M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La justice suit son cours !
M. Philippe Bas. D’ailleurs, le projet de loi organique présenté aujourd’hui par le Gouvernement n’apporte aucune espèce de solution à des situations aussi graves, inqualifiables et impardonnables que celle dont, il y a quelques mois, à notre corps défendant, nous avons tous été les témoins. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Longuet. Les témoins médusés !
M. Jean-Jacques Mirassou. Il y en a eu d’autres avant !
M. Philippe Bas. Chers collègues de la majorité, comment pouvez-vous imaginer que, ce projet de loi organique adopté, un nouveau Jérôme Cahuzac rendrait publics des dépôts monétaires à l’étranger qu’il aurait constitués sur la base d’une fraude fiscale ? Je ne vous crois pas naïfs au point de penser que, par les mesures proposées, vous allez résoudre réellement ce type de difficultés ; en vérité, vous ne les résoudrez pas.
Nous ne sommes donc pas dupes des intentions politiques, à peine cachées, qui sont les véritables motivations de votre dispositif !
M. Gaëtan Gorce. Nous ne sommes pas dupes des vôtres !
M. Philippe Bas. Quant aux conditions d’élaboration de ce projet de loi organique, chers collègues de la majorité, je déplore qu’à aucun moment vous n’ayez recherché, par une discussion pluraliste comparable à celle qui s’était tenue en 2011, autour du président de la commission des lois d’alors, des solutions équilibrées aux problèmes de la déontologie et de la transparence de la vie publique.
De même, quand, il y a quelques mois, le pouvoir que vous soutenez s’est mêlé de former une commission pour examiner ce problème, à aucun moment elle n’a consulté les élus ! Du reste, cette commission, présidée par M. Jospin, a oublié de traiter dans le détail les questions dont nous sommes aujourd’hui saisis.
Mais, au-delà même de l’origine du texte et des conditions dans lesquelles il a été préparé, de façon unilatérale, par le Gouvernement et son administration, nous jugeons que le point de déséquilibre sur lequel la majorité s’est arrêtée n’est pas acceptable.
La publicité des déclarations ne sert à rien, sinon à faire plaisir à quelques organisations politiciennes, qui s’arrangeront pour mener des campagnes extrémistes sur les revenus des élus. Ce qui importe, ce sont les pouvoirs de l’instance qui contrôle l’enrichissement des élus entre deux déclarations de patrimoine.
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Philippe Bas. Rendre publiques des déclarations, y compris mensongères, cela ne sert à rien – du reste, les Français ne seront pas dupes. Aussi je fais mienne l’excellente expression de « tartufferie » qui a été employée plus tôt dans notre débat.
J’en viens à la question des tiers, en entendant par ce mot toutes les personnes auxquelles un élu est attaché, étant entendu qu’aujourd’hui les liens ne sont pas toujours juridiquement organisés ; c’est ainsi qu’un tiers peut être un enfant ou un parent.
M. Gérard Longuet. Ou une relation professionnelle !
M. Philippe Bas. Comment voulez-vous qu’un élu puisse obtenir de ces tiers des informations que la loi ne les oblige nullement à fournir à quiconque ? Pensez-vous réellement que, dans toutes les familles de France, les enfants connaissent le patrimoine des parents, et les parents celui des enfants ? (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Connaît-on toujours le patrimoine des personnes auxquelles on est lié ? Absolument pas !
M. Gérard Longuet. Sans parler de leurs activités, ni de leurs intérêts !
M. Philippe Bas. Tout citoyen ayant la liberté de ne pas communiquer ces informations, est-il absolument nécessaire de faire ainsi intrusion dans la vie des familles des élus, qui ne sont pas pour grand-chose dans l’engagement public de ceux-ci, si ce n’est par le soutien qu’elles leur apportent ? Pour ma part, je ne vois pas pourquoi on expose les familles et les personnes liées aux élus de la manière dont vous le proposez ici. À mes yeux, il y a là une atteinte à des droits individuels reconnus aux Français de toutes conditions depuis plusieurs décennies, et même depuis plus de deux cents ans !
S’agissant enfin des mesures relatives aux intérêts des élus, elles ouvrent la porte à toutes les mises en cause. Chers collègues, nos intérêts sont multiples, et en général légitimes ! Tel qui appartient à une confrérie philosophique a un intérêt ; tel qui s’engage dans le mouvement associatif en a un autre.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Le projet de loi organique ne vise pas cela !
M. Philippe Bas. Tel qui a exercé antérieurement une profession tout à fait honorable a un intérêt.
Chers collègues de la majorité, où allez-vous vous arrêter, dès lors que vous ne fixez aucune limite dans la définition des intérêts ?
À la vérité, vous vous reposez sur l’idée que l’élu lui-même se fait des intérêts qu’il conviendrait de déclarer : mais comment fonder un contrôle sur la seule bonne foi ? Il y a là une contradiction intellectuelle qui me paraît intenable !
Reste le vice qui me semble le plus grave de tous dans le franchissement des lignes jaunes : je veux parler du système des « lanceurs d’alerte », selon l’appellation élégante que vous avez trouvée, et qu’on pourrait tout aussi bien qualifier de système de dénonciation.
Pour ma part, je ne veux pas de la République des délateurs !
Que l’on protège les Français qui, de bonne foi, fournissent à l’instance chargée du contrôle des informations avérées, cela est nécessaire ; mais les délateurs qui lanceront sur la place publique des calomnies irréparables, parce que l’inanité n’en sera établie qu’au bout d’un an ou deux, notre République ne doit leur prodiguer aucun encouragement !
À ces raisons déjà nombreuses de s’opposer au projet de loi organique s’en ajoute une autre que je veux souligner pour terminer tout à fait.
Le discrédit de la parole publique vient de ce qu’après avoir pris des engagements on agit dans un sens contraire. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Jacqueline Gourault. Cela n’est pas nouveau !
M. Philippe Bas. Chers collègues de la majorité, personne n’a obligé votre candidat, François Hollande, à prétendre qu’il renégocierait le traité budgétaire européen, avant de le faire adopter sans en changer une virgule ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Michelle Meunier et M. Jean-Jacques Mirassou. C’est faux !
M. Philippe Bas. Personne ne l’a obligé à affirmer qu’il remettrait en cause la réforme des retraites, alors qu’il veut aujourd’hui l’aggraver, ni qu’il résoudrait le problème des ouvriers d’Aulnay et de Florange ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Hors sujet !
M. Jean-Pierre Michel. Et Sarko ?
M. Philippe Bas. Personne non plus n’a oublié la promesse de votre président, François Hollande, de ne pas augmenter les impôts en 2014, alors que son ministre, M. Moscovici, vient d’annoncer une hausse dans le prochain budget ! (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Jacques Filleul. M. Hollande est le président des Français !
M. Philippe Bas. De même, personne ne vous a obligés à supprimer la TVA anti-délocalisations, pour ensuite la rétablir, mais sous une autre forme !
Chers collègues de la majorité, je me doutais que j’allais un peu vous agacer ; je regrette presque d’y avoir mis un ton trop haut. Croyez bien que ma véhémence traduit ma sincérité (On le conteste sur les travées du groupe socialiste.) : si nous voulons réhabiliter la parole publique dans notre pays, il faut commencer par ne pas prendre d’engagements que l’on sait ne pas pouvoir tenir, et par tenir les engagements que l’on a pris !
M. Jean-Yves Leconte. L’opposition est bien placée pour faire la morale !
M. Philippe Bas. Pardon pour cette morale élémentaire, mais si, les uns et les autres, nous parvenions à l’observer, un grand pas en avant serait accompli !
M. Jean-Pierre Michel. Et l’arbitrage Tapie ?
M. Philippe Bas. Pour le moment, chers collègues de la majorité, je vous assure que nous aimerions vraiment pouvoir voter ce projet de loi organique ; seulement, vous n’avez pas fait le nécessaire pour que nous le puissions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je le déplore, et pour nous donner une dernière chance d’en obtenir la possibilité, je demande à nos collègues, particulièrement à ceux qui ne sont pas spécialement bien disposés à l’égard de cette motion, de l’adopter dans un instant de raison : nous serons disponibles pour travailler avec vous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments que je vous ai déjà présentés,…
M. Jean-Claude Gaudin. Tant mieux !
M. Alain Anziani. … même si une certaine forme de répétition pourrait être en l’occurrence utile.
Pour commencer, je tiens à saluer M. Bas,…
M. Henri de Raincourt. Il le mérite !
M. Alain Anziani. … qui s’est déclaré heureux – c’est déjà bien ! – de défendre la motion tendant à opposer la question préalable ; heureux, je ne le suis pas moins de la combattre !
Mon cher collègue, permettez-moi de vous faire remarquer que, dans votre bonheur, vous vous êtes un peu trompé de motion.
M. Philippe Bas. Non !
M. Alain Anziani. En effet, vous avez commencé par nous expliquer qu’il fallait renvoyer le projet de loi organique en commission : mais la question préalable est différente, en son objet, du renvoi en commission et, finalement, monsieur Bas, vous avez usurpé le rôle de M. Collombat ! (Sourires.)
À cette première confusion du début s’en est ajoutée une autre, dans votre conclusion. De fait, vous vous êtes trompé une seconde fois en terminant par un réquisitoire purement politicien.
M. Jean-Pierre Michel. M. Bas se trompe sans arrêt !
M. Charles Revet. Le réquisitoire était justifié !
M. Henri de Raincourt. Merci pour la leçon !
M. Alain Anziani. Vous vous êtes même trompé une troisième fois, puisque, tout au long de votre propos, vous avez déploré qu’à la faveur d’un renvoi à la commission nous n’exhumions pas le rapport d’information que M. Hyest, dont je regrette l’absence, a rédigé avec M. Collombat et plusieurs autres collègues de tous les groupes, dont moi-même.
M. Charles Revet. Un très bon rapport !
M. Alain Anziani. Mais ce rapport dont vous dites le plus grand bien, monsieur Bas, l’avez-vous seulement lu ?
Vous soutenez qu’il ne faudrait pas de déclaration d’intérêts, ou pas sous la forme que nous prévoyons. Pourtant, dans la proposition n° 4, les auteurs du rapport énoncent qu’une déclaration d’intérêts doit être imposée à l’ensemble des parlementaires.
Vous nous reprochez de nous mêler de la vie privée et des rémunérations annexes. Pourtant, dans la proposition n° 12, le rapport préconise une déclaration des rémunérations annexes. (M. Claude Dilain acquiesce.) Nous sommes même allés plus loin puisque, dans la proposition n° 13, le rapport recommande que la déclaration d’intérêts évalue l’ensemble des rémunérations perçues au cours des trois années précédant le début du mandat.
Et, à l’instant, vous avez consacré tout un dégagement aux proches des élus, qui, dites-vous, ne devraient pas être concernés. Vous êtes donc en pleine contradiction avec M. Hyest, puisque, dans la proposition n° 14, le rapport préconise que les intérêts des proches soient intégrés dans la déclaration.
Monsieur Bas, il faut choisir : si vous voulez le rapport Hyest, votez le projet de loi Vidalies !
M. Yves Daudigny. Et voilà !
M. Alain Anziani. Vous y retrouverez en effet de nombreuses propositions contenues dans le rapport, comme celle d’interdire aux parlementaires les fonctions de conseil ; cette recommandation du rapport Hyest figure dans le projet de loi organique présenté par le Gouvernement.
De même, le rapport Hyest préconise de rendre incompatibles le mandat parlementaire et la présidence d’un syndicat professionnel : le texte de la commission le prévoit, puisque nous avons voté un amendement en ce sens !
Toujours selon le rapport Hyest, il faut éviter le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction de direction dans une entreprise ; cette mesure figure dans le projet de loi organique !
M. Jean-Pierre Michel. Et Dassault ?
M. Alain Anziani. Enfin, monsieur Bas, il y a dans ce rapport, que M. Collombat connaît bien, une proposition qui aurait dû vous faire frémir, car elle est un peu provocante : un parlementaire pourrait continuer à cumuler son mandat avec une activité professionnelle, mais la rémunération qu’il percevrait en qualité, par exemple, d’avocat, de dentiste ou de notaire, serait limitée à la moitié du montant de l’indemnité parlementaire.
Cette proposition figure dans le rapport Hyest. Voulez-vous vraiment l’introduire dans le projet de loi organique ? J’attends avec impatience de lire votre amendement ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mais, j’y reviens, vous vous êtes probablement trompé de motion. En effet, qu’est-ce qu’une question préalable ? Sa définition est précise : son adoption signifie qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération. Autrement dit, « circulez, il n’y a rien à voir ! »
J’ai eu la curiosité d’aller vérifier ce qu’il en était dans ce document que nous recevons tous, je veux parler du Bulletin Quotidien, daté du 8 juillet. En page 3, on peut lire ces différentes rubriques : « Affaire Bettencourt / abus de faiblesse / trafic d’influence » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), « CCSDN / Karachi » (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) ; en page 17, on apprend que l’ancien ministre Pierre Bédier – à quel gouvernement appartenait-il, déjà ? –,…
M. Jean-Pierre Michel. Il a été condamné !
M. Alain Anziani. … qui avait été condamné pour avoir traficoté quelques marchés publics, vient d’être réélu !
Vous le voyez, les problèmes touchant à la transparence de la vie publique ne remontent pas à ces dernières années.
On découvre également, en page 24 du même Bulletin Quotidien, que l’ancien ministre Léon Bertrand – à quel gouvernement appartenait-il, lui ? –, « a été condamné, à trois ans de prison ferme dans une affaire d’attribution illégale de marchés publics en Guyane ».
Et puis, évidemment – et je ne peux pas le passer sous silence –, on trouve aussi, en page 5, une rubrique intitulée « L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy dénonce avec virulence la décision du Conseil constitutionnel de rejeter ses comptes de campagne ».
Mme Nathalie Goulet. Vous avez de bien mauvaises lectures ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. Alors, chers collègues, remettre aujourd’hui en question la plus haute de nos institutions, le Conseil constitutionnel, au motif qu’il ne fait qu’appliquer les textes que vous avez vous-mêmes votés et que vous n’avez pas réformés pendant les cinq années durant lesquelles vous en aviez la possibilité, me paraît bien exagéré ! Vous feriez mieux d’avoir plus de mesure.
Mais au fond, à quoi vous opposez-vous ?
M. Gérard Longuet. À l’amateurisme du Gouvernement !
M. Alain Anziani. Je vous ai entendus dire précédemment que vous entendiez vous opposer au voyeurisme.
M. Gérard Longuet. Oui !
M. Alain Anziani. Or il n’en est pas question ici. Relisez le texte du Gouvernement ! Jamais vous ne trouverez la moindre allusion à une volonté d’aller au-delà des limites pour tenter de voir ce qui est caché. Jamais ! Il est simplement prévu que chacun assume ce qu’il est et ce qu’il fait.
Mme Françoise Férat. C’est plus subtil que cela !
M. Alain Anziani. Cela ne devrait pas nous gêner, puisque c’est sans doute le principe élémentaire de l’éthique en politique.
À quoi vous opposez-vous donc ? Au contrôle !
M. Henri de Raincourt. Non !
M. Alain Anziani. On a établi devant moi un parallèle qui m’a paru assez juste. Pendant plusieurs années, vous nous avez servi assez fréquemment l’idée qu’il fallait installer des caméras de surveillance à tous les coins de rue. Quand nous nous y opposions au nom d’une certaine modération, vous aviez une réplique parfaite et définitive : « Les honnêtes gens n’ont pas peur d’être filmés » ! Je vous retourne donc l’argument : les honnêtes parlementaires n’ont pas peur de la transparence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
En fait, vous vous opposez, sans peut-être même bien vous en rendre compte, à une espérance de probité qui existe dans ce pays. Et cette espérance concerne non pas uniquement la politique, mais aussi les médias, le monde des banques et celui des affaires dans son ensemble. Elle intéresse non pas uniquement la France, mais l’ensemble des démocraties, et en particulier celles qui sont en crise. Regardez ce qui se passe autour de nous : dans la plupart des pays, la question de la transparence redevient d’actualité.
Je serais tenté de vous inviter, en toute sympathie, à ne pas rester dans le dernier carré de ceux qui ne veulent ni voir ni entendre. Ne faites pas comme si le monde, autour de vous, ne bougeait pas. Face aux événements qui se multiplient – j’en ai cité quelques-uns à l’instant et d’autres en début d’après-midi, dont l’affaire du Mediator –, ne vous contentez pas de marteler que vous n’êtes pas concernés .Ce n’est pas une réponse !
Pourtant, il est vrai que 95 % d’entre nous ne sont pas concernés par ces affaires ; mais 5 % le sont. À cause d’eux, nous avons la responsabilité collective d’aller plus loin, de rendre le système plus transparent, d’être exigeants et exemplaires, et de le montrer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur Bas, j’ai écouté avec beaucoup d’attention votre intervention. À mon tour, je souhaite vous faire deux remarques.
Premièrement, lorsque vous avez dit que votre groupe aurait souhaité voter ce texte, j’ai pensé – pardonnez-moi ! – à cette pièce de Molière qui fut déjà citée.
Deuxièmement, je veux vous rappeler ce qu’a voté la commission. Vous avez en effet consacré un long développement au conflit d’intérêts, insistant sur le caractère inadmissible des questions désormais susceptibles de nous être posées au sujet des associations auxquelles nous participons, des clubs philosophiques auxquels nous appartenons, ainsi que d’un certain nombre d’institutions et d’associations bénévoles dans lesquelles nous pouvons nous investir.
Monsieur Bas, vous avez assisté à la réunion de la commission qui s’est tenue ce matin. Il ne vous a pas échappé que la commission a donné un avis favorable à un amendement visant à supprimer, pour ce qui concerne les déclarations d’intérêts et d’activités, l’alinéa 34 de l’article 1er du projet de loi organique, lequel indique, au sein de l’énumération des éléments figurant dans la déclaration : « Les autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ; ».
Pourquoi avons-nous accepté de supprimer cet alinéa ? Justement, pour éviter toute suspicion et ménager une totale clarté. Dans la mesure où les conflits d’intérêts sont clairement définis, nous avons estimé, à une large majorité, que la mention de ces « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts » pouvait renvoyer à toute une série d’engagements ou de participations non définis, ce qui ne nous a pas paru souhaitable dans la loi. Vous avez donc obtenu satisfaction à cet égard.
Il ne vous a pas échappé non plus que cet amendement, qui a été adopté par la commission, a pour signataire… Jean-Jacques Hyest ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. C’est pour cela que nous l’avons voté !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est pour cela aussi que vous vous souvenez tout à coup que vous l’avez voté (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) et que vous comprenez à quel point vous avez eu tort de critiquer le texte sur ce point !
M. Philippe Bas. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous sommes donc d’accord ! (Rires sur les mêmes travées.)
La commission a émis un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Après les observations d’Alain Anziani et la démonstration de M. le rapporteur, le Gouvernement ne va pas en rajouter !
Personne n’a véritablement compris où vous vouliez en venir, monsieur Bas. Au début de votre intervention, vous avez adopté un mode interrogatif : fallait-il poursuivre le travail ? Toutefois, la chute a éclairé le point de départ de votre propos : votre objectif était de revenir à ce que je pensais avoir évacué, à savoir, permettez-moi de le dire, car c’est ainsi que je l’ai ressenti, un exposé politicien. Évidemment, c’est votre liberté de parlementaire, mais, en tous les cas, cela n’éclairait pas, me semble-t-il, votre démarche.
Pour les raisons exposées précédemment, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je souhaite naturellement défendre la motion tendant à opposer la question préalable, présentée avec talent par mon collègue Philippe Bas.
Selon moi, nos propos ne peuvent prêter à aucun malentendu. Philippe Bas a défendu le travail collectif et consensuel de notre Haute Assemblée, qui s’est traduit par le rapport d’information n° 518. Veut-il dire pour autant qu’il adopte et accepte, et que le groupe UMP adopte et accepte, toutes les dispositions de ce rapport ? La réponse est naturellement non. Ce qui différencie ce rapport, monsieur le ministre, de l’action gouvernementale, c’est qu’il s’agit d’un travail d’origine sénatoriale, réalisé par des parlementaires expérimentés, chevronnés, attachés à l’image de la Haute Assemblée, qui acceptent un sacrifice de leur confort quotidien, pour consolider l’image de cette institution.
Si vous aviez eu recours, pour ce projet de loi organique déposé trop rapidement et assez contradictoire, à la méthode qui a été celle de M. Jean-Jacques Hyest, à savoir plusieurs mois de travail, de réflexion et d’approfondissement, nous aurions sans doute pu marquer nos différences, constater nos désaccords – il y en a au sein de l’opposition comme de la majorité –, mais au moins aurions-nous eu le sentiment d’aller au fond de chacune des questions.
Les propos de M. Sueur sur ce qui est l’alinéa 32 de l’article 1er du projet de loi organique dans le texte de la commission, illustrent exactement ce que je visais quand je parlais de l’inconstitutionnalité de certaines dispositions. Je n’ai ni la compétence ni la qualité pour donner un cours de droit, mais nous y reviendrons au moment de rédiger le texte du dispositif que nous soumettrons au Conseil constitutionnel.
Vous avez eu l’intelligence, parce que vous n’en manquez pas, monsieur le président de la commission des lois, d’accepter, avec le soutien de Jean-Jacques Hyest, la suppression de cet alinéa relatif aux « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts », anticipant justement qu’il nous aurait été par trop facile autrement d’obtenir la censure de ce dispositif par le Conseil constitutionnel.
Mais je vous rassure : parce que vous avez bâclé ce travail majeur, en agissant avec précipitation pour des raisons d’opportunité politique, vous pourrez le constater, nos bases d’attaque demeurent inchangées. Je pense notamment aux articles II, IV, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’à certaines décisions du Conseil constitutionnel, notamment celle du 30 avril 2000, qui censure un texte interdisant l’accès aux fonctions parlementaires d’élus consulaires.
Si Philippe Bas a achevé son intervention sur une tonalité politique, c’est bien parce que le ressort de ce projet de loi organique, et du projet de loi, est uniquement politique, de circonstance, alors que le sujet méritait un travail de fond.
Je terminerai mon propos en évoquant une conviction personnelle que vous n’avez pas l’air de comprendre, monsieur le ministre. Je suis attaché à la vie parlementaire. On peut appartenir à l’UMP sans être, par exemple, un présidentialiste de stricte obédience. Je pense en particulier que l’élection du Président de la République au suffrage universel n’est certainement pas la meilleure solution et que le quinquennat est une tragédie par rapport au septennat. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) J’appartiens à une formation qui me donne le droit de penser cela.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai soutenu Édouard Balladur, qui avait les mêmes convictions. Cela peut parfois me distancier de Charles Pasqua, qui avait présenté à la fois la loi organique du 11 mars 1988 et celle du 8 février 1995. Il était pourtant un parlementaire et un sénateur chevronné, mais il était moins attaché à l’autonomie du Sénat quand il était au Gouvernement que lorsqu’il siégeait à l’Assemblée nationale. Pour ma part, je suis attaché à l’autonomie du Sénat quand je siège au Sénat et lorsqu’il m’arrive, par hasard, d’appartenir au Gouvernement.
Je pense que, même si la Commission pour la transparence financière de la vie politique, qui était greffière dans la loi de 1988, a, en vingt-cinq ans, acquis une certaine expérience, elle n’a cependant pas vocation à être une Haute Autorité, sans que soit méconnu gravement le principe de la séparation des pouvoirs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.
M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets de vous faire part de notre étonnement à la lecture de la question préalable qui nous est soumise. Ainsi donc il n’y aurait pas lieu de discuter ce projet de loi organique…
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Christian Favier. Ceux-là mêmes qui n’étaient pas avares de marques d’indignation, voilà quelque temps, lorsqu’il s’agissait de fustiger le comportement de l’ancien ministre du budget, nous proposent aujourd’hui d’abandonner tout débat visant à assainir le fonctionnement de notre République.
Je ne sais pas s’il s’agit d’un embarras récent, du fait de l’étalage dans la presse des arrangements que Bernard Tapie a pu conclure avec l’ancienne majorité,…
M. Henri de Raincourt. C’est petit !
Mme Éliane Assassi. Il fallait le dire !
M. Christian Favier. … mais, dans tous les cas, on voit bien que, dans cette assemblée, le conservatisme a la vie dure.
La multiplication récente des affaires de collusion entre le pouvoir politique et le milieu des affaires nous montre bien qu’il n’en est rien : les conflits d’intérêts, symptomatiques d’une République malade de la personnalisation du pouvoir et du néolibéralisme économique (Exclamations sur les travées de l'UMP.), se font de plus en plus visibles.
Il est de notre responsabilité d’ouvrir un débat sur cette question afin de redresser l’image désastreuse que les Français ont aujourd’hui, malheureusement, de leurs élus. C’est par cette discussion que nous arriverons à nous assurer de la probité de tous les représentants du peuple. À ce sujet, je regrette que le Gouvernement ait encore une fois engagé la procédure accélérée sur un texte qui gagnerait au contraire à être discuté en profondeur.
Il apparaît clairement que le texte qui nous est proposé, s’il va dans le bon sens, n’est pas tout à fait à la hauteur des enjeux qui nous concernent. Il faudra en particulier veiller à ce que son adoption ne serve pas de prétexte au Gouvernement pour se défausser et faire l’économie d’une politique ambitieuse de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, lutte qui, à nos yeux, paraît tout aussi importante que celle qui doit être menée pour la transparence.
C’est bien pour cela, mes chers collègues, que je vous appelle à rejeter cette question préalable : il est indispensable que nous puissions nous saisir de l’occasion de cette discussion pour, ensemble, améliorer ce texte. Et les perspectives d’amélioration sont nombreuses, si nous ne voulons pas faire de cette Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une nouvelle et inutile commission pour la transparence financière de la vie politique.
Soyons ambitieux et renforçons la définition du conflit d’intérêts dans la loi pour lui donner une réelle force juridique.
Soyons audacieux et donnons à cette Haute Autorité un réel pouvoir d’enquête, afin qu’elle puisse mener à bien ses missions.
N’ayons pas peur d’assumer l’existence potentielle, sur certains sujets, de conflits d’intérêts, chez des ministres ou des parlementaires, et imposons une obligation de déport pour les membres du Gouvernement, pour les présidents de commission et pour les rapporteurs, dans les cas litigieux.
N’hésitons pas à ouvrir une vraie réflexion sur les incompatibilités entre mandat parlementaire et activités professionnelles, pour que plus jamais un élu ne se serve de son mandat pour s’enrichir.
De quoi avez-vous donc si peur pour refuser ainsi ce débat ? Pourquoi devenez-vous si fébriles lorsque l’on parle de probité, de prévention des conflits d’intérêts ou de respect de l’intérêt général ?
À la vue du malaise que ce texte peut causer chez certains, je suis d’autant plus assuré du caractère indispensable de sa discussion.
Je ne partage pas entièrement la vision de la transparence et des conflits d’intérêts inscrite dans ce texte, mais je suis intimement convaincu que notre République, à défaut d’une réflexion institutionnelle globale, a besoin d’une réforme en ce sens.
Nous voterons donc contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)