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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la santé n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Hommage aux victimes d'une catastrophe routière en Gironde
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion que nous avons appris le terrible accident qui a eu lieu vendredi matin dans le département de la Gironde. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux se lèvent.)
Nous avons tous été bouleversés par cette catastrophe, la plus meurtrière depuis celle de Beaune, survenue en 1982.
M. le Président du Sénat, qui est aujourd’hui en déplacement à Strasbourg, a eu l’occasion de saluer par un communiqué de presse, en notre nom à tous, le courage de ceux qui sont intervenus sur place pour éviter un bilan humain encore plus lourd.
Le Sénat tout entier, au premier chef nos collègues sénateurs de la Gironde, Alain Anziani, Françoise Cartron, Gérard César, Marie-Hélène Des Esgaulx, Philippe Madrelle et Xavier Pintat, adresse ses plus sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes.
Je vous demande d’observer un moment de recueillement en hommage aux victimes. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux observent une minute de silence.)
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Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
Rejet d’un projet de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (projet n° 662 [2014-2015], rapport n° 52).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il me revient de vous présenter ce projet de loi constitutionnelle visant à autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et c’est pour moi un honneur en même temps qu’un plaisir.
Cette charte, adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, est entrée en application le 1er mars 1998. La France l’a signée à Budapest le 7 mai 1999, assortissant sa signature d’une déclaration interprétative. Je rappelle que vingt-cinq pays du Conseil de l’Europe l’ont déjà ratifiée, parmi lesquels l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni. En Italie, le projet de loi de ratification est prêt à être présenté devant le parlement.
Le présent projet de loi constitutionnelle tend à créer un article 53-3 au sein de la Constitution, avec une référence explicite à la déclaration interprétative.
Cette rédaction a été retenue pour tirer enseignement de la décision du Conseil constitutionnel en date du 15 juin 1999, selon laquelle la ratification de cette charte européenne impose une révision de la Constitution.
Plutôt que de solliciter le Parlement à deux reprises – une première fois pour modifier la Constitution et une seconde fois pour ratifier la Charte –, le présent projet de loi constitutionnelle tend à autoriser directement la ratification, en dérogeant autant que de besoin à la procédure prévue aux articles 53 et 54 de la Constitution.
Il avait déjà été procédé ainsi, là encore en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel, en vue de la ratification du traité instaurant la Cour pénale internationale, traité qui avait été signé par la France le 18 juillet 1998. Dans ce cadre, un article 53-2 avait été introduit dans la Constitution.
En vous proposant de ratifier cette charte, mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous invitons à honorer la signature que la France avait apposée voilà un peu plus de quinze ans.
Le préambule de la Constitution de 1946, qui a été intégré à la Constitution de la Ve République, énonce que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ». La France est, en effet, liée par ses obligations internationales au nom du principe pacta sunt servanda, qui sert de fondement à cet alinéa du préambule de la Constitution de 1946, mais également à notre droit des obligations.
Le Gouvernement vous présente donc un texte de loi juridiquement solide, au regard tant de la Constitution que du droit international.
Sur le plan constitutionnel, la France est une République indivisible et sa langue est le français. Ces deux principes, posés respectivement à l’article 1er et à l’article 2 de la Constitution, n’interdisent pas de faire une place aux langues régionales, à telle enseigne que la révision constitutionnelle de 2008 y a introduit un article 75-1 qui reconnaît les langues régionales comme appartenant au patrimoine national.
En tout état de cause, il y a lieu de se souvenir que le constituant est souverain et qu’il peut décider de réviser la Constitution pour l’adapter aux nécessités des évolutions auxquelles il consent.
C’est d’ailleurs ce qu’il a fait pour la ratification du traité de Maastricht, et les transferts de décisions à l’Union européenne n’ont pas entamé le principe de souveraineté nationale en vertu duquel la France prend seule ses décisions régaliennes.
Le constituant l’a fait aussi pour inscrire la citoyenneté calédonienne dans la Constitution, en conformité avec l’accord de Nouméa, et cette inscription n’a en rien remis en cause l’indivisibilité de la République.
Le constituant l’a fait encore pour inscrire la parité dans la Constitution, ce qui n’a en aucune façon altéré le principe de l’égalité des citoyens devant la loi.
D’ailleurs, s’agissant de ces deux dispositions, le Conseil constitutionnel avait également pris une décision de non-conformité. Le constituant a alors choisi de créer les conditions de conformité. Il a procédé de même, en 2008, en introduisant l’article 75-1 dans la Constitution.
S’agissant de notre loyauté au regard du droit international, le texte que vous présente le Gouvernement procède par la méthode du renvoi. Cette méthode conditionne la constitutionnalité de la norme visée. D’où la référence à la déclaration interprétative, qui ne peut pas être détachée de la Charte.
C’est cette même méthode du renvoi qui a été utilisée dans un des cas que je viens de mentionner, à savoir lorsque le constituant a souhaité ratifier le traité reconnaissant la juridiction de la Cour pénale internationale.
Je précise ici que l’interprétation selon laquelle les locuteurs pourraient imposer l’usage des langues régionales dans leurs relations avec les autorités administratives, repose sur l’article 10 de la Charte, alors que cet article ne figure pas parmi les trente-neuf mesures que le gouvernement français, en 1999, a choisi de retenir.
Une deuxième interprétation, qui me paraît sujette à caution, et même erronée, consiste à affirmer que la Charte conférerait des droits spécifiques aux locuteurs des langues régionales. Elle est d’ailleurs contredite par le rapport explicatif même de la Charte, qui, en son point 11, indique très clairement que celle-ci ne crée pas « de droits individuels et collectifs pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires ».
Le regretté Guy Carcassonne, dans une étude qu’il avait effectuée en 1998 sur la compatibilité entre la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Constitution, indiquait déjà que la Charte « n’attache aucune conséquence juridique à l’existence et à l’action des groupes qu’elle mentionne ».
Dans son étude comparative entre la France, l’Espagne et l’Italie, publiée en 2008, l’universitaire Véronique Bertile observe que l’on a vu dans la Charte des droits collectifs qui n’existent pas, faisant fi des intentions de ses auteurs. Le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, constitutionnaliste reconnu, fait la même analyse.
Il y a donc lieu de considérer que la déclaration interprétative annexée par la France à sa signature relève d’un souci et d’une démarche de clarification, permettant à notre pays de préciser la portée qu’il accorde aux mesures retenues par lui dans le cadre de la signature de cette charte.
Cette possibilité de clarifier la portée que l’on donne à des mesures est reconnue à tous les États : ceux-ci ont le droit de préciser dans quelles limites ils vont exécuter la mise en œuvre d’un instrument international.
Par conséquent, l’argument selon lequel la ratification de la Charte mettrait la France en situation de déloyauté au regard du droit international n’est ni démontré ni pertinent.
Ayant examiné les arguments juridiques et constitutionnels, je vous propose à présent d’étudier les arguments politiques, car c’est bien sur ce plan que se situe en réalité le cœur des divergences, et d’abord en posant quelques questions.
Qu’aurions-nous à craindre de la reconnaissance et de la vitalité de langues régionales qui contribuent à la consistance, à la pétulance du dynamisme culturel national ? Ou plutôt : que craignent ceux qui s’y opposent ? Qu’y voient-ils ? Une menace contre la langue française ? Une dérive communautariste ?
Mme Nicole Bricq. Quelle idée !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Un risque de balkanisation linguistique qui préfigurerait une balkanisation politique ? Une remise en cause de la notion même de peuple français ? Une interrogation sur l’unité du peuple français qui, depuis la Révolution, est le creuset de la citoyenneté ?
M. Philippe Dallier. Tout est dit !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le modèle républicain serait-il en péril parce que nous ferions respirer le patrimoine linguistique national ?
Procédons à un rapide état des lieux et voyons quelle est la mesure de ce terrible danger.
En 1910, il existait plus d’un million de locuteurs bretons ; aujourd’hui, ils seraient 250 000. Au début du XXe siècle, tous les Alsaciens étaient réputés maîtriser l’alsacien, comme les Corses avaient tous la maîtrise de la langue corse ; aujourd’hui, sont identifiés 900 000 locuteurs alsaciens, sur une population totale de 1,7 million de personnes, et 170 000 locuteurs corses pour 250 000 insulaires. En ce qui concerne la langue basque, à peine un quart de la population du Pays basque aurait encore aujourd’hui une compétence dans cette langue. Les locuteurs occitans seraient passés de 10 millions en 1920 à 2 millions aujourd’hui. On compterait 110 000 locuteurs catalans et 80 000 locuteurs flamands, ainsi que 2 millions de créolophones.
Voilà la mesure du terrible danger qui mettrait en péril la langue française !
Cela étant, nous ne voulons pas évacuer tous les arguments politiques, ni nier la légitimité de certains d’entre eux, ni ignorer la portée symbolique de certaines inquiétudes.
Allons au fond des choses. La question principale est probablement celle de notre conception de la nation, notamment de cette nation civique capable de construire de l’harmonie sans étrangler ses diversités originelles, qui sont réelles.
Nous devons donc nous interroger sur notre conception de l’État moderne.
Peut-être faut-il commencer par rappeler que la conception d’un pouvoir central détenteur de la souveraineté exclusive ne remonte pas à la Révolution. Elle remonte à l’Ancien Régime, ainsi qu’en témoignent les travaux de Jean Bodin, en 1576, sur la nouvelle théorie de la souveraineté et l’octroi au prince du monopole de la loi positive, qu’il exerçait sans aucun contrôle.
La Révolution a transféré les prérogatives du prince à la nation. L’unité, qui est une maxime fondamentale, entraîne une homothétie entre l’égalité et l’uniformité. Les citoyens sont considérés comme identiques pour être assujettis aux mêmes lois. L’intention n’est pas contestable, mais le fait est que l’écrêtement de la diversité culturelle et identitaire aboutit à une uniformisation, donnant lieu elle-même à de l’exclusion.
Autrement dit, sans que ce soit un projet, subrepticement, l’égalité cesse d’être une ambition pour faire pièce aux inégalités et devient le moteur de la transformation du tout-en-un. La diversité et les différences sont niées, la richesse qui en résulte est amoindrie. « Le divers rétrécit, telle est la menace. » C’est ce qu’écrivait déjà Victor Segalen au début du XXe siècle.
Nous devons donc nous interroger sur la façon dont le centralisme politique s’est traduit en un centralisme linguistique. Bien sûr, il ne s’agit pas de réactiver les querelles inutiles, de ressusciter un affrontement entre jacobins et girondins, ne serait-ce que parce qu’aucun de nous ne risque plus ce qui était en jeu à l’époque. Il convient néanmoins de voir comment s’est construit ce centralisme linguistique.
C’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui, signée par François Ier en 1539, impose le français, au détriment du latin, dans la rédaction des actes juridiques et administratifs. À cette aune, notre langue aurait donc à peu près 500 ans d’âge. Mais certains linguistes renvoient aux serments de Strasbourg de 842, ce qui porterait l’âge de la langue française à plus d’un millier d’années, quand d’autres linguistes préfèrent se référer à la langue qui a été stabilisée au début du XVIIIe siècle.
En tout cas, c’est également au XVIe siècle, en 1536, que l’Acte d’Union liant l’Angleterre et le Pays de Galles indique explicitement que l’anglais sera la seule langue officielle.
Pour ce qui est de l’Espagne, c’est en 1707 que Philippe V proclame que le castillan sera la seule langue officielle du royaume, y compris en Catalogne et au Pays basque.
Ce n’est donc pas seulement en France que se conçoit et s’élabore un modèle de langue unitaire, à l’exclusion des autres langues.
En 1793, l’Abbé Grégoire, qui a par ailleurs laissé une belle œuvre sur le respect de la dignité humaine, explique devant le Comité d’instruction publique qu’il faut interdire les « jargons locaux et les patois de 6 millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale », affirmant la nécessité « d’extirper la diversité de ces idiomes grossiers ».
L’année suivante, en 1794, Barère fait sa fameuse déclaration devant la Convention : « Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les mœurs, les costumes, le commerce et la pensée même; révolutionnons donc aussi la langue, qui est leur instrument journalier. […] Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l'italien ; et le fanatisme parle le basque. » Et d’ajouter : « Cassons ces instruments de dommage et d'erreur ! »
À cette époque, d’ailleurs, ceux qui usent des langues régionales risquent six mois de prison et la destitution lorsqu’ils sont fonctionnaires.
Pourtant, en 1714, Fénelon, s’interrogeant sur les occupations de l’Académie, écrivait à propos de la langue française : « Il me semble même qu’on l’a gênée et appauvrie, depuis environ cent ans, en voulant la purifier. »
Lorsque nous regardons aujourd’hui la beauté et la richesse de la langue française, nous pourrions y voir le signe de la victoire de ceux que j’ai cités précédemment. Toutefois, à interroger l’histoire, on se rend compte aussi que cette beauté et cette richesse doivent bien évidemment aux écrivains et aux poètes, mais aussi à l’extraordinaire développement des sciences, des arts, des techniques, des mathématiques, des sciences sociales, ainsi qu’à la traduction de nombreux ouvrages écrits en langues étrangères.
Il arrive un moment où l’apport de mots nouveaux est tel que l’Académie elle-même accepte de les accueillir. Elle distingue même entre la néologie, qu’elle considère comme bienvenue, et le néologisme qu’elle qualifie d’« affectation vicieuse ».
Cette beauté et cette richesse doivent également beaucoup aux langues régionales.
M. Ronan Dantec. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le français doit, par exemple, l’« amour » aux troubadours provençaux, le « bijou » au breton – la « cohue », aussi ! (Sourires.) –, le « cadet » à l’occitan gascon,…
M. Claude Bérit-Débat. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … le « guignol » au lyonnais, le « maquis » au corse, l’« abeille » au provençal !
M. Marc Daunis. Ah !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous savons combien la gastronomie est prodigue autant en mots qu’en saveurs ! La Vendée le sait bien (M. Bruno Retailleau s’exclame.), qui fait rivaliser la gâche, la fouace et l’alise. (Sourires.)
Frédéric Mistral a sans doute fait « chavirer » – terme provençal – tous les cœurs, en 1904, lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature pour une œuvre en langue régionale.
Les auteurs sont nombreux à faire vivre les langues régionales. Je pense à Anjela Duval pour la Bretagne – je vais vous faire voyager ! –, à André Weckmann pour l’Alsace, à Jean Aritxelha pour le Pays basque, à Alfred Parépou et Élie Stephenson pour la Guyane, à Monchoachi et Jean Bernabé pour la Martinique, à Hector Poullet et Sylviane Telchid pour la Martinique, à Axel Gauvin et Davy Sicard pour la Réunion, à Nassur Attoumani pour Mayotte, parmi beaucoup d’autres…
Il nous revient donc de nous interroger sur l’inégalité des citoyens face à la langue et face aux langues.
Suffisamment de générations de linguistes se sont succédé pour nous éclairer, et nous savons grâce à eux que ce n’est pas la coexistence entre le français et une langue régionale qui crée des problèmes ; c’est au contraire le rapport de domination, lorsqu’il est instauré par la négation, la récusation et, parfois, la situation de diglossie créée par la persécution d’une langue, qui engendre des perturbations, des difficultés d’expression et d’apprentissage, ce que le grand poète Édouard Glissant appelle le tourment de langage, « l’impossible à exprimer ».
Consentir à l’enrichissement réciproque entre les langues, entre le français et les langues régionales, c’est aussi s’ouvrir à l’altérité. Nous savons à quel point la langue peut contribuer à l’épanouissement, grâce à tout ce qu’elle permet d’exprimer, grâce à l’imaginaire dans lequel il est possible de puiser et qui héberge les histoires, les cultures, les savoirs, les mémoires, les arts, les artisanats, les paysages.
Nous savons que la résidence de la langue, ce n’est pas que le sol ; c’est l’être, et l’être transporte la langue dans ses voyages. C’est cet être qui bouge, qui entre en relation, qui recherche la connaissance mutuelle, le partage, c’est cet être qui, par le dialogue et l’offrande, crée la possibilité d’une vie commune. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également. )
La France puise de la vigueur dans l’enrichissement de sa langue, et cette langue s’enrichit dans le voisinage et le contact des langues régionales, dans l’échange avec elles.
La France peut ainsi conserver pour elle-même et offrir à l’Europe, aux territoires de la francophonie, au monde tout entier, ce patrimoine culturel et linguistique, à la fois riche et vivant, vivace, vigoureux.
Lorsque nous regardons l’histoire, nous voyons comment notre pays a su absorber nombre de transformations, et nous ne comprenons pas ce qui suscite aujourd’hui les craintes,…
Mme Maryvonne Blondin. Exactement !
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … quand il ne s’agit que de laisser respirer ce que la Constitution reconnaît déjà comme notre patrimoine national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Éric Bocquet. Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au reste, les lois de décentralisation ont contribué à répartir les compétences et les pouvoirs non régaliens, à rapprocher les centres de décision des citoyens, pour que ces derniers participent à la vie publique à l’échelle des territoires. C’est un signe de vitalité en même temps qu’un facteur d’épanouissement de la démocratie.
Le fait de reconnaître constitutionnellement ces langues et d’organiser leur espace d’expression relève de la même logique et de la même dynamique : faire vivre les territoires, faire participer nos concitoyens à la vie commune.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, écoutons avec attention ce que Pierre Mendès-France…
M. Jacques Mézard. Et Clemenceau ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … disait déjà en 1954 : « Connaissons donc notre pays comme il est : immense et divers. C’est la République française, telle qu’elle est proclamée dans nos lois. Sur toute son étendue, s’appliquent les mêmes principes de progrès et de liberté. » (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe et M. François Fortassin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. Éric Doligé. Et maintenant, place à la vérité !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Madame la garde des sceaux, je vous ai écoutée avec attention et même avec plaisir. Tandis que vous prononciez votre discours, je me disais : quelle érudition, quel talent !
Mme Maryvonne Blondin. En effet !
M. Philippe Bas, rapporteur. Quelle culture historique, littéraire et linguistique ! Vous avez convoqué tant de bons auteurs pour témoigner de votre engagement sincère en faveur de la langue française et des langues régionales.
Je n’ai rien à retrancher à votre propos. Comme tous mes collègues, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…
M. Didier Guillaume. Certains plus que d’autres tout de même !
M. Philippe Bas, rapporteur. … j’éprouve le même amour de la langue française,…
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
M. Philippe Bas, rapporteur. … que je manie sans doute avec moins de talent que vous, et j’ai le même souci de défendre et de promouvoir cette richesse que représentent les langues régionales.
Pas plus aujourd’hui qu’hier ou demain, il n’y aura de désaccord entre nous quant à la nécessité, non pas, comme vous le dites, de laisser « respirer » ce patrimoine, mais bien de le faire vivre, de le développer, de l’enrichir, et d’éviter qu’il ne dépérisse.
À cet égard, il y aurait beaucoup à dire de l’action menée par votre gouvernement depuis trois ans ! Car je n’ai pas vu de grand plan français pour le développement des langues régionales ou minoritaires.
M. Jean-Claude Lenoir. Sauf pour la langue de bois ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Je n’ai pas non plus constaté une augmentation des crédits dévolus au développement des langues régionales ou minoritaires, au contraire ! En cette année 2015, ces crédits ont même été réduits, et je doute que le projet de loi de finances pour 2016 améliore la situation.
Bref, autant nous pouvons nous rejoindre dans les discours, autant je dois vous dire mon désaccord sur cette pratique où la parole tend de plus en plus à remplacer l’action.
Pour ma part, je suis sincèrement engagé en faveur du développement de ce patrimoine que constituent les langues régionales.
M. Didier Guillaume. En la matière, on ne peut pas être plus engagé que Mme la ministre !
M. Philippe Bas, rapporteur. L’enjeu n’est autre que la coexistence de cultures différentes au sein de la République. À ce titre, quelques rappels s’imposent.
C’est en 2003 que nous avons inscrit dans la Constitution que l’organisation de la République était décentralisée.
C’est également en 2003 que nous y avons introduit un droit à l’expérimentation, un droit dont ce gouvernement n’a guère encouragé l’exercice dans les diverses réformes de l’organisation territoriale qu’il nous a soumises.
Et c’est en 2008 qu’a été ajoutée à la Constitution la phrase suivante : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »
Aussi, madame la garde des sceaux, vous me permettrez de vous dire que personne, ici, n’a la moindre leçon à recevoir quant à la sincérité et la vigueur de son engagement en faveur de toutes les langues de France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. David Assouline proteste.)
En songeant en particulier à nos compatriotes d’outre-mer, parmi lesquels figurent beaucoup d’enfants dont la langue maternelle n’est pas le français, j’ajoute qu’il est urgent de développer des pédagogies passant par la pratique du créole pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Ces méthodes ne sont pas suffisamment développées aujourd’hui.
Ah ! si nous le voulions, comme nous pourrions être efficaces pour soutenir toutes ces familles dans l’accès à la connaissance, en respectant davantage les langues régionales en tant qu’instruments de l’acquisition de nouveaux savoirs par l’enfant, dès le plus jeune âge !
Nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi en vue de consolider le socle juridique des langues régionales.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. Cette proposition de loi comporte des mesures concrètes. J’espère que son examen nous permettra de prolonger ce large consensus, que je crois discerner entre nous, en faveur du développement des langues régionales.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. J’en suis sûr, notre accord en faveur des langues régionales se double d’un autre consensus, autour des principes fondamentaux de notre pacte républicain.
Madame la garde des sceaux, vous n’avez pas osé modifier ces principes de manière frontale via cette révision constitutionnelle. C’est donc que vous êtes pour l’égalité devant la loi, quelles que soient l’origine, la race, la croyance ou la religion – je me réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen –, vous êtes pour l’unité et l’indivisibilité de la République,…
M. Marc Daunis. Assez de leçons !
Mme Jacqueline Gourault. Il fallait s’attendre à la réplique…
M. Philippe Bas, rapporteur. … qui n’empêchent en rien son organisation décentralisée, vous êtes pour le fait que la langue de la République soit le français, et certainement pour cette adjonction faite à notre Constitution en 2008, adjonction aux termes de laquelle les langues régionales font partie du patrimoine culturel de la France.
À mon sens, contrairement à ce que vous disiez, le désaccord ne porte sur aucun de ces points. Il porte simplement sur la conception que révèle ce projet de révision constitutionnelle quant au respect, exigé par notre pacte fondamental, des principes constitutionnels que je viens d’énoncer et auxquels vous souscrivez certainement.