compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article additionnel après l'article 27 - Amendement n° 516 rectifié bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Immigration et intégration

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (projet n° 304 [2022-2023], texte de la commission n° 434 rectifié [2022-2023], rapport n° 433 [2022-2023]).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout au long des débats qui nous ont occupés de nombreux jours sur ce projet de loi relatif à l’immigration, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky a pensé très fort à la grande majorité des étrangers qui vivent sur notre sol, qui travaillent, qui produisent des richesses, qui contribuent au rayonnement de notre pays et qui ont dû se sentir bien mal en écoutant nos débats, ainsi qu’un certain nombre d’outrances qui ont été prononcées ici. Oui, nous avons ressenti un immense décalage.

Vous laisser croire que nous avions placé beaucoup d’espoir dans ce projet de loi serait mentir. Et c’est peu dire… Nous avions espéré malgré tout que ce texte puisse au moins permettre à notre pays d’avancer sur un certain nombre de sujets, notamment sur la question de la régularisation des travailleurs sans-papiers.

Nous avions espéré qu’au moins notre assemblée puisse faire le choix du pragmatisme, lequel aurait consisté à permettre la régularisation de ces travailleuses et travailleurs, qui le méritent.

Or non seulement ce projet de loi, tel qu’il résulte de nos discussions, ne nous a pas permis d’avancer sur ce sujet, mais il a considérablement dégradé la situation des étrangers vivant sur notre sol.

Ce texte est à la fois dur, cruel et, à certains égards, mesquin.

Il est dur quand il prévoit la fin de l’automaticité du droit du sol et l’obligation de résider dix ans en France avant d’accéder à la nationalité.

Il est dur lorsqu’il instaure des quotas triennaux d’immigration sans fixer de critères explicites.

Il est dur lorsqu’il prévoit la limitation de l’immigration étudiante.

Il est cruel lorsqu’il prive l’étranger en situation régulière d’allocations et de prestations sociales pendant ses cinq premières années de présence sur le territoire français, condamné qu’il est à cotiser, à payer des impôts et à ne pas pouvoir profiter des droits qui existent pour tous les autres citoyens vivant sur notre territoire.

Il est cruel lorsqu’il remet en cause – c’est une honte absolue ! – l’aide médicale de l’État (AME).

Il est cruel lorsqu’il prévoit de réduire les titres de séjour pour maladie, qui profitent notamment à des étrangers infectés par le VIH.

Il est dur, cruel et, à certains égards, mesquin lorsqu’il prévoit de supprimer les transports gratuits pour les bénéficiaires de l’AME.

Au fond, le seul qui, au sein de la majorité sénatoriale, ait dit la vérité, c’est le président Bruno Retailleau. Dans le Journal du dimanche, il a estimé que tout ce qui durcissait le droit des étrangers était « bon à prendre ».

De quoi donc sont coupables les sept millions d’immigrés qui vivent sur notre sol, qui veulent vivre dignement de leur travail ? Quels forfaits ont-ils donc commis, qui justifient pareil traitement ?

Disons-le très clairement, mes chers collègues : le pari sur lequel repose cet ensemble de dispositions est totalement faux. Vous faites le pari que, en dégradant les conditions d’accueil des étrangers, vous les dissuaderez de venir sur notre sol. Vous vous trompez : ils viendront, mais dans des conditions déplorables et lamentables en raison des dispositions adoptées dans le présent projet de loi.

En réalité, vous présentez vous-même un mirage, celui qui consiste à faire croire que l’immigration cessera ou se réduira drastiquement, alors même que la misère grandit, alors que les guerres se multiplient, alors que le climat se dérègle comme jamais.

Dans un tel contexte, il est vain d’imaginer que les flux migratoires se tariront ; il est vain d’imaginer que l’immigration cessera.

La seule question qui se pose est la suivante : comment affronterons-nous, ensemble, ce défi migratoire tout en assumant nos responsabilités ? Ce n’est pas avec ce texte que nous y parviendrons !

Surtout, ce projet de loi ne permet pas l’intégration.

Comment intégrer, dès lors qu’on se refuse à régulariser des hommes et des femmes sans-papiers qui travaillent, cotisent et paient des impôts ?

Comment intégrer, dès lors qu’on se refuse à permettre aux demandeurs d’asile de travailler plutôt que de vivre des revenus de l’assistance ?

Comment intégrer, dès lors que vous contribuez à faire des étrangers un groupe à part, privés de tout, sauf du droit d’être exploités ?

Surtout, le texte tel qu’il résulte de nos discussions comporte une contradiction majeure : d’un côté, on y revendique en permanence les valeurs de la République ; de l’autre, on porte atteinte à nos droits fondamentaux en foulant aux pieds les principes républicains auxquels, me semblait-il, nous sommes collectivement attachés.

Bien sûr, des avancées sont intervenues, à la suite notamment de l’adoption d’amendements de notre groupe.

Je pense, par exemple, à la question des victimes des marchands de sommeil. Je me réjouis ainsi que nous ayons pu faire adopter un amendement qui permettra d’accorder un titre de séjour provisoire aux victimes des marchands de sommeil qui portent plainte.

Toutefois, cette avancée ne saurait effacer l’ensemble des reculs que contient ce texte. Par conséquent, les sénateurs du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ne pourront que s’y opposer.

Notre conviction profonde est que la France peut accueillir dignement celles et ceux qui cherchent refuge chez elle. C’est notre honneur. C’est aussi notre honneur que d’assumer l’intégration, par l’école, par la langue, par le travail.

Telles sont les convictions qui nous animent et qui continueront de nous animer. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « L’homme n’est réellement libre que lorsqu’il a contribué à agrandir le domaine de la liberté. » Cette formule, prononcée le 27 avril 1948 par Gaston Monnerville – figure du radicalisme dont le RDSE est l’héritier –, aura servi de boussole à notre groupe tout au long de l’examen de ce texte.

Nous avons travaillé dans un climat difficile : les conflits militaires s’intensifient depuis plusieurs mois ; nous marchions ce week-end contre l’antisémitisme ; les nations et les communautés semblent se refermer sur elles-mêmes.

Ce projet de loi pour contrôler l’immigration m’apparaît, en particulier dans sa version sénatoriale, comme le symptôme d’une tendance qui nous préoccupe : celle du rejet de l’autre et de la méfiance envers ce qui nous est étranger.

M. Jérôme Durain. Très bien !

M. Michel Masset. Je n’étais pas encore sénateur lorsque ce texte a été présenté en conseil des ministres, mais j’y avais lu des dispositions constructives et prometteuses.

Je pense naturellement aux articles 3 et 4, ainsi qu’aux dispositions visant à rendre plus effectives les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Il en ressortait une recherche d’équilibre ou de compromis, qui correspond assez bien à l’idée que je me fais d’un législateur républicain.

Je n’étais pas encore membre de la prestigieuse commission des lois lorsque celle-ci, ensuite, examina ce texte. Cela ne m’a pas empêché d’observer la suppression de l’AME, la restriction des conditions du rapprochement familial ou encore la limitation du droit du sol pour l’accès à la nationalité.

Permettez-moi de redire notre position sur ces sujets.

Nous sommes opposés à la suppression de l’AME. Éclairée par son expérience de médecin, notre collègue Véronique Guillotin l’a parfaitement rappelé : les malades seront soignés, que ce soit au titre de l’AME ou de l’aide médicale d’urgence (AMU). Ils pousseront la porte des hôpitaux, et aucun médecin, dans aucun service d’urgences, ne demandera à voir une carte Vitale ou un titre de séjour avant de soigner. De plus, l’hôpital ne sera pas payé si l’AME n’existe plus.

M. Fabien Genet. Bel aveu !

M. Michel Masset. Nous sommes également opposés, dans une large majorité, à la restriction du droit du sol.

Les articles 2 bis et 2 ter nous semblent inappropriés : d’une part, ils ne constituent pas une réponse aux enjeux soulevés par ce projet de loi ; d’autre part, ils font peser le poids de vos inquiétudes sur des enfants et des adolescents.

De même, nous sommes opposés aux dispositions durcissant le rapprochement familial, car elles s’éloignent des valeurs d’humanisme partagées par notre groupe.

Ainsi, nous espérions, sur ces sujets, convaincre notre assemblée de changer sa position en séance publique. Hélas ! trois fois hélas ! nous n’y sommes pas parvenus et nous le regrettons.

Toutefois, au lendemain de l’examen par la commission, il restait un espoir : les articles 3 et 4 demeuraient dans le texte. Mais vous connaissez la suite…

Nous devons donc faire un constat d’échec. L’article 4 bis, bien qu’il ait été soutenu par quelques collègues pragmatiques, n’est pas de nature à nous satisfaire.

Monsieur le ministre, vous nous avez déclaré que les articles 3 et 4 n’étaient pas l’essentiel du texte. Ce n’est pas notre ressenti. Sans eux, ce texte donnera l’impression de n’être qu’une nouvelle réforme parmi d’autres, cela a été largement souligné.

Nous sommes profondément convaincus que le travail est un facteur d’intégration puissant, nécessaire à notre besoin de production et à notre mode de consommation. Nous sommes convaincus que la clandestinité est source d’exclusion et de marginalisation.

Cela ne nous empêche pas d’être réalistes, face d’abord à l’engorgement des préfectures, que la création d’une nouvelle voie de régularisation à la discrétion des administrations ne pourra qu’aggraver ; face ensuite au constat que le travail clandestin ne cessera pas avec ce texte, car il imprègne notre société et répond à un réel besoin.

L’article 4 bis donne donc l’impression d’être le résultat d’un geste non assumé : la suppression de l’article 3, dont nous reconnaissons tous, finalement, la nécessité et l’utilité. Vous l’aurez compris, cette technique ne nous satisfait pas.

J’attends de voir, en outre, comment nos préfectures puis les juridictions apprécieront, du point de vue du droit, les critères juridiquement flottants et subjectifs – « l’intégration à la société française » ou « l’adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci » – que ce nouvel article propose.

Bref, nul besoin de prolonger le suspense plus longtemps : la grande majorité des membres du groupe du RDSE votera contre le texte modifié par le Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. C’est dommage !

M. Michel Masset. Nous avons eu un bref espoir lorsque l’article 2 a été rétabli, contre l’avis des rapporteurs, mais la suppression des articles 3 et 4 a achevé de nous confirmer dans notre position.

Au-delà, le sort d’un certain nombre d’amendements aura contribué à forger notre avis. Nous regrettons, par exemple, que l’on envisage une législation évoquant explicitement « l’assimilation à la communauté française ».

De même, nous regrettons qu’un enfant mineur, entre 16 ans et 18 ans, puisse faire l’objet d’une rétention administrative.

D’ici à quelques semaines, nous remettrons l’ouvrage sur le métier lors de l’examen d’une proposition de loi constitutionnelle relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l’immigration et à l’asile. Notre groupe exprimera alors sa position sur ce texte, comme il le fait chaque fois que c’est nécessaire.

De toute évidence, les questions de l’immigration et de la nationalité ne doivent pas être oubliées. Personne ne nie la crise migratoire. Toutefois, notre nation doit faire face à de nombreux autres défis, qu’ils soient économiques, écologiques, territoriaux ou encore démographiques.

Nous espérons donc que notre assemblée, dont je défends vigoureusement le sérieux des travaux, veillera à ne pas s’éloigner du cap qu’elle sait tenir : servir l’intérêt général de notre pays et placer, toujours, l’humain au centre du cercle.

« L’homme n’est réellement libre que lorsqu’il a contribué à agrandir le domaine de la liberté. » (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une semaine de débat en séance, nous sommes appelés à nous prononcer sur un texte qui est d’abord le fruit de la volonté politique du Gouvernement, puis celui d’un compromis, lequel doit nous permettre d’avancer.

Au-delà des postures, l’essentiel est bien là : il s’agit de relever les défis posés à notre pays comme à tous les pays européens en maîtrisant mieux les flux migratoires, car il est absolument nécessaire de mieux protéger nos compatriotes des délinquants étrangers et de réussir l’intégration de ceux qui ont vocation à rester sur le territoire national.

La volonté politique du Gouvernement est claire : adapter notre droit aux nouvelles réalités migratoires que connaissent tous les pays avec lesquels nous pouvons être raisonnablement comparés, en corrigeant une trajectoire qui n’est pas soutenable dans la durée pour notre cohésion nationale.

Nous nous réjouissons, d’abord, de la bonne qualité, dans l’ensemble et sur un sujet aussi passionné, des débats qui ont eu lieu au sein de notre hémicycle.

J’adresse nos remerciements à M. le ministre de l’intérieur, pour son sens de l’écoute, du dialogue et du compromis, à nos deux rapporteurs, pour le sérieux de leur travail, et au président de la commission des lois, Jean-Noël Buffet, sans qui – j’en suis certain – nous ne serions pas arrivés à ce point d’équilibre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Bravo !

M. Olivier Bitz. Je pense que nous pouvons collectivement nous satisfaire de la méthode qui a été adoptée.

La discussion d’un texte important en premier lieu au Sénat est évidemment un message de confiance envoyé à notre assemblée.

M. Didier Marie. C’est surtout un choix tactique !

M. Olivier Bitz. Le projet gouvernemental a ensuite été enrichi par les travaux de la commission, dont la quasi-totalité des propositions ont été reprises par le Gouvernement.

Enfin, le travail en séance aura permis de faire encore évoluer le texte.

En revanche, je le dis très clairement, certaines de ces évolutions nous ont profondément heurtés. Je veux parler en particulier de la suppression de l’aide médicale de l’État. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

Nous espérons que l’Assemblée nationale reviendra sur ce qui représente à nos yeux une faute morale et une erreur grave en matière de santé publique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Le dispositif de l’AME répond à une exigence élémentaire d’humanité. Notre pays doit rester fidèle à sa tradition et à ses valeurs humanistes : l’idée de conditionner l’accès aux soins d’un individu, par hypothèse en souffrance, à la régularité de sa situation administrative est pour nous tout simplement insupportable.

Aussi, nous comprenons et soutenons la démarche des milliers des soignants qui refusent d’être placés, du fait de la loi, dans une impasse déontologique.

Mme Sophie Primas. Ils n’ont qu’à travailler gratuitement !

M. Olivier Bitz. Aucun argument sérieux ne vient raisonnablement à l’appui d’une suppression de l’AME.

L’affirmation selon laquelle cette dernière créerait un appel d’air ne repose sur aucun élément, chacun le sait.

Aucune économie ne serait réalisée en cas de suppression, bien au contraire. Les pathologies seraient prises en charge plus tardivement, ce qui peut être dramatique pour les personnes concernées et encore plus coûteux pour la collectivité. De plus, si elle était définitivement adoptée, cette mesure conduirait à effectuer un transfert de charges entre l’État et l’hôpital public et à engorger encore davantage les services d’urgences.

Le jeu politique a aussi ses limites. Il n’est pas possible de jouer ainsi avec la santé, et donc la vie, d’êtres humains. Si l’AME doit être réformée – elle l’a d’ailleurs déjà été –, réformons-la ! Nous étudierons d’ailleurs avec attention le rapport demandé par le Gouvernement à MM. Stefanini et Évin. Mais, de grâce, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain !

Nous regrettons aussi la suppression de l’article 4, qui prévoyait un accès accéléré au marché du travail pour les demandeurs d’asile dont le besoin de protection est manifeste.

Quelle curieuse idée, de la part de la majorité sénatoriale, de préférer ainsi l’assistanat, supporté financièrement par le contribuable, à la possibilité ouverte pour les personnes concernées de travailler et donc de s’intégrer plus rapidement ! Ce renoncement à la valeur travail est difficilement compréhensible, qui plus est à un moment où nos entreprises font face à une pénurie de main-d’œuvre.

Nous déplorons enfin que les facilités d’accès à un titre de séjour pour les médecins diplômés à l’étranger ayant déjà reçu l’autorisation d’exercer en France aient été rejetées. Au moment où tant de territoires souffrent d’un manque de praticiens, cette décision est d’autant plus regrettable qu’il était question d’à peine 400 situations par an.

En revanche, nous nous réjouissons du maintien d’un dispositif de régularisation pour les salariés dans les métiers en tension. La majorité sénatoriale a préféré s’en remettre largement au pouvoir discrétionnaire des préfets – et donc, in fine, du ministre de l’intérieur – plutôt qu’à des critères impératifs pour l’administration, fixés par le législateur lui-même, quitte, d’ailleurs, à durcir ceux que le Gouvernement avait proposés.

Pour notre part, nous ne serons pas dans la posture : article 3 ou 4 bis, la belle affaire ! L’essentiel est bien que le dispositif de régularisation existe dans les métiers en tension pour les étrangers exprimant la volonté de s’intégrer.

M. Olivier Bitz. Ce dispositif facilitera l’intégration des étrangers concernés et permettra de satisfaire un besoin de nos entreprises.

Les dispositions concernant les étrangers délinquants ou constituant une menace grave pour l’ordre public ont également été maintenues. C’était pour nous un dispositif central du texte, destiné à mieux protéger nos concitoyens.

Nous nous félicitons du rétablissement des articles 2, 5 et 8, qui avaient été supprimés par la commission, de même que nous nous réjouissons de tous les dispositifs spécifiques aux territoires ultramarins qui ont pu être adoptés, souvent grâce aux sénateurs du groupe RDPI.

L’adoption de notre amendement visant à durcir les sanctions applicables aux reconnaissances frauduleuses de paternité est un autre motif de satisfaction.

Oui, le groupe RDPI votera majoritairement pour ce texte, en sachant que l’Assemblée nationale reviendra sur certaines dispositions que nous rejetons.

D’autres dispositions – celles qui portent sur la nationalité – sont manifestement des cavaliers législatifs. Elles seront, sans aucun doute, sanctionnées par ailleurs.

Il s’agit donc non pas de donner quitus à la majorité sénatoriale, mais simplement d’exprimer notre volonté d’avancer ensemble, au Sénat.

Ne pas adopter ce projet de loi reviendrait, in fine, à se satisfaire de l’état du droit actuel. Ce serait prendre une lourde responsabilité, alors que notre pays a besoin de renforcer ses exigences en matière d’intégration, de protection des Français, de simplification des procédures et de défense des valeurs de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc parvenus au terme du parcours chaotique de ce projet de loi, plus d’un an après sa présentation en conseil des ministres et huit mois après son examen en commission des lois.

Avec cette vingt-neuvième loi sur l’immigration, on nous promettait de contrôler l’immigration et d’améliorer l’intégration. M. le ministre de l’intérieur avait résumé ce texte par cette formule : il s’agissait d’« être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ».

Un an plus tard, l’intégration a totalement disparu du texte.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est inexact !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Elle a disparu, à l’instar du ministre du travail qui, aujourd’hui encore, a renoncé à notre débat. (M. Hussein Bourgi sexclame.) Résultat : il ne s’agit plus que d’être méchant avec les gentils et avec tous les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Loïc Hervé sexclame.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pour nous, la solidarité, la dignité humaine et l’accès aux droits fondamentaux ne sont pas négociables : ils sont consubstantiels à l’ordre public et social.

À gauche, nous savons ce qu’apportent les étrangers, les travailleurs comme les étudiants, à la société française. Nous croyons à l’intégration par le travail, par l’accès à notre langue, par l’insertion dans notre vie associative et sociale.

Avec ce texte, au contraire, l’étranger n’est vu que comme une menace, un fraudeur, quelqu’un dont on peut, au mieux, tolérer la présence sur notre sol.

M. Loïc Hervé. Ce n’est pas vrai !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Alors que notre pays fait face à un triple dysfonctionnement – de l’accueil, de la protection et de la reconduction –, nous réfutons vigoureusement ce discours simpliste distinguant les « bons » et les « mauvais » étrangers, ainsi que le présupposé selon lequel l’immigration économique serait plus légitime et plus noble que l’immigration familiale ou l’asile.

Oui, nous considérons que la régularisation par le travail est bénéfique à l’ensemble des travailleurs, là où le travail illégal cultive la précarité et la concurrence déloyale, les travailleurs sans-papiers étant contraints d’accepter d’indignes conditions de travail et de rémunération.

La non-régularisation des travailleurs sans-papiers laisse prospérer une forme d’esclavage moderne. Visiblement, au regard du texte sur lequel nous devons aujourd’hui nous exprimer, ce n’est pas la position de la majorité sénatoriale.

Nous, sénatrices et sénateurs socialistes, nous opposons fermement aux dispositions qu’ont introduites dans ce projet de loi la droite et son allié centriste, avec l’assentiment et la bienveillance du ministre de l’intérieur.

Nous combattons la précarisation des étrangers que vous voulez instaurer, par la suppression de toute allocation non contributive avant cinq années de résidence en situation régulière – les enfants, eux aussi, s’en trouveraient punis –, par votre refus de régulariser les étrangers sans-papiers dans les métiers en tension – une mesure pourtant soutenue par l’ensemble des employeurs et par les Français…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous voulez encore précariser les étrangers par l’exclusion des personnes en situation irrégulière du dispositif d’hébergement d’urgence, les condamnant donc à la rue, et par votre refus d’octroyer aux demandeurs d’asile le droit au travail dès le dépôt de leur demande, les condamnant ainsi à ce que vous dénoncez parfois comme de « l’assistanat ».

Nous ne pouvons pas accepter le déni du droit à la santé des étrangers que représente la suppression de l’aide médicale de l’État, qui, pourtant, bénéficie à l’ensemble de la population.

En ce qui concerne l’AME, d’ailleurs, nous ne parvenons plus à suivre la position gouvernementale, qui varie selon les jours et les ministres. Le ministre de la santé s’y est dit favorable quand le ministre de l’intérieur s’y est opposé à titre personnel, avant de regretter sa suppression, le soir, à la télévision. Finalement, la Première ministre s’est prononcée pour le maintien de l’AME, sans que le Gouvernement s’oppose finalement à sa suppression au Parlement.

Nous ne pouvons pas accepter non plus l’arrêt de la prise en charge médicale des déboutés du droit d’asile.

Nous condamnons résolument vos atteintes au droit de la nationalité, par l’élargissement de la possibilité de déchoir une personne de sa nationalité et par la restriction du droit du sol.

Nous contestons également les atteintes au droit à une vie familiale que vous avez introduites en durcissant considérablement l’accès au regroupement familial.

Nous fustigeons avec force les multiples atteintes aux libertés et au respect des droits auxquelles vous avez procédé, notamment en portant à trois ans la durée possible d’une assignation à résidence.

Enfin, nous critiquons les restrictions à l’accueil des étudiants étrangers et à l’aide au développement ou à la politique de visas que vous avez adoptées. Par ce vote, vous faites courir le risque d’une dégradation du rayonnement de la France. À cet égard, l’ambassadeur de France au Maroc qualifiait cette politique, hier encore, de « gâchis ».

Ce faisant, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, votre texte reprend consciencieusement les propositions du Front national et de Marine Le Pen sur chaque thème évoqué lors de l’examen de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et RDSE. – Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Votre aile la plus dure a emporté le groupe Les Républicains, avec le soutien du groupe Union Centriste (Exclamations sur les travées du groupe UC.), sur un texte pourtant peu conforme à ses idéaux et avec la complaisance inquiétante non seulement du Gouvernement, mais également du groupe des sénateurs macronistes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et RDSE. – Vives protestations et huées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette dérive se poursuit, comme le désirait le Front national, avec la proposition de loi constitutionnelle de Bruno Retailleau (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) que nous examinerons en séance publique le 12 décembre prochain et qui ne préconise rien de moins que de se soustraire au droit de l’Union européenne, de fixer des quotas d’étrangers par nationalité et d’expulser tout étranger condamné à une peine de prison.

Nous vivons aujourd’hui, mes chers collègues, un moment de clarification de la droite française.

Ce texte, au parcours chaotique, s’achève tel un naufrage pour la droite (Protestations indignées et huées sur les travées du groupe Les Républicains.). Il constitue une rupture non seulement avec notre modèle républicain, mais également avec l’héritage du gaullisme et l’ambition de cohésion que défendait Jacques Chirac. (M. Roger Karoutchi proteste vivement.)

L’un d’entre vous, mesdames, messieurs du groupe Les Républicains, écrivait, il y a dix-huit mois : « Chez Les Républicains […], notre faiblesse a été d’abandonner le terrain au Rassemblement national. […] (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Toute recherche de synthèse avec “l’autre droite” que nous combattons depuis toujours serait contre nature et nécessairement vouée à l’échec. » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Il ajoutait : « Si nous renoncions à la fermeté de nos convictions, nous ne serions plus rien. […] Nous incarnons un idéal […] qui ne saurait être indexé sur les aléas de la vie politique, sinon nous ne serions plus que de simples opportunistes. »

Ces mots sont ceux de Philippe Bas ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)