacités administratives chez le pays récipiendaire, ainsi qu'un accompagnement renforcé, en termes d'expertise, par le donateur. Elle ne peut donc pas s'appliquer dans tous les pays et pour tout type d'objectifs.
Il est exact que sa part dans notre dispositif d'aide au développement et de coopération s'accroît mécaniquement en raison de la montée en puissance des C 2 D : nous avons en effet choisi ce nouvel instrument comme élément de rénovation de notre dispositif en le spécialisant dans l'aide programme. De même, le fonds de solidarité prioritaire peut être amené à soutenir certaines politiques sectorielles, même si sa vocation principale demeure l'aide bilatérale.
Cela ne signifie nullement que nous allons abandonner l'aide projet : je peux rassurer Mme Brisepierre et M. Charasse, il n'y a pas d'ambiguïté à ce sujet. Tant par le titre IV que par le titre VI, notre politique de coopération continuera à soutenir des projets, et je partage pleinement le jugement des rapporteurs et de plusieurs intervenants sur les qualités irremplaçables d'opérations qui sont bien identifiées, visibles par les bénéficiaires comme par nos concitoyens - contribuables, et directement utiles.
Par ailleurs, je suis conscient des capacités techniques et administratives que supposent les aides programmes chez les bénéficiaires, et toute opération de ce type d'une envergure notable doit être accompagnée d'un effort particulier d'assistance technique pour aider les autorités locales dans la conception et la mise en oeuvre de leurs politiques sectorielles. Il nous faut donc renforcer nos moyens dans ce domaine de l'expertise et de l'assistance technique. Je regrette que nous n'ayons pas pu le faire dans le projet de loi de finances pour 2004, l'accroissement de notre aide ayant porté en priorité cette année sur le financement des projets.
Le renforcement de notre expertise est un point important ; il fait partie, vous le savez, des priorités que nous nous sommes fixées. Après la très forte, sans doute trop forte, diminution des effectifs qu'a connue notre assistance technique ces dernières années - je fais mienne la remarque de M. Pelletier -, la baisse a été presque enrayée en 2003 et les effectifs devraient connaître une légère progression en 2004. Ce n'est que par notre expérience du terrain que nous pourrons développer, en effet, une action bilatérale efficace et influer, indirectement ou directement, sur les politiques des grands bailleurs multilatéraux. Il n'est donc nullement question d'« externaliser » notre expertise au profit d'institutions étrangères. L'approche bilatérale est l'une des priorités de notre politique, je le rappelais au début de mon propos. Il n'est donc pas dans nos intentions de nous en remettre à d'autres pour définir les modalités de notre action.
En témoigne, s'il en était besoin, la création du groupement d'intérêt public « France coopération internationale ». Cette structure légère a été mise en place par le ministère des affaires étrangères pour mobiliser l'expertise publique de courte et de moyenne durée, organiser des partenariats entre le public et le privé, et gérer des missions d'assistance technique, notamment en situation de post-crise, et pour aider l'expertise française, qu'elle soit publique ou privée d'ailleurs, à se positionner sur le marché international et à utiliser les appels d'offres qui sont lancés sur le plan international. Il n'y a aucune raison, comme nous participons à un certain nombre de financements de ces appels d'offres - je pense à l'Union européenne -, que d'autres experts que les nôtres concourent à la réalisation de ces opérations.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Très bien !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. Ce groupement d'intérêt public renforcera notre expertise et nous permettra d'être davantage présents sur ce terrain.
Cet organisme est encore trop jeune pour qu'un bilan de son action puisse déjà être tiré, mais ses premiers pas sont prometteurs.
M. Del Picchia a évoqué la budgétisation du Fonds européen de développement. Vous le savez, la France y est favorable, car cela permettra de mieux intégrer, sous le contrôle du Parlement et selon les règles communes de gestion, une des dimensions essentielles des politiques de l'Union européenne, celle de l'aide au développement. Nous conditionnons toutefois cette évolution à un élément tout à fait essentiel à nos yeux : le maintien du volume global des crédits européens en faveur des pays Afrique, Caraïbe et Pacifique.
Si la budgétisation se traduit par l'effondrement de l'aide aux pays ACP, ce sera en contradiction avec les options majeures qui sont les nôtres en matière d'aide au développement, en particulier de l'Afrique.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. On aura du mal à s'en apercevoir puisque le FED ne fait rien !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. La Commission européenne est favorable à cette démarche de budgétisation. Elle invoque comme avantage l'harmonisation des règles de gestion, l'accélération des décaissements, cela fait écho à un certain nombre de critiques qui ont été portées dans cette enceinte et ailleurs, sur la lenteur des décaissements, malgré les améliorations qui ont été apportées récemment.
Soyons cependant conscients du fait que la plupart de nos partenaires dans l'Union européenne manifestent pour le moment de sérieuses réserves à l'égard de ce projet, qui a pour effet de bouleverser la répartition de la charge financière en matière d'aide au développement.
Il nous faudra donc faire preuve de pédagogie et, en même temps, obtenir des garanties sur le maintien de l'effort européen en faveur du développement des pays ACP, mais aussi au plan national, sur la réaffectation au profit de nos autres instruments de coopération des sommes qui seraient dégagées par la baisse de notre contribution au Fonds européen de développement.
J'évoquerai en quelques mots l'Agence française de développement,...
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. Quelques mots suffisent !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Elle n'en vaut pas plus !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. ... qui a suscité quelques interrogations.
L'Agence française de développement est le principal opérateur de notre politique de coopération en dehors du ministère lui-même, qui gère le fonds de solidarité prioritaire. Il est tout à fait essentiel, comme l'ont indiqué MM. Chaumont et Charasse en particulier, que les actions menées par l'agence s'inscrivent totalement dans la politique étrangère de notre pays. Le ministère des affaires étrangères doit donc exercer pleinement la cotutelle dont il dispose sur l'agence, à côté et en complément de la tutelle financière du ministère des finances.
Je tiens à vous assurer, monsieur Charasse, de notre volonté de faire en sorte que cette cotutelle soit effective...
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Ah !
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. ... ou en tout cas plus effective. Je mentionne à titre d'exemple les discussions qui ont commencé ces derniers jours, dont je me suis moi-même occupé, entre le ministère et la direction générale de l'AFD pour examiner de très près le plan d'affaires pour 2004, avant qu'il soit soumis au conseil de surveillance de l'institution au mois de janvier, et pour veiller à la cohérence des choix qui seront faits avec les politiques menées par le ministère des affaires étrangères lui-même.
S'agissant des interrogations qui ont été formulées par Mme Luc sur le rôle des femmes dans le développement, nous approuvons tout à fait l'analyse qu'elle a présentée à cet égard. Elle a rappelé les engagements qui ont été pris sur le plan international dans ce domaine pour faire évoluer les droits des femmes, en prenant acte de leur rôle dans le développement.
Le ministère s'est doté d'un certain nombre de moyens pour promouvoir, dans les projets de développement, le rôle de la femme, l'égalité des sexes et je ne parle pas, comme dans le jargon international habituel, d'intégration transversale du genre !
S'agissant du sida, il faut noter que ce débat budgétaire se déroule précisément pendant la journée mondiale contre le sida.
La lutte contre le sida est l'une des principales priorités de notre aide au développement, les autres étant l'accès à l'eau potable, l'éducation de base des enfants, garçons et filles, et le développement rural pour prévenir les famines.
C'est donc l'occasion d'appeler à la mobilisation générale contre cette maladie qui continue de progresser, particulièrement en Afrique, puisque les trois quarts des malades recensés dans le monde sont africains.
Comme vous le savez, la France s'est portée aux avant-postes de la bataille engagée sur le plan international. A l'occasion de la conférence des donateurs, organisée à Paris sur son initiative, le Président Jacques Chirac a confirmé que notre pays allait tripler le montant de sa contribution au fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en la portant à 150 millions d'euros par an.
Parallèlement à cette contribution, notre pays consacre une part importante - environ le tiers - de ses dépenses de coopération en matière de santé à la lutte contre ces maladies. Le ministère est donc un opérateur majeur de cette mobilisation sur le plan international.
En ce qui concerne la francophonie, je voudrais rassurer M. Legendre : évoquer la francophonie vers la fin de mon propos ne signifie nullement qu'il s'agit, dans notre esprit, d'un sujet secondaire, je ne fais que respecter l'ordre dans lequel les différents rapporteurs ont successivement pris la parole à cette tribune. De même, si, dans l'énumération des dix points de la feuille de route que j'ai annoncés, cette question arrive à la fin, cela ne veut pas dire qu'elle est moins importante que d'autres thèmes de l'action gouvernementale. D'ailleurs, le Président de la République comme le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères veillent personnellement à ce qu'elle demeure une priorité.
A ce sujet, notre organisation administrative nécessite certainement, en termes d'actions francophones, d'être regroupée et renforcée dans sa cohérence. Je m'y emploie avec le soutien de Dominique de Villepin. Ce qui compte et ce qui permet de juger, me semble-t-il, de l'efficacité du travail et de l'organisation gouvernementale en la matière, ce sont les faits. J'en citerai quatre parmi les plus importants.
En premier lieu, le sommet de la francophonie a décidé l'accroissement dans des proportions inédites des contributions françaises au fonds multilatéral de la francophonie. Comme je l'ai signalé, sont inscrits dans le projet de budget 20 millions d'euros supplémentaires - je le confirme à M. Legendre comme à M. Dubrule -, et ce malgré l'ambiguïté apparente du bleu budgétaire.
En deuxième lieu, l'université Senghor d'Alexandrie a surmonté la crise qui la minait et qui la menaçait de disparition. Cela ne s'est pas fait tout seul. Le Président Abdou Diouf et moi-même y avons consacré de considérables efforts et nous sommes heureux d'avoir pu surmonter cette difficulté.
En troisième lieu, la bataille pour la diversité culturelle et linguistique a été engagée sur une vaste échelle, en mobilisant tout notre appareil diplomatique et en partenariat étroit avec l'OIF, l'Organisation internationale de la francophonie.
Sur le front de l'UNESCO, une première victoire a été remportée avec la mission confiée à son directeur général, M. Matsura, et visant à lancer la préparation d'une convention internationale destinée à protéger les biens culturels et les langues des effets mécaniques de la libéralisation des échanges commerciaux.
Sur le front de l'Union européenne, la Convention a prévu, comme la France le demandait instamment, d'inscrire à l'article 3 du projet de Constitution le respect de la diversité culturelle et linguistique, base juridique fondamentale qui nous manquait jusqu'à présent pour asseoir notre politique linguistique en Europe.
En quatrième lieu, s'agissant de la place du français dans les institutions européennes, un plan d'action global a été défini et mis en application pour relever le défi de l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres et résoudre les problèmes linguistiques épineux que cela entraîne. Je ne dispose pas, ce soir, du temps nécessaire pour décrire les éléments qui composent ce plan, mais je suis à la disposition de la commission des affaires culturelles du Sénat et de son rapporteur pour revenir devant elle afin d'en détailler le dispositif.
Je n'oublie pas non plus un volet important de la politique francophone, évoqué à juste titre par M. Dubrule : celui du domaine économique. Bien entendu, cela relève avant tout de l'initiative privée. A cet égard, je souligne l'action très positive du Forum francophone des affaires. Il n'en reste pas moins que les pouvoirs publics doivent accompagner les initiatives privées, celles des entreprises, des fondations, du mécénat et des ONG. Il faut faire évoluer les mentalités et les pratiques dans l'esprit d'un partenariat où chacun - pouvoirs publics ou initiative privée - joue son rôle dans son registre, mais au service d'intérêts nationaux communs à l'extérieur de notre territoire.
En conclusion, je dirai que, dans plusieurs domaines, nous avons continué de subir des contraintes. Je ne m'appesantirai pas sur ce sujet qui a été suffisamment développé.
Il est par exemple regrettable que les crédits de coopération culturelle et technique du chapitre 42-15 soient en diminution de 3 % par rapport au budget initial de 2003, même si les crédits qui vous sont proposés restent cependant supérieurs à ceux qui ont été effectivement disponibles cette année du fait des mesures de régulation.
Nous aurions également souhaité - M. le ministre des affaires étrangères l'a dit - augmenter d'autres lignes budgétaires : les contributions volontaires au système des Nations unies, l'aide alimentaire, le soutien aux organisations de solidarité internationale, la coopération militaire, la coopération décentralisée, sujets sur lesquels Mme Brisepierre comme MM. Chaumont, Branger et Durand-Chastel ont attiré l'attention à juste titre. Cette année, dans le contexte budgétaire que l'on sait, nous avons pu maintenir les crédits tels qu'ils étaient inscrits dans la loi de finances initiale de 2003, c'est-à-dire avant les régulations intervenues en cours d'année. Nous espérons pouvoir faire mieux l'année prochaine.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les quelques points que je souhaitais développer devant vous en réponse aux principales questions qui ont été soulevées. J'ai conscience de ne pas avoir tout traité.
Ainsi, je n'ai pas parlé de l'accueil des étudiants étrangers, en forte hausse, qui présente, certes, un caractère interministériel mais sur lequel, avec M. Chaumont et Mme Cerisier-ben Guiga, nous pourrons échanger un certain nombre d'idées.
Je n'ai pas parlé non plus de l'amélioration de la visibilité de l'aide française dans les programmes regroupant plusieurs bailleurs de fonds et de notre influence sur les politiques de ces donateurs, question soulevée par MM. Pelletier et Charasse, qui mérite d'être approfondie. Je ne partage pas la vision pessimiste exprimée par M. Pelletier. J'aurais beaucoup de choses à lui dire à ce propos et je préciserai notamment que la France apparaît, dans ces domaines - je peux en témoigner -, comme un moteur, une force de proposition en matière de développement à l'égard des bailleurs de fonds internationaux et de nos partenaires.
Enfin, je n'ai pas pu parler suffisamment de la cohérence plus grande à apporter aux réseaux extérieurs de nos organismes de recherche.
Sur tous ces sujets, et sur d'autres encore, je reste bien sûr à la disposition du Sénat pour améliorer la transparence de notre politique de coopération à l'égard de la représentation nationale et pour poursuivre cette réflexion commune. (Applaudissements.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant les affaires étrangères.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : moins 12 234 465 euros. »
La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. C'est un fait exceptionnel ! Alors que la France est le deuxième réseau diplomatique, consulaire et culturel, les agents et employés du ministère des affaires étrangères sont en grève et descendent dans la rue. La mobilisation est grande, tant en France qu'à l'étranger. Parmi ces derniers se trouvent six mille professeurs des lycées français à l'étranger et les personnels des établissements scolaires et culturels en proie à de nombreux doutes sur l'avenir de l'enseignement du français à l'étranger.
Tous protestent contre les coupes drastiques en personnels et en moyens financiers que subissent le ministère et ses délégations à l'étranger depuis trop longtemps. En dix ans, le ministère a perdu 10 % de ses effectifs.
Le 28 octobre 2003, devant le Conseil économique et social, vous avez déclaré, monsieur le ministre : « C'est sur le réseau historique de nos écoles, collèges et lycées que repose au premier chef la présence culturelle française à l'étranger (...) Si la question qui nous réunit aujourd'hui éveille en moi un écho singulier, c'est parce qu'elle touche à l'essentiel. »
Effectivement, la présence de l'enseignement français dans le monde, au travers de l'AEFE, mais aussi du réseau d'écoles, collèges et lycées, est la vitrine culturelle de la France. Elle représente son rayonnement historique, qu'il convient de continuer à entretenir avec fierté. Ce qui est pourtant essentiel, comme vous le reconnaissez, est en passe aujourd'hui d'être durement et durablement affaibli.
Le plan d'orientation stratégique pour 2007 de l'AEFE soulève de nombreuses inquiétudes. Cette année encore, l'AEFE subit une diminution de budget de 1,48 %, alors même que ses besoins sont croissants. Le désengagement de l'Etat doit être dénoncé et la garantie de la mission d'établissement public clairement affirmée.
De nombreuses mesures vont porter atteinte à la mission même des établissements scolaires français basés à l'étranger, parmi lesquelles figurent la diminution des indemnités d'expatriation, dont les indemnités spécifiques de vie locale, l'absence de revalorisation de la situation des recrutés locaux, les déconventionnements d'établissements, ou encore la disparition du statut de résident et d'expatrié. Des négociations doivent ainsi être rapidement engagées. C'est ce que vous avez dit ce soir, me semble-t-il, monsieur le ministre.
L'AEFE est aujourd'hui présente dans quelque cent trente pays, et elle incarne un exemple structuré unique d'enseignement sur le plan international. Sa force est de fournir un enseignement de qualité pour les Français expatriés, qui ont la garantie de suivre les programmes français, mais également pour les habitants des pays qui ont accès à notre savoir et à nos compétences.
Malheureusement, sans un accroissement des moyens financiers et humains, monsieur le ministre, l'AEFE ne pourra pas assurer ses missions d'établissement public.
Pourtant, je sais que la France est très attachée, comme vous l'êtes vous-même, à l'éducation et à l'apprentissage du savoir dans le monde. Je me rappelle qu'après la guerre en Afghanistan l'une des premières et des plus grandes actions françaises dans ce pays a été de rouvrir les deux lycées franco-afghans de Malalaï et d'Estiqlal. Ici même, tous les groupes se sont associés pour organiser une rencontre de sensibilisation et d'action. La réponse positive de toutes les composantes politiques de la Haute Assemblée démontre combien la culture et le savoir ne sont pas des vains mots. C'est grâce à ces derniers que le monde pourra nourrir l'espoir d'être un jour meilleur.
Je pense également à la mission de la France dans des pays aujourd'hui très déstabilisés comme l'Irak. Mais le moment viendra où nous pourrons travailler aussi à la réouverture du centre culturel français. Ces pays ont besoin et réclament une présence culturelle et scolaire que la France peut apporter. Il s'agit d'un atout majeur pour contribuer à leur essor, que nous ne devons pas négliger.
Parce que les crédits du titre III sur les moyens de services sont très en deçà du minimum des crédits dont le ministère a besoin pour son fonctionnement, nous voterons contre.
M. le président. Je mets aux voix les crédits du titre III.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 30 792 053 euros. »
Je mets aux voix les crédits du titre IV
ÉTAT C
M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 45 000 000 euros ;
« Crédits de paiement : 18 852 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 344 566 000 euros ;
« Crédits de paiement : 52 942 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.
(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. En accord avec la commission des finances, j'appelle en discussion les amendements n° II-43 et II-44, qui tendent à insérer un article additionnel avant l'article 72.
Articles additionnels avant l'article 72
M. le président. L'amendement n° II-43, présenté par M. Cointat, est ainsi libellé :
« I. - Avant l'article 72, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 121-10 du code de l'action sociale et des familles il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L ... - Les actions menées par l'Etat à l'égard des Français de l'étranger en difficulté, en particulier les personnes âgées ou handicapées, relèvent de la compétence de l'Etat.
« Ces personnes peuvent bénéficier, sous conditions, de secours et aides prélevés sur les crédits d'assistance aux Français de l'étranger du ministère des affaires étrangères, et d'autres mesures appropriées tenant compte de la situation économique et sociale du pays de résidence.
« Le Conseil suspérieur des Français de l'étranger, la commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étranger et, dans chaque pays considéré, le comité consulaire compétent sont consultés sur la politique d'aide sociale aux Français de l'étranger. »
« II. - 1° Le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion est supprimé.
« 2° - Au 2° du II de l'article 5 de l'ordonnance n° 2000-1249 du 21 décembre 2000 relative à la partie législative du code de l'action sociale et des familles, sont supprimés les mots : "et le deuxième alinéa".
« III. - En conséquence, faire précéder cet article par une division ainsi rédigée :
« Affaires étrangères ».
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Il s'agit d'un amendement codification. En effet, la politique sociale en faveur des Français de l'étranger, conduite par le ministère des affaires étrangères, couvre, par le biais de l'allocation de solidarité, essentiellement des cas suivants : les Français âgés en état d'exclusion, les handicapés et les secours occasionnels.
Un dispositif complémentaire d'aide à l'insertion sociale et professionnelle - l'allocation locale d'insertion sociale - est expérimenté depuis le mois de mars 2001 à Tananarive et à Dakar. Sont également versées dans ce contexte des subventions aux associations françaises de bienfaisance.
Or, les bases juridiques sur lesquelles se fonde cette politique sont devenues incertaines. En effet, cette politique repose, d'une part, sur l'article 1er, deuxième alinéa, de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au RMI, qui est maintenu provisoirement en vigueur, son abrogation étant différée jusqu'à la parution complète du code de l'action sociale et des familles. Elle repose, d'autre part, pour les autres mesures sociales prises en faveur des Français de l'étranger, sur des circulaires ministérielles.
Il se trouve que le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 25 février 1998, a précisé que le régime des allocations de solidarité ne peut être fixé que par des dispositions législatives ou réglementaires.
Nous nous trouvons donc dans une situation plus qu'incertaine, comme je le disais au début de cette intervention.
C'est la raison pour laquelle il apparaît urgent de consolider la base juridique sur laquelle se fonde la politique sociale du ministère des affaires étrangères et la consommation des crédits prévue à cet effet.
Tel est le sens du présent amendement. De portée purement juridique, il n'entraîne donc aucune dépense. Il se limite simplement à consolider ce qui existe déjà, mais sous une forme juridiquement recevable.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. La commission n'a pas examiné cet amendement. Il a pour objet de consolider la base juridique sur laquelle se fonde le versement des prestations sociales pour les Français de l'étranger par les services du ministère des affaires étrangères.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel qui ne modifie pas le droit existant. Il n'entraîne pas non plus de dépense nouvelle.
Par conséquent, la commission s'en remet à l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. Cet amendement va effectivement clarifier juridiquement la situation s'agissant de la politique d'aide sociale que conduit le Gouvernement en faveur des Français de l'étranger les plus démunis.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse, rapporteur spécial.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Le premier alinéa de l'amendement de M. Cointat prévoit les dispositions suivantes : « Les actions menées par l'Etat à l'égard des Français de l'étranger (...) relèvent de la compétence de l'Etat. » Je sais bien que, quand il pleut, la pluie tombe, mais on pourrait peut-être se contenter d'écrire : « Les actions menées à l'égard des Français de l'étranger (...) relèvent de la compétence de l'Etat. »
M. le président. Monsieur Cointat, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens proposé par M. Charasse ?
M. Christian Cointat. Je l'accepte, monsieur le président, car il s'agit d'une coquille.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° II-43 rectifié, présenté par M. Cointat, et qui est ainsi libellé :
« I. - Avant l'article 72, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 121-10 du code de l'action sociale et des familles, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art L. ... Les actions menées à l'égard des Français de l'étranger en difficulté, en particulier les personnes âgées ou handicapées, relèvent de la compétence de l'Etat.
« Ces personnes peuvent bénéficier, sous conditions, de secours et aides prélevés sur les crédits d'assistance aux Français de l'étranger du ministère des affaires étrangères, et d'autres mesures appropriées tenant compte de la situation économique et sociale du pays de résidence.
« Le Conseil supérieur des Français de l'étranger, la commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étanger et, dans chaque pays considéré, le comité consulaire compétent sont consultés sur la politique d'aide sociale aux Français de l'étranger.»
« II. - 1° Le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion est supprimé.
« 2° Au 2° du II de l'article 5 de l'ordonnance n° 2000-1249 du 21 décembre 2000 relative à la partie législative du code de l'action sociale et des familles, sont supprimés les mots : "et le deuxième alinéa".
« III. - En conséquence, faire précéder cet article par une division ainsi rédigée :
« Affaires étrangères ».
La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour explication de vote.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je serai brève. Nous allons voter cet amendement. En effet, dans la mesure où l'aide sociale est de plus en plus transférée aux régions dans le cadre de la décentralisation, les Français de l'étranger vont perdre la base juridique de l'aide sociale qui leur est attribuée à l'étranger. Or cette base juridique est d'autant plus utile que l'on peut craindre la suppression de cette aide sociale d'Etat, non transférée à des sociétés de bienfaisance.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-43 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, avant l'article 72.
L'amendement n° II-44, présenté par M. Cointat, est ainsi libellé :
« I. - Avant l'article 72, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le Gouvernement présentera au Parlement lors de la discussion de la loi de finances pour 2005 un rapport sur la situation générale de l'enseignement français à l'étranger et sur les réformes qui pourraient être envisagées afin de le rendre plus performant et de mobiliser plus efficacement les ressources humaines, financières et administratives disponibles. Le Conseil supérieur des Français de l'étranger sera préalablement saisi pour avis en application de l'article 1er A de la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 relative au Conseil supérieur des Français de l'étranger. »
« II. - En conséquence, faire précéder cet article par une division ainsi rédigée :
« Affaires étrangères ».
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Je remercie M. Charasse d'avoir vu la coquille qui s'était glissée dans cette version de l'amendement ; elle n'existait pas dans l'autre version.
Cet amendement II-44 concerne l'enseignement. En effet, le régime actuel de l'enseignement français à l'étranger, conçu dans les années 1982-1990, est à bout de souffle. Malgré la qualité remarquable des enseignants et le combat dynamique des associations de parents d'élèves, ce système a montré ses limites en termes d'investissements humains et de croissance exponentielle des besoins.
En dépit de l'augmentation constante des crédits alloués à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, les structures mises en place en 1990, telles qu'elles ont été façonnées, ne donnent pas toujours aux parents d'élèves, ni aux enseignants, ni aux élus, les satisfactions qu'ils seraient en droit d'en attendre.
En raison du cloisonnement des administrations, le ministère de l'éducation nationale n'est pas suffisamment mis à contribution, tant au niveau pédagogique qu'au niveau des moyens et de la gestion des personnels. Cette organisation est d'ailleurs contraire, sur des points essentiels, à celle que le Sénat souhaitait lors des travaux préparatoires de la loi n° 90-558 du 6 juillet 1990 portant création d'une agence pour l'enseignement français à l'étranger.
Le rapporteur de cette loi au Sénat, notre regretté collègue Paul d'Ornano, auquel j'ai eu l'honneur de succéder, nous avait, en conséquence, mis en garde et invités à rejeter cette loi en dernière lecture. Force est de constater que son opinion sur le dispositif actuel de l'enseignement français à l'étranger était complètement justifiée.
Le présent amendement vise essentiellement à réaliser un audit de l'ensemble du système, afin d'examiner la façon dont il pourrait être amélioré dans l'intérêt des jeunes Français à l'étranger, des enseignants et des familles. Cet amendement est une invitation à mettre tout à plat et à faire preuve d'imagination pour trouver de nouvelles ressources humaines, financières et administratives, en partenariat équilibré avec l'éducation nationale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. Cet amendement vise à demander au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport sur la situation générale de l'enseignement du français à l'étranger, rapport qui serait préalablement soumis à l'avis du Conseil supérieur des Français de l'étranger.
Cette année, l'AEFE a formulé des observations extrêmement importantes sur son avenir et un rapport du Conseil économique et social a mis toutes ces observations en perspective. Par conséquent, nous ne voyons pas d'inconvénient à ce nouveau rapport. Mais je me demande s'il est absolument indispensable.
En tout état de cause, nous suivrons l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué. Je dirai tout d'abord à M. Cointat que le fait de qualifier le régime actuel de l'enseignement français à l'étranger de système « à bout de souffle » me paraît exagérément négatif et pessimiste. D'ailleurs, l'augmentation constante du nombre des élèves en témoigne puisque, comme vous le savez probablement, ce réseau accueille à peu près mille élèves de plus chaque année. L'Etat lui accorde, en 2004, des moyens qui lui permettront, compte tenu des gains de change, d'assurer correctement ses missions. Son fonds de roulement s'est sensiblement amélioré.
Vous savez aussi que l'Agence présentera à son conseil d'administration, qui comprend des élus de la représentation nationale, un plan stratégique ambitieux pour redéfinir ses vocations et ses priorités.
S'agissant des investissements et de la maintenance immobilière des établissements, l'Agence, après avoir donné un état des lieux très précis, définira le cadre prioritaire de ses interventions.
Bref, tout cela montre qu'il s'agit d'un réseau en pleine mutation, d'un système qui a le souci de redéfinir ses missions de service public. Bien entendu, nous avons pris l'engagement que le CSFE sera étroitement associé à la réflexion et à la mise en oeuvre de ses orientations.
Par conséquent, monsieur le sénateur, par rapport à la démarche qui inspire votre amendement, nous sommes parfaitement sur la même ligne. Cela dit, faut-il créer une contrainte supplémentaire par le dépôt d'un nouveau rapport compte tenu de ceux qui existent déjà ? Sur ce point, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Je reconnais, comme l'a dit d'ailleurs M. Chaumont, qu'il ne faut pas multiplier les rapports.
En réalité, j'ai l'intuition que la sagesse, telle que la conçoit M. le ministre délégué, est plutôt une sagesse passive. (M. le ministre délégué sourit.) J'en déduis que cela revient à me demander de retirer cet amendement.
Il est vrai que la réponse du Gouvernement va dans le sens que je souhaitais. Il est vrai que je ne suis pas un fanatique de la multiplication de rapports. Il est vrai, enfin, que je ne souhaite pas supprimer ce qui existe.
Monsieur le ministre délégué, « à bout de souffle » ne signifie pas « à bout d'intérêt » : cela veut dire que l'on n'a peut-être plus les moyens, le souffle, pour faire face aux besoins qui se présentent. Dans ces conditions, monsieur le président, à cette heure avancée de la nuit, je vais suivre mon intuition : une fois de plus, je fais confiance au Gouvernement et je retire mon amendement. (Très bien ! sur le banc des commissions.)
M. le président. L'amendement n° II-44 est retiré.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant les affaires étrangères.
ORDRE DU JOUR
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mardi 2 décembre 2003, à neuf heures trente, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale (n°s 72 et 73, 2003-2004) (M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Deuxième partie. - Moyens des services et dispositions spéciales :
Intérieur, sécurité intérieure et libertés locales :
Sécurité (1) :
Procédure de questions et de réponses avec un droit de réplique des sénateurs.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial (rapport n° 73, annexe n° 22) ;
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale (police et sécurité, avis n° 78, tome II) ;
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale (sécurité civile, avis n° 78, tome III).
Décentralisation :
M. Michel Mercier, rapporteur spécial (rapport n° 73, annexe n° 23) ;
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale (avis n° 78, tome I).
Agriculture, alimentation, pêche et affaires rurales (et article 72) :
Budget annexe des prestations sociales agricoles :
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial (rapport n° 73, annexe n° 3) ;
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (agriculture, avis n° 75, tome I) ;
M. Alain Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (pêche, avis n° 75, tome II) ;
M. Gérard Delfau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (développement rural, avis n° 75, tome III) ;
M. Bernard Dussaut, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan (industries agricoles et alimentaires, avis n° 75, tome IV) ;
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles (enseignement agricole, avis n° 74, tome VIII).
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales (prestations sociales agricoles, avis n° 77, tome VI).
En outre, à quinze heures, éloge funèbre de M. Emmanuel Hamel.
Délai limite pour les inscriptions de parole
dans les discussions précédant l'examen des crédits
de chaque ministère
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans les discussions précédant l'examen des crédits de chaque ministère est fixé à la veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux crédits
budgétaires pour le projet de loi de finances pour 2004
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux divers crédits budgétaires et articles rattachés du projet de loi de finances pour 2004 est fixé à la veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la deuxième partie, non joints à l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2004
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la deuxième partie, non joints à l'examen des crédits du projet de loi de finances pour 2004 et fixé au vendredi 5 décembre 2003, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 2 décembre 2003, à zéro heure vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD
NOMINATION D'UN RAPPORTEUR
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Pierre Fauchon a été nommé rapporteur de la proposition de résolution européenne n° 79 (2003-2004), présentée, en application de l'article 73 bis du règlement, par M. Pierre Fauchon, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, sur l'initiative de la République hellénique, concernant l'adoption par le Conseil d'un projet de décision-cadre relatif à l'application du principe non bis in idem (n° E 2236), dont la commission des lois est saisie au fond.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON
QUESTIONS ORALES
REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT
(Application des articles 76 à 78 du réglement)
Politique d'investissement sur les voies navigables
375. - 1er décembre 2003. - M. Francis Grignon attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur le problème posé par l'abandon de certains investissements sur les voies navigables. Il lui rappelle les propositions contenues dans le rapport d'information du Sénat n° 366 (2001-2002) dont il a été le rapporteur. A la suite des différentes auditions organisées dans le cadre de cette mission, il avait été envisagé de trouver d'autres solutions techniques moins onéreuses et moins perturbantes pour l'écologie et l'environnement permettant d'aboutir à une politique des voies navigables plus offensive en France. Il avait été envisagé de confier à un spécialiste l'étude de nouvelles solutions. C'est pourquoi il lui demande si une décision a été prise dans ce sens.