M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Dériot, rapporteur. Je ne vois pas très bien quel alourdissement des procédures cette mesure pourrait entraîner. En effet, l’information de l’employeur est déjà exigée. Demander que la personne à l’origine de la demande puisse être également informée me paraît la moindre des choses ! Je le regrette, mais nous allons maintenir l’amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 32 bis.
Article 33 (priorité)
Pour l’année 2018, les objectifs de dépenses de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles sont fixés :
1° Pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, à 13,5 milliards d’euros ;
2° Pour le régime général de la sécurité sociale, à 12,2 milliards d’euros. – (Adopté.)
Article 33 bis (nouveau) (priorité)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’exposition des salariés aux risques chimiques. Ce rapport porte notamment sur les conséquences de l’exposition à ces risques sur la santé des salariés, les actions de prévention existantes, ainsi que les coûts de prise en charge induits pour la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, sur l’article.
M. Michel Amiel. Cet article porte sur les risques chimiques ; il résulte de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement de M. Pierre Dharréville. Comme mon collègue député des Bouches-du-Rhône le rappelait, un article publié par l’agence Santé publique France le 13 juin 2017 et intitulé « Exposition des salariés à de multiples nuisances cancérogènes en 2010 » souligne que 2,6 millions de salariés, soit 12 % d’entre eux, sont exposés à au moins une nuisance cancérogène, qu’elle soit chimique ou provienne de rayonnements ionisants.
Ainsi, plus d’un travailleur sur dix est exposé à au moins une nuisance cancérogène.
Alors que nous peinons encore à sortir des conséquences de l’exposition à l’amiante, il paraît plus que nécessaire de s’attaquer à ce problème. S’il est bien évidemment vain d’essayer de se protéger de tous les risques, il est nécessaire de les évaluer et d’éliminer les plus importants d’entre eux.
La méthode de dialogue que préconise le Gouvernement me paraît la bonne. Appuyons-nous sur les structures syndicales et les retours d’expériences locales pour améliorer notre réglementation !
Je suis souvent frileux quand il s’agit de demander des rapports supplémentaires, mais il me paraît ici indispensable d’évaluer les coûts qu’engendre, pour la sécurité sociale, l’exposition au risque chimique et, surtout, de définir les maladies professionnelles qui devraient y être associées. Comment continuer aujourd’hui à faire peser sur le régime général ce qui devrait strictement relever de la branche AT-MP ?
Alors que la France vient de prendre une position ferme sur le glyphosate, et que l’INRS, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, estime que 30 % des maladies professionnelles reconnues en Europe seraient d’origine chimique, M. Véran rappelait à l’Assemblée nationale que 4,8 millions de tonnes d’agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction seraient actuellement utilisées en France.
Les risques existent ; ils sont bien réels. Vous connaissez mon penchant pour la prévention ; or on ne peut prévenir que ce que l’on connaît. C’est pourquoi je soutiens cet article, qui permettra de constater la réalité du terrain et, par la suite, de proposer des solutions adéquates.
Je terminerai en rappelant, une fois de plus, la grande misère de la médecine du travail et la nécessité, selon moi, d’une loi sur le sujet, plutôt que d’un chapitre d’une loi, fût-elle la loi Santé.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. Dans le nouveau compte de prévention, quatre des dix critères initiaux ont été supprimés. Trois d’entre eux concernent des risques dits « ergonomiques », ceux qui donnent lieu aux fameux TMS, les troubles musculo-squelettiques. Ces troubles sont facilement et rapidement décelables, ils peuvent donner lieu à une prévention relativement aisée à mettre en œuvre et, surtout, ils représentent 87 % des maladies professionnelles. Ils sont donc extrêmement coûteux pour une branche financée par des cotisations patronales.
Restent les risques chimiques déjà évoqués. On ne peut s’empêcher ici de penser au désastre de l’amiante, qui fut d’abord et surtout un désastre humain, mais dont le coût a été élevé pour la collectivité nationale. Les risques chimiques, auxquels 10 % de la population active est exposée, constituent déjà la deuxième cause de maladie professionnelle.
Il a été indiqué que 4,8 millions de tonnes d’agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction sont utilisées dans notre pays. Ces agents sont à l’origine de pathologies lourdes. Je pense notamment aux agriculteurs et aux salariés agricoles qui sont exposés durant des années, souvent sans aucune protection, à des pesticides et qui développent des cancers, parfois longtemps après leur exposition. Nous sommes en présence d’une bombe à retardement.
En marge du futur rapport de M. Paul Frimat, auquel le Gouvernement vient de confier une mission sur ce sujet, plusieurs questions se posent dès maintenant. La prévention des risques chimiques est la première priorité du troisième plan Santé au travail, pour les années 2016 à 2020. En outre, madame la ministre, vous travaillez à l’élaboration de la nouvelle stratégie nationale de santé.
Quelle y sera la place de la santé au travail ? Envisagez-vous de mettre en place, en cohérence avec votre collègue chargée du travail, des incitations fortes au développement de la prévention dans les entreprises ? Quels moyens estimez-vous nécessaire de mettre en œuvre pour soutenir les efforts de prévention, particulièrement dans les petites entreprises ?
Je rappelle à cet égard les dispositions du code du travail en matière d’obligations de l’employeur, et notamment les spécifications de son article L. 4121-3 : « L’employeur évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques. » Nous sommes là au cœur du sujet.
Quelle sera la place des maladies professionnelles à déclenchement différé dans la nouvelle stratégie nationale de santé ? Enfin, comment seront financés le suivi et la prise en charge des personnes, salariés ou indépendants, qui auront été en contact avec des substances dangereuses ? (M. Didier Guillaume et Mme Victoire Jasmin applaudissent.)
M. le président. Après avoir examiné les articles appelés par priorité, nous reprenons le cours normal de la discussion des articles.
Titre II
Dispositions relatives à l’assurance vieillesse
Article 28
I. – De 2018 à 2020, les montants de l’allocation de solidarité aux personnes âgées mentionnée à l’article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et de l’allocation supplémentaire vieillesse prévue à l’article L. 815-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse, ainsi que les plafonds de ressources prévus pour le service de ces allocations et des prestations mentionnées à l’article 2 de la même ordonnance peuvent être portés, par décret, à des niveaux supérieurs à ceux qui résulteraient de l’application de l’article L. 816-2 du code de la sécurité sociale.
II. – De 2018 à 2020, le montant de l’allocation spéciale pour les personnes âgées mentionnée à l’article 28 de l’ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte ainsi que le plafond de ressources prévu pour le service de cette allocation sont portés, par décret, à des niveaux supérieurs à ceux qui résulteraient de l’application de l’article 29 de la même ordonnance.
III (nouveau). – Après la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 861-2 du code de la sécurité sociale, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les allocations mentionnées à l’article L. 815-1, à l’article L. 815-2, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse, et aux articles L. 815-24 et L. 821-1 perçues pendant la période de référence sont prises en compte, selon des modalités fixées par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, après application d’un abattement dont le niveau est fixé pour chacune d’entre elles, dans la limite de 15 % de leurs montants maximaux. »
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l’article.
Mme Patricia Schillinger. Cet article contient une mesure de solidarité particulièrement forte promise par le Président de la République : l’augmentation de 100 euros de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, et des allocations constitutives de l’ancien minimum vieillesse.
D’ici à 2020, l’ASPA sera portée de 803 euros à 903 euros pour une personne seule et de 1246 euros à 1402 euros pour un couple. Les 550 300 retraités percevant l’allocation bénéficieront ainsi d’une augmentation de 12 %, nettement supérieure aux revalorisations précédentes qui étaient simplement fondées sur l’inflation. De plus, le plafond de ressources augmentera, ce qui ouvrira cette allocation à 46 000 nouveaux bénéficiaires.
Le coût de cette mesure en faveur des retraités les plus démunis est estimé à 115 millions d’euros en 2018, 340 millions d’euros en 2019 et 525 millions d’euros en 2020. Rappelons également que l’article suivant du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale fixe la date de revalorisation au 1er janvier, au lieu du 1er avril, à partir de 2019.
L’augmentation de l’ASPA s’accompagne dans ce texte d’autres efforts en faveur des personnes âgées. Il s’agit notamment de faciliter leur accès aux soins ou encore d’améliorer la prise en charge des personnes accueillies en EHPAD.
Le groupe La République en marche soutiendra bien entendu ces engagements forts pris par le Gouvernement pour améliorer le pouvoir d’achat et la prise en charge des personnes âgées les plus fragiles.
Comme le rappelait le Secours catholique dans son récent rapport sur l’état de la pauvreté en France, la solidarité nationale fait partie de notre identité ; elle est un socle sur lequel les personnes les plus pauvres et les plus exclues peuvent s’appuyer.
Sur toutes nos travées, mes chers collègues, nous sommes au rendez-vous de la solidarité nationale, ciment de notre cohésion sociale. (M. Michel Amiel applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l’article.
M. Dominique Watrin. Ma prise de parole n’ira pas tout à fait dans le même sens que la précédente, mais c’est l’intérêt du débat !
Madame la ministre, vous avez affirmé, à l’Assemblée nationale, que votre objectif était que les personnes âgées et les retraités puissent vivre dans la dignité. Bien évidemment, tout le monde partage cette ambition.
Plus précisément, cet article augmente le montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de 30 euros au 1er avril 2018 ; cette allocation atteindra 903 euros d’ici trois ans. C’est effectivement un petit quelque chose, mais je crois qu’il faut le relativiser, eu égard à l’objectif annoncé.
En effet, d’abord, cette mesure ne concernera pas le minimum contributif, c’est-à-dire de très petites retraites perçues par des gens de moins de 65 ans ; leurs retraites sont très faibles parce qu’ils n’ont pas assez cotisé, bien qu’ils aient travaillé, et ce du fait, souvent, de la précarité des emplois exercés. Nous estimons que c’est une injustice.
Il y a un deuxième bémol : cette allocation, même dans trois ans, sera encore bien en deçà du seuil de pauvreté, qui est aujourd’hui de 1 015 euros.
Malgré ces éléments, je pense qu’il faut prendre en compte cette augmentation dans le plateau positif de la balance. Cela dit, notre rôle de parlementaires est aussi de regarder les deux plateaux ! Et sur l’autre plateau – c’est en cela que je m’oppose quelque peu à l’intervention précédente –, on relève l’augmentation de 1,7 point de la CSG qu’auront à supporter 60 % des retraités, dont des retraités modestes. Je mentionnerai également les 380 millions d’euros d’économies réalisées par le biais du recul de la date de revalorisation des retraites du 1er octobre 2017 au 1er janvier 2018. Cette revalorisation était pourtant particulièrement attendue, puisque les pensions de retraite sont quasiment gelées depuis six ans.
Pour toutes ces raisons, nous sommes quand même très dubitatifs et nous nous demandons même si l’on n’est pas en train de demander à des retraités, y compris modestes, de payer pour le minimum vieillesse. Cela nous paraît assez injuste, dans la mesure où, par ailleurs, vous dégagez les employeurs de leurs responsabilités en les exonérant massivement de cotisations.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.
M. Franck Montaugé. Agriculteurs expérimentés, jeunes agriculteurs, retraités agricoles, nombre de ces hommes et de ces femmes qui ont travaillé nos paysages et fait de l’économie agricole française une des premières au monde et un motif de fierté pour nous tous, ces agriculteurs souffrent !
Certains d’entre nous, ici, ont voulu surmonter ce qui peut apparaître à d’autres comme une fatalité que les règles pures, et surtout dures, du marché libéral et de la concurrence sauvage devaient régler, aux dires de certains théoriciens, à l’aide de quelques ajustements des libres marchés.
Mon collègue Henri Cabanel et moi-même avions déposé une proposition de loi visant à instaurer un fonds de garantie du revenu du producteur agricole. Le Sénat l’a adoptée à l’unanimité. Cet instrument de stabilité du revenu anticipait certaines des propositions qui émergeront, peut-être, des états généraux de l’alimentation qui se tiennent actuellement. Ce texte est aujourd’hui sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il pourrait être utilement repris.
Depuis quelque temps, à grand renfort d’assises et d’états généraux divers et variés, la Nation se porte au chevet de son agriculture et de ses producteurs qui se voient dérober, voler la juste valeur de leur travail au profit, la plupart du temps, des acteurs de l’aval des filières.
En faisant ce rappel, je ne m’éloigne pas du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Voici en effet les conséquences de cette situation : plus de 150 suicides en 2016, des histoires familiales marquées tragiquement pour des générations, des vies vidées de sens et de toute espérance, enfin des conditions de vie précaires et trop souvent indignes d’un pays développé. Cette situation est intenable et ne peut plus durer !
Avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, je plaide pour que nous ouvrions aux actifs de nouvelles perspectives. Je veux vous convaincre que la revalorisation des retraites agricoles peut et doit en faire partie, en complément de la reconnaissance de la juste valeur du travail de production des agriculteurs.
Financer cette mesure par une augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières est selon moi approprié, juste et vertueux ! Une part non négligeable des transactions financières en question – 500 milliards d’euros, tout de même – porte sur des produits financiers qui se réalisent sur les marchés qu’on appelle dans ce milieu les commodities, à savoir les matières premières agricoles.
La réalité crue de ce monde-là, c’est qu’une part importante de la valeur qui manque aux producteurs vient faire le bonheur des traders ! J’en suis heureux pour eux, quoique… Je le suis beaucoup moins, et même pas du tout, pour nos agriculteurs actifs et nos retraités agricoles.
C’est pourquoi je vous présenterai dans quelques instants un amendement visant à leur redonner quelques raisons d’espérer avant qu’il ne soit trop tard pour beaucoup trop d’entre eux !
M. le président. L’amendement n° 595, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – De 2018 à 2020, les montants de l’allocation de solidarité aux personnes âgées mentionnée au 1° de l’article 7 de la loi n° 87-563 du 17 juillet 1987 portant réforme du régime d’assurance vieillesse applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon et de l’allocation supplémentaire prévue à l’article 24 de la même loi dans sa rédaction antérieure au 1er juillet 2016 ainsi que les plafonds de ressources prévus pour le service de ces allocations et des prestations mentionnées au 9° de l’article 7 de la même loi peuvent être portés, par décret, à des niveaux supérieurs à ceux qui résulteraient de l’application des dispositions de l’article L. 816-2 du code de la sécurité sociale et du g du 1° de l’article 5 de la loi du 17 juillet 1987 précitée.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Cet amendement vise à faire bénéficier les retraités modestes de Saint-Pierre-et-Miquelon d’une revalorisation exceptionnelle de l’ASPA, à l’instar de ce que prévoit l’article 28 pour la France métropolitaine, les départements d’outre-mer et Mayotte. Cela permettra aux retraités modestes de cet archipel de bénéficier d’une amélioration de leur pouvoir d’achat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. Cet amendement tend en effet à faire appliquer le dispositif de cet article à Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire qui avait été, me semble-t-il, oublié dans la rédaction initiale. La commission ne peut donc qu’émettre un avis favorable.
Je voudrais par ailleurs répondre aux orateurs qui se sont exprimés sur l’article. Effectivement, la revalorisation de l’ASPA représente une amélioration significative. La question que nous nous sommes posée en commission est celle du financement. En effet, aujourd’hui, cette allocation est financée par le biais de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, donc par la dette.
Il faut y être attentif, parce que la trajectoire des retraites représente quand même des sommes importantes : avec les retraites complémentaires, plus de 300 milliards d’euros sont distribués chaque année. En outre, contrairement à ce que l’on nous avait raconté on n’observe pas de retour à l’équilibre, puisque le déficit prévisionnel pour 2018 s’élève à 2 milliards d’euros et qu’en 2020 il se sera encore creusé et sera, me semble-t-il, de 4,7 milliards d’euros. Dès lors, si l’on prolonge la trajectoire jusqu’en 2040, quoique l’ampleur du déficit dépende de différents critères – la productivité, le taux de chômage, le vieillissement, le critère d’âge, le solde migratoire –, on peut l’estimer en moyenne à 0,5 % du PIB.
Toujours est-il, madame la ministre, qu’il faudra prendre en compte cette trajectoire dans la réforme systémique qui nous est proposée et à laquelle la majorité sénatoriale s’est toujours montrée favorable. Nous l’attendons, nous sommes bien conscients de sa nécessité, mais il faudra prendre en compte le critère budgétaire si l’on veut rendre le dispositif universel. « Universalité » ne veut pas dire « régime unique » : il faut faire la distinction, même si j’ai l’impression que certains pratiquent l’amalgame. Nous aurons l’occasion d’en discuter, mais c’est un critère particulièrement important.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 212, présenté par Mmes Lienemann et G. Jourda, M. Durain, Mme Taillé-Polian, MM. Daudigny et Guillaume, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Après le deuxième alinéa de l’article L. 815-13 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, la récupération ne peut être opérée sur la résidence principale du bénéficiaire de l’allocation. »
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 419 rectifié, présenté par M. Antiste, Mme Conconne, M. Devinaz, Mme Ghali, M. Iacovelli, Mmes Jasmin, G. Jourda, Lepage et Lienemann, M. Todeschini et Mme Espagnac, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le troisième alinéa de l’article L. 815-13 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement peut autoriser l’expérimentation suivante dans un nombre limité de collectivités territoriales volontaires, y compris les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution : lorsque la succession du bénéficiaire, en tout ou en partie, comprend un capital d’exploitation agricole ou la résidence principale du bénéficiaire de l’allocation, ces derniers ainsi que les bâtiments qui en sont indissociables ne sont pas pris en compte pour l’application du deuxième alinéa du présent article. La liste des éléments constitutifs de ce capital et de ces bâtiments est fixée par décret.
« Au plus tard deux mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport public dressant le bilan de l’expérimentation sur l’accès aux droits des bénéficiaires de l’allocation de solidarité. »
La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. En 2014, une enquête de l’INSEE estimait à 817 000 le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans vivant en dessous du seuil de pauvreté ne recourant pas à l’allocation de solidarité aux personnes âgées par peur de léser leurs héritiers. Le taux apparent de non-recours s’élevait ainsi à 31 %.
En effet, l’ASPA est récupérable sur succession dès lors que le patrimoine de l’allocataire est supérieur à 39 000 euros en France hexagonale et à 100 000 euros dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. Outre le défaut d’information, la Caisse nationale d’assurance vieillesse et le Conseil d’orientation des retraites considèrent que c’est le recours sur succession qui dissuade les retraités très modestes de réclamer l’ASPA. Ils y voient une cause majeure de non-recours, alors même que les bâtiments professionnels des exploitations agricoles sont exclus, depuis 2010, du patrimoine récupérable.
Dans le cadre d’une enquête sur les bénéficiaires de minima sociaux, une question a été posée pour vérifier si les bénéficiaires de l’ASPA étaient au courant de la récupération sur succession : si un quart d’entre eux ignoraient la procédure, 43 % ont déclaré ne pas être concernés, soit parce que leur patrimoine était inférieur à 39 000 euros, soit parce qu’ils n’avaient pas d’héritier. En 2015, les recouvrements sur succession se sont élevés à 117,8 millions d’euros, tandis que le montant des prestations versées a dépassé 2 milliards d’euros ; cela traduit concrètement le caractère exceptionnel de la procédure.
En 2010, dans la loi portant réforme des retraites, une mesure avait été prise pour exclure de la reprise sur succession le capital d’exploitation agricole. En outre, le décret n° 2011–1972 du 26 décembre 2011 relatif aux modalités de recouvrement sur les successions des sommes versées au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées exclut explicitement de la procédure les bâtiments d’habitation indissociables de l’exploitation.
Afin d’établir si le recours sur succession a un impact sur le recours à l’ASPA, nous proposons donc, par cet amendement, de mener une expérimentation, dans un nombre restreint de collectivités de l’Hexagone et d’outre-mer, consistant à exclure du recours sur succession la résidence principale du bénéficiaire ou le capital d’exploitation agricole.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ces amendements posent le problème du recours sur succession auquel sont soumises l’ASPA et l’aide sociale à l’hébergement. Les mêmes questions se posent pour les deux allocations : si le recours sur succession n’existait pas, n’aurions-nous pas plus de bénéficiaires d’une prise en charge de l’hébergement et de l’ASPA ? Selon vos estimations, monsieur le sénateur, le taux de non-recours s’établirait autour de 30 %.
Toujours est-il que ce problème n’est pas à l’ordre du jour. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale contient, à cet article, certaines dispositions, mais il ne s’agit pas d’en examiner le financement. Je rappelle que le montant récupéré est minime par rapport aux sommes déboursées au titre de l’ASPA, qui coûtait déjà 2 milliards d’euros en 2015 et, aujourd’hui, plus de 3 milliards d’euros. En outre, la recette du recours sur succession n’est pas affectée et ne vient pas en déduction des dépenses engagées à ce titre : elle rentre dans le budget général.
L’avis de la commission sur ces amendements est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. J’estime pour ma part que ce sujet est tout à fait à l’ordre du jour. En effet, on sait qu’il y a beaucoup de non-recours aux allocations sociales ; le cas présent est un exemple parmi d’autres.
Il ne fait selon moi aucun doute que le recours sur la succession est en cause. Cela apparaît au vu de l’histoire de la prestation spécifique dépendance, ou PSD, qui a précédé l’ASPA. Cette dernière a beaucoup plus – dix fois plus, peut-être – de bénéficiaires que la PSD, parce que nombre de personnes qui avaient droit à celle-ci ne la demandaient pas par crainte du recours sur succession. Les exemples qui ont été donnés par d’autres orateurs sont aussi parlants.
De surcroît, les changements proposés par les auteurs de ces amendements auraient un coût assez modeste. L’amendement n° 212 me paraît aller plus loin et être plus intéressant. En effet, selon moi, il n’est pas véritablement nécessaire de mener des expérimentations, puisqu’on sait que le non-recours est un problème et qu’un besoin existe.
Nous n’hésiterons donc pas à voter en faveur de l’amendement n° 212, et nous soutiendrons quand même l’amendement n° 419 si le premier n’est pas adopté.