Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 2
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Cet amendement a pour objet de supprimer la règle précisant le régime d’incompatibilité des fonctions des membres des juridictions judiciaires avec un mandat de membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante.
À titre d’exemple, certaines dispositions législatives énoncent seulement que les membres du collège sont nommés en raison de leur qualification juridique, ce qui conduit à désigner des membres exerçant leurs fonctions dans l’une des juridictions précédemment citées.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par M. Mézard, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsque la loi prévoit la présence au sein du collège d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante de membres désignés parmi les magistrats, il ne peut être désigné d'autre membre du même corps. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 1.
M. Jacques Mézard, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 1.
Monsieur le secrétaire d'État, il ne s’agit pas de supprimer les dispositions permettant, par la voie législative, de préciser que telle autorité administrative indépendante doit compter en son sein, par exemple, deux représentants du Conseil d’État ou deux représentants de la Cour des comptes. Il convient de prévoir des incompatibilités. C’est assez sage et conforme à la position que nous avons défendue jusqu’à présent dans ce débat.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 3 ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, pour les raisons que j’ai évoquées.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
TITRE II
RENFORCEMENT DU CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ET DES AUTORITÉS PUBLIQUES INDÉPENDANTES
Article 4
Le tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution est ainsi modifié :
1° La troisième ligne est ainsi modifiée :
a) À la première colonne, les mots : « Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur » sont remplacés par les mots : « Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur » ;
b) À la seconde colonne, le mot : « conseil » est remplacé par le mot : « collège » ;
2° Après la sixième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
Agence française de lutte contre le dopage |
Président |
» ; |
3° Après la dixième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
Autorité de régulation des jeux en ligne |
Président |
» ; |
3° bis Après la douzième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
Autorité de régulation de la distribution de la presse |
Président |
» ; |
4° La première colonne de la treizième ligne est complétée par les mots : « et routières » ;
4° bis La première colonne de la vingt et unième ligne est complétée par les mots : « et aux énergies alternatives » ;
4° ter (Supprimé)
5° Après la vingt et unième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
Commission d’accès aux documents administratifs |
Président |
» ; |
6° La vingt-troisième ligne est supprimée ;
6° bis Après la vingt-troisième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
Commission du secret de la défense nationale |
Président |
» ; |
7° Après la vingt-quatrième ligne, sont insérées deux lignes ainsi rédigées :
« |
Commission nationale de l’informatique et des libertés |
Président |
|
Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques |
Président |
» ; |
8° Après la trente-deuxième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
Haut Conseil du commissariat aux comptes |
Président |
» ; |
9° Après la trente-troisième ligne, est insérée une ligne ainsi rédigée :
« |
Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet |
Président du collège |
» . |
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 5, 6, 9, 10, 14, 15, 19, 20, 23 et 24
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Je retire cet amendement au profit de l’amendement n° 4, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 2 est retiré.
L'amendement n° 4, présenté par M. Mézard, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéas 5, 6, 23 et 24
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
TITRE III
COORDINATION ET APPLICATION
Article 5
(Non modifié)
La loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits est ainsi modifiée :
1° Le premier alinéa de l’article 2 est ainsi modifié :
a) Le mot : « constitutionnelle » est remplacé par le mot : « administrative » ;
b) Après les mots : « ne reçoit », sont insérés les mots : « et ne sollicite » ;
1° bis Le 1° du II de l’article 36 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce rapport est présenté avant le 1er juin ; »
2° (Suppression maintenue) – (Adopté.)
Article 6
Les incompatibilités mentionnées aux articles L.O. 6222-3-1, L.O. 6322-3-1 et L.O. 6432-4-1 du code général des collectivités territoriales, au second alinéa de l’article 13-2 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer, aux articles 75-1 et 111-1 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, au deuxième alinéa de l’article 64, au dernier alinéa de l’article 112 et à l’article 196-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, au premier alinéa de l’article 8 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, à la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 6 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature et au second alinéa de l’article 7-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, dans leur rédaction résultant des articles 2 et 3 de la présente loi organique, s’appliquent au mandat des membres nommés ou élus après la promulgation de la présente loi organique.
Tout membre qui se trouve dans un des cas d’incompatibilité mentionnés au premier alinéa du présent article est tenu de faire cesser cette incompatibilité au plus tard le trentième jour suivant la promulgation de la présente loi organique. À défaut d’option dans ce délai, le président de l’autorité administrative indépendante ou de l’autorité publique indépendante, ou un tiers au moins des membres du collège de l’autorité lorsque l’incompatibilité concerne le président, le déclare démissionnaire. – (Adopté.)
Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi organique ne font pas l'objet de la deuxième lecture.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 240 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 341 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures vingt-cinq.)
3
Réforme de la prescription en matière pénale
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant réforme de la prescription en matière pénale (proposition n° 461, résultat des travaux de la commission n° 637, rapport n° 636).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le philosophe Louis Althusser a intitulé l’un de ses livres L’Avenir dure longtemps. On pourrait dire la même chose du passé.
C’est justement à cela que nous invite le travail qui vous est aujourd’hui soumis, puisque cette proposition de loi nous conduit à examiner ce qui s’est passé depuis plusieurs siècles. La prescription est en effet l’une des clefs de voûte de notre système judiciaire. Elle n’est d’ailleurs pas seulement un principe : nous parlons même souvent d’elle comme d’une institution.
Nous le savons bien, les règles légales et jurisprudentielles de la prescription sont devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Leur incohérence, leur instabilité sont devenues préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique. Il était donc nécessaire de réfléchir à la manière de faire évoluer les règles de la prescription. Pour cela, il fallait entendre les juges et considérer les besoins de la société et ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.
C’est ce travail qu’a commencé le Sénat dans un excellent rapport d’information de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, qui s’intitulait de manière très pertinente Pour un Droit de la prescription moderne et cohérent, rendu public le 20 juin 2007. « La situation actuelle du droit de la prescription est devenue source de confusion et d’insécurité, à rebours de la vocation fondamentale du principe fondé justement sur la primauté de la sécurité », était-il souligné dès l’introduction.
Ce rapport d’information sur les règles de la prescription, à la fois exhaustif et prudent, a conduit ses auteurs à défendre l’idée d’une évolution du droit de la prescription.
L’Assemblée nationale, sous l’égide d’Alain Tourret et de Georges Fenech, a poursuivi cette réflexion et élaboré une proposition de loi.
Je souligne combien le travail de l’Assemblée nationale est remarquable, car il a été conduit conjointement par un député de la majorité et un député de l’opposition. Sur cette question, les auteurs de ce texte ont su faire fi de leur position politique, conscients de la nécessité de transcender les clivages.
Toutes les préconisations du Sénat contenues dans le rapport d’information ont été retenues dans la proposition de loi, du moins pour ce qui concerne la partie civile ; les prescriptions en matière pénale n’ont en revanche pas toutes été reprises. Reste que, dans le principe, toutes les recommandations de la Haute Assemblée relatives à l’introduction de la jurisprudence dans la loi, l’allongement des délais de prescription, la clarification du régime de prescription figurent bien dans le texte que j’ai l’honneur de vous présenter.
Saisi par le président de l’Assemblée nationale, le Conseil d’État a intégralement validé cette proposition de loi sur le fond, ce qui en souligne évidemment la grande qualité. Il a cependant émis plusieurs suggestions pour l’améliorer. Celles-ci ont été suivies et, le 2 mars 2016, la commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté l’ensemble des amendements déposés en ce sens par le rapporteur.
Le Gouvernement a également souhaité que la règle de l’imprescriptibilité soit non pas étendue aux crimes de guerre, mais réservée aux crimes contre l’humanité, ce qui fait écho à la position exprimée dans cet hémicycle à de multiples reprises par Robert Badinter lui-même. L’imprescriptibilité doit demeurer exceptionnelle.
La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 mars. Elle est aujourd'hui devant vous.
Le Gouvernement souhaite que le Sénat renforce cet équilibre, car cette proposition de loi constitue une réelle avancée en matière de procédure pénale. Elle inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription des délits occultes ou dissimulés. Elle renforce la sécurité juridique et améliore la lisibilité du droit. Chacun pourra en effet connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert ou devoir analyser la jurisprudence.
Ce texte rassemble aussi dans un même code des dispositions qui étaient éparpillées. Il contribue ainsi à améliorer significativement la lisibilité de la loi.
Enfin, cette proposition de loi clarifie et améliore l’efficacité des règles de prescription, qu’il s’agisse de la durée de la prescription, des modalités de calcul des délais ou des règles de suspension ou d’interruption de la prescription.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai évidemment lu le compte rendu des travaux de votre commission des lois lors de sa réunion du 25 mai dernier. J’ai entendu M. le rapporteur et M. le président de la commission et je sais que le sujet est important. Vous avez émis le souhait que le Sénat puisse disposer du temps nécessaire pour étudier sereinement ce texte, ce qui me paraît tout à fait légitime.
Pour ma part, j’indiquerai simplement que le Gouvernement est très attaché à ce texte, qu’il soutient activement. C’est pourquoi nous comptons sur le caractère constructif du temps d’étude que le Sénat va probablement se donner.
Le sujet a été abordé à de très nombreuses reprises lors de différents travaux législatifs au cours de ces dernières années, mais c’est la première fois qu’une vision globale et une cohérence d’ensemble sont apportées.
Cette proposition de loi permettra grandement d’éclairer notre réflexion commune sur la prescription. Tout le monde a à gagner à son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je formulerai quelques observations en complément de ce que vient de dire M. le garde des sceaux.
On a raison de le souligner, ce texte est important, car il touche à un élément essentiel de la procédure pénale et de la loi pénale, à savoir le délai au terme duquel une infraction commise ne peut plus être poursuivie. Ce n’est pas négligeable.
Il est vrai que des travaux assez poussés ont été réalisés à la fois au Sénat – le rapport de nos collègues Jean-Jacques Hyest, Richard Yung et Hugues Portelli a été évoqué – et à l’Assemblée nationale, tels que la proposition de loi de nos deux collègues députés qui nous est aujourd'hui soumise.
J’indique d’emblée à cette tribune qu’il n’est pas question pour le Sénat, pour votre rapporteur et pour la commission des lois, de remettre en cause l’ensemble de ce texte, dont une grande partie est d’inspiration sénatoriale. Je n’en tire pas de gloire particulière, mais je tenais à le rappeler.
En revanche, il nous est apparu absolument nécessaire de bénéficier d’un délai supplémentaire, afin de nous permettre de procéder à quelques auditions supplémentaires et d’approfondir certains points.
Sur la forme, je rappelle que la commission n’a arrêté sa position sur cette proposition de loi que le 25 mai dernier, que, en tant que rapporteur, je n’avais été saisi du texte que quelques dizaines de jours plus tôt, alors que l’examen en séance était fixé à aujourd'hui. Nous sommes capables de travailler rapidement, mais tout de même !...
Outre l’allongement des délais de prescription en matière délictuelle et criminelle, respectivement portés à six ans et vingt ans, deux ou trois sujets importants méritent une réflexion un peu plus approfondie.
Je pense tout d’abord aux délais de prescription pour les agressions sur mineurs. Si le point de départ du délai de prescription est consensuel, à savoir la majorité, faut-il aller plus loin, voire envisager l’imprescriptibilité, comme le plaident certains, pour ce type de crimes ? Pour ma part, je n’y suis pas favorable, mais le débat doit être ouvert.
Je pense ensuite à la consécration de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les infractions dites « occultes » ou « dissimulées ». Nous sommes d’accord sur le principe. Pour autant, ne faut-il pas s’intéresser à la proposition qu’avaient faite nos collègues Hyest, Yung et Portelli et introduire un délai butoir au sein de ce dispositif, afin d’éviter les imprescriptibilités de fait ? Nous souhaitons que cette question ne soit pas occultée.
Par ailleurs, nous sommes très défavorables à l’imprescriptibilité pour les crimes de guerre. Quant à la connexion avec les crimes contre l’humanité, si elle pose une petite difficulté de forme, elle ne remettra pas en cause le fond.
En revanche, nous pouvons trouver un accord sur d’autres sujets. Je n’entrerai pas dans les détails à ce stade de nos débats, car ils ne posent pas de difficultés globalement, à l’exception de la question des actes susceptibles d’interrompre la prescription, notamment la prise en compte des plaintes adressées au procureur de la République ou à un service de police judiciaire. L'Assemblée nationale vient de consacrer ce principe comme étant un acte suspensif de prescription, ce que la jurisprudence avait jusqu’à présent toujours refusé. Pour notre part, nous avons de nombreuses interrogations sur ce point.
J’ajoute que la commission avait demandé la réalisation d’une étude de droit comparé, qui lui est parvenue tout récemment, car elle lui paraissait utile pour nourrir ce débat. La commission s’est également interrogée sur l’absence d’étude d’impact de la réforme sur le fonctionnement de notre système judiciaire et sur la charge qu’elle ferait peser sur lui.
Pour toutes ces raisons, lors de sa réunion la semaine dernière, la commission des lois a demandé le renvoi du texte en commission à l’unanimité, moins une voix, l’un de nos collègues s’étant abstenu.
Je le redis ici, la prescription est un sujet fondamental. On peut considérer que l’action publique doit s’arrêter à un moment donné et que l’infraction doit bénéficier d’une forme d’oubli.
Cela dit, on ne peut nier que le délai de prescription est aussi fixé en fonction de la capacité d’apporter la preuve ou l’existence même de l’infraction à un instant t. L’évolution des technologies aujourd'hui, celle de la science en particulier, permet désormais d’identifier très longtemps après les auteurs de crimes, en tous les cas au-delà du délai de dix ans. Des poursuites pourraient donc être engagées. La société attend ce type de modification.
Faut-il suivre à tout prix, dans tous les cas, l’opinion publique en la matière ? Ne pourrait-on essayer de trouver des délais intermédiaires, comme il était d’ailleurs préconisé dans le rapport de Jean-Jacques Hyest et de Richard Yung ? À ce stade, la commission des lois n’a pas tranché sur ces questions. C’est pourquoi elle souhaite bénéficier d’un délai supplémentaire pour étudier le texte.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je le répète, afin d’être transparent : nous ne voulons pas enterrer le dossier. La proposition de loi va être renvoyée à la commission ; aucune date n’est fixée pour un nouvel examen en séance, mais nous pourrions sans difficultés achever nos travaux sur ce texte soit d’ici à la fin du mois de juillet, soit à la rentrée en septembre prochain. Ce délai permettrait à la commission d’achever ses auditions et de se prononcer sur le texte.
Pour conclure, le Sénat souhaite contribuer de manière positive à la réflexion sur ce sujet essentiel en matière pénale afin de parvenir à un accord qui soit largement partagé. Il s’agit de trouver une solution satisfaisante pour l’ensemble de la société française, en particulier pour les victimes, dont le désarroi est parfois profond, et auxquelles nous devons, compte tenu des circonstances aujourd'hui, apporter une réponse à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai par citer Jean de la Bruyère : « Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à se plaindre de sa brièveté. » (Sourires.) Je pourrais en terminer là, mais j’ajouterai quelques réflexions.
Georges Clemenceau aurait dit de la guerre qu’elle est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires. De la même manière, vous pourriez dire, monsieur le garde des sceaux, que la loi pénale est une chose trop sérieuse pour que l’on laisse les avocats la faire. Si vous aviez cette pensée, je me référerais à l’excellence du garde des sceaux que fut Robert Badinter.
Cela dit, pourquoi notre commission des lois a-t-elle unanimement voté le renvoi de ce texte à la commission, alors que l’Assemblée nationale l’avait adopté à l’unanimité ?
Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, le Sénat est une chambre de réflexion, car la réflexion est souvent source de sagesse. À cet égard, je déplore que vous nous priviez de réflexion sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, car vous renoncez ainsi à un travail extrêmement constructif et efficace dans l’intérêt général.
Pour expliquer pourquoi nous avons voté à l’unanimité le renvoi à la commission, je citerai les propos de deux de nos collègues, d’abord ceux de François Pillet, vice-président de la commission : « Comment admettre que l’on puisse déposer plainte à l’âge de quarante-huit ans pour une agression sexuelle ayant eu lieu dans l’enfance ? Pour tout dire, je suis ravi que cette proposition de loi n’émane pas du Sénat. De grâce, ne faisons par disparaître la prescription de notre droit. »
Je citerai ensuite la conclusion de l’ancien ministre et excellent collègue Alain Richard : « Il y a manifestement une convergence entre l’Assemblée nationale et le Gouvernement » – nous y sommes habitués ! – « pour statuer sur ce texte alors que ce n’est pas le bon moment. J’ose espérer que l’on ne nous imposera quand même pas l’urgence. Légiférer sur un tel sujet sans préparation n’est pas envisageable. »
Nombreux sont ceux ici qui considèrent qu’une réforme des questions de prescription est souhaitable. S’il peut paraître raisonnable d’allonger certains délais, doit-on pour autant aller vers l’imprescriptibilité dans certains cas, comme cela nous est proposé ? Certains délais proposés sont manifestement beaucoup trop longs.
Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, vous qui connaissez bien le droit, qui avez fréquenté les universités et qui en savez beaucoup (M. le garde des sceaux sourit.), de vous citer le professeur Bouloc : « Au bout d’un certain temps, mieux vaut oublier l’infraction qu’en raviver le souvenir. », puis le professeur Rassat : « Il est inopportun de manifester aussi spectaculairement l’inefficience d’un système pénal qui met des années avant de se saisir des délinquants. »
Nous ne sommes pas contre certaines améliorations. Ce qui nous pose problème, c’est le caractère totalement hétéroclite des réformes des uns et des autres. Lorsque l’on parle de prescription, comment ne pas évoquer en même temps l’échelle des peines ? On voit bien que l’accumulation des réformes successives des différents gouvernements a conduit à un imbroglio. Tous les magistrats le disent d’ailleurs et répètent à juste titre qu’ils s’y perdent, que la loi est trop compliquée et qu’elle change tout le temps.
Toute modification des délais de prescription doit se faire en adéquation avec l’échelle des peines. Or tel n’est pas le cas ici.
Si réforme il doit y avoir, comme nous le souhaitons – il faut effectivement moderniser notre droit –, elle doit être globale. Or de nombreux points du texte nous semblent poser problème. Notre excellent rapporteur a ainsi évoqué la question des plaintes. S’il faut se caler sur les plaintes des citoyens pour interrompre les délais de prescription, et s’il suffit d’adresser une plainte aux services de police judiciaire ou aux fonctionnaires compétents, je puis vous assurer que nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! Cette réforme n’est pas bonne du tout ; elle est même dangereuse.
Comme je le dis souvent à cette tribune, la justice a besoin de moyens. Vous en convenez d’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous qui vous battez beaucoup, et plus que tous les autres à ce jour, sur ce point. Au-delà des moyens humains et matériels, qui vont ensemble, je le répète souvent, se pose la question de l’exécution des peines. À quoi cela sert-il d’allonger les délais de prescription si l’on est incapable d’exécuter les sanctions prononcées par les tribunaux ? Commençons par le début !
Dans ce texte, on fait plaisir à l’opinion en allongeant considérablement les délais de prescription, mais est-ce une bonne chose ? Dans certains cas, oui, monsieur le garde des sceaux, dans d’autres, c’est catastrophique, aussi bien pour les victimes que pour ceux qui sont poursuivis. Je vous le dis en tant que professionnel de terrain, parce que je l’ai vécu dans de nombreux cas. Il faut agir avec sagesse et modération.
C’est pour cela, monsieur le garde des sceaux, que nous avons besoin du temps de la réflexion. Peut-être aurions-nous pu travailler sur ces questions dans le cadre du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, si vous nous en aviez donné l’occasion ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)