M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je tiens en préambule à féliciter M. le ministre pour la qualité de ce document. (Sourires.)
M. Michaël Weber. Oh ! Oh !
M. Pascal Savoldelli. Une telle qualité se faisait plutôt rare ces dernières années. Or vous nous présentez un plan budgétaire et structurel à moyen terme suffisamment complet pour nourrir un débat éclairé.
Sur le fond, en revanche, l’autosatisfaction du Gouvernement est de rigueur, pour ne pas dire d’austérité (Sourires.), et ce dès les premières lignes : « Les réformes menées ces dernières années pour répondre aux défis structurels de la France portent leurs fruits en ayant amélioré l’attractivité de la France, la compétitivité de nos entreprises, et soutenu le dynamisme sur le marché du travail et nos performances à l’exportation. Les crises mondiales successives ont mis en lumière la capacité de résilience de l’économie française […]. »
Cette autosatisfaction de l’exécutif est une constante : elle consiste à se réfugier derrière les crises – certaines sont bien réelles, d’autres quelque peu fantasmées –, afin de dissimuler des choix politiques qui sont tragiques pour nos finances publiques.
Je m’arrêterai un instant, monsieur le ministre, sur les résultats que vous revendiquez en matière de politique industrielle à grand renfort de communication.
La France – croyez bien que les communistes le regrettent – n’est plus un pays industriel. Si l’on se réfère à la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB, notre pays occupe, avec un taux de 13,4 %, la vingt-quatrième place sur vingt-sept en Europe. Seuls Malte, Chypre et le Luxembourg sont derrière nous.
La part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée est passée de 15 % en 1995 à 10 % en 2017 puis à 9,5 % en 2022.
En 2017, les emplois industriels représentaient 20 % de l’emploi total ; ils n’en représentaient plus que 19 % en 2022. Seuls 5 % des emplois créés depuis 2017, soit 101 600 emplois, sont des emplois industriels.
La moyenne annuelle de notre production industrielle a diminué de 4,66 %, tous secteurs industriels confondus, par rapport à 2015.
Pire encore, si le nombre d’emplois dans l’énergie dite verte augmente, 70,4 % des sous-divisions de l’Insee correspondant à une activité industrielle ont vu le nombre des emplois diminuer entre 2017 et 2022.
Certes, pour 2022 et 2023, vous avancez le chiffre de 377 créations nettes d’entreprises productives. Ces entreprises sont toutefois cantonnées à quelques secteurs d’activité et sont faiblement pourvoyeuses d’emplois.
Voilà la réalité des chiffres. Elle est à mettre en regard des dépenses consenties au nom de la prétendue compétitivité et de la politique de l’offre.
Au total, les baisses de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production, ainsi que les baisses de cotisations sociales sur les salaires – notamment via le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – s’élèvent, hors niches fiscales, à 52,9 milliards d’euros chaque année depuis le début du quinquennat du président Emmanuel Macron. Et elles sont pérennes !
Permettez-moi de citer de nouveau un court passage de votre document, monsieur le ministre : « Ces efforts se matérialisent aujourd’hui, en témoignent la dynamique de réindustrialisation en cours et l’attractivité renouvelée de l’économie française pour les investisseurs étrangers. »
Parlons vrai : il est temps de cesser de brader notre souveraineté et notre modèle social à grand renfort de cadeaux fiscaux. En supposant que toutes les baisses d’impôts et de cotisations décidées par le Gouvernement le soient dans le but de créer des emplois dans l’industrie, la création d’un emploi coûte 406 923 euros aux finances publiques !
Admettez-le, les résultats sont mauvais ! Et puis, le capital est subventionné, voire assisté ! (Sourires.)
Alors que certains secteurs comme le luxe, avec des groupes tels que LVMH, Chanel ou Kering, ont pleinement profité de la mondialisation et renforcé leur position au sein du capitalisme français, l’industrie a connu, de son côté, un effondrement spectaculaire, conséquence directe de la désindustrialisation qu’ont favorisée les gouvernements successifs. En un peu plus de vingt ans, la part de l’industrie dans l’économie française, hors agroalimentaire, est passée de 33 % à seulement 14 %.
Pour rattraper son retard, l’Union européenne devra engager des investissements massifs et sans précédent. Mario Draghi estime ainsi que l’Europe devra emprunter 800 milliards d’euros aux marchés financiers. Évidemment, ce sont ces mêmes marchés qui définiront les taux – pourquoi s’embêter ? – et qui, ainsi, renforceront leur emprise sur les économies des États européens, dont la France.
À côté de la fable industrielle, il y a la fable budgétaire, celle qui nous enjoint de réduire notre déficit public à hauteur de 5 % du PIB dès 2025.
S’il est vrai que le pacte de stabilité et de croissance contraint la France et pèse sur ses choix budgétaires, en altérant – au passage – sa souveraineté, il faut savoir que Bruxelles n’appelle qu’à une réduction de 0,5 point de notre solde structurel, quand le Gouvernement souhaite un effort structurel plus de deux fois supérieur, équivalent à 1,2 point de PIB.
Une telle violence n’est pas prescrite par le médecin européen : l’ordonnance émane de votre gouvernement, monsieur le ministre. Ce zèle n’appelle pas seulement un effort sans précédent ; il provoquera une hémorragie inédite et injustifiée, au point que je ne suis pas sûr que le pays se relèvera de ces coups de boutoir.
Le Gouvernement, quant à lui, recourt à une formule de communication visiblement travaillée, puisqu’il évoque un « effort partagé ». (MM. Jean-Raymond Hugonet et Stéphane Le Rudulier s’en amusent.) J’admets que c’est une formule assez tendre et compatissante, voire unitaire, mais force est de constater que, pour l’heure, ce sont les classes populaires, les classes moyennes et les collectivités territoriales qui sont le plus largement mises à contribution pour redresser les finances publiques.
Monsieur le ministre, vous pourrez compter sur la détermination du groupe communiste pour faire changer les choses lors de la discussion du prochain projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage le constat de mon collègue Pascal Savoldelli : le plan du Gouvernement est très bien documenté, du moins jusqu’en 2025…
Mais ensuite ? Vacuité, voilà le terme adéquat pour évoquer ce document de plus de deux cents pages, dont quelques-unes seulement comportent réellement des éléments relatifs à la trajectoire pluriannuelle de nos finances publiques pour la période 2025-2029.
Vos projections ne sont au mieux, monsieur le ministre, qu’une littérature floue, notamment en ce qui concerne les perspectives de croissance ou les réformes à conduire à compter de 2026. Cela méritait d’être dénoncé à la tribune du Sénat.
Le Haut Conseil des finances publiques l’a lui-même reconnu en des termes certes plus diplomatiques. Bref, il n’y a dans ce document rien de clair sur le devenir des comptes de la Nation ni sur les réformes à conduire.
C’est d’autant plus fâcheux que cet exercice qui consiste à débattre de la trajectoire financière de notre pays pourrait être utile, au moment où l’on ne parvient plus à se parler ni à bâtir un horizon commun.
Les lois de programmation pluriannuelle sont des outils de mise en perspective pensés par les pères de la loi organique relative aux lois de finances et par l’Europe. Or vous décrédibilisez l’exercice, monsieur le ministre, en ajoutant du discrédit à celui dont souffrent déjà la LPFP et le programme de stabilité.
Pour rappel, la LPFP, votée en décembre 2023, est devenue caduque un mois après son adoption ; le programme de stabilité 2024-2027, débattu en avril 2024, l’a été dès l’été.
Au-delà de la faiblesse des informations fournies dans le PSMT, un élément à lui seul témoigne de la caducité de ce qui nous est soumis : les perspectives d’évolution de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Alors même que tout est fait aujourd’hui pour faire évoluer les véhicules individuels et les chaudières, vous prévoyez en effet une hausse d’un milliard d’euros du produit de cette taxe.
Certes, une partie de cette augmentation découle de la reprise de fonds affectés à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) mais, à l’heure où la Chine connaît un ralentissement sans précédent et amorce une transformation significative de son parc automobile, les observateurs – au premier rang desquels la Banque mondiale – estiment que, de la hausse de 1,2 milliard de barils des capacités de production pétrolière, il devrait résulter une baisse de 10 % du prix du pétrole.
Comment pouvez-vous, dans ce contexte d’électrification du parc automobile et de baisse des prix, prévoir une hausse des recettes de la TICPE ? La transition écologique s’impose à nous : elle implique une mutation de notre système fiscal, y compris parce qu’elle aura des effets sur l’assiette de certains impôts.
Votre majorité, qui réunit libéraux et conservateurs, a certes cessé de promouvoir la stabilité fiscale – un slogan cher au Président de la République –, mais force est de reconnaître qu’après avoir baissé les impôts de 62 milliards d’euros vous n’aviez pas d’autre solution que de les augmenter.
En l’absence de réformes de notre infrastructure fiscale, vous ne ferez toutefois qu’ajouter de la gravité à la gravité ; vous creuserez les inégalités et détruirez encore davantage la cohésion nationale dans une France inadaptée au réchauffement climatique.
Dans votre document, vous auriez pu évoquer un certain nombre de réformes fiscales. Les entreprises, les citoyens, les acteurs économiques ont besoin, certes, de financements, mais surtout de lisibilité pour s’adapter aux mutations. Ils ont besoin non pas d’un pilotage par à-coups, mais de perspectives.
Les collectivités doivent financer les deux tiers de l’investissement public destiné à favoriser la transition écologique. Or, d’un côté, vous leur demandez de s’endetter pour le faire et, de l’autre, vous le leur reprochez – voire vous les en empêchez, en prenant des mesures qui affectent leur épargne…
Dans un tel contexte, comment ferez-vous pour respecter les engagements que nous avons pris dans le cadre de l’accord de Paris, et que le Gouvernement réaffirme pourtant dans ce document ?
En somme, votre plan, c’est du pur « en même temps » : vous y dites tout et son contraire. Ce document n’est crédible ni pour le parlementaire que je suis, ni pour le Haut Conseil des finances publiques, ni, comme cela a été souligné par mes collègues il y a quelques instants et relevé par la presse ces derniers jours, pour les agences de notation.
Mais il y a plus grave encore, monsieur le ministre : comment voulez-vous, dans ces conditions, que la parole de la France soit entendue ?
La parole de la France, ce n’est pourtant pas rien : bien plus que nos chars Leclerc ou nos canons Caesar, il nous faudra assainir nos finances publiques si nous voulons gagner en crédibilité. Il nous faudra surtout transmettre à nos partenaires européens un plan budgétaire sérieux, qui ne devienne pas caduc un mois après sa présentation.
La crédibilité et la confiance supposent le respect d’autrui. Or, avec le document que vous nous soumettez, vous frôlez l’insincérité.
Par manque de crédibilité, la France perd en influence. Nous avons pourtant besoin que notre pays soit respecté pour faire évoluer les règles européennes. Monsieur le ministre, prenez-vous l’engagement de faire voter une loi de programmation des finances publiques rectificative ?
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont souligné les précédents orateurs, on nous a tout de même trompés !
Pendant sept longues années, monsieur le ministre, nous avons entendu votre prédécesseur nous dire que tout allait bien, qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, et que nous pourrions bientôt ramener notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB, voire approcher les 60 % d’endettement.
Cela n’a pas été le cas. En mars dernier déjà, l’excellent rapporteur général de notre commission des finances évoquait, s’agissant du programme de stabilité 2024-2027, « une dérive budgétaire annoncée ». Il formulait alors un certain nombre de propositions que le Gouvernement n’a pas entendues.
Aujourd’hui, on nous présente dans des conditions quelque peu surréalistes un document fort volumineux. Est-il tout à fait achevé ? Le dialogue avec notre commission des finances est-il finalisé ? Je l’ignore.
En tout état de cause, ce plan exige davantage de la part des Français que ce qu’induisent les contraintes budgétaires européennes. On nous demande de prendre part à une course de vitesse lestés d’une lourde charge sur le dos…
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne partage pas certains des points de vue que je viens d’entendre, celui du ministre, naturellement, au premier chef, mais également celui de mes collègues qui considèrent que nous n’en faisons pas assez.
En marge de la dernière réunion de la commission des finances, mon collègue Vincent Delahaye, qui vient du reste de faire un excellent discours, fidèle à sa ligne politique, me reprochait le manque de pertinence de mon analyse, au motif que, selon lui, le PSMT n’est pas « austéritaire ».
M. Vincent Delahaye. En effet, il ne l’est pas !
M. Victorin Lurel. Or j’ai beau le lire et le relire : ce plan est terriblement austéritaire, je dirai même substantiellement, significativement austéritaire ! L’austérité est au cœur du projet qui nous est soumis ; c’est une évidence et cela a été, me semble-t-il, très largement démontré.
Le Haut Conseil des finances publiques lui-même n’a pas pu se prononcer avec assurance sur ce document, compte tenu des approximations et de l’incertitude qui l’entourent.
Vos prévisions en matière de croissance, votre hypothèse concernant une réduction du déficit de la balance commerciale et de la balance des paiements, celle d’une reprise de la consommation des ménages qui résulterait d’une hausse du pouvoir d’achat des Français, ne sont en effet, monsieur le ministre, que pure spéculation.
Ma boule de cristal est peut-être aussi fêlée que la vôtre, mais il n’est qu’à voir l’environnement économique international et européen pour douter de vos projections. Nous faisons face à un véritable mur de financement qu’il va nous falloir franchir.
Force est toutefois de reconnaître un certain courage à ce gouvernement, puisqu’il réclame aux Français un effort considérable, équivalent à 1,4 point de PIB, et ce dès 2025. L’Europe n’en exigeait pas tant !
En agissant ainsi, vous escomptez trois avantages. Premièrement, vous pariez sur le fait qu’en sortant au plus vite de la procédure de déficit excessif dont elle fait l’objet la France aura moins d’efforts à fournir sur la période 2029-2031. C’est un faux calcul : un effort considérable de 0,6 point, voire de 0,78 point de PIB restera nécessaire au titre de l’ajustement structurel primaire et de l’indispensable réduction de notre endettement.
Deuxièmement, en demandant cet important effort aux Français, vous cherchez à rétablir notre crédibilité budgétaire et la confiance dans notre pays et, peut-être, à faire plaisir aux agences de notation.
Troisièmement, vous pensez engranger quelques dividendes et constituer des réserves pour anticiper une crise à venir.
Cela peut se défendre, mais pourquoi vouloir aller aussi vite ? Ne peut-on pas demander le même effort, mais à un autre rythme, en faisant en sorte qu’il soit plus équitable et mieux ciblé ? Vous, vous préférez demander beaucoup dès le départ, au risque de provoquer un repli qui aura des effets récessifs, et même austéritaires – je le dis à l’intention de mon collègue Delahaye.
Ce risque est documenté et étayé par de nombreux instituts, qu’il s’agisse du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) par la voix de Mme Delatte, que nous avons auditionnée, de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), de l’institut Avant-garde, ou encore de l’institut Bruegel.
Selon les économistes, les effets induits par le plan du Gouvernement seraient considérables. Ainsi, une économie de 10 milliards d’euros entraînerait une telle baisse de l’activité économique que notre déficit primaire ne baisserait en réalité que de 5,6 milliards d’euros, tandis que 15 000 emplois seraient supprimés. Et encore, il faudrait calculer le coût social de l’austérité que vous imposez.
Le même effort pourrait être mieux réparti pour répondre à un impératif de justice fiscale.
M. le président. Il faut conclure !
M. Victorin Lurel. C’est tout le sens du contre-budget que le groupe socialiste vous présentera lors du prochain débat budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Grégory Blanc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat pour l’organisation de ce débat, qui porte sur un champ très vaste et qui nous permettra, notamment, d’évoquer nos trois fonctions publiques – fonction publique d’État, territoriale et hospitalière –, dont les problématiques sont étroitement liées.
Les masses financières dont nous parlons sont considérables, qu’il s’agisse du budget de la sécurité sociale ou de celui de l’État. Ces budgets sont comparables, puisqu’ils dépassent tous deux allégrement les 800 milliards d’euros, mais le déficit du régime général de la sécurité sociale est beaucoup plus faible que celui de l’État, puisqu’il s’établit à un peu moins de 20 milliards d’euros.
Voilà cinquante ans que la France n’a pas connu une situation d’excédent budgétaire. Depuis 1974, l’État oublie de se comporter en bon gestionnaire. Sur les quinze dernières années, les exercices 2018 et 2019 ont été les seuls au cours desquels notre déficit est passé sous la barre des 3 %. Chaque Français qui naît aujourd’hui hérite d’une dette de l’ordre de 44 000 euros.
Depuis un demi-siècle, nous avons perdu le sens de la dépense publique et les gouvernements, les uns après les autres, ont oublié collectivement qu’une bonne gestion publique doit s’inspirer du bon sens.
Nous sommes désormais à un tournant essentiel de notre stratégie budgétaire. Le redressement des finances publiques n’est plus une option, mais une absolue nécessité.
Le plan budgétaire et structurel à moyen terme qui nous est présenté incarne une volonté de transformation et de résilience. Pour en garantir le succès, un impératif s’impose : la dynamique de notre dépense publique ne peut pas excéder celle de nos recettes publiques.
Le bon sens impose d’abord d’équilibrer ces dépenses et ces recettes, comme tentent de le faire chaque jour nos concitoyens.
Imagine-t-on une seule seconde nos compatriotes se comporter comme le fait l’État ? Pensez-vous vraiment, mes chers collègues, qu’un foyer préférera emprunter pour financer son train de vie plutôt que d’investir dans son logement, alors qu’il en aurait les moyens ?
Bien sûr, les coups durs et les aléas de la vie peuvent justifier de s’endetter à très court terme, mais aucun père, aucune mère de famille, ne se comporte ainsi dans la durée.
Équilibrer ses comptes et emprunter pour investir : voilà le comportement habituel de chaque Français. Tel est le bon sens que l’État a abandonné au cours des dernières décennies.
En effet, celui-ci emprunte pour financer son fonctionnement au quotidien et sacrifie, au passage, les investissements d’avenir. En d’autres termes, nous aliénons l’avenir de nos enfants pour payer les errements du passé.
Cette addiction à la dépense publique crée un cercle vicieux : nous empruntons toujours plus pour rembourser les dettes précédentes, tout en continuant à dépenser plus que nous gagnons. Résultat : nous empruntons pour rembourser nos emprunts.
En voulant tout faire, tout le temps, l’État oublie de se concentrer sur ses missions les plus importantes. Nombre de concitoyens estiment ainsi que les services publics auxquels ils ont accès ne sont pas au niveau des impôts qu’ils paient.
Les missions que les Français attendent de l’État sont multiples : celles qui touchent au régalien d’abord, avec la justice, la sécurité, l’armée et l’éducation de nos enfants ; celles qui garantissent la pérennité de notre modèle social, ensuite, avec une santé accessible à tous, des retraites pour nos aînés et une protection pour les plus fragiles d’entre nous ; celles, enfin, qui contribuent aux investissements dans nos infrastructures, notamment dans la nécessaire transition écologique et dans les technologies qui contribuent au progrès humain.
Cet équilibre dans la gestion des finances publiques n’est pas un idéal inaccessible. Treize des vingt-sept pays de l’Union européenne, soit près de la moitié d’entre eux, ont affiché un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2023. Les Pays-Bas sont presque à l’équilibre, et trois États – Chypre, l’Irlande et le Portugal – dégagent même un excédent budgétaire.
Vous comprenez, mes chers collègues, qu’il y va de l’image de la France. Dans ces conditions, ces pays peuvent regarder leur avenir avec sérénité, quand nous regardons la fin du mois la ceinture à la main, mais sans trous supplémentaires pour la serrer…
Ce plan budgétaire et structurel à moyen terme vise à remettre la France sur les rails de son histoire. En se fixant comme objectif de ramener le déficit sous les 3 % du PIB en 2029, le Gouvernement souhaite insuffler du bon sens dans sa gestion des finances publiques. Il tourne ainsi le dos, progressivement, à cinquante années de déficit non maîtrisé.
La revue des dépenses annoncée par le Gouvernement permettra, à condition d’être suffisamment ambitieuse – nous y veillerons, monsieur le ministre –, de renforcer les bonnes dépenses publiques et d’alléger l’État de celles qui ne le sont pas.
Nous ferons ainsi en sorte que chaque euro d’impôt, de taxe, de cotisation ou de prélèvement, fruit du travail des Français et des Françaises, soit pleinement utilisé au service de leur bien-être.
M. le président. Il faut conclure !
M. Marc Laménie. C’est uniquement de cette manière que nous pourrons, nous aussi, regarder notre avenir avec sérénité, et emprunter pour investir là où sont les besoins. Et ils sont nombreux ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la gouvernance économique européenne, adoptée en avril 2024, prévoit que le Gouvernement transmette cet automne à la Commission européenne un plan budgétaire et structurel à moyen terme visant, notamment, à placer la dette publique sur une trajectoire soutenable.
Une trajectoire soutenable… Après les échanges que nous avons eus dans cet hémicycle depuis quelques mois, j’hésite à convoquer Molière, ou bien le plus grand d’entre tous les sénateurs, Victor Hugo.
Le Premier aurait pu dire : « Ah, qu’en termes galants, ces choses-là sont mises ! ». Mais j’ai bien peur que le second eût dit : « Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon de servir… ». Vous connaissez la suite !
On n’emploie malheureusement plus cette langue, mais la comédie des mots demeure un exercice d’actualité, ce document en fournissant une preuve tangible.
Alors qu’avec mes collègues membres de la commission des finances nous nous évertuons à réfléchir à la répartition la plus équitable possible des 60 milliards d’euros d’économies qui doivent permettre d’inverser les effets délétères de sept années d’incurie budgétaire, je ne vous cacherai pas que l’exercice auquel nous nous livrons ce soir relève de la boule de cristal ou du bonneteau, selon que vous préférez la caravane ou le parapluie. (Sourires.)
En effet, comment apprécier le réalisme de la trajectoire pluriannuelle figurant dans ce PSMT ? Sans mauvais jeu de mots, quel crédit peut-on apporter à ce document, alors que les facteurs de la croissance au-delà de 2025, tout comme les hypothèses sur lesquelles il repose concernant les revenus des ménages et des entreprises, ne sont absolument pas détaillés ?
Quels sont les réformes et les investissements que notre pays s’engagerait à mettre en œuvre pour bénéficier d’une extension de quatre ans à sept ans de la période d’ajustement budgétaire ?
Comment la France entend-elle réduire son déficit public à l’horizon 2029 ? Faut-il croire en l’amorce d’une décrue du ratio de la dette par rapport au PIB en 2028, alors que l’on connaît l’incertitude qui entoure les prévisions en matière de déficit public ?
Il est indispensable de disposer des réponses à ces questions pour apprécier le réalisme de la fameuse trajectoire.
Certes, me direz-vous, l’évaluation de la croissance potentielle, ainsi que le nouveau scénario d’évolution du produit intérieur brut potentiel sont désormais raisonnables. De même, on peut admettre qu’en décalant de deux ans la date prévue pour le retour du déficit sous le seuil des 3 % du PIB – elle passe de 2027 dans le programme de stabilité à 2029 dans le PSMT –, le Gouvernement gagne en crédibilité, ce que je tiens à saluer.
Cela étant, ce PSMT, qui est le premier de son genre, nous montre à quel point la technostructure, sous l’ardente férule des ronds-de-cuir bruxellois, rivalise d’ingéniosité pour tenter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !
La réalité crue, c’est que l’évolution de la dette est plus que préoccupante.
La réalité crue, c’est que l’annonce d’une amorce de la décrue du ratio de dette en 2028 est affectée par l’incertitude qui entoure les prévisions en matière de déficit public.
La réalité crue, c’est que la France va demeurer, avec la Grèce et l’Italie, le plus mauvais élève de l’Union européenne.
La réalité crue, c’est que, sous l’effet de la remontée des taux, la charge des intérêts de la dette de l’État devrait s’élever à 46,3 milliards d’euros en 2024 et à 72,3 milliards d’euros en 2027, alors qu’elle était de 39 milliards d’euros en 2023.
La réalité crue, c’est que la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu payé par les contribuables français ne servira plus qu’à rembourser les intérêts de la dette.
La réalité crue, c’est que les marges de manœuvre pour faire face à un choc conjoncturel qui surviendrait dans les années à venir sont extrêmement réduites.
La réalité crue, enfin, c’est que la soutenabilité à moyen terme des finances publiques appelle des efforts immédiats et soutenus dans la durée. Dans ce domaine, l’indicateur de dépenses primaires nettes est un élément central et incontournable du PSMT.
Non seulement la France devra impérativement respecter la trajectoire de son plan budgétaire et structurel à moyen terme, tout en continuant de financer les investissements prioritaires, mais elle devra, dans le même temps, veiller à ne pas affecter son potentiel de croissance. Et ça, c’est une autre histoire !
Mes chers collègues, charité bien ordonnée commence par soi-même : je vais donc, pour ma part, commencer par économiser le temps de parole à cette tribune, afin de préserver nos nerfs et de ne pas attenter à notre insondable dynamisme, alors même que nous entrons de plain-pied dans un tunnel budgétaire qui s’annonce pour le moins particulier cette année.
Monsieur le ministre, nous travaillerons sérieusement à vos côtés pour dégager des économies ; encore faudrait-il qu’elles soient justes et équitables pour notre pays, qui ne peut plus supporter la langue de bois ni – je n’emploierai pas le terme de « mensonges » – l’insincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)