Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
MM. Jean Desessard, François Fortassin.
2. Dépôt du rapport d’une commission d’enquête
3. Fiscalité numérique neutre et équitable. – Suite de la discussion et renvoi à la commission d’une proposition de loi
Discussion générale (suite) : MM. David Assouline, Michel Teston.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances ; Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique.
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 1 de la commission. – MM. François Fortassin, en remplacement de M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances ; Philippe Marini, Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. – Adoption, par scrutin public, de la motion ordonnant le renvoi à la commission de la proposition de loi.
4. Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi ; Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois ; M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur.
M. Pierre Charon, Mme Éliane Assassi, MM. Vincent Capo-Canellas, François Fortassin, André Gattolin, Philippe Kaltenbach.
Mme la rapporteur, M. Manuel Valls, ministre.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Vincent Capo-Canellas. – M. Vincent Capo-Canellas, Mme la rapporteur, M. Manuel Valls, ministre. – Rejet.
Rejet de l’article.
Amendement n° 2 de M. Vincent Capo-Canellas. – M. Vincent Capo-Canellas, Mme la rapporteur, M. Manuel Valls, ministre. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Tous les articles ayant été supprimés, la proposition de loi est rejetée.
5. Demande de création d'une mission commune d'information
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
6. Questions cribles thématiques
M. François Fortassin, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Alain Milon, Mme Marisol Touraine, ministre.
M. Joël Guerriau, Mme Marisol Touraine, ministre.
M. Jean-Jacques Mirassou, Mme Marisol Touraine, ministre.
Mmes Laurence Cohen, Marisol Touraine, ministre ; Isabelle Pasquet.
Mmes Aline Archimbaud, Marisol Touraine, ministre.
Mmes Catherine Procaccia, Marisol Touraine, ministre.
M. Jean-Luc Fichet, Mme Marisol Touraine, ministre.
M. Philippe Darniche, Mme Marisol Touraine, ministre.
Suspension et reprise de la séance
7. Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. – Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
MM. François Zocchetto, le président.
Mmes Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois ; Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ; M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
Mme Cécile Cukierman, MM. François Zocchetto, Jean-Michel Baylet, Mme Esther Benbassa ; MM. Philippe Darniche, Patrice Gélard, Mmes Nicole Bonnefoy, Catherine Tasca, Isabelle Pasquet, MM. Michel Mercier, Robert Hue.
Suspension et reprise de la séance
8. Modification de l'ordre du jour
9. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
10. Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. – Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
Dépôt d’une motion référendaire
M. le président.
Mme Isabelle Debré, M. le président.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
MM. Charles Revet, Yves Daudigny, Hervé Maurey, Alain Milon, Serge Larcher, Mme Chantal Jouanno, M. Abdourahamane Soilihi, Mme Virginie Klès, MM. Jean-Pierre Leleux, Philippe Kaltenbach, Alain Gournac, Roger Madec, Gérard Bailly, Thani Mohamed Soilihi, Claude Dilain, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Étienne Antoinette, David Assouline.
Clôture de la discussion générale.
Mmes Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
Renvoi de la suite de la discussion.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. François Fortassin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt du rapport d’une commission d’enquête
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jacques Mézard un rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée le 3 octobre 2012, sur l’initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en application de l’article 6 bis du règlement.
Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et Décrets », d’aujourd’hui jeudi 4 avril 2013. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’Instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.
Ce rapport sera publié sous le n° 480, le 10 avril 2013, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.
3
Fiscalité numérique neutre et équitable
Suite de la discussion et renvoi à la commission d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la suite de la discussion de la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, présentée par M. Philippe Marini (proposition n° 682 rectifié [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 288, rapport n° 287, avis nos 291, 298 et 299).
Je rappelle que nous avions commencé l’examen de cette proposition de loi le jeudi 31 janvier dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, défendue par M. Marini, soulève des questions majeures, comme nous l’avons tous souligné. Cette discussion ne relève pas du débat technique entre spécialistes, car elle s’inscrit au cœur des problématiques de régulation en temps de crise, à l’heure ou les avancées technologiques modifient non seulement les modèles économiques et industriels, mais aussi les habitudes de consommation culturelle.
L’économie numérique est partout, elle capte au quotidien des milliards d’individus connectés et irrigue l’ensemble des secteurs économiques. Dans le monde, Google a dépassé les 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2012 et son bénéfice net a augmenté de 10 %. En France, Google, Amazon, Facebook et Apple, à eux seuls, dégagent de 2,5 milliards d’euros à 3 milliards d’euros de revenus.
Les entreprises que je viens de citer sont emblématiques de l’industrie numérique, qui reste fondamentalement une industrie de contenus. Dès lors, vous pouvez imaginer que l’instauration d’une fiscalité neutre et équitable s’avère cruciale pour la culture et pour la presse, notamment avec la question des droits d’auteurs et de la rémunération des contenus par les moteurs de recherche. L’accord récent entre Google et l’Association de la presse d’information politique et générale, qui n’a pas de lien avec les réflexions en cours sur l’intervention de l’État en faveur de la presse, constitue une avancée qu’il faut saluer. Par ailleurs, l’État a pu aider à la mise en place d’un fonds dédié, d’un montant de 60 millions d’euros, qui facilitera la transition de la presse vers le monde numérique : ce n’est qu’un début, car cette mesure ne représente pas la solution définitive. Tous ces éléments montrent qu’il est légitime de se pencher sur l’argent qui irrigue le numérique, et Google l’a bien compris !
Il s’agit en l’espèce de redistribuer de la richesse, de favoriser l’innovation et la création culturelle. Les acteurs de la culture sont concernés au premier chef, parce que leurs ressources sont tirées de taxes affectées. Or le secteur de l’économie numérique échappe à l’impôt depuis trop longtemps, et nous ne pouvons plus regarder ailleurs. Prolonger notre temps de réaction ne fera que rendre la situation plus difficile. Les marchés classiques du livre et de la musique, pour ne parler que de supports physiques, sont en difficulté et voient leur assiette de taxation se réduire. Dans le même temps, l’édition et la distribution d’œuvres, surtout audiovisuelles, ont des besoins de financement importants, et le contexte budgétaire est contraint.
S’il faut être connecté pour réaliser des transactions dématérialisées, l’impôt sur les sociétés et la TVA, eux, sont déconnectés du pays de consommation. Prenons l’exemple des médias : certains groupes de presse se sont alliés, compte tenu de la crise qu’ils traversent, pour demander la création d’une taxe sur ceux qui captent leurs productions. On a invoqué les compétences de l’Union européenne, avant que les Allemands n’adoptent une telle taxe. On a alors organisé des réunions intergouvernementales, notamment avec les Portugais. Depuis, Google s’inquiète de l’adoption éventuelle d’une législation et en tient compte. Il est donc nécessaire à la fois de sortir du cadre restreint du commerce en ligne et de dépasser le cadre national. Pour défendre la culture et la communication, il faudra agir au niveau global.
Malheureusement, cette proposition de loi ne voit pas assez loin et son champ n’est pas assez large. Son auteur envisage la création de taxes sectorielles sur la publicité en ligne et le commerce électronique sur le territoire national. Or, en réalité, nous avons besoin de mesures fiscales adaptées à chaque domaine. Il faut cibler pour être efficace : c’est la seule solution pour avancer dans ce dossier complexe. Tous les secteurs de la culture sont physiquement touchés : les archives, les bibliothèques, le cinéma. Avec cette proposition de loi, nous abordons le problème sous un angle trop général, mélangeant les aspects technique, économique, de compatibilité européenne, de sorte que nous n’y voyons plus clair. Nous gagnerions à adopter une stratégie de taxation ciblée sur chacun des champs de notre compétence.
À ce titre, le rapport de MM. Collin et Colin, remis le 18 janvier 2013, trace des perspectives très intéressantes, en dehors des sentiers battus, qu’il s’agisse du recensement des données des utilisateurs ou du financement par le marché de ce secteur. Il est donc trop tôt, à mon avis, pour se doter d’un arsenal législatif qui fermerait des portes au lieu d’en ouvrir. En outre, dans l’état actuel des choses, ce dernier serait difficile à rendre opérationnel non seulement du point de vue fiscal, mais aussi au regard du droit européen – vous le savez d’ailleurs bien, monsieur Marini.
M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi. Cela se discute !
M. David Assouline. Il nous revient de réfléchir à un meilleur fléchage des rentrées fiscales – et cette question m’intéresse en tant que membre de la commission de la culture –, qui, si l’on suit les préconisations de l’auteur de la proposition de loi, tomberaient simplement dans le « pot commun » du budget général de l’État ou reviendraient aux collectivités territoriales, sans que de nouvelles ressources soient affectées aux industries culturelles.
Avec l’enjeu que représente aujourd’hui la négociation commerciale internationale, où l’exception culturelle française est nettement menacée, en particulier pour l’audiovisuel, il me semble que cette voie ne doit pas être suivie. Au contraire, comme l’ont fait jusqu’à présent tous les gouvernements, de droite comme de gauche, il faut continuer à mener la bataille de la France pour l’exception culturelle.
On le voit, la problématique du financement de la culture est centrale, compte tenu de l’importance de l’échange des supports culturels dans les communications dématérialisées. Il y a là une manne financière qui pourrait soutenir l’industrie culturelle. À ce sujet, il serait important d’attendre les conclusions des travaux de la commission présidée par M. Pierre Lescure, qui seront rendues en avril 2013, donc dans quelques jours, pour envisager de nouvelles perspectives.
M. Philippe Marini. Cette commission ne travaille pas sur la fiscalité !
M. David Assouline. J’ignore en quoi elles consisteront exactement, mais nous aurons ici, le moment venu, un vrai débat. Un « acte II » de l’exception culturelle, à préserver et à financer, prenant en compte la révolution numérique, devra voir le jour. Il sera incontournable pour protéger les créateurs contre les grands groupes, ces derniers s’apparentant aujourd’hui à des « monstres » qui captent tout sans rien créer ! Ce n’est rien moins que la survie de la création pluraliste dans le monde qui est en jeu, et nous ne l’oublions pas dans notre volonté de faire participer les grands acteurs du numérique à l’effort fiscal.
Néanmoins, monsieur Marini, votre proposition de loi a eu le mérite de provoquer un débat et de rappeler que le Sénat est attentif à cette question. (MM. Michel Le Scouarnec et André Gattolin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, présentée par Philippe Marini, a le mérite de rappeler la nécessité de l’équité fiscale, alors que les grands groupes de l’Internet, tels que Google, Apple, Facebook, Amazon ou eBay, ne paient pas, ou quasiment pas, l’impôt sur les sociétés en France, parce qu’ils ont fait le choix de s’établir en Irlande ou au Luxembourg.
Ces entreprises dissocient presque systématiquement leur lieu d’établissement des lieux de consommation. Comme l’indique le rapport commandé par le Gouvernement à MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, ces entreprises « sont d’emblée organisées en vue de tirer le meilleur parti des différences de systèmes fiscaux ». En conséquence, il est difficile de fiscaliser leurs bénéfices.
Ainsi, le texte de Philippe Marini vise à instaurer une taxe sur la publicité en ligne et une autre taxe sur les services de commerce électronique, dans le cadre d’une obligation de déclaration d’activité pour les acteurs de services en ligne basés à l’étranger.
Ces propositions s’inscrivent dans une logique d’équité fiscale, dans la mesure où les acteurs de l’économie numérique établis en France, et soumis à l’impôt, sont concurrencés par des sites internet basés à l’étranger, qui ne supportent ni les mêmes charges fiscales en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés ni les taxations spécifiques à la France, et destinées à financer les réseaux ou encore l’audiovisuel public.
Assujettir les sites internet basés à l’étranger à la fiscalité présenterait, en outre, le grand intérêt d’augmenter les recettes fiscales, dans une période où les contraintes budgétaires sont très fortes et où l’État doit pourtant faire face à des dépenses d’investissement essentielles. Je pense en particulier à la couverture de l’ensemble du territoire par le très haut débit, action majeure pour laquelle le Gouvernement vient de présenter une feuille de route pour les dix ans à venir. Il y est prévu que l’État apporte trois milliards d’euros, sur l’ensemble de la période, pour aider les collectivités locales à déployer des réseaux de communication électronique dans les secteurs les moins denses démographiquement.
La fiscalisation des recettes de la « bande GAFA » – Google, Amazon, Facebook et Apple – est donc non seulement une question d’équité fiscale, mais aussi une nécessité pour redonner des marges financières à l’action publique.
Tous les avis convergent donc sur la nécessité de mettre en place une fiscalité numérique, neutre et équitable. Cependant, d’autres solutions que celles de Philippe Marini ont été proposées. Ainsi, le rapport d’expertise précité tend à mettre en place une fiscalité incitative en matière de collecte, de gestion et d’exploitation des données personnelles.
Dès lors, la motion de renvoi à la commission, adoptée par la commission des finances du Sénat, paraît parfaitement adaptée. Elle permet de disposer du temps nécessaire pour étudier les diverses solutions envisagées, et ce dans la perspective d’une réforme plus globale.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crois utile de prendre la parole à ce stade, avant que Mme la ministre ne réponde aux différents orateurs de cette discussion générale qui se déroule en deux temps, séparés par une interruption de deux mois. En effet, l’examen de ma proposition de loi, lors de l’inscription initiale de cette dernière à l’ordre du jour du Sénat, n’avait pu être mené à bien, faute de temps, et nous devons le terminer ce matin.
Je voudrais simplement vous inviter, mes chers collègues, à réfléchir sur ce qui s’est passé au cours de ces deux mois. Quelles ont été les initiatives du Gouvernement pour faire progresser la recherche concrète d’une solution ? Quelles sont les évolutions du contexte national et international ?
La commission des finances s’est efforcée, pour sa part, de continuer à faire vivre le débat, tout particulièrement grâce à l’audition, le 20 février dernier, de Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Il nous a exposé – il a d’ailleurs très largement communiqué sur ce sujet – les conditions dans lesquelles le G20 a donné mandat à l’OCDE pour fournir, d’ici au mois de juin de cette année, un plan d’action définissant la direction dans laquelle de nouveaux instruments seront présentés pour lutter contre l’érosion des bases fiscales.
Les grands groupes de l’économie numérique offrent un exemple – seulement un exemple, mais un bel exemple – des situations décrites par l’OCDE et des difficultés à localiser les bénéfices taxables selon les territoires où exercent les filiales d’une multinationale.
Nous avons donc compris que la négociation d’un modèle de convention fiscale multilatérale qui viendrait remplacer certaines dispositions des conventions bilatérales serait sans doute plus rapide que l’élaboration d’un nouveau modèle de convention bilatérale et la renégociation de l’ensemble des conventions bilatérales existantes.
C’est un processus que la France soutient dans le cadre d’un mouvement qu’elle a lancé de concert avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
J’en viens à un autre aspect des choses : l’argument de l’euro-compatibilité ou incompatibilité de ma proposition de loi m’ayant été opposé lors du débat précédent, notamment par le Gouvernement, je me suis efforcé de fouiller ce point ; j’ai donc interrogé par courrier, le 6 mars dernier, les deux commissaires européens compétents, Michel Barnier, en charge du marché intérieur et des services, et, surtout, Algirdas Šemeta, en charge de la fiscalité, de l’union douanière, de l’audit et de la lutte antifraude, leur posant noir sur blanc deux questions.
Première question, « ne pourrait-on soutenir que le respect des principes de la concurrence sur le marché intérieur, qui constitue l’un des fondements de l’Union, doit être regardé comme un motif d’intérêt général, eu égard au déséquilibre flagrant de la publicité en ligne, justifiant l’application d’un régime dérogatoire prévoyant la désignation d’un représentant fiscal ? » – la désignation de ce représentant fiscal est en effet, vous le savez, l’un des éléments clés de la proposition que j’ai formulée.
Seconde question, « l’extension de la procédure simplifiée de déclaration des services fournis par voie électronique aux fins d’application de taxes nationales spécifiques soulève-t-elle des objections au regard du droit communautaire ? »
MM. les commissaires ont bien voulu me faire parvenir en tout début de semaine une réponse documentée que je tiens à votre disposition, madame la ministre. J’ai noté avec intérêt que le contenu de ce courrier était loin d’être aussi négatif que les arguments que le Gouvernement m’oppose depuis des mois. Certes, il m’a été répondu que seule la Cour de justice de l’Union européenne peut donner une interprétation contraignante sur la compatibilité d’une législation nationale avec le droit européen. Mais cela, tout bon étudiant en droit le sait dès le début de ses études supérieures !
Toutefois, si les commissaires semblent écarter, à ce stade, l’argument tiré du respect des principes de la concurrence pour justifier l’entrave aux libertés que constituerait la désignation obligatoire d’un représentant fiscal, je pense qu’il faut lire leur réponse comme on lirait un arrêt ou un avis du Conseil d’État, c'est-à-dire à la fois « en plein et en creux ». Que nous disent-ils précisément ? « […] la Cour de justice, selon une jurisprudence constante, examine l’existence d’un lien direct entre la restriction apportée par une mesure nationale à l’exercice des libertés garanties par le Traité, d’une part, et le motif d’intérêt général invoqué pour justifier de cette restriction, d’autre part. Ce lien est également nécessaire pour apprécier le respect du principe de proportionnalité, dans l’hypothèse où la condition relative à l’existence d’une raison d’intérêt général est remplie ».
Dès lors, la Commission ne se prononce pas ici sur l’existence de ce lien. Mais elle nous indique a contrario que c’est à nous de démontrer le lien.
Or quel est le lien ? Il s’agit du déséquilibre fondamental de ce marché caractérisé par la position dominante de certaines sociétés au détriment des autres sociétés, déséquilibre qui se manifeste particulièrement en ce qui concerne la publicité.
De quoi s’agit-il ? De créer un système déclaratif et de représentation fiscale pour mieux connaître ledit marché de la publicité en ligne. Il me semble que l’on peut au moins plaider avec une bonne structure d’argumentation et avec conviction – sans être certain, naturellement, comme dans toute plaidoirie, d’aboutir – que le lien direct est établi !
J’en tire pour conséquence, madame la ministre – j’espère que vous ne m’en voudrez pas –, qu’il est de la responsabilité du Gouvernement de demander et de faire constater ce lien de causalité pour rendre possible l’obligation de désignation d’un représentant fiscal.
Par ailleurs, les commissaires soulignent aussi la possibilité de mettre en place des taxes nationales utilisant un autre système déclaratif : « Si la France souhaite mettre en place des taxes nationales non harmonisées, sous réserve de respecter le droit de l’Union, elle peut établir son propre système de déclaration, le cas échéant dématérialisé ». Or c’est bien ce que je demande dans ma proposition de loi. Madame la ministre, je tiens à votre disposition ce courrier pour que vos services puissent l’étudier et agir en conséquence.
J’observe – et là, il s’agit du contexte – que Google fait actuellement l’objet d’une procédure pour abus de position dominante, lancée par le commissaire européen chargé de la concurrence. Ce n’est pas une imagination des sénateurs, c’est bien la réalité : il y a des procédures en cours pour entorse au droit de la concurrence et pour abus de position dominante. Et il appartient aujourd’hui au commissaire Almunia de décider s’il recherche un processus transactionnel ou s’il va au contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne à l’encontre de Google, en particulier.
Sur ce point, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement français. Est-il plutôt favorable à un contentieux qui permettrait de mettre sur la table, en toute transparence, les arguments et les chiffres, un contentieux qui permettrait d’évoluer vers une jurisprudence publique, accessible à tous ? Le Gouvernement est-il plutôt – telle est l’inclination actuelle des services de la Commission, me semble-t-il – en faveur de la recherche d’une sorte de transaction ? Ce serait une façon de demander à Google de se mettre en conformité. Au terme d’un certain délai, il serait procédé à une analyse de la situation pour décider que faire. C’est concevable, car il existe beaucoup de précédents pour une telle voie de conciliation et de corrections de pratiques qui ne seraient pas conformes au droit de la concurrence.
Mais l’inconvénient d’une procédure transactionnelle, c’est qu’elle est forcément moins transparente, moins publique, et qu’elle peut aussi revêtir certains aspects dilatoires au bénéfice du groupe économique susceptible de tirer avantage d’une position dominante sur le marché.
J’espère, madame la ministre, que l’on va avancer. Je n’ai pas eu le sentiment que le Gouvernement avait, de son côté, beaucoup progressé. MM. Collin et Colin nous ont livré une superbe réflexion technologique et presque philosophique…
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Intellectuelle !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … qui est, en effet, d’un niveau intellectuel très élevé.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Absolument !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Malheureusement, la fiscalité est loin de se situer sur ces hauteurs ! Mme la ministre le sait, la fiscalité, ce sont une assiette, un taux, un système de recouvrement et des sanctions. Cela ne nécessite pas de faire appel à de hautes compétences intellectuelles ! C’est une discipline pratique, c’est quelque chose qui doit tourner, qui doit fonctionner !
Peut-être nous direz-vous, madame la ministre, si MM. Collin et Colin ont progressé, si leurs travaux ont été complétés et si l’on peut voir un vrai impôt mis en place sur les données personnelles et leur absorption par des moteurs de recherche.
Ce que je sais, c’est que, dans un domaine très précis, celui de la rémunération des éditeurs de presse, domaine qui ne peut évidemment être que très attentivement suivi par nos excellents collègues de la commission de la culture, l’Allemagne, quant à elle, a continué à avancer. Elle a adopté une loi, votée par le Bundestag le 1er mars, ratifiée par le Bundesrat le 22 mars, établissant des droits voisins du droit d’auteur pour les éditeurs de presse. Certes, le lobby de Google s’est absolument déchaîné en mettant en œuvre des moyens considérables. Quant à la France, elle n’a pas voulu suivre cette voie législative en ce qui concerne les éditeurs de presse, préférant un accord a minima négocié entre les éditeurs et Google, certes signé sous les ors de l’Élysée et en présence de M. le Président de la République lui-même.
Mais, vous le savez, il reste beaucoup de choses à clarifier. Et je ne parle pas seulement de la nomination du président du conseil d’administration du Fonds d’aide à la transition numérique de la presse : si je ne me trompe, il y a polémique sur ce sujet, et on n’a pas vraiment réussi à se mettre d’accord.
Je ne sais pas non plus quel est le statut de ce Fonds. Je ne sais pas s’il fonctionnera avec de l’argent privé ou de l’argent public. Si argent privé il y a, je ne sais pas s’il sera utilisé selon des prescriptions publiques. Je ne sais pas si ces 60 millions d’euros sont un fusil à un coup. À la vérité, je ne sais pas non plus de manière certaine quelle est la provenance de ces crédits.
Je n’irai pas plus loin dans les questions. Peut-être, madame la ministre, nous apporterez-vous des éléments de réponse ? En tout cas, cher président David Assouline, par rapport à une loi votée par une représentation nationale, par deux assemblées, comme l’ont fait nos collègues et partenaires allemands, le dispositif dans lequel nous nous sommes engagés comporte à mon avis des faiblesses. Il est en tout cas beaucoup moins transparent et clair que celui qui a été mis en place outre-Rhin.
Vous allez sans doute évoquer de nouveau, madame la ministre – et je le souhaite vivement –, la feuille de route numérique adoptée par le Gouvernement. Celle-ci comporte un volet que j’applaudis, relatif au « rétablissement de notre souveraineté fiscale ».
Comme chacun le sait, plusieurs étages sont à considérer. Nous sommes bien engagés, avec d’autres, dans le processus mondial lancé par l’OCDE et le G20, dans lequel s’intègre le concept d’établissement stable virtuel.
Par ailleurs, l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises du numérique, à savoir l’opération communautaire ACCIS, suivra le sort de l’ensemble de l’opération ACCIS de modification des règles internationales de l’OCDE et communautaires : il faudra parvenir à un consensus des États membres de l’Union européenne. Or je ne crois pas que vous ayez la capacité divinatoire de nous indiquer quand il sera à notre portée. Cet objectif, qu’il nous faut manifestement chercher à atteindre, paraît encore bien lointain.
En outre, vous avez sollicité l’avis du nouveau Conseil national du numérique, le CNN, ce qui est une excellente chose, mais le précédent s’était livré au même exercice.
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les professionnels qui siègent au sein d’un tel conseil sectoriel, et donc quelque peu corporatif, ne sont que rarement enthousiastes à l’idée de concevoir eux-mêmes une taxation s’appliquant à leur propre secteur.
Enfin, en matière de TVA, j’ai lu que la France exigerait de ses partenaires européens le strict respect du calendrier relatif à la mise en place du « mini-guichet » européen de TVA, qui permettra, dès 2015, de taxer la consommation de services en ligne dans l’État du consommateur. C’est une excellente chose. Je pense qu’il faut en effet veiller au strict respect des engagements pris par nos partenaires en ce sens.
Vous me pardonnerez mon insistance et mon impatience, mais il y aura tant de sujets à traiter dans le projet de loi de finances pour 2014 ! Le renvoi à la commission de cette proposition de loi était tout à fait envisageable voilà deux mois, et je l’avais alors approuvé. Depuis lors, le rapport de MM. Colin et Collin a-t-il donné lieu à la définition d’une taxe opérationnelle ? Je ne le crois pas.
Avec cette motion tendant au renvoi à la commission qui, je le répète, pouvait sembler naturelle au départ, n’essaie-t-on pas d’enterrer la démarche dans des méandres procéduraux, afin de ne rien faire ? Vous ne m’en voudrez pas de le suspecter quelque peu.
M. David Assouline. Vous n’avez rien fait pendant dix ans !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cher président Assouline, la situation du numérique était assez différente il y a dix ans ! Vous-même auriez été bien en peine, en dépit de votre capacité d’anticipation, de nous expliquer comment allait évoluer ce marché.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Il y a dix ans, Google ne faisait pas de bénéfices !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est ici et maintenant que le sujet se présente !
Je serai attentif à votre réponse, madame la ministre. Il me semble que, en la matière, il nous faut avancer concrètement.
Je remercie enfin les différents orateurs, qui ont bien voulu dire que ce débat était utile, même si nous divergeons sur les solutions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, ainsi que le rappel utile que vous avez fait des enjeux en termes de culture, d’économie et d’aménagement du territoire qui s’attachent à la fiscalité du numérique, vient en amont d’une série d’initiatives gouvernementales.
Le 31 janvier dernier, j’ai eu l’occasion de vous indiquer combien ce sujet importait au Gouvernement, qui entend bien faire de la France un élément moteur des discussions ayant lieu dans le cadre des instances internationales.
Depuis notre dernier débat sur ce texte, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur Marini, l’OCDE a présenté lors du G20 de Moscou des 14 et 15 février dernier son plan d’action destiné à lutter contre les phénomènes d’évasion fiscale et d’érosion des bases imposables. Le ministre de l’économie et des finances a rappelé à cette occasion que la France soutenait activement ce plan d’action.
J’y insiste, j’ai usé de toute mon influence auprès du Gouvernement pour que nous portions de manière très proactive à la fois les groupes de travail et la réflexion au sein de l’OCDE, un terrain qui avait été totalement laissé à l’abandon depuis dix ans par les gouvernements précédents.
Vous le savez, ce combat n’est pas gagné d’avance. Au sein du G20 et de l’OCDE, cependant, la France est désormais motrice. Elle copréside aujourd’hui, avec les États-Unis, le groupe de travail sur la modernisation des règles traditionnelles de territorialité, au sein duquel sera revisité le concept d’établissement stable virtuel. La France poussera en ce sens. Je crois que les travaux internationaux en cours fournissent, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, une occasion historique de progresser.
Au sein de l’Union européenne, la France, là encore, s’est voulue très proactive et motrice. Dans un courrier adressé à la Commission européenne, le Gouvernement avait demandé au commissaire Šemeta d’inclure des dispositifs volontaristes ciblant le secteur numérique dans son plan de lutte contre la fraude.
Lors du Conseil Ecofin de janvier dernier, la France a appelé la Commission européenne à faire plus et mieux dans ce domaine, et s’est engagée à lui proposer au cours de l’été prochain des mesures législatives concrètes pour réformer, en Europe, la taxation des entreprises du secteur numérique. L’échéance que nous nous sommes fixée peut sembler quelque peu lointaine, mais elle se justifie par la nouveauté de ce sujet, qui n’est pas aussi simple que M. Marini l’a laissé entendre. Il s’agit là de problématiques extrêmement complexes. Si des solutions simples existaient, je pense que les gouvernements précédents n’auraient pas manqué de les trouver depuis longtemps. Il est en effet très difficile, s’agissant de telles activités, de territorialiser les revenus et les bénéfices.
Plus globalement, le rapport de MM. Colin et Collin irrigue désormais la réflexion en France et dans nombre des États européens. Une mission de concertation a été confiée au Conseil national du numérique, dont la composition, je tiens à le préciser, a été entièrement renouvelée afin, précisément, d’éviter qu’il ne devienne une instance de lobbying ou de représentation d’intérêts catégoriels ou sectoriels. Il est désormais composé non seulement de représentants de l’écosystème numérique, mais également de chercheurs, d’universitaires et d’investisseurs, c’est-à-dire de parties prenantes n’ayant pas forcément intérêt à ce que le débat ne progresse pas, bien au contraire. Tel est bien le sens dans lequel j’ai souhaité renouveler la composition du Conseil national du numérique.
Ma position, dans le dossier de la fiscalité numérique, est qu’il faut rétablir une égalité devant l’impôt, une égalité concurrentielle entre les acteurs aujourd’hui vertueux en termes fiscaux et ceux qui ne le sont pas ou qui sont exemptés de fait d’impôt en vertu des stratégies d’optimisation fiscale qu’ils mettent en place. Notre objectif n’est pas de pénaliser l’économie numérique ou son développement. Nous devons donc, dans le cadre de notre réflexion sur la fiscalité, être très attentifs aux équilibres afin que celle-ci ne constitue pas un frein pour les entreprises innovantes, notamment françaises, et ne les pénalise pas au profit d’acteurs over the top ou multinationaux dont les obligations en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés sont très allégées.
Nous devons veiller à établir une équité entre les différents acteurs présents sur les mêmes marchés, quelle que soit leur nationalité, sans qu’il soit ici question de cibler plus particulièrement les Américains ou telle société déterminée.
La mission de concertation confiée au CNN a été mise en place pour tester les différentes hypothèses envisageables, parallèlement au chantier concernant l’imposition des résultats. D’autres hypothèses, qui ne figurent pas toutes dans le rapport de MM. Colin et Collin, ont en effet été envisagées, comme la taxe sur la bande passante ou la taxe sur les clics, qui impliquent un certain nombre de réflexions techniques.
S’agissant de la taxe sur les clics, par exemple, il convient de déterminer les moyens techniques qui peuvent être mis en œuvre sans être trop intrusifs et dans le respect de la protection des données personnelles. Ce travail est extrêmement lourd techniquement, et cela explique le temps que nous prenons pour le mener à bien et pour trouver des solutions. Ces concertations sont actuellement en cours.
M. Claude Domeizel a rappelé, à juste titre, que la prospérité des entreprises du numérique repose en grande partie sur l’exploitation de contenus produits par d’autres. C’est notamment le cas des contenus culturels, mais on pourrait également citer les données personnelles et la publicité ciblée : si quelque chose est gratuit, c’est en général parce que vous êtes le produit !
Vous l’avez dit, monsieur Marini, les contenus culturels ont retenu bien légitimement l’attention de la commission de la culture du Sénat. J’ai d’ailleurs été auditionnée par ses membres le mois dernier – M. Assouline l’a rappelé – pour répondre à leurs interrogations. Nombre de questions se posent en effet en termes de culture et de répartition de la valeur du fait du développement de l’économie numérique dans le secteur culturel.
Je tiens néanmoins à insister sur le caractère général et transversal des problèmes posés par l’économie numérique. L’ensemble des contenus, culturels ou non, participent à la création de valeur des entreprises du numérique, notamment les données personnelles, très minutieusement analysées dans le rapport de MM. Colin et Collin.
Il ne faut pas non plus stigmatiser l’économie numérique.
M. Philippe Marini. Personne ne vous dit le contraire !
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. L’affaire Starbucks montre en effet que ces pratiques d’optimisation fiscale et de déplacement des profits sont le fait non pas seulement d’entreprises du secteur numérique, mais également de sociétés multinationales ayant recours aux prix de transfert. Il convient donc de ne pas pointer du doigt, vilipender ou accuser le seul secteur de l’économie numérique, ce secteur porteur de croissance, ce levier pour la création d’emplois et pour l’économie de la connaissance qui sera notre modèle économique de demain.
L’exploitation des contenus culturels n’est que l’un des aspects du problème. Il faut trouver une solution d’ensemble, plutôt que de recourir à un traitement découpé secteur par secteur. À cet égard, je reviendrai ultérieurement sur la question de la presse que vous avez soulevée.
M. Yves Rome a rappelé combien il était important de remédier à la fracture numérique sur le territoire, en mettant en œuvre les engagements présidentiels en matière de déploiement du très haut débit.
Le Président de la République, lors de son déplacement en Auvergne le 20 février dernier, a annoncé le lancement d’un chantier qui représentera plus de 20 milliards d’euros dans les dix prochaines années, et qui associera le secteur privé et le secteur public.
En cette période de responsabilité budgétaire où des efforts sont demandés à la fois à nos concitoyens, aux entreprises et à l’État, l’annonce d’un chantier et d’un engagement financier public d’une telle importance constitue la preuve que ce gouvernement n’hypothèque en rien l’avenir, malgré les difficultés financières, et qu’il s’engage dans des dépenses structurantes pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire.
Le séminaire gouvernemental sur le numérique a été l’occasion de dévoiler la feuille de route précise du Gouvernement : cette dernière comporte une trentaine de mesures, mais les ministères en avaient proposé une centaine qui ont été rendues publiques et feront l’objet d’un suivi. Vous pouvez y voir le signe que le Gouvernement répond à votre préoccupation d’une véritable politique menée dans le domaine du numérique, accompagnée d’une vision à moyen terme, qui avait quelque peu fait défaut jusqu’à présent.
M. Jean Arthuis a souligné avec sévérité les responsabilités de l’Union européenne dans la situation de sous-fiscalisation des entreprises du numérique que nous constatons. Je souscris pleinement à l’idée que l’Union européenne doit reprendre des initiatives pour y remédier. Lors du Conseil Ecofin de janvier dernier, la France a annoncé des propositions en vue de procéder à une révision des règles communautaires.
Tout d’abord, nous devons mener à bien, à l’échelle européenne, la réforme de la TVA due sur les services électroniques. Il nous faut impérativement tenir l’échéance du 1er janvier 2015, date à partir de laquelle la TVA sera due dans l’État du consommateur et non plus dans l’État du siège de l’entreprise. La concurrence fiscale par la TVA prendra fin ce jour-là, supprimant ainsi une situation tout à fait inadmissible entre États européens.
Ensuite, il nous reviendra de transposer ce qui a été fait en matière de TVA pour l’appliquer à l’impôt sur les sociétés. Cette voie de l’ACCIS dans laquelle vous nous encouragez à travailler, monsieur Marini, nous allons la suivre avec nos partenaires communautaires. Tel est le sens de l’annonce faite lors du séminaire gouvernemental sur le numérique. L’État d’installation devra reverser aux États où sont établis les utilisateurs une partie de l’impôt sur les sociétés collecté.
Je dirai quelques mots sur la question du représentant fiscal. Monsieur Marini, des éléments de la lettre que vous avez reçue – et j’espère que vous nous communiquerez ce document –, je déduis que cette piste sera difficile à faire prospérer. Sachez que le Gouvernement réfléchit aussi aux moyens de rendre obligatoire pour un certain nombre d'entreprises la présence d’un représentant fiscal légal sur le territoire français. Nous avons également travaillé sur la piste des données personnelles : la manipulation de ces dernières étant une question de souveraineté nationale, un mécanisme de proportionnalité entre la défense de la souveraineté nationale et la présence d’un représentant fiscal pourrait être envisagé. Le principe de l'égalité devant l'impôt pourrait aussi tout à fait justifier ce type de dispositif.
Monsieur le sénateur, nous travaillons avec la Commission européenne pour essayer de trouver un moyen permettant la création d’un représentant fiscal tout en respectant la jurisprudence qui, il est vrai, n’est pas très favorable jusqu'à présent : il n’est qu’à voir ce qui s'est passé avec les sociétés d'assurance en Belgique. Nous devons donc trouver un moyen un peu habile pour arriver à nos fins tout en respectant la jurisprudence.
M. Philippe Marini. Ce n'est pas une si mauvaise idée que cela !
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. C'est même une très bonne idée à laquelle je souscris pleinement.
M. Philippe Marini. Il faut la mettre en œuvre !
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Enfin, je partage totalement votre sentiment : il n’est pas normal qu’un État européen tolère le versement de redevances depuis son territoire vers les Bermudes ou d'autres paradis fiscaux. La directive Intérêts et redevance doit être remise sur la table, pour mettre bon ordre à ces pratiques en Europe. Il serait assez vexatoire que, en la matière, l’OCDE aille plus vite ou plus loin que l’Union européenne. Il nous faut donc agir sans tarder.
Ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, les centaines de millions d’euros, voire les milliards d'euros à l’échelle européenne, de bases éludées – selon des articles publiés encore ce matin, cela représenterait 10 % du PIB de l’Union Européenne – nous incitent à traiter d’urgence ce sujet de l'évasion ou de l'optimisation fiscale. Vous pouvez compter sur mon engagement : je m'y emploie depuis ma prise de fonctions, et même auparavant, avec la plus grande vigueur – j’ai d’ailleurs contribué à ce que ce sujet soit remis à l'ordre du jour des négociations internationales et européennes –, et je continuerai. Il n’est pas question pour moi de mettre quoi que ce soit sous le tapis.
Je suis donc un peu vexée par les propos que vous avez tenus tout à l'heure, monsieur Marini : il s’agit là d’un sujet qui me tient à cœur, que je considère comme extrêmement important, notamment dans une période où nous recherchons des recettes fiscales. Contrairement à mon prédécesseur, je suis totalement impliquée dans ce chantier.
J'en viens au contentieux pour abus de position dominante. Vous avez raison de le souligner, la solution retenue aux États-Unis par la Federal Trade Commission dans le cadre de ses négociations avec Google, pas plus que la voie, plus transactionnelle que contentieuse, qui semble se dégager au sein de l'Union européenne ne me semblent satisfaisantes.
Pour ma part, je militerai au sein du Gouvernement pour que nous puissions soutenir la voie contentieuse, même si c’est la plus longue et la plus laborieuse. Il me semble important que nous nous situions désormais sur le terrain des principes.
M. Philippe Marini. Très bien !
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Je souhaite donner un certain nombre de précisions sur l'accord intervenu entre Google et la presse, même si cela dépasse le cadre de cette proposition de loi. Il s'agit bien d'un accord privé.
J’ai évidemment examiné attentivement la loi sur les droits voisins du droit d’auteur pour les éditeurs de presse qui vient d’être votée en Allemagne : elle est extrêmement difficile à mettre en œuvre. En réalité, si ce droit voisin est instauré pour les éditeurs de presse, ni la quotité ni les modalités ne sont définies, et il appartient aux éditeurs de presse de négocier de gré à gré avec les moteurs de recherche la manière dont ces derniers vont les indemniser pour tenir compte de ce droit. Cette loi est déjà extrêmement contestée en Allemagne : elle est peu protectrice et sera vraisemblablement à l'avantage des grandes entreprises comme Bertelsmann, en mesure de négocier avec des acteurs comme Google. Google sera peut-être incité à déréférencer les sites de presse, ainsi qu'il l’a fait au Brésil ou en Belgique.
Pour toutes ces raisons, je ne suis pas du tout sûre que cette loi soit aussi favorable au secteur de la presse, en particulier aux éditeurs de presse, qu’on l’affirme. Il me semble plus prudent de se donner quelques mois pour vérifier la façon dont elle est appliquée en Allemagne. Si les résultats sont positifs, nous pourrons toujours nous en inspirer. Pour l’instant, nous avons obtenu des espèces sonnantes et trébuchantes, alors que les éditeurs allemands, malgré cette loi, attendent encore. Patientons donc quelques mois pour décider quelle solution aura été la plus efficace.
L'accord qui a été trouvé en France entre les éditeurs de presse et Google comporte deux volets. Le premier volet est commercial et destiné à aider les éditeurs à monétiser davantage un site internet grâce à des revenus publicitaires. Le second volet prend la forme d’un fonds de dotation privé qui relève de la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise ; cela s’inscrit en quelque sorte dans une démarche de RSE. Ce fonds privé, assez considérable par son montant, ne se substitue en rien aux aides de l'État à la presse. Je rappelle qu'un contentieux du même type, avec les éditeurs de presse, avait éclaté en Belgique ; si les éditeurs de presse belges sont parvenus à un accord commercial, ils n'ont cependant jamais obtenu un fonds destiné à aider les entreprises de presse à moderniser leur modèle économique à l'heure du numérique, donc à mieux valoriser leur contenu, leurs revenus publicitaires, etc.
En résumé, ce fonds constitue une solution privée entre acteurs privés, une action que l’on peut identifier à du mécénat. Il faudra voir comment s’opère la gestion. L’entreprise négocie actuellement avec les représentants de la presse les modalités précises d’allocation des fonds, les types de projets concernés, les cahiers des charges, etc. L’association de la presse d’information politique et générale semble plutôt satisfaite. En tout cas, ce dispositif présente l’avantage d'être concret, ce qui n’est pas le cas des mécanismes plus théoriques qui ont été retenus en Allemagne
Je remercie une fois de plus Philippe Marini de cette proposition de loi, qui a permis de faire avancer le débat sur ce sujet très important auquel je suis, à l'instar de nombre d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, extrêmement sensible. Le Gouvernement soutient néanmoins la motion de renvoi à la commission afin d’avancer plus avant sur ce chantier de la fiscalité du numérique, à l’échelon tant national qu’international.
Vous l'avez compris, cette matière est extrêmement complexe et technique. Il faut donc attendre au moins jusqu'à l'examen du projet de finances pour 2014, puisque c'est bien de fiscalité qu'il s'agit, pour approfondir davantage ces sujets et les traiter le plus efficacement possible dans une optique d'équité et sans compromettre les capacités d'innovation des entreprises du numérique nationales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Joël Bourdin, René Garrec et Philippe Marini applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Collin, au nom de la commission des finances, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des finances, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable (n° 682 rectifié, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. François Fortassin, en remplacement de M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mon collègue Yvon Collin, qui ne peut, pour des raisons de santé, vous présenter cette motion de renvoi à la commission. La tâche qu’il m’a demandé d’assumer en le remplaçant aujourd’hui sera d’autant plus aisée que la motion en question a été, je le rappelle, adoptée à l’unanimité par les membres non seulement de la commission des finances, mais aussi des trois commissions saisies pour avis : la commission de la culture, la commission des affaires économiques et la commission du développement durable.
La discussion de ce texte ayant été suspendue le 31 janvier dernier, permettez-moi de revenir très brièvement sur le contexte de cette motion de procédure.
La discussion générale a très clairement montré que la proposition de loi présentée par notre collègue Philippe Marini posait les bonnes questions, qu’il s’agisse de l’« évaporation » des assiettes fiscales liées à l’économie numérique ou des distorsions de concurrence engendrées par les acteurs de l’internet installés dans des États à fiscalité basse ou nulle.
Ces constats ont été confortés par les conclusions de la mission d’expertise Colin et Collin sur la fiscalité de l’économie numérique. Certes, celle-ci ne s’est pas prononcée en faveur de la taxation de la publicité en ligne ou du commerce électronique. En revanche, elle a posé très sérieusement les fondements théoriques de la nécessité d’appréhender fiscalement ce qu’elle appelle le « travail gratuit » des internautes et l’utilisation commerciale qui en est faite par les acteurs de l’économie numérique.
Les débats ont montré que nous sommes tous convaincus de la nécessité d’agir rapidement : le Parlement, et tout particulièrement le Sénat, le Gouvernement, mais aussi les États du G20 et l’OCDE. À cet égard, la commission des finances a auditionné le 20 février dernier M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, afin qu’il nous présente le projet BEPS, à savoir la lutte contre l’érosion des bases d’imposition et les transferts de bénéfices. Nous avons compris qu’un plan d’action serait présenté au G20 au mois de juin prochain pour lancer la négociation d’une convention fiscale multilatérale dont l’élaboration devrait être plus rapide que la renégociation de l’ensemble des conventions bilatérales existantes.
De son côté, le Gouvernement n’a pas été inactif depuis la suspension de nos travaux. Mme la ministre vient de le rappeler : la feuille de route adoptée le 28 février dernier lors du séminaire gouvernemental sur le numérique prévoit de rétablir notre souveraineté fiscale. Pour cela, le Gouvernement souhaite « pousser à la reconnaissance de l’établissement stable virtuel dans les conventions OCDE ; promouvoir, à l’échelle européenne, la mise en place d’une assiette consolidée d’impôts sur les sociétés [...]. Un guichet unique d’IS pourrait être proposé à nos partenaires […] ; étudier, sur la base de la concertation qui a été demandée au Conseil national du numérique et qui s’achèvera avant l’été, l’opportunité d’introduire des dispositions relatives à la fiscalité du numérique dans le projet de loi de finances pour 2014 ».
Madame la ministre, permettez-moi à ce stade de mon intervention de présenter un point de vue plus personnel sur ce sujet, en particulier sur le problème du financement des infrastructures à très haut débit dans les territoires. Nous le savons bien, les opérateurs n’investissent que là où c’est rentable. Ainsi, dans la région toulousaine, les collectivités locales ne sont pas sollicitées, puisque ce sont les opérateurs qui interviennent ; en revanche, pour obtenir des équipements corrects dans le Larzac, les collectivités locales doivent agir. C'est tout le contraire de la péréquation que nous sommes un certain nombre à défendre ! Aussi, pour remplir l’objectif de la feuille de route gouvernementale, 20 milliards d’euros d’investissements sur dix ans ne suffiront pas : le compte n’y est pas !
Je rappelle que, dans l’après-guerre, pour construire le réseau de distribution électrique, une taxe avait été mise en place, le Fonds d'amortissement des charges d’électrification, ou FACE, qui a permis d'électrifier l'ensemble de notre pays. Pourquoi serions-nous moins ambitieux et moins imaginatifs que nos prédécesseurs et pourquoi ne créerions-nous pas, pour financer le déploiement du réseau sur tout le territoire, un prélèvement sur les abonnements internet, visant en particulier les opérateurs ?
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Les opérateurs ont déjà été taxés et Bruxelles a annulé cette mesure !
M. François Fortassin, rapporteur. Ils peuvent encore être taxés sur les bénéfices qu'ils réalisent !
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Ils payent déjà 25 % de plus !
M. François Fortassin, rapporteur. Il s'agit non pas de mettre en place un impôt supplémentaire, mais de savoir si l'on veut un véritable aménagement du territoire ou pas. L'argent public étant rare, il faut trouver des ressources ailleurs.
M. Philippe Marini. Google !
M. Philippe Dallier. Moins il y en a, plus on dépense !
M. François Fortassin, rapporteur. Je sais que cette mesure est soutenue par nombre de mes collègues et qu’elle est évidemment combattue par les opérateurs. Ce n'est pourtant pas une raison pour ne pas continuer à aller dans ce sens.
Il nous appartient de définir la politique du développement numérique et de nous en donner les moyens. L’ambition de couvrir l’ensemble du territoire, en en faisant assumer le coût par tous, est aussi dans l’intérêt des acteurs de l’économie numérique, puisque cette couverture intégrale permettra d’augmenter le nombre d’abonnés et d’offrir des services plus développés.
J’en reviens à l’aspect fiscal de ce problème. On le voit, le calendrier de cette feuille de route s’inscrit dans un temps plus long que celui de l’examen de la présente proposition de loi. Pour autant, nous n’en sommes pas réduits à l’inaction : j’en veux pour preuve les travaux que je viens de vous énumérer.
C’est pourquoi le renvoi à la commission de la proposition de loi présentée par Philippe Marini nous a semblé la meilleure procédure pour ne pas être appelés à voter contre un texte qui, même s’il soulève de fortes réserves, a très utilement porté la question d’abord sur la scène parlementaire, ensuite dans le débat public. Ainsi, tout en respectant le dispositif présenté, le renvoi à la commission permet de préserver le temps nécessaire au Parlement, mais aussi au pouvoir exécutif, pour étudier des solutions complémentaires ou alternatives, notamment la taxation de la collecte ou de l’exploitation des données.
Cette motion de renvoi à la commission est présentée dans un esprit d’ouverture : elle permet à la proposition de loi de continuer à vivre et d’être, le moment venu et à l’issue du calendrier de travail annoncé par le Gouvernement, réinscrite à l’ordre du jour du Sénat ou associée à l’examen d’un éventuel projet de loi. Incidemment, je rappelle, au nom de mon collègue Yvon Collin, que de telles mesures fiscales ont idéalement vocation à être examinées dans le cadre d’un projet de loi de finances plutôt que dans celui d’une proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. –M. François Trucy applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, contre la motion.
M. Philippe Marini. Je veux tout d’abord remercier notre excellent collègue, François Fortassin, ainsi que Mme la ministre, Fleur Pellerin, du grand soin avec lequel ils ont motivé cette motion de renvoi en commission, qui vise, si j’ose dire, à ensevelir sous un tapis de fleurs une modeste proposition de loi. (Sourires.)
Voilà deux mois, j’étais également d’avis de voter le renvoi en commission.
À présent, pour les raisons que j’ai exposées lors de la discussion générale, il me semble que cette motion est en décalage par rapport à l’évolution du problème et qu’il convient de la rejeter.
Certes, l’examen et l’adoption de cette proposition de loi ne constitueraient qu’un signal, une petite piqûre d’épingle, somme toute mineure, qui ne serait vraisemblablement pas de nature à entamer la carapace particulièrement épaisse des quelques groupes qui exercent, à mon sens, une position dominante sur le marché des services numériques. Mais le simple fait d’engager une navette sur ce texte serait perçu comme une avancée. En termes de communication, ce ne serait pas neutre !
Au demeurant, pour faciliter une éventuelle adoption de la proposition de loi, je serais prêt à la modifier et à la simplifier, en particulier en supprimant l’article qui vise à instaurer une taxation sur les services commerciaux en ligne. Il s’agit en réalité d’un autre débat, que j’avais initialement souhaité joindre à celui-ci, mais qui soulève une multitude d’autres questions.
Il me semblerait donc opportun d’en revenir à une modeste taxation des régies de publicité en ligne, la publicité constituant bien le cœur du modèle économique des groupes de l’internet.
Au demeurant, les spécialistes de l’économie de l’audiovisuel savent que l’un des grands problèmes aujourd’hui est la baisse tendancielle du marché publicitaire, qui pose à la fois des problèmes de financement et de concurrence pour l’ensemble des chaînes de télévision, les anciennes comme les nouvelles.
Les causes de cette hémorragie du marché publicitaire sont, dans une très large mesure, à chercher dans le développement des vecteurs numériques, qui peut par ailleurs s’avérer excellent sur le plan économique.
Il me semble que cette taxation des régies de publicité est susceptible de faire son chemin. Au demeurant, l’adoption d’un modeste texte au Sénat ne serait absolument pas de nature à compromettre toute étude que le Gouvernement souhaiterait engager par ailleurs. Il ne ferait qu’initier le processus de navette, la date d’inscription du texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale restant pour l’instant indéterminée.
Je crois que ce serait surtout une façon de poursuivre le dialogue engagé avec la Commission européenne sur le respect des principes de proportionnalité et de lien direct évoqués dans la récente lettre des commissaires que j’ai citée.
Madame la ministre, je regrette que, au début de votre intervention, vous ayez pu dire que le terrain que nous traitions avait été abandonné par les gouvernements précédents. Ceux-ci n’ont certes pas été parfaits, mais celui-ci ne l’est pas non plus !
Mes chers collègues, pour me connaître un peu, vous savez que, lorsque mes amis politiques étaient au gouvernement, mon soutien ne me dispensait pas d’exercer, au jour le jour, une sorte de devoir d’inventaire, ce qui m’évite de devoir le faire à présent qu’ils ont cédé la place… Il me semble d’ailleurs qu’il est préférable de procéder ainsi, de ne pas jouer aux béni-oui-oui à l’égard de ses amis lorsqu’ils sont au pouvoir, mais d’être transparents et directs à leur endroit, ne fût-ce que pour tâcher de leur rendre service.
En l’occurrence, il me semble que, sur ce sujet, des idées et des principes avaient été évoqués du temps de Nicolas Sarkozy : en particulier, la mission conduite par M. Zelnik avait été, à l’époque, la première à évoquer ce problème du déséquilibre des marchés de l’internet et à plaider pour des éléments de fiscalité spécifique.
Ensuite, je ne referai pas la chronique : il est vrai qu’un fort lobbying s’est exercé en la matière. Dans ce pays comme dans les autres États amis d’Europe, les intérêts économiques sont en effet extrêmement puissants et n’hésitent pas à se faire entendre. Nous ne pouvons l’ignorer, mes chers collègues.
D’ailleurs, Mme la ministre a eu raison, en évoquant la situation de la presse en Allemagne, de dire qu’il existait des groupes d’intérêt de force variable, et que certains avaient pesé plus que d’autres. C’est la réalité des choses. Ne soyons pas naïfs : il est clair qu’il existe sur ce marché des services de l’information des positions puissantes. Il appartient aux États de frayer leur chemin au milieu d’un paysage pour le moins complexe.
Mes chers collègues, le groupe auquel j’appartiens a bien voulu, hier, s’associer à ma demande de rejet de cette motion tendant au renvoi du texte en commission. J’espère que le Sénat votera majoritairement contre celle-ci.
S’il ne le faisait pas, la commission des finances continuerait son travail et profiterait en quelque sorte de ce renvoi pour approfondir ses propres études. Il s’agit pour nous d’un sujet structurant, sur lequel, quoi qu’il en soit, nous reviendrons, madame la ministre, et sur lequel nous nous efforcerons d’être exigeants, en dépassant les clivages politiques qui, s’ils sont naturels dans notre assemblée, devraient à mon sens davantage s’effacer sur un thème de cette nature. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Le Gouvernement est favorable à la motion tendant au renvoi du texte à la commission.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable à la motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 125 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 174 |
Pour l’adoption | 209 |
Contre | 137 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le renvoi à la commission de la proposition de loi est ordonné.
4
Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu, présentée par MM. Louis Nègre, Pierre Charon et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 767, résultat des travaux de la commission n° 454, rapport n° 453).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi.
M. Louis Nègre, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi cette proposition de loi ? Tout simplement parce que le rôle, le devoir et l’honneur du politique est de traiter les problèmes qui préoccupent la société.
S’il est un problème sensible aujourd’hui, c’est bien celui de la protection pénale des forces de sécurité et de l’usage des armes à feu. Tel est l’objet de notre proposition de loi, qui procède d’un double constat : il existe, d’une part, un malaise au sein des forces de l’ordre et, d’autre part, un ressenti de même nature parmi la population.
Dans son rapport, monsieur le ministre, la mission Guyomar revient par deux fois sur le « contexte actuel caractérisé par un certain malaise ». Elle ajoute que « des améliorations sont souhaitables et d’autres plus que nécessaires ». Dans le compte rendu des auditions sont également évoquées les questions récurrentes touchant à l’usage des armes et à la légitime défense, qui traduisent, selon la mission, l’existence d’un besoin de protection élargie et plus efficace.
De même, dans son rapport, notre collègue Virginie Klès souligne qu’il existe légitimement une forte attente des forces de l’ordre. Je me plais à relever, monsieur le ministre, qu’elle-même appelle à améliorer significativement et dans les délais les plus brefs la sécurité juridique des membres des forces de l’ordre.
L’actualité est telle que l’Assemblée nationale a elle aussi examiné, dès le mois de décembre 2012, une proposition de loi ayant le même objet, déposée par nos collègues députés du groupe UMP Guillaume Larrivé, Éric Ciotti et Philippe Goujon.
Le malaise, je l’ai dit, est également ressenti par la population, qui, devant la recrudescence des attaques contre les forces de l’ordre, réagit à son tour et réclame une protection renforcée pour ces dernières ainsi que des sanctions aggravées contre les auteurs des actes violents.
À ce double constat se greffe un autre élément préoccupant. Il s’agit de ce que j’ai appelé un « effet de ciseaux », c’est-à-dire d’un certain divorce entre, d’une part, l’interprétation jurisprudentielle des textes faite par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de Cassation et, d’autre part, le sentiment populaire, c'est-à-dire le sentiment du peuple, que nous représentons, sur le principe de la légitime défense.
Cette fracture ne peut qu’interpeller le politique. Ce dernier aspect de la question constitue un problème quasi philosophique, qui resitue le débat dans un contexte plus large.
Ce sont ces trois raisons qui nous ont conduits, mon collègue Pierre Charon et moi-même, à nous mobiliser sur ce sujet qui apparaît comme un vrai problème de société.
Si nous pouvons comprendre, madame le rapporteur, les observations que vous faites en matière de techniques juridiques et en discuter, notre vision – notre philosophie, dirais-je même – est totalement différente de la vôtre.
J’en veux pour preuve votre argumentaire selon lequel on ne répond pas à la violence par la violence. À travers cette expression, que je trouve particulièrement malheureuse, vous stigmatisez ce que vous appelez « la violence » des forces de l’ordre. Ce faisant, vous parlez comme les juges de la Cour européenne des droits de l’homme, qui évoquent « la force meurtrière » des forces de l’ordre.
Nous, tout simplement, nous parlons de légitime défense ; nous, tout simplement, nous voulons d’abord protéger les policiers et les gendarmes, qui ne sont, je le rappelle, ni des machines ni des ordinateurs, mais des hommes et des femmes qui risquent leur vie pour nous et pour la défense de la société.
Qui est prêt, aujourd’hui, comme eux, à mettre en péril sa vie pour les autres ?
Sauf à confondre le bien et le mal, sauf à faire fi, monsieur le ministre, de toutes les valeurs qui fondent la cité, on ne peut mettre sur un même plan la violence illégale, aveugle et barbare, d’individus qui n’hésiteront pas un instant, eux, à ouvrir le feu sur des innocents et l’usage des armes fait par les forces de l’ordre dans un cadre légal, contraignant et ne permettant, comme nous le proposons, d’ouvrir le feu que dans un nombre de cas très limité.
Nous ne sommes pas au Far-West ni même aux États-Unis, et nous n’avons pas besoin de cow-boys en France. Toutefois, cette philosophie rousseauiste, démentie par la brutalité de la violence de malfaiteurs sans foi ni loi, ne nous paraît pas admissible !
Jour après jour, les Français sont les témoins impuissants de cette profonde dérive « du vivre ensemble » et des valeurs. L’uniforme ne protège plus ; au contraire, il devient une cible. À mes yeux, mes chers collègues, notre pays marche sur la tête.
Nous devons donc prendre toutes les mesures pour nous adapter à cette nouvelle situation. Le contrat social vole en éclats à cause d’une infime minorité. Nous sommes indignés par la situation actuelle. Avec mon collègue Pierre Charon et les sénateurs du groupe UMP, nous avons donc décidé de réagir et de déposer cette proposition de loi.
Nous souhaitons, monsieur le ministre, que notre indignation soit partagée sur toutes les travées et que l’appel que nous lançons puisse faire bouger les lignes en faveur des forces de l’ordre, qui n’ont pas à payer un si lourd tribut aux voyous.
Ce malaise parmi les policiers et les gendarmes et que ressent aussi la population est confirmé au quotidien par l’aggravation de la violence meurtrière contre les forces de l’ordre. Tout le monde le reconnaît, y compris notre collègue rapporteur, qui évoque elle-même le « constat, incontestable, de l’augmentation dans notre société de la violence et de l’usage des armes ».
Mieux qu’un long discours, quelques exemples récents illustrent la gravité de la situation que nous entendons combattre.
En juin 2012, deux femmes gendarmes ont été abattues à Collobrières. Le meurtrier a assommé l’une des deux militaires pour lui prendre son arme, avant de l’abattre dans l’appartement qu’il cambriolait. Il a ensuite poursuivi la seconde et l’a tuée en pleine rue, sur la placette du village. Elles étaient armées, et ce sont elles qui sont mortes !
Le 16 août 2012, à Cagnes-sur-Mer, ma ville, un malfaiteur multirécidiviste a lui aussi tenté de s’emparer de l’arme d’une policière nationale qui le tenait en joue alors qu’il venait d’être pris en flagrant délit de cambriolage. Le pire fut évité, de justesse, mais pourra-t-il toujours l’être ?
En octobre 2012, le capitaine Brière a été tué par le chauffeur d’un véhicule qui a foncé sur lui alors qu’il portait son brassard et qu’il était sur le côté de la chaussée. Il avait sorti son arme mais il n’a pas tiré… Nous avons tous deux assisté, monsieur le ministre, aux obsèques de cet homme courageux et vous avez vous-même qualifié sa mort « d’intolérable, d’insupportable, d’inqualifiable ». Vous aviez cent fois raison ; mais il est mort !
La semaine dernière, dans une commune littorale des Alpes-Maritimes, à la suite d’un vol à main armée, les gendarmes se sont retrouvés braqués par les malfaiteurs. Ils n’ont pas tiré, mais que ce serait-il passé si les malfaiteurs avaient ouvert le feu ? Les gendarmes me l’ont dit eux-mêmes au téléphone : si ceux-ci avaient tiré, eux-mêmes ne seraient plus là aujourd’hui !
Voilà la situation. Si nous continuons ainsi, nous aurons sans doute à déplorer de nouvelles victimes.
D’autres affaires, à Chambéry, en Corse, dans le Cher, confirment la violence des malfaiteurs face à des forces de l’ordre qui se retrouvent dans une situation impossible.
Pourquoi impossible ? Parce que le cadre légal actuel est interprété par la jurisprudence de telle façon que les forces de l’ordre, les hommes de terrain qui, même s’ils ne la maîtrisent pas totalement, connaissent l’interprétation jurisprudentielle, n’osent pas utiliser leurs armes, y compris dans une situation de légitime défense où leur vie est pourtant en jeu. C’est un comble, et tout cela en raison des conséquences judiciaires, administratives, voire financières, de l’emploi de leur arme par les policiers et les gendarmes !
Du fait du cadre juridique actuel, les forces de l’ordre de terrain préfèrent, comme plusieurs me l’ont déclaré, ne pas utiliser leur arme. Elles ont le sentiment, comme la population, de ne pas avoir plus, si ce n’est pas moins, de droits que les malfaiteurs qui les agressent. Il s’agit là d’un vrai problème, non pas juridique, non pas judiciaire, non pas administratif, mais moral. Nous nous trouvons dans une situation amorale, où le bon peuple constate que les policiers se font tirer dessus et meurent alors que les malfaiteurs arrivent à s’échapper et restent, eux, en vie.
Cette situation, complètement anormale et, je l’ai dit, amorale, heurte le bon sens. Aussi, avec Pierre Charon, proposons-nous une modification de la législation sur la légitime défense et l’usage des armes afin de mieux protéger les forces de l’ordre.
Il est en effet nécessaire de donner aux policiers et aux gendarmes un cadre légal plus protecteur, ainsi que les moyens d’agir appropriés pour tenir compte de la violence des délinquants d’aujourd’hui, laquelle ne ressemble pas à la violence des délinquants d’hier. Comme nous venons de le voir, l’actualité confirme la dangerosité des malfaiteurs, dont certains n’hésitent plus à ouvrir le feu et donc à tuer. En tant que législateurs nous nous devons, me semble-t-il, de réagir pour protéger ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie tous les jours.
Cette crainte conduit à des situations paradoxales : d’un côté, le risque de voir se multiplier le nombre des blessés et des morts dans les rangs des forces de l’ordre ; de l’autre, la diffusion de directives à l’image de celle qui a été adressée par un haut responsable départemental à ses hommes à propos de l’engagement des personnels face aux raids nocturnes contre les magasins de téléphonie et dans laquelle il demande à ceux-ci, premièrement, de s’abstenir de toute poursuite du ou des véhicules utilisés, deuxièmement, d’aborder la scène du crime seulement après s’être assuré du départ effectif des malfaiteurs, troisièmement, de s’abstenir de toute intervention en se tenant sur un point d’observation sans engager d’action !
Une telle attitude peut surprendre, mais elle est en fait conforme à l’état actuel du droit et à la jurisprudence. Ce chef voulait tout simplement protéger ses hommes et sauver leurs vies. Voilà où nous en sommes réduits et voilà pourquoi il est nécessaire, selon nous, de faire évoluer le cadre légal vers un dispositif plus protecteur. Tel est l’objet de notre proposition de loi.
Je le répète, la présente proposition de loi a pour objet, d’une part, de renforcer le régime juridique des policiers pour le rapprocher de celui des gendarmes en instituant au bénéfice des policiers une disposition semblable à la mesure figurant à l’article L. 2338-3 du code de la défense et, d’autre part, de créer deux nouvelles présomptions de légitime défense en faveur des policiers et des gendarmes intervenant dans le cadre du dispositif que nous proposons.
Je ne terminerai pas mon intervention sans évoquer une difficulté particulière de ce dossier que j’ai soulevée précédemment. En effet, l’interprétation du droit, que ce soit par la Cour européenne des droits de l’homme ou, désormais, par la chambre criminelle de la Cour de cassation, pose, me semble-t-il, un vrai problème. Ainsi, l’arrêt Ülüfer c. Turquie rendu au mois de juin 2012 par la première de ces instances puis suivi par la chambre criminelle de la Cour de cassation définit désormais un cadre particulièrement restrictif de l’usage des armes pour nos forces de l’ordre, quelles qu’elles soient, police ou gendarmerie.
La mission Guyomar confirme : « Au-delà des textes, la particularité du domaine de l’usage de la force armée est d’avoir été considérablement modelé, dans un sens restrictif par la jurisprudence. » Ce n’est pas le législateur, ce n’est pas nous, parlementaires, qui avons demandé une telle restriction. Nous, nous avons des comptes à rendre au peuple. Nous, nous sommes élus par le peuple.
Le rapport de la mission précitée poursuit : « Le résultat original en est désormais que les critères jurisprudentiels […] priment finalement sur la question du respect des cas légaux d’ouverture du feu. »
C’est la Cour européenne des droits de l’homme qui pose la condition d’« absolue nécessité », qu’elle apprécie de plus en plus sévèrement.
En bref, quelles que soient les différences du cadre légal national, les agents de la police nationale comme de la gendarmerie se retrouvent jugés de la même manière à l’aune du critère fondamental « de la prééminence du respect de la vie humaine », principe devant lequel nous ne pouvons que nous incliner. La France est un pays de grande culture, mais devons-nous pour autant accepter de voir nos policiers et nos gendarmes sacrifiés ?
Dans le sillage de la Cour européenne, la chambre criminelle de la Cour de cassation exige, à son tour, que le recours à la force meurtrière soit « absolument nécessaire ». Même dans les cas d’usage légal de l’arme, la Cour vérifie que les critères d’existence d’un danger actuel, d’absolue nécessité et de proportionnalité de la riposte sont véritablement remplis. De même, elle fait une appréciation tout autant restrictive des dispositions de l’article L. 2338-3 du code de la défense.
Bref, la jurisprudence a démantelé le cadre légal national existant qui, selon la mission Guyomar, « est désormais largement dépourvu d’efficacité juridique ». La messe est dite !
Ce faisant, cette jurisprudence n’équivaut-elle pas, en pratique, à une présomption de culpabilité à l’encontre du policier ou du gendarme et ne heurte-t-elle pas la présomption d’innocence qui, à ma connaissance, a valeur constitutionnelle ?
Face à ces incertitudes, mes collègues, dont Pierre Charon, et moi-même pensons que le statu quo n’est plus admissible. Le malaise est réel. Voilà bientôt près d’un an, la mission Guyomar a fait vingt-sept propositions, toujours non mises en œuvre à notre connaissance.
Monsieur le ministre, les Français ne comprennent pas cette situation, qui paraît inéquitable et déséquilibrée. Aussi, en attendant que le gouvernement auquel vous appartenez se manifeste, nous, nous avons décidé d’agir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de rectifier quelques confusions qui ont pu ressortir de mes propos, lesquels ont été interprétés à l’instant par notre collègue Louis Nègre. Je souhaite, notamment, éclaircir les appels que je lance, dans mon rapport, à une meilleure protection des policiers comme des gendarmes.
À l’instar des préconisations de la mission Guyomar, que vous avez abondamment citée, mon cher collègue, la protection demandée est non pas pénale mais fonctionnelle. À cet égard, à la suite des propositions de cette mission, je le sais, les services du ministère travaillent actuellement en liaison étroite avec les organisations syndicales et tous les intervenants de la chaîne policière et de la chaîne judiciaire afin d’améliorer effectivement cette protection fonctionnelle des policiers. Je n’ai jamais appelé à une amélioration de la protection pénale, qui, aux yeux de la commission et de moi-même, semble suffisante aujourd’hui.
Pour ce qui concerne d’autres propos que vous me prêtez relatifs à la réponse à la violence, vous n’êtes pas non plus allé jusqu’au bout de ma démarche. Il me semble important de le relever dans cette enceinte. J’ai dit que, en réponse à la violence et pour le retour de l’autorité, que nous prêchons tous dans cet hémicycle, il faut des réponses qui peuvent être fermes, dures, intransigeantes, mais qui sont non violentes car réfléchies. Il ne s’agit pas de délivrer une escalade de réponses non réfléchies, instinctives à l’imitation des délinquants.
Par ailleurs, certains propos qui figurent notamment dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi soulèvent un problème. Ils ont fait bondir plusieurs membres de la commission, y compris certains collègues appartenant à votre groupe politique, monsieur Nègre, autrement dit de l’opposition actuelle. Aujourd’hui, on ne peut pas affirmer publiquement, me semble-t-il, que les délinquants et les forces de l’ordre sont traités sur un même pied d’égalité par la justice sans mettre les forces de sécurité en danger.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Il est urgent et important d’affirmer que c’est bel et bien le contraire. Si vous lisiez jusqu’au bout les textes au lieu de faire, comme vous avez affirmé le faire, de la politique uniquement pour gagner des élections et non pas pour faire passer des convictions et pour vous mettre au service de votre pays,…
M. Louis Nègre. Ne vivez pas dans votre bulle !
Mme Virginie Klès, rapporteur. … vous auriez pu constater que dans les textes en vigueur, en particulier dans le code pénal, une rébellion contre l’autorité des forces de l’ordre ne peut jamais constituer un cas de légitime défense. En aucun cas, et même si l’arrestation se passe dans des conditions un peu à la limite de la légalité, des délinquants, ou des non-délinquants d’ailleurs, bref des citoyens qui se rebellent contre les forces de l’ordre ne peuvent être considérés comme étant en état de légitime défense. Par conséquent, ne mettons ni les policiers ni les gendarmes en difficulté de ce point de vue.
Mon cher collègue, on ne peut pas affirmer que, en France, les juges, la justice sont du côté de la délinquance. C’est dangereux de le faire vis-à-vis tant des délinquants que de nos policiers.
M. Louis Nègre. Ce qui est dangereux, ce sont les morts !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Parlons-en ! Moi aussi, dans ma commune, j’ai été confrontée à la mort de trois gendarmes il y a quelques années. Je suis d’ailleurs parfois encore en contact avec certains de leurs collègues. Je peux vous dire que ce ne sont pas les dispositions du droit pénal, une quelconque hésitation, ou encore un enjeu de protection pénale qui ont entraîné ce drame malheureux.
Je déteste que l’on invoque l’honneur des policiers et des gendarmes, que l’on se réfère à des drames, qui sont aussi familiaux, pour faire passer de fausses idées, circuler de fausses rumeurs et faire de la politique pour gagner des élections.
M. Louis Nègre. C’est vous qui voulez gagner les élections ! Ce n’est pas moi !
M. Philippe Marini. Nous sommes tous là pour gagner des élections !
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas déshonorant !
M. Philippe Marini. Nous ne sommes pas là pour nous faire battre !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Les gendarmes que je viens de citer sont morts car ils n’ont pas pris les précautions nécessaires. Intervenant auprès d’une famille qu’ils connaissaient, ils ont sous-estimé la dangerosité de la situation et ne se sont pas suffisamment protégés eux-mêmes.
M. Louis Nègre. Bref, c’est leur faute !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Gérard Longuet. Un petit peu !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Monsieur Nègre, il me semble que l’autorité et la confiance se reconstruisent dans un pays d’abord avec le respect des uns envers les autres, y compris des paroles des sénateurs même quand celles-ci sont prononcées par des femmes qui se mêlent de sécurité…
M. Philippe Marini. Nul n’a le monopole du respect !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Je n’ai pas interrompu votre intervention. Je ne me suis pas permis d’interpréter vos propos avant que vous les ayez terminés. Je vous demanderai de respecter la parole des autres, du rapporteur qui est porte-parole de la commission et non de ses seules opinions. Je vous remercie !
M. Louis Nègre. Pff !
Mme Virginie Klès, rapporteur. En ce qui concerne l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, il me semble évident, sauf à mentir, que nous partageons tous sur ces travées les objectifs de lutte contre la délinquance et de protection maximale de nos policiers et de nos gendarmes, comme de toutes les forces armées de la nation, de toutes celles qui sont en danger à un moment ou à un autre. Il serait faux et déshonorant de tenter de faire croire le contraire.
Comme je viens de le dire, les circonstances dans lesquelles des policiers comme des gendarmes trouvent aujourd’hui malheureusement la mort ou sont blessés ne tiennent pas aux dispositions du code pénal qui régissent l’usage des armes.
Malgré vos affirmations relatives aux hésitations des policiers et des gendarmes à sortir leurs armes, je constate pour ma part ces dernières années une légère augmentation du nombre d’opérations au cours desquelles il y a des tirs. Par ailleurs, alors que, selon vous, les gendarmes se sentiraient mieux protégés et hésiteraient moins à sortir leurs armes, je constate pourtant que les interventions opérationnelles avec tirs sont moins nombreuses chez les gendarmes que chez les policiers nationaux. Même si je ne tire aucune conclusion de ce fait, il ne me semble cependant pas qu’il traduise un sentiment de liberté plus grand chez les gendarmes que chez les policiers quant à l’usage de leur arme.
Selon moi, avant de sortir une arme de son étui pour tirer sur la personne qui est en face de lui, tout homme, toute femme hésite légitimement et ne le fait qu’en cas d’absolue nécessité ou de légitime défense. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans 99,99 % des cas puisque fort peu de policiers ou de gendarmes sont condamnés, malgré les mises en cause systématiques et les examens systématiques. En effet, avant de retirer la vie à quelqu’un, on doit se demander pourquoi et comment.
Mon cher collègue, le sentiment d’insécurité, c’est sans doute vous qui le créez avec vos affirmations, y compris celles que vous proférez à cette tribune.
Je le rappelle, aujourd’hui, nous sommes dans un État de droit dans lequel la vie des citoyens est protégée, tout comme celle des policiers et des gendarmes, qui, pour ce faire, ont le droit d’utiliser leurs armes de par la loi ou le règlement, en cas de commandement de l’autorité légitime, d’absolue nécessité ou de légitime défense. Dans tous ces cas, l’usage de l’arme reste une infraction mais l’irresponsabilité pénale des forces de l’ordre est régulièrement affirmée par la jurisprudence. Il n’y a pas de divorce entre les forces de l’ordre et la justice, contrairement à ce que vous voudriez faire croire.
Pour être reconnues, à l’heure actuelle, la légitime défense et l’absolue nécessité doivent répondre aux mêmes critères selon la jurisprudence tant internationale que nationale, à savoir l’existence ou la probabilité forte d’une menace. Même si l’arme brandie par l’agresseur est factice, à partir du moment où les circonstances permettent d’affirmer que la personne ne pouvait pas savoir qu’il s’agissait d’une arme factice mais pouvait légitimement penser qu’elle était en danger, la légitime défense est reconnue. La menace, la mise en danger, le risque sont les premières circonstances nécessaires pour que l’absolue nécessité ou la légitime défense soient reconnues. La simultanéité comme la proportionnalité de la réponse à la menace ou au sentiment de menace sont bien évidemment également examinées.
Alors, me direz-vous, pourquoi l’article L. 2338–3 du code de la défense établit-il une différence entre les policiers et les gendarmes ? Il énumère en effet certaines circonstances précises dans lesquelles les gendarmes peuvent utiliser leurs armes en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, alors que les policiers n’ont pas cette possibilité. Les gendarmes demeurent des militaires, même s’ils sont désormais rattachés au ministère de l’intérieur. Ils se voient encore confier des missions militaires et ont encore accès à une formation de militaires ; ils bénéficient en particulier du tutorat d’un gendarme expérimenté lors de leur première affectation, ce qui n’est pas le cas des policiers nationaux. En outre, même si un gendarme fait usage de son arme dans l’une des circonstances prévues par l’article L. 2338–3 du code de la défense, les juges examinent si les conditions étaient réunies et ils retiennent le critère de l’absolue nécessité.
Est-il vraiment nécessaire de faire croire que certains sont mieux protégés que d’autres, qu’ils peuvent sortir leur arme plus facilement, de manière plus libérale ? Je ne le crois pas. Il est au contraire nécessaire de leur répéter à tous – policiers et gendarmes – ce qu’ils savent déjà : sortir son arme de son étui et en faire usage contre un être humain est un acte grave, qu’il ne faut pas manquer d’accomplir si on en a besoin, mais dont on portera la trace toute sa vie. Il importe que la société, l’État, le Gouvernement et l’autorité hiérarchique de ces hommes et de ces femmes soient à leurs côtés, avec la justice, et leur disent de façon très claire que, après avoir tout regardé, tout examiné, après avoir décortiqué les circonstances, on les couvrira parce qu’on a constaté qu’ils avaient eu raison de se défendre.
C’est ce qu’il faut rappeler, au lieu de faire croire que les magistrats ou je ne sais qui d’autre seraient hostiles aux policiers et s’amuseraient à protéger les délinquants en disant aux policiers qu’ils ont eu tort de sortir leur arme. Ceux qui affirment de telles choses se déshonorent ; j’y insiste, mes chers collègues. Respecter l’honneur des policiers et des gendarmes consiste à leur dire que, dans 99,99 % des cas, si ce n’est dans 100 % des cas, ils ont eu raison d’utiliser leur arme. La chaîne de la justice avec laquelle ils travaillent tous les jours et qui lutte à leurs côtés contre la délinquance est là aussi pour leur dire, en toute transparence et devant les citoyens, qu’ils ont eu raison.
M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Voilà pourquoi je ne pense pas qu’il soit nécessaire de rompre l’équilibre qui existe aujourd'hui entre le droit de tuer en temps de paix, que nous accordons de fait à nos forces de sécurité, et le droit de vivre inscrit dans la Constitution, qui concerne tout le monde. Cet équilibre est conforme à la jurisprudence nationale et internationale. Dans son arrêt Ülüfer c. Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a simplement délivré une mise en garde : les législations nationales ne doivent pas accorder des droits de tuer disproportionnés au regard du droit de vivre inscrit dans les différentes constitutions. La Cour n’a pas invité les délinquants à tuer des policiers, en leur promettant qu’il ne leur arriverait rien ! Je ne peux accepter que l’on fasse cette caricature ; je suppose d'ailleurs que ma voix trahit ma colère.
Je ne crois pas qu’il faille déséquilibrer les choses. Je ne crois pas qu’il faille ouvrir, ou faire semblant d’ouvrir aux policiers un nouveau droit à faire usage de leurs armes. Les policiers ont le droit de faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité, de légitime défense ou de commandement par l’autorité légitime. Ils le font d'ailleurs très bien, avec mesure. Peut-être – je ne sais pas – y a-t-il lieu de revoir le droit à tirer prévu par l’article L. 2338–3 du code de la défense pour les gendarmes dans le cadre de leurs missions civiles. En tout état de cause, il faudrait d'abord un examen très sérieux et très circonspect des conséquences que cette réforme engendrerait. L’idée de « diminuer », si je puis dire, le droit des gendarmes à faire usage de leurs armes a été émise lors des auditions que nous avons réalisées. Cela nécessiterait la révision de l’ensemble du code de la défense, et je ne suis pas du tout certaine que cela soit indispensable en l’état actuel de la jurisprudence, y compris internationale. Je mentionne néanmoins cette idée, car elle a été évoquée en commission.
C’est donc pour de multiples raisons qu’il ne me paraît pas nécessaire d’ « aligner », comme vous dites, le régime des policiers nationaux sur celui des gendarmes. Je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire de renforcer la présomption d’innocence en créant une présomption de légitime défense. Là encore, ma conviction s’appuie sur plusieurs raisons, dont certaines ont déjà été citées. Il y a d'abord une raison très juridique : cela reviendrait à instaurer, en regard de la présomption de légitime défense, une présomption de culpabilité dans un domaine non contraventionnel, alors que, en droit français, il n’existe de présomption de culpabilité que pour les infractions routières et uniquement en matière contraventionnelle. Cela bousculerait l’équilibre de l’ensemble du droit français.
Surtout, la création d’une présomption de légitime défense reposant sur la qualité – on en bénéficierait ès qualités, en l’occurrence ès gendarmes, ès policiers – risquerait d’aboutir à un résultat contraire à celui que recherchent les auteurs de la proposition de loi : les juges pourraient devenir plus circonspects au sujet de la légitime défense des forces de sécurité. Les policiers et les gendarmes sont censés mieux maîtriser les situations de stress, car ils sont censés être mieux formés à l’usage des armes et à l’évaluation des risques ; on pourrait donc penser qu’ils sont formés à moins faire usage de leurs armes. Or aujourd'hui les juges ne raisonnent pas ainsi : lorsqu’ils examinent un cas de légitime défense, ils estiment que les policiers et les gendarmes ont le droit d’avoir exactement les mêmes réflexes qu’un citoyen normal.
Il me semble que nous avons des efforts à faire en matière de formation des forces de sécurité. Tous mes interlocuteurs, aussi bien dans la police municipale que dans la police nationale ou dans d’autres instances des forces armées – seule la gendarmerie fait peut-être exception –, m’ont dit qu’ils étaient formés, puisqu’ils tirent x cartouches par an. Ils sont formés au maniement des armes, mais pas à déterminer s’il faut ou non les utiliser. Nous avons sans doute des efforts à faire dans ce domaine. En attendant, il me semble plus protecteur pour les policiers comme pour les gendarmes que la légitime défense soit jugée d’après les critères applicables à n’importe quel citoyen. Les policiers et les gendarmes sont mis dans des situations dangereuses ; il ne faut pas partir du principe que leur formation devrait les conduire à moins utiliser leur arme. Ce serait d'ailleurs aller à l’encontre de ce que prêchent les auteurs de la proposition de loi.
En conclusion, nous ne pouvons que nous accorder sur la nécessité de protéger les forces de l’ordre et de lutter contre la délinquance ; c’est notre devoir. Mais nous n’y parviendrons pas en opposant les uns aux autres, en créant des relations de méfiance entre les uns et les autres, surtout entre les institutions et les hommes et les femmes qui se dévouent au service de ces institutions. Notre justice et nos forces de sécurité doivent travailler ensemble, la main dans la main. Oui, à gauche, nous partageons – même les femmes… – la volonté d’un retour de l’autorité. Mais, comme je vous l’ai dit tout à l'heure, ce retour ne se fera pas par la force. L’autorité doit être ferme, et parfois même intransigeante, dure, mais elle ne se déclare pas ni ne se déclame à la tribune : elle se construit.
Il y a des efforts à faire, je l’ai souligné dans mon rapport. Cependant, la mission Guyomar, qui a listé tous ces efforts, a clairement exclu, après un long travail, l’ensemble des mesures que comporte votre proposition de loi, mes chers collègues. Des efforts doivent être faits en matière de formation, je l’ai indiqué. Une réflexion pourrait également être menée sur les premières affectations des policiers. J’ai récemment assisté aux assises de la formation de la police nationale. Certains intervenants ont déclaré – cela m’a marqué – que le premier acte administratif des jeunes policiers nationaux était très souvent une demande de mutation, non pas parce qu’ils ne s’investissent pas dans leur mission, mais parce que leurs premiers postes sont des postes difficiles qui ne correspondent pas du tout à ce qu’ils auraient souhaité : ils se sentent sans doute un peu perdus. Nous pourrions peut-être prendre exemple sur la gendarmerie nationale et l’armée, qui prévoient une formation opérationnelle et un tutorat plus poussés.
Il y a également des efforts à faire en matière de communication et de respect des institutions. Peut-être faudrait-il arrêter de stigmatiser les uns ou les autres en fonction des circonstances. J’ai entendu certains membres de l’UMP – pas vous, mes chers collègues – accuser les policiers tantôt de laxisme, tantôt d’agressivité, voire même d’usage inconsidéré de certaines armes, selon la nature des manifestations. Ces variations sont-elles liées à l’identité des manifestants, ou à autre chose ?
M. Philippe Kaltenbach. Leur indignation est à géométrie variable !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Pourrions-nous avoir un peu de constance dans la communication et mieux respecter les institutions ?
M. Jacky Le Menn. Eh oui !
Mme Virginie Klès, rapporteur. Pourrions-nous éviter de bafouer ou de défendre la présomption d’innocence et de refuser ou d’accepter l’intrusion dans les affaires de la justice en fonction de ce qui nous arrange ? Faisons preuve de plus de constance dans notre communication, notamment sur certaines travées.
M. Philippe Marini. Êtes-vous vraiment bien placés pour faire la morale ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Virginie Klès, rapporteur. En matière de justice et de respect des institutions, il me semble que oui, mon cher collègue ! Je pense être parfaitement bien placée pour en parler. Je n’ai jamais commenté aucune décision de justice ni stigmatisé aucune institution. Mon discours n’a jamais varié sur ce sujet. Vous ne me prendrez donc pas en défaut, du moins sur ce sujet, cher collègue.
M. Gérard Longuet. Ce n’était pas une attaque personnelle, c’était une réflexion collective !
Mme Virginie Klès, rapporteur. À laquelle je réponds…
M. Gérard Longuet. Vous y répondez personnellement, mais pas collectivement parce que vous ne pouvez pas le faire !
Mme Virginie Klès, rapporteur. … car, pour l’instant, c’est moi qui suis à la tribune. Mais je ne pense pas que mon groupe ait à rougir en la matière.
Nous devons faire des efforts en matière de communication. Dans ce domaine aussi, la police nationale devrait peut-être regarder ce que fait la gendarmerie. Je sais d'ailleurs qu’une telle démarche est en cours pour améliorer la communication au sujet des faits divers qui défraient la chronique. C’est sans doute à l’autorité hiérarchique de reprendre la main afin de rétablir un lien de confiance avec les policiers qui sont sur le terrain ; je pense que ce serait une bonne chose. La gendarmerie le fait déjà aujourd'hui.
Oui, nous avons également beaucoup d’efforts à faire, et rapidement, en matière de protection fonctionnelle, mon cher collègue. Là aussi, des travaux sont en cours. Oui, il faut continuer d’affirmer la présomption d’innocence de tout policier mis en cause. Oui, tant que dure l’enquête, il faut prendre des mesures de reclassement et assurer une meilleure communication entre les autorités disciplinaires et judiciaires afin de minimiser les délais d’enquête. Les personnes concernées doivent être reclassées à des postes qui ne leur font pas subir de perte sur le plan financier. Elles ne doivent pas être stigmatisées aux yeux de leurs collègues. Oui, il y a là des choses à faire. Il y a aussi des choses à faire s'agissant de l’extension de la protection fonctionnelle aux ayants droit, ou encore des réseaux susceptibles de conseiller les personnes mises en cause. La mission Guyomar a pointé tous ces éléments, et le ministère de l’intérieur travaille sur ces sujets, en lien avec l’ensemble des organisations professionnelles concernées, et pas seulement avec les organisations professionnelles de la justice.
Pour conclure, la commission, soutenue par certains membres de votre groupe, monsieur Nègre, a émis un avis défavorable sur cette proposition de loi. Celle-ci ne répond pas aux objectifs que vous affichez. En outre, nous nous refusons à stigmatiser la justice ou à l’opposer à la police nationale et à la gendarmerie. Nous nous refusons également à rompre l’équilibre actuel en matière d’usage des armes par les forces de sécurité, qui est conforme au droit national et international, rappelé encore récemment par des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation – je pense notamment à celui qu’elle a rendu le 12 mars dernier – et de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous avons atteint un équilibre. Cet équilibre existe, mais il est fragile. Ne le rompons pas : tenons plutôt un vrai discours de confiance vis-à-vis des policiers et des gendarmes, qui se dévouent tous les jours au service de la France et de notre sécurité et méritent autre chose que les invectives que nous avons entendues tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, imposer l’ordre républicain en s’opposant aux individus qui le contestent : telle est la mission qui incombe aux policiers et aux gendarmes. Ils l’accomplissent avec le courage, l’engagement et le professionnalisme qui caractérisent les forces de l’ordre de notre pays.
Vous le savez tous, s’opposer n’est pas sans risques. En témoignent les noms des femmes et des hommes qui sont tombés dans l’accomplissement de leur mission, de leur devoir, en luttant contre la criminalité et en défendant les valeurs qui fondent notre société. Je le dis ici, de nouveau, devant la représentation nationale : ces noms sont évidemment notre fierté et il appartient à la République de toujours les honorer.
En 2012, six policiers et gendarmes sont morts en mission. Le 26 février dernier, avec le Premier ministre, j’ai rendu un dernier hommage au capitaine Cyril Genest et au lieutenant Boris Voelckel, policiers de la BAC, tués dans des circonstances d’une extrême gravité sur le périphérique parisien. Ce jour-là, c’est toute la police nationale qui portait le deuil ; c’est toute la République qui était le deuil !
Au-delà des chiffres, il y a des souffrances : celles des familles, des proches, des collègues de ces policiers et gendarmes. Ces souffrances, nous devons les respecter, sans jamais exploiter la mort de ces femmes et de ces hommes.
Je veux insister sur la gravité du sujet que votre assemblée est appelée à examiner aujourd’hui, au travers de cette proposition de loi.
Faire usage de son arme – Mme la rapporteur l’a très bien dit – n’est pas une chose anodine. C’est potentiellement ôter la vie. Aucun policier, aucun gendarme ne peut aborder cette éventualité autrement que comme une épreuve. Une épreuve nécessaire qu’ils assument dans le cadre prévu par la loi.
Encadrer scrupuleusement le recours à la force légitime : tel est le fondement même d’un État de droit !
Monsieur Nègre, il y a effectivement une différence – et heureusement ! – entre les policiers et les gendarmes, qui agissent dans le cadre de la loi, et les voyous, qui contestent cette autorité. (M. Louis Nègre acquiesce.)
La question de l’usage de l’arme est grave ; elle ne peut être abordée dans l’émotion, notamment celle qui naît devant l’indicible et l’insupportable. Cette question, nous devons l’aborder sereinement, de façon dépassionnée. Or de telles circonstances ne sont par réunies, je le crains, pour la discussion de cette proposition de loi, dans l’exposé des motifs de laquelle il est affirmé que la loi met « quasiment sur le même plan les malfaiteurs et les forces de l’ordre ».
Que des législateurs censés voter la loi puissent affirmer que celle-ci place les malfaiteurs et les forces de l’ordre au même niveau est proprement stupéfiant ! (Et oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. André Gattolin. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Manuel Valls, ministre. Ce n’est pas parce que nous sommes réunis un matin au Sénat, tandis que l’actualité porte sur d’autres sujets, que nous devons laisser passer de telles phrases dans une enceinte de la République ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi que vous votez ne peut pas dire cela ! Je ne pourrai jamais partager ce constat !
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. Aborder la question de l’usage de l’arme implique d’avoir une juste représentation de ce qu’est le métier de policier. Pour l’essentiel, c’est justement de ne pas utiliser son arme, qui ne doit rester qu’un ultime recours. Pour toutes celles et tous ceux qui agissent sur le terrain, qui font face à la délinquance, au crime organisé, une intervention réussie, c’est maîtriser la situation, interpeller, neutraliser sans devoir faire feu.
Cette proposition de loi, en tendant à mettre l’arme au centre de la réflexion, en en faisant le seul sujet, fait fausse route.
Policiers et gendarmes sont tous dépositaires de l’autorité publique ; tous portent une arme, sauf circonstances exceptionnelles.
Les auteurs de ce texte, en partant d’une analyse simpliste, caricaturale du droit en vigueur, veulent voir une différence majeure entre les deux forces en matière d’usage de cette arme. Or, dans les faits, comme l’a dit Mme Virginie Klès, la situation est beaucoup plus nuancée.
Le Gouvernement, par la voix de mon collègue Alain Vidalies, a déjà pu s’expliquer sur ce point, voilà quelques mois, à l’Assemblée nationale, lors des débats relatifs à la proposition de loi présentée par le député Guillaume Larrivé et plusieurs de ses collègues, à laquelle M. Nègre a fait allusion. Je le fais, à nouveau, aujourd’hui, devant vous.
Le principe de la légitime défense est régi par l’article 122–5 du code pénal. L’usage des armes par les forces de sécurité intérieure relève de ce principe général : l’auteur de violences ou d’un homicide volontaire est pénalement irresponsable lorsqu’il répond à une agression injuste, par une riposte immédiate, nécessaire et proportionnée. Ainsi, il ne peut être imputé aux policiers et aux gendarmes un usage illégal de la force dès lors qu’ils ont agi en état de légitime défense ou sous l’empire de l’état de nécessité.
Il faut, en outre, ajouter un cas spécifique d’usage légitime des armes à feu par les forces de l’ordre lorsqu’il s’agit de dissiper un attroupement. C’est ce que prévoit l’article 431–3 du code pénal.
Toutefois, à ce tronc commun s’ajoutent, pour la gendarmerie nationale, des dispositions spécifiques issues du code de la défense. Ce texte permet aux gendarmes d’utiliser leurs armes non seulement pour se défendre, mais aussi pour empêcher la fuite d’une personne ou d’un véhicule, après sommations faites à voix haute et s’il n’existe pas d’autres moyens.
Cependant, la jurisprudence a largement tempéré cette différence apparente sur laquelle les auteurs de cette proposition de loi fondent l’ensemble de leur raisonnement. Qu’il s’agisse des juges de la Cour européenne des droits de l’homme ou de ceux de la chambre criminelle de la Cour de cassation, tous exigent, au-delà même des textes, pour légitimer l’usage des armes, l’existence d’une absolue nécessité, c’est-à-dire le respect du principe fondamental de proportionnalité.
Ainsi, l’unification à laquelle tend cette proposition de loi a déjà eu lieu dans les faits. Il s’agit de tenir compte de trois évolutions : la réunion au sein du ministère de l’intérieur des deux corps de la police nationale et de la gendarmerie nationale, l’harmonisation des terrains d’intervention en raison de l’urbanisation croissante des territoires, et, enfin, la proximité des missions de sécurité intérieure entre la police et la gendarmerie.
J’observe également que l’article 1er de la proposition de loi, qui a pour objet d’unifier les deux régimes juridiques, manque précisément son objectif. En effet, il ajoute aux violences et voies de fait, les tentatives d’agressions et la nécessité d’une sommation, qui ne figurent pas dans le texte applicable à la gendarmerie. Les policiers auraient donc, sur ce point, un usage des armes plus large que celui qui est accordé aux gendarmes.
En outre, il circonscrit l’usage des armes pour empêcher la fuite d’un suspect à la commission de crimes ou de délits graves. Les policiers auraient alors, sur cet autre point, un usage des armes plus restreint que les gendarmes.
Je veux donc le redire : cette demande d’harmonisation des régimes relatifs à l’usage de la force armée n’est pas utile.
Elle n’est pas non plus opportune, car la différence de régime demeure justifiée, autant par le statut militaire des gendarmes que par la porosité, dans certaines zones, entre missions de maintien de l’ordre et missions militaires. Je pense notamment à la Guyane.
Cette proposition de loi tend également, en créant une présomption de légitime défense qui leur serait spécifique, à aller plus loin dans les conditions d’usage des armes à feu par les policiers et les gendarmes. Je le dis de la manière la plus claire : c’est une très mauvaise idée ! Ce droit obtenu par un renversement de la charge de la preuve est un piège vers lequel je refuse de conduire les policiers et les gendarmes dont j’ai la responsabilité. D’ailleurs, je vous rappelle que mon prédécesseur, Claude Guéant, avait lui-même rejeté une telle option le 27 avril 2012,…
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. Manuel Valls, ministre. … en la qualifiant de « permis de tuer » (MM. Jacques Chiron et Jacky Le Menn opinent.)
En effet, une telle présomption va à l’encontre d’une réalité : les forces de l’ordre étant formées et entraînées au maniement des armes, elles sont donc censées en faire un usage maîtrisé. Maintenir l’ordre et protéger nos concitoyens sans faire feu est, comme je l’ai déjà dit, une fierté. C’est donc faire injure au professionnalisme des policiers et gendarmes que de banaliser l’usage des armes en consacrant le principe d’une légitime défense a priori.
Qui peut croire, enfin, que cette disposition désarmerait les délinquants, qu’elle rendrait plus sûr le métier de policier ? Personne !
En revanche, comment ne pas voir en filigrane de ce texte un message de défiance à l’égard de la justice ? Ce message, toujours le même, depuis dix ans, vise à opposer systématiquement les policiers aux magistrats. Cette présomption de légitime défense, c’est un préjugé à l’égard de la justice.
Votre proposition de loi véhicule une idée fausse qui voudrait qu’une protection accrue des policiers passe par l’usage de l’arme. C’est une vision trompeuse. C’est une vision simpliste. Mesdames, messieurs les sénateurs, les solutions sont ailleurs. Certes, on peut toujours faire évoluer les textes, mais, ces solutions, contrairement à ce qui a été dit, le Gouvernement les met en œuvre dans le cadre, j’y reviendrai, d’une politique de sécurité renouvelée, visant à assurer la sécurité des Français et à renforcer l’efficacité de nos services de police et de gendarmerie.
Monsieur Nègre, vous avez raison (M. Louis Nègre sourit.), il faut que les responsables politiques traitent des questions qui préoccupent nos compatriotes : leur sécurité et leur sûreté en est une majeure. C’est bien évidemment ma priorité depuis que je suis ministre de l’intérieur et je ne doute pas que cette question a toujours été la priorité pour mes prédécesseurs. Mais répondre à un tel sujet, au malaise réel de la population, par ce type de proposition tendant à faciliter l’usage des armes n’est pas, de mon point de vue, à la hauteur de l’enjeu.
Ce n’est pas sérieux. C’est d’autant moins sérieux, monsieur Nègre, que, dans toutes les affaires que vous avez évoquées, les gendarmes et policiers étaient en état de légitime défense. Prétendre, en prenant appui sur une note ou une circulaire, que les forces de l’ordre n’ouvriraient pas le feu par crainte des tracasseries administratives et des poursuites judiciaires n’est pas non plus sérieux.
L’honneur, la fierté, je le répète, des forces de sécurité, c’est de maîtriser des individus, c’est de gérer des situations sans faire feu. Le sang-froid des policiers et des gendarmes, leur discernement ne peuvent pas, comme vous le faites, être ravalés au rang d’impuissance et de faiblesse de nos forces de l’ordre.
En tant que ministre de l’intérieur, j’ai donc le souci permanent de protéger les policiers et les gendarmes – et je ne veux pas oublier les policiers municipaux –, qui, au quotidien, je le sais très bien, font face à une contestation, parfois virulente, de leur autorité, et ce non pas depuis dix mois, mais depuis des années.
Dès ma prise de fonctions, j’ai voulu, à la suite des engagements du Président de la République, renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes. J’ai donc confié une mission en ce sens à M. Mattias Guyomar, conseiller d’État.
La protection fonctionnelle, c’est la juste garantie qu’accorde l’administration à ses agents lorsqu’ils sont victimes ou mis en cause dans l’exercice de leurs fonctions. C’est, pour l’État, un devoir impérieux de protéger ces hommes et ces femmes qui, chaque jour, risquent leur vie pour nos concitoyens.
Les auteurs de la proposition de loi affirment, dans son exposé des motifs, que « par peur de poursuites administratives ou judiciaires, des policiers ont pu hésiter à se défendre, devant des agresseurs dénués de tout scrupule ». C’est faux : le ministère de l’intérieur n’abandonne pas ses agents ! La protection juridique des policiers et des gendarmes est déjà une réalité : le nombre de mesures de protection prises pour les agents victimes, comme pour les agents mis en cause, en témoigne. Ce nombre n’a cessé d’augmenter depuis cinq ans pour atteindre plus 20 000 mesures de protection en 2012.
Cette protection que l’État doit à ses agents, j’ai souhaité qu’elle soit renforcée en signe de reconnaissance de la nation. J’ai voulu que l’administration exprime clairement sa solidarité envers celles et ceux qui la servent. Les fonctionnaires de police doivent savoir que l’État sera toujours présent pour les soutenir lorsqu’ils remplissent, avec professionnalisme, leur mission de service public.
Le rapport Guyomar, qui m’a été remis le 13 juillet dernier, comporte vingt-sept recommandations dont la plupart ont d’ores et déjà été mises en œuvre. Trois axes ont été privilégiés.
D’abord, la protection juridique accordée aux victimes devait être étendue aux concubins et aux pacsés, qui n’en bénéficiaient pas. Cette injustice a été réparée dans la police nationale ; elle est en train de l’être dans la gendarmerie.
Ensuite, les droits des agents mis en cause doivent être mieux protégés. Les services qui mènent les enquêtes judiciaires et administratives ne peuvent être les mêmes ; ils sont donc séparés. Par ailleurs, le droit à l’assistance juridique est désormais assuré dès la phase d’enquête administrative, ce qui constitue également une avancée importante.
Enfin, protéger les agents, c’est éviter de précariser leur carrière lorsqu’ils sont mis en cause. À cet égard, les policiers avaient une attente forte, notamment à la suite de l’affaire de Noisy-le-Sec qui avait quelque peu enflammé – une nouvelle fois sur ce sujet – la fin de la campagne pour l’élection présidentielle. La suspension « préventive » était devenue la règle. Désormais, en accord avec la garde des sceaux, le maintien en service sera privilégié ; des instructions en ce sens ont déjà été données.
Sécuriser les carrières, protéger les fonctionnaires et leur famille : parce que cet objectif vaut pour l’ensemble de la fonction publique, un certain nombre de mesures générales sont actuellement étudiées dans un cadre interministériel, sous l’égide du ministère de la réforme de l’État.
Mieux protéger nos policiers et nos gendarmes est nécessaire, mais ce n’est pas tout. Il faut aussi se demander comment ils peuvent agir efficacement contre les phénomènes délinquants auxquels ils sont confrontés – comment et avec quels moyens !
La question est donc bien plus complexe que le cadre dans lequel les auteurs de la proposition de loi cherchent à l’enfermer. Ceux qui connaissent la réalité savent qu’il est difficile d’avancer sur ce terrain sans heurter des principes fondamentaux. D’ailleurs, monsieur Nègre, vous n’avez jamais pris une telle initiative sous les gouvernements que vous souteniez. (M. Jacques Chiron opine.)
Les forces de l’ordre doivent faire face à une montée de la violence, qui n’est pas nouvelle, et à des individus déterminés, de plus en plus jeunes, lesquels utilisent parfois des armes de guerre. Elles sont aussi confrontées à des trafics et à des groupes organisés qui, dans les quartiers, veulent substituer un autre ordre à l’ordre républicain. Enfin, les policiers et les gendarmes doivent lutter contre une délinquance qui change de formes et qui se déplace vers de nouveaux territoires.
Personne ne conteste cette réalité. Je l’assume, quoiqu’elle ne soit pas le bilan du Gouvernement ni le mien. Je pourrais même vous dire qu’elle est le bilan de dix ans de la politique de sécurité menée par la majorité précédente ; c’est en partie vrai, mais c’est réducteur.
M. Pierre Charon. En effet !
M. Manuel Valls, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je ne veux pas, moi, tomber dans vos caricatures. C’est un fait que cette situation est aussi le fruit d’une contestation de l’autorité, de la famille et de l’école ; le fruit aussi de la place de l’argent dans notre société, ainsi que des évolutions de la délinquance que je viens de rappeler. Une réponse très déterminée est nécessaire ; elle incombe à l’État, qui doit incarner l’autorité, mais aussi à toute la société.
Je veux agir avec détermination, ce qui implique de repenser non pas l’usage des armes, mais les dispositifs, les modes d’intervention, de sécuriser l’action des policiers. Sécuriser leur action, c’est faire en sorte qu’ils soient plus nombreux, mieux formés, mieux équipés et, surtout, pleinement respectés.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je ne doute pas de votre bonne foi, mais il est pour le moins étonnant que vous présentiez une proposition de loi visant à protéger les policiers alors même qu’au cours des cinq dernières années les gouvernements que vous avez soutenus ont supprimé 10 700 postes de policiers et de gendarmes ! (M. Jacques Chiron opine.) Ces suppressions ont nécessairement rendu les missions sur le terrain beaucoup plus complexes (Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.), et aussi beaucoup plus dangereuses : combien de policiers et de gendarmes soulignent que leurs équipages sont réduits !
Protéger les policiers, c’est avant tout garantir qu’ils soient en nombre suffisant sur le terrain et que les effectifs dont ils disposent leur permettent de se sécuriser eux-mêmes.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. En effet, la meilleure façon d’utiliser la force, qui est nécessaire, est de commencer par la rendre visible et opérationnelle sur le terrain.
C’est pourquoi, conformément aux engagements du Président de la République, il a été mis un terme à la politique de non-remplacement des départs en retraite. Non seulement les 3 000 départs prévus cette année seront remplacés,…
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. … mais 288 policiers et 192 gendarmes supplémentaires seront recrutés en 2013. Ces embauches se poursuivront à un même rythme annuel au cours du quinquennat, de sorte que 500 policiers et gendarmes supplémentaires au total seront recrutés chaque année. Bien évidemment, cela ne remplacera pas toutes les suppressions de poste, mais c’est le signe que le Gouvernement est décidé à s’attaquer avec force et détermination aux défis que nous posent la violence et la délinquance.
En matière de formation, – Mme la rapporteur y a fait allusion – j’ai voulu que des assises soient organisées au sein de la police nationale afin de réfléchir aux dispositifs permettant de rendre plus efficace la police d’aujourd’hui et de préparer celle de demain. Ces assises, qui se sont tenues au début du mois de février dernier, ont permis de préciser l’effort à accomplir en matière de formation initiale dans les écoles de police. Elles ont aussi permis de fixer des orientations pour renforcer la formation continue. En effet, il est primordial d’assurer, tout au long de la carrière des policiers, l’adéquation entre leurs compétences et les missions qui leur sont confiées, compte tenu des évolutions de la délinquance.
Les policiers ont également besoin de moyens matériels pour agir. Certes, le cadre budgétaire est contraint ; mais le Gouvernement entend donner à la police et aux gendarmes, qui les réclament, les moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.
En particulier, les forces de l’ordre doivent pouvoir bénéficier d’avancées technologiques comme la géolocalisation des véhicules ou les caméras embarquées, qui permettent de dépêcher les effectifs nécessaires en renfort. Quant à la vidéoprotection, elle permet de sécuriser nos concitoyens, mais aussi les policiers dans leurs interventions.
En ce qui concerne les avancées technologiques, il faut encore citer les caméras-piétons, qui contribueront au rétablissement du rapport de confiance avec la population. Le retour du matricule et le nouveau code de déontologie concourront à ce même objectif. En levant les incompréhensions et en désamorçant les tensions, il s’agit aussi de sécuriser les policiers dans leurs interventions sur le terrain.
À Clermont-Ferrand où j’étais il y a quelques jours, dans un quartier classé en zone de sécurité prioritaire à la suite du drame qui s’est produit voilà un an, les policiers m’ont rapporté qu’ils rencontraient encore des difficultés pour patrouiller à pied, ce qui est pourtant nécessaire au rétablissement de la sécurité.
Je veux que les policiers soient respectés, que leur autorité soit pleinement établie. Cette autorité implique une police respectueuse et au contact de la population, notamment dans les quartiers ; c’est ainsi que la police sera respectée par la population.
Tout acte d’agression verbale ou physique à l’égard de nos forces de l’ordre doit être sévèrement puni. Je me rendrai demain à Amiens pour faire le point sur la zone de sécurité prioritaire créée il y a plusieurs mois, avant que n’éclatent des émeutes urbaines. Grâce au travail accompli par les enquêteurs sous l’autorité du parquet, ceux qui ont semé le désordre et qui ont agressé les forces de l’ordre sont, les uns après les autres, arrêtés et déférés à la justice.
Ce résultat montre qu’il faut avoir confiance dans la justice et dans sa collaboration avec les policiers. La mise en cause permanente de la justice affaiblit l’État de droit et la relation indispensable entre les forces de l’ordre et les magistrats. Hier soir, lors d’une visite de terrain à Aubervilliers et à Pantin, en Seine-Saint-Denis, j’ai constaté les fruits d’une coopération exemplaire entre la police, les douanes et la justice pour lutter contre les trafics et tout ce qui pourrit la vie quotidienne de nos concitoyens dans les quartiers populaires.
Une police sécurisée, c’est aussi une police confortée dans ses missions et dans ses modes d’intervention. Tel est l’objectif des soixante-quatre premières zones de sécurité prioritaires.
Comme je viens de le montrer, l’action coordonnée entre les services et les liens renforcés avec la justice portent déjà leurs premiers fruits. C’est le cas à Amiens, mais aussi contre des phénomènes de bandes à Grigny, où les agresseurs du RER ont été interpellés, à Corbeil-Essonnes, où une quarantaine de vols avec violence ont été élucidés, ou encore à Marseille, où des trafics sont démantelés. Seulement, pour lutter contre ces phénomènes, il faut un temps qui est parfois contraire à l’émotion que provoque tel ou tel fait ou à l’exploitation politique à laquelle il donne lieu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi apporte une mauvaise réponse à une bonne question. Cette réponse, la même depuis dix ans, n’a pas empêché les violences aux personnes d’augmenter : elles augmentent depuis trente ans, touchant toutes les catégories, particulièrement les femmes et les plus fragiles. Pourtant, je ne doute pas que la même réponse sera avancée lors de la convention que tient aujourd’hui l’UMP sur le thème de la sécurité, avec un traitement spécial réservé à la garde des sceaux et au ministre de l’intérieur – j’ai bien compris que c’est la nouvelle stratégie.
Cette réponse, le Gouvernement ne peut pas l’entendre. C’est pourquoi il demande au Sénat de rejeter cette proposition de loi, qui n’est utile ni pour la sécurité des forces de l’ordre ni pour celle des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, j’aurais pu commencer mon intervention par le récit de quelques-uns de ces faits divers quotidiens qui illustrent malheureusement la terrible situation de notre pays. Louis Nègre m’ayant devancé avec beaucoup de talent et d’émotion, je consacrerai mon propos à la proposition de loi que nous présentons.
Il importe malgré tout de replacer notre initiative dans le contexte de l’hyper-violence à laquelle nos forces de l’ordre doivent répondre et qu’elles s’efforcent de contenir. Il s’agit d’une nouvelle violence dont les acteurs sont chaque jour plus lourdement armés. Quand j’étais adolescent, les blousons noirs avaient des canifs et des chaînes de vélo ; aujourd’hui, les délinquants ont troqué les canifs contre des kalachnikovs.
Or nous sommes très régulièrement témoins de situations terribles dans lesquelles un policier ou un gendarme perd la vie dans l’exercice de ses fonctions. Certains parleront sans doute des risques du métier. C’est un fait que l’engagement dans la police ou dans l’armée présente cette particularité qu’on y risque sa vie pour protéger celle des autres ; cette particularité doit nous inspirer le plus grand respect et la plus profonde gratitude, en aucun cas de la moquerie ou du dédain.
Ce sont, chaque année, plus de 10 000 policiers qui sont blessés, soit une quarantaine par jour ! Le cadre juridique semblant ne plus être adapté à cette situation, Louis Nègre, moi-même et une quarantaine de nos collègues avons décidé de déposer cette proposition de loi.
Ce texte a une portée symbolique et une nécessité concrète. Une portée symbolique, tout d’abord, en ce qu’il confirme le monopole de la violence légitime, pour reprendre la formule du sociologue Max Weber, monopole qui fonde l’État de droit. Permettez-moi, mes chers collègues, de prendre le temps d’ouvrir ici une parenthèse sur la nature de cet État de droit, si cher à nos démocraties contemporaines.
L’État de droit se fonde sur deux socles : le monopole de la violence légitime, qui justifie la prérogative de l’État en matière de maintien de l’ordre, et le respect des libertés civiles, lequel implique un usage exclusivement défensif de la violence.
Si l’on oublie l’un de ces deux socles, la société bascule, soit dans l’anarchie des règlements de compte, soit dans l’État totalitaire, qui étouffe la liberté sous la répression policière. Dans les deux cas, la fin de cet équilibre crée une situation dangereuse. Si l’État n’a plus le monopole de la violence légitime, c’est l’escalade anarchique de la violence des milices et des gangs, c’est la société du désordre du tous contre tous, où la loi du plus fort remplace la loi du juste. Au contraire, si l’État ne limite pas son autorité, c’est l’escalade de la répression, l’assèchement de la liberté et, bien souvent, la révolte d’un peuple contre un autre.
C’est donc dans un souci permanent d’équilibre que nous avons bâti cette proposition de loi, afin de donner toute leur légitimité et leur place à nos forces de l’ordre, en respectant les règles les plus fondamentales relatives aux limites de l’autorité dans une démocratie moderne.
Nous avons dû élaborer ce texte en veillant à suivre deux fils conducteurs : la protection des policiers, qui voient leurs conditions de travail se dégrader chaque jour et attendent de la part du législateur une réponse concrète à ce problème, et la vigilance, afin que ce texte ne constitue en aucun cas une incitation, pour les policiers, à tirer à la première occasion. Ce travail exige une certaine finesse, et les frontières sont bien entendu ténues.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Pierre Charon. Mais quand il s’agit d’une question aussi essentielle que le maintien de la paix civile, nous ne pouvons pas systématiquement nous réfugier derrière la complexité du droit. Si nous voulons vivre ensemble, et vivre en paix, il faut qu’il y ait un ordre, et des forces qui le fassent respecter.
Or, comme l’expliquait voilà quelques instants mon collège Louis Nègre, contrairement aux gendarmes et aux douaniers, qui peuvent faire usage de leur arme à feu après des sommations et sous réserve de conditions limitatives, les policiers ne sont autorisés à ouvrir le feu qu’en réponse à une agression de même nature. Cette situation met donc quasiment sur le même plan les délinquants et les forces de police.
C’est tout simplement moralement inadmissible. Il est par conséquent urgent de faire évoluer le droit afin de l’adapter à une réalité qui a changé.
Notre proposition de loi vise ainsi à donner aux policiers la possibilité de faire usage de leurs armes dans un cadre légal et protecteur des forces de l’ordre, et sous réserve de certaines conditions limitatives.
Dans un État de droit, si les délinquants bénéficient de la présomption d’innocence, il est légitime que les forces de police bénéficient de la présomption de légitime défense. Or, dans l’état actuel du droit, il faut quasiment que le policier se soit déjà fait tirer dessus pour pouvoir utiliser son arme. La réalité des situations est souvent beaucoup plus complexe que les classements arbitraires validant ou non la légitime défense.
Permettez-moi de vous donner un exemple, mes chers collègues, afin de bien comprendre ce qui se passe sur le terrain. Un policier poursuit un individu armé d’un pistolet. Celui-ci, à vingt mètres du policier, se retourne et menace de son arme ce dernier, lequel fait usage de la sienne à trois reprises. L’individu est tué et l’autopsie démontre que la balle l’a frappé de dos, alors que le policier affirme avoir tiré sur l’individu qui le menaçait. Légalement, la balle ayant frappé l’individu de dos, celui-ci ne pouvait diriger « simultanément » son arme en direction du policier : la légitime défense est donc exclue. Cet individu, qui s’enfuyait en tenant un pistolet à la main, présentait pourtant un danger important pour les policiers et les passants. On peut imaginer qu’entre le premier et le troisième coup de feu tiré par le policier l’individu s’est retourné un micro-instant pour se cacher, la balle l’ayant frappé alors qu’il faisait volte-face. Dans le système pénal actuel, le policier, menacé directement lorsqu’il a commencé à tirer, était en état de légitime défense, la condition de simultanéité étant retenue. Dès que l’individu a amorcé son retournement pour s’enfuir, le policier n’était plus en situation de légitime défense. Dans la réalité, toute la scène n’a duré qu’un instant. S’il est facile ensuite pour les magistrats de la décortiquer quart de seconde par quart de seconde, il était impossible pour le policier, dans le feu de l’action, d’arrêter son geste au moment où l’individu se retournait.
C’est pourquoi nous avons proposé une telle adaptation de la loi n° 2011–267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qui modifie les conditions d’usage des armes à feu pour les fonctionnaires de police. Nous proposons que les membres des forces de l’ordre puissent tirer sur un individu armé refusant de déposer son arme après les appels répétés de « halte police ». Cela leur évitera de devoir attendre, au risque de leur vie, d’être directement menacés par l’arme et incitera les délinquants à déposer leurs armes sur injonction de la police. Telle est la dimension préventive de ce texte.
En élargissant le droit des policiers à utiliser leurs armes, le législateur envoie un signal à la société, et en particulier aux délinquants. Ce signal dissuasif devrait les inviter à un plus grand respect ou, du moins, à une plus grande crainte des forces de l’ordre. Mais ce signal concerne également les policiers, qui travaillent dans un climat d’insécurité judiciaire, lequel, associé à des conditions de travail extrêmement violentes, favorise malheureusement les situations d’exaspération et la possibilité de dérapages.
Mes chers collègues, j’ai entendu les craintes exprimées par certains d’entre vous, qui redoutent que ce texte n’ouvre la porte aux violences policières. Pourtant, les gendarmes servent déjà dans le cadre de la légitime défense que nous proposons d’ouvrir aujourd’hui aux policiers, et aucun chiffre n’indique un différentiel positif, en matière de faute professionnelle, dans la gendarmerie ! Par conséquent, sauf à différencier la confiance que nous accordons aux policiers et aux gendarmes, il n’y a aucune raison de différencier les conditions d’exercice de la légitime défense. Une telle confiance dépasse les particularités des deux branches de notre sécurité intérieure, et c’est bien dans cet état d’esprit que Louis Nègre et moi-même avons décidé d’harmoniser les conditions d’utilisation des armes à feu par les policiers et les gendarmes.
Je souhaite éclairer cet état d’esprit en revenant sur un sondage, qui indiquait récemment que l’armée – celle-ci inclut la gendarmerie – est l’institution dans laquelle 85 % des jeunes de notre pays ont le plus confiance. La police ne bénéficie malheureusement pas de la même réputation (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.), et il est de notre devoir de responsables politiques de tout faire pour améliorer la légitimité et l’image des gardiens de la paix. Il me semble que la légitimité, le respect et la confiance qu’accordent les citoyens à une institution sont à l’image de la légitimité que l’État lui donne. Encore une fois, il ne s’agit pas de délivrer une « licence pour tuer » aux forces de l’ordre. Il s’agit de rééquilibrer une situation, qui fait aujourd’hui peser sur notre police une forme de soupçon permanent.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, nos policiers ne tirent sur les gens ni par plaisir ni par excès de zèle. Dans une société centrée sur le confort, le moindre effort et le moindre engagement, nous devons nous incliner avec respect devant ceux qui font le choix de cet engagement : risquer sa vie pour assurer la paix de tous. Pourtant, mes chers collègues, ces femmes et ces hommes qui se réveillent chaque matin sans savoir s’ils rentreront chez eux le soir sont quotidiennement méprisés, insultés et agressés.
Lequel d’entre nous peut sérieusement affirmer que la police fait aujourd’hui régner la terreur en France ? (M. Roger Karoutchi sourit.) Lequel d’entre nous peut sérieusement prétendre que l’insécurité est un fantasme, et qu’il n’y a pas de problème de délinquance en France ? Lequel d’entre nous peut nier l’évolution de la violence et la nature des armes qui circulent aujourd’hui dans certains milieux ?
Mes chers collègues, nous avons pris acte, lors de la discussion de ce texte en commission, des inquiétudes exprimées par un certain nombre d’entre vous. Je dois vous le dire, je suis attristé par de telles réticences, qui me semblent en décalage avec la réalité. Refuser, par méfiance, de renforcer le droit de nos policiers à se défendre, c’est renverser les choses, et voir la menace du côté des forces de l’ordre. Peut-on aujourd’hui estimer que la police utilise abusivement les armes qui sont à sa disposition ?
Mes chers collègues, nous avons tous en mémoire les images de nos policiers se réfugiant derrière des boucliers sous les tirs de fusils de chasse des émeutiers, à Clichy-sous-Bois, en 2005. Devant le sang-froid et la mesure de ces agents, je ne crois pas que l’on puisse parler de police de « cow-boys », pour reprendre le terme utilisé par Louis Nègre.
Un certain nombre de cosignataires de ce texte m’ont dit vouloir soutenir une proposition de « bon sens ». Je crois effectivement qu’en donnant aux forces de l’ordre les moyens de leur mission, il s’agit plus de bon sens que d’idéologie. Il aurait d’ailleurs été à l’honneur de notre Haute Assemblée de trouver, en la matière, une large majorité réunissant nos différents groupes politiques. Je souhaite pour ma part que cette question, au lieu d’être enterrée, trouve bientôt une réponse et un cadre adapté. Car si nous négligeons ceux qui garantissent la paix, nous risquons tout simplement, un jour, de la perdre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le législateur se contente de réagir aux faits divers, même les plus horribles, il ne faut guère s’étonner qu’il méconnaisse certains des principes qui fondent nos sociétés démocratiques et tendent à éviter que l’on ne puisse tuer arbitrairement.
Quand les politiques cèdent aux raccourcis faciles, il ne faut pas non plus s’émouvoir que, trop occupés à agiter le chiffon rouge de la délinquance, ils reprennent des thèmes d’extrême droite (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.), qui fragilisent le statut juridique de l’action de ceux-là mêmes qu’ils prétendent défendre.
Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que les auteurs de cette proposition de loi connaissent si mal la jurisprudence pénale. Ils fondent en effet leur texte sur une inexactitude, sinon un mensonge. Selon eux, « un policier doit avoir été blessé pour être juridiquement en mesure de riposter ». C’est faux. (M. François Trucy s’exclame.)
Mes chers collègues, vous comprenez que, je puis d’ailleurs l’affirmer dès à présent, les sénateurs du groupe CRC s’opposent sans aucune réserve à la proposition de loi qui nous est soumise, d’autant que les politiques menées par la droite au cours de ces dix dernières années, en accentuant les injustices, en renforçant la précarité et la misère sociale,…
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. … en prônant des politiques répressives et liberticides, ont largement contribué aux dérives de cette société violente que certains de nos collègues de l’UMP déplorent aujourd’hui.
Alors qu’il faudrait changer nos méthodes d’organisation sociale – guérir et non punir, éduquer et non combattre, accompagner et non isoler –, la droite nous propose un texte qui nous semble aussi inutile que dangereux.
Comme l’a très clairement démontré notre rapporteur, cette proposition de loi méconnaît tant les principes constitutionnels que les engagements internationaux de la France, notamment le droit à la vie. L’argumentaire juridique développé dans le rapport de la commission des lois est très complet, et je ne reviendrai donc que sur certains points.
Tout d’abord, en prétendant aligner l’usage de la force armée par la police sur la gendarmerie, les auteurs de la proposition de loi oublient qu’il ressort des jurisprudences tant européennes que nationales que l’article L. 2338–3 du code de la défense est limité à une « absolue nécessité », sans quoi, précise la jurisprudence, « un tel cadre juridique est fondamentalement insuffisant et se situe bien en deçà du niveau de protection “par la loi” du droit à la vie requis par la Convention [européenne des droits de l’homme] dans les sociétés démocratiques aujourd’hui en Europe ».
Il faut donc mettre fin au mythe selon lequel les gendarmes bénéficieraient d’un régime plus permissif que celui qui s’applique à la police nationale. En présentant cet alignement comme un renforcement sans condition de l’usage de la force armée, les auteurs de la proposition de loi exposent les fonctionnaires à une mauvaise interprétation du droit. Ils les induisent en erreur et, du coup, les fragilisent plus qu’ils ne les protègent.
Il est important de bien préciser que les gendarmes comme les policiers sont soumis au code pénal et bénéficient du monopole de la violence légitime sous certaines conditions, notamment sur ordre de la loi ou du règlement, en raison d’un état de nécessité ou de la légitime défense, ou pour « dissiper un attroupement ».
À ce sujet, parce que nous sommes persuadés que la violence engendre la violence et que nous sommes attachés aux libertés publiques, nous, les sénateurs du groupe CRC, avons été à l’initiative d’une proposition de loi s’opposant totalement à celle qui nous est présentée aujourd’hui par nos collègues de droite, et visant à interdire l’utilisation d’armes de quatrième catégorie par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations et leur commercialisation ou leur distribution pour des polices municipales ou des particuliers.
Ensuite, il est important de noter que, dans le cadre légal posé par le code pénal, applicable à tous, les forces de l’ordre bénéficient d’un traitement plus protecteur que n’importe quel citoyen. Ainsi, un policier ayant fait usage de son arme est réputé avoir agi légalement. En revanche, on ne tient pas compte de sa formation pour attendre de lui une meilleure appréciation que celle qu’aurait n’importe quel citoyen de la situation qui a donné lieu à tir.
Or, pour vérifier la réalité de la légitime défense, la gravité de l’agression s’apprécie subjectivement. On s’attache non pas aux résultats effectifs de l’attaque ni même au danger réel couru par la personne attaquée, mais bien au péril que cette personne a cru raisonnablement courir.
Il serait donc certainement plus utile, si l’on veut protéger les forces de l’ordre – je pense que nous le voulons tous ici – et respecter le droit à la vie, de renforcer la formation initiale et continue des forces de l’ordre, mais également d’être plus attentif à la gestion de leur stress.
On doit insister sur le fait que la prétendue présomption de légitime défense, comme un super bouclier, est un leurre qui expose les forces de l’ordre. En effet, il serait très dangereux de faire croire à une sorte d’impunité ou d’irresponsabilité pénale qui pourrait aggraver l’escalade de la violence.
Comme vous le savez, cette présomption n’est pas irréfragable ; autrement dit, elle peut être réfutée. Par conséquent, mes chers collègues de l’UMP, votre article 2 est, en droit, absolument inutile.
En raison de l’état de légitime défense, il appartient en effet au parquet de démontrer que celle-ci n’est pas caractérisée. Quid alors du risque de la preuve ? Que se passe-t-il en effet si un doute existe sur la caractérisation de ce fait justificatif ? Dans cette situation, le doute doit bien évidemment profiter au mis en examen puisqu’il existe une incertitude sur la commission de l’infraction. La présomption de légitime défense ne changerait donc rien au droit positif.
Enfin, comme je l’ai fait dans le rapport pour avis sur la mission « Sécurité », je voudrais insister sur la nécessité de rompre avec l’application de la RGPP, la révision générale des politiques publiques. Il y a là toute l’hypocrisie de nos collègues UMP, qui ont approuvé des politiques de réduction du nombre des fonctionnaires et qui, aujourd’hui, prétendent défendre ces derniers.
L’austérité budgétaire doit bien sûr être abandonnée s’agissant de la police et de la gendarmerie, mais également d’autres services publics telles l’éducation, la santé, la culture.
Par ailleurs, je me réjouis que le Gouvernement ait donné des directives claires pour, sinon abolir, du moins encadrer la politique du chiffre imposée par la droite. En effet, cette politique avait des effets néfastes pour les personnes et la protection de leurs droits, mais également pour les forces de l’ordre. Elle accentuait à la fois la perte de sens de l’exercice de leur métier et leur stress.
Mes chers collègues, on constate un réel malaise chez les forces de l’ordre et un nombre important de suicides, une cinquantaine chaque année, selon les estimations, dont trois au cours des trois derniers jours.
Les policiers et les gendarmes doivent faire respecter l’ordre public, mais, aujourd’hui, ils sont confrontés à la paupérisation de la société sans y avoir été préparés, ce qui peut les faire plonger eux aussi dans de grandes souffrances.
Dans une enquête réalisée en janvier 2012, Cadre de vie et sécurité, on apprend que plus des trois quarts des personnes interrogées sur les trois problèmes les plus préoccupants de la société française ont cité le chômage, la précarité et l’emploi. Si le sentiment d’insécurité semble augmenter, contrairement à la délinquance, cela montre que la violence que nous devons combattre est avant tout une violence économique et une violence sociale.
Renforcer l’usage des armes à feu, dans ce contexte, nous semble une proposition inadaptée et dangereuse. C’est pourquoi, je le dis encore une fois, les sénateurs du groupe CRC voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des lois et M. André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues du groupe UMP est liée à plusieurs événements tragiques qui ont suscité des réactions vives et légitimes des forces de police et qui ont ému l’opinion publique.
Nous avons tous en mémoire les événements d’avril 2012 à Noisy-le-Sec, quand le parquet de Bobigny mettait en examen, pour homicide volontaire, un policier après le décès d’un homme, délinquant multirécidiviste, recherché pour vols à main armé et alors qu’il pointait son arme sur un autre policier.
Cette décision judiciaire avait provoqué une profonde et légitime émotion parmi les policiers et des réactions dans la classe politique, à l’origine de cette proposition de loi.
Il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples tragiques et les cas où les forces de l’ordre ont été victimes d’actes violents ou mortels. Nos collègues Louis Nègre et Pierre Charon les ont rappelés il y a quelques instants.
L’objectif de cette proposition de loi est de mieux assurer la protection des policiers et des gendarmes dans l’exercice de leurs missions. Cet objectif, nous le partageons.
Nous sommes naturellement aux côtés des forces de l’ordre, qui payent un lourd tribut chaque année. En 2012, ce sont ainsi plus de 11 000 policiers et gendarmes qui ont été blessés dans l’exercice de leur fonction de maintien de l’ordre public.
Assurer la sécurité de tous est une mission noble et nous n’oublions pas que policiers et gendarmes la remplissent au péril de leur vie.
Nous mesurons aussi l’extrême difficulté de leurs missions : sous le regard des médias et de l’opinion, il leur faut en quelques fractions de secondes prendre la bonne décision, assurer la sécurité de tous et la leur également, sans prendre le risque de commettre une faute pénale.
On sait aussi que lorsque le délinquant n’a pu être mis hors d’état de nuire chacun se tourne vers la police et s’interroge sur les raisons de cette situation.
Nos forces de l’ordre travaillent au quotidien dans un contexte très tendu. Elles le font avec un grand professionnalisme, que je veux saluer.
La question de ce matin est la suivante : faut-il modifier la loi applicable en matière d’usage des armes à feu pour les policiers ? Nous répondons oui.
Une seconde question lui fait alors suite : l’approche proposée à travers cette proposition de loi est-elle suffisante ? Là, je n’en suis pas sûr. Et poser cette question, c’est aller dans le sens de l’intérêt des policiers.
Comme l’a expliqué Mme la rapporteur, la proposition de loi de nos collègues soulève un certain nombre de difficultés juridiques et pratiques. L’instauration d’une présomption de légitime défense apparaît en effet, à l’examen, comme problématique. D’ailleurs, le rapporteur UMP du texte similaire qu’avait examiné l’Assemblée nationale, Guillaume Larrivé, l’a lui-même montré. Cette disposition ne répondrait pas aux difficultés actuelles et pourrait se retourner contre les policiers. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement de suppression de l’article 2 de la présente proposition de loi afin d’abroger la présomption de légitime défense pour les agents de la police nationale, qui est une mauvaise réponse à une vraie question.
Je ne développe pas plus ce point puisque cela a déjà été évoqué par Mme la rapporteur, mais je précise que le texte examiné à l’Assemblée nationale ne comportait pas un article similaire à cet article 2. (M. le ministre opine.)
Quant à l’article 1er de la proposition de loi, il vise à donner aux policiers l’autorisation de faire usage de leur arme lorsqu’ils sont menacés, à l’exemple de ce qui existe pour les gendarmes. Il s’agit d’améliorer l’efficacité de leur action et de faciliter la conduite des opérations communes entre la police nationale et la gendarmerie sur le terrain.
Contrairement aux gendarmes, qui peuvent le faire après des sommations verbales et dans des conditions limitatives précisément énoncées à l’article L. 2338–3 du code de la défense, les policiers ne sont autorisés à faire usage de leur arme à feu qu’en réponse à une agression de même nature, dans le strict cadre de la légitime défense.
J’ai déposé un amendement visant à réécrire cet article 1er afin de répondre aux difficultés juridiques et pratiques posées par le dispositif présenté par MM. Nègre et Charon.
Cet amendement, qui reprend la rédaction proposée par le rapporteur de l’Assemblée nationale, vise à préciser juridiquement la transposition du dispositif existant pour les gendarmes en le rendant applicable aux forces de police. Surtout, il intègre la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme en précisant que l’usage des armes par les forces de l’ordre est conditionné par une « absolue nécessité ».
Dans mon esprit, apporter cette précision, ce n’est pas affaiblir le dispositif ; bien au contraire, c’est lui donner plus de force. L’encadrer, le préciser, c’est donner plus de force au cadre juridique dans lequel les policiers pourraient agir.
Le rapprochement des deux forces de sécurité intérieure – police nationale et gendarmerie – est engagé depuis la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale. Certes, les gendarmes sont des militaires et leur statut est régi par le code de la défense, mais les deux corps des forces de sécurité relèvent du ministère de l’intérieur, coopèrent et assurent des missions de plus en plus semblables.
Il est donc bien légitime que les policiers s’interrogent et posent la question : « Comment comprendre qu’aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de faire usage de leurs armes à feu, les policiers et les gendarmes ne soient pas soumis aux mêmes règles ? »
Transposer le texte applicable aux gendarmes serait donc une tentation logique. Mais cette doctrine d’emploi des armes par les gendarmes est encadrée par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, qui conditionnent le déploiement de la force armée par « l’absolue nécessité » de l’usage de l’arme pour atteindre l’objectif. C’est cette jurisprudence que nous réaffirmons en proposant de l’intégrer, par voie d’amendement, dans le texte de cette proposition de loi. Mieux vaut un droit clair et bien encadré.
Cette rédaction améliore sensiblement, je le crois, ce texte. Nous verrons au cours de son examen si elle suffit à apporter une solution juridique adaptée à un vrai problème. On peut imaginer d’autres voies complémentaires.
Au-delà, il faut en effet s’interroger avec prudence sur le texte applicable aux gendarmes, ce à quoi nous conduit, de façon quelque peu paradoxale, cette proposition de loi. Les règles auxquelles sont soumis les gendarmes ne devraient-elles pas intégrer elles aussi la jurisprudence qui s’applique déjà à eux en pratique ? De fait, les gendarmes l’ont assimilée et savent bien que la justice apprécie leur attitude selon les principes de la proportionnalité et de l’absolue nécessité.
Il faut ici convenir que la première rédaction, issue d’un décret, du texte applicable aux gendarmes date de 1903 ! Nous ne l’écririons sans doute pas ainsi aujourd’hui.
Une voie serait donc de poser le problème de fond et d’aboutir à une doctrine d’emploi de la force armée commune aux policiers et aux gendarmes, selon les principes de 2013 et non pas ceux de 1903.
On m’objectera que la doctrine appliquée aux gendarmes est liée à leur statut militaire. Je mesure bien que la voie suggérée peut paraître périlleuse ; mieux vaut sans doute la considérer avec beaucoup de prudence et dans un contexte dépassionné, ce qui n’est pas forcément le cas depuis bien longtemps pour tout ce qui touche à ces sujets. Nous ne devons bien évidemment pas affaiblir la situation des gendarmes. C’est, me direz-vous, la quadrature du cercle.
Je pose néanmoins une question : en cas de contrôle de sécurité sur route, par exemple, les gendarmes tirent-ils si un individu franchit le contrôle sans les menacer ? À l’évidence, ils ont à l’esprit la jurisprudence et doivent proportionner l’usage des armes à la situation rencontrée. C’est l’honneur des policiers et des gendarmes d’agir ainsi et c’est tout leur professionnalisme, c’est toute la difficulté de leur mission, dont ils s’acquittent avec force et talent.
La mission Guyomar proposait de réfléchir et de codifier les conditions jurisprudentielles d’un usage légal des armes à feu pour l’ensemble des forces de l’ordre. C’est sans doute moins simple et moins lisible que la posture adoptée par les auteurs de la proposition de loi, mais c’est, me semble-t-il, plus opérationnel pour les forces de l’ordre. Au demeurant, s’il était fait usage d’une arme à feu dans un contexte inapproprié et dans le cadre du texte qui nous est soumis ce matin, je crains que le résultat ne soit de dresser l’opinion contre les policiers eux-mêmes.
En toute hypothèse, cette modification de l’usage des armes à feu par les policiers nécessite, quoi qu’il en soit, de renforcer leur formation à l’usage de celles-ci, notamment en augmentant les entraînements au tir, comme le réclament les organisations professionnelles de policiers.
Mieux former et mieux équiper les policiers et les gendarmes est en effet un élément essentiel de leur protection et de leur sécurisation dans l’exercice des missions de sécurité.
Au total, ces questions méritent une analyse juridique et opérationnelle plus poussée. En l’état, le groupe UDI-UC s’abstiendra donc.
Enfin, avant de conclure, je tiens à relayer une demande très forte des policiers et des gendarmes qui est de réformer la protection juridique dont ils font l’objet. Sur ce point, M. le ministre a fait part d’éléments rassurants et je ne peux que l’inviter à poursuivre dans cette voie et à donner aux policiers des garanties sur leur protection. Amplifier les efforts dans ce domaine serait un signe fort de confiance à l’égard de nos forces de l’ordre. (MM. Joël Bourdin et René Garrec applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu fait écho à des faits divers dramatiques dans lesquels des agents des forces de l’ordre ont perdu la vie dans l’exercice de leurs fonctions.
Ces tragédies suscitent chaque fois une profonde émotion au sein des corps de la police et de la gendarmerie, mais aussi parmi nos concitoyens. Le sentiment prévaut, fondé ou non, que les policiers hésitent à riposter par crainte d’une bavure qui les exposerait à une condamnation pénale.
Le législateur est souvent tenté de répondre à de telles situations en créant un nouvel arsenal destiné à mieux protéger ceux qui assurent la sécurité des biens et des personnes. Le précédent chef de l’État était d’ailleurs particulièrement actif, au gré de l’actualité, dans la mise en œuvre et la mise en scène de lois dites « de circonstance », au risque d’alimenter une forme de populisme pénal.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. François Fortassin. Dans ce domaine, l’essentiel est de ne pas sombrer dans l’émotionnel. C’est pourquoi nous devons nous garder d’adopter des mesures hâtives qui n’écarteraient pas, malheureusement, le risque zéro, et dont les effets pourraient être contraires à l’objectif recherché.
Des condamnations, heureusement très rares, mais très médiatisées, d’agents des forces de sécurité ont accrédité l’idée que la justice penchait plutôt du côté de la victime. Or, en réalité, la jurisprudence est plutôt protectrice à l’égard des policiers et des gendarmes. J’ajouterai que le juge ne fait pas de différence entre ces deux catégories.
Au-delà des arguments juridiques, un rapprochement des conditions d’emploi des armes à feu par les policiers et les gendarmes ne semble pas pertinent au regard de leurs spécificités respectives.
Bien que les gendarmes et les policiers aient en commun certaines missions d’ordre civil, leurs modes et leur aire de déploiement diffèrent. Les premiers interviennent majoritairement en milieu rural tandis que les seconds exercent plutôt dans les zones urbaines, ce qui suppose des approches différentes, notamment eu égard à la densité de population.
En outre, qu’apporterait aux policiers le régime de la sommation propre aux gendarmes ? Certains syndicats de policiers y voient un risque supplémentaire sur le plan pratique, alors que la légitime défense est possible sans sommation en cas de menace.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres qui ont été développées plus longuement par certains de mes collègues, il apparaît que le dispositif proposé conduirait à laisser penser que les policiers seraient pénalement plus à l’abri en cas de riposte, alors qu’ils seraient in fine en situation de plus grande fragilité juridique.
Pour autant, la proposition de loi a le mérite d’ouvrir un débat sur les conditions générales d’exercice des fonctions de policiers et de gendarmes.
En tant qu’élu de terrain, nous connaissons tous bien nos commissariats et nos casernes. Nous devons malheureusement constater qu’ils pâtissent, au-delà du manque de moyens humains, d’équipements souvent anciens et inadaptés. Face à une criminalité « riche » de ses trafics, donc souvent très bien armée et puissamment motorisée, les agents de sécurité se retrouvent très affaiblis dans certaines situations. Ce fut le cas de deux policiers de la BAC tragiquement assassinés en février dernier par un malfaiteur qui s’est servi d’un véhicule 4x4 pour tuer intentionnellement.
Le problème de la proportionnalité des équipements entre malfaiteurs et forces de sécurité est également illustré par l’utilisation banalisée d’armes de guerre. Sur ce point, la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif a jeté les bases d’un meilleur contrôle des armes à feu sur le territoire. Il n’en demeure pas moins que ce contrôle reste d’un exercice délicat. J’espère que ce texte, qui avait été unanimement approuvé, portera rapidement ses fruits.
Je sais que les temps sont à l’économie s’agissant du budget de l’État, mais un renforcement des moyens de la police et de la gendarmerie serait de nature à renforcer la protection dont nos agents ont besoin pour exercer sereinement leurs missions. Au-delà, il est fondamental de garantir une des premières fonctions régaliennes de notre République : la sécurité de nos concitoyens.
Enfin, je souhaite évoquer la question de la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, qui a fait l’objet d’un rapport qui vous a été remis au mois de juillet 2012, monsieur le ministre. Vous l’avez dit, vingt-sept propositions ont été formulées.
Nous ne pouvons qu’être satisfaits de constater que vous avez appréhendé le rapport Guyomar avec pertinence.
M. François Fortassin. Les policiers et les gendarmes sont demandeurs de ces mesures visant à les protéger, eux-mêmes et leurs ayants droit, lorsqu’ils sont mis en cause.
Je souhaite que nous ayons l’occasion de revenir sur les conditions statutaires des policiers et des gendarmes qui exercent, avec responsabilité et courage, un métier difficile, au péril de leur vie. Dans cette attente, afin de ne pas rompre le subtil équilibre découlant de la jurisprudence sur l’usage des armes à feu, le groupe RDSE n’approuvera pas la proposition de loi de nos collègues Louis Nègre et Pierre Charon.
Avant de quitter cette tribune, je tiens à souligner que l’élu de terrain que je suis et qui, comme chacun de vous, rencontre assez fréquemment des représentants des forces de l’ordre a pu mesurer que l’immense majorité des policiers et des gendarmes apprécie tout particulièrement l’action de M. le ministre de l’intérieur (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. André Gattolin applaudit également.), action qui est menée avec mesure, fermeté et humanisme. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous êtes le plus sûr garant de l’ordre et des valeurs républicaines.
M. Roland Courteau. C’est bien dit !
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. François Fortassin. Je tenais à le signaler et, en tant qu’élu de la nation, c’est un honneur et une fierté pour nous de vous apporter notre fidèle soutien. Nous nous éloignons ainsi, d’une part, des laxistes qui existent ici ou là et, d’autre part, des boutefeux qui ne rêvent que plaies et bosses. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Jacky Le Menn. Bien dit !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a des textes qui semblent pavés de bonnes intentions. Mais pour poser ces pavés, le remblai initial est lui truffé de chausse-trapes mal comblées. C’est pourquoi, et pour continuer à filer la métaphore, je dirais que cette proposition de loi ne tient pas la route, faute d’avoir été suffisamment réfléchie. Si nous la votions, les roues du char de l’État que sont la police et la gendarmerie ne pourraient que s’embourber.
Bien sûr, comment ne pas s’indigner que des policiers soient blessés ou tués ? Ils sont les serviteurs de notre état de droit, garant du respect de nos lois et de la sécurité de nos concitoyens. Ils sont en première ligne des angoisses de notre société, de ses déviances et de ses dérives. Ils ont de lourdes tâches à effectuer et qui ne consistent pas seulement en l’arrestation de délinquants. Ils doivent aussi alerter et assister les proches des victimes, enquêter sur des drames et, évidemment en premier lieu, les prévenir.
Alors oui, protéger ceux qui nous protègent est un devoir fondamental. Aussi et à première vue, cette proposition de loi peut sembler apporter une plus grande sécurité aux policiers par l’alignement de leur régime sur celui des gendarmes en ce qui concerne les possibilités d’utiliser leur arme et de bénéficier d’une présomption de légitime défense.
Dans les faits, ces deux propositions n’apportent qu’une apparence de sécurité.
D’abord parce que ce texte démontre une méconnaissance du comportement des délinquants armés. Aujourd’hui, les délinquants n’ont plus peur des forces de l’ordre et, s’ils en ont encore peur, ils s’arment en conséquence.
Mais surtout, et le plus souvent, un délinquant est persuadé de ne jamais se faire prendre, sinon, il ne serait pas délinquant.
Savoir que les policiers peuvent user dans des conditions moins draconiennes de leur arme ne va certainement pas dissuader les délinquants de tirer.
Si les délinquants ont, par hasard, connaissance de cette nouvelle disposition, ne vont-ils pas, au contraire, être tentés de dégainer encore plus vite pour s’échapper, selon le vieil adage : qui tire le premier a gagné.
Permettre aux policiers de tirer dans les mêmes cas que les gendarmes n’est donc pas protecteur. Cela participe surtout d’une surenchère.
Aujourd’hui, les policiers font déjà un usage de leur arme tout comme les gendarmes : quelque 250 cas par an sur des milliers d’arrestations, pour les deux corps réunis.
S’il y a globalement aussi peu d’utilisation des armes, c’est que les policiers, tout comme les gendarmes, savent que cet usage est le dernier recours quand la vie de leurs concitoyens, de leur collègue ou leur propre vie est en jeu. Les laisser croire qu’ils pourront tirer plus tôt, plus vite, les exposera donc à un risque juridique plus grand, doublé, je viens de le rappeler, d’un risque de riposte plus élevé.
En alignant le régime de l’usage des armes par les policiers sur celui qui s’applique aux gendarmes, nous créerions une égalité de droit factice et surtout précaire. Qu’est-ce qui garantira aux policiers qu’ils sont dans le cadre du droit, qu’ils peuvent faire usage de leur arme, alors même que la jurisprudence de la Cour de cassation reste très stricte pour les gendarmes en la matière ?
Mais surtout, les dispositions de cette proposition de loi ne sont-elles pas, avant même leur éventuelle adoption, déjà « condamnées » par la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation, qui s’appuie sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’emploi de la force létale ?
Il est assez paradoxal de vouloir étendre aux policiers le cadre juridique d’une loi dont la conventionnalité n’est pas établie. Cette égalité est d’autant plus factice que le texte ne reprend pas l’intégralité de l’article L. 2338-3 du code de la défense. À ce titre, le rapport très précis de notre collègue Virginie Klès pointe clairement les faiblesses et les incohérences de cette proposition de loi et les effets pervers, au détriment des policiers eux-mêmes, que son application pourrait engendrer.
Quant à la présomption de légitime défense, elle ne vaut que ce que valent les présomptions juridiques. Elles sont l’exception à la règle commune. Elles doivent dépendre non pas de la personne qu’elles entendent protéger, mais de la situation et des circonstances dans lesquelles cette personne agit.
Cette règle juridique est d’autant plus nécessaire que le port d’arme ne concerne pas exclusivement les forces de l’ordre. Il concerne aussi notamment les convoyeurs de fond, si souvent pris pour cible, et les gardiens de prison.
Prévoir que seules les forces de l’ordre pourraient agir sous le statut protecteur de la légitime défense est un non-sens juridique.
Si on a le droit de porter une arme, c’est parce qu’on protège des intérêts dignes de protection et qu’on a suivi une formation au droit et au tir. Pourquoi seules deux catégories de porteurs d’arme seraient présumées être toujours en état de légitime défense ?
M. Louis Nègre. C’est bien la question !
M. André Gattolin. Enfin, pourquoi les policiers et les gendarmes auraient-ils besoin d’attendre l’ultime moment, quand seul l’usage des armes peut arrêter la catastrophe ? Pourquoi devraient-ils attendre alors qu’ils seraient protégés par une présomption de légalité du tir ? N’est-ce pas prendre le risque d’un usage accru de leur arme, avec pour conséquence le risque d’erreurs, de bavures…
M. Louis Nègre. Effectivement !
M. André Gattolin. … et donc le risque d’incompréhension de la population ?
Rappelons-nous qu’au bout du viseur de l’arme d’un policier ou d’un gendarme qui serait présumé, si ce texte était adopté, en situation de légitime défense, il y a toujours un corps, celui d’un citoyen présumé innocent de par notre Constitution.
Voilà donc un texte a priori protecteur qui, au fond, est insécurisant de fait, mais aussi de droit, tant pour les forces de l’ordre que pour les citoyens.
Alors pourquoi avoir présenté ce texte ? Parce qu’il a été dicté non par la réflexion, mais par la logique infernale de la réponse instantanée à un événement dramatique...
Depuis des années, notre droit pénal s’est gonflé au rythme des faits divers développés par les journaux télévisés. Tout comme la vie de nos « gardiens de la paix », l’équilibre des situations juridiques est trop important pour être laissé à la seule indignation et aux réflexes séculaires du « œil pour œil, dent pour dent ».
En réalité, pour protéger les forces de l’ordre, il faut un ingrédient essentiel : une présence sur le terrain plus importante pour faire de la prévention et de la dissuasion a priori, et non pour tirer une fois que le mal est fait.
Le groupe écologiste votera évidemment contre cette proposition de loi, considérant que ce texte imparfaitement élaboré s’apparente davantage à un effet d’affichage à des fins de communication politique qu’à une réelle volonté d’améliorer la législation.
Nos « gardiens de la paix » et le respect du travail parlementaire soigné méritent, à nos yeux, bien davantage. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-Vincent Placé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de MM. Nègre et Charon visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu.
Pour les auteurs de cette proposition de loi, le cadre légal en vigueur conditionnant l’emploi des armes à feu par les policiers et les gendarmes serait inadapté.
Aussi, nos collègues Louis Nègre et Pierre Charon préconisent un rapprochement des règles d’usage des armes pour les deux forces de sécurité intérieure.
Au-delà de ce rapprochement, ils proposent également de créer un nouveau cas, celui de « présomption de légitime défense pour les policiers ».
Tout d’abord, avant d’aborder le fond de cette proposition de loi, je souhaite attirer votre attention sur ses motivations telles qu’elles sont formulées par les auteurs du texte.
Le contenu de son exposé des motifs est pour le moins inhabituel, pour ne pas dire déroutant.
Ces dix dernières années, la ligne de conduite du Gouvernement en matière de sécurité intérieure semble avoir été dictée par ce que l’on pourrait appeler « la politique du fait divers ».
À chaque événement suscitant l’émotion de l’opinion publique, l’ancien Président de la République s’empressait d’apporter une réponse législative quasi immédiate.
Comme l’a rappelé Jean-Marc Ayrault, nous ne voulons plus de ces « lois de circonstances », dépourvues de tout recul et bien souvent inappliquées.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Philippe Kaltenbach. Cette marque de fabrique qui a été celle de Nicolas Sarkozy durant toutes ces années se retrouve aujourd’hui dans la proposition de loi dont nous débattons.
Pas moins de quatre faits divers sont cités dans ce curieux exposé des motifs ! D’autres l’ont été également à la tribune par notre collègue Louis Nègre. Comme s’il était nécessaire d’en faire état ici devant le Sénat pour que nous prenions pleinement conscience de la dangerosité du métier de policier ou de gendarme, d’autant que rien ne démontre, dans cet exposé des motifs, que, si le dispositif proposé existait, les dramatiques faits divers dont il est fait mention auraient pu être évités.
D’ailleurs, cet exposé des motifs ne démontre rien, si ce n’est, peut-être, la mauvaise foi de ses auteurs lorsque ceux-ci écrivent : « Il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui, en France, un policier doive être blessé pour être juridiquement en mesure de riposter. » Cela témoigne d’une profonde méconnaissance du dossier, ainsi que l’ont souligné Mme le rapporteur et M. le ministre.
En revanche, il est utile, me semble-t-il, de rappeler à nos collègues de l’opposition tous les méfaits que la RGPP, la révision générale des politiques publiques, a engendrés sur la sécurité des policiers et des gendarmes.
À cet égard, il paraît surprenant de soutenir un emploi facilité des armes à feu tout en assumant le bilan d’une RGPP qui a conduit à une importante réduction des exercices de tir ces dernières années dans les rangs des forces de l’ordre.
Et que dire des 11 000 suppressions de postes intervenues entre 2008 et 2012 ? Assurément, comme l’a rappelé M. le ministre, elles n’ont pas contribué à renforcer la protection des policiers et des gendarmes dans l’exercice de leurs missions quotidiennes.
C’est notamment pour cela que nous nous employons, depuis l’élection de François Hollande, à ce que les policiers et les gendarmes soient plus nombreux, mieux formés et mieux équipés. Je tiens à saluer à ce titre les efforts déployés par M. le ministre de l’intérieur, Manuel Valls.
J’en viens au fond de cette proposition de loi.
Celle-ci fait écho à un autre texte récent, rejeté par nos collègues députés le 6 décembre dernier. Tout comme celui que nous examinons aujourd’hui, il émanait de parlementaires UMP, et avait aussi vocation à aligner le régime juridique des policiers sur celui qui s’applique aux gendarmes.
Je note d’ailleurs qu’un amendement visant à introduire des exceptions de légitime défense au bénéfice des policiers et des gendarmes avait été déposé à l’Assemblée nationale, mais qu’il avait été rejeté, les auteurs de la proposition de loi y étant eux-mêmes défavorables.
Je précise à cet égard que les auteurs de cette proposition d’amendement étaient Mme Maréchal-Le Pen et M. Collard, tous deux membres du Front national.
Ici, il y a des rapprochements révélateurs…
M. René-Paul Savary. Oh !
M. Philippe Kaltenbach. En effet, vous reprenez cet amendement dans le texte de votre proposition de loi. Il est regrettable que vous n’ayez pas eu la sagesse de vos collègues députés !
Cette disposition est purement « d’affichage » ; elle résulte de la volonté politique d’envoyer un signal à un électorat qui se reconnaît aujourd’hui dans les discours musclés de l’extrême-droite, mais elle n’apporte rien en termes d’efficacité. (Mme Colette Giudicelli s’exclame.)
Le souci principal des sénateurs socialistes est de rendre hommage à toutes nos forces de sécurité : la police nationale, la gendarmerie, les polices municipales, qui agissent au quotidien, parfois au péril de leur vie, cela a été dit. Nous souhaitons les aider et les protéger.
Tout cela mérite bien mieux qu’une proposition de loi démagogique. Nous voulons avant tout être efficaces.
Votre proposition de loi, messieurs les sénateurs, souhaite donc de nouveau introduire une exception de légitime défense.
L’instauration de présomptions de légitime défense fondée sur la seule qualité de membres des forces de l’ordre ne saurait être présentée comme une sécurisation de l’action desdites forces.
En effet, comme Virginie Klès l’a rappelé dans son excellent rapport, celle-ci aboutirait au contraire à l’effet inverse en venant bouleverser l’ordonnancement actuel du principe de la légitime défense.
Ce texte s’inscrit en porte-à-faux avec les jurisprudences successives en matière d’encadrement de l’usage des armes à feu entre policiers et gendarmes.
Ces jurisprudences concluent à des exigences de nécessité absolue et de proportionnalité équivalente, voire identique, pour l’ensemble des forces de sécurité.
L’alignement que vous envisagez fait donc fi de cette importante jurisprudence, tant nationale qu’européenne, puisque, vous le savez, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu des décisions qui s’imposent à nous.
Aussi, il ne semble pas concevable d’envisager une réflexion sur la base légale encadrant l’usage des armes à feu pour les gendarmes en dehors de son cadre jurisprudentiel.
Ma conviction est que nous serons sûrement amenés un jour à débattre d’un tel alignement, mais je ne suis pas certain qu’il se fasse dans le sens que vous souhaitez. Il serait peut-être plus intéressant de réfléchir à un alignement dans l’autre sens, même si j’ai entendu M. le ministre rappeler que, pour le moment, il n’y était pas favorable.
Enfin, le présent texte se trouve en complet décalage avec les conclusions de la mission de réflexion sur la « protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes » présidée par le conseiller d’État M. Guyomar. Vous l’avez abondamment citée, mais à vous entendre, j’avais l’impression de ne pas avoir lu le même rapport.
En effet, cette mission préconise dans son rapport rendu au mois de juillet dernier le statu quo en matière d’usage des armes. Elle écarte clairement l’option consistant à créer un nouveau cas de présomption de légitime défense.
En revanche, la mission propose d’engager une réflexion sur l’usage des moyens de forces intermédiaires – les armes « non létales » –, le cadre légal de l’usage des armes actuelles n’étant pas nécessairement adapté à l’hétérogénéité des armes appartenant à cette catégorie et à la diversité des finalités auxquelles elles répondent.
Elle écarte aussi l’idée d’une modification du cadre légal d’usage des armes à feu.
Mais elle propose de codifier, par une disposition réglementaire, les conditions jurisprudentielles d’un usage légal des armes à feu, à savoir les exigences d’actualité de la menace, d’absolue nécessité et de proportionnalité.
La mission Guyomar a clairement conclu que l’alignement d’un régime civil sur un régime militaire n’était pas la bonne méthode.
Les préconisations de la mission Guyomar ont notamment porté sur le renforcement de la protection fonctionnelle et, M. le ministre l’a rappelé, le Gouvernement s’y emploie activement.
Ce sujet essentiel de la protection fonctionnelle accordée aux représentants de la force publique, et porté avec exigence par les organisations professionnelles, a été pris en compte, qu’il s’agisse de la notion d’ayant droit pour les concubins et les partenaires du PACS ou de l’extension du bénéfice de la protection fonctionnelle aux agents victimes d’infractions volontaires donnant lieu à des poursuites pénales.
On le voit sur ce sujet, le Gouvernement a pris le dossier en main, et cela répond à une demande forte des policiers et des gendarmes.
En conclusion, je souhaite relever que notre collègue Pierre Charon, coauteur de cette proposition de loi n’a pas toujours tenu un discours aussi bienveillant qu’aujourd’hui en direction des forces de police.
M. Pierre Charon. Si, toujours !
M. Philippe Kaltenbach. J’ai presque eu l’impression que votre position avait complètement changé…
M. Pierre Charon. Non !
M. Philippe Kaltenbach. … en une semaine à peine. En effet, ici même, dans le cadre des questions d’actualité au Gouvernement, vous avez mis violemment en cause leur professionnalisme et la légitimité de leurs interventions.
M. Pierre Charon. Tout à fait !
M. Philippe Kaltenbach. Permettez-moi de citer certains des propos que vous avez alors tenus, qui figurent au procès-verbal : « Images et vidéos accablantes pour vos services. » – vous parliez du ministre ; « Demande d’ouverture de commission d’enquête » ; « Quand le pouvoir s’en prend aux enfants, c’est la République qui saigne. »
M. Pierre Charon. C’est vrai !
M. Philippe Kaltenbach. Les mêmes policiers, si difficilement exposés à la violence des délinquants et des criminels, seraient-ils tout d’un coup devenus des mangeurs d’enfants à la solde d’un État exagérément répressif ?
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Très bien !
M. André Gattolin. Bravo !
M. Philippe Kaltenbach. Peut-être notre collègue a-t-il une conception du maintien de l’ordre public à géométrie variable... Mais cette dernière semble être l’apanage de l’UMP sur d’autres sujets : je pense notamment à l’indépendance de la justice. Nous aurons certainement l’occasion de le vérifier, puisque cet après-midi nous commencerons l’examen d’un texte important concernant le mariage pour tous.
M. François Trucy. Essentiel ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Kaltenbach. Mes chers collègues, après la présentation et une large discussion de tous les éléments techniques de ce texte, nous constatons que celui-ci va à l’encontre de toute la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, des préconisations du rapport Guyomar et, cela a été dit et nombreux sont les orateurs qui y ont insisté, serait de nature à créer une plus grande insécurité juridique.
C’est pourquoi le groupe socialiste s’opposera à cette proposition de loi. Parce qu’elle ne répond pas aux attentes des policiers, comme l’ont exprimé plusieurs de leurs syndicats lors des auditions auxquelles ont procédé les rapporteurs. Parce que, en définitive, il ne s’agit que d’une loi d’affichage dont les visées électoralistes ne trompent personne. (M. Pierre Charon s’exclame.) Parce qu’il s’agit aussi d’une proposition de loi « proclamatoire ». Certes, de tels textes permettent à l’opposition de s’opposer,…
M. Pierre Charon. C’est la moindre des choses !
M. Philippe Kaltenbach. … mais ils n’ont pas vocation à être adoptés puisqu’ils ne règlent pas les problèmes de fond.
Montesquieu écrivait en 1748 : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». En l’occurrence, cette proposition de loi n’est pas seulement inutile, elle est même néfaste. Aussi, le groupe socialiste votera des deux mains contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Virginie Klès, rapporteur. En ma qualité de rapporteur de la commission des lois, permettez-moi d’apporter quelques précisions.
J’ai écouté attentivement l’ensemble des intervenants, et je voudrais dire à M. Charon que le fait d’être coauteur d’une proposition de loi qui a reçu un avis négatif de la commission ne l’autorise pas à dénaturer les propos que celle-ci a tenus.
Monsieur le sénateur, d’où tenez-vous cette information dont vous avez voulu faire part à notre assemblée et qui figurera au Journal officiel, selon laquelle certains membres de la commission auraient exprimé un sentiment de méfiance à l’égard de la police nationale ?
Personnellement, je le redis, j’ai écouté avec beaucoup d’attention tous les intervenants qui se sont exprimés tant en commission, notamment lors des auditions, qu’en séance plénière à l’instant, car en tant que rapporteur, je me sens responsable de l’examen de ce texte. Or, à aucun moment, je n’ai entendu, de la part d’un membre de la commission, un sentiment de méfiance à l’encontre de la police nationale ou de la gendarmerie nationale.
En revanche, le sentiment de méfiance qui a été exprimé concerne, et vous m’en voyez désolé pour vous, votre texte et l’absence de protection, voire la mise en difficulté qu’il pourrait engendrer pour nos policiers nationaux. Je tenais à le préciser très clairement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Cécile Cukierman ainsi que MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Au cours de ce débat, les uns et les autres ont pu exprimer avec conviction les raisons pour lesquelles ils soutenaient ou s’opposaient à cette proposition de loi, après les interventions de ses coauteurs. J’ai déjà eu l’occasion de répondre tout à l’heure à M. Charon.
Pendant que M. Kaltenbach s’exprimait, l’un d’entre vous a dit : « Vous verrez au prochain enterrement ! » Il se trouve que, comme tous mes prédécesseurs, et c’est l’une des tâches les plus difficiles pour un ministre ou un maire, j’ai assisté à des obsèques.
J’ai en mémoire ce qui s’est passé à Chambéry, ce policier de la BAC tué dans des circonstances tragiques. J’imagine ce qu’a éprouvé le ministre Claude Guéant, lorsqu’il a été interpellé par la veuve du brigadier-chef.
Mais je pose la question, mesdames, messieurs les sénateurs : dans de telles circonstances, et devant de tels événements, nous, membres de la représentation nationale et du Gouvernement, ne pourrions-nous pas convenir que ces faits, à l’occasion desquels s’exprime la douleur la plus vive, méritent une autre attitude et une certaine hauteur de vues ?
En la matière, les statistiques sont terribles, et de tels drames ne manqueront pas, hélas, de se reproduire. De nombreux exemples ont été cités au cours du débat. J’ai moi-même assisté à d’autres hommages rendus depuis un an. Or les situations étaient toutes très différentes.
Ce que demandent les familles, les collègues et les camarades des policiers et des gendarmes décédés, c’est la réponse judiciaire la plus efficace et la plus rapide possible. (Mme Catherine Troendle acquiesce.)
M. Louis Nègre. C’est justement ce que j’ai dit !
M. Manuel Valls, ministre. Et songez-y : les deux femmes gendarmes tuées à Collobrières, au reste dans des circonstances abominables, étaient armées. Plusieurs d’entre vous l’ont souligné.
Certains ont suggéré que l’issue de cet événement aurait pu être différente si un troisième gendarme les avait accompagnées. Cela revient à soulever le problème des effectifs. Toutefois, nous le savons, pour gagner en mobilité, les forces de l’ordre doivent être organisées en équipages de deux personnes, et armées.
D’autres se sont même demandé ce qu’il serait arrivé si ces gendarmes avaient été des hommes. Les deux gendarmes, ce jour-là, étaient des femmes, et c’est l’honneur de la gendarmerie et de la police nationales de compter dans leurs rangs des femmes si aguerries, qui assument de plus en plus de responsabilités.
Je le répète, ces femmes gendarmes étaient armées et elles pouvaient faire usage de leur arme. La véritable question est donc la suivante : que faire face à la violence de tels individus ?
Ce que demandent les familles de ces deux femmes, à qui nous rendrons un nouvel hommage en juin prochain, c’est que la justice fasse son travail et se montre impitoyable à l’égard des coupables, ces meurtriers qui portent atteinte à l’autorité de l’État.
Je le dis à l’intention de la majorité comme de l’opposition : je serai toujours disposé à rechercher les meilleures solutions techniques, juridiques et financières pour protéger gendarmes et policiers dans l’exercice de leurs missions.
Vous le savez, ce débat a de nouveau surgi lors de la campagne présidentielle, entre mars et avril 2012, au lendemain de l’affaire de Noisy-le-Sec. Or jamais un ministre de l’intérieur n’a abondé dans le sens que vous indiquez. Jamais ! Et ce, pour toutes les raisons qui ont été rappelées.
Ceux qui se sont exprimés à l’instant contre le présent texte reconnaissent tout à fait qu’il existe des difficultés, des attentes et des craintes, et tous s’interrogent : que faire face à des individus qui emploient des armes de guerre ? Faut-il donc que nos policiers utilisent également des armes de guerre ?
Prenons garde : répondre par l’affirmative reviendrait précisément à se placer sur le plan que M. Charon dénonçait il y a quelques instants.
M. Capo-Canellas a posé une véritable question, celle de l’unification du régime de l’usage des armes par les deux forces réunies au sein du ministère de l’intérieur. Toutefois, je l’ai déjà indiqué, à mes yeux, la spécificité de certains terrains d’intervention de la gendarmerie nationale justifie encore cette différence. J’ai cité l’exemple de la Guyane, où je me suis rendu il y a trois semaines : nos gendarmes y mènent de véritables opérations de guerre. Deux d’entre eux ont d’ailleurs été gravement blessés il y a quelques mois, intervenant aux côtés de deux de leurs camarades des forces armées qui, eux, ont été tués.
Monsieur Fortassin, vous avez invoqué d’autres arguments pour justifier cette différence de régime entre la police et la gendarmerie, et je souscris à vos propos. Je tiens à vous remercier du soutien que vous m’avez apporté, d’autant que vous connaissez bien ces sujets.
Vous posez deux vraies questions : celle des moyens humains indispensables pour lutter efficacement contre la délinquance et celle de la dangerosité des armes issues des nombreux trafics contre lesquels ont à lutter policiers et gendarmes.
S’agissant tout d’abord des moyens, je me suis employé à préserver les effectifs, malgré les contraintes budgétaires.
S’agissant maintenant des armes et des trafics, plutôt que de mettre en cause nos forces de l’ordre ou d’attaquer le Gouvernement sur la base de données statistiques, saluons le travail tout à fait remarquable qu’accomplissent la police et la gendarmerie ! En effet, le démantèlement d’un trafic de drogue va presque toujours de pair avec le démantèlement d’un trafic d’armes.
Mme Michèle André. Et d’armes très dangereuses !
M. Manuel Valls, ministre. Tout à fait, madame la sénatrice.
Cette question très grave constitue l’une de mes priorités. Nous nous sommes engagés dans une stratégie déterminée de démantèlement de ces trafics, et nous devons renforcer les moyens de lutter contre un phénomène dont l’ampleur s’est considérablement accrue avec la chute du mur de Berlin et la guerre en ex-Yougoslavie : depuis lors, l’Europe de l’Ouest a été inondée par les armes de ce type. Je vous remercie d’avoir évoqué ce sujet tout à fait capital, monsieur Fortassin.
Monsieur Gattolin, nous partageons votre exigence. Nous éprouvons un trop grand respect pour nos policiers et nos gendarmes pour nous satisfaire d’une telle proposition de loi. En effet, l’adoption de ce texte entretiendrait l’illusion d’une sécurité accrue par un usage facilité des armes. Je le répète, c’est un piège dans lequel je ne veux pas entraîner nos forces de sécurité.
Pour ma part, j’ai fait un autre choix, celui de la sécurisation des interventions par la formation et par l’encadrement, pour les policiers comme pour les gendarmes - à cet égard, le rôle de la hiérarchie est tout à fait essentiel. (Mme le rapporteur acquiesce.) – ainsi que par la définition d’objectifs clairs et la restauration de la confiance que nous devons, à chaque instant, accorder à nos policiers et nos gendarmes.
Je ne me contente pas de demander des chiffres à nos forces de l’ordre, même si j’exige bien sûr des résultats. Je leur demande avant tout d’agir dans la durée, pour obtenir des avancées pérennes fondées sur des pratiques professionnelles sécurisées, consolidées, valorisées, dans des zones de sécurité prioritaire et en lien très étroit avec les parquets. C’est là le plus sûr moyen de garantir les meilleures procédures et, partant, d’atteindre les buts visés !
Monsieur Kaltenbach, je vous remercie de rappeler les conclusions de la commission Guyomar. Au terme d’une phase de consultation très large et unanimement saluée, celle-ci a proposé une forme de statu quo sans pour autant fermer la voie à une réflexion et à une évolution auxquelles nombreux d’entre vous nous ont invités.
Enfin, regardons de près les évolutions en cours à l’échelle européenne, concernant les rapports entre les forces de l’ordre et les citoyens. Sur ce point également, je suis tout à fait ouvert au débat. Mme Assassi a évoqué cette question. J’en conviens tout à fait, il faut déterminer comment nos forces de l’ordre peuvent devenir plus performantes : face à une délinquance de plus en plus dangereuse et dont les formes sont en constante évolution, les moyens mis à la disposition des policiers et des gendarmes doivent, eux aussi, évoluer.
Je le répète, je ferai toujours preuve de la plus grande ouverture d’esprit sur ce terrain. A contrario, je m’opposerai toujours aux propositions qui, relevant à mon sens de la démagogie, ne rendraient pas service aux forces de l’ordre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste – Mme Cécile Cukierman et M. François Fortassin applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce débat s’inscrit dans le cadre d’un espace réservé et que des questions cribles thématiques, retransmises en direct par France 3, sont prévues cette après-midi, à quinze heures. En conséquence, je devrai impérativement suspendre la séance à treize heures, même si nous n’avons pas terminé l’examen des articles du présent texte.
Article 1er
La loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure est complétée par un article 143 ainsi rédigé :
« Art. 143. – Les fonctionnaires des services actifs de la police nationale peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer l’usage des armes dans les cas suivants :
« 1° Lorsque des violences, des voies de fait ou tentatives d’agressions sont exercées délibérément contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés dès lors qu’il y a eu sommation ;
« 2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
« 3° En cas de crimes ou de délits graves, lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « halte police » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
« 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.
« Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Capo-Canellas, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le chapitre V du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Port, transport et usage » ;
2° Il est complété par un article L. 315-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 315-3 - Les fonctionnaires des services actifs de la police nationale ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée, en cas d'absolue nécessité, que dans les cas suivants :
« 1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ;
« 2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiées ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
« 3° Lorsque les personnes armées refusent de déposer leur arme après deux injonctions à haute et intelligible voix :
« - Première injonction : "Police, déposez votre arme" ;
« - Deuxième injonction : "Police, déposez votre arme ou je fais feu" ;
« 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt.
« Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s'arrêtent pas à leurs sommations. »
La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Le présent amendement tend à réécrire l’article 1er sur deux plans.
Premièrement, il tend à assurer une rédaction juridiquement plus précise concernant l’application du régime du déploiement de la force armée propre aux gendarmes. Il tend à transposer ce dispositif dans un nouvel article du code de la sécurité intérieure.
À cet égard, il vise à apporter des précisions propres à la situation des forces de police nationale, notamment en indiquant que cet usage de la force armée ne s’applique que dans des cas où les forces de l’ordre sont confrontées à des personnes armées. Précisions que cette disposition ne figure pas dans le code de la défense.
Par ailleurs, cet amendement tend à préciser que les agents de la police nationale ne peuvent déployer les forces armées que lorsque les personnes concernées refusent de déposer leur arme après deux injonctions.
Deuxièmement, il s’agit d’intégrer dans le présent texte l’apport de la jurisprudence de la Cour de cassation, en reprenant explicitement les mots d’« absolue nécessité ». Cette question a déjà été évoquée lors de la discussion générale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. La commission est sensible à l’effort accompli par M. Capo-Canellas pour préciser quelque peu l’article 1er du présent texte.
Il n’en reste pas moins que, même ainsi précisé, le texte prévoit toujours d’aligner l’usage des armes au sein de la gendarmerie nationale et de la police nationale. Or, pour l’ensemble des raisons invoquées au cours de la discussion générale, cette réforme ne nous semble pas opportune aujourd’hui. De surcroît, en consacrant dans la loi l’apport jurisprudentiel de l’« absolue nécessité », une telle disposition pourrait à mon sens rigidifier un peu plus encore l’examen par les magistrats des cas qui pourraient leur être soumis, avec l’éventualité de suites judiciaires encore plus risquées.
En conséquence, compte tenu de l’évidente difficulté à modifier l’équilibre actuel, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er n'est pas adopté.)
Article 2
Il est ajouté deux alinéas à l’article 122-6 du code pénal ainsi rédigés :
« 3° Dans le cadre des autorisations accordées aux officiers et sous-officiers de gendarmerie à l’article L. 2338-3 du code de la défense.
« 4° Dans le cadre des autorisations accordées aux fonctionnaires des services actifs de la police nationale à l’article 143 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. »
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Capo-Canellas, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Le présent amendement tend à supprimer l’article 2 de cette proposition de loi, qui ajoute deux nouvelles présomptions de légitime défense spécifiques pour les forces de l’ordre.
En effet, cette disposition est problématique, comme l’a souligné M. Guillaume Larrivé, auteur d’une proposition de loi de même inspiration et rapporteur à l’Assemblée nationale puis, il y a quelques instants, par Mme le rapporteur elle-même.
Loin de garantir la sécurisation des forces de l’ordre, la création d’une présomption de légitime défense risque fort de produire l’effet contraire en engendrant une forme « d’illusion d’irresponsabilité pénale », pour reprendre les termes de M. Larrivé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. La commission s’étant prononcée pour le rejet de l’ensemble de ce texte, donc avant même sa transmission à l’Assemblée nationale, nous ne pouvons que suivre M. Capo-Canellas : la moitié du chemin vient d’être accomplie avec la suppression de l’article 1er. En toute logique, la suppression de l’article 2 doit suivre. Elle peut être opérée via cet amendement. Par conséquent, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’amendement n° 2, je me permets d’appeler votre attention sur un point : si cet amendement est adopté, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la présente proposition de loi, dans la mesure où les deux articles qui la composent auront été supprimés. Il n’y aura donc pas d’explication de vote sur l’ensemble du texte.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’amendement n° 2.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé et la proposition de loi est rejetée.
5
Demande de création d'une mission commune d'information
M. le président. Par courrier en date du 3 avril 2013, M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a fait connaître que ce dernier exerçait son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.
La conférence des présidents prendra acte de cette création lors de sa prochaine réunion.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions cribles thématiques
industrie pharmaceutique
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’industrie pharmaceutique.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée maximale d’une minute peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sur France 3 ; il importe donc que chacun respecte son temps de parole.
La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les affaires du Mediator, des prothèses mammaires PIP et, plus récemment, des pilules de troisième et de quatrième génération, ont révélé des défaillances de notre système sanitaire et l’existence de liens étroits entre les laboratoires et certains experts médicaux !
Dans le scandale du Mediator, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, et deux de ses anciens salariés viennent d’être mis en examen pour homicide et blessures involontaires et pour prise illégale d’intérêts.
Dans l’affaire des pilules de troisième génération, comment se fait-il qu’en dépit des mises en garde de la Haute Autorité de santé depuis 2007, des médecins aient continué à prescrire largement ces contraceptifs à leurs jeunes patientes ? Il semble que les alertes sur la dangerosité de ces pilules ont été couvertes par la musique rassurante du discours de quelques leaders d’opinion en gynécologie, dont une enquête récente a révélé les liens étroits qu’ils entretiennent avec les laboratoires.
Cela pose question, ainsi, d’ailleurs, que la lecture des déclarations publiques d’intérêts de certains membres de l’ANSM, même si, en effet, des liens d’intérêts ne signifient pas systématiquement des conflits d’intérêts.
Le mot-clef de la loi Bertrand, votée en décembre 2011, dans la foulée du scandale du Mediator, était la transparence, minimum requis pour prévenir les conflits d’intérêts. Mais le dépôt d’une déclaration publique d’intérêts n’a de sens que si un contrôle rigoureux est possible et effectif. Madame la ministre, comment assurer un tel contrôle ? Tous les organismes de recherche et d’expertise de l’État disposent-ils d’un comité de déontologie ?
Concernant la transparence à la française, qui oblige les laboratoires à publier les conventions qu’ils passent avec les médecins et les avantages qu’ils leur procurent, où en est le décret d’application ? En octobre dernier, certains, dont l’Ordre national des médecins, craignaient qu’il ne soit édulcoré par rapport à la volonté du législateur, grâce à de savants mécanismes de cumuls, de tranches et de seuils qui ne permettraient pas au public de connaître les sommes effectivement versées par les industriels aux professionnels de santé.
Enfin, concernant les visiteurs médicaux, que dire de ces journées de formation qui ne sont en réalité que des séminaires de motivation destinés à mobiliser les troupes, souvent organisés dans des lieux exotiques, et dont le coût est répercuté sur le prix du médicament ? Que dire également de leurs primes, qui gonflent en fonction d’objectifs à atteindre ?
Dans le contexte actuel de défiance quasi généralisée, que pouvez-vous nous dire, madame la ministre, sur ces différents points ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Fortassin, il est exact que des affaires récentes ont occupé le devant de la scène et suscité la défiance de nos concitoyens à la fois envers les médicaments et envers les professionnels de santé. De ce fait, nos concitoyens s’interrogent sur les liens qui peuvent unir l’industrie pharmaceutique et certains professionnels de santé.
Comme vous l’avez vous-même indiqué, il ne s’agit pas d’interdire par principe que des laboratoires pharmaceutiques travaillent avec des médecins, hospitaliers ou libéraux. En revanche, il faut que la transparence la plus absolue soit la règle quant aux liens qui peuvent exister en pareils cas.
Pour restaurer la confiance de nos concitoyens, nous devons garantir l’indépendance des experts et des acteurs chargés d’encadrer la mise en place des politiques sanitaires et affirmer une politique de transparence vis-à-vis de la population.
De ce point de vue, il existe désormais une obligation d’établir des déclarations d’intérêts pour les personnes qui participent à des décisions sanitaires ; c’est le cas, par exemple, des membres de cabinets ou des dirigeants des agences sanitaires. Je souhaite d’ailleurs que soit mis en place un site public d’information qui permettra à chacun d’accéder à l’ensemble des données utiles.
Vous m’avez demandé s’il existait des comités de déontologie. Il en existe un à l’ANSM, et cette pratique doit se développer.
En ce qui concerne la transparence, j’ai transmis au Conseil d’État un décret qui doit permettre de mettre en œuvre des mesures de transparence quant aux liens susceptibles d’exister entre l’industrie et les professionnels de santé. Il s’agit de ce que l’on appelle le « décret Sunshine Act ». Je souhaite que le seuil de publication des liens entre les laboratoires et les professionnels soit aussi bas que possible, et que la nature des avantages déclarés soit accessible sur un site public unique.
De cette façon, monsieur le sénateur, nous parviendrons à rétablir la confiance de tous dans la qualité de notre système de santé.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour la réplique.
M. François Fortassin. Madame la ministre, je vous remercie de ces réponses, qui ont le mérite d’être claires et complètes. Mais la tricherie n’en persistera sans doute pas moins pendant quelques années encore…
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Madame la ministre, le problème des ruptures d’approvisionnement en médicaments se pose un peu plus chaque jour. D’après l’Académie nationale de pharmacie, près d’une soixantaine de médicaments étaient déclarés en rupture de stock, ou en risque de rupture, sur le site de l’ANSM, à la fin du mois de février 2013.
Des solutions existent déjà, qui vont de l’obligation légale, depuis 1992, pour les établissements pharmaceutiques exploitant un médicament d’informer les autorités de santé de toute action pouvant aboutir à la suspension de la commercialisation d’un médicament ou à son retrait du marché, à la loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé du 29 décembre 2011.
Mais, malgré cette législation, le problème demeure, et impose d’explorer d’autres pistes.
Dans la logique du décret du 28 septembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain, la supply chain pharmaceutique a été mise en place, c’est-à-dire la chaîne de fourniture du médicament, qui va de la prévision des ventes à la mise à la dispensation des médicaments.
Je rappelle, enfin, qu’entre 60 % et 80 % des matières premières utilisées pour fabriquer des médicaments viennent d’Inde ou de Chine. Or nous avons récemment appris que 41 % des inspections réalisées sur des sites de fabrication en dehors de l’Europe par les inspecteurs de la Direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé ont abouti à une déclaration de non-conformité.
M. Pierre Bordier. Tout à fait !
M. Alain Milon. Madame la ministre, ne devrait-on pas modifier les règles concernant les grossistes-répartiteurs, c'est-à-dire passer de l’obligation de moyens à une obligation de résultat ? Elle se fonderait sur les catégories de services à offrir par typologie de médicaments, médicaments saisonniers, médicaments « froids » nécessitant un circuit de distribution court et protégé, etc.
Face à cette situation que nous pouvons considérer comme préoccupante, pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, les mesures que le Gouvernement compte prendre afin de pallier les ruptures d’approvisionnement ? (M. Jackie Pierre applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur Milon, il est vrai que les ruptures d’approvisionnement représentent un problème sérieux, notamment lorsqu’il s’agit de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, comme c’était le cas pour cinquante et une des déclarations de rupture reçues par l’ANSM en 2011. Voilà un argument que nous pourrions utiliser pour engager une politique de relocalisation de certaines activités de production pharmaceutique sur le territoire national, ce qui permettrait également de répondre aux enjeux de sécurité que vous avez évoqués.
Afin de faire face aux ruptures d’approvisionnement, j’ai engagé une double action, au niveau national et au niveau européen.
Au niveau national, le décret du 30 septembre 2012, auquel vous avez vous-même fait référence, prévoit un dispositif permettant de prévenir et de mieux gérer ces ruptures. Ainsi, des centres d’appel d’urgence ont été créés par les laboratoires qui permettent d’identifier les situations critiques et une obligation d’approvisionnement équitable sur le territoire a été imposée aux grossistes-répartiteurs et aux laboratoires.
L’ANSM est chargée de procéder à la centralisation de l’information disponible. Un comité de suivi a été mis en place à ma demande et, s’il apparaît nécessaire de faire évoluer le dispositif prévu par le décret, nous le ferons, bien évidemment.
Au niveau européen, cette fois, j’ai également engagé la concertation avec mes homologues. Les ruptures d’approvisionnement peuvent en effet être traitées à cette échelle. J’ai donc demandé à la Commission d’étudier la mise en place d’un dispositif d’initiative au niveau européen de repérage et d’identification des situations à risque, et de mutualisation des moyens disponibles pour y faire face.
Monsieur le sénateur, c’est donc en agissant au niveau national, par des moyens qui nous sont propres, mais aussi en favorisant la coopération européenne que nous parviendrons à résorber ces situations effectivement préoccupantes pour certains patients dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Je voudrais remercier Mme la ministre et lui dire que je ne doutais pas de la qualité de sa réponse !
Cependant, deux mesures pourraient être prises sans coût supplémentaire pour la sécurité sociale. Tout d’abord, il serait souhaitable d’améliorer la traçabilité des matières premières, même si leur rapatriement pur et simple sur le territoire national serait peut-être plus nécessaire encore. Ensuite, il faudrait décider d’une obligation de résultat pour les grossistes-répartiteurs. Ces deux mesures sont essentielles pour accéder à une sécurité supplémentaire.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’industrie pharmaceutique est un secteur clef de notre économie, mais sa principale source de financement est la sécurité sociale, qui doit exiger, en contrepartie, l’adaptation de la production et la rationalisation des coûts. C’est d’autant plus important que la demande de soins augmente avec le vieillissement de la population et l’accroissement des pathologies chroniques.
Or l’industrie pharmaceutique encourage au contraire la surconsommation en créant parfois des comportements d’addictions. Cela pèse sur les comptes sociaux et, plus grave encore, peut avoir des conséquences néfastes sur la santé publique.
En septembre dernier le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des professeurs Debré et Even a eu le mérite de porter dans le débat public le problème du prix du médicament et de sa surconsommation en France.
Ce problème avait déjà été soulevé par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2011, mais aussi par la Haute Assemblée dès juin 2006 puis après le drame du Mediator, et enfin avec la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Toutefois, le problème principal demeure : la France dépense de 1,5 à 2 fois plus que les autres pays occidentaux en médicaments, pour un niveau de santé comparable, les prix autant que les volumes étant en cause.
Ma question est donc très simple, madame la ministre : quel plan le Gouvernement va-t-il mettre en place pour mieux encadrer les prix et combattre la surconsommation ?
À cet égard, permettez-moi de vous faire part d’une situation que j’ai vécue au Ghana. Ma fille de quatorze ans est tombée malade loin de la capitale. Un médecin lui a prescrit le nombre exact de comprimés à prendre, et c’est ce qui lui a été délivré : pas un comprimé de plus, pas un comprimé de moins !
Madame la ministre, n’est-il pas possible de promouvoir les prescriptions médicamenteuses sur mesure, qui participent des bonnes pratiques en matière de lutte contre le gaspillage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Même si des progrès ont été réalisés au cours de ces dernières années, la France se caractérise encore par une forte consommation de médicaments. En volume, notre pays se situe certes non plus au premier rang, mais au deuxième, mais un Français consomme, en moyenne, une boîte de médicaments par semaine, ce qui est évidemment excessif.
De plus, notre structure de prescription est telle qu’elle avantage les médicaments les plus coûteux, ce qui pèse sur les comptes de la sécurité sociale.
Néanmoins, nous devons faire en sorte que les médicaments puissent être utilisés à bon escient. Une publication du genre de celle que vous avez citée, monsieur le sénateur, risque de créer une défiance généralisée à l’égard de l’ensemble des médicaments.
Même si cela avait suscité certains sarcasmes, j’ai déjà eu l’occasion de dire que les médicaments étaient là pour soigner.
Mme Marisol Touraine, ministre. Certes, il ne faut pas en consommer trop, ni favoriser leur consommation, mais il ne faut pas non plus faire comme si tous les médicaments devaient être écartés d’un revers de la main.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. Il convient plutôt d’engager une politique qui permette une juste prescription. Le soutien et l’aide à la bonne prescription passent aussi par de nouvelles formations des professionnels de santé.
Ensuite, il nous faut également engager une politique en faveur de l’éducation au médicament.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Marisol Touraine, ministre. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité mettre en place une base de données publiques, afin que les citoyens puissent accéder de manière transparente à une information sur les médicaments fiable et qui ne dépende pas d’agents privés.
Enfin, il faut garantir l’indépendance de la prescription.
À cet égard, des mesures ont été prises dans la loi de financement de la sécurité sociale pour garantir une meilleure indépendance des prescripteurs par rapport aux laboratoires et faire en sorte que la formation des prescripteurs ne relève plus de ces mêmes laboratoires.
Ce n’est qu’avec un tel ensemble de mesures que nous rétablirons la confiance et permettrons de bonnes prescriptions. J’aurai sans doute l’occasion d’intervenir ultérieurement sur la nécessité de valoriser les médicaments génériques, qui constituent l’une des réponses à la situation financière que connaît notre pays.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse, qui reflète bien le fait que la surconsommation de médicaments est, en France, un problème culturel : le médicament est un réflexe !
Permettez-moi de revenir sur la question du conditionnement du médicament.
L’automédication étant une pratique répandue, les personnes puisent dans leur stock de médicaments précédemment prescrits mais inutilisés et les associent de manière plus ou moins judicieuse. Chaque année, ce sont 140 000 personnes qui sont traitées dans nos hôpitaux pour ces raisons, et on déplore 13 000 décès, ce qui n’est pas rien et qui démontre l’importance du sujet.
Aussi est-il en effet nécessaire, comme vous l’avez dit, madame la ministre, de mieux informer. Cependant, il importe aussi de reconsidérer la question du conditionnement du médicament, en veillant à éviter les excès, car cela a aussi, comme vous l’avez souligné, des conséquences sur la santé publique.
Permettez-moi de citer un exemple. En cas de rhume, on utilise un spray – celui qui est le plus utilisé en France est vendu à trois millions d’exemplaires ! –, mais le flacon est trop grand par rapport à la durée du traitement, comprise entre quatre et cinq jours.
Voilà l’un des exemples de cette surconsommation médicamenteuse qui entraîne les difficultés que j’ai évoquées.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Joël Guerriau. Il s’agit donc d’un sujet important, madame la ministre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la ministre, l’industrie pharmaceutique se porte bien dans notre pays : elle se situe au premier rang des secteurs qui dégagent un résultat excédentaire, en l’occurrence 5 milliards d’euros par an.
Le laboratoire Sanofi est incontestablement le vaisseau amiral dans ce domaine. Il enregistre des bénéfices annuels compris entre 5 et 9 milliards d’euros, qui profitent très largement aux actionnaires, tout en revendiquant, il est vrai, 2 milliards d’euros injectés dans la recherche et le développement.
Pourtant, ce même laboratoire a annoncé un plan de réorganisation pour 2015, avec la suppression de nombreux emplois dans la recherche, notamment sur le site toulousain. Les salariés résument la situation en déclarant qu’ils veulent une stratégie pharmaceutique plutôt qu’une stratégie financière, également appelée « financiarisation de l’économie », fondée sur le profit à très court terme.
Cette formulation est certes lapidaire, mais elle a le mérite de bien montrer l’existence du danger.
Nous faisons, nous, le choix de la stratégie pharmaceutique, mais inscrite dans le cadre plus large de la politique de santé, celle dont vous êtes chargée, madame la ministre. La chose n’est d’ailleurs pas simple, car cette industrie pharmaceutique connaîtra forcément, pour de multiples raisons, une évolution.
Dans le futur, faut-il se résigner à voir, dans les pays riches, le marché du médicament dominé par les génériques, seule une toute petite place étant laissée aux molécules innovantes dédiées à des pathologies très ciblées, alors même que des besoins médicaux restent encore, on le sait, à couvrir en Europe et dans les pays riches et que tout reste à faire dans ce domaine dans les pays pauvres ?
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Jacques Mirassou. Cette vision réductrice signerait, à moyen ou à long terme, la fin de notre industrie pharmaceutique.
Il convient de choisir une autre voie, celle qui consiste, grâce à la volonté politique qui est la vôtre, madame la ministre, à miser sur le long terme, en privilégiant la recherche et l’innovation. Il y va de notre sécurité sanitaire ainsi que de notre compétitivité industrielle.
Madame la ministre, quel est votre sentiment ? (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le sénateur, l’industrie pharmaceutique constitue, avec l’industrie de la santé, une filière d’avenir pour notre pays, qu’il s’agit de développer et qui doit parier sur l’innovation.
C’est en effet en explorant les voies de l’innovation, de la recherche et du développement que ces filières pourront se développer, et non en maintenant les marchés qui ont été acquis voilà des années et qui n’évolueront plus. Le fait de vendre des médicaments génériques permet précisément de dégager des ressources pour investir dans l’innovation, réaliser des recherches et créer de nouvelles molécules.
L’industrie pharmaceutique est un atout formidable pour Toulouse et sa région. C’est la raison qui a poussé le Gouvernement, notamment le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, à s’engager fortement pour éviter que les plans de licenciement annoncés par Sanofi ne soient mis en œuvre selon les modalités annoncées. En effet, il n’était pas acceptable que 2 500 ou 2 800 licenciements interviennent alors même que l’entreprise réalise des bénéfices à hauteur de 5 milliards d’euros.
Le Gouvernement a obtenu que l’entreprise revoie ses projets : on parle maintenant d’un peu plus de 900 licenciements, et pas des licenciements « secs ».
En tout état de cause, il est absolument nécessaire que la direction de l’entreprise engage un dialogue approfondi avec les organisations syndicales, que j’ai eu moi-même l’occasion de rencontrer lors d’un déplacement à Lyon, avec Arnaud Montebourg.
Nous devons faire le pari de l’innovation, avec la volonté que cela se fasse dans le respect des sites industriels. Sanofi ne doit pas quitter Toulouse, car cette entreprise est un atout pour ce territoire. Tel est le sens de l’action conduite aujourd'hui par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Mirassou. Je vous remercie, madame la ministre, de cette démonstration de lucidité et de volonté politique.
Vous disposez d’outils performants. Je pense au Comité stratégique de filière des industries et technologies de santé, au Conseil stratégique des industries de santé et au Comité économique des produits de santé. Et c’est d’autant mieux car, quand on est ministre des affaires sociales et de la santé, on tient, d’une main, l’autorisation de mise sur le marché et, de l’autre, le remboursement des médicaments !
C’est tout le mal que je souhaite à l’industrie pharmaceutique, et singulièrement au site toulousain : que la conjonction de ces événements nous permette un pari sur l’avenir en misant sur la recherche et l’innovation.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour aborder, à mon tour, la question du devenir des salariés de Sanofi sur le site de Toulouse comme sur les sites de mon département, le Val-de-Marne.
Bien que cette question puisse, de prime abord, sembler plus concerner votre collègue chargé du travail, le ministère de la santé est également particulièrement touché puisque, outre les emplois industriels, des emplois de la branche Recherche et développement seront supprimés, ainsi que vient de le souligner mon collègue Jean-Jacques Mirassou.
Avec un chiffre d’affaires de 34,947 milliards d’euros en 2012, dans un contexte que tout le monde présente comme particulièrement difficile pour la majorité de la population, le groupe Sanofi peut distribuer à ses actionnaires des dividendes en progression de 45 % par rapport à 2011. Dans le même temps, la direction se permet d’envisager la suppression de 170 emplois au moins dans la branche R&D.
Le 13 mars dernier, la cour d’appel de Paris a ordonné à la direction de Sanofi de reprendre à zéro la procédure d’information des représentants du personnel de la branche Recherche et développement.
Cette destruction massive d’emplois dans cette branche augure mal de l’avenir d’un groupe industriel comme Sanofi, confronté à la perte du brevet de nombreux blockbusters, ces médicaments qui rapportent chaque année au moins 1 milliard de dollars, soit 700 millions d’euros, à l’image de son anticoagulant vedette, le Plavix, dont le chiffre d’affaires avait atteint plus de 3 milliards d’euros en 2011 sur le sol américain.
« Dans les deux à trois semaines qui ont suivi la chute du brevet, Sanofi a perdu près de 90 % des ventes du médicament », a constaté Christian Lajoux, président de Sanofi-Aventis-France.
Madame la ministre, ma question est la suivante : quelles mesures entendez-vous prendre pour soutenir l’innovation pharmaceutique et garantir la création d’emplois ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la sénatrice, comme je l’ai indiqué à votre collègue Jean-Jacques Mirassou, le Gouvernement est très attaché à ce que l’industrie pharmaceutique se développe, et ce dans le respect des situations sociales et des implantations locales.
Concernant le site de Toulouse, une mission a été confiée à Jean-Pierre Saintouil, qui doit remettre ses conclusions dans quelques semaines et formuler des propositions pour maintenir l’unité de recherche existante.
Au-delà, il est absolument nécessaire, dans une relation de confiance avec l’industrie pharmaceutique mais aussi de coopération avec les organisations syndicales, de mettre en œuvre des mesures permettant à l’industrie pharmaceutique française de continuer à exister au premier rang mondial.
De ce point de vue, plusieurs mesures ont d’ores et déjà été prises par le Gouvernement ; elles ont été rappelées à l’occasion de la réunion du Comité stratégique de filière des industries et technologies de santé, qui s’est tenu le 25 mars dernier à Lyon, en présence d’Arnaud Montebourg, de Geneviève Fioraso et de moi-même.
Nous avons annoncé il y a déjà plusieurs mois le maintien du crédit d’impôt recherche, qui vient soutenir l’activité de recherche de l’industrie pharmaceutique en particulier. Par ailleurs, le pacte de compétitivité, qui fait l’objet de discussions, et votre groupe en prend toute sa part, madame la sénatrice, permet d’encourager le développement de l’industrie pharmaceutique. Du reste, l’accord national interprofessionnel sur l’emploi permettra de sauvegarder des emplois et d’aller de l’avant.
De la même manière, nous nous sommes engagés dans un programme d’investissements d’avenir. Le maintien des pôles de compétitivité et le chantier de simplification administrative et normative engagé par le Gouvernement permettront aussi de répondre aux attentes des entreprises.
Madame la sénatrice, l’effort de redressement de notre économie passe par un engagement fort au soutien de cette filière d’activité économique, dans le respect bien évidemment du travail et de l’apport des organisations syndicales, sans lesquelles il ne pourrait y avoir de développement de la recherche ni de l’activité économique.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Pasquet. L’industrie pharmaceutique – et Sanofi n’est qu’un exemple – n’est pas épargnée par la recherche effrénée d’une compétitivité toujours plus grande. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, si ce n’est que cette course se fait bien souvent au détriment de la protection des salariés, en privilégiant les intérêts purement financiers. Cinq cent mille emplois industriels ont été détruits depuis 2008 et il est urgent d’agir pour mettre fin aux pratiques abusives de licenciements « boursiers ». Vous n’êtes pas sans savoir que nous avons déposé une proposition de loi en ce sens.
Le Gouvernement a présenté son projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi », me dites-vous. Pour le groupe CRC, vous le savez, non seulement ce projet de loi ne répond pas à l’urgence de la situation, mais il risque en outre d’aggraver la précarisation de l’emploi.
En ce qui concerne plus directement la question qui nous occupe, il n’est pas acceptable que les laboratoires décident aujourd’hui de ce que doit être la politique du médicament, de la recherche et du développement. L’industrie doit être au service de la santé publique et le médicament doit être un bien commun à l’humanité. Il doit être sous contrôle public pour sa maîtrise sociale, c’est pourquoi nous proposons la création d’un pôle public du médicament. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon la revue Prescrire, les grandes firmes pharmaceutiques dépensent environ deux fois plus pour la promotion commerciale et le marketing que pour la recherche.
Le modèle d’affaires dominant de ce secteur est en effet fondé, actuellement, sur la promotion massive de médicaments qui ne présentent souvent pas d’innovations ni d’avancées thérapeutiques significatives. Par exemple, en 2009, sur cent neuf nouveaux médicaments ou indications, sans compter les copies, trois seulement apportaient une avancée thérapeutique, mais mineure, alors que soixante-seize d’entre eux n’apportaient rien de nouveau à la pharmacopée existante et que dix-neuf étaient même considérés comme présentant d’éventuels risques.
Dans ce contexte, la recherche clinique est organisée comme une campagne promotionnelle ; les données de cette recherche sont utilisées, en priorité, pour stimuler et soutenir les ventes.
Trois stratégies notamment sont très utilisées : premièrement, multiplier la publication d’études favorables à un médicament, en utilisant la plume d’auteurs fantômes ; deuxièmement, ne pas publier les résultats compromettants pour la vente des produits, au nom du secret commercial – certaines firmes s’arrogent ce droit, sachant qu’elles ne sont pas légalement contraintes de rendre publiques les données obtenues lors des essais cliniques ; troisièmement, intimider les chercheurs indépendants ou les lanceurs d’alerte gênants, cette pratique étant plus répandue qu’on ne le croit.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que, dans un État de droit, les citoyens ont besoin de pouvoir avoir confiance dans les résultats de la recherche clinique ? Une recherche plus indépendante, libérée des contraintes commerciales est nécessaire afin de faire progresser la médecine. Un financement public de la recherche dans ce secteur ne serait-il pas nécessaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame Archimbaud, la France peut, à juste titre, s’enorgueillir de la qualité de sa recherche clinique. Je tiens à saluer le travail remarquable de nos chercheurs, qu’ils travaillent dans des laboratoires publics ou privés. La France occupe le deuxième ou le troisième rang, selon les années, pour le nombre d’essais cliniques réalisés. Ce beau résultat est dû en partie à des efforts d’engagement public tout à fait significatifs.
Une grande partie de la recherche se développe aujourd’hui dans des laboratoires privés. On ne peut pas faire comme si cette réalité n’existait pas : les trois quarts de la recherche clinique sur les médicaments se font dans les laboratoires des industriels, un quart seulement relevant de la recherche académique. Il est donc important de garantir la qualité de la recherche, quel que soit le lieu où elle se développe, et non pas d’adopter une vision opposant recherche publique et recherche privée, car cette dualité est au contraire l’une des réalités de la recherche française, et l’un de ses atouts.
Une des raisons pour lesquelles la France a su développer des programmes reconnus est la mise en place par le gouvernement de Pierre Bérégovoy, il y a vingt ans, du programme hospitalier de recherche clinique, qui a permis de mener à bien 5 000 projets de recherche, pour lesquels ont été investis 870 millions d’euros. Cet outil va encore être amélioré, car il a d’ores et déjà permis à certaines recherches de déboucher sur des améliorations thérapeutiques significatives, notamment en génétique : les « bébés-bulles » n’ont plus besoin de vivre dans des bulles, grâce à des recherches financées dans le cadre de ce programme.
Nous devons donc travailler à la transparence et à l’indépendance de la recherche, où qu’elle se développe.
Madame la sénatrice, la France peut être fière de sa recherche clinique, car elle est l’un de ses atouts au niveau européen.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour la réplique.
Mme Aline Archimbaud. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse précise. Croyez bien que mon propos n’est pas d’opposer recherche publique et recherche privée.
Je persiste à penser que, sur certains points jugés prioritaires ou sensibles en matière de santé publique, il peut être intéressant que le Gouvernement, défenseur de l’intérêt général, stimule la recherche sur un médicament précis – d’ailleurs, nous l’avons vu lors des débats budgétaires de l’année dernière.
Il s’agit donc non pas d’opposer les deux types de recherche, mais de rappeler qu’une recherche financée par les pouvoirs publics peut être utile, notamment pour arbitrer certains contentieux. (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, mes chers collègues, au cours des vingt dernières années, les circuits de fabrication du médicament ont complètement changé. D’une fabrication quasi nationale des principes actifs et excipients par un petit nombre d’acteurs identifiés et connus des autorités, nous sommes passés à une situation où l’importation des médicaments a littéralement explosé. Ainsi, la France importe pour près de 22 milliards d’euros de médicaments, contre 9 milliards d’euros en l’an 2000 !
Un rapport de l’Académie de médecine indiquait que 50 % des princeps et 80 % des principes actifs des génériques étaient dorénavant fabriqués en Asie. Le cas du paracétamol est particulièrement frappant : l’antidouleur le plus vendu dans le monde est fabriqué à 100 % hors d’Europe !
Les changements économiques ont été si rapides que le seul contrôle des autorités compétentes ne permet plus de sécuriser la fabrication des médicaments. En effet, l’autorisation de mise sur le marché, l’AMM, est une simple procédure d’accès au marché et les contrôles effectués par le fabricant se font par évaluation, et ne sont donc pas exhaustifs.
Qui plus est, les bonnes pratiques ne sont pas harmonisées dans le monde, car, d’une mise en œuvre est très coûteuse, elles sont donc peu ou pas appliquées. Tel a été le principal enseignement de l’affaire de l’héparine, qui a défrayé la chronique.
Quant aux contrôles sur les sites, ils sont trop étroitement limités au territoire national : sur 896 inspections réalisées en 2010, 85 seulement ont porté sur des sites étrangers.
Certes, à partir de juillet 2013, pour lutter contre les importations de principes actifs frauduleux, les laboratoires devront fournir une attestation de conformité aux critères européens pour tous les produits importés, mais celle-ci sera établie par les pays exportateurs eux-mêmes, ce qui ne permettra donc pas de dissiper la méfiance liée à l’absence de contrôle.
Actuellement, seul le nom du titulaire exploitant figure sur l’emballage. Personne ne connaît donc l’origine des matières premières, personne ne sait si le médicament a subi des contrôles. Madame la ministre, êtes-vous favorable à l’inscription, sur les boîtes de médicaments, de l’origine des matières premières ainsi que du pays de conditionnement ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour encourager les industriels du médicament, notamment générique, à rétablir la confiance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame Procaccia, je vous remercie du ton très mesuré sur lequel vous avez posé votre question, sur un sujet où l’on risque toujours de déraper.
Je tiens à réaffirmer que nos concitoyens doivent avoir confiance dans la qualité des médicaments qui leur sont proposés. Ce n’est pas parce que des fraudes ont été constatées, ce n’est pas parce que certains médicaments ont pu susciter des interrogations qu’il faut jeter l’opprobre sur l’ensemble de la production pharmaceutique.
De ce point de vue, les médicaments génériques sont des médicaments dans lesquels on peut avoir confiance ! La France est le seul pays où l’on s’interroge sur la qualité des médicaments génériques, qui sont fabriqués dans les mêmes conditions, j’y insiste, que les médicaments princeps.
Il est exact que la production des matières premières, au cours des dernières années, s’est déplacée dans des pays situés hors de l’Union européenne, en particulier en Asie. Mais cette évolution a été la même pour les matières premières qui composent les médicaments princeps.
Tout l’enjeu du débat consiste donc à favoriser la relocalisation de certaines activités de production sur le territoire européen et même, si possible, national. Une discussion est engagée avec la filière pharmaceutique, dans le cadre du comité de filière, pour voir comment nous pouvons, pour certains médicaments ou filières stratégiques, faire en sorte de relocaliser la production dans notre pays.
Par ailleurs, nous devons faire en sorte que la garantie d’un contrôle efficace soit renforcée. Ces contrôles sont menés au niveau européen et national ; des normes sont imposées et se diffusent progressivement au niveau mondial. C’est ainsi que nous parviendrons à rétablir la confiance.
Au-delà, une réflexion est engagée avec l’industrie pharmaceutique pour voir jusqu’à quel point des informations pourraient être directement apportées au patient, qui n’est pas qu’un consommateur, lorsqu’il achète sa boîte de médicament. Ces discussions sont en cours et je pense qu’elles permettront d’aboutir à des mesures permettant de renforcer la confiance de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, votre réponse complète celle que vous avez faite à Alain Milon. Si nous rencontrons des problèmes d’approvisionnement, c’est bien parce que les principes actifs et les médicaments sont importés de pays très éloignés. Lorsque des contrôles sont effectués dans ces pays, les fournisseurs subissent des retards, ce qui pose un problème d’approvisionnement pour certains médicaments dont l’importance est beaucoup plus grande que celle des médicaments encore fabriqués en France.
La France compte encore 224 usines de fabrication, elles étaient beaucoup plus nombreuses en l’an 2000. Malheureusement, en 2012, sur les 47 médicaments ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché européen, aucun n’était fabriqué en France.
Madame la ministre, vous avez parlé d’une réflexion menée avec l’industrie pharmaceutique sur la relocalisation d’une partie de la production. Il me semble effectivement que ramener un certain nombre de fabrications en France et permettre à nos entreprises de proposer de nouveaux médicaments irait dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’industrie pharmaceutique est aujourd’hui regardée avec méfiance. Le doute s’est installé dans l’esprit du consommateur, et ce pour deux raisons essentielles.
La première raison, c’est que nombre de produits proposés sont des produits de laboratoire, des médicaments cosmétiques qui n’apportent rien au malade. La particularité de ces médicaments est qu’ils coûtent cher et participent à la bonne santé de nos laboratoires et, parallèlement, au déficit de la sécurité sociale !
La seconde raison tient à la confusion de plus en plus grande qui s’installe dans la perception du consommateur. Comment comprendre qu’un traitement pour le diabète soit prescrit comme coupe-faim ? Il faut être en bonne santé pour y comprendre quelque chose !
Face à ce doute, les réactions sont multiples. Le patient garde confiance en son médecin et en son pharmacien, mais il s’autorise de plus en plus à intervenir sur la prescription, exprimant auprès de son médecin, ou de son pharmacien en cas d’automédication, le souhait de prendre des produits les moins chimiques possible. Tout ce qui est à base de plantes est beaucoup mieux perçu, surtout chez les jeunes et les personnes qui se documentent et souhaitent prendre soin d’elles-mêmes de façon plus naturelle.
Beaucoup de médecins sont à l’écoute de leurs patients et, de plus en plus fréquemment, prescrivent des préparations magistrales, tout particulièrement quand il s’agit de porter remède à des désagréments ou à des troubles bénins : je pense aux troubles du sommeil et de la digestion, aux douleurs articulaires, etc. Les pharmaciens sont tout à fait aptes à répondre à cette demande de préparations magistrales ; certains ont même fait la démarche de suivre une formation complémentaire pour parvenir à une parfaite maîtrise de ces préparations.
C’est pourquoi je souhaite savoir, madame la ministre, s’il est dans vos intentions de mettre à l’étude le remboursement de ces mêmes préparations par la sécurité sociale.
Je précise que ces remboursements existaient encore il y a peu d’années, avant leur suppression par le ministre Philippe Séguin.
Il s’agit non de créer une nouvelle dépense pour la sécurité sociale – surtout pas ! – mais bien de répondre à une nouvelle demande de nos jeunes populations, lesquelles expriment une volonté de se soigner mieux et de manière moins coûteuse
Afin d’être certain que cette proposition constitue non une nouvelle dépense pour la sécurité sociale, mais une alternative à une certaine médication trop coûteuse, je suggère, parallèlement, de restreindre le remboursement de nombreux médicaments dont l’inutilité est avérée et qui sont déjà répertoriés dans des ouvrages d’éminents spécialistes de santé.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Luc Fichet. Bien évidemment, cette proposition d’élargir le déremboursement doit se faire avec un accompagnement des malades et avec l’objectif général d’une meilleure prise en charge par la médecine allopathique.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le sénateur, j’entends bien votre préoccupation et votre volonté de répondre aux attentes d’une partie de la population.
Pour autant, je tiens à dire ici avec force que nous ne pouvons pas faire comme si les médicaments n’avaient pas, pour un certain nombre d’entre eux, représenté des avancées considérables.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
Mme Marisol Touraine, ministre. Aujourd’hui, par exemple du fait de la résistance aux antibiotiques, c’est notre capacité à maintenir des traitements efficaces qui est en jeu.
Les préparations magistrales, qui sont des médicaments préparés par les pharmaciens, ne peuvent être réalisées qu’en l’absence de spécialités pharmaceutiques disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou même d’une autorisation temporaire d’utilisation.
Aujourd’hui, ces préparations ne sont pas évaluées. Elles ne font pas l’objet d’une appréciation en termes de bénéfice-risque. Il faut donc être extraordinairement prudent quant à leur prescription, laquelle relève de la seule responsabilité du médecin et du pharmacien qui les préparent et les délivrent.
Il s’agit, par conséquent, de perspectives ou de possibilités qui ne peuvent rester qu’exceptionnelles.
Pour autant, monsieur le sénateur, j’ai envie de vous dire que nous avons tous, à certains moments de notre vie, eu recours, pour des problèmes bénins, à des préparations « naturelles » – pour reprendre votre vocabulaire. Cela s’est toujours fait et cela continuera à se faire !
Ainsi, un médecin peut prescrire du miel au patient qui a mal à la gorge, comme il peut lui conseiller de boire une tisane dans telle ou telle situation. Cela doit rester marginal et cela ne peut rester que marginal !
Je vous le dis, monsieur le sénateur, par respect pour vous, il me paraît difficile d’envisager que la sécurité sociale procède aux remboursements de ces prescriptions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique, en quelques secondes !
M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Comme cela a été dit précédemment, la recherche et l’innovation sont au cœur de ce qui fait aujourd’hui la force de l’industrie pharmaceutique. Or j’évoque ici ce qui peut, en effet, constituer un domaine que l’on peut continuer à explorer parce qu’il y a là une vraie demande et parce qu’il y a là, aussi, une source de soins. Et je crois qu’il n’est pas mauvais de mettre le patient au cœur des préoccupations de nos professionnels de santé et de notre industrie pharmaceutique !
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. Philippe Darniche. Madame la ministre, je souhaite vous poser deux brèves questions : la première, déjà posée par un certain nombre de mes collègues, concerne un sujet majeur, la traçabilité des médicaments génériques fabriqués à l’étranger. Aujourd’hui, 60 % à 80 % des principes actifs pharmaceutiques utilisés et vendus en Europe sont fabriqués hors espace économique européen. Ils proviennent principalement de Chine ou d’Inde, nous le savons tous.
Face à cette mondialisation, qui conduit à une multiplication des acteurs intervenant dans la fabrication de ces médicaments, il semble impossible d’inspecter régulièrement toute la chaîne de fabrication de toutes les matières premières. Et cela est très inquiétant, vous-même en avez parlé ! Les initiatives européennes de contrôle et d’inspection gérées par l’Agence européenne des médicaments, l’EMA, et par la Direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé, la DEQM, n’apportent pas de garanties suffisantes.
Or des témoignages des médecins il ressort que des différences de résultats thérapeutiques sont constatées entre le princeps et le générique. On ne peut pas demander, pour des raisons économiques dictées par le souci des comptes de la sécurité sociale, au médecin de prescrire et au pharmacien de délivrer des génériques et ne pas garantir leur fiabilité !
Pouvez-vous nous préciser l’action du Gouvernement en ce domaine ?
Ma seconde interrogation porte sur les enjeux financiers que représente la recherche sur l’embryon humain.
Grâce aux travaux du professeur Yamanaka, prix Nobel de médecine, nous savons produire en grande quantité et entretenir les cellules souches pluripotentes induites, dites cellules IPS. Et, aujourd’hui, nous obtenons des résultats sans anomalies. Ces cellules sont de plus en plus utilisées à la place des cellules souches embryonnaires humaines pour la recherche, notamment par l’industrie pharmaceutique pour la modélisation des pathologies et le criblage de molécules.
Les recherches les plus récentes montrent que les IPS donnent les mêmes résultats, évitant ainsi le problème éthique que pose l’utilisation des cellules du vivant.
L’ampleur des investissements qu’elle réalise actuellement semblerait indiquer que l’industrie pharmaceutique souhaiterait voir la recherche sur l’embryon humain rapidement autorisée.
Or, aujourd’hui, les raisons scientifiques ne le justifient plus. Je ne suis pas favorable à l’utilisation des cellules embryonnaires, car je sais que les cellules IPS apportent des solutions tout aussi fiables. Dans ce contexte, je souhaiterais, madame la ministre, connaître la position du Gouvernement. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le sénateur, je voudrais revenir, pour commencer, sur la question de la fiabilité et de la traçabilité des matières premières qui composent nos médicaments.
Je tiens à redire, ici, avec une certaine solennité, que les matières premières utilisées dans la composition et la fabrication des médicaments génériques sont les mêmes que celles qui sont utilisées dans la composition et la fabrication des médicaments princeps !
Les processus de fabrication ne sont pas nécessairement identiques, mais les matières premières sont les mêmes. Les interrogations que vous avez et que j’entends, parce qu’elles sont légitimes, monsieur le sénateur, sur la traçabilité des matières premières entrant dans la fabrication des médicaments génériques sont aussi pertinentes pour les médicaments princeps. C’est donc à la fiabilité de notre système de production de médicaments tout entier que nous devons nous attacher, avec le renforcement des mécanismes et des procédures de contrôle tels qu’ils existent à l’échelon européen ou à l’échelon national.
J’ai eu l’occasion de dire, point tout à fait important, que des règles de bonnes pratiques se diffusent désormais au niveau international. Elles commencent par l’inspection des sites, l’inspection in situ des sites de fabrication des matières premières et se poursuivent par des inspections sur les lieux de fabrication du médicament lui-même.
J’en viens au second volet de votre intervention. Une discussion sur la recherche concernant les embryons a commencé. Elle constitue un enjeu tout à fait majeur pour la recherche et j’espère qu’elle pourra se poursuivre.
Je crois qu’il est de l’intérêt collectif que la discussion puisse être menée à son terme. Sur un sujet d’une telle importance, les mesures dilatoires et d’obstruction ne me paraissent pas avoir beaucoup de sens !
Vous en conviendrez d’autant plus, monsieur le sénateur, que le débat déjà eu lieu ici : la recherche française, en particulier, et la recherche mondiale, en général, méritent mieux que des manœuvres d’obstruction !
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche, pour la réplique.
M. Philippe Darniche. Madame la ministre, je voudrais réagir sur le premier point pour vous rappeler un chiffre parlant : 41 % des contrôles européens conduisent à une non-conformité des médicaments génériques. C’est considérable !
Pour ce qui est des matières premières, je vous entends mais je pose la question : si les processus de fabrication sont incontestablement différents en fonction des pays, ne peut-on pas faire en sorte de les harmoniser ?
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’industrie pharmaceutique.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe
Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (projet n° 349, texte de la commission n° 438, rapport n° 437, avis n° 435).
Rappel au règlement
M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 29 bis de notre règlement.
En cet instant où le Sénat s’apprête à examiner le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, chacun mesure bien l’importance des questions soulevées par ce texte.
Chacun mesure également que nos débats intéressent l’ensemble des Français, qui y seront particulièrement attentifs, comme ils le seront aux différents votes que le Sénat exprimera dans les jours à venir, ainsi qu’aux conditions d’examen de cette réforme.
Au vu de ces éléments, je demande, au nom du groupe UDI-UC, que le scrutin sur l’ensemble du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ait lieu selon les modalités prévues à l’article 60 bis de notre règlement, qui régit les scrutins publics à la tribune.
Nous aurions ainsi sur ce projet de loi un vote solennel, qui pourrait avoir lieu le premier mardi suivant la fin de l’examen des articles du texte, en l’occurrence le mardi 16 avril prochain, l’après-midi.
Je rappelle que cette modalité est parfaitement courante à l’Assemblée nationale ; elle n’a pas pour but, bien sûr, de désorganiser nos travaux, mais simplement d’assurer un minimum de solennité sur un sujet qui le mérite.
Pour ce faire, monsieur le président, je demande également que la conférence des présidents soit réunie dès que possible afin de pouvoir opérer cette modification de notre ordre du jour, s’agissant notamment du mardi 16 avril après-midi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Puisque vous faites référence à notre règlement, vous ne pouvez ignorer que, selon le premier alinéa de l’article 60 bis, « il est procédé au scrutin public à la tribune lorsque la conférence des présidents a décidé que ce mode de scrutin serait applicable lors du vote sur l’ensemble d’un projet ou d’une proposition de loi ».
Je constate que, lors de la réunion de la conférence des présidents du 20 mars, qui visait à organiser le calendrier d’examen de ce projet de loi, cette question n’a pas été soulevée. Néanmoins, je prends acte de votre souhait et je vais consulter les groupes afin de recueillir leur avis sur la demande que vous venez de formuler.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements prolongés sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Éric Doligé. Il faut l’encourager ; elle en a besoin...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, ma collègue Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, et moi-même avons l’honneur de présenter au Sénat ce projet de loi, adopté largement à l’Assemblée nationale par 329 voix pour et 229 contre, qui ouvre le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Ce sont, à titre principal, des dispositions du code civil relatives au mariage et à l’adoption qui ont été modifiées, ainsi que des dispositions portant sur le nom de famille qui ont dû être adaptées.
L’article 1er, qui est le plus important, ouvre donc le mariage aux couples de personnes de même sexe. Il rétablit dans le code civil un article 143 disposant que le mariage peut être contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe.
Ce texte affiche donc très clairement l’ambition d’atteindre à l’égalité dans le choix des formes de vie commune et de composition de la famille.
Ce texte ouvre en effet aux couples de personnes du même sexe la liberté de choisir une troisième forme d’organisation de la vie commune. Ces couples ont en effet déjà accès au concubinage, qui est une union de fait, ainsi qu’au pacte civil de solidarité, mais n’avaient pas accès, jusqu’à ce jour, au mariage, qui est à la fois un contrat et une institution, et qui produit des effets d’ordre public.
Ces dispositions n’altèrent évidemment en rien les droits des couples hétérosexuels et des familles hétéroparentales. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Roland du Luart. Il ne manquerait plus que cela !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au contraire ! Du débat est en effet ressortie la possibilité d’une évolution du droit de la famille, notamment en ce qui concerne le statut du parent social. Mais ce texte contient d’ores et déjà des dispositions favorables aux couples hétérosexuels et aux familles hétéroparentales.
Ce texte ne fragilise pas l’institution de la famille ; au contraire, il la renforce. (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Michel Baylet. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne met pas en péril les enfants. Au contraire, il les sécurise.
Des dizaines de milliers d’enfants, voire, dit-on, des centaines de milliers peuvent être concernés.
Mme Catherine Troendle. Des centaines de milliers ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certains considèrent que ce texte permet à la France d’honorer ses engagements internationaux et qu’il la conforte dans sa lutte contre les discriminations et son combat pour l’égalité politique.
M. Éric Doligé. Il y a mieux à faire !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De fait, nous ne sommes pas seuls.
Après avoir été pionnière, en 1999, avec l’adoption du pacte civil de solidarité, la France a en effet un peu marqué le pas, tandis que d’autres pays européens – les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, la Suède, l’Espagne, le Portugal et bientôt, définitivement, la Grande-Bretagne – légalisaient le mariage entre personnes du même sexe. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendle. Six sur vingt-sept !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Durant la même décennie, le Canada, y compris la Belle Province du Québec, dix États des États-Unis, la ville de Mexico, avec effet sur l’ensemble du territoire mexicain, ainsi que la République d’Afrique du Sud, procédaient de même et légalisaient le mariage entre personnes du même sexe.
Mme Catherine Troendle. Mais pas la filiation !
M. Alain Gournac. Non, en effet !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce n’est pourtant pas dans le but d’entrer dans un club hypothétique de pays audacieux,...
M. Bruno Sido. Un club très fermé... (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.... dont les législations ont d’ailleurs des effets divers, que nous vous présentons ce projet de loi.
Non, c’est au regard de l’histoire de la République française et de ses valeurs de liberté et d’égalité, au regard de son évolution propre, de l’empreinte laissée sur ses institutions par les débats, les combats, les progrès juridiques et sociétaux, que nous vous soumettons ce projet de loi.
M’étant exprimée à ce propos à l’Assemblée nationale, c’est à grands traits que je vais tracer les principales étapes qui ont consolidé l’institution du mariage.
C’est en 1791, à la suite de la réclamation d’un comédien, dont la profession était exclue du mariage religieux, le seul alors en vigueur, que le constituant de 1791 a instauré le mariage civil.
Quatre ans auparavant, en 1787, le pluralisme religieux avait été reconnu et le mariage des juifs et des protestants – les enfants étaient auparavant considérés comme bâtards - était autorisé, en tout cas pour ceux qui étaient restés en France, puisqu’il semble, selon les sources, que plus de 300 000 d’entre eux avaient quitté le pays.
En instaurant le mariage civil, en confiant à l’officier d’état civil l’enregistrement des actes, en imposant le consentement – l’article 146 du code civil, inchangé depuis 1804, dispose qu’il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement –, en autorisant le divorce, légalisé en 1792, puis supprimé en 1816, avant d’être rétabli par la loi Naquet, du 27 juillet 1884 dans la grande foulée de ces lois de liberté – loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, loi sur la liberté syndicale, loi sur la liberté d’association – qui culmineront avec cette grande loi de liberté laïque affranchissant l’État des églises, en levant toute restriction à l’accès au mariage, le constituant et le législateur ont bien inscrit cette institution dans le processus de conquête des libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Avec le temps, le législateur l’a ensuite ancrée dans le principe d’égalité.
Lorsqu’il abroge, en 1938, l’obéissance due par l’épouse à son mari, inscrite à l’article 213 du code civil,...
Mme Catherine Troendle. C’est bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... et lorsqu’il cesse, entre 1970 et 1975, de faire référence au chef de famille pour reconnaître la communauté de vie et l’égalité des droits et des devoirs, il avance vers l’égalité. Il en va de même, également, avec la loi rétablissant le divorce par consentement mutuel, qui existait déjà en 1792.
Le législateur pose aussi un acte de fraternité lorsqu’il décide de supprimer, par la loi du 3 janvier 1972, toute distinction entre les enfants légitimes et les enfants dits « naturels ».
Il fait de même lorsqu’il abroge entre 2000 et 2005, sous pression européenne, d’ailleurs, les discriminations qui continuent à frapper les enfants adultérins, avant d’éliminer du code civil les notions mêmes d’enfant légitime et d’enfant adultérin.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, le mariage est donc un acte de liberté, la liberté de se choisir, la liberté de vivre ensemble,...
M. Alain Gournac. Pour un homme et une femme !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... la liberté de divorcer, la liberté aussi de ne pas se marier puisque, aujourd’hui, un enfant sur deux naît hors mariage.
Mais en ouvrant cette liberté aux couples de personnes de même sexe, nous faisons du mariage un acte d’égalité : l’égalité des droits pour tous les couples et pour toutes les familles ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. –Protestations et huées sur les travées de l'UMP.)
Et, en ouvrant cette institution éminemment républicaine à tous les couples, hétérosexuels et homosexuels, et ce sans aucun préjudice pour l'institution du mariage, c’est bien un acte de fraternité que nous posons aussi. Le mariage est en effet ouvert à droit constant : ses dispositions sociales demeurent – l'assistance, le secours, le respect –, tout comme ses obligations et ses effets d'ordre public – les conditions d'âge et de consentement –, sa prohibition de l'inceste et de la polygamie ainsi que les protections juridiques et les sécurités.
En d’autres termes, cette institution du mariage, qui était une institution de propriété au temps où l'on alliait surtout les patrimoines, une institution de domination au temps où la loi ordonnait l'obéissance à l'épouse, une institution de possession du mari sur la femme et sur les enfants,...
M. Bruno Sido. C'était le bon temps !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … une institution d'exclusion sur la base de la religion, de la profession et de la non-croyance, cette institution, disais-je, est en train de devenir universelle, en ce qu’elle cesse de témoigner d'un ordre social où la puissance publique établirait une hiérarchie dans la sexualité,…
M. Charles Revet. C'est une interprétation…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … alors que nous avons supprimé de notre droit toute pénalisation de l'homosexualité et toute discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Que contient ce texte ?
D’abord, ce texte ouvre le mariage et l'adoption aux couples homosexuels, et ce à droit constant, c'est-à-dire dans les mêmes conditions, avec les mêmes obligations, les mêmes protections et les mêmes sécurités. C'est donc bien un accueil dans la maison commune !
M. Jean Bizet. Les mêmes droits !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, les mêmes droits et les mêmes devoirs !
Ensuite, ce texte rappelle le rôle du procureur de la République auprès des officiers d'état civil. Il réaffirme que le mariage est une cérémonie républicaine et publique. Il élargit les possibilités de lieux de célébration, élargissement qui profite également aux couples hétérosexuels. Il permet aux couples, qu’il s’agisse de deux Français ou de deux Françaises, d’un Français et d’un étranger ou d’une Française et d’une étrangère, résidant dans un pays qui ne reconnaît pas le mariage des couples de personnes de même sexe de pouvoir se marier en France dans des conditions de lieux qui sont encadrées par la loi.
Ce texte définit également les conditions de l'adoption. Il est bon de rappeler que l'adoption s'effectuera dans les mêmes conditions,…
M. Bruno Sido. C'est scandaleux !
M. Ronan Dantec. C'est très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … que les couples soient homosexuels ou hétérosexuels. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Elle se fera donc à droit constant, avec un agrément du conseil général délivré à la suite d'une enquête rigoureuse, que certains jugent d'ailleurs intrusive, et, surtout, à la suite de la décision d'un juge qui, considérant l'intérêt supérieur de l'enfant, conformément à l'article 353 du code civil, décidera ou non d'accorder l'adoption au couple demandeur.
Ce texte apporte en outre de la sécurité pour les enfants.
M. Bruno Sido. Vous ne pensez pas aux enfants !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous y pensez peut-être, vous ?...
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense ici à ces enfants qui sont élevés par deux parents, mais dont les liens affectifs et matériels ne sont reconnus que pour un seul parent : en cas de décès de ce parent, les enfants se retrouvent orphelins et ne peuvent pas continuer à vivre avec le second parent.
Le texte protégera ces enfants…
M. Bruno Sido. C'est faux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … en leur apportant une sécurité juridique. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce texte permet aussi l'adoption plénière de l'enfant du conjoint ou de la conjointe, y compris lorsque cet enfant a été adopté de façon plénière. Il permet l'adoption simple dans les mêmes conditions. La commission des lois du Sénat a souhaité restreindre cette possibilité et la réserver aux enfants qui ne disposent que d'une filiation biologique, afin de délimiter la pluriparentalité.
Ce texte permet encore un exercice plus facile de l'autorité parentale, ce qui profitera également aux familles hétéroparentales.
M. Bruno Sido. Il ne manquerait plus que ça !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans le cas où une séparation serait intervenue avant la promulgation du présent projet de loi, ce texte permet au juge de prononcer le maintien des liens de l'enfant avec le parent séparé qui n'en a pas la garde, sur la base de l'intérêt supérieur de l'enfant.
La commission des lois du Sénat a souhaité renforcer cette disposition en rendant obligatoire, à peine de nullité, l'information du tribunal sur l'existence d'un ancien parent social.
Ce texte organise également la dévolution du nom patronymique. Dans le projet de loi initialement présenté à l'Assemblée nationale, le Gouvernement avait introduit, pour les seuls couples homosexuels, une disposition permettant, en cas de désaccord des parents, d’octroyer à l’enfant le nom de chacun des deux parents – en ne retenant qu’un seul nom par parent –, noms accolés dans l’ordre alphabétique.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité généraliser le dispositif et l’a donc étendu aux familles hétéroparentales.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, j’ai estimé, au nom du Gouvernement, qu'une partie des arguments présentés par l'opposition avaient toute leur pertinence. C’est pourquoi j'ai souhaité que, à l'occasion de la navette parlementaire, les idées mûrissant, le Sénat réfléchisse à la meilleure formule concernant l'attribution du nom patronymique.
La commission des lois du Sénat a jugé préférable de maintenir le dispositif prévu par le Gouvernement pour les seuls couples homosexuels et les familles homoparentales. Pour les couples hétérosexuels et les familles hétéroparentales, elle a distingué entre le silence – les parents ne se prononçant pas sur l’octroi du nom, c'est le patronyme du père qui est attribué – et le désaccord entre les parents – l’enfant portera alors les deux noms, dans la limite d'un nom par parent, accolés dans l'ordre alphabétique.
J'attire néanmoins l'attention sur le fait que la France a fait l’objet d’une interpellation des Nations unies à propos de la préséance systématique donnée au nom du père dans ces cas-là.
Le présent texte organise bien entendu la coordination des dispositions induites par l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de personnes de même sexe.
Le Gouvernement avait choisi pour ce faire un mode d'écriture correspondant à la règle légistique générale qui aboutissait, en dehors du titre VII du code civil – ce titre organise la filiation -, à la coordination des articles concernés dans le code civil et dans les autres codes, lois et ordonnances.
La commission des lois de l'Assemblée nationale, suivie en cela par les députés, a choisi une autre forme d'écriture, en privilégiant une disposition interprétative, ce que l'on appelle trivialement « un article balai ». Introduite avant le titre Ier du code civil, cette disposition procédait donc à une interprétation de toutes les dispositions du code civil ; pour les autres codes, d'autres articles procédaient à la coordination.
La commission des lois du Sénat a opté pour une troisième solution. Elle a choisi de poser un principe général selon lequel le mariage et l'adoption produisent des effets de droit identiques, que les parents soient de sexe différent ou de même sexe.
M. Bruno Sido. C'est cela qui ne va pas !
M. Gérard Longuet. Ce ne sont pas des parents !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette disposition sera évidemment adossée à une habilitation, prévue dans le texte, afin que le Gouvernement puisse par ordonnance procéder aux adaptations et coordinations nécessaires dans les six mois suivant la publication de la loi, tout cela dans le respect des dispositions de l'article 38 de la Constitution.
Quelques dispositions diverses ont été introduites. Elles concernent la reconnaissance d'un mariage entre personnes de même sexe contracté à l’étranger légalement – c’est-à-dire dans un pays qui reconnaît le mariage entre personnes du même sexe – avec des effets immédiats pour le couple, et la transcription au registre d'état civil français de ce mariage avec effets à partir de la transcription vis-à-vis des enfants et vis-à-vis des tiers.
Ces dispositions sont évidemment applicables sous réserve du respect des articles du code civil qui régissent le mariage et l’adoption ainsi que des articles qui régissent la transcription au registre d'état civil.
J'en viens au périmètre du texte, pour préciser ce qui n'est pas contenu dans ce projet de loi.
La commission des lois et la commission des affaires sociales du Sénat ont décidé d’un commun accord de maintenir le périmètre du texte présenté par le Gouvernement tel qu’il a été enrichi par l'Assemblée nationale. Le projet de loi traite donc du mariage et de l'adoption, sans compter les quelques dispositions connexes que je viens d’indiquer.
En revanche, ce texte ne contient pas de dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation.
M. André Reichardt. Pas encore !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout en considérant que le sujet est légitime, le chef du Gouvernement (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) a estimé qu'il devait faire l'objet d'un autre véhicule législatif ; ce texte de loi sera présenté par Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, et elle l’évoquera dans un instant plus savamment que je ne saurais le faire. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Le Comité consultatif national d'éthique s’est autosaisi du sujet et remettra son rapport au cours du troisième trimestre de cette année. Le Premier ministre a choisi d'attendre d’avoir pris connaissance de cet avis pour que le texte porté par la ministre chargée de la famille en tire toutes les conséquences.
Il faut rappeler que les dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation se trouvent, en l'état actuel de notre droit, dans le code de la santé publique, alors que le mariage et l'adoption relèvent du code civil, puisqu’ils concernent les libertés et l'état des personnes.
L'assistance médicale à la procréation concerne les couples hétérosexuels stables, mariés ou non, et est accordée sur présentation d'une justification médicale. Les pays qui ont ouvert le mariage et l'adoption et qui ont aussi ouvert l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et, très souvent, aux femmes célibataires l’ont fait dans des textes différents, la plupart du temps des textes de bioéthique. Seuls les Pays-Bas l'ont inscrit dans un texte sur l'égalité de traitement.
M. Bruno Sido. Et la GPA ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La gestation pour autrui n’entre pas non plus dans le périmètre du texte.
Mme Catherine Troendle. Pour l’instant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Président de la République ainsi que le Premier ministre…
Mme Christiane Hummel. Mais qui est le Premier ministre ?... (Rires sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … ont réaffirmé leur attachement au principe, d'ordre public (Exclamations sur les travées de l'UMP.),…
M. Éric Doligé. S’ils l'ont dit, alors !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Écoutez la réponse !
M. Jean Bizet. Nous n'avons aucune confiance !
M. Roland du Luart. Aucune !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … d'indisponibilité du corps humain. Je le fais à mon tour.
Si la gestation pour autrui ne fait pas l'objet du présent débat, elle mérite néanmoins d'être signalée, peut-être en référence à certaine proposition de loi déposée au Sénat concernant la pratique de la GPA et dont les signataires siègent d’ailleurs de ce côté de l’hémicycle. (Mme la garde des sceaux désigne les travées de l’UMP. – Mme Catherine Procaccia s’exclame.)
M. Éric Doligé. Allez expliquer la GPA au Maroc !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La commission des lois et la commission des affaires sociales du Sénat, qui se sont réunies concomitamment, ont enrichi le texte de façon significative. Je remercie en particulier le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et son rapporteur, Jean-Pierre Michel, la présidente de la commission des affaires sociales, Annie David, ainsi que la rapporteur, Michelle Meunier, du travail de très grande qualité qu’ils ont fourni les uns et les autres.
Je souhaite revenir un instant sur les sécurités et les protections que ce projet de loi promet.
Un sénateur du groupe UMP. S'il est voté !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les dispositions en faveur de la protection des conjoints sont évidentes : le régime social, le régime fiscal ainsi que les droits liés à la rupture et au décès seront assurés pour les couples qui ont décidé de s'inscrire dans un projet conjugal ou parental sur le temps long. En d’autres termes, ce qui est dû sera rendu et l'État y veillera par son administration ou par le juge.
Nous ne disposons d'aucun élément ni scientifique, ni statistique, ni même empirique qui nous permette de penser que les couples homosexuels se montreraient plus raisonnables que les couples hétérosexuels en cas de rupture. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Il est assez peu probable qu'ils résistent plus que les autres à cette étrange fureur qui s'empare de ceux qui se sont passionnément aimés et qui, au moment de la rupture, deviennent d’inflexibles adversaires, quand ce ne sont pas d'intraitables ennemis.
Il n’en sera pas toujours ainsi, mais quand cela sera, le juge devra pouvoir protéger le plus vulnérable des conjoints, sauvegarder les intérêts des enfants, organiser leurs relations avec le parent qui n’en a pas la garde, assurer le maintien des droits et le respect des devoirs, en reformulant peut-être, sans le dire, ce conseil de Paul Verlaine : « surtout, soyons-nous l’un à l’autre indulgents »…
M. Bruno Sido. C’est Rimbaud qui a dit cela !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est bien au juge qu’il appartiendra de rappeler que les enfants, par le mariage, entrent dans la famille de chacun des conjoints, que le mariage n’est pas seulement une relation entre deux personnes et que la transmission entre générations se fait dans le cadre élargi des deux familles.
Le regard social désapprobateur qui pèse parfois lourdement sur les enfants de ces familles, qui insinue l’existence d’une anormalité, d’une bizarrerie, peut bouleverser, perturber, troubler considérablement.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pis encore, des mots, des actes, des agressions peuvent avoir des effets potentiellement dévastateurs. Désormais, grâce à ce texte de loi, ces familles, ces enfants, ces adolescents ne seront plus seulement tolérés par la société, mais protégés par la loi ! (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Ce passage de la tolérance à l’égalité fera toute la différence !
Je veux saluer les sénateurs des outre-mer, qui seront sans doute plus nombreux que les députés des outre-mer à voter ce projet de loi. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Racolage !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’étais pas habituée à entendre des propos grossiers dans cette assemblée. Je suis un peu surprise. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
M. David Assouline. C’est M. Sido le responsable !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je veux saluer le courage des sénateurs des outre-mer qui, comme d’autres parlementaires de notre pays fidèles à leurs convictions et à leurs valeurs, choisissent en conscience ce qui est juste, même dans un contexte social et culturel difficile. Notre histoire commune est riche de combats pour l’égalité : c’est bien dans cette filiation et cette tradition que nous nous inscrivons. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il nous faut admettre que, à travers le temps, l’institution du mariage témoigne de la démocratisation des liens privés et des rapports sociaux. Cette institution a suivi l’évolution sociale et culturelle de la société. Parfois, elle l’a un peu forcée, pour aller vers plus de liberté et d’égalité, mais nous n’avons jamais eu à nous en plaindre, hormis les tenants d’un ordre immuable et inégalitaire.
Ainsi, en passant du sacrement matrimonial, qui d’ailleurs n’a pas toujours existé – il n’a été instauré qu’en 1215 – au mariage civil, l’institution a admis le pluralisme religieux d’abord, le pluralisme civique ensuite.
En ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe, nous franchirons un pas vers la reconnaissance du pluralisme familial, et cela sans dégâts. Qu’y a-t-il en effet de plus précieux pour les familles hétéroparentales et les couples homosexuels, dans l’institution du mariage ?
M. Bruno Sido. Et l’enfant ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout d’abord, le titre VII du code civil, qui régit la filiation biologique, ne sera pas modifié d’une virgule.
Ensuite, la présomption de paternité demeure absolument intacte. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Quant aux modalités d’encadrement de la séparation, les droits sont étendus, et non pas réduits.
En revanche, grâce à ce texte, nous complétons ce qui était inachevé en matière d’exercice de l’autorité parentale ou de souplesse dans la détermination du lieu de la célébration du mariage, qui relèvera désormais de l’initiative exclusive des épouses ou des époux. Nous avons veillé à ce que ces dispositions profitent à tous, donc aussi aux familles hétéroparentales.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par ailleurs, le projet de loi sur la famille, sur lequel travaille déjà Mme Bertinotti, introduira des améliorations substantielles au statut des familles recomposées et aux régimes d’adoption. Les familles hétéroparentales, par la simple loi du nombre, en profiteront beaucoup plus que les familles homoparentales.
Un sénateur du groupe UMP. C’est nous qu’il faut regarder !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous regarderais plus volontiers si vous m’aviez réservé un meilleur accueil ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Nous sommes donc face à l’altérité : non pas une altérité strictement sexuelle, car aucun d’entre nous ne se réduit à son genre ou à son orientation sexuelle (Mme Sophie Primas approuve.), mais une altérité « majuscule ». J’aurais pu parler d’altérité absolue, mais ce serait un oxymore, car l’altérité renvoie justement à ce qui est relatif en nous. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
Comme le dit Hegel, cité par Tzvetan Todorov, il faut pour le moins être deux pour être humain. C’est bien le souci de l’autre qui me permet d’affirmer mon humanité et, socialement, ma civilité. (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous êtes davantage portés sur le débat de fond et le droit que sur les joutes verbales et la polémique. Par notre action, qui ne se borne pas à des mots, « nous forçons de fumantes portes », comme le dit Aimé Césaire. (Applaudissements prolongés sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà la possibilité de mettre un terme à des siècles de relégation… (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Henri de Raincourt. Ça commence bien !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je vous rappelle que, jusqu’en 1981, l’homosexualité était considérée comme un délit.
M. Gérard Longuet. Absolument pas !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Voilà donc, disais-je, la possibilité de mettre un terme à des siècles de relégation et de discrimination à l’encontre d’une partie de nos concitoyens. Voilà la possibilité de faire aboutir des combats menés depuis des décennies. Je sais que vous êtes nombreux, au Sénat, à avoir contribué à la longue histoire de l’égalité. Vous avez déposé des propositions de loi pour ouvrir le mariage aux couples homosexuels, leur permettre de fonder une famille, et ce dès 2005, puis en 2006, en 2010, en 2011 et en 2012. Ainsi, vous êtes nombreux, sur toutes les travées, à vous être engagés pour une meilleure reconnaissance de la diversité des familles. Soyez déjà remerciés de cette action passée.
Les associations qui soutiennent le projet de loi…
M. Bruno Sido. Elles sont peu nombreuses !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … que Christiane Taubira et moi-même avons l’honneur de vous présenter ont fait leur un très beau slogan : « l’égalité n’attend plus ».
Après le temps de l’Assemblée nationale vient aujourd’hui celui du Sénat. Je suis convaincue que ce sera le temps de la consolidation, de la solidification et de la confirmation de cette marche vers l’égalité.
Ce texte s’inscrit dans le contexte bien spécifique d’une révolution silencieuse (Exclamations sur les travées de l'UMP.)…
M. Alain Gournac. Un million de personnes silencieuses dans la rue !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … entamée dans les années soixante-dix, qui a fait éclater le modèle familial unique en une pluralité de modèles familiaux. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, grâce aux progrès de la contraception et à l’apparition de nouvelles techniques médicales, amour, conjugalité, sexualité et procréation se trouvent dissociés…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On aurait aimé que ce soit dissocié !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … et peuvent être composés et associés de multiples façons.
Mme Taubira l’a dit à l’instant : aujourd’hui, plus d’un enfant sur deux naît hors mariage,…
M. Gérard Longuet. Il y a 100 % de naissances hétérosexuelles !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … un sur quatre ne vit pas avec ses deux parents, un sur cinq vit dans une famille monoparentale et un sur neuf dans une famille recomposée. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Et alors ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je conçois que cet état de fait vous dérange, mais ces quelques éléments statistiques suffisent à montrer la diversité du paysage familial.
M. François-Noël Buffet. Ce n’est pas le sujet !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que si ! (Mais non ! sur les travées de l’UMP.)
Pour autant, cette situation ne traduit pas une désaffection de nos concitoyens à l’égard de la valeur « famille » : bien au contraire, la très grande majorité d’entre eux estime que la famille reste le lieu de la sécurité et de la protection. Ce qui a changé, c’est que nos concitoyens refusent désormais que nous leur imposions un modèle familial unique. Ils attendent de nous que nous reconnaissions la diversité des modèles familiaux tout en assurant l’égalité des droits et des devoirs pour toutes les formes de familles.
Mme Sophie Primas. Et la filiation ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’y viens !
Aujourd’hui, à la suite d’une évolution engagée voilà de nombreuses années, la filiation biologique n’est plus la seule filiation possible ; il y a une multiplication des acteurs impliqués dans la conception et l’éducation des enfants.
M. Bruno Sido. C’est faux !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Chaque année, de 3 000 à 4 000 enfants sont adoptés et environ 1 500 naissent par insémination artificielle. Ces chiffres montrent que la filiation sociale est d’ores et déjà une réalité au sein des familles hétérosexuelles. On peut comprendre, en conséquence, la demande d’égalité de traitement pour les familles homosexuelles.
M. Bruno Sido. C’est incroyable !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je voudrais ajouter, après Mme la garde des sceaux, que cette loi ne créera pas de situations nouvelles : elle ne fera qu’adapter notre droit à des évolutions déjà présentes dans la société. En cela, elle s’inscrit dans la lignée des réformes qui ont marqué le droit de la famille depuis les années soixante-dix, comme l’assouplissement des règles du divorce, la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels ou l’institution de l’autorité parentale, reconnue aux deux parents à égalité. La législation ne fait que traduire une évolution déjà réalisée par nos concitoyens. Ceux-ci ne nous demandent pas une simple loi d’égalité ; ils veulent également que ce texte leur assure une sécurité et une protection juridiques. Pour l’heure, les dizaines de milliers d’enfants vivant déjà dans des familles homoparentales ne bénéficient pas de la même protection juridique que les autres enfants.
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le problème !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. C’est à cela que nous voulons remédier. C’est selon cet objectif d’égalité et de sécurité juridique que ce projet de loi ouvrant à tous le mariage et l’adoption a été conçu.
Il est temps de reconnaître à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, la liberté de choisir la façon dont il « fait famille ». Reconnaître cette liberté, c’est reconnaître la liberté de tous nos concitoyens. Cette liberté, elle est au cœur même de la République, celle que Jean Jaurès a si bien définie dans son Discours à la jeunesse : « Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; […]. Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. »
M. Bruno Sido. Tout ça, c’est du bla-bla !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’ajouterai que notre République n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle sait inclure tous ses citoyens, hommes ou femmes, en leur accordant les mêmes droits, quelle que soit la couleur de leur peau, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. La France n’est jamais aussi forte ni confiante dans son avenir (Exclamations sur les travées de l'UMP.) que lorsqu’elle sait s’adresser à tous ses citoyens, à tous ses enfants, à toutes ses familles.
M. Bruno Sido. Les vraies familles !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Lors des auditions, des avis très différents ont été exprimés, mais je me souviens d’une phrase très simple prononcée par la présidente de GayLib : quand on aime la famille, on aime toutes les familles.
M. Bruno Sido. C’est ridicule !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je crois pourtant savoir que GayLib est un mouvement lié à l’UMP, monsieur le sénateur… (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Et alors ? C’est n’importe quoi !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ce projet de loi d’égalité s’inscrit dans le droit fil de ce que François Hollande rappelait lors de la campagne présidentielle (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.) : « Aucune loi de conquête n’a été arrachée sans combat parlementaire. Car les libertés, elles se conquièrent, elles se gagnent. […] L’âme de la France c’est l’égalité, l’égalité, l’égalité toujours. »
Ce projet de loi est l’expression de notre belle devise républicaine : liberté, celle pour chaque citoyen de prendre le gouvernement de sa propre vie ; égalité, celle des droits et des devoirs pour tous ;…
M. Bruno Sido. Et la fraternité ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … cette liberté, cette égalité vont permettre de renforcer la fraternité dans notre société. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à la confiance et à l’audace ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, indéniablement, le texte dont nous entamons aujourd’hui la discussion pose problème et provoque des débats au sein de notre société.
Pour ma part, je respecte toutes les opinions, dès lors qu’elles sont respectueuses des droits des citoyens, notamment de ceux des homosexuels.
M. David Assouline. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Nous sommes saisis d’un projet de loi ; or « les lois ne sont pas des actes de puissances, ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».
M. Gérard Longuet. Eh bien il y a beaucoup à faire !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est sous l’égide de Portalis, dont je viens de lire une phrase extraite du Discours préliminaire au code civil, que je veux me placer dans ce débat.
Discuter d’un tel texte aujourd’hui est pertinent, non seulement parce qu’il transcrit une promesse du candidat François Hollande (Exclamations sur les travées de l'UMP.),…
M. Bruno Sido. Le roi de la promesse !
M. Jean-Noël Cardoux. Une République irréprochable !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … mais surtout parce qu’il est le produit d’une triple convergence qui lui donne toute sa force.
En effet, depuis la fin de la guerre, la perception sociale et juridique de l’homosexualité a évolué. Nous sommes passés de la condamnation à la reconnaissance. La famille et le mariage ont également connu une évolution sociologique importante, sur laquelle je reviendrai plus tard. Enfin, certains pays de l’Union européenne et d’autres extérieurs à celle-ci nous ont devancés dans l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et la reconnaissance de l’homoparentalité, même si ces deux questions ne sont pas toujours liées dans ces différents pays.
En consacrant cette évolution, le projet de loi dont nous débattons marque un geste fort d’égalité. À cet égard, que l’on me permette de citer le père de nos constitutions et de notre démocratie parlementaire, Sieyès, qui écrivait ceci dans Qu’est-ce que le Tiers État ? : « Je me figure la loi au centre d’un globe immense ; tous les citoyens sans exception sont à la même distance sur la circonférence et n’y occupent que des places égales. » (M. le président de la commission des lois applaudit.)
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ce vœu d’égalité, déjà formulé lors des débats sur l’instauration du PACS, est conforme aux principes qui fondent notre République.
Cependant, il a été dénoncé à plusieurs reprises lors des auditions : certaines personnes entendues et certains de nos collègues ont fait valoir que l’égalité n’est pas l’identité…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Exactement !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et qu’elle n’impose de traiter également que des personnes placées strictement dans les mêmes situations.
L’argument mérite d’être entendu : l’égalité n’est pas l’identité. Pour autant, cet argument s’applique-t-il vraiment à la situation visée par le présent projet de loi ?
M. Bruno Sido. Oui !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Non, car ce texte écarte toute assimilation des couples homosexuels aux couples hétérosexuels en ce qui concerne la filiation biologique.
Hors ce cas, lorsqu’il s’agit de protection mutuelle, fondée sur l’amour que l’on se porte, quelle différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel ?
M. Gérard Longuet. Une différence énorme : la vie !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’éduquent, qui l’élèvent, qui l’aiment, quelle différence entre l’enfant de parents de même sexe et celui de parents de sexe différent ?
Mme Sophie Primas. D’accord.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pourquoi réserver aux uns le mariage et ses effets, et tenir les autres à l’écart de ce statut protecteur ? L’exigence d’égalité commande d’ouvrir l’accès au mariage aux couples de personnes de même sexe, parce que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », comme le proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Cette même exigence exclut qu’un statut social à part leur soit réservé. L’idée est souvent avancée, par ceux qui s’opposent au mariage des couples de personnes de même sexe, que l’égalité des droits pourrait être assurée par un statut spécifique, distinct du mariage, propre aux couples homosexuels : M. Gélard la développera tout à l'heure. Cette union civile s’ajouterait au pacte civil de solidarité, ou s’y substituerait, les droits et les obligations ouverts par ce dernier étant alors renforcés.
Outre le fait que, pendant les dix années que vous avez passées au pouvoir, vous n’avez pas renforcé le PACS, j’observe qu’une telle proposition ne peut être retenue, car elle contredit l’esprit qui anime la présente réforme, en perpétuant l’inégalité ou la différence de traitement appliquée à des situations pourtant identiques.
En effet, soit l’union civile offre aux couples homosexuels exactement les mêmes droits et les mêmes garanties que le mariage – mais quel serait alors l’intérêt de créer un doublon du mariage, sauf à vouloir priver les couples de personnes de même sexe d’une reconnaissance sociale symbolique, en réservant la dénomination « mariage » à l’union d’un homme et d’une femme ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.) –,…
M. Bruno Sido. L’adoption !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … soit elle est en retrait par rapport au mariage. Mais alors, comment justifier que l’on prive les couples homosexuels de droits – en dehors de ceux relatifs à la filiation biologique – reconnus aux couples hétérosexuels ? Un statut à part les cantonnerait dans une place à part au sein de notre société, ce qui ne correspond pas aux fondements de l’universalisme républicain.
M. François Rebsamen. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Me Jacques Combret, s’exprimant devant la commission des lois au nom du Conseil supérieur du notariat, a d’ailleurs écarté en ces termes la possibilité de régimes juridiques spécifiques : « Les associations familiales ont demandé pourquoi on n’avait pas choisi un partenariat enregistré pour les couples homosexuels. Mais l’on ne pouvait guère revenir en arrière pour établir un PACS à géométrie variable selon l’orientation sexuelle des contractants ; […]. Enfin, il serait compliqué de juxtaposer mariage entre personnes de sexe opposé, contrat pour les personnes de même sexe, PACS et concubinage. […] S’il vous plaît, assez de régimes juridiques différents, tenons-nous-en là. »
Aucune norme constitutionnelle ou conventionnelle ne proscrit le mariage de deux personnes de même sexe ni l’adoption par un célibataire ou un couple homosexuel. Au contraire, le principe d’égalité et le droit à une vie familiale et personnelle peuvent fonder l’accès des intéressés à ces deux institutions. En la matière, toutefois, la décision ne peut venir que du législateur, c’est-à-dire de nous, mes chers collègues.
Saisie de l’annulation du mariage célébré à Bègles, en Gironde, entre deux hommes,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dans l’illégalité totale !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … la Cour de cassation a rappelé que, selon la loi française en vigueur, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme…
M. Bruno Sido. Oui !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et « que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui n’a pas en France de force obligatoire ».
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité défendue par deux femmes qui souhaitaient se marier, a confirmé que la loi française n’est pas contraire à la Constitution du seul fait qu’elle réserve le mariage à deux personnes de sexe différent. Il a ainsi déclaré que le droit de mener une vie familiale normale, qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n’implique pas le droit de se marier pour les couples de personnes de même sexe, qui peuvent vivre en concubinage ou bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité.
Pour autant, après avoir constaté que, en maintenant jusqu’à présent le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a considéré que la différence de situation entre les couples de personnes de même sexe et les couples de personnes de sexe différent peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il ne lui appartenait pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ».
Cette dernière mention correspond, dans la jurisprudence constitutionnelle, à la limite que la haute instance donne à son propre contrôle et à la marge d’appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence souveraine du législateur.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel reconnaît que le choix d’ouvrir ou non le mariage aux couples de personnes de même sexe n’appartient qu’au législateur et qu’aucune norme constitutionnelle ne s’y oppose.
Les engagements internationaux de la France ne représentent d’ailleurs pas non plus un obstacle à la décision du législateur en cette matière.
Certains des principes qui inspirent les normes supérieures peuvent utilement guider le législateur dans son choix : la liberté, l’égalité, le droit de mener une vie familiale normale. Chacun plaide pour que ce droit, dont bénéficient aujourd’hui les couples hétérosexuels, soit ouvert aux couples homosexuels.
Sous cette lumière, la décision peut être débattue, mais l’avancée sociale apparaît plus que jamais nécessaire.
Mes chers collègues, je l’ai bien compris au cours des auditions et à l’écoute de vos interventions, c’est le mot « mariage » qui vous gêne… (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendle. Ce n’est pas un mot, c’est une institution !
M. Bruno Sido. Il n’y a pas que le mot !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne confondez pas le mot et la chose ! Rappelez-vous la formule de Jacques Lacan : « le mot est le meurtre de la chose » !
Ce sont les rédacteurs du code Napoléon qui ont employé le mot « mariage » pour désigner une union civile entre un homme et une femme dont le cœur était la présomption de paternité, comme le rappelle si justement Irène Théry. Ils auraient pu utiliser un autre terme afin de dissocier cet acte du mariage religieux, que certains d’entre vous ont en tête.
Aujourd’hui, l’évolution du mariage montre bien qu’il s’agit de tout autre chose, puisque le mariage civil n’a rien à voir avec le sacrement religieux et que le présent projet de loi ne dénature point l’institution du mariage républicain hétérosexuel, contrairement à ce qu’affirment ses opposants. Le texte qui nous est soumis sanctionne plutôt l’évolution de l’institution elle-même, qui s’est abstraite depuis longtemps déjà du modèle, cristallisé pendant plusieurs siècles, sur lequel elle reposait, pour revenir aux principes de liberté et d’universalité qui la caractérisaient à l’origine, définissant davantage la protection que se donnent les deux époux que le seul modèle de filiation possible.
« Une affirmation de la liberté de l’homme, dans la formation comme dans la dissolution du lien matrimonial, c’est, pour l’ordre terrestre, l’essentiel du message français », rappelait le doyen Jean Carbonnier dans sa célèbre étude Terre et Ciel dans le droit français du mariage.
L’article 146 du code civil, inchangé depuis 1804, en porte encore aujourd’hui la marque, puisqu’il dispose qu’« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ».
Cet esprit de liberté s’appuie sur l’universalisme de l’accès au mariage : tout citoyen majeur peut y prétendre. La Révolution a ainsi opéré une rupture très nette avec le mariage religieux de l’Ancien Régime et confirmé l’égalité de tous devant le mariage. Aujourd'hui, le Gouvernement nous demande de franchir un pas supplémentaire dans cette voie.
En consacrant la liberté de mariage et en la rattachant à la liberté personnelle découlant des articles II et IV de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel manifeste qu’elle a partie liée avec l’universalisme républicain.
L’évolution du mariage vers plus de liberté et d’égalité s’est poursuivie aux XIXe et XXe siècles. Elle s’est manifestée dans la fin du monopole du mariage pour l’établissement de la filiation. La loi du 3 janvier 1972, inspirée par le doyen Carbonnier, a introduit une révolution totale du mariage et de la famille traditionnels tels qu’envisagés par certains d’entre vous, mes chers collègues. Elle a engagé l’abolition de la distinction entre enfants légitimes, enfants adultérins et enfants naturels, achevée avec l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation.
Parallèlement, les formes de conjugalité ont évolué : s’il reste une référence majoritaire, le mariage n’est plus la seule union possible. Une étude de l’INSEE montre que, en 2011, en France métropolitaine, sur 32 millions de personnes majeures déclarant être en couple, seules 23,2 millions étaient mariées et partageaient la même résidence que leur conjoint, tandis que 22,6 % vivaient en union libre et 4,3 % étaient pacsées.
Comme l’a rappelé tout à l’heure Mme la ministre chargée de la famille, cette évolution des conjugalités a eu des conséquences sur les filiations : depuis 2006, il naît plus d’enfants hors mariage qu’au sein du mariage. Selon des chiffres provisoires, en 2012, les naissances hors mariage représentaient près de 60 % du total des naissances.
Il n’est dès lors plus possible, pour l’ensemble de ces raisons, de considérer le mariage comme l’unique institution de la filiation, indissociable de la filiation biologique.
Cela étant, mes chers collègues, le présent projet de loi n’enlève rien au mariage, à la famille traditionnelle,…
M. Charles Revet. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … dont la plupart d’entre nous sont issus et n’ont qu’à se féliciter. Je tiens d’ailleurs, à cet instant, à rendre hommage à mes père et mère, qui m’ont élevé et ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
Dès 1950, dans l’ouvrage précité, le doyen Carbonnier estimait que « notre droit matrimonial ne se dément pas : son génie, son démon, c’est la liberté ». Aujourd'hui, mesdames les ministres, le Gouvernement nous invite à aller vers plus de liberté, suivant en cela le doyen Carbonnier, qui pourtant n’aurait pas tout à fait partagé nos idées. (M. Michel Mercier acquiesce.)
Le sens du mariage a évolué, cette évolution exprimant avec plus d’intensité les ressorts libéraux et égalitaires de cette institution. Le texte qui nous est soumis s’inscrit dans cette dynamique, qu’il accompagne plus qu’il ne l’engage. L’institution du mariage a ainsi sensiblement changé de sens et de finalité : elle n’est plus un mécanisme de légitimation sociale des familles, elle garantit leur protection.
Le mariage n’est rien de moins que le plus haut degré de protection juridique que peuvent librement s’accorder deux personnes qui s’aiment, qu’elles soient de même sexe ou de sexe opposé. Surtout, cette protection dont profitent les époux s’étendra à leurs enfants, car il est de l’intérêt de ceux-ci que chacun de leurs parents soit suffisamment protégé. Elle se manifestera notamment par le fait que, en cas de séparation, un juge se prononcera obligatoirement sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Dans cette perspective, rien ne peut justifier de tenir encore à l’écart de la protection de la loi les familles homoparentales qui souhaiteraient se placer sous son égide.
Mes chers collègues, j’en suis profondément convaincu, le présent texte est destiné à protéger les enfants. (Protestations sur les travées de l'UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Non, il ne faut quand même pas exagérer !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Cela vous gêne (Non ! sur les travées de l’UMP.), parce que vous ne voulez pas voir la situation dans laquelle se trouvent actuellement certains enfants rejetés par notre société !
M. François Rebsamen. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je le répète, ce texte est destiné à protéger les enfants et parachève une évolution engagée depuis plusieurs années, tendant à l’acceptation sociale de l’homosexualité et à l’affirmation, en parallèle, des familles homoparentales. Dans cette perspective, l’intérêt de l’enfant élevé par deux hommes ou par deux femmes est alors de bénéficier, comme tout autre enfant, de la protection que lui garantira l’établissement de sa filiation à l’égard de ceux qui l’élèvent et du statut de couple marié de ses parents.
À plusieurs reprises, au cours des auditions, la question de l’intérêt supérieur de l’enfant a été évoquée. Plusieurs professeurs de droit ont souligné qu’il était de l’intérêt de celui-ci que les filiations juridique et sociale correspondent. Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente du Conseil supérieur de l’adoption, a rappelé que, si une partie des membres de son organisation s’est interrogée sur les conséquences d’une remise en cause de l’altérité sexuelle de la filiation, la majorité d’entre eux a jugé qu’ouvrir la possibilité de l’adoption de l’enfant d’un conjoint du même sexe va dans le sens de l’intérêt de l’enfant : dans les familles homoparentales déjà constituées, cette adoption lui apporte la stabilité juridique et la continuité nécessaires à son développement. L’argument est majeur, parce qu’il vise, notamment, la procédure d’adoption intrafamiliale de l’enfant du conjoint.
L’approche doit être pragmatique : ces familles et ces enfants ont droit à la protection de la loi. Or elles sont fragilisées du fait que l’un des deux parents n’a aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève pourtant aussi bien qu’un autre parent. Il est donc nécessaire d’autoriser l’adoption de l’enfant de l’autre parent. Or l’adoption de l’enfant du conjoint n’est possible que dans le cadre du mariage. Ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe permettra ainsi à leurs enfants de profiter de la protection que leur garantira cette adoption.
D’ailleurs, cette protection s’étend au-delà du simple lien de filiation, pour atteindre la protection mutuelle des époux, car il est de l’intérêt des enfants que leurs parents voient leur propre situation assurée face aux accidents de la vie ou du sentiment.
L’avancée qui résulterait de l’adoption du présent projet de loi est autant utile que nécessaire. Cette réforme importante doit être votée !
Ce texte s’inscrit dans une évolution européenne. Il apparaît que, dans les pays où le mariage entre personnes de même sexe a été autorisé, il n’y a eu ni drames ni bouleversement : la famille hétérosexuelle continue d’exister pleinement.
À ce jour, onze pays ont légalisé le mariage homosexuel, que ce soit en Europe ou ailleurs. Citons le district fédéral de Mexico et l’État du Quintana Roo, au Mexique, plusieurs États des États-Unis, le Québec, l’Argentine, dernièrement l’Uruguay et le Royaume-Uni, sur l’initiative du gouvernement conservateur de M. Cameron. Cette légalisation concerne plus de 280 millions d’habitants, répartis sur quatre continents.
Quant à l’adoption par un couple de personnes de même sexe, elle est autorisée dans un certain nombre de pays, qui n’ont d’ailleurs pas autorisé le mariage de tels couples.
La voie que trace la France avec ce projet de loi emprunte évidemment à cette perspective universaliste et égalitaire.
Les travaux de la commission des lois ont conduit son rapporteur à proposer un certain nombre de modifications au texte que nous a transmis l'Assemblée nationale. Je tiens, à cet instant, à rendre hommage au travail de nos collègues députés et du rapporteur Erwann Binet.
Nous avons conservé le périmètre du projet de loi et, en conséquence, repoussé tous les amendements visant à ouvrir d’autres possibilités de filiation, à instaurer d’autres formes d’unions, ou encore à améliorer le PACS. Ces sujets pourront être mieux abordés lors de l’examen du projet de loi relatif à la famille dont le Gouvernement a annoncé le dépôt d’ici à la fin de l’année.
Pour conclure, vous l’aurez compris, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité que ce projet de loi important soit étudié dans les meilleures conditions possibles et fasse l’objet d’un examen sérieux en séance plénière, comme ce fut le cas en son sein.
Pour ma part, je le répète, je respecte toutes les opinions exprimées…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais nous aussi !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à la dignité des personnes, ce qui n’a pas toujours été le cas en dehors de cet hémicycle.
Par conviction, mais aussi par réalisme, je pense que le législateur doit prendre en considération l’évolution de la société en ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, mais aussi fixer des bornes aux possibilités extrêmes que la recherche médicale et la mondialisation offrent en matière de procréation. Les enfants qui sont nés ou qui naîtront grâce au recours à ces possibilités ne peuvent en être tenus pour responsables et ont droit, comme les autres, à la protection de la loi. C’est la raison pour laquelle, mesdames les ministres, je vous demande instamment de présenter rapidement un projet de loi sur la famille qui prenne en considération toutes ces exigences, notamment la prise en compte de la filiation sociale.
Comme nous l’a très bien dit Françoise Héritier, les sociétés ont toujours trouvé des compromis. Dans un article publié en 1989, Claude Lévi-Strauss nous guide dans cette exigence : « Le conflit entre parenté biologique et parenté sociale, qui embarrasse chez nous les juristes et les moralistes, n’existe donc pas dans les sociétés connues des ethnologues. Elles donnent la primauté au social sans que les deux aspects se heurtent dans l’idéologie du groupe ou dans la conscience de ses membres. »
M. François Rebsamen. Absolument !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Sous le bénéfice de ces observations, je vous prie, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le projet de loi, tel que modifié par la commission des lois. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous vivons là un moment important et entrons, à notre manière, dans l’histoire de France (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Gérard Longuet. Par la petite porte !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … comme toutes celles et tous ceux qui, bien avant nous, ont fait le choix, souvent courageux, de s’opposer aux conservatismes et d’offrir à leurs concitoyens de nouveaux droits et de nouvelles libertés individuelles et collectives.
Il est inutile de le nier, ce texte a suscité des remous dans la société française (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.),…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et ça continue !
M. Bruno Sido. C’est clair, mais vous les méprisez !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … comme chaque fois qu’une loi de progrès social et sociétal a été proposée ; ni plus, ni moins.
Cela démontre, s’il en était besoin, qu’il existe une forte attente du plus grand nombre et une résistance au changement d’une autre partie de la population. Il en est souvent ainsi en France quand on crée des droits nouveaux, particulièrement en matière de normes sexuelles ou familiales. On nous prédit alors l’effondrement de la société, la perte des repères, bref le chaos !
M. Charles Revet. Le chaos, vous êtes en train de le provoquer !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cependant, mes chers collègues, nous le savons, il n’en sera rien avec cette loi, pas plus qu’avec les précédentes.
Je dois d'abord vous dire ma fierté d’avoir participé activement aux travaux parlementaires et contribué, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales du Sénat, à cette avancée historique que constitue l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Je dois dire aussi le plaisir que j’ai eu à travailler en étroite collaboration avec Jean-Pierre Michel, que je remercie pour la très grande qualité des auditions organisées par la commission des lois et son président, ainsi que pour le climat serein et toujours respectueux qui a prévalu.
Nous avons entendu des juristes, des psychiatres, des représentants des collectivités territoriales, des responsables des cultes, des membres d’associations,…
M. Charles Revet. Vous devriez tenir compte de ce qu’ils ont dit !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … des porte-parole des familles, des ministres, des experts de l’adoption : près de cent personnes, opposées ou favorables au projet de loi, ont pu s’exprimer. Je crois – tout le monde en conviendra – que le Sénat a fait son travail,…
M. Gérard Longuet. Superficiel !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … dans un esprit de sérieux et de complémentarité avec celui de l’Assemblée nationale. On peut donc dire que le débat a eu lieu ; l’heure est désormais au vote.
Au-delà des éclairages qu’elles nous ont apportés, ces auditions ont permis de tracer certaines perspectives complémentaires, qui mériteront d’être traitées dans le cadre de la discussion du futur projet de loi sur la famille ; j’y reviendrai.
S’il faut entendre et comprendre les motifs de crispation d’une partie de nos concitoyens et concitoyennes, il ne faut pas, pour autant, renoncer à avancer lorsque l’on a la conviction qu’un texte est juste et nécessaire, comme c’est le cas aujourd’hui.
Nous avons lu ou entendu de nombreuses contre-vérités, lors des auditions, dans la presse ou dans la rue. Permettez-moi d’en corriger un certain nombre et d’ajouter quelques commentaires.
Ce texte ne crée pas un « mariage gay » ; il ne crée pas une union civile différenciée selon le profil du couple ; il fait entrer tous les couples dans l’universalité du mariage républicain. C’est un choix fort, un texte incluant, qui s’inscrit dans la lignée des grandes lois qui ont marqué l’histoire de la lutte contre les discriminations dans notre pays.
Nous connaissons la force du droit sur l’évolution des normes sociales. Le PACS avait déjà ouvert cette voie il y a quinze ans. Aujourd’hui, garantir aux couples homosexuels des droits identiques à ceux des couples hétérosexuels fait de l’homosexualité une orientation sexuelle possible, et non plus anormale, déviante ou dramatique.
Notre démarche s’inscrit en outre dans un mouvement international qui invite à la tolérance à l’égard des personnes homosexuelles, toujours gravement menacées dans de nombreux pays. La France, patrie de référence en matière de droits humains, s’honore en rattrapant son retard.
Ce texte ne réduit en rien les droits des couples hétérosexuels. Il ne leur enlève rien. Il ne changera pas leur quotidien et n’entraînera pas de bouleversement incontrôlé et irrémédiable dans notre société. Dirigeons un instant notre regard vers ceux des pays voisins qui ont déjà ouvert ce droit : l’Espagne, le Danemark, la Suède, la Belgique ou encore le Portugal. Que nous disent ces exemples ? Doivent-ils nous faire peur ou nous rassurer ? Eh bien, ni fléau ni calamité ne sont à déplorer ; on remarque juste une normalisation des différentes façons de vivre sa sexualité.
Alors, cessons de craindre le pire et envoyons enfin un message positif à celles et ceux qui ont pour seule particularité d’aimer une personne de leur sexe. Les personnes homosexuelles dont nous parlons ici sont nos enfants, nos frères et nos sœurs, nos petits-enfants, nos voisins et nos voisines, ainsi que tous leurs proches, de tous les milieux sociaux ou géographiques.
Oui, je le dis, un des mérites de ce projet de loi est de faire sortir l’homosexualité de son statut d’anomalie, dans le prolongement des textes qui ont mis fin à son inscription dans la liste des maladies mentales ou dans celle des délits.
Oui, je le dis, je m’étonne que des personnes, des familles, des représentants des cultes, au nom de leur foi religieuse ou de leurs convictions personnelles, se ferment au sort de milliers de jeunes et de moins jeunes qui vivent leur amour dans la clandestinité, subissent la violence et les actes homophobes, voire attentent à leurs jours.
« Celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens », nous a dit Condorcet en son temps, à propos du droit de vote des femmes. Cette phrase se révèle en parfaite résonance avec notre débat.
Ce texte correspond à un véritable projet de société : une société où chacune et chacun a sa place, quel que soit son sexe, quelle que soit son orientation sexuelle. Il est en parfaite cohérence avec la devise de notre République, comme l’ont très justement rappelé Mmes les ministres.
Ce texte permettra aux couples homosexuels de « faire famille ». Oui, assumons-le : il s’agit de continuer à dissocier la sexualité de la parentalité et la famille de son strict rapport au biologique. Ce texte sort la famille du fantasme « une maman, un papa et un enfant » (Protestations sur les travées de l'UMP.),…
Mme Catherine Troendle. Un fantasme ?
M. Gérard Longuet. C’est une plaisanterie ?
M. Charles Revet. Ce n’est pas un fantasme !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … car cette famille-là n’a jamais véritablement existé de manière universelle.
De tout temps, des parents ont mis au monde des enfants qu’ils n’ont pas pu ou pas voulu assumer. De tout temps, des enfants sont nés sans père (Exclamations sur les travées de l'UMP.) ou n’ont eu qu’un seul parent, souvent leur mère. De tout temps, des enfants ont été élevés, au quotidien, par d’autres personnes que leurs père et mère. C’est encore le cas aujourd’hui dans les nombreuses familles dites recomposées.
En fait, ce qui pose problème, c’est non pas ces familles réelles, mais bien cette famille idéalisée, érigée en modèle, cette famille « hétéro-patriarcale-blanche » de préférence, qui est de plus en plus éloignée des réalités. (Vives protestations sur les travées de l'UMP. – Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Bruno Sido. C’est honteux !
M. Jean-Claude Lenoir. Il ne faut quand même pas exagérer !
Un sénateur du groupe UMP. C’est nul !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. La loi doit donc s’adapter pour que chacun et chacune soit reconnu et trouve sa place.
Soyons confiants dans l’avenir de ces enfants élevés par des couples homosexuels ou transsexuels. Ils ne semblent pas aller plus mal que les autres, à ceci près qu’ils souffrent du regard discriminant et du jugement que l’on porte sur eux.
Le présent texte permettra de sécuriser la situation de nombreuses familles homoparentales dans lesquelles, actuellement, les deux parents ne sont pas à égalité de droits face aux enfants. L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra enfin l’adoption de l’enfant du conjoint et donnera une existence juridique pleine et entière à l’autre parent.
Reconnaître ces familles existantes insécurisées par l’absence de cadre légal, passe encore, nous a-t-on dit, mais pas question de permettre l’adoption commune d’un enfant par un couple homosexuel. L’enfant adopté serait plus vulnérable, car il a souffert ; il ne faudrait donc pas lui infliger une particularité supplémentaire. Mais de quoi parle-t-on ? Les enfants adoptés ne sont-ils pas surtout instrumentalisés dans ce débat ? Ces enfants savent qu’ils ont eu une première histoire, ils savent qu’ils sont nés d’autres parents : il n’y a pas de mensonge. L’adoption internationale a d’ailleurs beaucoup fait pour affirmer publiquement cette parentalité choisie. Ce lien a suscité beaucoup d’interrogations, voire dérangé, mais il rentre peu à peu dans la normalité.
Bien sûr, on regarde encore les familles adoptives comme des familles différentes. On leur prédit beaucoup de problèmes, notamment à l’adolescence, car elles seraient des familles « à risque »… Or des travaux présentés à Nantes en 2008 font apparaître que les écarts sont minimes entre ces enfants qui ont souffert de carences et les autres. À mes yeux, le plus grand risque, pour un enfant abandonné, est de ne pas avoir de famille pour la vie !
Non, les enfants adoptés ne sont pas par définition des enfants vulnérables, et leurs familles ne le sont pas davantage. Celles-ci rencontrent des difficultés, comme toutes les autres familles, et y sont peut-être plus sensibilisées, ce qui explique qu’elles aient tendance à consulter davantage les spécialistes. Mais, rassurez-vous, les milliers d’enfants adoptés depuis des dizaines d’années en France vont bien. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Qu’est-ce que vous en savez ?
M. Gérard Longuet. Ils ont des parents hétérosexuels !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Avoir deux parents de même sexe, cela met-il les enfants en difficulté ? Je ne le pense pas, pour peu que la société change son regard sur l’adoption et l’homoparentalité. Le présent texte a justement pour objet de contribuer à cette évolution.
L’autre argument avancé est la rareté des enfants à adopter aux niveaux national et international : il faudrait donc les « réserver » – passez-moi l’expression – en priorité à des couples hétérosexuels, sous-entendu « normaux ». L’adoption n’est pas un droit à l’enfant, rappelons-le : c’est le droit pour un enfant de grandir dans une famille. C’est le projet parental qui prime et qui fait l’objet d’une évaluation dans le cadre de la procédure d’agrément.
M. Bruno Sido. C’est faux, c’est complètement faux !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est cette même démarche qui s’appliquera aux couples homosexuels, qui, pour le moment, ne peuvent pas exposer clairement leur projet commun d’adoption, dans la mesure où un seul de leurs membres peut être officiellement candidat.
La situation de l’adoption internationale est actuellement difficile, car le nombre de postulants et de postulantes est supérieur au nombre d’enfants déclarés adoptables.
M. Charles Revet. Et ce sera encore pire demain !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Même si ce mouvement est assez général à l’échelon international, nous devons poursuivre nos échanges avec les pays étrangers, voire doter notre action diplomatique d’une dimension de protection de l’enfance.
En effet, je ne peux croire que le nombre d’enfants en besoin de famille soit si faible, eu égard aux difficultés évidentes constatées dans certains pays. On peut, de manière très réaliste, supposer que de nombreux enfants « invisibles », car sans état civil, sont en attente d’une famille dans des orphelinats ; certaines associations le disent. À la France de se mobiliser pour aider ces pays à proposer un avenir adapté et décent à ces enfants, sur place ou à l’étranger.
Mme Christiane Hummel. C’est hors sujet !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Beaucoup d’idées reçues ont circulé à l’occasion des auditions ; je voudrais y revenir.
Je réaffirme ici que les deux formes d’adoption – plénière et simple – dont notre pays s’est doté sont pertinentes, car elles répondent à des réalités bien différentes.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. L’adoption plénière, qui remplace la filiation de naissance par la filiation adoptive, répond aux besoins d’un enfant privé durablement de famille. Le lien de filiation ainsi créé accorde à cet enfant les mêmes droits et devoirs qu’à tout enfant qui serait né du couple. Il en va de même des droits et devoirs des parents, qui inscrivent l’enfant dans leur généalogie. L’adoption plénière n’empêche en rien la recherche des origines. Il serait toutefois intéressant de pouvoir mieux l’organiser pour les enfants nés à l’étranger, à l’instar de ce que propose le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, le CNAOP, pour les pupilles de l’État.
L’adoption simple, du fait qu’elle ajoute une nouvelle filiation à la filiation de naissance, correspond principalement à des situations intrafamiliales. On peut raisonnablement penser que c’est cette forme de filiation qui sera le plus fréquemment utilisée dans les situations d’homoparentalité, à travers la reconnaissance des enfants du conjoint. Cependant, ses conséquences juridiques ne sont pas aussi larges que celles de l’adoption plénière, notamment en termes d’accès à la nationalité ou d’inscription dans la famille.
Lors des auditions, il est apparu que ce champ de l’adoption devra être réformé ; nous appelons cette grande réforme de nos vœux, et je sais, madame la garde des sceaux, que vous y travaillez.
Les auditions ont également été l’occasion d’aborder les questions relatives à l’assistance médicale à la procréation. Il nous faudra, à l’évidence, rouvrir ce débat afin d’assurer aux couples de femmes homosexuelles une plus grande sécurité sanitaire et psychologique, en leur permettant d’avoir recours à l’AMP en France.
Mme Catherine Troendle. Et pour les couples d’hommes ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cette orientation est d'ailleurs cohérente avec la proposition qu’avait formulée le Sénat lors de la première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique, il y a deux ans.
Je terminerai en vous présentant rapidement les amendements adoptés par la commission des affaires sociales le 20 mars dernier.
Le premier porte sur l’article 4 ter, inséré par l’Assemblée nationale, qui vise à permettre aux couples pacsés d’adhérer à une association familiale reconnue. Notre amendement tend à élargir ce droit aux couples pacsés sans enfant, pour qu’ils en bénéficient au même titre que les couples mariés sans enfant.
Les deuxième et troisième amendements visent à rétablir, aux articles 11 et 14, des mesures de coordination dans les codes sociaux ayant été malencontreusement supprimées lors de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale.
Le quatrième amendement, quant à lui, a pour objet d’étendre à l’ensemble des salariées et salariés homosexuels, indépendamment de leur situation familiale, la mesure de protection introduite à l’article 16 bis par l’Assemblée nationale au bénéfice des salariées et salariés mariés ou pacsés à une personne du même sexe en cas de refus de mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité.
Cette mesure revêt toute son importance au regard de la situation internationale : l’homosexualité est encore passible de la peine de mort dans sept pays et reste toujours pénalement sanctionnée dans une soixantaine d’autres. Rappelons, d’ailleurs, que la France a récemment, par la voix du Président de la République et de la ministre des droits des femmes, fait part devant l’ONU de sa volonté d’agir en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à vous associer à ce rendez-vous avec l’histoire en votant ce projet de loi, car celui-ci constitue une nouvelle étape dans la longue marche vers l’égalité. Nous apporterons ainsi une pierre de plus à l’édifice républicain et franchirons une nouvelle étape sur les chemins longs et sinueux de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits.
« L’amour de la démocratie est celui de l’égalité », disait Montesquieu. N’est-ce pas notre rôle, à nous parlementaires, à nous élus de la République représentant le peuple français, de mener, au côté de celui-ci, la marche vers l’égalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il y a un mot que nous pourrions placer en exergue à ce débat et à ce texte : le mot « respect ».
Respect pour nos concitoyens…
M. Gérard Longuet. … mariés !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … homosexuels, qui, pendant des décennies, des siècles, ont été vilipendés,…
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … placés dans des situations inimaginables aujourd’hui, contraints de vivre dans la honte. Ces dernières années, beaucoup d’entre eux ont pu passer de la honte à la fierté. N’oublions pas que l’homosexualité fut considérée comme un des péchés les plus considérables par les religions. N’oublions pas qu’elle fut un délit et que ce n’est qu’avec la loi du 4 août 1982, défendue par Robert Badinter, à qui je tiens à rendre hommage ici, que l’homosexualité a cessé d’en être un au sein de la République française.
M. Gérard Longuet. Ce n’était pas un délit !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Comme vous l’avez dit, madame la rapporteur, il existe encore de nombreux pays où l’homosexualité est un délit, un crime, parfois passible de la peine de mort. L’action menée pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité est à l’honneur de la France et nous devrions être unanimes à soutenir celles et ceux qui se battent, ici et dans le monde, pour cette cause profondément juste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
S’il est un mot qui porte fort, qui porte juste, c’est bien celui de reconnaissance. Ce projet de loi répond à une volonté de reconnaissance qui va de pair avec la revendication de l’égalité des droits. Toutes les personnes homosexuelles de ce pays ne veulent pas se marier, mais elles veulent que ce droit leur soit ouvert, comme à l’ensemble de nos concitoyens.
Respect, reconnaissance, égalité : ces mots sont importants pour nous. Il est vrai que le mot « mariage » prendra un sens différent ; c’est justement l’objet de ce texte.
Mme Christiane Hummel. C’est ce qu’on ne veut pas !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je l’ai bien compris, ma chère collègue !
Je voudrais maintenant évoquer l’adoption. Aujourd’hui, dans notre pays, l’adoption par des personnes célibataires est possible.
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Bruno Sido. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dès lors, il y a beaucoup d’hypocrisie à considérer que l’adoption deviendrait impossible si ces personnes ont une communauté de vie avec une personne du même sexe. Je ne parviens pas à comprendre en vertu de quel argument il pourrait en être ainsi.
M. Bruno Sido. Nous vous l’expliquerons au cours du débat !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je suis très frappé par les évolutions intervenues depuis les débats au Parlement sur l’instauration du PACS. À cette époque, on avait l’impression que la France était en ébullition.
M. Philippe Bas. Elle l’était !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je me souviens que le débat fut très vif, en particulier à l’Assemblée nationale. Quelle évolution depuis ! Ceux qui ne voulaient absolument pas du PACS, estimant qu’il s’agissait de quelque chose d’antinaturel,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne s’agissait pas d’un mariage !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … nous disent aujourd’hui qu’il n’est pas utile d’élaborer cette loi de respect, de reconnaissance et d’égalité, puisque le PACS existe. Bienheureux PACS ! Maintenant, vous le soutenez !
M. Roland Courteau. Ils ont toujours un train de retard !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je mesure donc l’évolution qui s’est produite en une décennie. Certains d’entre vous ont expliqué, avec beaucoup de talent d’ailleurs, que, finalement, puisqu’il y a le PACS, il suffit de l’améliorer en lui donnant la forme d’une union civile.
À cet égard, je tiens à rendre hommage, comme nous l’avons déjà fait en commission, au travail de M. Gélard, qui a rédigé un amendement de quatorze pages présentant une alternative construite. Nous ne partageons pas votre position, mais nous reconnaissons le travail accompli, qui consiste en une amélioration du PACS, auquel vous étiez opposés voilà dix ans. C’est la vérité !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il y a dix ans, vous disiez qu’il n’y aurait jamais de mariage !
M. Gérard Longuet. Eh voilà !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mes chers collègues, la société avance. Nous savons tous que lorsque cette loi aura été votée, le mariage de personnes de même sexe passera dans les mœurs et paraîtra naturel, comme dans les autres pays qui l’ont instauré. Je fais le pari que personne ne proposera d’y revenir.
Avant de conclure, je tiens à rendre un hommage particulier à Michelle Meunier et à Jean-Pierre Michel, qui a été attaqué de façon particulièrement déplacée – ce matin encore, nous avons été à ses côtés dans une instance judiciaire –, parce qu’il a fait son travail avec le courage, la sincérité et la générosité qui sont les siens. Je tenais à le souligner à cette tribune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mesdames les ministres, je veux aussi vous remercier de votre travail, de votre sincérité et de votre force de conviction.
Le présent projet de loi porte sur le mariage et l’adoption. Il est des sujets, tels que la PMA et la GPA, sur lesquels nombre d’entre nous s’interrogent, veulent y voir plus clair ou expriment leur opposition.
M. Gérard Longuet. Vous serez obligés d’y venir !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela est légitime, mais le Gouvernement, suivi par la grande majorité des membres de la commission des lois, a décidé que ce texte n’aurait que deux objets : le mariage et l’adoption. Nous traiterons ultérieurement des autres sujets (Exclamations sur les travées de l'UMP.), sur lesquels, au sein de tous les groupes de cette assemblée, des positions divergentes s’expriment,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est normal !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … mais il est inutile d’engager aujourd’hui un débat sur des dispositions qui ne figurent pas dans le texte.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si, ça y est déjà !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est pourquoi la commission des lois a émis, à une forte majorité, un avis défavorable sur les amendements portant sur les sujets que je viens d’évoquer : débattons de ce qui nous est proposé par le biais du présent projet de loi.
Nous avons choisi de procéder à de très nombreuses auditions, auxquelles tous les sénateurs ont été conviés.
M. Bruno Sido. Elles n’étaient pas toutes de qualité…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Beaucoup d’entre vous y ont participé. Elles ont été menées avec un grand respect pour les positions des uns et des autres, loin de toute démarche simpliste. Nous avons entendu de brillants anthropologues, ethnologues, sociologues, des travailleurs sociaux, des représentants d’associations familiales et, bien sûr, de tous les cultes, ainsi que des juristes.
M. Charles Revet. Ils se posent beaucoup de questions !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La réflexion que nous avons menée ensemble sur l’adoption a débouché sur le constat qu’il reste encore du travail à faire.
Je souhaite vivement que l’esprit qui a marqué les dix heures de travail au sein de la commission et les cinquante heures d’auditions perdure en séance plénière. Quelles que soient nos positions, je forme le vœu que ce débat soit à l’honneur du Sénat, qu’il se déroule dans un climat de sérieux, de sérénité, d’approfondissement, de respect de tous nos frères et sœurs en humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Amen ! sur certaines travées du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en inscrivant le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe à l’ordre du jour du Parlement, le Gouvernement ouvre la voie à une évolution majeure du droit pour toutes et tous et permet qu’un grand pas soit franchi en matière de lutte contre les discriminations.
Oui, ce projet de loi est une chance de faire avancer l’égalité des droits des individus, dans le respect des principes républicains, mais aussi de la philosophie et des croyances de chacune et de chacun. Il s’agit bien pour nous, aujourd’hui, de garantir le respect des principes républicains : rien de plus, mais rien de moins.
Je voudrais tout d’abord apporter quelques précisions qui nous éviterons, je l’espère, de tomber dans la violence qui a marqué les débats à l’Assemblée nationale. Cette violence me semble beaucoup plus liée au refus d’accepter que des couples homosexuels veuillent fonder légalement une famille qu’à une homophobie généralisée, même si l’homophobie est réelle chez certaines et chez certains : il faut le dire et le dénoncer. Je souhaite, comme nombre d’entre vous, que le débat porte sur le fond du projet de loi et qu’il se déroule sereinement, dans le respect des positions de chacun.
Pour apaiser le débat, nous devons utiliser les bons termes. Ainsi, le projet de loi vise à autoriser non pas le mariage pour tous, mais le mariage civil des personnes de même sexe. Il ne s’agit donc pas de célébrer n’importe quelle union, comme certains détracteurs du projet de loi continuent de le prétendre !
Premièrement, tout le monde n’est pas concerné par le dispositif du projet de loi. L’inceste est exclu, la prescription de minorité est respectée, de même que restent interdites les unions si souvent évoquées par certains opposants au projet de loi : la polygamie, pour parler clairement.
Deuxièmement, le projet de loi ne concerne que le mariage civil ; faut-il encore le rappeler ? Il n’impose à personne des choix moraux qui ne seraient pas les siens. Ne pas imposer, mais protéger : c’est l’un des fondements de notre laïcité. Qu’est-ce donc que le mariage civil ? Plus précisément, quel est l’objet de cette institution laïcisée en 1792 ? La réponse à cette question importe car, en réalité, la manière dont on comprend et dont on interprète le projet de loi dépend en grande partie de l’idée que l’on se fait du mariage civil.
Porteur de droits, mais aussi d’obligations, le mariage civil, pour le législateur, n’est rien de moins ni rien de plus que le statut juridique le plus protecteur que l’État puisse offrir à ce jour à deux personnes désireuses de s’unir et d’organiser leur vie commune. Nous devons mesurer que s’il attire ceux qu’il refoule, c’est probablement que, loin d’être seulement un symbole, il s’accompagne d’un certain nombre de droits auxquels ni le PACS ni le concubinage ne donnent actuellement accès.
Mes chers collègues, nous pouvons nous étonner que, au moment où de nombreux couples hétérosexuels refusent le mariage, se tournant vers le PACS ou vers l’union libre, de nombreux couples homosexuels manifestent un tel désir de se marier. Longtemps stigmatisé comme ringard et réactionnaire, le mariage semble devenir, au XXIe siècle, une revendication de progrès pour ces couples.
En fait, ce n’est certainement pas l’institution du mariage qui apparaît comme un progrès, mais la possibilité d’accéder au régime juridique qu’il offre. Sauf à recatholiciser le mariage, le législateur doit ouvrir ce statut protecteur aux couples de personnes de même sexe, afin qu’ils puissent se marier dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les couples hétérosexuels et, ce faisant, accéder à l’égalité des droits et des devoirs.
Reste que, pour certains, le mariage demeure à l’évidence chargé d’une forte connotation religieuse. Plus largement, il est perçu comme une institution immuable, porteuse d’une certaine idée de la morale. Cependant, dans un État laïc, le rôle du législateur n’est pas de moraliser la société.
M. Charles Revet. Ce n’est pas ce que nous disons.
Mme Cécile Cukierman. Notre rôle est de nous saisir des attentes de la population pour légiférer dans le sens de l’intérêt général ; en l’occurrence, celui des adultes qui deviennent parents ou qui demandent à le devenir et celui des enfants nés et élevés dans des familles dont les parents sont homosexuels. Mes chers collègues, c’est le souci de cet intérêt qui devra guider notre vote.
Ces enfants ont droit eux aussi à la protection qui découle de l’établissement de liens de filiation avec ceux qui s’occupent d’eux au quotidien, les entourent, les aiment, les élèvent et les éduquent pour leur permettre de devenir des citoyens. Ma collègue Isabelle Pasquier présentera de façon plus détaillée notre position sur ce sujet, en rappelant que, à cet égard aussi, nous devons veiller à protéger et à ne jamais exclure.
Mes chers collègues, nous avons toutes et tous été interpellés, par le biais de courriers, de tracts et de manifestations, par ceux qui nous demandent de nous opposer à ce projet de loi. Nous l’avons été aussi par ceux qui souhaitent que nous l’adoptions, même s’ils ont été moins médiatisés.
Nous avons dernièrement reçu un courrier signé de 170 juristes qui s’autoproclament défenseurs des libertés individuelles et établissent de façon inadmissible un lien entre le statut de criminel et celui d’homoparent. Je rappellerai à ces professeurs, tout émérites qu’ils soient, que le mot « criminel » a un sens juridique dont il ne convient pas d’abuser. Modestement, mais fermement, je leur rappellerai aussi que s’ils revêtent l’habit de défenseur des libertés individuelles, l’humble rôle du législateur est non seulement de garantir ces libertés, mais aussi de corriger les inégalités au lieu de creuser des différences : tel est justement l’objet de ce projet de loi. Oui, nous sommes là pour protéger toutes et tous !
Je ne dénie pas aux auteurs de ce texte le droit de soutenir leurs raisonnements. Ils le peuvent légitimement, comme tout citoyen, et certains de nos collègues ne manqueront certainement pas de relayer leurs arguments.
Pour ma part, je suis convaincue, comme sans doute une grande majorité d’entre vous, mes chers collègues, que ce débat a déjà trop tardé et que notre société a bien fait de s’emparer de l’injustice faite aux couples homosexuels, à la suite de plusieurs autres pays. En créant ce droit supplémentaire, notre pays ne peut que se grandir, comme ce fut le cas avec l’adoption d’autres mesures sociétales et politiques telles que le droit de vote des femmes, le droit à la contraception et le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
Si j’évoque ces droits, c’est parce qu’il est frappant de constater que les arguments avancés aujourd’hui par les opposants au mariage civil pour les couples homosexuels sont identiques à ceux qui furent opposés aux lois émancipatrices les ayant instaurés. En effet, rappelez-vous, la démocratisation de la contraception et le droit à l’IVG ont été combattus par certains au nom de la supériorité naturelle, des fonctions que la nature aurait assignées à chacun ; selon leurs détracteurs, ces nouveaux droit émancipateurs allaient détruire la famille. Souvenons-nous aussi du débat sur la dépénalisation de l’homosexualité ouvert par Robert Badinter. À l’occasion de tous ces débats, des médecins, des scientifiques, des juristes et autres experts ont défilé pour alerter les parlementaires sur les hypothétiques dérives que l’adoption de ces mesures allait provoquer. Tout en les écoutant, le législateur n’a jamais fléchi ; je pense qu’aujourd’hui l’histoire lui donne raison ! (Mme la rapporteur pour avis acquiesce.)
Aujourd’hui, notre société souffre, mais ses maux, la vie pénible de nombreuses familles tiennent non pas à la pilule, à l’IVG ou à la dépénalisation de l’homosexualité, mais à la crise, à l’ultralibéralisme, au capitalisme tout-puissant qui, loin de protéger, divise, domine, appauvrit et exclut ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Le présent texte modernisera et démocratisera le mariage. À ce titre, il s’inscrit dans la lignée des grandes réformes du droit de la famille, comme l’assouplissement des règles du divorce,…
M. Philippe Bas. Merci Giscard !
Mme Cécile Cukierman. … la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels ou l’attribution aux deux parents de l’autorité parentale. Il rejoint la marche inéluctable du progrès en accompagnant les évolutions sociétales tout en protégeant chacune et chacun, adultes et enfants.
On ne peut nier que la société a bien évolué ces dernières décennies, tout comme la famille ; celle-ci est aujourd’hui « séparée », « recomposée », « monoparentale ». D’amour en désamour, chacun construit sa vie. La famille d’aujourd’hui s’inscrit dans un PACS, un mariage ou un concubinage. Ces évolutions de fait cassent le cadre trop restreint du couple hétérosexuel marié se jurant fidélité jusqu’à la fin. C’est un constat indéniable, quoi que l’on puisse en penser.
D’ailleurs, il ne s’agit plus aujourd’hui de reconnaître l’existence de couples et de parents homosexuels, mais simplement de constater leur légitimité, qui suppose aussi l’ouverture du droit au mariage et à la parentalité.
Ce débat interroge, passionne ; il est partout dans l’actualité ces derniers mois.
Une sénatrice du groupe UMP. Il n’y a pas que lui !
Mme Cécile Cukierman. La passion que ce débat suscite reflète l’importance des valeurs que le projet de loi met en jeu, à savoir les valeurs républicaines fondamentales auxquelles la société française est attachée. Pour ses détracteurs, le texte s’attaquerait à ces valeurs ; il me semble au contraire qu’il les conforte, comme je vais maintenant le montrer en les évoquant l’une après l’autre.
En ce qui concerne d’abord la liberté, le projet de loi renforce celle de se choisir, de vivre ensemble, de fonder une famille.
Le texte conforte ensuite l’égalité, car c’est bien d’égalité qu’il s’agit, contrairement à ce que nous avons pu entendre : l’égalité de droits et l’égalité de choix entre les différentes formes d’union possibles.
Si les plus hautes juridictions françaises et européennes n’ont pas jugé que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier constitue une discrimination, elles ne ferment aucunement la porte à ce type de mariage.
De fait, la décision ne peut venir que du législateur. Il nous appartient d’écrire le droit de demain, marquant forcément une évolution par rapport à celui d’hier. Nous ne pouvons que constater, comme la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité hier ou le Défenseur des droits aujourd’hui, que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier produit des inégalités et des discriminations indirectes, dès lors que le pacte civil de solidarité ne garantit pas aux couples qui le contractent des droits équivalents à ceux dont bénéficient les personnes mariées.
Pour lutter contre ces discriminations, nombre de nos collègues siégeant à droite de l’hémicycle proposent une alternative consistant à aligner le régime du PACS sur celui du mariage ou à créer une union civile. Comme l’explique dans son excellent rapport notre collègue Jean-Pierre Michel, dont je tiens à saluer le travail, le principe d’égalité de tous les citoyens face aux institutions commande que l’on ne crée pas un « mariage bis » pour une catégorie de citoyens. Je le répète : protégeons, incluons et ne discriminons pas.
On a beaucoup parlé des manifestations contre ce projet de loi, mais il y en a eu aussi d’organisées pour le soutenir. Je me rappelle la pancarte tenue par un homme manifestant en faveur de l’adoption du texte ; il y était écrit : « l’égalité, ça ne se négocie pas ». J’ajouterai que l’égalité, ça s’applique !
Mes chers collègues, le mariage n’est pas qu’un symbole, mais il en est aussi un : c’est pourquoi ce projet de loi s’inscrit dans une politique de reconnaissance sociale des personnes homosexuelles, dans une politique de lutte contre la discrimination.
Si nous rejetons ce texte, comment expliquerons-nous, notamment aux jeunes générations, qu’il est important de lutter contre l’homophobie au même titre que contre le racisme ou le sexisme ? S’opposer farouchement au présent projet de loi, c’est vouloir perpétuer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, établir en creux une hiérarchisation des individus et des familles.
Enfin, ce projet de loi promeut la fraternité, par l’ouverture à l’autre qu’il implique. Pour moi, sur cette question de société comme sur bien d’autres, la normalité, c’est la diversité.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Dès lors, c’est en acceptant cette diversité que nous pourrons vivre ensemble dans un monde tout simplement plus humain. Il me semble qu’il faut aller aujourd’hui au bout de la démarche et respecter tous les individus, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre. Ainsi, chacun fera demain partie d’une société où ne se posera plus la question de la « normalité » d’une famille, d’un couple ou d’un individu.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera ce projet de loi. Ce faisant, il se prononcera en faveur d’une société plus juste, plus respectueuse, plus protectrice, défendant la fraternité dans la République. Il soutiendra jusqu’au bout les objectifs de liberté et d’égalité qui sous-tendent cette réforme. Mes chers collègues, je suis persuadée que la famille et notre société en sortiront renforcées ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous vivons un moment important ; je crois même pouvoir dire qu’il est historique. Chacun doit mesurer la responsabilité qui est la sienne alors qu’il est question de modifier l’organisation même de notre société à travers l’institution de la famille.
Le Gouvernement a fait le choix de soumettre ce projet au Parlement plutôt qu’au peuple.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est dommage !
M. François Zocchetto. Mesdames les ministres, vous en aviez parfaitement le droit, mais ce choix ne vous interdisait pas d’accorder un minimum de considération et d’écoute aux millions de Français qui n’adhèrent pas à votre thèse ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Nous, sénateurs et sénatrices centristes, considérons qu’en aucun cas les conventions sociales ne sauraient primer sur la souffrance vécue par un grand nombre de nos concitoyens, qui ressentent un profond sentiment d’injustice.
Une société humaine est un organisme vivant. Elle croît, évolue, change avec le temps ; c’est d’autant plus vrai dans nos sociétés occidentales. Notre droit civil n’a donc rien d’intangible, d’autant qu’il se veut extrêmement complet et invasif. Notre droit de la famille, comme de nombreuses autres branches du droit, doit pouvoir évoluer et s’adapter, en particulier aux évolutions sociales.
Nous sommes donc ouverts au principe de la réforme. Nous avons jadis reçu l’héritage législatif de Simone Veil et, comme nous l’avons déjà démontré plus récemment, nous savons dépasser une attitude d’opposition caricaturale et soutenir des initiatives lorsqu’elles nous semblent aller dans le bon sens. Tel est notre état d’esprit.
Venons-en maintenant à la question du mariage, qui semble être l’une des institutions les mieux partagées du monde. Quelle que soit la forme du lignage ou de la famille dans telle ou telle société, je ne connais pas de civilisation qui n’ait eu une institution de cette nature.
Le mariage est l’union de deux personnes en vue de la fondation d’une famille : telle est la conception retenue dans le code civil. Un premier constat s’impose : au plan historique, les sociétés humaines restent fondées sur l’altérité du féminin et du masculin en tant que principe de la filiation. Un second constat s’impose également : si toutes les sociétés permettent le mariage, sous une forme ou une autre, la conception française du mariage civil, issue du code civil de 1804, est très spécifique.
Le fait que le terme « mariage » se retrouve dans la plupart des systèmes juridiques étrangers n’implique pas que tous nos voisins en aient la même conception que nous. Aussi les comparaisons, souvent un peu rapides et superficielles, avec les évolutions législatives du mariage chez certains de nos voisins européens ne sauraient-elles suffire à justifier votre réforme, madame la garde des sceaux. Une telle démarche n’est pas pertinente. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Nous sommes par ailleurs attachés à la diversité de régimes existant déjà dans notre droit, pour le couple mais aussi pour la famille. Cette pluralité est synonyme de liberté, pour chacun, de choisir le cadre qui lui convient, d’opter pour un système encadré juridiquement ou beaucoup plus souple et ouvert. Ainsi, en 2013, trois régimes existent déjà : le concubinage ou union libre, le pacte civil de solidarité et le mariage. Nous sommes, ainsi que nos concitoyens, très attachés à cette diversité.
Pour autant, ces différents cadres juridiques sont-ils suffisants et adaptés à l’évolution des couples et à la diversité des familles d’aujourd’hui ? Sans doute pas, nous en convenons. Nous entendons en particulier la demande des couples homosexuels, leur désir d’une reconnaissance sociale accrue.
En effet, il y a aujourd’hui plus de solennité dans la signature d’un acte d’achat ou de vente d’un bien immobilier que dans la signature d’un PACS, ce qui, reconnaissons-le, n’est pas normal.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vrai !
M. François Zocchetto. Aussi notre groupe milite-t-il pour l’instauration d’une union civile ouverte à tous les couples. L’union civile que nous vous proposerons d’instituer au travers de nos amendements est non pas un contrat, mais un engagement entre deux personnes. Célébrée en mairie, elle conférerait les mêmes droits et les mêmes devoirs que le mariage, notamment en matière patrimoniale, mais – différence fondamentale avec le mariage – elle n’aurait pas d’effet sur la filiation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Pourquoi ce choix ? Justement pour préserver la conception actuelle du mariage civil, car, en droit français, même si certains semblent l’ignorer, on déduit du mariage la filiation, que ce soit à travers la présomption de paternité ou l’adoption.
M. Alain Gournac. Voilà !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Il faut évoluer !
M. François Zocchetto. C’est une évidence juridique, mais je crains que, même parmi nous, certains n’en soient pas totalement empreints.
C’est pour cette raison qu’une large majorité de notre groupe est opposée à votre projet de loi, madame la garde des sceaux. Nous avons tous pu le mesurer, c’est non pas la question de la conjugalité, mais celle de la filiation qui agite le débat public.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. François Zocchetto. On a souvent rétorqué à ceux qui souhaitent protéger la forme actuelle de la famille que celle-ci repose sur une inégalité excluant, de fait, les couples homosexuels. Les couples hétérosexuels bénéficieraient d’un droit que l’on refuserait aux autres par pur conformisme. Je pose la question, madame la garde des sceaux : y a-t-il un droit à l’enfant pour le couple hétérosexuel ? Je pense, comme la totalité des membres de mon groupe, qu’il n’y a jamais eu de droit à l’enfant pour un couple hétérosexuel. Un tel couple peut donner la vie, la loi est là pour organiser les choses, mais la filiation reste une éventualité pour les parents ; c’est une liberté que la vie elle-même offre, le législateur ne peut avoir cette prétention.
M. Philippe Esnol. Quel rapport ?
M. François Zocchetto. C’est le fond du sujet, mon cher collègue !
Existe-t-il, pour autant, un droit à l’adoption dans notre législation actuelle ? Non : il y a un droit à la famille pour des enfants qui n’ont pas de famille, mais il n’y a pas de droit à l’adoption. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendle. Bravo !
M. François Zocchetto. C’est une erreur fondamentale de considérer l’adoption à l’aune des situations marginales qu’elle a pu engendrer : c’est méconnaître sa vocation originelle.
Nous abordons ici le véritable enjeu de cette réforme. C’est aussi le moment où nous sommes confrontés à une vérité absolue, incontournable : pour procréer, pour donner naissance à un enfant, il faut un homme et une femme, quels que soient les moyens utilisés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui, c’est la nature !
M. François Zocchetto. Nous pouvons changer la loi,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … mais pas la nature !
M. François Zocchetto. … mais celle-ci ne peut dépasser la vérité que je viens de rappeler.
M. Jackie Pierre. Bravo !
M. François Zocchetto. Dans le même esprit, on ne saurait décréter le beau temps ou créer un droit opposable au bonheur : le législateur doit faire preuve de modestie et de prudence. « La loi n’est pas un acte de puissance », a-t-il été dit tout à l’heure.
La préoccupation première, celle qui prime sur toutes les autres et qui aurait dû guider votre réforme, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous aurons l’occasion de souligner, au cours de l’examen des articles, que l’obligation juridique de respecter avant tout l’intérêt supérieur de l’enfant résulte notamment de nos engagements internationaux, lesquels, curieusement, ne sont jamais évoqués dans l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi.
La démarche du Gouvernement, qui a choisi de découper sa réforme de la famille en plusieurs textes dont on ne connaît pas les contours, manque de clarté. Dès lors que, en droit français, le mariage renvoie à l’enfant à travers l’adoption et la filiation, il est impossible de ne pas aborder dans le même cadre les questions de la PMA et de la GPA (Applaudissements sur les travées de l'UMP.), surtout lorsque l’on justifie une telle réforme en invoquant la notion d’égalité : quid, en effet, de l’« égalité » entre couples homosexuels de femmes et couples homosexuels d’hommes ? Les seules issues possibles seront la PMA pour les couples de femmes et la GPA pour les couples d’hommes.
Mme Catherine Troendle. Eh oui ! Tout à fait !
M. François Zocchetto. Convenez que, sur ces points, les hésitations et les approximations ne manquent pas. D’ailleurs, quand on entend le Président de la République s’exprimer sur ce sujet, qui requiert beaucoup d’expertise et de discernement, on n’y comprend rien ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) Si vous vouliez prendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique, alors il fallait attendre ! Nous aurions ensuite pu légiférer globalement sur la famille.
En conclusion, je dirai que nous ne savons pas où nous allons. Vous demandez au législateur de prendre un risque, contre l’avis d’une part importante de la population ; dans la mesure où il s’agit d’enfants que l’on n’entendra que lorsqu’il sera trop tard, j’estime que nous ne le pouvons pas ! (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est avec une émotion particulière que je m’exprime au nom des sénateurs radicaux de gauche, au moment où notre assemblée entame l’examen de ce qui est bien plus qu’un simple projet de loi. Ce débat s’inscrit en effet dans la lignée de ceux, emblématiques, qui ont porté sur la loi Veil, l’abolition de la peine de mort, l’instauration du PACS… (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Nathalie Goulet. Ah non !
M. Alain Gournac. L’abolition de la peine de mort !...
M. Jean-Michel Baylet. Parfaitement, mon cher collègue ! J’étais député, en 1981, et j’ai voté l’abolition de la peine de mort. Je me souviens encore de ce que vos amis politiques disaient à l’époque ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Beaucoup d’arguments, pas toujours de bonne foi, ont été échangés sur la question de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Je souhaite cependant que la discussion de ce projet de loi, ou plutôt la manière dont se dérouleront nos débats, permette un travail législatif de qualité, qui fasse honneur à notre assemblée, car il y va, mes chers collègues, de notre responsabilité collective, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
Je veux tout d’abord saluer le vaste travail accompli par le rapporteur, Jean-Pierre Michel, qui a su mener sa mission avec respect et assurance. Les auditions – une quarantaine au total – nous ont permis d’entendre les responsables d’associations d’élus, des représentants des cultes, des scientifiques, des philosophes, des juristes…
De ces dizaines d’heures de travail préparatoire – bien sûr indispensables – à l’examen du texte, je ressortirai plus particulièrement ces mots de l’anthropologue Françoise Héritier, qui nous interroge sur ce qui constitue notre humanité :
« Le propre de l’humain est de réfléchir à son sort et de mettre la main à son évolution. Il n’a aucune raison de refuser des transformations dans l’ordre social au seul motif que ses ancêtres ne vivaient pas ainsi il y a plusieurs millions d’années. (M. Vincent Eblé applaudit.) Il accepte bien les innovations technologiques, il les recherche même. Pourquoi repousser celles ayant trait à l’organisation de la société ? Le mariage, cadre à forte charge symbolique, est devenu pensable et émotionnellement concevable comme ouvert à tous, ce qui correspond aux exigences comme aux possibilités du monde contemporain, donc de notre caractère d’être humain. »
Pour en revenir à des considérations plus politiques, je m’attarderai sur l’opportunité de discuter aujourd’hui d’une telle réforme. Certains commentateurs de la vie politique ou opposants au texte posent la question suivante : « Pourquoi discuter d’un tel texte de loi, alors que notre pays traverse la plus grave crise de ces dernières décennies ? » (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. C’est vrai !
M. Jean-Michel Baylet. Cela revient donc à affirmer que des avancées ne sauraient intervenir qu’en période de prospérité. En 1974-1975, était-il futile de légiférer sur l’interruption volontaire de grossesse alors que notre pays subissait les conséquences du premier choc pétrolier ? Bien sûr que non ! Je pense pour ma part qu’il n’y a jamais de mauvais moment pour faire avancer l’égalité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
À ceux qui opposent le social au sociétal, je rappellerai les textes discutés dans cet hémicycle depuis l’été dernier, portant création des emplois d’avenir, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, des contrats de génération… Aujourd’hui même, les députés débattent de la transcription législative de l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi, texte déterminant en matière de compétitivité de nos entreprises et de sécurité pour les salariés.
J’ajoute que les réformes sociétales, comme les réformes sociales, ont toute leur place dans les projets du quinquennat : cela avait été dit et promis.
Si nous sommes saisis aujourd’hui d’un texte ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, c’est que nous sommes à la conjonction de deux mouvements : le premier tend à considérer le mariage à la fois comme un contrat et comme une institution en perpétuelle évolution ; le second vise à l’inclusion des personnes homosexuelles au sein de la société.
Madame la garde des sceaux, vous avez brossé, alors que vous présentiez ce texte devant l’Assemblée nationale avec l’ardeur et le lyrisme que nous vous connaissons, un panorama des évolutions du mariage au fil de celles qu’a connues la société. Je me bornerai donc à rappeler quelques étapes.
Tout d’abord, l’article 7 de la Constitution du 3 septembre 1791 opère une sécularisation du mariage, qui, aux yeux de l’État, est non plus un sacrement, mais un contrat civil. Tout le monde doit l’entendre, y compris dans la rue !
Le mariage tel qu’il est aujourd’hui procède d’un cheminement dont un certain nombre de lois constituent autant d’étapes décisives.
Ainsi, la loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale a institué une pleine égalité entre les conjoints et substitué l’autorité parentale à l’autorité paternelle.
M. Philippe Bas. Pompidou !
M. Jean-Michel Baylet. Oui, je vous l’accorde, à une certaine époque, la droite était un peu plus progressiste qu’elle ne l’est aujourd’hui ! (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
La loi de juillet 1975 a modernisé le droit du divorce.
De même, s’agissant de la filiation, il y a un avant et un après la loi du 3 janvier 1972, texte qui posa le principe de l’égalité entre enfants légitimes et enfants naturels.
Plus récemment encore, s’agissant de la transmission des patronymes, la loi du 18 juin 2003 a disposé qu’un enfant peut porter soit le nom de sa mère, soit le nom de son père, soit les deux.
M. Philippe Bas. Merci Chirac !
M. Jean-Michel Baylet. Je ferai le même commentaire que précédemment, monsieur Bas ! Ressaisissez-vous, chers collègues de l’opposition, voyez quel mauvais coton vous filez ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
Ces évolutions du mariage apportent la démonstration que celui-ci est bien une institution vivante. Parallèlement, qu’on le veuille ou non, se sont développées des formes alternatives de familles. En effet, gardons à l’esprit qu’aujourd’hui plus de la moitié des enfants naissant en France sont issus de couples non mariés. Familles divorcées, familles recomposées, familles hors mariage, familles monoparentales et familles homoparentales sont donc une réalité que nul ne peut sérieusement contester.
Mes chers collègues, ayons le courage de regarder notre société en face. Ne faisons pas comme ceux qui s’ébrouent entre Neuilly et l’avenue de la Grande-Armée ; la proximité de l’hippodrome de Longchamp n’oblige pas au port d’œillères ! (M. le rapporteur applaudit.)
M. Alain Gournac. Arrêtez ! C’est cela, votre grand débat ?
M. Jean-Michel Baylet. Le second mouvement que j’évoquais est plutôt un combat pour l’acceptation par la société d’une sexualité sortant du schéma traditionnel homme-femme.
Arrêtons-nous un instant sur l’histoire de l’homosexualité. Longtemps criminalisée, car jugée subversive et contre nature, elle fut, pendant de longs siècles, durement et cruellement réprimée. Elle fut ensuite perçue comme une « atteinte aux bonnes mœurs » et même considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé, qui la classa comme telle, et par le droit français, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix.
Je veux évoquer le rôle prépondérant joué, dans cette longue marche vers l’égalité, par Henri Caillavet, ancien sénateur radical récemment disparu, qui déposa ici même, dès 1978, une proposition de loi visant à abroger les discriminations légales dont les homosexuels faisaient l’objet. Parlementaire exigeant, homme de tolérance, guidé par son grand humanisme et son indépendance d’esprit, il fut le premier à oser brandir l’étendard de l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle. Nous, radicaux de gauche, sommes ses héritiers et continuons aujourd’hui son combat.
Mes chers collègues, en 1999, un pas décisif fut franchi avec l’instauration du pacte civil de solidarité.
Je me souviens – c’est l’apanage des parlementaires disposant d’une certaine expérience – des débats qui ont entouré sa création. J’y vois même des analogies avec les discussions sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Je me remémore les prises de parole outrancières, les arguments alarmistes, les esclandres et chausse-trappes parlementaires. Bref, le présent débat a comme un air de déjà-vu.
Or qui, aujourd’hui, remet en cause le PACS ? Entre 2002 et 2012, soit en dix ans, personne, dans la majorité d’alors, pas même ceux qui s’étaient montrés les plus virulents contre l’institution du PACS, n’a souhaité revenir sur cet acquis.
Depuis l’instauration du PACS et le renforcement de certaines dispositions, des procédures ont été lancées, notamment auprès du Conseil constitutionnel, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais également auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, afin d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. Les décisions de ces deux juridictions n’ont, au final, pas surpris ; elles ont permis d’alimenter le débat et ont renforcé l’idée qu’une telle réforme doit découler d’un choix politique.
C’est la raison pour laquelle, au nom des radicaux de gauche, j’ai porté cette proposition lors de la campagne des primaires citoyennes ; aujourd’hui, madame la garde des sceaux, j’apporte naturellement mon soutien sans réserve à votre texte.
Au-delà du symbole, si fort soit-il, il nous revient, en notre qualité de législateur, de prévoir les implications concrètes de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Cela nous impose de veiller à la qualité du texte sur le plan du droit, et nous serons donc tout particulièrement vigilants au cours de l’examen des articles. On l’a répété, il s’agit non pas de modifier les règles en vigueur pour les couples hétérosexuels, mais d’appliquer et d’adapter ces règles aux couples de personnes de même sexe. D’aucuns auraient préféré que l’on reconnaisse cette égalité, mais sans que l’on puisse appeler « mariage » l’union de deux personnes de même sexe. Je crois, pour ma part, que la force de votre projet de loi, madame la garde des sceaux, tient précisément au fait qu’il retient cette appellation.
Par ailleurs, la question de la filiation est également au cœur de cette réforme. Françoise Héritier, encore elle, éclaire notre débat en différenciant la parentalité, l’engendrement-enfantement et la filiation : selon elle, « la filiation est la règle sociale qui détermine l’affiliation d’un enfant à un groupe, en lui conférant droits et devoirs. Elle se différencie de la vérité biologique […]. On peut être investi dans la parentalité et transmettre la filiation sans être géniteur : c’est l’adoption légale. »
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Jean-Michel Baylet. D’ailleurs, s’agissant de l’adoption, cette réforme permettra de sortir de l’hypocrisie. En effet, aujourd’hui, et depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1966, des personnes célibataires peuvent obtenir un agrément pour l’adoption, alors que les couples homosexuels ne le peuvent pas. L’absurdité de la situation contraint certains homosexuels à entamer des démarches en tant que célibataires. Les conseils généraux, qui délivrent les agréments, rencontrent de tels cas quotidiennement. En tant que président du conseil général de Tarn-et-Garonne, j’ai eu dès 2011 à traiter de dossiers d’adoption relevant de l’homoparentalité : je suis fier d’avoir accordé l’agrément aux couples concernés ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.) Cette décision ne fut pas politique, elle fut prise après avis favorable de la commission compétente.
Mes chers collègues, poser la question de la filiation, c’est également interroger les consciences sur certaines avancées scientifiques, notamment l’assistance médicalisée à la procréation et la gestation pour autrui.
Notre assemblée s’est saisie de ces évolutions. À cet égard, je veux citer le rapport d’information intitulé « Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui », publié dès 2008 par trois de nos collègues. Tout en faisant remonter ces pratiques à l’Ancien Testament, en mentionnant notamment l’épisode de la conception et de la naissance d’Ismaël, fils d’Abraham, ce rapport présentait plusieurs préconisations intéressantes.
Ces thématiques ne concernent pas exclusivement les futurs couples homosexuels, puisque la PMA existe déjà pour les couples ayant des problèmes de fertilité à travers la fécondation in vitro et l’insémination artificielle.
Bien sûr, les questions soulevées se posent en termes de bioéthique et ne sauraient être introduites par la voie d’un simple amendement. Si mes amis radicaux et moi-même restons opposés à la GPA, nous proposerons néanmoins, dans l’intérêt supérieur des enfants concernés et afin de remédier à l’insécurité juridique dont ils pâtissent actuellement, d’améliorer le présent texte en vue de permettre la transcription à l’état civil français des actes de naissance des enfants nés à l’étranger à la suite d’une gestation pour autrui.
Regardons ce qui se passe hors de nos frontières : la voie nous est tracée, non seulement en Europe, mais également dans des pays réputés plutôt conservateurs, subissant plus que la France l’influence de l’Église (Exclamations sur les travées de l'UMP.) : l’Argentine, le Chili, l’Uruguay… Dans ce dernier pays, certains sénateurs de l’opposition ont joint leurs voix à celles de leurs collègues de la majorité pour créer le mariage pour tous. Chers collègues qui siégez sur les travées de droite de notre hémicycle, je vous invite à suivre ce bel exemple !
Nos sociétés évoluent. J’entends dire que le droit n’a pas à courir derrière les évolutions sociétales. Je réponds ceci : peut-il les ignorer ? Notre droit peut-il demeurer hermétique à la société à laquelle il s’applique ? Nous ne le pensons pas.
Madame la garde des sceaux, vous avez déclaré, lors de votre audition par la commission des lois, que « le projet de loi est marqué du sceau de l’égalité ». Je ne peux qu’abonder dans votre sens, et j’irai même plus loin : il est marqué aussi du sceau de la liberté. En effet, une fois ce projet de loi adopté, chacun, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, aura la liberté de s’unir ou de ne pas s’unir par le mariage avec la personne qui partage sa vie, de vivre avec elle en concubinage ou de contracter un PACS. Il s’agit d’une loi de fraternité et d’humanisme en ce qu’elle reconnaît indistinctement couples hétérosexuels et couples homosexuels et qu’elle considère avec la même bienveillance toutes les formes de familles.
Notre pays est prêt, j’ai confiance en nos compatriotes, et c’est fort de cette confiance que les sénateurs radicaux apportent tout leur soutien à ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comment comprendre la revendication, de la part des couples gays et lesbiens, de pouvoir accéder à une union dite « normale », c’est-à-dire « ordinaire », ne distinguant en rien ces couples-là, en termes de devoirs comme en termes de droits, de M. et Mme Tout-le-monde.
Force est de constater, aujourd’hui, la baisse du nombre de mariages civils et religieux célébrés dans la société globale et l’augmentation du nombre des naissances hors mariage.
Alors pourquoi, se demanderont d’aucuns, celles et ceux qui ne font rien « comme tout le monde » exigeraient-ils donc de pouvoir accéder au mariage, institution traditionnelle et quelque peu empoussiérée ? (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
MM. Jean-Claude Gaudin et Charles Revet. Oui, pourquoi ?
Mme Esther Benbassa. La perception de l’homosexuel a certes varié dans l’histoire, mais celle qui éclot à l’âge classique est indissociable de la morale bourgeoise. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Éric Doligé. Heureusement que les bourgeois paient leurs impôts !
Mme Esther Benbassa. Elle se traduit par une volonté d’exclusion morale et sociale des homosexuels, dont les répercussions, même atténuées, pèsent encore sur nos mentalités.
Comme Didier Eribon le souligne dans ses Réflexions sur la question gay, la morale bourgeoise n’est pas seulement une morale du travail ; c’est aussi une morale de la famille, qui dit désormais ce que doit être la société et qui y appartient ou non de plein droit.
Michel Foucault déjà, dans son Histoire de la folie à l’âge classique, insistait sur la prégnance d’« un certain ordre dans la structure familiale », valant « à la fois comme règle sociale et comme norme de la raison […]. La famille, avec ses exigences, devient un des critères essentiels de la raison […]. Elle exclut comme étant de l’ordre de la déraison tout ce qui n’est pas conforme à son ordre ou à son intérêt. » L’âge classique procède ainsi, précise Michel Foucault, à la « confiscation de l’éthique sexuelle par la morale de la famille ».
En sommes-nous donc toujours là ? Le moyen d’en sortir, après tant de siècles d’exclusion morale et sociale, ne passe-t-il pas, paradoxalement, par l’expression et la satisfaction de ce désir de mariage, de ce curieux désir de normalité bourgeoise, de la part des gays et des lesbiennes ?
M. Éric Doligé. Ce sont les bourgeois qui paient les impôts !
M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !
Mme Esther Benbassa. Gays et lesbiennes entendent affirmer par là leur légitimité à se situer du côté de l’inclusion et de la « raison », mettre fin à ces siècles de discrimination qui en ont fait des malades et des fous. Ils et elles sont des êtres, des citoyens et des citoyennes comme les autres. La revendication du « mariage pour tous » fait partie d’une demande légitime de normalisation, de banalisation de leur condition.
Quels qu’aient pu être leurs slogans officiels ou officieux, les récentes manifestations anti-mariage pour tous ont appuyé l’idée inverse et séculaire selon laquelle ces gens-là ne sont pas comme les autres et n’ont donc pas droit à ce que tout citoyen ou résident en France obtient sans problème aucun. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. François-Noël Buffet. On n’a jamais dit ça !
M. David Assouline. Vous l’avez pensé très fort !
Mme Esther Benbassa. Elles ont remis à l’ordre du jour la fameuse « morale bourgeoise », pourtant bien craquelée depuis un bon demi-siècle.
Elles expriment une revanche, enfin, sur les artisans de mai 68, qui, soyons modestes, n’ont réussi qu’à bousculer un peu l’ancien modèle de la famille, même s’ils auraient bien voulu l’abattre.
Ces manifestations marquent surtout un retour du refoulé. L’ordre familial revient au galop et a trouvé ses cibles : anciens exclus et amis de la déraison. Et ce au nom du supposé intérêt supérieur de l’enfant !
Protéger les enfants, tout le monde est pour. Les opposants au mariage pour tous tentent donc d’en faire la justification imparable de leur refus. Le besoin, chez l’enfant, d’un père et d’une mère,…
M. Gérard Longuet. C’est normal !
Mme Catherine Troendle. Voilà !
Mme Esther Benbassa. … contre le désir d’enfant des homosexuels : pure idéologie ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Les manifestants expriment une peur, celle de l’effondrement d’une famille traditionnelle déjà bien ébranlée et de la multiplication, pour un même enfant, du nombre de référents parentaux. Fini, hélas ! le modèle « papa-maman et leur enfant » ! (Exclamations indignées sur les travées de l'UMP.) Fini depuis longtemps en fait, sans que les gays et les lesbiennes soient des pionniers en la matière : les familles recomposées ne les ont pas attendus pour se recomposer !
Aucune étude ne démontre que les enfants de familles monoparentales ou homoparentales, que les enfants adoptés, ou nés par PMA ou de mères porteuses, vivent nécessairement dans le malheur. Ils ne vont ni mieux ni moins bien que les autres, élevés dans des familles dites « normales ».
M. Jean-Vincent Placé. Exactement !
Mme Esther Benbassa. L’avocate Caroline Mécary, que je le salue, a consacré une grande partie de sa carrière à défendre des familles homoparentales. Elle écrit que, si c’était l’inverse qui était vrai, il faudrait immédiatement contraindre les dix pays européens qui ont d’ores et déjà ouvert l’adoption à tous les couples de modifier leur législation, l’intérêt des enfants ne pouvant être à géométrie variable.
Ces situations existent. Ce sont à ces enfants-là que notre droit est tenu d’apporter une réponse. Les enfants nés par PMA ou par GPA, techniques déjà pratiquées, les enfants de parents homos, ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.) Doit-on les exclure, comme on tente d’exclure leurs parents ? (Mêmes mouvements.)
M. Gérard Longuet. Vous êtes à côté de la plaque !
Mme Esther Benbassa. Pour aller encore plus loin, peut-on affirmer sans ambages que l’intérêt « supérieur » de l’enfant est vraiment au centre de notre construction juridique, qui donne la priorité à la liberté d’engendrer de chacun, quels que soient ses qualités et ses défauts, réels ou supposés ? (M. le rapporteur applaudit.)
Les pauvres et les riches, les alcooliques et les sobres, les analphabètes et les cultivés, les malades et les bien portants, les brutes et les doux, tous partagent le même droit de créer une famille. Et c’est fort bien ainsi ! Le temps où la société s’arrogeait le droit de stériliser les alcooliques et les handicapés comme dans les années 1930 en Suède, au nom de l’intérêt de l’enfant, est heureusement révolu. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Vous y reviendrez avec l’eugénisme !
Mme Esther Benbassa. Il n’y a que les gays et les lesbiennes à qui, aujourd’hui, on ose ouvertement dénier le droit de fonder une famille au nom de l’intérêt dit « supérieur » de l’enfant. Pourquoi ? Parce qu’ils seraient différents ? Mais différents en quoi et différents de qui exactement ?
M. Gérard Longuet. Du calme !
Mme Esther Benbassa. Cette « différence » est-elle autre chose, au fond, que le préjugé qui les frappe ? Est-il admissible de continuer à faire de ce préjugé une règle sociale et juridique ? Si ce n’est pas de la discrimination, alors, qu’est-ce donc ?
Mme Esther Benbassa. L’internement des gays pour déraison fut hier l’un des outils de la sauvegarde de l’ordre moral au centre duquel se trouvait la famille. La psychiatrie a longtemps joué ce jeu. Aujourd’hui, certains psychanalystes instrumentalisent leur science pour apporter un renfort aux tenants de l’anti-mariage pour tous et défendent le modèle traditionnel de la famille dans une sorte de conservatisme dont on ne sait ce qu’il doit vraiment à la psychanalyse.
Au XIXe siècle, l’homosexualité était tenue pour une pathologie mentale ou pour une perversion du désir ou de l’instinct. Rien, pourtant, dans l’expérience freudienne, ne peut valider « une anthropologie qui s’autoriserait du premier chapitre de la Genèse », comme le rappelle Jacques-Alain Miller.
Calmons-nous quelques secondes (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) et remémorons-nous la Genèse : « Croissez et multipliez » ; « Voilà pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère : il s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair ».
M. Michel Mercier. Eh oui !
Mme Esther Benbassa. Pour les psychanalystes qui se réclament en fait de l’Adam et de l’Ève de la Genèse comme d’un modèle indépassable, il s’agit évidemment plus de croyance religieuse que de psychanalyse.
On ne surestimera jamais trop, dans une France à la laïcité pourtant si chatouilleuse, le poids écrasant de l’impensé catholique dominant (Murmures sur les travées de l'UMP.), y compris lorsque l’on évoque le mariage, même si, en l’occurrence, il s’agit du mariage civil. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
La sacralisation catholique du mariage continue de nous coller à la peau. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Hummel. Inacceptable !
Mme Esther Benbassa. Chez nous, il n’y a pas eu de révolution luthérienne. Ailleurs, cette révolution a émancipé le mariage de la tutelle de l’Église, l’a désacralisé, a accéléré un bouleversement des représentations, des symboles et des pratiques héritées de la longue tradition catholique.
Avec Luther, le mariage devient – déjà ! – un « mariage pour tous », pour les laïcs et les prêtres, pour les chrétiens et les païens. Cela explique peut-être la facilité avec laquelle le mariage entre personnes de même sexe a été instauré dans certains pays à majorité non catholique. Récemment encore, en Grande-Bretagne, la Chambre des communes adoptait, en une journée, le mariage pour tous, et ce à une écrasante majorité. Et dans la presse de ce 5 février 2013, le sujet ne faisait la une que d’un seul journal : The Daily Telegraph !
La France, premier pays à décriminaliser l’homosexualité, dès 1791, se classe depuis plusieurs années parmi les nations les plus conservatrices en matière de droits LGBT. Quel paradoxe ! La PMA, on n’ose plus en parler. Même la récente circulaire de Mme la garde des sceaux, que je salue, engageant les magistrats à faire droit aux demandes de délivrance de certificats de nationalité française au profit d’enfants nés à l’étranger de Français ayant eu recours à une GPA a provoqué la polémique.
L’intérêt « supérieur » des enfants, en cette occurrence, semblait de peu de poids. Ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? Parce qu’ils ont été conçus hors des modèles admis, seraient-ils donc marqués du sceau d’une sorte de « péché originel » ? Et pour cela, il faudrait les punir ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils ne connaîtront pas leurs origines !
Mme Esther Benbassa. Les opposants au mariage gay et lesbien le dénoncent comme un facteur de décadence. Des pays « avancés » comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne reconnaissaient la PMA et la GPA avant même de légaliser le mariage. Sont-ils pour autant des pays décadents ? Mais la raison n’a plus droit de cité dans des débats qui se fondent sur des présupposés idéologiques et une bonne dose d’hypocrisie.
Rappelons-nous le bruit et la fureur ayant accompagné l’instauration du PACS, devenu depuis une forme de conjugalité hétérosexuelle très ordinaire ! Le mariage et la parentalité gays et lesbiens se banaliseront aussi, inéluctablement. Et je ne doute pas que des voix humanistes s’élèveront, dès aujourd’hui, également au centre et à droite, pour défendre un projet généreux, modernisateur, portant un coup décisif aux discriminations à raison de l’orientation sexuelle !
Nous, écologistes, croyons à ce progrès. Le mariage homosexuel a très tôt figuré dans notre projet de société. On se souvient du mariage de Bègles, en 2004, célébré par le député-maire de la ville, Noël Mamère. (M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.) Venez à la tribune à ma place, monsieur Gaudin ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Je ne dirais pas les mêmes choses que vous !
Mme Esther Benbassa. Tant mieux ! Mais au moins dans la vieille France, cher monsieur, on respectait les femmes. Ce n’est même plus le cas ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Nous voterons bien entendu le projet de loi, même si nous regrettons que l’exécutif ne soit pas allé plus loin, qu’il n’ait pas toujours fait preuve de la même détermination que Mme la garde des sceaux et Mme la ministre chargée de la famille.
M. Jean-Vincent Placé. Voilà !
Mme Esther Benbassa. Dès le mois d’août dernier, j’ai déposé, au nom de mon groupe, une proposition de loi audacieuse, incluant notamment la PMA pour les couples de lesbiennes et la transcription sur les registres d’état civil des actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger. Nos amendements nous permettront de rouvrir le débat et de demander solennellement au Gouvernement de s’engager sur le texte à venir sur la famille.
M. Gérard Longuet. Quelle famille ?
Mme Esther Benbassa. La qualité d’une démocratie se mesure à l’aune de son engagement pour l’égalité. Chaque acquis est à arracher avec les ongles. Le mariage et l’adoption pour tous, voilà une bataille que nous pouvons gagner !
M. Bruno Sido. Elle sera perdue pour les enfants !
Mme Esther Benbassa. D’autres suivront demain, tout aussi cruciales, car l’égalité est un combat, et un combat sans fin ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le voici arrivé entre nos mains ce texte tant désiré par les uns et tant décrié par les autres. C’est un texte majeur, fondamental, en ce sens qu’il touche à l’essence même d’une nation : la famille.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Philippe Darniche. C’est un texte qui, pour certains, devait augurer le printemps de l’égalité, la renaissance de la démocratie, car tous vivraient enfin heureux sous un même soleil, dans une société plus juste.
Seulement, le rêve a viré au cauchemar. Contre toute attente, une opposition digne des grandes heures de notre histoire s’est soulevée.
Mme Christiane Hummel. Bravo !
M. Philippe Darniche. Les Français que l’on pensait beaucoup trop occupés par la crise n’en ont pas pour autant oublié les valeurs fondamentales qui régissent la vie depuis des siècles.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Philippe Darniche. Il va toujours plus croissant le nombre de ceux qui commencent à comprendre les enjeux de ce texte. En cinq mois, à trois reprises, des centaines de milliers de personnes ont voulu exprimer leur désaccord, et jamais gouvernement n’a autant méprisé le peuple. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Hummel. Eh oui !
M. Philippe Darniche. À ces foules immenses venues des quatre coins du pays, le Président de la République et son gouvernement opposent un autisme qui fait honte à notre prétendue démocratie.
M. Éric Doligé. Exact !
M. Philippe Darniche. Mes chers collègues de la majorité, il est temps d’écouter l’autre majorité, cette majorité silencieuse, qui, cette fois, ne veut pas que l’on décide pour elle. La coupe est pleine ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
Mme Christiane Hummel. Bravo !
M. Philippe Darniche. À la politique de l’autruche du Gouvernement, nous opposons un langage de vérité pour expliquer que la loi n’a pas à être la transcription d’intérêts particuliers.
Quelques-uns de nos collègues de gauche, toujours très lyriques dans leurs discours pour refuser les tentations de replis communautaristes qui menacent la République, ne pourraient-ils pas convenir que le projet de loi semble être imposé par une minorité ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Bravo !
M. Philippe Darniche. « Les mentalités ont évolué, la loi doit évoluer aussi », nous répond-on. C’est donc notre devoir de refuser cette logique destructrice. L’adoption du projet de loi serait un grave recul anthropologique. (Absolument ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
Ici, il n’est pas question d’amour. Le mariage a pour rôle non pas d’officialiser une vie de couple mais d’instituer une famille. Si certains couples homme-femme ne procréent pas, c’est pour des raisons subjectives : infertilité, âge ou volonté de ne pas avoir d’enfants. Ces cas particuliers ne remettent pas en cause la dimension objectivement familiale du mariage.
Le mariage est, de tout temps et en tout lieu, l’acte – juridique, public, civil et/ou religieux – ou l’union par lequel un homme et une femme se placent dans une situation juridique durable afin d’organiser leur vie commune et de préparer la création d’une famille. Le mot français « matrimonial » garde la trace du mariage latin, matrimonium, qui a pour but de rendre une femme mère, mater. Le mariage est plus qu’un contrat, c’est une institution.
L’amour et le mariage sont différents. L’amour est l’expression d’un sentiment à l’égard d’une autre personne. Le mariage est avant tout un cadre légal permettant l’union entre deux personnes et non la reconnaissance sociale d’un sentiment amoureux.
Le mariage n’est pas la même chose que l’union de deux personnes de même sexe. Distinguer n’est pas discriminer, c’est respecter ; différencier pour discerner consiste à évaluer correctement, pas à discriminer.
Le droit ne peut pas prendre en considération l’orientation sexuelle des personnes, donnée subjective qui relève de leur vie privée. Il ne peut considérer que l’identité sexuelle, donnée objective, à savoir le fait d’être un homme ou une femme.
L’égalité signifie seulement traiter de la même manière ceux qui sont dans des situations équivalentes. (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
Or les couples de même sexe, que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, ne sont en conséquence pas concernés par l’institution du mariage. En cela, leur traitement juridique est différent, parce que leur situation n’est pas analogue.
Pour autant, j’étais disposé à travailler, comme nombre de nos collègues, sur ce traitement juridique sans toucher au mariage et à ses conséquences.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Philippe Darniche. Modifier le cadre du mariage en l’ouvrant aux personnes de même sexe perturbe notre système bien au-delà de ce qu’on voudrait nous faire croire, et une part importante des spécialistes que nous avons entendus en commission, lors des auditions, est venue nous le rappeler.
La loi va créer une nouvelle catégorie d’enfants : les enfants privés d’un père ou d’une mère. Nous ne l’acceptons pas ! L’égalité serait-elle un concept à géométrie variable ? Avant d’être un rôle, être parents est un statut, car seuls des parents hommes et femmes peuvent indiquer à l’enfant une origine, qu’elle soit fondée sur la vérité biologique de la procréation ou sur la vérité symbolique de l’adoption. Nous sommes tous témoins, dans nos territoires, des souffrances des personnes qui sont à la recherche de leurs origines jusqu’à leur dernier souffle.
Mme Colette Giudicelli. Exactement !
M. Philippe Darniche. Après avoir été privés de parents par la vie, certains enfants vont en être privés une seconde fois par la loi.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Philippe Darniche. Cela, nous le refusons, car tout enfant a droit de savoir d’où il vient. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
En accordant le mariage et la filiation aux personnes de même sexe, vous changez la donne ; ce faisant, vous bouleverserez toutes les règles de la filiation, de la procréation médicalement assistée, de l’état civil et de la parenté. Nous ne sommes pas dupes : aujourd’hui le mariage, demain la PMA, après-demain la GPA !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Philippe Darniche. Qui oserait penser en son for intérieur que cet engrenage n’est pas inéluctable, dans cette société qui ne sait plus ce qu’est l’égalité ?
Mme Catherine Troendle. Bien sûr !
M. Philippe Darniche. Dans cette société qui n’a que faire du plus faible, mais qui veut assouvir le bien-être des plus grands, qui oserait s’engager sur l’honneur que jamais nous ne tomberons dans de telles dérives ? (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
Je refuse l’hypocrisie ; je refuse le mensonge. Cette France des robots, je n’en veux pas, et je ne crois pas ici être le seul. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ferai quelques remarques préliminaires.
Tout d’abord, le chef de l’État a affirmé, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, vouloir tenir compte de la volonté de la population et assurer la concertation.
Mme Christiane Hummel. Il a menti !
M. Patrice Gélard. Où est la concertation lorsque 300 000 à 1 400 000 personnes manifestent dans la rue et qu’on ne les écoute pas ou qu’on ne veut pas les écouter ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Où est la concertation lorsque 700 000 signatures adressées au Conseil économique, social et environnemental sont mises au panier sans être examinées ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) Et l’on veut inscrire le caractère social de notre République dans la Constitution, alors que la démonstration est faite que celui-ci n’est nullement pris en compte à la tête de l’État !
Mme Christiane Hummel. Il n’y a plus de tête !
M. Patrice Gélard. Ensuite, une étude d’impact est effectivement annexée au projet de loi, mais elle est totalement insuffisante.
M. Gérard Larcher. C’est vrai !
M. Patrice Gélard. De plus, elle est orientée : on ne tient compte que des analyses réalisées dans un sens.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Bruno Sido. Les dés sont pipés !
M. Patrice Gélard. Cette étude ne comprend aucune statistique digne de ce nom ou analyse sur les conséquences de l’application du texte. Elle comporte donc beaucoup trop de lacunes et de survols rapides pour être réellement exploitable.
Parlons de l’avis du Conseil d’État.
M. Gérard Larcher. Oh oui !
M. Patrice Gélard. Même si nous n’en avons pas eu officiellement connaissance, la presse s’en est fait l’écho. Le projet de loi serait imparfait, incomplet, en particulier concernant les parties du texte relatives à l’adoption, à l’état civil, au nom : autant de motifs d’inconstitutionnalité.
Ces remarques étant faites, j’en viens au mariage, puis j’évoquerai la filiation.
S’agissant du mariage, je vous rappelle que, au moment de l’examen du PACS, j’avais proposé en tant que rapporteur un amendement visant à affirmer que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme en vue de fonder une famille.
Élisabeth Guigou, garde des sceaux,…
M. David Assouline. Souvenez-vous de Boutin !
M. Patrice Gélard. … m’avait répondu à l’époque qu’il était totalement inutile d’inscrire cette disposition dans la loi, car cela allait de soi : c’était le sens même du code civil !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Je constate que la situation a évolué de façon considérable depuis lors. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je rappelle tout de même que la Convention européenne des droits de l’homme, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les pactes de Téhéran affirment tous que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Didier Guillaume. Comme en Angleterre !
M. Patrice Gélard. Jusqu’à maintenant, cette règle n’a pas été modifiée.
Notre Constitution dispose également que les traités internationaux régulièrement ratifiés ont immédiatement une autorité supérieure à celle des lois. Cela signifie que nous sommes en train de discuter d’un projet de loi qui n’est pas conforme aux traités internationaux auxquels nous sommes parties. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Même si l’étude d’impact a survolé cette question, il faut savoir que nous avons signé une multitude d’accords internationaux sur le droit de la famille avec nombre d’États, accords qui deviendront caducs si nous adoptons ce projet de loi. Cela reviendra à nier la supériorité des traités par rapport à la loi. Il faudra donc entièrement les revoir.
Mes chers collègues, les encyclopédistes du XVIIIe siècle – Diderot ou d’Alembert –, dont je me suis beaucoup amusé à lire les citations, étaient tous contre le mariage. Il en va de même de Marivaux, et je ne parle pas du marquis de Sade, qui y était naturellement totalement opposé. (Sourires.)
Le mariage, c’est le pire des esclavages, disait Diderot.
M. François Rebsamen. Comment peut-on dire cela ?
M. Patrice Gélard. Les socialistes, les anarchistes et les communistes du XIXe siècle disaient la même chose : le mariage, c’est l’exploitation de la femme par l’homme ; c’est la transposition de la dictature de la bourgeoisie ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’était vrai à l’époque, mais la société a évolué !
M. Patrice Gélard. Je suis étonné de voir nos amis à gauche de l’hémicycle défendre aussi ardemment le mariage pour tous, alors que leurs prédécesseurs étaient au contraire pour l’abrogation de cette institution désuète et bourgeoise. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. C’est l’évolution !
M. Patrice Gélard. Il est vrai que quatorze ou quinze pays ont, à l’heure actuelle, reconnu le « mariage pour tous » : les cinq États scandinaves, le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni, mais avec des conditions différentes des nôtres, le Canada, quelques États aux États-Unis et au Brésil, l’Argentine, l’Uruguay depuis hier, et l’Afrique du Sud.
M. Didier Guillaume. Belle liste !
M. Patrice Gélard. C’est une belle liste en effet, mais le mariage n’a pas dans ces pays la même signification que chez nous. (Voilà ! sur les travées de l'UMP.) Cela n’est pas dit dans l’étude d’impact !
Mme Laurence Rossignol. Cette liste compte des pays catholiques !
M. Patrice Gélard. Ils ne transposent pas le mariage catholique inscrit dans notre droit depuis 1804. D’ailleurs, c’est là où se situe le problème : le droit français a voulu faire du mariage une institution et un contrat solennels. Or, dans les autres pays, le mariage n’a pas ce caractère. Dans les États protestants, le mariage n’a pas du tout la même signification – il peut être dissous dans des conditions différentes des nôtres, par exemple – et les règles applicables à l’adoption ne sont pas les mêmes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Marc Daunis. L’Espagne et le Portugal, des pays protestants ?
M. Patrice Gélard. Je rappelle qu’au Portugal on ne peut pas adopter et qu’aux Pays-Bas on ne peut adopter un enfant que si celui-ci a la nationalité de ce pays.
Je le répète, la situation est totalement différente, parce que le mariage n’a pas la même signification que chez nous.
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Patrice Gélard. Nous ne voulons pas nous opposer à la reconnaissance de droits que ne possèdent pas à l’heure actuelle les couples homosexuels. C’est la raison pour laquelle nous proposerons une union civile qui conférera à ceux qui y recourront les mêmes droits et les mêmes devoirs que les couples hétérosexuels : la pension de réversion, le droit à succession, la solennité de l’union, à la seule exception des conséquences sur la filiation.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et voilà !
M. Patrice Gélard. Le système que nous proposons existe en Allemagne et dans d’autres États, qui ont parfaitement compris la différence entre le mariage, institution consacrée par le code civil depuis deux siècles, et l’union civile, qui est identique au mariage mais réservée aux couples homosexuels.
Voilà la façon dont nous envisageons la question du mariage !
M. David Assouline. Je n’ai rien compris !
M. Patrice Gélard. C’est bien dommage, mon cher collègue !
Je voudrais maintenant aborder la question de la filiation et de l’adoption.
Nous sommes tous d’accord pour dire qu’un enfant ne peut être conçu que par un homme et une femme. (Oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.) Cependant, nous voyons apparaître une théorie, celle du gender, autrement dit celle du sexe social et non du sexe réel.
En vertu de cette théorie, chacun d’entre nous aurait le droit de choisir son sexe, de devenir homme ou femme.
Mme Laurence Rossignol. Mais non !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est une souffrance pour beaucoup de personnes !
M. Patrice Gélard. Par ce biais, on veut nous instiller une façon de penser qui est peut-être celle d’un groupe mais qui ne peut en aucun cas être celle de tous.
Le projet de loi veut totalement assimiler le couple homosexuel et le couple hétérosexuel pour ce qui concerne l’adoption.
M. David Assouline. Encore vingt-quatre minutes à tenir…
M. Patrice Gélard. Je le dis comme je le pense : nous sommes face à une hypocrisie manifeste !
M. David Assouline. De quoi parlez-vous ? Du résultat ?
M. Patrice Gélard. Tel qu’il est conçu, le texte est mal pensé, mal raisonné, incomplet et dangereux dans son application.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Que représentait l’adoption à l’origine ? Certains pays la pratiquent encore sous cette forme : il s’agissait d’assurer le culte des ancêtres et le transfert du nom. C’était en particulier le cas à Rome. Ainsi de Jules César, adoptant Brutus ou Octave : dans les deux cas, il agit ainsi pour transmettre son nom, léguer le patrimoine de sa famille et assurer l’entretien des dieux lares. Cette situation se retrouve dans tous les pays d’Asie, où l’adoption a pour but de perpétuer le culte des ancêtres.
En France, l’adoption correspond à deux réalités différentes que l’on a malheureusement un peu perdues de vue, à savoir l’adoption plénière et l’adoption simple.
L’adoption plénière a été créée dans l’intérêt exclusif de l’enfant.
M. Patrice Gélard. À un enfant sans parents, on trouve une famille qui va totalement suppléer son orphelinat en lui donnant un nom, un état civil, une famille et des origines. De fait, l’enfant devient un membre à part entière de la famille qui l’adopte : il a tous les droits et tous les devoirs d’un enfant biologique.
Mme Catherine Troendle. Eh oui !
M. Patrice Gélard. En réalité, même si on ne le dit pas officiellement, l’adoption plénière est réservée aux couples stériles. Reste qu’elle est devenue extrêmement difficile en France, pour une raison simple : il n’y a pratiquement pas d’enfants à adopter. À l’heure actuelle, seule une famille candidate sur trois ou quatre peut adopter un enfant selon cette procédure, compte tenu des nombreuses demandes qui sont formulées.
Naturellement, puisque les enfants à adopter en France sont très peu nombreux, on se demande ce que l’on promet en proposant d’étendre l’adoption. Vous nous direz : nous allons nous tourner vers l’étranger. Mais il n’y a pas d’adoption possible à l’étranger non plus !
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Patrice Gélard. Cette source tend à se tarir. À cet égard, je citerai l’exemple de la Belgique. Vous le savez, ce pays a instauré le mariage homosexuel depuis de nombreuses années. Depuis 2006, il y a eu zéro adoption. Zéro !
M. Patrice Gélard. Et pour cause : il n’y a pas d’enfants à adopter en Belgique ! Il n’y a pas non plus eu d’enfants adoptés en Espagne.
Cette situation finira nécessairement par survenir en France. Pourquoi ? Parce que les pays qui acceptent l’adoption n’acceptent pas l’adoption par les familles homosexuelles.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Patrice Gélard. L’Afrique du Sud est l’un des seuls pays à l’accepter, mais elle a déjà fait savoir qu’elle ne tolérera plus l’adoption par les couples homosexuels si le texte dont nous sommes en train de débattre était adopté. Ainsi, les couples homosexuels ne pourront pas adopter des enfants à l’étranger.
C’est la raison pour laquelle le projet de loi est un texte hypocrite : il n’y a pas d’enfants à adopter et, puisqu’il n’y en aura pas, il faudra nécessairement recourir à d’autres moyens. Or ces autres moyens, c’est la PMA ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
M. Jean-Claude Gaudin. Voilà !
M. Patrice Gélard. Comme tant d’autres l’ont déjà dit, nous serons obligés d’accepter la PMA.
M. François-Noël Buffet. Voilà !
M. Patrice Gélard. D’ailleurs, ne soyons pas hypocrites, elle existe déjà !
M. Jacques Mézard. Bien sûr !
M. Patrice Gélard. La PMA est pratiquée en Belgique, en Espagne et dans d’autres pays. Certaines femmes s’y rendent donc avant de revenir en France avec des enfants qui ont été conçus à l’étranger, en violation de la loi française. Pourtant, notre législation n’est pas si mauvaise que cela : la PMA est réservée aux couples stériles ou à ceux risquant de transmettre une tare génétique.
Ce constat nous impose de réfléchir de nouveau sur cette question, c'est-à-dire de réexaminer le cas de ces enfants, dont nous ne pouvons pas nier l’existence.
Sans aller dans le sens de Mme le garde des sceaux, je rappelle que M. Baudis a tiré la sonnette d’alarme, en tant que Défenseur des droits, sur la situation de quelques enfants sans droits. Issus de la GPA, ces derniers ne sont pas reconnus.
M. Jean-Michel Baylet. C’est précisément ce que j’ai dit !
M. Patrice Gélard. Nous devrions nous pencher sur ce sujet, qui soulève un véritable enjeu. Là encore, ce n’est pas l’intérêt des parents qui nous intéresse, mais celui des enfants, que nous devons garder en permanence à l’esprit. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Vous voterez donc notre proposition de loi ?
M. Patrice Gélard. Je le répète, l’adoption plénière revient à créer une famille pour un enfant qui n’en a pas. C’est couper entièrement ce dernier de ses origines, qu’il n’aura donc pas à retrouver.
L’adoption simple est d’une tout autre nature. Je rappelle qu’elle était extrêmement répandue en France jusqu’à la guerre de 1914.
M. Gérard Longuet. Oui !
M. Patrice Gélard. Ce système vise à permettre la transmission du patrimoine, notamment de ce patrimoine affectif que peut constituer un nom ou un titre de noblesse. En effet, l’adoption simple était souvent employée par l’aristocratie. Or le fisc a jugé que, l’adoption simple n’impliquant aucun sentiment, on pouvait taper dessus sur le plan fiscal.
M. Bruno Sido. Le fisc n’a vraiment pas de morale !
M. Patrice Gélard. Ainsi, l’adoption simple fait l’objet d’un désengagement, car elle n’est pas fiscalement intéressante : lors de la succession, l’héritier adopté doit acquitter une forte somme. Il n’est absolument pas assimilé à un enfant comme les autres, dans la mesure où il n’est pas soumis aux mêmes règles fiscales. À mon sens, il s’agit là d’une violation de la loi.
Pourtant, l’adoption simple a son utilité : grâce à elle, un certain nombre de couples homosexuels ont pu disposer d’une double parenté. Grâce à elle, certaines femmes ont pu adopter l’enfant de leur conjointe. Ces cas sont peu nombreux, c’est vrai, mais ils existent. Reste un inconvénient : normalement, l’autorité parentale passe alors à l’adoptant. Or on n’a pas prévu les conséquences de cette adoption simple si elle devait se généraliser.
Il devient nécessaire de repenser l’ensemble de notre système d’adoption. À ce titre, je citerai un exemple que je connais bien, celui d’amis intimes de mes enfants. L’un est homosexuel et vit en couple avec un autre homme. L’autre est homosexuelle et vit en couple avec une autre femme. Tous deux ont eu ensemble un enfant, aujourd’hui âgé de huit ans, conçu par insémination artificielle.
Résultat : cet enfant a deux pères et deux mères. Les deux conjoints sont venus me voir en me disant qu’ils souhaitaient l’adopter. Au reste, l’enfant vit en régime de garde partagée entre le père et la mère, qui résident non loin l’un de l’autre. Il n’y a pas de problème de ce côté-là. Néanmoins, ce système n’est pas envisageable, même en vertu du présent texte : cet enfant a un père et une mère génétiques, et une adoption n’est donc pas possible.
M. Patrice Gélard. Cet exemple illustre la profonde inégalité qu’engendre le projet de loi, ce qui soulève à mes yeux un problème d’inconstitutionnalité. En effet, le présent texte distinguerait au moins trois catégories d’enfants concernant l’adoption par les couples homosexuels.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Premièrement, ceux qui pourront faire l’objet d’une adoption plénière : ces cas sont peu fréquents, mais on en comptera tout de même quelques-uns. Deuxièmement, ceux qui ne pourront faire l’objet que d’une adoption simple. Troisièmement, ceux qui ne pourront faire l’objet d’aucune adoption, parce qu’ils auront deux géniteurs.
Ce constat me conduit à l’inconstitutionnalité majeure que présente l’ensemble de ce texte.
M. Jacky Le Menn. Ah ?
M. Patrice Gélard. Je le répète, le principe d’égalité est rompu pour ce qui concerne l’adoption, avec toute une série de conséquences juridiques que mon propos vous a permis d’entrevoir.
De plus – le doyen Capitant l’aurait affirmé avec encore plus de force que moi –, la loi régissant le mariage n’est pas une loi parmi d’autres. Elle fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Par conséquent, elle a valeur constitutionnelle.
Certes, on peut remettre en cause le mariage, mais uniquement en vertu de la Constitution. C’est ce qui s’est passé en Espagne. Il y a environ deux mois, la Cour constitutionnelle espagnole a rendu un arrêt sur la constitutionnalité du mariage homosexuel.
M. Patrice Gélard. Elle a jugé que le mariage pouvait être modifié, étant donné que la Constitution avait prévu cette éventualité, par son article 32.
Toutefois, ce n’est pas le cas chez nous. En France, il s’agit d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis deux siècles, on n’a pas touché à la définition du mariage que j’ai citée il y a quelques instants, à savoir l’union d’un homme et d’une femme en vue de créer une famille. La pérennité et la constance de cette institution lui confèrent dès lors une valeur constitutionnelle.
Cette question relève de ce que le doyen Duguit appelait la constitution sociale de la France, à laquelle on ne peut pas porter atteinte, sauf à modifier véritablement le contrat social qui nous unit tous et dont relève le mariage. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Éric Doligé. Bravo !
M. Patrice Gélard. J’irai même plus loin : l’article 34 de la Constitution indique-t-il que le législateur a le droit de toucher au mariage ? Pas du tout ! Cet article implique que le législateur fixe les règles relatives non au mariage mais aux régimes matrimoniaux, et seulement à ces derniers. Cela signifie-t-il que le Gouvernement, doté du pouvoir réglementaire, est habilité à y toucher ? Bien sûr que non !
Par conséquent, ce domaine relève bel et bien du droit constitutionnel. Le jour où le constituant affirmera que le législateur peut toucher au mariage, nous corrigerons l’adage anglais selon lequel le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme. Nous pourrons dire : le Parlement peut tout faire, y compris changer un homme en femme ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Enfin, je veux insister sur quelques lacunes que présente le texte.
Lors du débat relatif au PACS – Jean-Pierre Michel était rapporteur du texte de loi à l’Assemblée nationale alors que je l’étais au Sénat –, nous avions soulevé, auprès de Mme le garde des sceaux de l’époque, un problème qui n’est pas encore résolu d’une manière totalement satisfaisante. Il s’agit des droits des beaux-parents, des ascendants et de tous ceux qui ont participé à l’éducation, à l’encadrement et à la formation des enfants.
Là encore, c’est l’intérêt général de l’enfant que nous visons, et rien d’autre. Las, nous n’avons toujours pas adopté de texte en la matière. Je sais que notre rapporteur a déposé un amendement sur cette question, mais cela ne suffit pas. Il faut aller plus loin et faire en sorte que ceux qui se sont véritablement consacrés au développement d’un enfant puissent avoir des droits que la législation actuelle ne reconnaît pas.
Voilà un des éléments sur lesquels il me semblait nécessaire d’appeler l’attention.
Je voudrais évoquer également une autre idée. Durant la présidence de François Mitterrand, une institution qui datait de la Révolution française a été remise au goût du jour : le parrainage civil, qui contient des dispositions intéressantes. Le parrain ou la marraine s’engagent à suppléer les parents s’ils venaient à défaillir.
M. Henri de Raincourt. Exact !
M. Patrice Gélard. Nous pourrions utiliser un peu plus ce parrainage civil afin de répondre à ce besoin de lien avec l’enfant qu’ont les conjoints dans un couple homosexuel ou, éventuellement, dans un couple hétérosexuel.
M. David Assouline. Quel est le rapport avec le texte ?
M. François Rebsamen. J’ai perdu le fil…
M. Patrice Gélard. Voilà quelques pistes sur lesquelles nous devons nous engager.
Ainsi, il apparaît que, dans ce texte, tout ce qui concerne l’adoption ou la délégation de l’autorité parentale n’est pas au point et doit être revu. En outre, le statut des parrains et des marraines dans le parrainage civil doit être repensé.
M. David Assouline. Mais vous n’en célébrez jamais !
M. Patrice Gélard. Ce sont là des pistes à explorer.
En conclusion, notre point de vue est simple : nous sommes favorables à l’union civile ainsi qu’à une simplification de l’adoption simple, mais nous refusons de faciliter l’adoption plénière, qui ne peut être appliquée en l’espèce. En conséquence, nous proposerons des amendements concernant ces deux points. S’ils venaient à être rejetés,…
M. David Assouline. Vous voterez contre ?
M. Patrice Gélard. … nous serons contraints de voter contre l’ensemble du texte.
M. David Assouline. Quelle surprise !
M. Patrice Gélard. Mais, avant d’en arriver là, nous allons défendre trois motions de procédure.
Nous avons déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, parce que nous sommes convaincus que ce texte contient beaucoup de motifs d’inconstitutionnalité.
Nous soutiendrons également une motion tendant au renvoi à la commission. En effet, comme nous l’avons démontré, un certain nombre de points de ce texte sont encore obscurs. Sans entrer dans le détail, on pourrait par exemple évoquer la question de l’état civil, qui risque d’infliger à la plupart des maires de violentes migraines. Le dépôt de cette motion est pleinement justifié, car ce texte est incomplet.
M. Bruno Sido. Il est bâclé !
M. Patrice Gélard. Enfin, nous présenterons une motion tendant à opposer la question préalable. Nous estimons en effet que la concertation nécessaire n’a pas eu lieu et qu’il est toujours temps de la reprendre ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Plusieurs membres de l’UDI-UC applaudissent également.)
M. Jean-Michel Baylet. Vive la COCOE !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de fierté et d’honneur que je prends la parole aujourd’hui dans cet hémicycle pour apporter mon soutien à un projet de loi de grande portée, qui permet de franchir une nouvelle étape vers l’égalité des citoyens en France.
M. Jacky Le Menn. Bravo !
Mme Nicole Bonnefoy. Ce texte est l’aboutissement d’un long processus de lutte contre les discriminations qui marquera l’histoire du droit de la famille. (M. Jacky Le Menn acquiesce.) Il constitue, à ce titre, une avancée sociale majeure pour notre pays, similaire à celle que nous avons connue avec le PACS ou l’IVG.
Avant d’aborder le fond du texte, je souhaite remercier l’ensemble des sénateurs qui ont participé ces derniers mois à la préparation de son examen au Sénat. Je tiens à saluer plus particulièrement le rapporteur, Jean-Pierre Michel, pour la qualité et le sérieux de son travail. (M. François Rebsamen approuve.)
Nous pouvons nous féliciter du climat serein dans lequel nos travaux se sont déroulés jusqu’à maintenant, dans le respect des opinions de chacun…
Mme Sophie Primas. C’est vrai !
Mme Nicole Bonnefoy. … et le souci de la pluralité, comme le démontre la diversité des personnes entendues durant la cinquantaine d’auditions que nous avons menées. Nous avons su éviter certains débordements et les propos regrettables entendus à l’Assemblée nationale, qui sont parfois repris lors de diverses manifestations.
À ce sujet, je ne peux passer sous silence les menaces et les insultes dont certains de nos collègues sont victimes, au prétexte qu’ils soutiendraient ce texte. Au nom du groupe socialiste, je veux dénoncer ici ces méthodes d’intimidation inacceptables (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) et assurer nos collègues de notre indignation en saluant leur courage, au nom de la liberté d’expression et du respect des opinions.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bravo !
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. J’espère que l’attitude des sénateurs restera responsable tout au long de nos débats. Je crois en effet qu’il est tout à l’honneur du Sénat de se montrer digne de l’enjeu de ce débat, au moins par respect pour les milliers de Français concernés.
Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe poursuit un but simple mais fondamental : reconnaître des droits essentiels à des milliers de Français, qui, du fait de leur orientation sexuelle, s’en voient encore aujourd’hui privés.
Cette volonté, exprimée par le Président de la République dès le début de sa campagne en janvier 2011, n’est pas le fruit du hasard. Elle n’est pas apparue soudainement, elle ne résulte pas d’un engagement irréfléchi ou électoraliste, comme certains voudraient le laisser penser. Non ! Elle s’inscrit dans la continuité et vient prolonger une évolution naturelle de l’institution du mariage vers l’égalité entre les couples. Car si cette institution semble traverser le temps, son visage s’est transformé !
En effet, le mariage fait l’objet de réformes en France depuis des décennies. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle en particulier, le législateur s’est toujours attaché à faire évoluer le mariage en phase avec son temps et conformément aux attentes de la société. Le législateur a ainsi reconnu toujours davantage de droits et de libertés individuelles, dans un souci constant d’égalité entre les citoyens. Je pense que nous pouvons en être fiers !
Pourtant, force est de constater que toutes les grandes évolutions sociétales, particulièrement en ce qui concerne le droit de la famille, se sont heurtées à des oppositions. Du PACS à l’IVG, en passant par le droit des femmes et celui des enfants, les grands progrès en termes de liberté et d’égalité sociale ne sont jamais advenus sans une certaine douleur. Nous n’y échappons pas aujourd’hui ! En leurs temps, ces réformes ont été très fortement décriées. Elles ont pourtant pris toute leur place dans notre société et peu nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, se risqueraient à vouloir les remettre en cause.
Nous le savons, le temps est souvent l’allié des grandes réformes de société. C’est pourquoi, à titre personnel, je ne suis pas inquiète face aux réticences et aux craintes exprimées aujourd’hui par certains. Dans quelques années, le mariage homosexuel sera une évidence et personne, j’en suis intimement convaincue, ne reviendra sur cette avancée sociale.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est évident !
Mme Nicole Bonnefoy. J’en veux pour preuve l’exemple du PACS. Il a fallu près de dix ans pour le faire voter. Critiqué, honni même, lors de son examen au Parlement, il n’a pourtant, depuis son adoption, jamais été remis en cause. Certains de ses détracteurs d’antan en sont même aujourd’hui devenus des soutiens inconditionnels au point de demander la création d’un PACS bis ou d’un mariage bis, avec l’union civile.
M. Jacques Mézard. Eh oui !
Mme Nicole Bonnefoy. Je me suis replongée dans les débats parlementaires qui avaient accompagné l’adoption du PACS. J’y ai retrouvé les mêmes arguments, les mêmes craintes, le même conservatisme d’une partie de la société, identiques à ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.
M. François Rebsamen. Exactement !
Mme Nicole Bonnefoy. Nous entendions alors que le PACS constituerait une atteinte aux droits de l’enfant, qu’il fragiliserait la famille et l’institution du mariage. Certains sont même allés jusqu’à dire que le PACS bouleverserait les fondements de notre droit et de notre société, sous les applaudissements de leurs collègues d’alors.
M. Ronan Kerdraon. Comme tout à l'heure !
Mme Nicole Bonnefoy. Dix ans après, que reste-t-il de ces craintes ? Rien ! Il est désormais établi et reconnu par tous que le PACS est un réel succès.
Dans ces débats, j’ai retrouvé des arguments refusant au Parlement toute légitimité à conduire une telle réforme. Le Gouvernement aurait privé le peuple d’un débat en lui retirant son pouvoir d’expression. Nous nous serions alors trouvés devant un déni de démocratie intolérable… Nous entendons encore aujourd’hui de tels propos.
M. François Rebsamen. On vient tout juste de les entendre !
Mme Nicole Bonnefoy. Pourtant, les Français ont donné mandat à François Hollande de présider notre pays durant les cinq années à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Troendle. Et ils le regrettent !
Mme Nicole Bonnefoy. Ils ont donc majoritairement donné leur accord pour que son programme soit appliqué. Le mariage pour les couples de même sexe figurait bien dans ce programme, ce projet n’a donc jamais été un secret !
À ceux qui demandent l’organisation d’un référendum, ce qui est impossible au regard de l’article 11 de la Constitution, je réponds que le référendum a déjà eu lieu, le 6 mai dernier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Ce texte ne souffre donc d’aucune illégitimité. Le Gouvernement n’a nullement privé la société d’un débat !
Je tiens à rappeler également que ce projet de loi a été présenté en Conseil des ministres dès le 7 novembre dernier, soit il y a près de cinq mois. Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont mené des dizaines d’heures d’auditions, donnant la parole à des représentants de la société civile de toutes sensibilités. Il est donc parfaitement infondé de prétendre que le Gouvernement aurait agi en catimini ou dans la précipitation.
J’en viens maintenant au fond de cette réforme. Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est avant tout un texte d’égalité et de progrès social qui vient apporter une réponse juridique à une réalité sociale établie. Depuis une cinquantaine d’années, le visage de la famille française a profondément changé. Aujourd’hui, des milliers d’hommes et de femmes vivent en couple, payent des impôts,…
M. Pierre Charon. De plus en plus !
Mme Nicole Bonnefoy. … élèvent des enfants, sont parfaitement intégrés dans notre société, sans pour autant être mariés, pacsés, hétérosexuels ou fervents pratiquants d’un culte.
Cette réalité est incontestable. Pourtant, nous avons le sentiment que certains refusent de la voir, voire en viennent à la nier. La famille d’aujourd’hui, ce n’est pas une maman, un papa, un mariage et deux enfants. (Si ! sur les travées de l’UMP.) Cette conception idéalisée du couple est totalement dépassée et ne correspond en rien à ce qu’est actuellement la réalité sociologique des familles. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Est-il nécessaire de rappeler que le nombre de familles monoparentales et recomposées ne cesse d’augmenter ? Que le nombre de divorces a explosé ? (Et alors ? sur les travées de l'UMP.) Que le nombre de PACS est en hausse constante depuis dix ans et représente aujourd’hui près d’une union sur deux ? Que plus de la moitié des enfants naissent en dehors du mariage ? Il n’y a pas de famille standard, ne vous en déplaise, qui viendrait à elle seule incarner ce que devrait être notre société !
Aussi, je comprends que beaucoup de familles se soient senties blessées et offensées par les propos tenus ces derniers mois sur ce que devrait être la famille. La société a changé et changera encore. Elle est en perpétuelle évolution, c’est dans sa nature. La famille n’est pas une institution figée et ne peut être régie par une loi immuable.
M. Alain Chatillon. Si !
Mme Nicole Bonnefoy. Non ! Nous devons vivre avec notre temps, accompagner les mutations sociales et sociétales en respectant toujours les principes fondamentaux qui constituent notre pacte républicain : la liberté, l’égalité, la laïcité, le respect de la dignité des personnes.
Mme Catherine Tasca. Bravo !
Mme Nicole Bonnefoy. C’est cette impérieuse nécessité qui amène le Gouvernement à proposer aujourd’hui à la représentation nationale l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. Ces couples aspirent depuis de nombreuses années à pouvoir se marier. Leur reconnaître aujourd’hui cette possibilité, tant sur le plan institutionnel que juridique, est une étape supplémentaire vers l’acceptation sociale de l’homosexualité et constitue, par là même, une avancée majeure dans la lutte contre les discriminations.
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. En effet, si le regard de la société a commencé à changer sur l’homosexualité, le chemin à parcourir reste malheureusement encore long. Le temps où l’homosexualité était considérée comme une maladie, une pathologie psychiatrique ou une déviance n’est pas si éloigné. Gardons toujours cela à l’esprit !
II est de notre devoir, en tant que législateurs et représentants du peuple, d’offrir à tous les Français non seulement les mêmes droits, mais aussi les mêmes devoirs, quelle que soit leur orientation sexuelle, dans le respect des principes fondamentaux qui régissent notre société. Regardons nos voisins européens : sept d’entre eux ont déjà franchi le pas en accordant le mariage aux couples homosexuels !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais ce n’est pas comparable !
Mme Nicole Bonnefoy. Les Pays-Bas l’ont fait dès 2001, la Belgique en 2003, l’Espagne en 2005, la Suède en 2009, le Portugal en 2010, le Danemark en 2012 et la Grande-Bretagne cette année.
Mme Christiane Hummel. On l’a déjà dit !
Mme Nicole Bonnefoy. Nombreux aussi sont ceux, dont l’Allemagne, à avoir reconnu, sous des formes diverses, l’adoption par des couples de même sexe.
M. Alain Gournac. Sous des formes diverses, en effet !
Mme Nicole Bonnefoy. Ces sociétés s’en portent-elles plus mal ? La famille belge ou danoise a-t-elle volé en éclat ? Les enfants portugais ou suédois sont-ils plus malheureux qu’avant ? Bien sûr que non !
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’enlève rien à personne. Il ne s’agit pas de remplacer un modèle par un autre. Ce texte ne remet pas en cause l’institution du mariage pour les couples hétérosexuels. Il ne s’agit pas non plus d’ouvrir le mariage à tous, comme nous sommes parfois amenés à le dire par excès de langage. Les règles actuelles de fond et de forme qui le régissent sont maintenues : conditions d’âge, de consentement, d’empêchements quant aux liens de parenté,… Non, il s’agit ici de conférer une sécurité juridique, non seulement à travers des droits, mais aussi des devoirs, à tous les couples, sans distinction de sexe ou d’orientation sexuelle.
Je veux aussi rappeler que le mariage n’est pas un acte religieux en France. C’est un acte d’état civil qui vise, par un ensemble de règles juridiques, à faciliter et à régler les éventuels problèmes liés à la vie de couple. Je parle autant ici du droit à la succession que de la filiation ou du divorce.
À ceux qui disent que la finalité du mariage réside dans la procréation, j’aimerais demander comment ils considèrent les couples stériles, les couples de personnes âgées ou ceux qui ne désirent pas avoir d’enfants.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Eh oui !
Mme Nicole Bonnefoy. Faut-il leur interdire également l’accès au mariage ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
À ceux qui disent qu’un enfant doit absolument avoir un papa et une maman,…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oui !
Mme Nicole Bonnefoy. … j’aimerais demander comment ils jugent les mères, dont je suis, ou les pères qui élèvent seuls leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Charles Revet. Ils n’ont pas d’autre choix !
Mme Nicole Bonnefoy. Nous voyons bien là toutes les limites d’un raisonnement dogmatique d’un autre temps.
Comment pouvons-nous aujourd’hui priver des milliers de nos concitoyens et, par la même occasion, des milliers d’enfants de la sécurité juridique offerte par le mariage ? Cessons l’hypocrisie en la matière !
Aujourd'hui, 200 000 personnes se déclarent en couple de même sexe et entre 20 000 et 40 000 enfants, voire 250 000…
M. Gérard Longuet. N’importe quoi !
Mme Nicole Bonnefoy. … selon certaines associations, sont élevés par un couple homosexuel. L’État ne peut donc pas décemment rester aveugle et muet devant une telle situation. Il est inconcevable de priver ces personnes de la reconnaissance légale que leur procurerait le mariage. Ces familles ont droit à la protection de la loi ! Il y va non seulement de l’intérêt des mariés, avec tous les droits que procure le mariage, mais aussi de l’intérêt des enfants.
Il est, par exemple, impensable de laisser l’un des deux parents sans aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève. C’est pourquoi il faut autoriser l’adoption de l’enfant du conjoint. Or seul le mariage rend cette procédure possible.
Par ailleurs, établir la filiation de l’enfant avec ceux qui l’élèvent permettra de le protéger face aux aléas de la vie et lui ouvrira des droits, notamment en matière successorale.
En dépit de ce qui peut être dit, le projet de loi est donc bien une réforme dans l’intérêt de l’enfant.
À ce propos, aucune étude sérieuse – je dis bien aucune ! – n’a démontré, je le rappelle avec force, qu’élever un enfant au sein d’une famille homoparentale comportait des risques particuliers pour l’enfant, que ce soit d’un point de vue psychique ou social.
Mme Nicole Bonnefoy. C’est bien plus le regard des autres qui pose problème à ces enfants que l’homosexualité de leurs parents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Lors des auditions auxquelles a procédé la commission, la présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille a confirmé que les juges des enfants ne faisaient pas état de signalements particuliers sur ces enfants. La raison en est simple : l’éducation donnée à un enfant n’est liée ni au sexe de ses parents ni à leur orientation sexuelle ; c’est avant tout une question d’individus. Il y aura autant de bons ou de mauvais parents chez les homosexuels que chez les hétérosexuels.
M. Henri de Raincourt. Platitudes !
Mme Nicole Bonnefoy. Je pense que notre histoire a largement démontré qu’être élevé dans une famille hétérosexuelle n’était pas un gage de stabilité psychique ou d’environnement social serein.
En ce sens, il semble difficilement concevable de priver un couple homosexuel marié d’un droit à l’adoption, alors même que celui-ci existe pour les couples hétérosexuels et les célibataires. Mais il ne s’agit pas non plus, au travers de ce projet de loi, de laisser croire que les couples homosexuels pourront adopter systématiquement et facilement.
Mme Christiane Hummel. Votre temps de parole est fini !
Mme Nicole Bonnefoy. Ils devront remplir les mêmes critères que les couples hétérosexuels. À cet égard, il faut savoir que, en France, 27 000 couples sont déjà dans l’attente d’une adoption.
Finalement, et même si cela a été répété à maintes reprises, ce texte n’ouvre en aucune façon le droit à la PMA de complaisance ou à la GPA. (Mais si ! sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Charon. Monsieur le président, c’est fini !
Mme Nicole Bonnefoy. Pour ce qui concerne la PMA, le Comité consultatif national d’éthique rendra un avis,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quand ?
Mme Nicole Bonnefoy. … avant la fin de l’année, qui sera pris en compte par le Gouvernement.
Pour ce qui concerne la GPA, l’article 16-1 du code civil, qui pose le principe de l’indisponibilité du corps humain, demeure.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Bonnefoy. Le Président de la République et Mme la garde des sceaux ont rappelé à plusieurs reprises qu’ils n’avaient aucunement l’intention de revenir sur ce principe fondamental.
En somme, le périmètre du projet de loi que nous examinons se limite exclusivement – et doit se limiter – au mariage et à l’adoption conjointe aux couples de personnes de même sexe.
Avant de conclure mon propos (Exclamations sur les travées de l'UMP.), …
M. le président. Il vous faut conclure maintenant, ma chère collègue !
Mme Nicole Bonnefoy. En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat apportera son soutien plein et inconditionnel au projet de loi (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.), qui s’inscrit dans l’histoire des grandes avancées sociales de notre pays.
Comme le disait Montesquieu, « une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ». (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que certains membres du RDSE applaudissent également. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Madame la garde des sceaux, vous avez magistralement retracé à l’Assemblée nationale l’histoire du mariage civil, que vous avez qualifié de « conquête […] de la République ». Une conquête, disiez-vous, emportée dans un mouvement général de laïcisation de la société. Vous avez eu également raison d’évoquer le long et difficile chemin des femmes pour trouver leur place dans l’institution du mariage.
Aujourd’hui – c’est l’honneur du Gouvernement ! –, nous avons la faculté d’ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe.
En quatre décennies, la société française aura profondément changé de regard sur l’homosexualité.
Le premier pas sur le chemin de la reconnaissance fut franchi avec la loi du 4 août 1982 dépénalisant les relations homosexuelles. Le deuxième pas fut fait en 1999 avec l’adoption du PACS, qui donna lieu à des annonces catastrophistes, à l’agitation de toutes les peurs et à un débat assez semblable à celui que nous vivons aujourd’hui. Le troisième pas qu’il nous reste à franchir, c’est l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. J’espère que le Sénat, fidèle à sa tradition, mettra plus de raison que de passion dans ce débat.
Avec le PACS, nous avons eu l’acceptation de la différence, ce qui a permis aux homosexuels de sortir du silence, du mensonge, de la peur et de vivre légalement, au grand jour, leur union.
La sexualité est une dimension de la vie humaine où subsistent trop de zones d’ombre, trop de tromperies et de dissimulations, sources de multiples souffrances. C’est toute la société, tout le vivre-ensemble familial et social qui en pâtit.
Trop longtemps, l’homosexualité a été vécue comme une exclusion. Trop de jeunes la portent encore comme une faiblesse inavouable, jusqu’à en mourir parfois. Le PACS a ouvert une fenêtre, en permettant, enfin, de dire cette réalité. De fait, ce sont les couples hétérosexuels qui, très majoritairement, se sont approprié ce nouveau type de contrat, alors même qu’ils ont toute liberté de choisir le mariage. C’est bien le signe que nos contemporains ont une vision très diversifiée de la vie commune et ne se réfèrent pas forcément à l’institution du mariage.
Ce qui menace la stabilité des couples, ce n’est pas la création du mariage pour tous, mais ce sont notre individualisme, nos impatiences, les aléas de la vie moderne. La famille est la première à subir les conséquences du stress au travail, du chômage, de la pauvreté, du mal-logement. Depuis bien longtemps, les mariages se font et se défont. Le « modèle » de la famille unie par le mariage a volé en éclats et ledit « mariage pour tous » n’y est absolument pour rien. De plus en plus d’enfants vivent dans des foyers homosexuels. Comment notre société civile pourrait-elle ignorer cette réalité, la nier, lui refuser une normalisation légale ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !
Mme Catherine Tasca. Notre République n’est pas responsable des sentiments, ni de l’orientation sexuelle des individus, ni encore du choix de vie de chacun, mais elle doit donner à tous les couples le cadre juridique adéquat pour assumer leur engagement et leur pleine responsabilité à l’égard du partenaire et de l’enfant, ce que le PACS ne permet pas. Ce sont d’ailleurs ceux-là mêmes qui combattaient le PACS il y a quatorze ans qui réclament aujourd’hui son amélioration ou la création d’un nouveau contrat d’union civile. Que ne l’ont-ils fait pendant la décennie durant laquelle ils étaient au pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
MM. François Rebsamen et Jacques Mézard. Eh oui !
Mme Catherine Tasca. Le temps est venu de donner à tous les couples le cadre légal non discriminatoire auquel ils aspirent. Nous devons passer de la reconnaissance de la différence, avec le PACS, à l’acceptation de l’intégration réelle, avec le mariage. À mes yeux, il s’agit non seulement d’une quête d’égalité, mais aussi d’un principe de réalité et de respect de la dignité de tous. C’est l’ouverture d’une nouvelle liberté !
L’avenir dira si de nombreux couples homosexuels se saisiront de cette faculté ou si beaucoup d’entre eux continueront de se satisfaire de l’union libre ou du PACS. Au moins, aurons-nous levé une hypocrisie et une ultime barrière à une réelle liberté de choix.
Regardons ce qu’apporte le mariage civil, dont, curieusement, nos concitoyens ignorent bien souvent les conséquences juridiques. Ce n’est pas seulement la proclamation d’un amour, dont nous savons qu’il peut être précaire ; c’est la volonté d’un engagement durable et responsable. Là est notre responsabilité de législateur d’une République laïque. Laissons à chacun la liberté de faire consacrer ce lien du mariage par une Église, mais ne confondons pas ces deux engagements.
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Catherine Tasca. De toutes les formes d’union, le mariage est celle qui assure au mieux aux partenaires le partage des droits et obligations, qui assure le sort de celui qui reste en cas de décès de l’un d’entre eux et qui assure un règlement équitable en cas de séparation.
Quant aux enfants, leur place au sein des familles de plus en plus diverses et mouvantes pose de très nombreuses et difficiles questions à propos des droits de chacun des parents certes, mais plus encore à propos de leurs devoirs et obligations à l’égard de l’enfant et des droits de celui-ci.
C’est à toutes ces questions que le projet de loi que nous examinons veut répondre, avec la préoccupation prioritaire de l’intérêt de l’enfant, pour être fidèle à la Convention internationale des droits de l’enfant.
Si l’on considère – et je le considère – que la protection de l’enfant est l’objectif majeur, alors on ne peut laisser perdurer l’inégalité de traitement qui frappe les milliers d’enfants vivant avec des parents homosexuels. Leur filiation n’est reconnue qu’à l’égard de l’un des deux parents, que ce soit par filiation biologique ou par filiation adoptive. Ces familles sont de facto dans une situation d’insécurité juridique, psychologique et affective, le second parent n’ayant aucun droit à l’égard de l’enfant en cas de disparition du parent légal ou de séparation du couple. C’est à cette insécurité que le projet de loi mettra fin. L’essentiel est que l’enfant ait une famille solide, responsable et aimante pour l’accompagner dans son développement. Si le projet de loi aboutit comme nous le souhaitons, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra d’instaurer une véritable égalité entre tous les couples, en termes de droits et de devoirs.
On constate que le PACS a vu son régime juridique se rapprocher encore un peu plus de celui du mariage, avec la loi du 23 juin 2006, mais des différences notables subsistent, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans la mesure où elles ont déjà été évoquées.
Le mariage permet de pallier l’insécurité juridique du conjoint survivant en cas de décès de l’un des époux, en lui permettant de bénéficier d’une pension de réversion ou d’une allocation veuvage selon les situations. En termes de droits de succession, l’époux survivant est l’héritier légal, ce qui n’est pas le cas du partenaire lié par un PACS.
Enfin – ce n’est pas une considération secondaire –, l’époux est considéré comme le plus proche parent de l’autre pour les questions liées aux soins médicaux.
Le changement décisif apporté par ce texte réside dans son article 1er, qui établit, enfin, une véritable égalité entre tous les couples, en introduisant un article 143 dans le code civil, qui précise, pour la première fois, de manière explicite, la nature du mariage. Le mariage est non plus implicitement un contrat conclu entre un homme et une femme, mais est désormais explicitement « contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
L’égalité des droits est particulièrement importante pour ce qui concerne l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. L’article 343 du code civil dispose que « l’adoption peut être demandée par deux époux ». La possibilité pour les couples homosexuels de se marier leur ouvre dès lors le droit à l’adoption.
Le droit de l’adoption repose sur le principe fondamental du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Non seulement cette considération juridique résulte de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais elle est également inscrite dans notre droit national. Ainsi, l’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».
Alors oui, nous allons permettre aux couples homosexuels d’adopter ! Oui, nous allons permettre à deux parents de même sexe d’exercer l’autorité parentale en commun ! Au-delà du désir de parentalité, l’exercice de cette autorité a pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Le travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, et les auditions très larges qu’il a menées ont eu le mérite de mettre en lumière la nécessité absolue de bien traduire ce qu’on appelle aujourd’hui – et pour demain – « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette nécessité devra nous guider lors de l’examen de la future loi sur la famille.
Les futurs mariés de même sexe pourront adopter conjointement, dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Aujourd’hui, une personne vivant avec un partenaire de même sexe doit adopter seule. Dans les faits, selon les départements, cette personne doit souvent dissimuler sa situation familiale afin d’obtenir l’agrément. Est-ce bien l’intérêt de l’enfant ?
Nous savons que les possibilités d’adoption seront assez restreintes du fait du nombre d’enfants adoptables, très inférieur à celui des demandeurs. L’adoption de l’enfant du conjoint sera sans doute le cas le plus fréquent. Les milliers d’enfants vivant déjà dans une famille homoparentale vont enfin voir leur situation reconnue et protégée.
Aujourd’hui, les parents de même sexe doivent utiliser des moyens subsidiaires pour exercer une autorité parentale commune, à travers les procédures de délégation et de délégation-partage, qui, toutes, dépendent de la décision du juge. Avec ces mécanismes de délégation subsiste donc une certaine insécurité juridique, notamment en cas de séparation du couple.
En cas de décès du parent légal, le parent social redevient, en droit, un étranger vis-à-vis de l’enfant. Est-ce bien l’avenir que nous souhaitons préparer à ces enfants ? La possibilité d’adopter l’enfant du conjoint va permettre d’apporter une solution juridique sécurisante à ces enfants dont la vie peut très rapidement basculer en cas de survenance d’un événement dramatique, tel qu’une séparation ou un décès.
Quant à la filiation, il faut rappeler, à ceux qui prétendent que l’on mentirait à un enfant en lui disant qu’il a été conçu par deux pères ou par deux mères, que l’adoption simple laisse la mention de la filiation d’origine sur l’acte de naissance de l’enfant et que, en cas d’adoption plénière, la référence du jugement d’adoption figure toujours sur cet acte de naissance. La nature adoptive de la filiation n’est pas cachée à l’enfant. La filiation ne repose donc pas sur un mensonge.
Le droit d’accès aux origines devra sans doute faire l’objet d’une évolution, mais nous avons d’ores et déjà rompu avec le modèle strictement procréatif, en permettant à une personne seule d’adopter de façon plénière, et donc de voir une filiation établie à l’égard d’un seul parent. On peut compter sur le bon sens des enfants pour que, très jeunes, ils voient clairement, grâce à leur environnement, qu’ils ne sont pas « nés » de deux hommes ou de deux femmes, pas plus que d’une femme seule, ce qui ne les empêchera pas de vivre à la fois le lien affectif et juridique.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Absolument !
Mme Catherine Tasca. Il est enfin une question que le texte, tel qu’il nous arrive de la première lecture à l’Assemblée nationale, traite précisément : c’est la question du patronyme. Nous y reviendrons au cours du débat. Ce n’est pas un sujet mineur, car, dans notre société, porter un nom différent de celui de sa mère ou de celui de sa fratrie peut être une vraie douleur pour l’enfant.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Tasca. À toutes les questions posées par l’ouverture du mariage aux homosexuels, le projet de loi répond concrètement. C’est un texte qui met fin à une discrimination. C’est un texte de pacification de notre société qui connaît des mutations profondes. C’est donc un texte de progrès que le groupe socialiste soutient pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, inamovible, uniciste, moraliste, la vision que la société s’est longtemps faite de la famille a évolué pour laisser aujourd’hui place à une multitude de structures familiales, à une multitude de formes d’engagement, à une multitude de régimes protecteurs.
Oui, nous pouvons nous réjouir de constater que le regard que la société porte sur la famille a évolué ! Je ne reviendrai pas sur les différentes lois emblématiques qui ont accompagné ces évolutions.
Accompagner, le terme n’est pas choisi au hasard, car nous pouvons tous affirmer que, lorsque des évolutions sociales se sont fait jour, le législateur, poursuivant son rôle de protection de l’intérêt général, est simplement venu les accompagner et a parfois servi de guide sur le chemin de l’égalité.
Égalité, là aussi, le terme est approprié, et je dirai même : revendiqué. Mmes les ministres ainsi que ma collègue Cécile Cukierman ont développé ce point, je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour interpeller, dans cet hémicycle, ceux qui s’opposent à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
Mes chers collègues, comme l’a dit le rapporteur Jean-Pierre Michel, il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la reconnaissance sociale et législative de la légitimité de leur couple ; il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’entourent.
Aussi, je m’étonne de voir les opposants à ce texte, invoquant la protection de la famille, brandir dans la rue le code civil ou des pancartes où nous pouvons lire : « Touche pas à mon code civil. » À ces opposants, je rappellerai qu’il n’existe pas de définition de la famille dans le code civil, mais seulement des régimes juridiques que le législateur a créés pour la protéger. Dès lors, si notre société reconnaît aujourd’hui les familles homoparentales, il devient du devoir de ce législateur d’apporter une réponse en droit à cette réalité sociale, pour faire bénéficier ces couples et ces enfants des droits que notre code civil offre et leur imposer les obligations que ce même code édicte.
Je m’étonne également que l’on nous oppose l’intérêt de l’enfant comme prétexte au rejet du texte. Je m’en étonne, car je pense que c’est justement et essentiellement cet intérêt qui guide le Gouvernement et la majorité de cet hémicycle aujourd’hui. L’intérêt de ces enfants commande qu’ils puissent bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi. Or, actuellement, cette protection est fragilisée par le fait que l’un des deux parents n’a aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève pourtant.
Autre prétexte au rejet du texte, il faudrait, selon les opposants, instaurer une certaine primauté – pour ne pas dire exclusivité – de la filiation dite « biologique » sur la filiation dite « sociologique », ou une imitation de la vérité biologique plus précisément, puisque peu importe, en réalité, si les personnes qui exercent l’autorité parentale sont les véritables parents biologiques de l’enfant. On devine que, pour les opposants, seul compte le fait qu’ils sont censés avoir pu le concevoir ensemble ! Sur ce point, est-il besoin de rappeler que c’est justement dans l’intérêt de l’enfant que notre code civil reconnaît déjà que la parenté est le résultat d’une construction juridique issue d’un subtil dosage entre vérité biologique et vérité sociologique ?
En effet, je ne vous l’apprends pas, la parenté fondée sur la vérité sociologique est un concept qui figure déjà dans notre droit. Je pense, par exemple, à la possession d’état, qui recommande, dans l’intérêt de l’enfant, que les liens d’affection qui unissent le parent et l’enfant soient reconnus par le droit. Le code civil reconnaît donc parfois que la vérité biologique puisse être écartée au profit de la vérité sociologique, car l’intérêt de l’enfant plaide en faveur d’une protection des liens qu’elle tisse. Ainsi, cet argument n’est pas recevable : contester la légitimité de ce type de filiation aux parents homos, alors qu’il existe déjà pour les parents hétéros, ne peut être que discriminatoire.
Mes chers collègues, il est de notre responsabilité d’ouvrir le débat sur le désir de fonder une famille, de transmettre la vie. Il nous faut débattre pour répondre aux attentes, parfois aux souffrances morales et sociales, auxquelles enfants et parents sont confrontés. Les membres de notre groupe sont partagés sur ces questions. Il n’existe pas de famille modèle ni idéale et l’orientation sexuelle des individus n’est pas une garantie quant à la « qualité » des futurs parents. Si nous sommes tous ici soucieux du bien-être de nos enfants, c’est ailleurs que dans le choix sexuel de leurs parents qu’il nous faut rechercher les modalités de leur plein épanouissement.
Il nous faut débattre sans aucun préjugé. En disant cela, je pense notamment aux amendements plus que douteux déposés par certains de nos collègues et visant à introduire le principe de précaution lors de l’adoption de l’enfant par des couples homos. Nous devons débattre sans préjugés, disais-je, car, contrairement à une idée trop souvent répétée, aucune étude sérieuse n’est venue établir que le fait d’élever un enfant dans le cadre d’un foyer homoparental comporterait des risques particuliers au regard de l’évolution psychique ou sociale de l’enfant. Bien au contraire, l’une des rares enquêtes menée par la plus importante association de pédiatres et de pédopsychiatres des États-Unis a conclu au caractère neutre de l’orientation sexuelle du couple parental dans le développement et l’épanouissement de l’enfant.
Pour finir, je rappellerai que, si certains enfants souffrent parfois du regard extérieur, c’est parce que la législation actuelle ne les traite pas à égalité avec les autres enfants. Les enfants ont besoin d’avoir des parents de plein droit pour se sentir eux-mêmes enfants de plein droit. Il est donc enfin temps pour nous, aujourd’hui, de reconnaître le désir de parentalité de ces couples. Le reconnaître ne revient pas à assouvir une revendication égoïste d’un droit à l’enfant de la part de ces personnes, mais revient simplement à reconnaître cette volonté légitime de s’inscrire dans le monde commun de la transmission, cette volonté de donner à ces enfants des droits, aussi bien en matière de succession qu’en matière de sécurité affective. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et Mme la rapporteur pour avis de la qualité des travaux qu’ils ont dirigés au sein de notre assemblée. Toutes les opinions ont en effet pu s’exprimer. Le débat a eu lieu au Sénat, et c’est une très bonne chose.
Disposant de peu de temps, je vais me borner à quelques brèves remarques.
Des personnes de même sexe peuvent bien sûr s’aimer et, à ce titre, elles ont droit à notre respect. Elles peuvent donc nous demander d’organiser leur vie afin de bénéficier de plus de sécurité. Le Parlement joue pleinement son rôle quand il essaie de répondre à ces demandes. Le seul problème est de savoir si la réponse que vous nous proposez de leur apporter, madame la garde des sceaux, est bonne ou non. Je soutiens, quant à moi, que vous n’apportez pas la bonne réponse, pour le mariage comme pour l’adoption.
Vous invoquez le principe d’égalité pour justifier vos positions. C’est une vieille habitude française ! En 1793 – permettez-moi de faire à mon tour un historique –, Cambacérès, en présentant la première version du code civil qu’il avait rédigée, invoquait également le principe d’égalité.
M. Jacques Mézard. Il avait raison !
M. Michel Mercier. Or c’est dans son système que la femme était la plus soumise à l’homme. Je ne suis pas étonné que vous ayez approuvé, monsieur Mézard. (Sourires.)
Le mariage que l’on nous propose de modifier est celui qui figure dans le code civil rédigé par Portalis, ce n’est pas le mariage religieux, qui n’a rien à voir dans ce débat.
M. Jean-Michel Baylet. Vous êtes le porte-parole de Mgr Barbarin !
M. Michel Mercier. Je vous remercie, monsieur Baylet, de rappeler que je suis catholique. Sachez que je l’assume, ce qui me permet de réaffirmer que nous débattons non pas d’une question religieuse, mais d’un point qui fait l’objet d’un consensus culturel et anthropologique. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. Gérard Larcher. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Dites-le à Civitas !
M. Michel Mercier. Ce consensus n’a jamais été mieux exprimé que par Aragon, dans son poème de 1960 :
« Tout peut changer mais non l’homme et la femme
« Tout peut changer de sens et de nature
« Le bien le mal les lampes les voitures
« Même le ciel au-dessus des maisons
« Tout peut changer de rime et de raison
« Rien n’être plus ce qu’aujourd’hui nous sommes
« Tout peut changer mais non la femme et l’homme »
Or c’est ce consensus que le projet de loi remet en cause. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mme la ministre déléguée s’exclame.)
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Michel Mercier. Madame la ministre, vous êtes peut-être gênée que je cite Aragon,…
M. Robert Hue. Aragon aurait voté le mariage pour tous !
M. Michel Mercier. … mais c’est l’un des plus grands poètes de ces dernières années. Rappelez-vous La Rose et le réséda.
M. Robert Hue. Je vous affirme qu’il n’aurait pas voté avec vous !
M. Michel Mercier. Monsieur Hue, nous n’en savons rien. D’ailleurs, je n’ai pas affirmé le contraire. J’ai simplement souligné qu’il avait décrit ce qu’était le consensus anthropologique – qui, selon vous, n’existerait plus – sur lequel notre société a bâti le mariage. Vous pouvez le remettre en cause, mais encore faut-il dire clairement par quoi vous voulez le remplacer.
Vous passez d’un statut, voulu par la Révolution française, voulu par le code civil, à un acte individuel, remettant ainsi en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, je veux parler de l’altérité des sexes entre les époux.
Vous auriez pu apporter une autre réponse. En créant une union civile, par exemple, que notre collègue Patrice Gélard a évoquée. Vous auriez pu vous inspirer de la Rome royale et républicaine, qui connaissait deux mariages : l’un cum manu, l’autre sine manu. La seule différence portait sur la filiation et sur le mode d’entrée dans la famille. Cette solution aurait permis de conserver le mot « mariage », si ce terme magique est la marque de l’égalité. Pourtant, je crois très honnêtement qu’on ne peut parler d’égalité qu’entre des êtres semblables, sinon c’est l’altérité qui prévaut.
La question de l’adoption est plus grave.
Vous avez décidé – c’est une bonne chose – de ne pas toucher à l’article 310 du code civil, qui dispose que tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère.
Reste que vous proposez que les couples homosexuels puissent recourir à l’adoption plénière. Or l’adoption plénière conduit à créer un nouvel état civil pour ces enfants. Un état civil sur lequel il sera clairement inscrit : « né de deux parents du même sexe. » (M. Charles Revet s’esclaffe.) La Cour de cassation a rappelé que cela était contraire à un principe essentiel du droit français de la filiation. Surtout, cette disposition, qui nous fait passer du droit des enfants au droit à l’enfant, va conduire à constituer un état civil particulier pour les enfants adoptés par des couples homosexuels en faisant de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité.
M. François Rebsamen. Mais non !
M. Michel Mercier. Mais si, monsieur Rebsamen ! Au nom de l’égalité, vous allez probablement créer une très grande discrimination. C’est parce que je suis en désaccord avec l’adoption plénière que je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’histoire de la République est une promesse, celle de la marche vers l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de quelque sorte. Car, comme le disait Montesquieu, « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité » !
Madame la garde des sceaux, il est de l’honneur du Gouvernement de la République auquel vous appartenez de continuer à donner vie à cette belle promesse en soumettant au Parlement le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Ce texte vient traduire dans notre droit la proposition de campagne du candidat François Hollande. Comme des millions de Français, j’ai soutenu le candidat et cette proposition. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
Ce texte va enfin concrétiser, pour des milliers de couples et de familles, un principe d’égalité de traitement et de considération, la reconnaissance d’un statut juridique identique, sans distinction portant sur des aspects ne relevant que de la vie privée.
Cette évolution vient de loin. Je me réjouis que l’histoire aille dans le sens d’un élargissement continu des droits, en permettant l’inclusion des citoyens.
Curieux paradoxe – au demeurant déjà souligné – que de constater que ceux qui étaient, hier, au nom de la défense de la famille, les adversaires acharnés du PACS – je m’en souviens, j’étais parmi les députés qui l’ont voté à l’Assemblée nationale –, s’en fassent aujourd’hui les chantres zélés, allant jusqu’à proposer une union civile qui n’est, en réalité, qu’une version améliorée du PACS, sans permettre la même protection.
En quinze ans à peine, l’évolution des mentalités – c’est heureux ! – a conduit à banaliser les PACS contractés entre personnes de même sexe. Nul ne songe aujourd’hui à revenir dessus, nous l’avons dit. Or les Français sont aujourd’hui largement favorables au mariage entre personnes de même sexe…
M. Jean-Michel Baylet. Eh oui !
M. Robert Hue. … comme le montrent un certain nombre de sondages, même si tout ne se fait pas avec les sondages. Je ne doute donc pas que, d’ici à quelques années, la même banalisation du mariage s’imposera, comme cela s’est passé dans les pays qui ont déjà légiféré dans ce sens.
Ce constat démontre à quel point le combat pour les droits des homosexuels fut aussi âpre que méritoire. Je pense, bien sûr, à la dépénalisation des relations homosexuelles voulue par le Président François Mitterrand en 1982. Je pense aussi, en ce jour, aux revendications exprimées à partir des années 1980, lorsque l’épidémie de sida produisit ses premiers ravages.
L’absence de tout statut légal pour les couples homosexuels plaçait de nombreuses personnes dans des situations matérielles difficiles après le décès de leur concubin, en plus du deuil qui les frappait. C’est aussi pour que de tels drames humains ne se reproduisent plus que ce texte constitue un progrès social.
Mes chers collègues, la famille est bien un socle de notre société. Pour autant, on ne saurait réduire la famille à une simple réalité biologique assise sur les liens du sang. Il n’est pas besoin d’un exposé exhaustif pour constater que le modèle familial, défendu par les opposants à ce texte, n’est qu’une invention récente au regard de l’histoire.
Comme tout modèle, il a ses contingences, soumises aux évolutions de la société. Le modèle familial d’hier n’a pas vocation à demeurer figé dans un moule éternel. Le sens du mariage a lui-même évolué pour exprimer avec davantage d’intensité des ressorts libéraux et égalitaires entre deux personnes qui s’aiment. Que l’on songe au statut de l’épouse avant 1965, lorsqu’elle ne pouvait même pas travailler sans l’autorisation de son mari ! Le droit doit appréhender les faits, et non l’inverse. Nous sommes donc dans notre rôle de législateur en portant cette évolution du droit, a fortiori au nom de l’égalité.
À tous ceux qui s’opposent à ce texte, faut-il dire que, non, nous n’allons pas détruire les fondements de la société ? Non, nous n’allons pas changer de paradigme anthropologique, comme je viens de l’entendre ! Non, nous n’allons pas créer des générations d’enfants psychologiquement instables !
Madame la garde des sceaux, vous l’avez dit, le mariage n’est plus le seul mécanisme de légitimation sociale des familles, même s’il en garantit le niveau de protection le plus élevé. Rappelons-nous que, jusqu’à 2001, les enfants légitimes et naturels n’étaient pas placés sur le même plan d’égalité en matière de successions. D’ailleurs, les familles homoparentales ne constituent pas un fait isolé, puisque l’INSEE estime de 20 000 à 30 000 le nombre d’enfants concernés.
En toute hypothèse, le seul critère qui importe doit être celui de l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel doit bénéficier de la protection juridique la plus élevée. Or, actuellement, ces enfants vivent dans une zone grise juridique susceptible d’amoindrir leurs droits et d’affecter les liens qu’ils entretiennent avec leur parent biologique ou social.
M. le président. Si vous voulez bien conclure, mon cher collègue.
M. Robert Hue. Pour conclure, je dirai donc que ce texte, qui s’inscrit dans la longue marche du progrès, permet aussi de mettre fin à une hypocrisie légale puisque notre droit donne déjà la possibilité à une personne seule homosexuelle d’adopter, tandis que cette possibilité est refusée à un couple homosexuel.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour terminer (Ah ! sur les travées de l'UMP.),…
M. le président. Oui, s’il vous plaît !
M. Robert Hue. … je dirai que nous avons conscience de la solennité de ce moment où bien des yeux de nos concitoyens sont dirigés vers notre hémicycle.
L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ne constitue pas l’octroi d’un droit. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Robert Hue. Je termine, monsieur le président.
Chers collègues de l’opposition, la société change. Si vous ne voulez pas changer avec elle, elle changera sans vous. Et c’est cela qui est l’essentiel aujourd’hui ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures dix.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 4 avril, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour :
- du jeudi 11 avril, le soir, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ;
- du lundi 15 avril, l’après-midi et le soir, de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral, ainsi que des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, intercommunaux et départementaux.
Il a par ailleurs demandé le retrait de l’ordre du jour du mardi 16 avril du projet de loi relatif à la convention OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est.
Acte est donné de cette communication.
9
Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 4 avril 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de l’article 695-46 du code de procédure pénale (mandat d’arrêt européen) (n° 2013-314 QPC).
Acte est donné de cette communication.
10
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe
Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Dépôt d’une motion référendaire
M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 11 de la Constitution et de l’article 67 du règlement, j’ai reçu une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bonne idée !
M. le président. En application de l’article 67, alinéa 1, du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires.
Huissier, veuillez procéder à l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.
Ont déposé cette motion : MM. Bruno Retailleau, Jean-Claude Gaudin, Christophe-André Frassa, Antoine Lefèvre, Éric Doligé, Jean-Claude Lenoir, Mme Christiane Kammermann, M. Pierre André, Mlle Sophie Joissains, MM. Francis Delattre, Jean Bizet, Hugues Portelli, Marcel-Pierre Cléach, Mme Caroline Cayeux, MM. Gérard Longuet, Gérard Larcher, Bruno Sido, Jean-Patrick Courtois, François Pillet, Michel Magras, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Jacques Hyest, Raymond Couderc, Michel Fontaine, Mmes Catherine Deroche, Colette Giudicelli, MM. Benoît Huré, Patrice Gélard, Michel Bécot, Alain Gournac, Philippe Bas, Mme Colette Mélot, MM. Jackie Pierre, Charles Guené, Gérard César, Mme Catherine Procaccia, MM. Jean-Pierre Leleux, Alain Chatillon, Pierre Charon, Henri de Raincourt, Pierre Bordier, André Dulait, Jean-François Humbert, René Garrec, Charles Revet, Jacques Legendre, Mmes Hélène Masson-Maret, Marie-Annick Duchêne, M. François-Noël Buffet, Mme Catherine Troendle, MM. René Beaumont, Gérard Dériot, Michel Houel, Mme Esther Sittler, MM. Gérard Bailly, André Reichardt, Pierre Martin, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Paul Fournier, René-Paul Savary, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Christiane Hummel, MM. Jean-Noël Cardoux, Philippe Dominati, André Ferrand, Christophe Béchu et Dominique de Legge.
Cette motion sera envoyée à la commission des lois.
Sa discussion aura lieu conformément à l’article 67, alinéa 2, du règlement « dès la première séance publique suivant son dépôt », c’est-à-dire demain, vendredi 5 avril, à dix heures.
Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, la discussion générale sera organisée sur deux heures, les inscriptions de parole devant être faites à la direction de la séance avant demain, à neuf heures.
Pour l’heure et conformément à la tradition, nous allons poursuivre la discussion du projet de loi.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour un rappel au règlement.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que notre commission des affaires sociales a été saisie pour avis du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Vous nous avez dit cet après-midi, madame Meunier, que nous vivions un moment important et que nous entrions, à notre manière, dans l’histoire de France. Quant à M. Baylet, il nous a demandé un débat de qualité. Nous en avons pris acte.
Pour autant, ce matin, à dix heures trente-neuf, les membres de la commission des affaires sociales, dont je fais partie, ont reçu un courriel les convoquant à une réunion de la commission des affaires sociales jeudi matin prochain, au lieu de mercredi matin. Comment, dans ces conditions, se dérouleront nos débats ?
Vous voulez débattre, et nous aussi. Pourquoi donc nous éloigner de l’hémicycle ? En effet, nous devions examiner ce texte jeudi matin prochain en séance publique. Mercredi matin, en revanche, non seulement nous n’en débattrons pas en séance publique, mais la commission des affaires sociales ne se réunira pas non plus.
C’est la deuxième fois qu’une telle chose se produit. J’avais en effet déjà fait un rappel au règlement devant la commission des affaires sociales, au motif que l’audition du ministre devait avoir lieu le mardi matin, durant les réunions de groupe.
Je vous demande donc, monsieur le président, de bien vouloir faire respecter le règlement intérieur pour le bon déroulement de nos travaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je souhaite informer les membres de la commission des lois que nous nous réunirons demain matin à neuf heures trente pour examiner la motion référendaire, puisque celle-ci est renvoyée à la commission des lois. (Murmures sur plusieurs travées de l'UMP.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Et la réponse de la commission des affaires sociales ?
Discussion générale (suite)
M. Charles Revet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues – moins nombreux à gauche qu’à droite (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) –, le doyen Patrice Gélard nous a présenté de façon très brillante (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) une analyse fondée du projet de loi qui nous est soumis. J’ai compris,…
M. David Assouline. Moi, je n'ai rien compris !
M. Charles Revet. … au silence qui régnait pour l'écouter, que, même vous, madame le garde des sceaux, étiez sensible aux arguments qu'il a avancés.
M. Charles Revet. Notre collègue a également exposé la position du groupe UMP et les raisons qui conduiront la quasi-totalité de ses membres à s’opposer à l’adoption de ce texte, si celui-ci reste en l’état.
Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, notre opposition n’est pas politique : elle est beaucoup plus fondamentalement philosophique et sociétale, et cela nous concerne tous.
M. le Président de la République, dans le contexte économique que nous connaissons et alors que notre armée est engagée sur différents fronts, en particulier au Mali, fait appel au rassemblement et à la cohésion nationale. Dans ces conditions, pourquoi nous soumet-il dans le même temps un texte dont il sait qu’il fait division à l’intérieur de notre pays, y compris pour des personnes de la même sensibilité politique que lui ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) N’est-ce pas lui qui devrait montrer l’exemple d’une volonté de cohésion nationale ?
Madame le garde des sceaux, je vous poserai deux questions : pourquoi nous soumettre un texte qui, s’il est adopté, bouleversera en profondeur les fondements de notre société ? Jusqu’où voulez-vous aller ? Déjà beaucoup s’inquiètent de voir disparaître les repères et valeurs qui ont servi de base à la construction de notre société et au développement de notre beau pays.
L’adoption des dispositions que vous proposez dans le projet de loi dit « mariage pour tous » fera table rase de fondements essentiels. Peut-être est-ce voulu... Quoi qu’il en soit, dites-nous à quoi vous voulez aboutir et quelle société vous proposez pour demain.
J’entends que vous allez nous répéter que c’est l’application d’une promesse de campagne du Président de la République. On affirme aussi que cela n’entraînera aucun changement pour la majorité de nos concitoyens et que c’est simplement un élargissement aux personnes de même sexe des dispositions prévues dans le cadre du mariage.
M. Jean-Pierre Godefroy. Eh oui !
M. Charles Revet. Pensez-vous que ce texte aurait provoqué autant de réactions de tous bords, de toutes instances, des manifestations, une mobilisation aussi importante, si c’était aussi simple et aussi peu fondamental que vous voulez le laisser croire ?
Madame le garde des sceaux, vous ne pouviez être présente lors des nombreuses auditions qui ont eu lieu les semaines passées, et je remercie le président de la commission des lois et le rapporteur de les avoir organisées. Celles et ceux qui y ont participé – j’en étais – ont noté la convergence de la plupart des interventions. Toutes les personnalités que nous avons reçues nous ont fait part de leurs interrogations et de leurs inquiétudes quant aux conséquences qui découleraient de l’adoption de ce texte. Tous ont insisté sur deux aspects.
D’une part, les différents intervenants ont rappelé que le terme « mariage » était un terme signifiant – cela a d'ailleurs fait l’objet d'une discussion –, c’est-à-dire un terme dont la définition a été constante au fil des siècles : il s’agit de l’union d’un homme et d’une femme qui, dans leur complémentarité, peuvent donner la vie.
D’autre part, et de manière plus importante encore, les intervenants ont mis en évidence les conséquences en matière de filiation. J’ai à l’esprit ces propos de Mme la présidente de chambre au tribunal de grande instance de Paris, responsable du service des affaires familiales : « Il faut bien constater que l’accès des couples de même sexe à l’institution du mariage a pour conséquence mécanique de bouleverser tout le droit de la famille, lequel a été conçu et structuré autour de l’idée qu’une famille, c’est un père, une mère et des enfants. À cet égard, l’entrée du "mariage pour tous" dans notre ordre juridique produit un "effet domino", un domino venant renverser tous les autres. »
Plus tard, Mme Bérard met en garde : « Quand vous parlez de mariage, vous parlez de filiation ; quand vous parlez de filiation, vous parlez de famille ; et quand vous parlez de famille, vous ouvrez un tas de boîtes. »
Je pourrais citer d’autres interventions qui ont souligné les enjeux et les conséquences qui découleront de l’adoption de ce texte. Madame le garde des sceaux, ne pensez-vous pas, au regard de tout cela, et sauf s’il s’agit pour le Gouvernement d’une volonté idéologique de changer en profondeur les fondements de notre société, qu’il faut faire preuve de prudence dans les dispositions que nous pouvons engager ?
Je n’oublie pas la demande des personnes de même sexe souhaitant vivre ensemble. Il est possible de traiter cette question sans pour autant engager des bouleversements. D’ailleurs, lorsque ces personnes ont, à plusieurs reprises, manifesté leurs revendications, ne voulaient-elles pas être reconnues dans leur différence ?
L’égalité à laquelle vous faites référence pour justifier le texte qui nous est soumis revient-elle à mettre tout le monde dans le même moule, alors que, par nature, un homme, une femme sont différents, alors que deux hommes ou deux femmes ensemble ne pourront jamais procréer ? L’égalité, me semble-t-il, c’est que, à situation équivalente, hommes et femmes soient traités de la même manière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Que celles et ceux de même sexe qui ont choisi de vivre en couple demandent à pouvoir bénéficier des dispositions liées à cette notion de couple me paraît légitime et c’est à nous de le prendre en compte.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Charles Revet. Pour ce faire, nous devons revoir certaines dispositions, législatives ou réglementaires, mais il ne s’agit pas de fondre dans le même ensemble des situations qui sont voulues et reconnues comme différentes. Ce peut être simple à mettre en place, à condition de le vouloir : tel sera le sens des propositions qui seront faites lors de l’examen des articles.
Madame le garde des sceaux, ne croyez-vous pas que notre pays a un urgent besoin d’apaisement ? Le Président de la République a promis de traiter la situation de personnes de même sexe vivant en couple.
M. le président. Mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Charles Revet. Faisons-le en des termes correspondant à leur situation : c’est, je crois, ce qu’ils attendent ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, de grandes figures ont été évoquées dans ce débat, d’autres, moins connues, mais tout aussi belles et généreuses, qui ont marqué l’histoire par leurs combats pour la liberté et l’égalité.
Victor Schœlcher, qui a siégé dans cet hémicycle, est de celles-là. En 1848, il écrivait ces mots solennels : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine ; elle n’exclut personne de son immortelle devise : liberté, égalité, fraternité. »
M. René Beaumont. Rien ne nous sera épargné !
M. Yves Daudigny. Ce projet de loi, mes chers collègues, est fils de la République. C’est un projet de liberté, d’égalité et de fraternité.
Un projet de liberté, parce qu’il n’oblige pas, ne contraint personne, mais tout au contraire autorise.
M. Gérard Longuet. Il ne contraint personne à devenir homosexuel : voilà une bonne nouvelle !
M. Yves Daudigny. Un projet d’égalité, parce qu’il reconnaît à tous les couples, sans distinguer selon leur orientation sexuelle, l’accès aux mêmes droits et devoirs lorsqu’ils souhaitent formaliser et sécuriser leur union et choisissent de se marier.
Un projet de fraternité, enfin, parce qu’il contribue à enrichir notre « capital social », à renforcer le ciment qui permet à chacune et chacun, dans le respect de son altérité, de faire communauté et de faire sens.
Le mariage a longtemps été l’institution des propriétés, des legs, des héritages, des notaires et des prêtres, une institution d’autorité, celle du chef de famille sur le patrimoine incluant l’épouse et les enfants, une institution d’exclusion contre les juifs, les protestants, les comédiens…
En détachant la loi des sacrements pour l’inscrire dans l’ordre républicain, le constituant de 1791 a permis qu’il soit mis fin à ces exclusions. Dans la continuité de cette conquête permanente de liberté, d’égalité et de responsabilité, les lois de 1970 et de 1975 ont reconnu aux femmes des droits dont elles étaient privées, et celle de 1972 a mis fin à l’exclusion dont les enfants adultérins et naturels étaient victimes.
Ce projet s’inscrit clairement dans cette évolution de l’état civil des personnes et participe à la longue lutte contre les exclusions. Il est la suite logique de l’émancipation progressive du législateur de l’empreinte religieuse, patriarcale et discriminatoire et nous propose de mettre fin à l’exclusion des personnes homosexuelles du mariage et de l’adoption, exclusion que condamne la Cour européenne des droits de l’homme, et qu’aucun principe fondamental de notre ordre républicain ne légitime.
Les conséquences de cette exclusion sont en effet souvent dramatiques pour nos concitoyens. Le PACS, à cet égard, s’est révélé tout à fait insuffisant, malgré les améliorations apportées en 2006 avec le maintien du domicile commun au profit du partenaire survivant durant une année après le décès, en 2007 avec l’exonération de sa part successorale, et en 2009 avec l’adoption d’une règle de conflit de lois permettant la reconnaissance des PACS enregistrés à l’étranger.
Comment accepter que, pour la seule raison de leur orientation sexuelle, des personnes que le mode de vie ne distingue pas de toutes les autres continuent à être privées du droit à pension de réversion, bien qu’elles en remplissent toutes les conditions de fond,…
Mme Nathalie Goulet. La pension de réversion, c’est un vrai sujet !
M. Yves Daudigny. … qu’elles soient, pour la même raison, privées des droits à majoration d’assurance versée à raison de l’incidence sur leur carrière de la naissance et/ou de l’éducation de leurs enfants, qu’elles soient encore privées du droit à indemnisation du congé d’adoption et que des orphelins soient privés de la rente due aux enfants de victimes d’accidents mortels du travail ?
Pourquoi certains enfants sont-ils privés…
M. Alain Gournac. D’un papa et d’une maman !
M. Yves Daudigny. … du bénéfice de l’exercice de l’autorité parentale des personnes qui les aiment, assument leur charge et les élèvent sans en avoir le droit ?
N’ont-ils pas eux aussi un intérêt légitime à être juridiquement protégés ?
Responsable de l’aide sociale départementale à l’enfance, je peux témoigner, comme beaucoup d’entre nous ici, combien ce sont en réalité la misère matérielle, l’ignorance, le sectarisme et l’intolérance qui détruisent les familles et les enfants.
Telle est la réalité. Et quand elle s’accorde aux principes fondamentaux, quand les lois satisfont ce besoin de liberté et d’égalité des uns sans contredire les besoins des autres, alors, nous sommes sûrs d’être dans le juste.
C’est pourquoi nous défendons et approuvons ce projet de loi, qui affronte avec courage et lucidité la réalité sociale et apporte effectivement à nos concitoyens plus de justice et de sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord excuser mon collègue Yves Détraigne, qui devait intervenir aujourd’hui et qui est retenu dans la Marne à la suite d’événements dramatiques qui se sont produits dans sa commune.
Mes chers collègues, au nom du principe d’égalité, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de considérer qu’un homme doit pouvoir épouser un homme et qu’une femme doit pouvoir épouser une femme.
Et, dans la même logique, il nous propose également, ce qui est plus préoccupant à mon sens, que ces couples puissent également adopter des enfants, en attendant de pouvoir recourir sous peu à l’aide médicale à la procréation pour les couples de femmes et à la gestation pour autrui pour les couples d’hommes.
Je le dis à celles et ceux qui, de bonne foi ou non, affirment l’inverse : dès lors que l’on aura accepté le mariage entre deux hommes et entre deux femmes et l’adoption, la procréation médicale assistée et la gestation pour autrui viendront inévitablement, d’autant, nous le savons, qu’il n’y aura pas assez d’enfants…
M. Bruno Sido. Et même aucun !
M. Hervé Maurey. … à adopter pour répondre aux attentes des couples homosexuels.
M. Jean Bizet. C’est la vérité !
M. Hervé Maurey. Le principe d’égalité, aujourd’hui invoqué pour justifier le mariage et l’adoption, sera de la même manière mis en avant demain pour justifier le recours à ces techniques de procréation.
Pourquoi, en effet, refuserait-on la GPA aux couples d’hommes dès lors que les couples de femmes pourront accéder à l’étranger, si ce n’est en France, à la PMA pour avoir des enfants ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est déjà le cas !
M. Hervé Maurey. Pourquoi instaurerait-on une inégalité entre couples d’hommes et couples de femmes alors qu’on prétend aujourd’hui que les couples homosexuels doivent avoir le même accès au mariage et le même droit à l’adoption que les couples hétérosexuels ?
Le mariage, je vous le rappelle, mes chers collègues, a pour objet depuis la nuit des temps d’unir l’homme et la femme en vue de créer une famille et d’offrir un cadre à la naissance, l’accueil et l’éducation des enfants.
Mme Éliane Assassi. Votre référence, c’est la Bible ?
M. Hervé Maurey. En dehors même de la revendication d’égalité, ce motif conduira à exiger le droit à la procréation médicale assistée et à la gestation pour autrui, et fera ainsi exploser la notion même de famille.
Je voudrais souligner que le principe d’égalité, qui est constamment évoqué depuis le début de nos travaux par un certain nombre de mes collègues, me semble être mis en avant par les partisans de ce texte de manière inappropriée, pour ne pas dire abusive.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Très bien !
M. Hervé Maurey. Chacun sait en effet que, en droit, l’égalité ne s’applique qu’à des situations équivalentes.
Or, et contrairement à ce que nombre d’orateurs ont essayé de nous faire croire, il est évident qu’au regard de la famille, un couple d’hommes ou un couple de femmes n’est pas structurellement équivalent à un couple formé d’un homme et d’une femme.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ils ne veulent pas le voir !
M. Hervé Maurey. C’est la loi de la nature universelle, ou la loi biologique si vous préférez : un couple d’hommes ou un couple de femmes ne peut pas engendrer un enfant et ne peut donc pas créer une famille au sens traditionnel du terme.
Certes, la famille n’a plus le même sens aujourd’hui qu’il y a un siècle ou même un demi-siècle. La majorité des enfants naissent hors mariage et il n’est plus nécessaire de passer devant le maire pour fonder une famille. Mais faut-il pour autant modifier le droit pour satisfaire la demande d’une minorité ?
M. Jean Bizet. Bien sûr que non !
M. Hervé Maurey. Je ne le pense pas, sauf à considérer que la loi n’est plus l’expression de la volonté générale, mais celle d’une minorité, et à penser que la loi doit s’adapter à toutes les évolutions de la société, quelles qu’elles soient, et non la régir.
Mes chers collègues, « les orientations sexuelles, les préférences sexuelles sont libres. La discrimination à l’égard de telle ou telle orientation m’est insupportable, mais n’oublions pas que l’humanité toute entière est structurée homme-femme, elle n’est pas structurée en fonction des préférences sexuelles ».
Ce constat de bons sens est de l’un des vôtres : j’ai nommé Lionel Jospin… Pour une fois, j’ai plaisir à le citer et à partager son propos. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Je n’en dirais pas autant de son dernier rapport, notamment en ce qui concerne le cumul des mandats…
Au nom de « l’égalité des droits » entre adultes, vous allez créer une grave discrimination entre enfants, puisque vous allez permettre que des enfants n’aient plus officiellement un père et une mère, mais deux pères ou deux mères. C’est aberrant et tellement peu conforme à l’intérêt de l’enfant.
Vous évoquez un « droit à l’enfant », mais ce droit n’existe pas et la nature le rappelle parfois douloureusement aux couples.
Il y a, en revanche, un droit fondamental pour les enfants, celui d’avoir un père et une mère. (Oui ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
Quoi que décide le législateur, l’enfant aura toujours un père et une mère biologiques et la présence d’un deuxième papa à la maison ne remplacera jamais une maman, pas plus qu’une deuxième maman ne remplacera un papa !
C’est particulièrement vrai des enfants adoptés, comme l’ont souligné un grand nombre de personnalités auditionnées par la commission des lois.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas lieu pour le législateur de se pencher sur la situation des couples homosexuels.
Il est parfaitement normal et légitime qu’un couple stable, homosexuel ou hétérosexuel, bénéficie d’un statut qui règle la question des droits et obligations entre ses membres et assure la protection et l’assistance que le mariage confère réciproquement aux époux.
Mais dans la mesure où le mariage est, pour moi, par essence, l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille, c’est une union civile offrant le même cadre juridique protecteur que le mariage, mais sans filiation, qu’il convient d’instaurer. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
C’est le sens d’un amendement proposé par un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC. Il permettrait de répondre aux attentes de nombreux couples homosexuels, sans en arriver aux solutions destructrices que vous proposez.
La position que je défends répond d’ailleurs au souhait de la majorité des Français. En effet, si 53 % d’entre eux sont favorables au mariage pour les couples homosexuels, 56 % sont opposés à l’adoption.
Pour conclure, je voudrais, madame la ministre, mes chers collègues, vous demander pour une fois d’entendre les Français, d’enlever vos œillères, de tenir compte de la mobilisation qui a encore eu lieu le 24 mars.
Quand plus d’un million de personnes sont dans la rue, on ne peut pas traiter cela par le mépris !
À cet égard, permettez-moi de vous dire, monsieur le rapporteur, que vos tweets ironiques à l’égard des manifestants étaient désobligeants, malvenus et peu compatibles avec votre qualité de rapporteur de ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Hervé Maurey. Écrire qu’il s’agit de « quelques badauds participant à une balade », ou encore que « quelques serre-tête tressés et jupes plissées pensent que nous reculerons », ce n’est pas digne d’un rapporteur de la commission des lois ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Madame la ministre, nous abordons cet important débat en espérant que le Gouvernement saura nous écouter.
Oui, nous souhaitons répondre aux attentes des couples homosexuels, mais nous ne voulons pas remettre en cause l’un des piliers fondamentaux de notre société, le mariage, et par là même la famille, et porter gravement atteinte aux droits des enfants, comme vous le proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, après de longs mois de discussions, de débats, de contestations ou de soutiens, notre assemblée doit à son tour examiner le projet de loi sur le mariage pour tous.
Je tiens, en premier lieu, à remercier le groupe UMP du Sénat, qui me permet d’intervenir dans le cadre de cette discussion alors même que ma position n’est pas majoritaire. Cette liberté d’expression et de pensée honore le groupe auquel j’appartiens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Permettez-moi aussi de dire que, si nous adoptons ce texte, j’en suis convaincu, nous contribuerons à accompagner et à conforter l’acceptation, la normalisation, voire même - c’est l’étape ultime ! – la banalisation du mariage entre personnes de même sexe.
Nous permettrions à ces couples d’exercer une liberté reconnue par le Conseil constitutionnel comme une liberté personnelle. Nous donnerions tout son sens à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Nous rendrions pleinement applicable, sur notre territoire national, l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, évoquée tout à l'heure par Patrice Gélard, qui affirme : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Cet article ne dispose pas que l’homme et la femme doivent nécessairement se marier ensemble.
En accordant ce droit, nous honorerions notre réputation ainsi que la devise nationale qui orne les frontons de nos édifices. Liberté de se marier, égalité de traitement des situations identiques, telles sont, à mes yeux, les avancées qui nous sont proposées dans ce projet de loi.
Derrière une apparente simplicité, l’intitulé de ce texte soulève de multiples questions mettant en exergue la complexité des schémas familiaux actuels. L’opposition exprimée à l’encontre du mariage entre personnes du même sexe semble parfois porter davantage sur le terme même de mariage, et sur ses effets induits, que sur l’acte lui-même.
En ce qui concerne la terminologie, il est certain que, dans l’inconscient collectif hérité de notre culture judéo-chrétienne, le vocable de « mariage » possède une connotation religieuse.
Dès lors, même si les religions ne confèrent pas toutes une dimension sacramentelle au mariage, même si, dans nos sociétés actuelles, le mariage est un acte purement civil, même si les évolutions liées à législation sur le mariage et à son alter ego, le divorce, ont affecté la dimension pérenne de l’union, il n’en demeure pas moins que subsiste une figure idéalisée du mariage, union d’un homme et d’une femme.
Le mariage suppose l’altérité, vous l’avez dit tout à l'heure, madame la ministre. Il est l’expression de la rencontre avec l’autre, dans sa différence. Dans cette optique, reconnaître le mariage homosexuel porterait atteinte à cette altérité fondée sur la différenciation indispensable à toute forme de vie.
Dès lors, parler de mariage pour un couple de même sexe reviendrait à nier cette altérité ou, pour le moins, conduirait à en redéfinir le contenu : qui est l’autre ? Semblable ou différent ? Reflet ou vis-à-vis ?
Nous nous trouvons donc face à un projet qui, par-delà les droits et obligations qu’il peut conférer, exprime une vision de l’homme, de la société, de notre démocratie.
Comme avec la loi sur l’IVG, celle sur l’abolition de la peine de mort, nous sommes face à un texte qui nous oblige à nous interroger sur nos valeurs, sur notre conception de la société et, ici plus particulièrement, sur sa cellule de base qu’est la famille.
Il nous oblige à nous interroger, mais sans pour autant apporter de réponse à notre questionnement. Il nous fait pousser une porte sans savoir si elle nous conduit vers un nouvel espace de droits et de libertés ou si, tel Pandore, nous ouvrons une jarre dont le contenu peut nous échapper, nous dépasser.
C’est bien là tout le sens des réflexions, des résistances, des oppositions qui se manifestent.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bien sûr !
M. Alain Milon. En effet, la reconnaissance du mariage entraîne ipso facto le droit à fonder une famille. Le texte sur lequel nous sommes amenés à nous exprimer atteste de cette indissociabilité, même si le mariage n’est plus l’institution qui fonde les règles de la filiation.
Comme je l’indiquais précédemment, l’intitulé de ce texte fait uniquement référence au mariage. Or différents articles – nous en avons suffisamment parlé – sont consacrés à la filiation, notamment adoptive.
Ainsi, insensiblement, nous glissons du mariage entre deux individus vers la construction d’une famille. Si, désormais, la reconnaissance de droits et de devoirs à des couples souhaitant affirmer leur stabilité sociale tout autant que leur affection profonde est majoritairement admise, les questions liées à la filiation font davantage débat.
C’est bien sur cette question qui touche à l’enfant en tant qu’individu, mais peut-être aussi en tant qu’expression de l’avenir, en tant que prolongement de nous-mêmes, que s’expriment les réticences avec le plus de force et de vigueur. C’est aussi en ce domaine que nul aujourd’hui ne peut établir de certitude : l’amour est-il suffisant pour construire un être ? Dans quelle mesure le schéma social pèse-t-il sur la construction individuelle ? Le droit et l’amour peuvent-ils supplanter la biologie ? Et tant d’autres questions encore !
Pour autant, mes chers collègues, ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? Doivent-elles nous condamner à l’immobilisme ? Doivent-elles priver de droits certains de nos concitoyens ?
La peur n’a jamais empêché le pire de se produire. Au lieu de refuser et de nier cette évolution, il convient plutôt de l’anticiper et de la préparer.
Les questions soulevées par la reconnaissance de la famille homoparentale, si elles sont plus prégnantes, n’épargnent pas pour autant les autres modes de composition familiale : famille traditionnelle, famille homoparentale, famille monoparentale, famille recomposée…
Les modes de filiation sont divers également et les méthodes de procréation, en évolution constante, suscitent des interrogations majeures en termes d’éthique. Nombreux sont ceux, dans cet hémicycle, à avoir parlé de PMA et de GPA sans forcément savoir qu’il s’agit tout simplement de techniques médicales permettant de lutter contre la stérilité.
Comment concilier volonté légitime de fonder une famille et protection de l’enfant dans sa construction psychologique ? Comment concilier « droit à » et « droits de » l’enfant ? Comment faire pour que la fiction juridique ne prime pas sur la réalité physiologique ? Reconnaître la possibilité d’adopter présente l’avantage d’offrir une stabilité à l’enfant, de lever les tabous, de renforcer la transparence, toutes choses bénéfiques pour son épanouissement.
Il n’est, en effet, rien pire que le secret, le non-dit. De ce point de vue, je souscris à la proposition faite. En revanche, il me paraît impératif et impérieux de dissocier adoption plénière et mariage, car l’adoption plénière, en conférant à l’enfant une filiation qui se substitue à la filiation d’origine, interdit de ce fait l’établissement de toute autre filiation.
M. Gérard Longuet. Voilà !
M. Alain Milon. Or il va de l’intérêt de l’enfant de ne pas lui donner une « homofiliation » – pardonnez-moi l’expression –, de ne pas faire primer la fiction juridique d’un enfant né de deux personnes de même sexe, de ne pas le faire apparaître sur les actes d’état civil comme étant issu de deux hommes ou de deux femmes.
Cela me semble être un point fondamental, qui traduit la volonté de protéger l’enfant et de ne pas en faire l’enjeu ou l’otage de promesses électorales.
Ouvrir l’adoption plénière aux couples mariés, sans aucune restriction, comme le fait le projet de loi sans le dire, c’est reconnaître qu’une personne pourra voir son identité à la fois marquée, décrochée de la filiation naturelle, et tronquée, dépourvue soit d’une ligne paternelle, soit d’une ligne maternelle.
Dans son poème Lorsque l’enfant paraît, Victor Hugo terminait par cette supplique :
« Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
« Frères, parents, amis, et mes ennemis même
« Dans le mal triomphants,
« De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
« La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
« La maison sans enfants ! »
Le texte dont nous discutons, sous réserve des limites importantes que je viens d’évoquer, constitue selon moi une avancée. Si nous l’adoptons, après l’avoir modifié, en particulier sur l’adoption, nous aurons la satisfaction d’avoir contribué à ensoleiller quelques vies en exerçant notre mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, d’aucuns ont voulu faire du mariage pour tous un débat technique mettant en jeu le sens même de notre code civil. D’autres en ont fait une tribune pour déverser, avec une brutalité parfois sidérante, une forme de haine de l’autre.
Certains, faisant preuve de plus de subtilité, tentent de nous démontrer, tout en n’ayant aucun grief contre l’homosexualité, qu’il leur semble normal de maintenir une législation spécifique pour les couples homosexuels, ce qui revient à les cantonner dans une sorte de « ghetto juridique ».
En réalité, comme tout sujet de société, ce débat est avant tout affaire de conviction. Ce dont je suis convaincu pour ma part, c’est que le plus grand nombre des opposants à ce texte mène un combat d’arrière-garde. Il me semble donc que l’hémicycle du Sénat est un bon endroit pour aborder ce sujet de façon dépassionnée et dire quelles sont nos convictions en toute sérénité.
Je me suis déjà longuement exprimé, à l’écrit comme à l’oral, sur les raisons pour lesquelles je voterai ce texte : souci d’égalité, lutte contre l’homophobie, nécessité pour la loi de prendre en compte les évolutions de la société.
Ces thèmes ont été et seront encore abordés par de nombreux collègues au cours de nos débats. Aussi, le point sur lequel je souhaite me concentrer aujourd’hui est celui de la position des populations et des élus des outre-mer.
Il semblerait que l’on ait voulu faire de nos territoires des bastions symboliques de la résistance au mariage pour tous, des citadelles imprenables de la défense des valeurs dites traditionnelles. Quelle est la vérité ?
La réalité, c’est qu’il est bien pratique d’entretenir la confusion entre importance du fait religieux outre-mer et conservatisme social. De fait, il me semble important, dans ce débat, de rappeler deux choses.
Premièrement, il n’y a pas de contradiction entre spiritualité et temporalité. Nos pratiques religieuses n’ont pas vocation à nous figer dans un « c’était mieux avant » réactionnaire ; elles doivent au contraire nous permettre de considérer les choses avec hauteur et tolérance.
Deuxièmement, ce débat constitue également l’occasion de rappeler que la France est une république laïque où l’Église et l’État sont séparés depuis plus d’un siècle. Il s’agit certes aujourd’hui d’une évidence, mais il en est qui ont parfois besoin d’être rappelées.
Cela étant dit, je veux également attirer votre attention sur le fait que nos sociétés ultramarines, dites traditionnelles, ont, par exemple, recours à l’IVG dans des proportions souvent supérieures à celles de l’Hexagone.
En outre, les manifestations contre le mariage pour tous n’ont pas mobilisé grand monde chez nous : quelques centaines de personnes dans les rues de Fort-de-France notamment. En ce qui concerne ce texte, il n’y a donc pas de fait ultramarin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
D’ailleurs, si nous devions avoir une position particulière liée à ce qu’il est convenu d’appeler nos spécificités, il me semble que nous devrions être les premiers défenseurs de ce projet de loi.
En effet, ce débat nous renvoie à la lutte qui a été historiquement la nôtre au cours du xxe siècle : la conquête de l’égalité parfaite en droit, car c’est bien de droit qu’il s’agit ! Ce pour quoi nous nous sommes battus et nous battons encore aujourd’hui, nous, descendants d’esclaves, au nom de quoi le refuserions-nous à d’autres au motif de leur orientation sexuelle ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour terminer, je voudrais dire mon souhait que la loi soit non seulement votée, mais aussi mise en application rapidement et sans sourciller. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Garde-à-vous !
M. Serge Larcher. À cet égard, j’ai regretté l’évocation de la notion de clause de conscience. Une fois adoptée, une loi ne peut être négociable. Laisser libre champ aux uns et autres dans la mise en œuvre de ce texte serait préjudiciable à son application et constituerait un précédent fâcheux quant à la force des lois en général, ouvrant la porte à d’éventuelles dérives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je veux commencer malicieusement par féliciter le Gouvernement de son habileté politique.
Sur ce débat qui devrait parler d’amour, il a réussi à diviser la France en deux catégories : d’une part, les irresponsables et, d’autre part, les ringards. Grâce à lui, des femmes et des hommes, qui n’ont pas choisi leur sexualité, sont au mieux instrumentalisés, au pire humiliés. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.) C’est une performance politique ; espérons qu’elle ne soit pas politicienne…
Je formule cette remarque avec d’autant plus de rancœur que je suis favorable au texte qui nous est soumis, ce par conviction de droite et libérale et depuis longtemps.
J’y suis favorable car j’accorde la même confiance et la même dignité aux personnes homosexuelles qu’aux autres. Elles ne constituent pas une communauté ; ce sont des individus dont l’orientation sexuelle, qui n’est pas un choix, ne porte pas atteinte à autrui et ne préjuge en rien de leur capacité à être ou non « responsables ».
Je suis favorable à ce projet de loi car je considère que moins l’État se mêle des choix individuels, quel que soit le domaine concerné, mieux la société se porte. Il n’appartient donc pas à l’État de restreindre la liberté individuelle tant que celle-ci ne porte pas atteinte à autrui. Ce point distingue clairement le mariage homosexuel de la polygamie ou d’autres pratiques qui, elles, portent atteinte à la dignité.
Je suis favorable au texte que nous examinons car, en tant que responsable politique, j’accorde la même considération à toutes les familles, qu’elles soient traditionnelles, monoparentales, recomposées ou homosexuelles. Se pose d’ailleurs une question centrale : le législateur a-t-il pour rôle de définir les contours de la famille ou de créer les conditions de son développement ?
Tout le paradoxe de ce texte est qu’il devrait être porté, en quelque sorte, par la droite. En effet, la demande de mariage est fondamentalement conservatrice.
Je suis aussi favorable à ce texte car je suis laïque. Libre aux religions de s’exprimer. Libre à chacun de sa conscience sur des questions de société qui n’appellent aucune réponse binaire. Mais je n’entends pas que les religions fassent d’une quelconque manière pression sur nous et nous dictent notre conduite à l’égard ni des femmes ni des personnes homosexuelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mlle Sophie Joissains applaudit également.)
Il est paradoxal d’ailleurs que la laïcité soit dans ce débat à ce point instrumentalisée qu’elle devienne un principe mou.
Je suis néanmoins triste et préoccupée par la puissance des divisions que ce débat a créées. La violence des propos est effrayante. En cet instant, je souhaite vous lire la phrase suivante, que nous avons tous déjà entendue : « il n’y a aucun doute quant au fait que les enfants dans cette situation subissent le fardeau […] d’un sentiment d’infériorité quant à leur statut ». Cette citation est extraite de la décision Brown v. board of education rendue par la Cour suprême de Louisiane en 1959 qui visait à interdire les mariages mixtes…
Je suis par ailleurs également un peu atterrée par l’immoralité de certains actes – je ne reviendrai pas sur ce qui s’est passé ce matin – qui visent juste à « faire le buzz ». C’est assez méprisable. De telles actions sont souvent contraires aux valeurs de la famille que ceux-là même qui s’en réclament devraient normalement défendre.
À ceux qui me disent « nous nous en souviendrons ! », je réponds que la menace n’est pas un argument contre la conviction. À ceux qui bafouent l’éthique politique, je rappelle que la démocratie est une valeur fragile. Le débat politique est argumentation, non éructation ou démonstration de force. Céder à la menace, c’est bafouer la démocratie.
Sans doute cette division nationale aurait-elle pu être évitée. Tel aurait probablement été le cas et, en cela, je rejoins les propos tenus par Alain Milon, si nous avions eu le courage ou l’intelligence de retirer du code civil le terme « mariage » pour le réserver à la sphère religieuse et si nous avions eu préalablement un débat éthique sur la famille et l’enfant, ce dernier se trouvant au cœur du texte dont nous discutons. L’opposition entre « droit à l’enfant » et « droit de l’enfant » est un peu caricaturale, reconnaissons-le. Depuis bien longtemps, depuis la contraception, l’IVG ou la procréation médicalement assistée, l’enfant est le fruit d’un choix et d’un projet parental.
Sans doute aurions-nous pu éviter cette division si nous avions attendu les conclusions de l’auto-saisine du Comité consultatif national d’éthique sur la PMA.
L’adoption – de ce point de vue, les débats qui vont avoir lieu lors de l’examen des amendements déposés par M. Milon seront extrêmement intéressants – ou la médicalisation de la procréation, qui lui est directement liée, soulèvent des questions essentielles, auxquelles le présent projet de loi ne répond pas.
Je ne voterai aucun amendement dont l’adoption conduirait à anticiper le débat sur la procréation médicalement assistée ou, pis, sur la gestation pour autrui.
Madame la ministre, j’en suis fière, notre groupe respecte les convictions de chacun.
M. Bruno Sido. Nous aussi !
Mme Chantal Jouanno. Fort bien, mais chacun d’entre nous intervient au nom du groupe auquel il appartient !
Je voterai en faveur du présent texte pour respecter mes valeurs de droite selon lesquelles le libéralisme ne s’arrête pas aux questions de société. Le rôle de la puissance publique est non pas de dicter des modèles, mais de vérifier qu’aucun principe républicain n’est affecté par telle ou telle mesure. C’est de cela que nous devons parler dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui au Sénat un texte d’une importance capitale pour la nation française tout entière. Or, en cet instant, je m’interroge sur son opportunité, étant donné qu’il est fortement contesté par la quasi-majorité de nos concitoyens.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Abdourahamane Soilihi. C’est dire, madame le garde des sceaux, à quel point les nombreuses manifestations d’hostilité à ce projet de loi méritent d’être entendues car elles sont bien fondées.
M. Serge Larcher. Il y avait 100 manifestants en Martinique !
M. Abdourahamane Soilihi. Si le texte fait l’objet de vives désapprobations dans l’Hexagone, sachez, mesdames les ministres, mes chers collègues, qu’il ne rencontre guère un écho plus favorable dans les collectivités ultramarines.
Partout, sur notre territoire national, les cris se multiplient pour dénoncer, d’une part, un projet de loi inopportun eu égard au climat exacerbé et émaillé de tensions économiques et sociales fortes et, d’autre part, une promesse de campagne qui heurte profondément les valeurs fondatrices de notre modèle démocratique.
Par ailleurs, il me paraît légitime de reconnaître que les couples constitués de personnes de même sexe ont pleinement leur place dans le pacte républicain qui nous unit. Et la nation doit leur garantir respect et protection. Cela étant, leur homosexualité ne devrait être un motif de rejet d’aucune sorte par la communauté.
Cependant, la notion de mariage civil telle que préconisée par la législation suppose l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille.
Cette remarque m’amène à attirer votre attention, mes chers collègues, sur le cas spécifique de Mayotte, car l’institution du mariage homosexuel ne présente pas la même dimension en métropole que dans les territoires lointains.
Pour ce qui concerne cette collectivité, fraîchement transformée en département, où le processus de droit commun n’en est qu’à ses balbutiements, l’attention à son égard doit rester intacte du fait des risques de démembrement ou de dénaturation d’un modèle uniforme de société.
Pour le deuxième anniversaire de la départementalisation, pas plus tard que le week-end dernier, ce territoire et ses habitants ont encore réaffirmé leur adhésion aux principes et aux valeurs qui fondent notre République.
Devrais-je vous dire, madame le garde des sceaux, qu’il ne s’agit nullement d’opposer les principes fondateurs de nos diversités et singularités culturelles à celui d’égalité républicaine tant sur le plan national que dans nos outre-mer respectifs ? Je sais que ce n’est pas vous qui contredirez mon affirmation selon laquelle ce sont ces inégalités qui font l’actualité dans nos collectivités ultramarines.
Quant à nos spécificités, force est de préserver avec la plus grande acuité nos références culturelles et sociétales, gages de nos identités individuelles dans une République indivisible.
Au demeurant, un débat s’est tenu le 20 février dernier, ici même, au Sénat. Une fois de plus, il a largement contribué à mettre en exergue les défis majeurs auxquels la deuxième île française de l’océan Indien est confrontée. Il y a eu unanimité pour dire que tout est à construire du point de vue économique et que culturellement Mayotte doit rester ce qu’elle est pour préserver son identité.
À cet effet, j’affirme qu’il ne faut pas mélanger le désir de changement revendiqué par une minorité de personnes qui réclame l’égalité de droit, et le danger de mettre en péril nos structures sociétales, qui sont enracinées avec constance, et ce en conformité avec nos traditions.
Permettez-moi de formuler quelques observations de forme sur Mayotte, une collectivité désormais régie par le principe de l’identité législative. Cela suppose que les lois s’y appliquent de la même manière à tout le monde et sans exception. Or, en raison des inégalités sociales qui y existent, ce territoire est devenu le théâtre de manifestations interminables auxquelles participent légalement des citoyens qui réclament leur dû aux pouvoirs publics.
Vous le constatez, madame le garde des sceaux, nos compatriotes mahorais attendent de votre gouvernement des mesures de changement concrètes en faveur de la justice sociale et non la destruction des bases sociétales, qui les caractérisent à bien des égards.
Avec force, je vous dis que le présent texte est en contradiction totale avec la société, même si vous considérez, pour votre part, qu’il constitue une évolution majeure.
Je tiens à souligner qu’un rapport de 2008 de nos collègues Christian Cointat, Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne et Michèle André, intitulé Départementalisation de Mayotte : sortir de l’ambiguïté, faire face aux responsabilités, tire avec éclat les enseignements de la mise en œuvre progressive et adaptée de la mutation statutaire et du fonctionnement progressif des institutions afin d’assurer l’avenir harmonieux de l’île tout en conciliant la préservation des équilibres socio-économiques et le respect des exigences républicaines.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Abdourahamane Soilihi. Madame le garde des sceaux, le changement profond de société que vous proposez amènera certainement les Mahorais à être confrontés à un paradoxe qui ne fera que remettre en cause les aspects inhérents aux traditions et cultures locales à valeur coutumière.
À juste titre, la religion musulmane, implantée à Mayotte depuis le XVe siècle, soit bien avant l’arrivée de la France, occupe une place centrale dans l’organisation sociale ; près de 95 % des Mahorais sont d’obédience musulmane et pratiquent avec modération cette religion, qui se veut paisible et courtoise.
M. le président. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé.
M. Abdourahamane Soilihi. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’inadéquation du projet de loi est telle par rapport aux constats que je viens d’établir qu’il ne peut exister aucune adaptation possible, compte tenu des spécificités de Mayotte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, I had a dream, j’ai fait un rêve…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Pas nous !
Mme Virginie Klès. J’étais dans ma mairie de Châteaubourg, et j’avais devant moi ce jeune couple venu timidement me demander de les marier. Elle, brune à la peau très blanche et aux yeux bleus, lui, un Malien, à la peau très noire et aux yeux bruns. Les boubous avaient envahi la salle de mariage ; ces boubous africains avec leurs couleurs chatoyantes côtoyaient les costumes-cravates habituels de chez nous.
Puis, tout à coup, l’atmosphère devint oppressante ; ce rêve devint oppressant. Nous étions en 1778 : c’est l’année où l’interdiction des mariages mixtes fut promulguée en France. Je n’avais plus le droit de célébrer ce mariage, et j’entendais autour de moi les mots « pervers », « contre-nature », « impossible », on demandait « et les enfants, y pensez-vous ? », ils n’auront « pas de statut », ils seront des « bâtards ». Je me suis alors réveillée : nous n’étions pas en 1778, et j’ai bien pu célébrer ce mariage.
J’ai alors pensé à tous les autres mariages que j’ai célébrés. Je me retrouve dans les propos de Mme Jouanno, dans sa façon de dire réellement les choses. Car que s’est-il passé dans tous ces mariages que j’ai célébrés ? Quelle était la constante ? Cette constante, c’était l’amour, l’émotion, l’engagement solennel, le bonheur qui régnait dans la salle de mariage. Quel que soit le mariage, quel que soit le lieu, quel que soit l’âge des mariés, là était la constante, dans cette promesse mutuelle et réciproque de s’aimer et de se protéger longtemps.
Je me suis également souvenue d’un autre mariage, qui m’a beaucoup marqué lui aussi. Il fut célébré dans un hôpital, à la demande d’une jeune femme en phase terminale de cancer, à qui il restait moins d’une semaine à vivre. Elle avait deux enfants et n’était pas mariée. Elle a voulu se marier avant de mourir, de quitter cette terre, pour ses enfants et pour leur père. Je me suis demandé ce qui se serait passé si cette femme avait été homosexuelle, si ses deux filles étaient nées d’une précédente union et si le père avait été absent, inexistant, pour tout un tas de raisons : comment aurait-elle fait ? À qui aurait-elle confié ses enfants ?
Alors faut-il plusieurs mariages ? Faut-il un mariage pour les hétérosexuels, dans lequel les enfants seraient systématiquement pris en compte, et un autre pour les homosexuels, dans lequel on ne parlerait surtout pas des enfants ? Et peut-être que si des hétérosexuels ne veulent pas d’enfants, ils pourraient choisir ce second mariage. Les homosexuels, eux, n’auraient droit qu’au mariage sans enfants.
Soyons raisonnables : il faut le même mariage pour les homosexuels et les hétérosexuels, un mariage qui prenne en compte les enfants, parce que les enfants sont là, ils existent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Combien de fois le droit de l’enfant a-t-il été évoqué ce soir ? Je peux entendre certains arguments, je peux comprendre les familles qui ont des problèmes pour avoir des enfants, mais faut-il pour autant transformer ce droit de l’enfant en un droit à l’enfant ?
Monsieur le doyen Gélard, je vous ai entendu plaider - Dieu sait que je vous ai écouté avec attention ! – qu’il ne fallait pas autoriser le mariage aux couples homosexuels parce que, dans ce cas, certains pays qui y sont opposés refuseraient de nous laisser adopter leurs enfants. Vous estimez que les enfants sont un marché avec fermeture de frontières ? Quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui peut nous garantir que l’intérêt supérieur des enfants de ces pays est d’être adopté par une famille française et non par une autre famille, dans un pays où le mariage homosexuel n’est pas autorisé ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Je le redemande, quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? À mon sens, c’est d’être accueilli dans une famille, c’est que ses parents soient considérés normalement par la société. Une société tolérante se juge à sa capacité à accepter la différence : la différence fait sans doute peur au début, mais une société tolérante l’apprivoisera, la banalisera et l’acceptera. Ainsi, l’enfant n’aura pas à subir ce qu’il y a de plus terrible pour un enfant : entendre insultés et humiliés ses parents, ses éducateurs, ces adultes qui sont à ses côtés au quotidien et le construisent, l’aiment et le structurent.
Pour toutes ces raisons, qui nous contraindront justement à examiner plus longuement, par la suite, nos lois sur l’adoption et la famille ainsi que sur la PMA et la GPA, qui posent un réel problème, mais un problème indépendant de la question du mariage des personnes homosexuelles et du droit des enfants dont les parents sont homosexuels, je voterai ce projet de loi des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir entendu la précédente intervention, où, sinon dans mon intime conviction, pourrais-je trouver la force de créer, comme nous le demandaient récemment 173 de nos éminents universitaires, une brèche dans le mur idéologique sur lequel nous avons l’impression de voir nos arguments glisser ? Et quelle lumière pourrait m’aider à éclairer les chemins de votre conscience, au plus profond et au plus sensible d’elle-même, afin de vous faire ressentir les risques considérables que ce projet de loi fait prendre à notre société contemporaine ?
Peut-être y parviendrai-je en appelant à mon secours Jean-Étienne-Marie Portalis – vous l’avez cité aussi, monsieur le rapporteur, mais dans un esprit bien différent du mien –, cet éminent juriste provençal, éclairé et sage, qui, par sa statue de marbre située au-dessus de nous dans cet hémicycle, veille sur nos débats, et à qui Bonaparte avait confié la rédaction de notre code civil.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Leleux. La science, la clarté, le bon sens et la pureté de style de Portalis avaient su donner à notre code civil, il y a deux siècles de cela, la cohérence et la portée qui l’ont amené jusqu’à nous. Or voici ce qu’il écrivait : « La durée et le bon ordre de la société générale tiennent essentiellement à la stabilité des familles qui sont les premières de toutes les sociétés, le germe et le fondement de empires. »
Inscrit depuis dans la durée, le code civil n’en mérite que plus de respect. Portalis, homme de conviction, de conscience, de réflexion et de modération, fut, comme le disait Sainte-Beuve, « l’une des lumières civiles du Consulat ».
M. Marc Daunis. Quelle référence moderne !
M. Jean-Pierre Leleux. Et, s’il pouvait prendre ma place, il vous dirait combien il faut prendre de précautions quand on rédige une loi. Il vous dirait surtout que la loi civile, notre loi à nous, parlementaires, ne peut en aucun cas être de rang supérieur aux lois naturelles, scientifiques, biologiques ou physiologiques. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.) Il nous dirait : « Ne dégradons point la nature par nos lois. » Ne nous a-t-il pas rappelé l’avertissement de Cicéron, selon lequel « il n’est pas du pouvoir de l’homme de légitimer la contravention aux lois de la nature » ?
Oui, mes chers collègues, ce projet de loi est bien contre-nature. Sous prétexte d’offrir une nouvelle liberté aux personnes homosexuelles et de satisfaire une nouvelle prétendue égalité en voulant gommer la différence entre l’homme et la femme, et partant leur féconde complémentarité, ce texte aura des conséquences directes sur tous les couples composés d’un homme et d’une femme et nous conduira, contrairement à ce qui est annoncé, à de nouvelles injustices et à de nouvelles discriminations.
Mme Esther Benbassa. C’est faux !
M. Marc Daunis. Là, on quitte le siècle des Lumières !
M. Jean-Pierre Leleux. Depuis l’annonce, l’été dernier, de la mise en œuvre de cette promesse électorale, le débat agite la France. Madame le garde des sceaux, était-ce bien le moment, en ces temps difficiles sur le plan économique et social, de diviser les citoyens sur un sujet de société aussi sensible, alors que les Français ont un si grand besoin de se rassembler ? D’autant que le débat, non organisé – dans l’espoir, sans doute, de l’éviter – et mal canalisé, a été pollué et trahi par d’habiles et scandaleuses manipulations sémantiques.
Un sénateur du groupe UMP. Bravo !
M. Jean-Pierre Leleux. Quelle belle escroquerie, par exemple, que cette expression de « mariage pour tous », qui tend à faire passer habilement l’idée que la mesure serait juste, équitable et donc forcément bonne !
Mme Esther Benbassa. C’est la vérité !
M. Jean-Pierre Leleux. Albert Camus aurait réagi à cette utilisation malfaisante des mots : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci de ne pas enrôler Camus au service de votre cause !
M. Jean-Pierre Leleux. Il aurait également réagi devant l’utilisation du mot « mariage » pour qualifier l’union de personnes de même sexe.
Les mots ont un sens, nourri par des siècles d’usage, ils sont porteurs du poids symbolique que leur ont donné des centaines de générations successives.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Jean-Pierre Leleux. « Il faut faire attention aux mots », écrit Erik Orsenna, il ne faut pas « les employer à tort et à travers, les uns pour les autres ». Mes chers collègues, ne donnons pas au mot « mariage » un sens qu’il n’a pas : ce mot a toujours désigné l’acte qui unit un homme et une femme en vue de protéger leur relation et leur foyer, l’acte fondateur d’une famille, dans l’esprit d’une filiation porteuse du renouvellement des générations.
Loin de nous l’idée de vouloir empêcher les personnes homosexuelles de vivre librement leur vie, affective et civile. Nous sommes favorables à la création d’un statut d’union civile qui permettrait aux couples homosexuels de bénéficier strictement des mêmes « droits mutuels » que les couples hétérosexuels, avec les mêmes avantages et, éventuellement, les mêmes inconvénients.
M. Marc Daunis. Est-ce que les couples homosexuels sont naturels ou contre-nature ? On ne comprend plus !
M. Jean-Pierre Leleux. J’emploie l’expression « droits mutuels » pour qualifier ces droits entre adultes, car pour moi il ne saurait être question d’assortir ce statut du droit à l’adoption. Or, au-delà du poids symbolique millénaire du mot « mariage », que vous voulez modifier aujourd’hui, étendre le statut du mariage aux couples de personnes de même sexe implique, ipso facto et de jure, la faculté pour ces couples d’adopter. À nos yeux, ce n’est pas acceptable, au nom de l’enfant.
Je comprends très bien le désir que peut avoir tout homme ou toute femme d’élever un enfant. Mais, quelle que soit l’ampleur de ce désir, il ne peut en aucun cas primer sur le droit de l’enfant d’espérer être élevé par un père et une mère, dans l’altérité sexuelle de ses parents, même si celle-ci peut n’être que virtuelle, comme dans le cas des familles monoparentales.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Jean-Pierre Leleux. Je n’évoquerai pas la PMA et la GPA, car vous vous insurgeriez, chers collègues de la majorité. Je vous dirai donc simplement que vous avez ouvert une brèche en proposant d’ouvrir l’adoption aux couples homosexuels, et que, comme le soulignait mon compagnon de route de ce soir, Jean-Étienne-Marie Portalis, « quand la raison n’a point de frein, l’erreur n’a point de bornes ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pitié pour Jaurès, Camus et Aragon ! Cessez de les enrôler au service de votre cause !
M. Alain Gournac. Pourquoi seriez-vous les seuls à avoir le droit de le faire ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa préface au code civil rédigée en 1936, Henri Capitant écrivait que ce code devait conserver les « solides principes traditionnels » sur lesquels est fondé le droit, tout en faisant place aux « règles exigées par les besoins nouveaux de la vie juridique ». C’est ce que nous faisons aujourd'hui, en adaptant notre code civil aux besoins nouveaux de la société, que certains veulent nier, mais qui existent bel et bien.
Nous allons réaliser cette réforme en respectant l’universalité des droits sur laquelle reposent notre société et notre République. C’est notre fierté !
Le Gouvernement, soutenu par sa majorité parlementaire, porte cette réforme déjà adoptée par de nombreux États européens. Les retours d’expérience dans ces pays démontrent, si besoin était, que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe n’a pas conduit à la disparition de la famille, bien au contraire.
Je demeure convaincu que ce qui fonde la famille, c’est le désir de la vie, de l’échange, de la transmission. Ce qui compte avant toute chose pour un enfant, c’est l’équilibre de sa famille. Dans l’étude d’impact bien documentée – n’en déplaise à Patrice Gélard – qui accompagne ce projet de loi, il est précisé que la centaine d’articles consacrés depuis quarante ans à l’homoparentalité conclue qu’il n’existe aucune différence entre les enfants élevés dans les différents types de famille.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est orienté !
M. Philippe Kaltenbach. Ce sont des analyses scientifiques… On peut tout dénoncer, mais il faut tout de même en tenir compte.
Le débat qui accompagne ce projet de loi est intense, dans les hémicycles comme dans l’opinion, tout autant que celui qu’avait suscité l’adoption du PACS. Analysons ce dernier débat a posteriori, afin de nous projeter dans l’avenir. Que constate-t-on ? Depuis la création du PACS, ni les équilibres humains ni les valeurs de notre société n’ont été bouleversés. Pourtant, à l’époque, Christine Boutin, chef de file de l’opposition, était catégorique : « Le PACS enlève toute raison d’être juridique et sociale au mariage civil. Il le tue par asphyxie. »
Vous aurez également observé que, durant ces quatorze années, aucune initiative parlementaire ou gouvernementale n’a tenté de supprimer la loi adoptée à l’époque.
Les grandes évolutions sociétales se sont toujours faites malgré les protestations, parfois virulentes. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont toujours, aujourd’hui, dans notre ordre juridique.
Vous noterez au passage que celles et ceux qui défilaient en 1999 contre le PACS sont devenus, aujourd’hui, ses plus ardents défenseurs.
Acculés, les opposants au mariage pour tous ont trouvé une échappatoire avec cette proposition d’une nouvelle union civile destinée aux couples de même sexe, une sorte de PACS amélioré. Ce faisant, ils semblent ignorer qu’un tel dispositif serait profondément discriminatoire et, à n’en pas douter, contraire et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme cela a déjà été dit, et sûrement également à notre Constitution.
Dans le débat, le doyen Gélard, peut-être à court d’arguments, a soulevé une supposée inconstitutionnalité…
Mme Catherine Procaccia. On verra bien !
M. Philippe Kaltenbach. … en s’appuyant sur des analyses audacieuses, mais en aucun cas sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel.
L’argument selon lequel le mariage ferait partie de notre bloc de constitutionnalité et ne pourrait donc évoluer sans modification de la Constitution ne résiste pas à un simple examen historique. En effet, depuis 1804, le mariage a déjà profondément évolué. Rappelez-vous : à cette date, la femme était soumise à la puissance maritale !
C’est d’ailleurs au sein de la famille que les droits des femmes se sont progressivement imposés et ont été reconnus, à chaque fois difficilement, car les conservateurs ont systématiquement dénoncé une remise en cause de la famille traditionnelle.
Aujourd’hui, je suis fier de soutenir ce projet de loi.
Pour conclure, je voudrais partager avec vous l’opinion de Marcel Proust pour qui « il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme ».
La question qui nous est posée aujourd’hui est une question d’égalité entre tous les citoyens. Parce que les droits de l’enfant sont garantis, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet de loi pour faire entrer l’homosexualité dans l’égalité. La famille doit être considérée comme une et heureuse, indépendamment du sexe et du genre des parents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la question du mariage et celle de la filiation sont si indissociables que les juristes auditionnés ont dit combien il eût été plus pertinent d’aborder la seconde question avant la première.
Toutes les sonnettes d’alarme ont été tirées par de très nombreux maires et élus locaux, par des spécialistes du droit de la famille et du droit constitutionnel, par des pédopsychiatres, des philosophes et de nombreux représentants d’associations.
Malgré le nombre des auditions, le débat est resté de façade. Tout était joué d’avance, puisque le Président de la République François Hollande avait promis le mariage pour tous.
Soyons sérieux : il l’avait promis non pas aux Français, mais à une poignée d’activistes qui l’ont étrangement rappelé à l’ordre le jour même de son intervention devant le congrès des maires de France. J’y étais.
Ce qui m’inquiète, c’est ce manque de scrupules, qui part du sommet de l’État, traverse une partie de la classe politique et atteint un certain nombre d’intellectuels.
Venons-en à la question de fond.
L’un des auteurs d’une plaquette préfacée par Jacques-Alain Miller, auditionné par la commission des lois du Sénat, s’est appuyé sur une conférence de Claude Lévi-Strauss pour nous expliquer qu’il n’y a pas d’« invariant familial universel ». Comme si c’était le sujet !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la vérité ! C’est ce que dit Lévi-Strauss !
M. Alain Gournac. Pourquoi l’auteur se garde-t-il de préciser que Lévi-Strauss ne donne aucun exemple de société ayant institué le mariage homosexuel ?
L’anthropologue Maurice Godelier, auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale, et pourtant favorable au texte, l’a dit nettement, mais comme à voix basse : « On ne trouve pas dans l’histoire d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. »
Pourquoi craint-on de faire état, haut et fort, de cette réalité anthropologique majeure ? Mais tout simplement, madame la ministre, pour cacher l’énormité de votre projet de vouloir rompre avec cette réalité !
Maurice Godelier poursuit : « pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire ». Cette histoire porte donc bien sur des millénaires.
En conséquence, madame la ministre, on pourrait peut-être désormais laisser les différentes confessions tranquilles et cesser de faire diversion en leur imputant une attitude qui a été celle de toute l’humanité depuis toujours.
Pourquoi Françoise Héritier, célèbre professeur d’anthropologie du Collège de France, a-t-elle été aussi ambigüe sur cet invariant ? On l’a sentie quelque peu gênée : elle a expliqué devant la commission que « la pratique occidentale est marquée notamment par un type de mariage hétérosexué et monogame ». C’était laisser entendre que d’autres sociétés connaîtraient l’institution du mariage homosexuel. Nous attendons encore les exemples !
Que se passe-t-il pour que l’une de nos grandes anthropologues ne s’exprime pas plus nettement ? Comment en est-on arrivé à obtenir que soit ainsi minimisée et maquillée une réalité anthropologique aussi considérable ?
Je citerai un dernier exemple de ce que j’appelle le « mensonge par ambiguïté » : auditionnée par la commission des lois, la sociologue Irène Théry, utilisant la notoriété de Georges Duby pour soutenir votre texte, a expliqué que le grand historien du Moyen Âge ne se référait « en aucune manière à une sorte d’essence intemporelle du mariage ».
Or voici ce qu’il écrit dans son ouvrage majeur, Le chevalier, la femme et le prêtre : « Les rites du mariage sont institués pour assurer, dans l’ordre, la répartition des femmes entre les hommes, pour officialiser, pour socialiser la procréation. »
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bravo pour la répartition !
M. Alain Gournac. Un peu plus loin, il ajoute : « Le mariage ordonne l’activité sexuelle ou plutôt la part procréative de la sexualité ». On ne peut être plus clair : le reste de l’activité sexuelle, dont l’homosexualité n’est qu’une possibilité, n’a jamais été prise en compte par l’institution du mariage, dans aucune société.
Cette contagion du déni autour d’un sujet aussi grave est préoccupante.
L’égalité de droit inscrite dans notre code civil, pour tout citoyen, de pouvoir contracter une union avec une personne de sexe différent en vue de procréer et de fonder une famille, pour vous, ça n’existe pas !
Les déclarations d’Élisabeth Guigou en 1998 sur le besoin pour l’enfant d’« avoir, pendant sa croissance, un modèle de l’altérité sexuelle », pour vous, ça n’existe pas !
Le million, voire plus, de manifestants dans les rues de Paris, par deux fois, pour vous, ça n’existe pas !
Les 700 000 pétitions envoyées au Conseil économique, social et environnemental, pour vous, ça n’existe pas !
Mme Éliane Assassi. Et les millions de salariés qui défilent pour défendre les retraites, ça existe pour vous ?
M. Alain Gournac. L’invariant anthropologique millénaire du mariage homme-femme, pour vous, ça n’existe pas !
Quel entêtement à dénier la réalité !
Mais cela ne serait rien si vous ne vous apprêtiez, avec le Gouvernement, à instituer un mensonge d’État (Oh ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)…
M. Marc Daunis. Rien que ça !
M. Alain Gournac. … dont l’enfant sera la victime. Dans un couple homme-femme, l’enfant est le signe extérieur de l’intimité de ses parents et, en cas d’adoption, le signe extérieur crédible de cette intimité.
Or, dans le cas d’un couple de deux hommes ou de deux femmes, l’enfant ne peut être le signe de leur intimité. Aussi est-il voué à grandir et à évoluer, au moins une partie de son enfance, dans l’eau trouble d’un aquarium mensonger,… (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux de dire cela ! Réactionnaire !
M. Alain Gournac. Cela vous choque, mais c’est la vérité !
… et ce quelle que soit la disposition à la sincérité de deux pères ou de deux mères.
M. François Rebsamen. Hypocrisie !
M. Alain Gournac. Voyez-vous, madame la ministre, tant de désinvolture avec la vérité nous éloigne de la République.
Pour céder à un petit nombre d’homosexuels, qui ont décidé de prendre d’assaut le mariage au nom d’une égalité mal comprise et d’un contresens sur le mariage républicain, vous vous apprêtez à célébrer les noces de la République et du mensonge.
Après le choc qui frappe de plein fouet la crédibilité de la classe politique et qui vient d’assommer, hier, le pays (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.), je vous en prie, n’en rajoutez pas !
Croyez-vous que les Français ont besoin d’un choc d’« homosexualisation » du mariage et de manipulation de la filiation ?
Mme Éliane Assassi. Il faut prendre vos médicaments !
M. Alain Gournac. J’imagine que vous avez grande hâte que la page soit tournée. Eh bien, pas moi, madame la ministre, car le sujet est trop grave !
Aussi, je souhaite que deux ou trois millions de personnes…
M. Marc Daunis. Dix millions, tant que vous y êtes !
M. Alain Gournac. … défilent pacifiquement sur le pavé parisien la prochaine fois (C’est fini ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.), car il y a des moments où la conscience doit se mettre en travers de la politique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, mes chers collègues, le projet de loi instituant le mariage pour tous fait partie des textes dont le vote marque à jamais la vie d’un parlementaire.
Nous le pressentons toutes et tous : il s’inscrit dans le long cheminement, commencé à la Révolution française, vers l’accomplissement de notre devise républicaine. De manière plus sensible que sur bien d’autres votes, nous serons comptables devant les générations futures de la décision de notre assemblée.
Je suis de longue date favorable à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Mon engagement politique, mes convictions personnelles, ma vie, ma conscience citoyenne dictent ce choix que j’assume sans contrainte et avec une immense fierté. Il est juste et rassurant de constater que le débat public ait été aussi dense et que chaque point de vue, chaque opinion, chaque courant de pensée, qu’il soit politique, philosophique ou religieux, aient pu se faire entendre.
Ce débat était légitime, mais il revient désormais à nous et à nous seuls, représentants du peuple, de prendre notre décision et d’assumer notre responsabilité.
Il s’agit de liberté individuelle et collective, d’égalité de tous devant la loi, de fraternité dressée contre toute forme de discrimination. Demain, si nous le décidons, l’orientation sexuelle n’enfermera plus personne dans une forme anachronique de minorité civile.
Le désir de vie commune, le souci de transmission et de filiation ne sont pas réductibles à l’orientation sexuelle. Les modèles familiaux et la place de chacun dans la cellule familiale n’ont cessé d’évoluer au cours des temps et dans chaque culture.
La famille ne doit pas être un carcan, un espace de contrainte, dont la rigidité exclurait toute possibilité d’épanouissement. C’est en adaptant le mariage aux modes pluriels de vie commune que nous donnerons à chacun l’opportunité de s’épanouir dans sa vie privée et sociale.
Je ne mésestime pas le poids moral de la responsabilité que nous nous apprêtons à prendre. En l’espèce, toutefois, il ne s’agit pas de brider les droits d’une population en faveur d’une autre. L’homosexualité a trop longtemps été stigmatisée, punie, traquée, et judiciairement condamnée. Il est temps, aujourd’hui, d’accorder à celles et ceux qui s’y reconnaissent le droit à l’indifférence, dans le respect de nos lois républicaines. À mes yeux, cette réforme marque un progrès pour nos libertés : ouvrir de nouveaux droits se fait toujours au bénéfice de tous, sans retirer quoi que ce soit à quiconque.
Notre pacte social est fondé, depuis 1789, sur une idée simple et révolutionnaire : l’universalité des droits de l’homme et l’émancipation des citoyens. Nous sommes les héritiers de ce mouvement et nous en sommes aujourd’hui les garants.
Malgré les dénégations, les incantations et les fausses frayeurs de certains, le constat, lucide et dépassionné, s’impose : il n’existe aucune raison valable de ne pas ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe. Je ne ferai à personne, ici, de procès en homophobie : chacun, en l’espèce, doit faire son propre examen de conscience, mais il est bien clair que nombre de faux arguments qui ont été avancés jusqu’ici pour repousser cette réforme travestissaient mal cette angoisse primaire et taraudante de l’altérité.
Nous sommes tous pareils, et cependant tous différents : cette dialectique-là, qui irrigue aussi bien les sciences naturelles que les sciences sociales, n’est pas nouvelle.
Deux objections sont fréquemment avancées pour tenter d’enrayer cette dynamique de l’égalité : la possibilité, ouverte aujourd’hui, de contracter un PACS et la proposition de le faire évoluer en une union civile.
Je ne reviendrai pas sur le PACS, progrès décisif pour son époque, mais que la droite avait tant décrié.
M. François Rebsamen. Ah oui !
M. Roger Madec. L’union civile, objet juridique non identifié, avancée par le doyen Gélard, offrirait dans l’esprit de ses partisans l’avantage d’élargir les droits du PACS sans réinterroger les limites actuelles du mariage.
S’agirait-il de créer une forme de mariage au rabais pour les couples dont l’orientation sexuelle leur interdirait le droit commun ? S’agirait-il de créer une voie juridique de garage pour celles et ceux que la loi refuserait de reconnaître dans la plénitude de leur citoyenneté ?
Personne ne peut raisonnablement considérer que le mariage civil serait la condition de la filiation. Personne non plus ne peut prétendre que les référents parentaux, pour être légitimes et assurer le plein épanouissement de l’enfant, devraient être sexuellement différenciés. Si c’était le cas, comment comprendre que plus de la moitié des enfants naissent aujourd’hui hors mariage ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Roger Madec. Notre honneur de parlementaires n’est pas d’emprunter à telle ou telle tradition ou culture religieuse ses impératifs moraux pour en tirer une forme idéale d’organisation de la société. Notre honneur est d’abolir les formes d’exclusion et de faire progresser la société. Ce texte va dans ce sens.
M. le président. Concluez, mon cher collègue.
M. Roger Madec. Madame la garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, je suis très fier de soutenir ce projet de loi et je vous félicite de le défendre avec beaucoup de pugnacité, de courage et de dynamisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis plus de onze ans que je siège au sein de la Haute Assemblée, c’est la première fois que je vois un débat de société susciter autant de passion, autant de bruit et de tels mouvements de rue.
Mme Éliane Assassi. Et le CPE ? Et les retraites ?
M. Gérard Bailly. Par différents moyens, principalement en descendant dans la rue, des centaines de milliers de citoyens, voire plusieurs millions, ont exprimé leur désaccord avec le projet de loi sur le mariage pour tous et demandé qu’il soit soumis à référendum.
Le Gouvernement fait toujours la sourde oreille. Pourtant, le mécontentement est profond. Croyez-vous que c’est par plaisir que des centaines de milliers de personnes venues de toute la France ont quitté, au milieu de la nuit du samedi au dimanche, les Pyrénées, la Côte d’Azur, l’Alsace ou le Jura pour parcourir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres dans des bus ?
Mme Éliane Assassi. C’est terrible !
M. Gérard Bailly. Pourquoi l’ont-ils fait, si ce n’est par conviction profonde que ce projet de loi est mauvais ? Il est en effet très mauvais, principalement du fait des mesures qui toucheront demain l’adoption. Cette question est la seule que j’aborderai dans mon intervention.
Madame la ministre, sans vous faire de procès d’intention, je ne peux pas croire qu’en votre for intérieur, vous ne pensiez pas que, pour un enfant adopté, une maman et un papa, c’est mieux, et même indispensable.
Mme Éliane Assassi. Eh bien non !
M. Gérard Bailly. Vous êtes prise dans une spirale d’idéologie, qui vous éloigne du réalisme. Le premier mot que prononce tout enfant dès son plus jeune âge, n’est-ce pas « maman » ? De même, au moment d’un accident ou d’une mort subite, tout être humain appelle instinctivement sa maman. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Vous allez décider que des enfants n’auront pas de maman, ou tout au moins qu’ils ne la connaîtront pas : où est l’égalité dont vous avez tant parlé cet après-midi ?
C’est pourquoi nous n’acceptons pas le mariage pour tous, prélude à l’adoption par deux êtres du même sexe.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
M. Gérard Bailly. Je sais que les médias, la presse, publient des témoignages forts pour soutenir ces procédés.
Mme Cécile Cukierman. Le dogmatisme, c’est vous !
M. Gérard Bailly. Vous le savez, madame la ministre, les demandes d’adoption sont beaucoup plus nombreuses que les enfants pouvant être adoptés : ces derniers sont actuellement moins de 2 000, même en tenant compte des enfants venant de pays lointains.
En 1996, en tant que président du conseil général du Jura, j’ai refusé l’agrément à deux femmes qui avaient fait une demande d’adoption, conformément à la décision de la commission d’agrément des familles d’adoption avec laquelle j’étais pleinement d’accord. Ces femmes ont porté l’affaire devant le tribunal administratif de Besançon, qui leur a donné raison. Ensuite, nous avons fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de Nancy, qui nous a donné raison. Le Conseil d’État a été saisi, et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
Mesdames les ministres, l’adoption ne consiste pas, à mes yeux, à faire plaisir à un couple, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel. Elle consiste à donner à un enfant privé de parents et d’affection une mère et un père : un couple de personnes complémentaires, cadre qui lui permettra de s’épanouir dans la joie et dans l’amour. Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même rendu hommage à votre père et à votre mère qui vous ont élevé !
Le Gouvernement veut la parité entre les hommes et les femmes dans les conseils d’administration des entreprises, les conseils régionaux, les futurs conseils départementaux et les conseils municipaux. Puisqu’il l’impose lorsqu’il s’agit de décider de projets d’équipements sportifs et culturels ou de routes, pourquoi n’accepte-il pas que, pour entourer un enfant, il faille aussi un homme et une femme ? Où est la cohérence ?
M. Jean Bizet. Exactement !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cela n’a rien à voir !
M. Gérard Bailly. Si j’ai refusé de donner cet agrément, c’est parce que je n’aurais jamais voulu que l’enfant adopté, garçon ou fille, vienne me voir à l’âge de dix ans pour me dire : « monsieur Bailly, c’est à cause de vous que, contrairement à la grande majorité de mes copains et copines d’école, je n’ai pas de papa ou de maman ! » (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
Sans doute, madame la ministre, vous n’avez pas la même conception que moi de l’enfant ; mais sachez que si ce projet de loi est voté, un enfant viendra peut-être vers vous dans quelques années et vous dira : « je n’ai pas eu de maman ou de papa car vous avez soutenu cette loi ». Malheureusement, il sera trop tard ; le mal sera fait.
Mes chers collègues, en particulier les trente-huit d’entre vous qui, en tant que président d’un conseil général, ont des décisions à prendre dans le domaine de l’adoption, réfléchissez au choix que vous allez faire et pensez à tous les enfants qui ne pourront pas dire un jour « mon papa » ou « ma maman ». Sachez que je ne serai pas de ceux qui voteront ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme Éliane Assassi. Sortez les mouchoirs !
Mme Cécile Cukierman. Parlez d’amour !
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au regard des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et dans les médias, on pourrait s’étonner de me voir prendre la parole dans cette discussion, moi qui suis l’élu d’un département d’outre-mer où la tradition culturelle est très forte, très différente de celle de la métropole et où 95 % de la population est de confession musulmane.
J’ai pourtant d’excellentes raisons, républicaines, de penser que ce projet de loi, avec tous les enjeux qu’il soulève, représente une chance plus qu’une opportunité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour l’avocat que je suis, le fait que la France souhaite réparer une rupture d’égalité devant le droit en rejoignant les sept autres États de l’Union européenne qui ont ouvert cette voie est une raison suffisante d’agir en tant que législateur. Pour le représentant d’une île qui a tant marqué son attachement à notre pays, c’est une occasion supplémentaire de réaffirmer l’ancrage de ce territoire dans la République.
Je vais vous présenter les raisons qui, transcendant mes convictions religieuses, me poussent à voter ce projet de loi.
M. François Rebsamen. Bravo !
M. Thani Mohamed Soilihi. Auparavant, toutefois, permettez-moi de faire une remarque d’importance. J’ai été très étonné d’apprendre que des membres d’une association avaient prié devant l’Assemblée nationale et demandé à le faire aussi devant le Sénat, alors même que les prières de rue sont interdites, à juste titre, au nom de la laïcité ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cette interdiction ne saurait s’appliquer aux seuls musulmans de notre pays, au nom du principe d’égalité ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Très juste ! Ce qui vaut pour les uns doit valoir aussi pour les autres.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cette parenthèse refermée, j’en viens aux raisons pour lesquelles je voterai ce projet de loi.
En premier lieu, les couples de même sexe sont aujourd’hui placés dans une situation d’inégalité inacceptable puisque, pour organiser une vie commune, ils n’ont pas d’alternative au PACS, convention qui ouvre des droits étroitement limités. Je vous rappelle que le PACS, qui a démontré son utilité, s’était heurté au moment de sa création à une vive opposition. Il est d’ailleurs amusant d’observer que ses opposants d’hier en sont devenus les ardents défenseurs !
M. François Rebsamen. Eh oui !
M. Thani Mohamed Soilihi. Le présent projet de loi a le mérite de mettre fin à ces situations d’inégalités et de discriminations indirectes en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe.
Il permet également d’offrir aux enfants élevés par un couple homosexuel un cadre familial plus sûr et plus protecteur juridiquement. Car ces enfants existent : selon les associations de parents homosexuels, 200 000 à 300 000 enfants seraient concernés. Nous ne pouvons pas les ignorer, sous prétexte qu’ils heurtent nos représentations morales ou religieuses.
Ensuite, il faut reconnaître que, dans nos îles, l’homosexualité est plus difficile à vivre qu’ailleurs : l’insularité peut y rendre le regard social plus pesant, plus réprobateur qu’en d’autres endroits. Si la diversité sociologique, géographique, culturelle et religieuse des outre-mer est une réalité, elle ne doit pas servir de prétexte pour se soustraire aux avancées sociales de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. Thani Mohamed Soilihi. Je crois vraiment que nous ne pouvons pas revendiquer l’appartenance à la République et réclamer l’application du droit commun, par exemple en matière de départementalisation, tout en faisant valoir des particularités locales lorsqu’un projet de loi nous contrarie.
Il ne peut y avoir de rupture du pacte républicain entre la France et les outre-mer, surtout quand il s’agit de libertés. Nous avons tant lutté pour elles et nous luttons encore, qu’il s’agisse de l’abolition de l’esclavage, de la départementalisation pour ce qui concerne mon île, ou de notre conquête de l’égalité des droits !
Pas plus que l’abandon légal de la polygamie à Mayotte, coutume interdite en 2005 quoiqu’elle fasse partie intégrante de notre culture, la possibilité donnée aux couples homosexuels de s’unir ne sonnera le glas de notre identité.
M. Marc Daunis. Bravo !
M. Thani Mohamed Soilihi. Enfin, je tiens à rappeler que ce projet de loi répond à un engagement de campagne clair du candidat François Hollande. (Murmures sur les travées de l'UMP.) Il est normal que, devenu Président de la République, il mette en œuvre sa politique au profit de tous les Français. C’est notamment la raison pour laquelle le Gouvernement, qui poursuit la consolidation du processus de départementalisation voulu par les Mahorais, a prévu à l’article 21 du projet de loi que les dispositions relatives aux prestations familiales seraient applicables à la situation de parents de même sexe.
En somme, je considère que ce projet de loi, défendu avec conviction et talent par une ministre elle-même ultramarine, est une formidable occasion de montrer que nous sommes capables d’aller vers l’intérêt général et le dépassement de nos intérêts individuels en portant, mieux encore que quiconque, les grandes avancées symboliques de notre République. C’est à ce prix que les sociétés évoluent et que les droits et les libertés progressent. Je voterai ce projet de loi, qui constitue pour nous tous un véritable progrès pour l’égalité des droits – ce n’est pas Mme Bariza Khiari qui me contredira ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –L’orateur est chaleureusement félicité par ses collègues.)
M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
M. Claude Dilain. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il est tout à fait normal que ce projet de loi suscite des débats importants ; ils sont légitimes, nécessaires même, et l’opinion de chacun doit être respectée.
En revanche, j’ai du mal à accepter les pressions et les débordements, parfois violents, qui l’ont trop souvent marqué. Force est de constater que, dans des pays comparables au nôtre, le débat sur ce sujet de société s’est déroulé sereinement. Je regrette qu’à cet égard, la France ait été loin de montrer le bon exemple.
De quoi s’agit-il ? Pour moi, ce projet de loi s’inscrit simplement dans le triptyque de notre République : liberté, égalité, fraternité. Il vise simplement à donner administrativement la possibilité que tous les couples aient accès aux mêmes droits. Autrement dit, il autorise les couples homosexuels à être comme les autres couples, dans une société qui a la chance d’avoir un code civil laïc. Puisque nous avons beaucoup parlé de sémantique, je vous rappelle que la Constitution de 1791, à laquelle Mme la ministre a fait allusion, dispose dans son article 7 que « la loi ne considère le mariage que comme contrat civil ».
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Claude Dilain. L’homosexualité est enfin sortie du code pénal grâce à M. Robert Badinter, ministre de la justice à l’époque, que je remercie une fois de plus ; elle est sortie aussi des livres de médecine et de la liste officielle des maladies de l’Organisation mondiale de la santé. Dès lors qu’elle n’est plus ni un crime, ni un délit, ni une maladie, il est tout à fait logique, souhaitable et juste que le mariage des couples homosexuels entre dans le code civil. Il n’y a aucune raison de priver les homosexuels de droits du seul fait de leur orientation sexuelle !
En Espagne, le mariage pour les couples homosexuels existe depuis 2005. Selon M. Zapatero, ancien président du gouvernement, « la civilisation doit beaucoup à la France, patrie des droits de l’homme. Nous lui devons, en très grande partie, l’accélération de l’histoire en faveur des libertés et de l’égalité des êtres humains. La loi du mariage pour tous rendra justice à tous ceux qui ont été injustement traités par l’histoire. » Il ajoute : « Avec l’adoption de la loi du mariage pour tous, la République sera plus républicaine. »
Que dire également de ces élus américains du Parti républicain, qui ont envoyé, en tant qu’amicus curiae, un dossier à la Cour suprême, pour insister sur le fait que le parti de Lincoln doit s’associer au mariage civil, au risque de manquer encore une fois l’évolution de la société ? Selon eux, tous les Américains doivent être traités de la même façon, sans distinction de religion, de race ou d’orientation sexuelle. Comment pourrions-nous penser autrement, alors qu’une tradition d’égalité et de fraternité est encore plus ancrée dans notre pays !
Nous avons été submergés par les courriers, les courriels, les articles et les défilés. On nous dit qu’il suffirait d’augmenter les droits du PACS. Mais le PACS n’est pas le mariage ! On nous dit que l’enfant ne sera plus inscrit dans une parentalité traditionnelle et que cela bouleversera ses repères. Mais force est de constater, que cela nous plaise ou non, que les repères de la famille traditionnelle sont bouleversés depuis longtemps déjà.
Je ne pense pas que la famille traditionnelle soit ringarde, mais la contraception, le divorce et l’adoption ont depuis très longtemps fait évoluer le couple et la famille. Que dire des familles monoparentales, des familles recomposées, de la place des grands-parents, y compris devant les tribunaux ?
Oui, il faut permettre aux couples qui ont le courage de s’affirmer en tant que tels, qui veulent fonder une famille, d’avoir toute leur place au sein de notre société.
Sur la filiation, j’ai écouté avec intérêt les différents orateurs. N’étant pas juriste, j’ai beaucoup appris. Simplement et modestement, en tant que pédiatre, je ne privilégie pas la filiation biologique, qui n’est pas essentielle au bonheur des enfants.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Claude Dilain. De nombreux exemples le démontrent tous les jours, jusqu’à l’actualité récente, qui relatait l’histoire d’un échange d’enfants. Vous connaissez tous son épilogue.
Il est clair que, pour l’enfant, ses parents sont évidemment ceux qui l’aiment, ceux qui se réveillent la nuit quand il pleure. Qu’ils aient ou non des gènes en commun n’a pas d’importance. Peu importe la couleur de leur peau, leur religion et même leur genre.
Tous les adolescents, quelle que soit leur famille, fantasment sur leur filiation biologique. Ce sont leurs parents aimants qui les aident à dépasser cette crise.
Je vous remercie, mesdames les ministres, d’avoir eu l’intelligence et le courage de nous présenter cette loi, que je voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Philippe Bas. Vive la Manche ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, si une société n’est pas constituée par la somme des désirs des individus qui la composent, a contrario elle ne se construit pas à contresens de leurs désirs et dans la négation de leurs aspirations.
Une société ne peut perdurer si elle n’arrive pas à créer un projet de société capable d’évoluer et d’assurer la cohésion des individus la composant autour d’un sens commun.
Historiquement, le lien faisant sens fut la religion. Une puissance divine, avec ses codes de conduite, régissait et organisait notre société. Cet ordre fut bouleversé par une transformation majeure : le passage d’un pouvoir monarchique de droit divin à un pouvoir républicain, démocratique et laïque, prenant acte de ce qui rassemble les femmes et les hommes, à savoir leur humanité et leur individualité.
La notion de vivre ensemble doit perpétuellement être remise en question, pour continuer à faire sens, surtout dans le monde actuel, du fait des progrès de la connaissance, de la science, de la recherche et de la médecine.
Le débat relatif au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe est au cœur du vivre ensemble que nous avons inlassablement à construire. Soyons fiers de porter ce débat au sein de nos institutions, car il représente un enjeu fondamental d’intégration ! Arrêtons de stigmatiser certains de nos concitoyens. Accordons-leur enfin le droit d’accéder aux institutions de notre République et la reconnaissance de leur humanité et individualité.
Oui, mes chers collègues, l’homophobie existe dans notre pays ! C’est un devoir pour nous de la combattre. Nous ne pouvons admettre les violences et la haine engendrées par cette classification du genre humain. Les agressions physiques à l’encontre des personnes homosexuelles sont en augmentation de 22 % par rapport à l’année précédente. Les tentatives de suicide sont de 2 à 7 fois plus nombreuses pour les hommes homosexuels que pour les hétérosexuels. Concernant les femmes, le risque suicidaire est de 1,4 à 2,5 fois plus important pour les homosexuelles que pour les hétérosexuelles. Oui, l’homophobie tue ! L’impossibilité d’accéder à une vie normale reconnue et à la parentalité y est certainement pour beaucoup.
Des auditions auxquelles j’ai assisté préalablement à ce débat, je retiendrai deux témoignages qui me semblent très forts, même s’ils n’ont pas la même finalité que la mienne.
M. Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France, a déclaré : « Je n’ai pas voulu participer au débat public, et je n’ai pas souhaité que la communauté juive participe aux manifestations. La place des religions n’est pas dans la rue, d’autant que la communauté juive n’est pas menacée ni réduite à manifester pour se faire entendre. » Cette déclaration empreinte de grande sagesse est confortée par ses propos ultérieurs : « Au cœur de cette loi, il est question d’amour. […] L’amour est donc central et la protection du conjoint est fondamentale. » J’ajouterai la protection des enfants, essentielle dans ce texte, qu’ils soient adoptés ou conçus par une assistance médicale à la procréation. Là encore, pour ces enfants, il s’agit d’amour, ce projet de loi étant aussi et surtout un texte sur le droit de l’enfant. Adoptés, conçus par amour, ou par procréation médicale assistée, ils sont surtout désirés. Comme tous les autres dons de la vie, il faut les protéger et les aimer, en leur offrant les mêmes protections que celles dont bénéficient les autres enfants.
La deuxième audition qui m’a frappé est celle de M. Claude Baty, président de la Fédération protestante de France, qui a rappelé que, « depuis l’origine, les protestants ne considèrent pas que le mariage relève de l’ordre du salut. Le mariage n’est donc pas un acte religieux ; pour nous, il n’y a pas de mariage chrétien, mais des chrétiens qui se marient, ou pas. »
Le texte dont nous débattons, mes chers collègues, est une grande loi contre toutes les ségrégations, tous les rejets.
Pourquoi n’a-t-il fallu, en février dernier, qu’une journée à la Chambre des communes du Royaume-Uni pour adopter une telle disposition ? Pourquoi tant de déchaînements, de violences, d’incompréhensions dans notre pays ? Je laisse cette question à votre sagacité, mes chers collègues, mais il me semble que M. Gélard y a répondu tout à l’heure…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Godefroy. Personnellement, je m’inscris dans la lignée de celles et ceux qui ont défendu l’émancipation des peuples. Je m’inscris dans la lignée de ces femmes et de ces hommes qui se sont battus pour l’égalité des citoyens et contre les exclusions.
Avant de conclure, je tiens à faire un bref rappel. Dans le cadre du débat qui ne manquera pas d’intervenir, mesdames les ministres, lors de l’examen de la grande loi sur la famille que vous allez nous présenter, il sera bon de se souvenir que cette assemblée, le 7 février 2011, a voté à une très large majorité l’assistance médicale à la procréation pour tous les couples infertiles, qu’il s’agisse d’une infertilité médicale ou sociale. Je ne pense pas que le Sénat se soit trompé à cette époque.
Mme Annie David. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’on dit autant de mal, aujourd’hui, d’une telle mesure, c’est pour tenter de justifier un rejet du présent texte, lequel ne traite pourtant pas de l’assistance médicale à la procréation.
Pour ce qui me concerne, je voterai ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en tant que sénateur de la République française et parlementaire d’outre-mer, j’ai l’honneur à la fois redoutable et solennel d’apporter mon soutien à ce projet de loi, qui fait débat, particulièrement en outre-mer, où, bien plus qu’ici, perdure un certain conservatisme.
Ce sujet cristallise les émotions les plus intimes, les plus subjectives et donc, fatalement, les plus excessives. Il touche aux profondeurs de notre inconscient collectif et ébranle les racines mêmes de nos représentations multiséculaires du monde, de la famille et de la société.
Mais si je comprends les peurs, les réticences et la résistance au changement, je me dois aussi de prendre acte d’un débat fondamental pour les valeurs républicaines et de défendre ces valeurs.
Ce texte vise simplement à ce que la République reste plus cohérente avec elle-même sur trois principes fondamentaux : la liberté, l’égalité et la vérité, que je substitue au principe de fraternité, tant la conjonction des trois piliers de notre République ne saurait se révéler ou se comprendre qu’à la lumière du principe de vérité.
La liberté, c’est simplement celle de s’aimer et de s’unir entre deux personnes adultes et consentantes, dans les règles du droit positif. Le droit suit la réalité, mais ne la crée pas. Pour l’union de deux êtres, la portée du mariage dépasse celle du PACS, qui ne prévoit que l’assistance matérielle, alors que la relation entre les époux comprend respect, fidélité et secours. Accorder aux homosexuels la possibilité de se marier, c’est leur reconnaître l’engagement public de cette liberté, ce qui constitue une avancée démocratique.
Concernant l’égalité, les divisions et j’ose dire les « paradoxes » révèlent que, dans la société française, laïque, républicaine et fraternelle, il est encore bien long le chemin qui mène à l’altérité et à la reconnaissance d’autrui dans sa différence, et ce quelle que soit, finalement, cette différence.
Il est encore bien douloureux, pour certains, de passer d’une ouverture d’esprit « virtuelle », de bon aloi, à l’épreuve réelle de la confrontation, du respect, de l’acceptation dans la communauté humaine, tout simplement, de couples différents, de familles différentes, que nous croisons pourtant tous les jours au pied de notre immeuble, dans la rue, dans nos quartiers et dans nos villes, sans vouloir les voir...
Si je soutiens ce projet de loi, c’est parce qu’il brise le déni de réalité qui étouffe sous le carcan de la honte l’existence de ces familles homoparentales et de leurs enfants, en leur permettant, en fait, d’exister.
Alors même que les procédures actuelles d’adoption le permettent, mais au prix du secret, du mensonge et du déni de soi-même, ce projet de loi fait tout simplement acte de vérité.
Ceux qui brandissent comme une évidence désespérée que tout enfant a droit à un père et une mère profèrent une lapalissade et font semblant d’oublier que jamais la nature ne changera cette vérité biologique. La filiation, cependant, est affaire de choix et, dans toute l’histoire du monde, jamais un modèle familial n’a rendu un enfant heureux. C’est la famille réelle, concrète et vraie, formée d’adultes en harmonie, qui choisissent et soignent avec amour et respect les enfants qu’ils élèvent.
Que ceux qui prétendent opposer artificiellement le droit de l’enfant et le droit à l’enfant m’expliquent sur quels critères la société devrait valider, aujourd’hui, en l’état actuel de l’évolution des conditions de vie matérielles et morales des enfants, tel ou tel modèle de référence, parmi les familles monoparentales, les « familles alternées », les familles recomposées, toutes prétendument hétérosexuelles, ou les familles homoparentales, encore émergentes.
Les modèles familiaux sont aujourd’hui ébranlés, comme les religions l’ont été en leur temps, comme les idéologies le sont encore. Cela n’empêche ni la foi ni le militantisme. Cela n’empêche nullement les familles nucléaires hétérosexuelles traditionnelles de continuer d’exister. Qu’elles accordent simplement aux autres, différentes, le droit à cette différence, non pas le droit d’exister, car elles existent, mais le droit à la vérité de cette existence.
Il est temps que l’hypocrisie cesse, que le voile se lève, que le droit dise ce qui doit être, en raison non pas de ce qui fait peur, mais de ce qui s’impose comme un phénomène historique et social irréversible.
Ce qui fait sens aujourd’hui dans la société française, laïque et républicaine, c’est que tous les enfants soient reconnus égaux les uns aux autres dans leur droit à pouvoir, sans honte et sans peur, désigner leurs parents, les personnes qui les élèvent. Un droit à la vérité, un droit à la plus haute des valeurs universelles.
En conclusion, que ceux qui, soudainement, spéculent sur les outre-mer sachent que, s’agissant de ces valeurs de liberté et d'égalité, ces territoires ont historiquement une attitude revendicative, tout au moins de dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites sur le fond, synthétisant tous les enjeux du débat qui anime notre pays depuis plus d'un an.
Devant les Français, durant la campagne présidentielle, le candidat François Hollande a affirmé haut et fort son engagement 31 face à l'ancien Président de la République, qui expliquait son opposition à ce droit.
Ce sont 18 millions de nos concitoyens qui ont voté en faveur de François Hollande ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Bizet. Ils le regrettent !
M. David Assouline. Je rappelle ce chiffre, parce que j'en ai entendu d'autres au sujet du nombre de pétitionnaires, du nombre de manifestants, lesquels ont tout à fait raison d'utiliser tous les moyens qu’offre la démocratie – du moment que ces moyens demeurent pacifiques – pour faire entendre leur point de vue et pour essayer de convaincre.
Je rappelle ce chiffre, qui est celui du suffrage universel, par lequel se manifeste la volonté du peuple et sur lequel se fonde notre démocratie.
Depuis lors, nous n'avons pas été convaincus par vos arguments. En dépit des milliers d'heures de télévision et de radio, en dépit des milliers de pages publiées par la presse écrite, en dépit des cent heures de débat en séance plénière à l’Assemblée nationale, des dix heures de discussions, ici, en commission et des quarante heures d'auditions, j'entends encore certains dire que nous voudrions étouffer le débat.
Non, nous n'avons pas été convaincus, car rien ne justifie l'inégalité entre homosexuels et hétérosexuels, rien ne justifie de renoncer à instaurer le même droit au mariage civil ainsi que les mêmes protections pour les homosexuels et les enfants qu’ils élèvent et dont ils ont la charge.
M. Leleux, tout à l'heure, nous invitait à peser nos mots, à faire attention aux termes que nous employons. Je veux lui dire que, depuis quelque temps, les limites sont dépassées.
Devant le Sénat de la République laïque, a eu lieu ce soir une manifestation, ou plus exactement une prière de rue. L'Agence France-Presse relate les propos tenus par un homme portant une grande croix : « La France mérite châtiment si elle autorise le mariage des sodomites. » Voilà ce que disaient les opposants au texte devant le Sénat !
Certes, nos débats sont feutrés, mais ces propos sont une réalité. Alors, oui, il faut faire attention aux mots, monsieur Leleux !
L’hebdomadaire Valeurs Actuelles, quant à lui, rapporte les propos de l'ancien Président de la République : « Quand on pense que le sujet du moment, c’est la traçabilité du bifteck ! Tout le monde veut savoir s’il y a du cheval dans ce qu’on mange. Mais la traçabilité des enfants, qu’est-ce qu’on en fait ? C’est tout de même plus important. Avec leur “mariage pour tous”, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, bientôt, ils vont se mettre à quatre pour avoir un enfant. Et le petit, plus tard, quand il demandera qui sont ses parents ? On lui répondra : “Désolé, il n’y a pas de traçabilité”. »
Vous me permettrez également de citer les propos tenus en séance publique par un député UMP : comparant un homosexuel à un terroriste, il déclare que ce dernier « n’a jamais rencontré l’autorité paternelle, il n’a jamais eu à se confronter avec des limites et avec un cadre parental, il n’a jamais eu la possibilité de savoir ce qui est faisable ou non faisable, ce qui est bien ou mal ». Je vous épargnerai son nom.
Écoutez également ces propos tenus au sein d’une organisation qui appelle chaque fois à manifester contre le mariage pour tous, l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF, vous savez, celle qui invite des prédicateurs salafistes radicaux à ses réunions : « Qui pourra délégitimer la zoophilie, la polyandrie au nom du sacro-saint amour ? Ne sommes-nous pas en train de suivre une voie où le principe d'égalité ne serait plus défini par des limites et des normes communes, mais par des perceptions personnelles aussi égoïstes et affectives puissent-elles l’être ? »
Et Mme Barjot, sympathique animatrice de ces manifestations,…
M. Jean-Michel Baylet. Non, elle n’est pas sympathique du tout !
M. David Assouline. … a répondu à une invitation de cette organisation en se rendant le week-end dernier à son congrès pour leur dire qu’elle et eux partageaient le même combat… Alors, oui, attention aux mots !
Je conclurai mon propos…
M. Philippe Bas. Concluez !
M. David Assouline. … en vous racontant une petite anecdote qui a son importance dans la vie d'un engagement.
À la suite de la dernière manifestation, j’ai participé à un débat avec M. Mariton. De retour chez moi, j'ouvre ma page Facebook et lis le post d'un militant opposé au mariage homosexuel – bien identifié, qu'il le sache ! – : « Crève ! »
Le lendemain, à mon bureau, je reçois un petit message qui dénote une autre conception de la vie et de la société : « Monsieur le sénateur David Assouline, c’est en tant que chrétienne profondément attachée à la laïcité et au mariage civil que je me permets de vous envoyer ce message. Je suis pour le mariage pour tous et, entre autres raisons, pour protéger les enfants de l'amour partagé au sein d'un couple de même sexe, les enfants nés homosexuels au sein d'un couple hétérosexuel homophobe. Le taux de suicide des adolescents issus de ces familles est dramatiquement élevé. Merci de votre soutien à cette loi pour le mariage pour tous, tenez bon. Une citoyenne en âge d’être grand-mère. » (M. Alain Gournac rit.)
À cette dame, je réponds que nous ne lâcherons pas, parce que ces valeurs-là, cette générosité-là nous donnent une énergie énorme pour continuer à progresser dans la voie de l'égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Des questions importantes qui méritent réflexion ont été soulevées sur toutes les travées de cet hémicycle. Je ne m’attarderai pas sur certains propos assez caricaturaux qui ont été tenus : ils ne contribuent en rien à faire progresser l'ensemble de la société.
Je voudrais tout d'abord saluer les propos de Mme Jouanno, non pas tant parce qu'elle n'appartient pas à la majorité présidentielle, que parce qu’elle a insisté sur deux points qui me paraissent importants.
C'est vrai, l'État n'a pas à définir ou à juger les contours de la famille. Son rôle n’est pas de dire s’il est mieux d'appartenir à une famille traditionnelle, à une famille recomposée, à une famille monoparentale ou à une famille homoparentale.
En revanche, à partir du moment où certains de nos concitoyens ont fait des choix différents, l'État, parce que c'est l'honneur de notre démocratie et de notre République, doit - c’est une exigence ! – leur assurer les mêmes droits et leur imposer les mêmes devoirs.
Mme Jouanno a formulé une seconde remarque, très importante : l'homosexualité n'est pas un choix, on ne choisit pas d'être hétérosexuel ou d'être homosexuel. Peu l’ont dit, tant à l’Assemblée nationale qu’ici, au Sénat.
Lorsque j'entends l’expression « préférence sexuelle », je m’interroge : aurait-on l’idée de l’employer à l’égard d’hétérosexuels ? Pourquoi parle-t-on de « préférence sexuelle » pour les homosexuels ?
Après avoir entendu certains propos, j'ai l'impression qu’on tolère aujourd'hui les homosexuels – à cet égard, depuis l’adoption du PACS, la situation a progressé –, mais cela ne suffit pas : il faut les reconnaître comme des citoyens à part entière. Si on les reconnaît comme tels, alors ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
La question n'est pas de reconnaître spécifiquement aux homosexuels le droit de se marier, mais, à partir du moment où l'on considère qu'ils sont des citoyens à part entière, alors ils doivent pouvoir faire les mêmes choix que les hétérosexuels : opter soit pour le concubinage, soit pour le PACS, soit pour le mariage. Aujourd'hui, les homosexuels peuvent choisir le concubinage ou le PACS, mais ils ne peuvent se marier. Et ce n'est pas une ode au mariage que nous faisons, car telle n'est pas notre vocation.
Des questions ont été posées – elles le seront très certainement de nouveau dans les prochains jours – sur le droit de l'enfant, le droit à l'enfant.
Jamais une notion qui, peut-être, pourrait mettre tout le monde d'accord n’a été évoquée : le désir d'enfant. Celui-ci n'a rien à voir avec la sexualité des parents. J'ai bien entendu la définition qui a été donnée de l'adoption, en particulier de l'adoption internationale : c’est non pas la satisfaction d’un droit à l’enfant des parents adoptifs, mais la possibilité d’offrir une famille à un enfant qui n'en a pas.
Très bien, mais, au fond, croyez-vous véritablement que les couples hétérosexuels qui, en raison de la stérilité de l’un des deux conjoints, ne peuvent pas avoir un enfant s’inscrivent uniquement dans une démarche visant à offrir une famille à un enfant qui n'en a pas ? Pourquoi ne pas reconnaître que le désir d'enfant existe dans les couples hétérosexuels et que, à ce titre, il est tout à fait aussi légitime que le même désir puisse se faire jour dans les couples homosexuels ?
J’entends dire qu’il faut un papa et une maman. Nous pouvons être d'accord sur un point : un enfant sera toujours le produit d'un homme et d'une femme. (Tout de même ! sur les travées de l’UMP.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, Vous pourriez admettre que, pas plus que les homosexuels, nous ne sommes suffisamment sots pour raconter qu'un enfant quel qu'il soit puisse naître de deux personnes du même sexe ! (M. Charles Revet s’exclame.)
Je dis cela pour tenter de répondre à cette question : le fait biologique suffit-il à faire d'un homme un père et d'une femme une mère ?
M. Charles Revet. Ca y contribue !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Soit vous considérez que l'instinct maternel et l'instinct paternel sont d'emblée acquis, soit vous estimez qu’une femme qui accouche ne devient pas brusquement mère et qu’un père qui reçoit ce nouveau-né ne devient pas subitement père, même dans les couples hétérosexuels.
Vous qui êtes tant attachés à l'intérêt supérieur des enfants, interrogez-en et vous verrez le regard qu’ils portent sur leurs parents. Quelquefois, justement, dans les couples hétérosexuels, ils auraient aimé avoir un père qui soit non pas simplement un géniteur, mais un père, et une mère qui soit non pas simplement une génitrice, mais une mère.
Vous le voyez, cette question dépasse la sexualité des parents. Fondamentalement, vous avez raison de le souligner, il importe de savoir s’il ne faut pas reconnaître à l'enfant le droit de connaître son histoire originelle. La future loi sur la famille sera l’occasion d’en débattre. Mais, là encore, cette question a-t-elle un rapport avec la sexualité des parents ? Pendant des années, on n’a jamais dit la vérité aux enfants qui avaient été adoptés par des couples hétérosexuels. Par la suite, la psychologie et la psychanalyse ayant évolué, on a jugé qu’il fallait leur dire très tôt cette vérité.
Aujourd'hui, adopte-t-on le même comportement vis-à-vis des enfants nés de procréation médicalement assistée ? Cela dépend des parents, cela dépend des familles dans lesquelles ils se trouvent. De fait, la question est bien de savoir s’il est envisageable d’accorder à l’enfant le droit de connaître son histoire originelle, mais, je le répète, cela n'a rien à voir avec le fait d'avoir des parents hétérosexuels ou des parents homosexuels.
L’union civile que vous souhaitez ressemble fort à un sous-mariage, avec une sous-adoption. Or – je serai très claire – parler de sous-mariage et de sous-adoption, c’est considérer une partie de nos citoyens comme des sous-citoyens, ce qu’ils ne sont nullement !
Mme Catherine Troendle. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Monsieur Gournac, vous avez touché mon cœur d’historienne en faisant référence à Georges Duby, que vous avez associé dans un même élan à Maurice Godelier.
Toutefois, quand on fait appel aux historiens, aux sociologues, aux anthropologues ou aux écrivains, il faut les citer de façon juste et intégrale. Monsieur le sénateur, lorsque l’on a demandé à Maurice Godelier ce qu’il pensait de la notion d’« aberration anthropologique » mise en avant par les opposants au projet de loi sur le mariage aux couples de personnes de même sexe, sa réponse fut la suivante :
« Cela n’a aucun sens. Dans l’évolution des systèmes de parenté, il existe des transformations, mais pas des aberrations. Certes, on ne trouve pas dans l’histoire d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. »
Mme Catherine Troendle. Eh oui !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Attendez la suite, madame la sénatrice. « On comprend pourquoi, poursuivait-il : pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire, mais souvent l’homosexualité au sein des sociétés a été reconnue dans la formation de l’individu, en Grèce antique, par exemple. J’ai vécu sept dans une tribu de Nouvelle-Guinée, les Baruyas, où pour être homme il fallait être initié et les initiés vivaient en couple homosexuel jusqu’à vingt ans. L’homosexualité avait un sens politique et religieux. L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance ».
Ce ne sont pas tout à fait les propos que vous avez cités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On aurait pu parler de Platon ou d’Aristote.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je tiens tout d’abord à remercier tous les orateurs de la qualité de leurs interventions. Qu’ils me pardonnent, à cette heure tardive, de ne pas prolonger le débat, donc de ne pas leur répondre individuellement. En fait, j’adhère à nombre des arguments, étayés d’exemples, qu’ils ont présentés à la tribune, avec brio, avec une force réelle et une conviction affleurante.
Les sénateurs, je le sais, sont des personnes raisonnables. Ils savent qu’il ne faut pas folâtrer trop tard au Sénat si l’on veut être en forme le lendemain matin. (Sourires.)
M. Philippe Bas. Nous n’avons pas l’impression de folâtrer, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qui plus est en pleine lumière et en public ! (Nouveaux sourires.) Mais j’espère ne pas vous avoir blessé, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette observation qui se voulait plus amicale qu’ironique. Si tel est le cas, je la retire bien volontiers.
M. Bruno Retailleau. Ce n’était pas blessant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Jouanno, je tiens à saluer votre courage, votre constance et la clarté de vos propos. Toutefois, vous ne pouvez imputer au Gouvernement la responsabilité du comportement des manifestants.
Que les convictions de certains de nos concitoyens soient heurtées par l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels, cela peut se comprendre. Voilà plusieurs mois que nous le disons : nous savons que, de par leur représentation et leur vision du mariage, certaines personnes ont des difficultés à concevoir que nous puissions ouvrir le mariage civil, avec ce qu’il implique en termes de droits et de libertés, aux couples homosexuels.
Pour autant, le Gouvernement ne peut pas porter la responsabilité d’une opération qui devient manifestement toujours plus politique et qui est prise en charge, de plus en plus, par la parole politique, je devrais même dire partisane.
M. Jean-Michel Baylet. Religieuse !
M. François Rebsamen. Oui, religieuse !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En fait, cette opération est instrumentalisée – c’est incontestable – et sous-tendue par des objectifs qui vont bien au-delà de la contestation du présent projet de loi. Le Gouvernement n’a pas sa part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer. Que ceux qui en sont responsables l’assument pleinement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Nous vivons dans une société qui aime le débat, la controverse, et qui accepte la dispute. Sur un sujet d’une telle importance, nous concevons qu’il y ait débat, désaccords et controverses. Néanmoins, ce qui se passe ne nous concerne pas. Nous n’y avons aucune part. Vous le savez mieux que personne, madame Jouanno. Vous n’y avez d'ailleurs vous-même aucune part, même si vous en êtes considérée également comme partiellement responsable, certains ayant même osé s’attaquer à vous, de façon tout à fait publique et aux yeux de tous.
M. François Rebsamen. C’est scandaleux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous n’avons absolument rien de commun avec des gens aussi manifestement intolérants.
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le répète, je ne veux pas prolonger notre débat au-delà du raisonnable. Monsieur Gélard, je présume que les arguments que vous avez développés à la tribune constitueront le corps même de l’exception d’irrecevabilité que vous défendrez. Je prendrai alors le temps de répondre à tous vos arguments. Vous aurez toutefois compris que le Gouvernement ne retient pas l’offre d’union civile qui a d'ailleurs déjà été présentée à l’Assemblée nationale.
Non merci, monsieur Zocchetto, nous ne voulons pas de l’union civile ! Nous voulons le mariage, tout à la fois contrat et institution, qui entraîne des effets d’ordre public. Ce que nous faisons va bien au-delà de quelques intérêts matériels – je pense à la pension de réversion –, même si ceux-ci peuvent être significatifs, notamment pour le conjoint survivant.
Telle n’est pas notre préoccupation. Notre préoccupation, c’est d’instaurer le mariage pour tous. C’est une institution, avec toute son histoire, ses règles, ses conditions, ses obligations, ses sécurités, ses protections et y compris sa charge symbolique que nous voulons ouvrir aux couples homosexuels. C’est en toute lucidité que nous décidons que cette institution républicaine doit être ouverte aux couples de même sexe.
J’ai entendu un orateur affirmer que le mariage religieux était millénaire. Non ! Il a été instauré en 1215, par le concile de Latran.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qu’il y ait encore une vision sacrée ou sacralisée du mariage, nous l’entendons. Et c’est bien dans ce sillage, à la limite d’une vision sacrée, sacralisée, que nous estimons que l’institution du mariage doit être ouverte aux couples homosexuels. Ces derniers ne sont pas composés de citoyens à part entière et nous ne leur proposerons pas une institution de seconde classe.
En outre, l’ouverture de l’institution du mariage en tant que telle aux couples homosexuels représente un enjeu considérable. En effet, parmi les moyens les plus sûrs, les plus efficaces et les plus durables de lutter contre l’homophobie – et je n’accuse personne ici d’homophobie, je parle d’une façon générale – figure l’accès des homosexuels à toutes les institutions, à tous les droits.
Par conséquent, il n’est pas question de leur proposer une institution à leur mesure. Il s’agit de leur ouvrir l’institution républicaine, avec tout ce qu’elle charrie, y compris éventuellement de sacré. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Yves Daudigny. C’est brillant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Revet, vous souhaitez savoir où nous allons. C’est très simple, dans la mesure où, ici, nous créons du droit, où nous faisons la loi, nous voulons aller là où le précise le texte de loi ! (Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
On peut toujours faire des extrapolations, des supputations, des hypothèses, mais lorsque le texte aura été voté, si vous en décidez ainsi, les citoyens iront jusqu’où le permet le texte. Il n’y a pas de mystère, ne vous inquiétez pas.
Monsieur Milon, je veux juste vous saluer ! (Sourires.) Vous affirmez que le titre du projet de loi est incomplet, puisqu’il mentionne seulement le mariage alors que le texte envisage aussi l’adoption.
Vous avez à la fois raison et tort : vous avez parfaitement raison, car le titre du projet de loi évoque effectivement le mariage, mais vous avez tort – je ne veux pas, après vous avoir salué, être désagréable par un mot déplaisant –, car dans notre droit, vous le savez bien, le mariage emporte l’adoption, aux termes de l’article 343 de notre code civil.
M. Charles Revet. Et au-delà, avec les conséquences !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes, mais l’article 343 lui-même énonce le droit à l’adoption une fois le mariage prononcé. Voilà l’état de notre code civil.
Si l’on refusait toutes les conséquences de l’application de l’article 343 du code civil et que l’on dissociait le mariage et l’adoption plénière, il faudrait instituer un mariage spécifique pour les couples homosexuels. Toutefois, comme je viens de l’indiquer très clairement, cela n’entre aucunement dans les intentions du Gouvernement. Il n’est pas question de vous être désagréable, mais il convient d’accomplir un acte positif envers ces citoyens à part entière.
« Ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? », avez-vous dit. J’ai trouvé cette phrase magnifique !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous devons avancer !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Toutefois, je m’arrête là sur ce sujet. De même, je répondrai à M. Mercier en sa présence.
Pour conclure, je souhaiterais formuler deux observations.
En écoutant certains propos, j’ai entendu des plaisanteries véritablement malvenues. Néanmoins, le débat étant globalement de haute tenue, je ne m’y appesantirai pas. Je pensais simplement, en entendant ces quelques railleries déplacées, à ce que disait René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. » Il y a des mots qui excluent ! C’est le cas lorsque l’on affirme que le mariage implique la filiation et la procréation, alors que cela ne correspond plus non seulement à ce que sont devenus le couple et la famille, mais aussi à la situation de millions de personnes qui se marient sans vouloir faire d’enfants ou après l’âge de la fécondité.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je vous le dis posément, cette façon d’exclure les personnes qui n’entrent pas dans le cadre que vous projetez est extrêmement violente. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Je vous demande simplement d’être vigilants sur ce point. Certaines choses sont profondément en nous, mais la puissance de l’individu majeur et responsable est de réfléchir et d’interroger, lui aussi, ses préjugés, ses clichés, sa propre pensée, afin de vérifier s’ils ne se sont pas arrêtés à un état de la société qui ne correspond plus à la réalité. Il faut toujours garder à l’esprit que des propos paraissant anodins concernent tout de même des personnes réelles.
Ainsi, vous parlez des droits à l’enfant et d’intérêt supérieur de l’enfant. Sachez que des dizaines de milliers d’enfants – voire des centaines de milliers, selon certains – sont concernés par ces paroles inutilement blessantes.
Je souhaiterais, pour terminer, vous remercier de nouveau de la qualité de ce débat, qui ne m’a pas déçue, y compris dans la confrontation et dans nos divergences clairement assumées, car je connais cette maison de longue date et je sais le travail de fond qui y est produit.
Nous aurons évidemment droit à quelques querelles, mais si tel n’était pas le cas, à quoi ressemblerait le débat parlementaire ? J’irai même jusqu’à dire que ces divergences, si je ne les sollicite pas, sont bienvenues.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie par avance de ces quelques jours que nous allons passer ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 5 avril 2013, à dix heures, à quatorze heures trente et le soir :
1. Examen de la motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 482, 2012-2013).
2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 437, tomes I et II, 2012 2013) ;
Texte de la commission (n° 438, 2012-2013) ;
Avis de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2012-2013).
La séance est levée.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 5 avril 2013, à zéro heure quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART