Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je sais que je n’ai pas le droit de reprendre la parole. Toutefois, par respect pour Mme Assassi, et avec votre permission, madame la présidente, j’aimerais ajouter quelques éléments complémentaires.
Mme la présidente. Je vous en prie, madame la garde des sceaux. Le sujet le justifie.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous remercie, madame la présidente.
Madame la sénatrice, si les familles ont la moindre interrogation sur le statut de victime, je les invite à se rapprocher de la direction des services judiciaires.
Dans le cadre de la loi de finances qui a été adoptée par le Parlement et de plusieurs dispositions que j’ai présentées à l’Assemblée nationale et au Sénat, nous avons pris des mesures en faveur de l’accueil des victimes. Vous savez par exemple que nous avons renforcé les crédits alloués aux associations accompagnant les victimes et avons ouvert des bureaux d’aide aux victimes dans toutes nos juridictions. Il est donc important que les victimes sachent qu’elles peuvent bénéficier d’une écoute et d’un lieu d’information. Elles peuvent aussi s’adresser à notre direction des services judiciaires, qui gère le fonctionnement général de nos juridictions.
Vous l’avez compris, en tant que garde des sceaux, je ne peux pas recevoir les familles, même si ma compassion est totale. Je peux transmettre votre interpellation au ministre de l’intérieur, et les familles de victimes peuvent également lui écrire et demander à être reçues. Toutefois, si la question est moins délicate pour lui, elle le demeure néanmoins, puisque les enquêteurs sont sous son autorité. Les enquêtes sont placées sous l’autorité du procureur de la République, mais les enquêteurs relèvent des effectifs du ministère de l’intérieur. La démarche peut donc être malaisée.
Mais n’ayez vraiment aucun doute quant au respect et à la considération du Gouvernement à l’égard des familles des victimes.
3
Candidature à la désignation d’un vice-président du Sénat
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour remplacer en qualité de vice-président du Sénat M. Didier Guillaume, élu président du groupe socialiste et apparentés.
La candidature de Mme Christiane Demontès a été publiée sous forme électronique et la désignation aura lieu conformément à l’article 3 du règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Carle.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Désignation d’un vice-président du Sénat
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation d’un vice-président du Sénat, en remplacement de M. Didier Guillaume.
Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté la candidature de Mme Christiane Demontès.
Le délai prévu par l’article 3 du règlement est expiré et la présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Christiane Demontès vice-présidente du Sénat. (Applaudissements.)
M. Didier Guillaume. Bravo !
M. le président. La liste des vice-présidents du Sénat s’établit donc ainsi : Mme Bariza Khiari, M. Jean-Pierre Raffarin, Mme Christiane Demontès, MM. Thierry Foucaud, Jean-Léonce Dupont, Jean-Patrick Courtois, Charles Guené et Jean-Claude Carle.
5
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. Jean Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé le retrait de l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du mercredi 30 avril de la suite de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage.
Acte est donné de cette demande.
6
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour un rappel au règlement.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 39 de notre règlement.
Dans sa déclaration de politique générale, dont il a été donné lecture dans notre hémicycle, le Premier ministre a affirmé qu’il souhaitait ardemment travailler avec la Haute Assemblée ; il s’est déclaré éminemment respectueux des traditions et du mode du travail du Sénat, ainsi que des avis de celui-ci.
Aussi, monsieur le président, je ne vous cache pas notre étonnement devant l’organisation prévue pour nos travaux de ce soir. En effet, alors que l’Assemblée nationale se prononcera cette après-midi par un vote sur le programme de stabilité présenté par le Premier ministre, celui-ci n’a pas voulu qu’un vote ait lieu au Sénat.
M. Jean-Claude Lenoir. On comprend pourquoi !
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas nouveau !
M. Roger Karoutchi. Monsieur Guillaume, je vous rappelle que ce programme de stabilité, prévu par une loi de 2010, a fait l’objet d’un vote, en 2011, sous le gouvernement de François Fillon. Il est vrai qu’aucun vote n’est intervenu au printemps de 2012, mais c’est que le Parlement ne siégeait pas pendant la campagne présidentielle.
En 2013, déjà, Jean-Marc Ayrault n’a pas voulu soumettre son programme de stabilité au vote du Sénat. À entendre les propos de M. le Premier ministre, plutôt positifs à l’égard de notre assemblée, on avait cru que le fait ne se reproduirait pas. Or voici qu’aucun vote n’est prévu ce soir !
Dans ces conditions, monsieur le président, les sénateurs de mon groupe souhaitent que M. le président du Sénat prenne l’initiative de réunir la conférence des présidents dans l’après-midi, afin qu’elle demande au Premier ministre de revenir sur sa décision et de soumettre son programme de stabilité au vote du Sénat.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Nous comprenons bien pourquoi le Premier ministre ne souhaite pas s’exposer à un vote du Sénat. Seulement, il ne s'agit pas d’une déclaration de politique générale : le programme qu’il va nous présenter annonce plusieurs projets de loi qui seront soumis à notre vote au cours du printemps, en particulier le projet de loi de finances rectificative.
Mme Cécile Cukierman. Ces projets de loi, eux, seront bien soumis au vote !
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ne pas faire voter le Sénat ce soir, puisque, en tout état de cause, il votera sur les différents textes qui mettront en application le programme de stabilité ? Cette méthode n’a pas beaucoup de sens politique !
Que le Premier ministre prenne l’initiative de se présenter devant le Sénat, c’est très bien ; mais qu’on ne réunisse pas la Haute Assemblée seulement pour la forme. Si le Sénat ne se prononce pas par un vote alors que l’Assemblée nationale le fait, nous aurons le sentiment qu’il n’est pas aussi respecté que le Premier ministre en a pris l’engagement dans sa déclaration de politique générale. (M. Jean-Claude Lenoir acquiesce.)
Comme nous sommes des hommes et des femmes de parole (Mme Cécile Cukierman s’esclaffe.), nous faisons confiance au Premier ministre, qui a annoncé vouloir restaurer le lien entre le Gouvernement et le Sénat. C’est pourquoi nous sommes certains que le Premier ministre entendra notre appel ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, que n’aurions-nous pas entendu si le Premier ministre ne venait pas ce soir devant le Sénat, comme vous l’avez souhaité, chers collègues de l’opposition, pour présenter le programme de stabilité ! Vous auriez dit : il n’y en a que pour l’Assemblée nationale, le Sénat est bafoué.
M. Jean-Claude Lenoir. Qu’il vienne, c’est le minimum !
M. Didier Guillaume. Pour ma part, je suis très heureux que le Premier ministre et le Gouvernement, après s’être présentés devant l’Assemblée nationale, se présentent devant le Sénat, et qu’ils le fassent dans la foulée.
Ce qui compte, mes chers collègues, c’est le discours du Premier ministre et le débat qui, ensuite, s’ouvrira entre nous. (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Un débat sans vote !
M. Didier Guillaume. Au cours de ce débat, tous les groupes auront le loisir d’exposer leur position.
M. Roger Karoutchi. Pourquoi n’y a-t-il pas de vote ?
M. Didier Guillaume. Nous savons très bien que, dans la procédure prévue à l’article 50-1 de la Constitution, le Sénat n’est pas forcément appelé à voter. On peut le regretter, ou non, toujours est-il que c’est ainsi.
M. Roger Karoutchi. Nous le regrettons !
M. Didier Guillaume. Il n’en reste pas moins que nous aurons, ce soir, un débat intéressant. Quant au groupe UMP, qui est partisan de réaliser des économies, je ne doute pas qu’il sera fier de soutenir le Premier ministre et le Gouvernement ; ce sera la politique des petits pas ! (Sourires.)
Mme Cécile Cukierman. En effet, réduire la dépense publique, c’est aussi ce qu’ils proposent !
7
Révision des condamnations pénales
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe RDSE, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive (proposition n° 412, texte de la commission n° 468, rapport n° 467).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui s’ouvre porte sur une proposition de loi présentée par les députés radicaux de gauche ; elle a été inscrite à l’ordre du jour de la Haute Assemblée sur la demande des sénateurs du RDSE, qui sont majoritairement, mais pas exclusivement, des radicaux de gauche. (Sourires.)
Cette proposition de loi, qui vise à améliorer les procédures de révision des condamnations pénales, a été enrichie et renforcée par l’Assemblée nationale, qui l’a adoptée à l’unanimité. Sans doute les députés de tous les groupes ont-ils été inspirés par ce propos très fort de La Bruyère : « Un coupable puni est un exemple pour la canaille ; un innocent condamné est l’affaire de tous les honnêtes gens ».
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vive La Bruyère ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La présente proposition de loi s’inscrit dans l’histoire des procédures de révision en France.
Cette histoire, longue, a connu une dynamique constante, marquée par des épisodes retentissants, dont nous avons tous à l’esprit les plus fameux : je pense, notamment, au combat victorieux de Voltaire pour la réhabilitation de Jean Calas et au magnifique « J’accuse… ! » d’Émile Zola, qui a ouvert la voie à la réhabilitation du capitaine Dreyfus.
La procédure de révision, qui permet de corriger les erreurs judiciaires, est une obsession des philosophes, mais aussi de tous les honnêtes gens, c’est-à-dire des citoyens ordinaires. Abstraction faite de quelques parenthèses, elle a connu un mouvement continu d’amélioration de ses procédures.
Cette procédure existe depuis l’Ancien Régime, puisque, en vertu de l’ordonnance criminelle de 1670, une personne injustement condamnée pouvait solliciter du Conseil du roi une lettre de révision. Elle a été supprimée, très brièvement, sous la Révolution. C’est un fait étonnant, mais qui s’explique : les hommes de la Révolution croyaient fortement à l’infaillibilité du jury populaire, un principe qui peut nous paraître étrange aujourd’hui.
Moins d’un an après avoir été abolie, elle a été rétablie par la Convention. Inscrite dans notre code de l’instruction criminelle depuis 1808, elle a fait l’objet de plusieurs réformes, qui toutes ont visé à l’élargir ou à l’approfondir. Je pense en particulier à la loi du 29 juin 1867, qui a étendu la révision aux affaires correctionnelles, et à la loi du 8 juin 1895, qui a affirmé la nécessité de prendre en considération un fait nouveau ou une pièce inconnue à l’époque du procès.
La dernière loi qui a réformé la procédure de révision est la loi du 23 juin 1989, issue d’une proposition présentée par Michel Sapin. Alors que, jusqu’à cette date, le garde des sceaux faisait fonction de commission de recevabilité en examinant les requêtes, la loi de 1989 a judiciarisé la totalité de la procédure. En outre, elle a prévu que le fait nouveau ou la pièce nouvelle pouvait ne pas établir l’innocence du condamné, mais seulement faire naître un doute sur sa culpabilité.
La proposition de loi que vous allez examiner s’inscrit dans la logique d’amélioration de la procédure de révision. C’est néanmoins un texte difficile, qui soulève des questions délicates pour la simple raison qu’il vise à concilier deux impératifs contradictoires : d’une part, la quête permanente de la vérité judiciaire et la lutte contre l’erreur ; d’autre part, un principe tout aussi important et intangible, à savoir l’autorité de la chose jugée.
Il est important, bien entendu, de s’assurer qu’aucun innocent n’est condamné. C’est pourquoi des moyens doivent être disponibles pour éviter les erreurs judiciaires et, le cas échéant, pour corriger la condamnation d’une personne qui ne serait pas coupable.
Toutefois, il est important également, dans l’intérêt du corps social, de la victime et de l’accusé lui-même, de créer des conditions mettant un terme au procès. C’est toute la différence entre les anciens systèmes archaïques de vengeance privée, avec leur spirale sans fin, et le procès pénal : ce dernier, une fois toutes les voies de recours utilisées, pose définitivement une décision. Il a donc aussi une fonction d’apaisement dans la société, car il vient un temps où la procédure doit s’achever.
Il a fallu trouver un chemin entre ces deux contraintes, chemin d’autant plus rocailleux et difficile que la vérité judiciaire n’est pas nécessairement la vérité. En effet, nous le savons tous, que l’on soit juré populaire ou que l’on soit un magistrat qui juge en robe, nul ne peut prétendre à l’infaillibilité.
Notre droit lui-même pose le principe de l’intime conviction, qui permet que des décisions en correctionnelle ou aux assises soient prises sans qu’une preuve formelle vienne établir la culpabilité. Or, à partir du moment où cette règle est posée, même si le principe du doute qui doit profiter à l’accusé est tout aussi fort, il s’ensuit que la vérité judiciaire n’est pas forcément absolue. Il faut l’admettre et avoir le courage d’ouvrir des voies pour que des procédures de révision permettent éventuellement de corriger une condamnation prononcée à tort.
Nous avons retenu dans ce texte de loi un certain nombre de dispositions majeures. Je ne les exposerai pas toutes, car je ne doute pas que M. le rapporteur explicitera dans le détail les plus importantes ou les plus complexes d’entre elles.
Parmi ces mesures majeures, se trouvent notamment deux dispositions visant à garantir, en amont, la possibilité de la révision du procès : il s'agit, d’une part, d’éviter les destructions intempestives de scellés, qui sont des preuves nécessaires, et, d’autre part, d’assurer l’enregistrement des procès, notamment aux assises pour les affaires criminelles.
Voilà des années que, dans son rapport annuel, la Cour de cassation déplore la destruction de scellés qui auraient permis à la cour de révision de se prononcer de façon plus éclairée. Il y a donc un vrai problème, que le Sénat n’ignore pas, d'ailleurs, puisque votre assemblée a été, il y a plusieurs mois, à l’initiative d’une proposition de loi qui nous a permis de débattre de la question. À l’époque, je vous avais exposé les dispositions que le Gouvernement comptait mettre en place pour assurer la conservation des scellés dans de bonnes conditions et procéder à bon escient à leur éventuelle destruction.
À partir du moment où un texte de loi prévoit la conservation des scellés, il est important de s’interroger sur les conditions de cette conservation. Le texte transmis au Sénat prévoyait une destruction limitée et un système équilibré de conservation de scellés. Ces derniers ne seraient pas conservés systématiquement, mais la personne mise en cause pourrait en demander le maintien ; en cas de désaccord avec le parquet, la chambre d’instruction a reçu la compétence d’arbitrage.
Nous en discuterons tout à l’heure, la commission des lois du Sénat a adopté un amendement visant à élargir le champ de la demande de conservation des scellés, le texte de l’Assemblée nationale ne concernant que les scellés d’affaires criminelles, sous réserve bien entendu qu’ils ne soient plus nécessaires à la manifestation de la vérité.
La prolongation du délai de conservation des scellés aura un coût pour nos juridictions. Dans la mesure où il s’agit d’une proposition de loi, ce texte n’est pas obligatoirement assorti d’une étude d’impact. En tant que garde des sceaux, responsable du bon fonctionnement de nos juridictions, j’ai eu le souci de faire évaluer les effets d’une telle mesure. J’ai donc demandé à la direction des services judiciaires d’estimer le mode de conservation des scellés, son coût, les besoins en termes de surfaces, et de mesurer ce que coûteraient leur conservation et leur destruction.
La direction des services judiciaires s’est rendue dans vingt-huit tribunaux de grande instance et dans vingt-deux cours d’appel. Il est apparu que seules 41 % des décisions de destruction de scellés dans les tribunaux de grande instance sont respectueuses des consignes strictes qui ont été précisées par les circulaires, et 65 % dans les cours d’appel. Il ne s’agit pas de mettre en cause nos juridictions, qui sont souvent amenées à prendre des décisions rapidement, d’autant que certains scellés occupent de la place et que leur conservation a un coût.
En tout état de cause, je l’ai dit devant les députés, je suis décidée à assumer le coût de la disposition prévue par l’Assemblée nationale. Sur une dizaine d’années, nous aurons besoin de 160 mètres carrés supplémentaires pour la conservation des scellés, mais aussi d’un peu plus de six magistrats et d’une quinzaine de fonctionnaires. Compte tenu de l’importance de la conservation de ces pièces pour les procédures de révision, c’est une dépense à laquelle nous ferons face.
Néanmoins, je vous le dis tout de suite, car je sais que vous êtes aussi respectueux que moi de la bonne gestion de nos budgets, compte tenu des discussions que nous avons eues sur la nécessaire rationalisation de la gestion des scellés, nous compenserons ces coûts, notamment en dématérialisant certains scellés très encombrants qu’il n’est pas indispensable de conserver en l’état compte tenu des affaires en cause.
Par ailleurs, nous améliorerons, notamment pour les affaires correctionnelles, les procédures de ventes de scellés qui ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité. Nous prendrons donc un certain nombre de dispositions qui permettront, en rationalisant davantage la gestion, d’économiser sur ce que coûte aujourd'hui la conservation parfois assez peu encadrée de certains scellés.
À la suite d’une QPC, d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a rendu une décision il y a un peu moins de deux semaines, le 11 avril dernier, supprimant une disposition du code de procédure pénale qui autorisait le procureur à décider de la destruction de scellés au motif que les textes ne prévoyaient aucun recours.
Dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, que le Sénat a adopté, j’ai rétabli par voie d’amendement à l’Assemblée nationale la possibilité pour le procureur de décider de la destruction des scellés, mais en instaurant une disposition de recours.
Cet amendement ayant été adopté par les députés, je souhaite un plein succès à la commission mixte paritaire qui examinera ce texte bientôt !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ne remuez pas le fer dans la plaie, madame la garde des sceaux ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président de la commission, les points de vue entre les deux chambres finiront très probablement par converger !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous travaillons sous le regard de Portalis !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes, mais Portalis exerçait ses fonctions sous Napoléon Bonaparte, consul à vie. Heureusement, la France a connu depuis lors des régimes un peu plus démocratiques ! (Sourires.)
Je dirai maintenant un mot de l’enregistrement systématique des audiences d’assises. Ce dispositif me paraît nécessaire pour garantir en amont la possibilité de révision. J’ai souligné à l’Assemblée nationale qu’il nous fallait cependant en mesurer l’impact et j’ai fait estimer le coût d’une telle mesure. J’avoue qu’il m’est plus difficile d’accepter les coûts des enregistrements systématiques que ceux de la prorogation de la conservation des scellés – nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement à la faveur de l’examen des articles.
Le Sénat a également modifié la formulation concernant le « moindre doute » pour des motifs que j’entends parfaitement et que tout législateur, député ou sénateur, peut comprendre, à savoir l’exigence d’une écriture qui soit la plus sobre et la plus acérée possible.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est vrai que l’expression « le moindre doute » est une formulation plus littérale que juridique.
Néanmoins, il est important de considérer les raisons pour lesquelles les parlementaires qui ont élaboré la proposition de loi ont retenu cette formule. Je l’ai souligné, la dernière loi ayant modifié les procédures de révision date de 1989. Elle prévoit très clairement que tout élément nouveau faisant naître un doute suffit à ouvrir la révision et qu’il n’est pas nécessaire que cet élément établisse d’emblée l’innocence de la personne condamnée.
Entre 1989 et 2013, il y a eu, pour environ 3 500 saisines en révision, quelque 9 annulations de condamnations criminelles et 43 annulations de condamnations correctionnelles. Les parlementaires ont donc souhaité insister sur le fait que le doute doit permettre l’instruction de la requête en révision, afin d’améliorer encore le dispositif et d’obtenir des résultats plus probants.
C’est la raison pour laquelle ils ont souhaité insister en introduisant dans la loi la notion de « moindre doute ». Lors de l’examen de la loi de 1989, le Sénat avait déjà sévi, si j’ose dire, puisqu’il avait supprimé, au travers d’un amendement de Michel Dreyfus-Schmidt, la formulation adoptée par l’Assemblée nationale, qui évoquait un « doute sérieux ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, je connais votre aversion pour ces adjectifs qui visent à préciser les choses, mais qui vous heurtent et vous hérissent du point de vue d’une sémantique juridique stricte et de l’orthodoxie légistique. Néanmoins, si vous ne souhaitez pas rétablir la notion de « moindre doute », puis-je vous demander de poser clairement, afin que les travaux parlementaires fassent foi, que tout doute, quelle que soit son importance, sa profondeur, son intensité ou son envergure, doit permettre d’examiner la requête ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est inclus dans le mot doute !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par ailleurs, cette proposition de loi prévoit également d’instaurer, au sein de la Cour de cassation, un organe particulier, à savoir une cour unique de révision et de réexamen. Cette disposition est tout à fait intéressante, puisque, à ce jour, une telle instance n’existe pas.
Cette cour serait composée de dix-huit magistrats, dont cinq composeraient la commission d’instruction. Celle-ci aurait pour compétence de statuer à la fois sur les demandes en révision et sur les demandes en réexamen, quand bien même il s’agit de deux procédures différentes : la procédure de révision d’une condamnation est enclenchée dès lors qu’apparaît un doute, tandis que la procédure de réexamen a été instaurée en France à la suite d’une condamnation prononcée à l’encontre de notre pays par la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, en raison du doute qui pesait non pas sur la culpabilité du requérant, mais sur le caractère équitable du procès au terme duquel il avait été condamné.
Cette proposition de loi prévoit également d’améliorer les procédures en cours, dans la mesure où elle tend à permettre à la personne condamnée, avant même que celle-ci ne saisisse la cour de révision et de réexamen d’une demande en révision, de demander des investigations complémentaires.
Cette faculté mettrait pratiquement sur un pied d’égalité les personnes démunies et celles qui bénéficient de moyens d’investigation plus importants ou d’un plus grand soutien médiatique. Certaines affaires, bien qu’elles ne suscitent aucun émoi médiatique, pourraient à bon droit faire l’objet d’une révision.
Enfin, cette proposition de loi prévoit que les victimes seront désormais prévenues dès l’ouverture de la procédure de révision, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisqu’elles ne le sont qu’à partir du moment où la révision a été enclenchée.
Par ailleurs, le requérant sera obligatoirement assisté par un avocat à tous les stades de la procédure. Cela lui permettra d’être mieux défendu dès lors qu’il souhaitera remettre en cause une condamnation. Je rappelle que, actuellement, en l’absence de toute représentation par un avocat, les personnes ayant introduit une instance devant la cour de révision développent elles-mêmes leurs arguments pour convaincre ses membres.
Le sujet traité par cette proposition de loi est difficile et délicat, mais il est d’une très grande noblesse. La force et la grandeur de la justice, c’est l’autorité dont elle fait preuve pour que le procès pénal s’impose à la société, mais c’est aussi, dans une plus grande mesure encore, l’acceptation de sa propre faillibilité Or donner à la société et à nos concitoyens les moyens de contester une erreur judiciaire éventuelle, c’est indiscutablement renforcer la démocratie.
C’est ce qu’affirmait déjà Émile Zola lorsqu’il défendait le capitaine Dreyfus. Outre son magnifique « J’accuse… ! », il expliquait dans sa Lettre à la jeunesse comment l’erreur judiciaire est une force en marche, au sens où elle interpelle les consciences. Une fois que ces consciences sont interpellées, elles se mobilisent, elles mettent en œuvre tous leurs moyens de façon que la justice soit rétablie, que la justice soit dite.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est cette œuvre que vous allez accomplir encore cette après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)