M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat sur ce texte intervient après un déchaînement d’intempéries en France et en Europe centrale ces derniers mois. L’Espagne, à qui nous pensons en ce moment, a subi ces derniers jours des inondations d’une ampleur dramatique, entraînant des centaines de morts et de disparus.

La fréquence et l’intensité de ces phénomènes naturels s’accentuent du fait du dérèglement climatique. Or la lutte contre ce dernier est indissociable de la lutte pour la protection de l’océan.

Ce texte porte sur la protection des zones maritimes situées en dehors des zones économiques exclusives et sur le plateau continental des États côtiers. Il permet ainsi de compléter le cadre juridique de la gouvernance océanique établi par la convention des Nations unies sur le droit de la mer adoptée en 1982 et vise une plus grande protection des océans.

L’accord réglemente notamment l’accès aux ressources génétiques marines et le partage des bénéfices dérivés de leur utilisation, ce qui bénéficie aux pays en développement. Il fixe les modalités de réalisation des études d’impact environnemental. Je tiens à saluer ce texte qui, selon nous, va dans le bon sens en permettant la mise en place d’un meilleur cadre pour le droit de la mer.

Toutefois, quelques manques sont à déplorer.

Tout d’abord, si le traité assure une base juridique solide pour la protection de certaines aires marines protégées, seul un tiers des aires marines dans le monde sont protégées efficacement, je le rappelle, tandis que seulement 1,6 % des eaux françaises sont sous régime de protection intégrale ou haute.

En effet, la grande majorité des aires marines protégées françaises restent ouvertes à des activités destructrices pour les écosystèmes, au premier rang desquelles figure la pêche industrielle, notamment le chalutage de fond, qui constitue la première cause de destruction de l’océan.

Par ailleurs, nous pensons que ce texte aurait gagné en efficacité s’il avait été centré sur les aires marines à forte protection.

En outre, nous regrettons l’absence de mention, concernant le déclin de la bonne santé de la haute mer, de la notion de « préoccupation commune de l’humanité ». Celle-ci est apparue officiellement pour la première fois dans la résolution 43/53 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui a reconnu en 1988 que « le changement climatique [était] une préoccupation commune à l’humanité ».

Cette notion a deux implications juridiques concrètes.

D’une part, elle implique que les problèmes qui sont apparus au cours de l’histoire et qui ont des répercussions sur l’avenir peuvent être résolus non par un État seul, mais par une coopération renforcée entre tous les États afin de trouver une solution commune.

D’autre part, en faisant référence aux problèmes ou aux crises qui transcendent les juridictions et peuvent survenir à l’intérieur ou à l’extérieur d’un territoire souverain, cette notion implique que les États doivent tenir compte de leurs obligations sur leur territoire et en être pleinement conscients.

Malgré tout, nous considérons, dans l’ensemble, que l’accord va dans le bon sens en posant les jalons d’une coopération internationale renforcée pour la préservation de l’environnement et pour la mise en commun des avancées scientifiques. Le groupe CRCE-K votera donc ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Patricia Schillinger et M. Guillaume Gontard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. « Même si vous n’avez jamais la chance de voir ou de toucher l’océan, il vous touche à chaque fois que vous respirez, à chaque goutte d’eau que vous buvez, à chaque bouchée que vous consommez. Tout le monde, partout, est inextricablement lié à l’existence de la mer et en dépend totalement ». Ainsi s’exprimait la formidable océanographe étasunienne, Sylvia Earle, dans un ouvrage dont le titre, traduit en français, dit tout de notre débat d’aujourd’hui : Le monde est bleu - Notre destinée et celle de locéan ne font quune.

Malheureusement, 66 % des milieux marins sont détériorés par la pollution, par la surpêche et par l’acidification induite par le réchauffement climatique.

Malheureusement, un tiers des récifs coralliens, un tiers des mammifères marins, 40 % des amphibiens et 27 % des crustacés sont directement menacés et, avec eux, toute la chaîne alimentaire planétaire.

Protéger nos océans n’est pas une œuvre philanthropique : c’est une condition sine qua non de notre survie en tant qu’espèce. Aussi, nous accueillons avec soulagement l’accord des Nations unies sur la biodiversité en haute mer dont l’approbation de la ratification est aujourd’hui soumise à notre assemblée. Nous remercions le groupe socialiste d’avoir permis cet échange sur ce texte historique.

Nous pouvons mettre au crédit du Président de la République et de la présidence française de l’Union européenne l’accouchement, après près de vingt ans de négociations internationales, de cet accord visant à doter les eaux internationales d’un cadre juridique solide et protecteur de la biodiversité.

Je ne reviens pas sur tout ce qui a été présenté avant moi, mais je salue la possibilité qu’offre cet accord de créer des aires marines protégées en haute mer. La future conférence des parties qui sera chargée de donner vie à ce traité pourra, en coordination avec les autres autorités internationales chargées de la navigation, de la pêche et de l’activité minière, encadrer fortement les activités humaines. Cela est d’autant plus intéressant que le consensus ne sera pas toujours la règle pour trouver un accord ; la majorité qualifiée pourra s’y substituer.

Nous approuvons les autres piliers de l’accord, notamment le renforcement des études d’impact environnemental, le partage des données génétiques extraites de l’océan pour limiter les prélèvements, le partage de technologies entre le Nord et le Sud.

Nous voterons naturellement en faveur de la ratification de cet accord, dont nous souhaitons l’entrée en vigueur le plus rapidement possible. Nous comptant à cet égard sur notre diplomatie.

Pour finir sur une note plus exigeante et aller au-delà du succès diplomatique incontestable, nous appelons le Gouvernement à passer aux actes. La France métropolitaine protège moins de 0,1 % de ses eaux, selon les critères scientifiques internationaux. Or cette incapacité à suivre les recommandations scientifiques a des conséquences très concrètes.

Les méthodes de pêche destructrices ont lieu dans 86 % des aires maritimes européennes protégées. La Grèce et la Suède ont annoncé l’interdiction du chalutage des fonds dans toutes leurs aires marines protégées d’ici à 2030. La France doit impérativement suivre cet exemple. Elle doit également interdire aux navires-usines de venir ravager ses côtes et de mettre ainsi sur la paille notre pêche artisanale. Elle doit préparer la transition écologique et sociale du secteur de la pêche.

Monsieur le ministre chargé de la mer et de la pêche, alors que le Gouvernement avait pris position en mai dernier contre le plus grand chalutier pélagique du monde, l’Annelies Llena, long de 145 mètres, des ONG annoncent que vous seriez en train d’œuvrer pour que ce navire-usine monstrueux puisse finalement bénéficier d’un quota de pêche français. Pourriez-vous nous rassurer, rassurer nos pêcheurs et nos concitoyens, attachés à la protection de la biodiversité, pour qui une telle décision serait aussi incompréhensible qu’indéfendable ?

Enfin, ce propos sur la défense de la biodiversité marine ne serait pas complet sans un mot pour l’un de ses plus grands défenseurs. Nous demandons, messieurs les ministres, que le gouvernement français accorde l’asile politique et la nationalité française à Paul Watson. La place d’un défenseur des baleines n’est pas en prison. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de céder la parole à M. le ministre délégué chargé de la mer et de la pêche, je tiens à dire quelques mots, d’abord pour remercier André Guiol pour son rapport. Si M. le rapporteur connaît bien la Méditerranée, il maîtrise aussi parfaitement, de toute évidence, la question des océans au sens large.

Je souhaite à présent apporter quelques réponses aux différents orateurs.

J’évoquerai tout d’abord la question de la mobilisation des autres pays, qui a été soulevée par Michael Weber, Hugues Saury, Teva Rohfritsch et Édouard Courtial. Il est vrai que, à ce jour, quatorze pays signataires ont ratifié la convention. La France sera peut-être bientôt le quinzième, devenant ainsi le premier pays de l’Union européenne, du G7 et du G20 à le ratifier. Il nous faut atteindre les soixante, et si possible bien avant la conférence de Nice sur les océans.

C’est pourquoi, sur le fondement du projet de loi autorisant la ratification que vous avez entre les mains, nous partirons, avec le Président de la République, l’ambassadeur chargé des pôles et des enjeux maritimes, Olivier Poivre d’Arvor, et tout notre réseau diplomatique à la conquête du plus grand nombre de ratifications possible.

Cependant, je veux vous rassurer : si seuls quinze pays ont ratifié cet accord, une cinquantaine d’autres ont d’ores et déjà entamé les travaux menant à une ratification. Nous restons donc raisonnablement optimistes. Nous allons nous consacrer très ardemment dans les semaines et mois qui viennent à atteindre l’objectif de soixante ratifications.

Madame Jouve, vous avez évoqué les moyens budgétaires. Je vous rappelle qu’il vous appartient de les fixer (Sourires.), mais je veux aussi vous rassurer : vouloir faire de la conférence de Nice pour les océans l’équivalent de ce que l’accord de Paris a été pour le climat signifie que nous devons faire preuve d’une certaine ambition budgétaire. Nous avons ainsi veillé à ce que la part de l’État soit préservée, malgré les efforts budgétaires qui ont été demandés à notre ministère. Cela étant dit, d’autres acteurs, notamment les collectivités, vont eux aussi apporter leur contribution.

En parallèle de ces fonds publics, nous allons mobiliser des fonds privés qui permettront à ce moment important que sera la conférence de Nice d’être accessible au plus grand nombre. Ces financements privés permettront d’étendre la zone verte, c’est-à-dire la zone accessible au grand public. Nous attendons ainsi de cet événement qu’il soit un grand moment de pédagogie pour tout le monde.

Monsieur Médevielle, vous nous avez interrogés sur la propriété intellectuelle. Soyez rassuré, ces questions seront réservées à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), de manière à ne pas empiéter sur ses prérogatives. S’il y a des sujets qui soulèvent des inquiétudes, il ne faut pas hésiter à nous en faire part.

Je laisserai le ministre chargé de la mer et de la pêche répondre aux questions légitimes qu’ont posé MM. Corbisez, Gontard et Weber sur le degré de protection des océans dans les aires marines protégées françaises.

En revanche, je dois vous dire que le taux de 1,6 % que les uns et les autres ont cité ne nous semble pas correspondre à la part des espaces français aujourd’hui protégés au titre de la haute protection. M. le ministre délégué en parlera, mais ce taux se situerait plutôt aux alentours de 5 %.

Enfin, je ne m’attarderai pas aujourd’hui sur la situation de Paul Watson, mais sachez que nous travaillons activement à identifier les possibilités offertes à la France. Il appartiendra, le moment venu, aux plus hautes autorités de prendre une décision, mais, vous le savez, la France partage sa cause, qui est noble et juste. La décision que vous vous apprêtez à prendre, après la mobilisation du Gouvernement pour faire aboutir cette ratification, en témoigne.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Fabrice Loher, ministre délégué auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargé de la mer et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en présence de l’ambassadeur des pôles, je veux à mon tour saluer le rapporteur de votre commission des affaires étrangères et exprimer ma fierté de voir la France ratifier ce traité, dit BBNJ, par le vote qui interviendra, je l’espère, dans quelques instants. Cette ratification marquera l’ambition de la France de porter une politique maritime protectrice et durable.

Je souhaite également répondre plus précisément à deux questions qui ont été posées lors de la discussion générale.

J’évoquerai tout d’abord l’Annelies Ilena, ce navire de haute mer à qui d’aucuns prétendent que j’aurais transféré des quotas de pêche aujourd’hui attribués au Joseph Roty, lequel est toujours dans le port de Saint-Malo. J’ai été surpris de la diffusion de cette information.

Je démens clairement l’information diffusée par une ONG bien connue et reprise dans la presse ou sur les réseaux sociaux : aucune décision de transfert de quotas n’a été prise à ce jour, tout simplement parce que je n’ai à aucun moment rencontré les dirigeants de la Compagnie des pêches Saint-Malo.

En ce qui concerne les aires marines protégées, sur lesquelles Michaël Weber s’est interrogé, je dis très clairement qu’il n’y a aucune contradiction entre les engagements que nous allons prendre dans le cadre du traité BBNJ et ceux que la France porte à l’échelon national. La position de la France est claire et limpide, sa stratégie nationale pour la mer et le littoral reposant sur deux piliers.

D’une part, nous misons sur le développement des activités humaines maritimes durables, dont je rappelle qu’elles sont source de milliers d’emplois et de valeur ajoutée dans l’ensemble de nos territoires. C’est notamment le cas de la pêche, dans une acception évidemment durable.

D’autre part, nous nous engageons pour la protection de l’océan, la préservation de la biodiversité marine et dans la lutte contre le réchauffement de l’eau. Cependant, j’y insiste, les aires marines protégées ne sont pas, par définition, des aires marines d’interdiction.

Nous adoptons une position pragmatique, exigeante. Cela signifie que nous analysons au cas par cas l’impact des activités humaines, en l’occurrence le plus souvent la pêche, sur l’environnement. Là où la pression sur l’environnement est manifeste et pose problème, nous pouvons réguler et nous pouvons même aller jusqu’à interdire. Là où cette pression est faible, nous pouvons autoriser, parfois sous conditions. Telle est la position française.

Nous avons le devoir de protéger nos pêcheries, une économie territoriale qui garantit des milliers d’emplois et contribue à notre souveraineté alimentaire. L’objectif du Gouvernement est d’accompagner les professionnels, en faisant éventuellement évoluer les techniques de pêche. Par exemple, la pression des panneaux des chaluts peut être limitée grâce à des modifications de leur utilisation. Tel est l’objet du projet Jumper porté par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).

Pour conclure, je rappellerai un chiffre très simple : près de 80 % des produits de la mer consommés en France sont importés. Est-ce que nous voulons encore dégrader ce ratio ? Si tel devait être le cas, je pense que nous n’agirions pas bien pour l’environnement. Nous devons nous poser cette question.

Faisons donc attention aux discours systématiques ; choisissons la voie de l’équilibre, c’est-à-dire la voie de la pertinence, en ne perdant pas de vue, évidemment, l’objectif de protection que nous partageons tous à l’aube de 2025, qui sera l’année de la mer.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord se rapportant à la convention des nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale
Article unique (fin)

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, adopté au siège des Nations unies le 19 juin 2023 et signé à New York le 20 septembre 2023, dont le texte est annexé à la présente loi.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.

Personne ne demande la parole ?

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires étrangères.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 340

Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale
 

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Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes
Article 1er A (nouveau)

Individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, présentée par Mme Marie Mercier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 756 [2023-2024], texte de la commission n° 99, rapport n° 98).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie Mercier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à Caen, j’avais la chance de croiser régulièrement un grand historien et érudit, Pierre Chaunu. Il n’était pas très facile à lire, mais il est l’auteur de cette phrase : « L’histoire, c’est la démographie ; l’enfant est la ligne de flottaison de la société – l’enfant, dans sa dimension d’individu à éduquer et à protéger. » Cette proposition de loi a justement pour but de mieux protéger les enfants.

Vous avez sans doute été surpris par ce texte, mes chers collègues, lorsque vous en avez pris connaissance : il ne compte que trois articles, qui semblent, à première vue, assez disparates : l’article 1er concerne le changement de nom ; l’article 2, des délits d’extorsion d’images pornographiques ; l’article 3, les chauffeurs de bus…

Tout cela peut donc paraître assez brouillon, mais ces trois articles ont un point commun : le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Ce fichier est un outil qui marche extrêmement bien ; il ne peut être consulté que par les administrations, la police ou la gendarmerie, et ce dans des conditions très encadrées en droit. C’est tout à fait normal : imaginez les dérives si tout le monde pouvait consulter le Fijais !

L’inscription au Fijais est un sujet très sérieux, puisque la personne concernée doit régulièrement « pointer » dans sa commune de résidence. Elle peut rester inscrite dans le fichier pour une durée pouvant atteindre trente ans. Cela fait partie de sa condamnation pénale.

L’article 1er a trait au changement de nom. Lorsque nous avions travaillé sur la proposition de loi de M. Vignal, devenue la loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, on nous avait alertés sur le fait qu’il deviendrait extrêmement simple de changer de nom. Cela peut se comprendre dans certains cas, mais nous avions jugé que l’absence de contrôle pourrait donner lieu à des dérives.

C’est bien ce qui s’est passé dans le cas de Francis Évrard ; ce pédocriminel récidiviste avait évidemment été inscrit au Fijais, mais il a changé de nom en prison : sous son nouveau nom, il n’y était plus inscrit !

Nous avons donc réfléchi aux moyens de corriger cet état de fait. Marc-Philippe Daubresse a tenté de procéder à une correction similaire pour l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), mais ce texte n’a pas prospéré au-delà de notre assemblée.

L’article 2, quant à lui, vise à intégrer à la liste des infractions pouvant donner lieu à une inscription au Fijais deux délits : l’incitation d’un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre un acte sexuel sur lui-même ou avec ou sur un tiers, d’une part, et la sollicitation d’images pornographiques auprès d’un mineur, d’autre part.

L’article 3, enfin, pourrait être dénommé « amendement Émile Louis », du nom de ce sinistre individu qui a violé et assassiné plusieurs jeunes filles dans les années 1970 et 1980. Ce pédocriminel n’a été condamné que bien plus tard.

Émile Louis était chauffeur de bus. Bien loin de nous l’idée de jeter l’opprobre sur cette profession ! Simplement, nous avons été alertés par les opérateurs de transports publics, qui ne savent pas comment savoir si un chauffeur ne peut pas être en contact avec des enfants. Lors de son embauche, il présente évidemment son permis de conduire, mais rien de plus !

Cet article vise donc à corriger cet état de fait et à faire en sorte que seuls des individus ayant l’honorabilité requise puissent exercer cette profession et être au contact d’enfants. À titre d’exemple, dans mon département de Saône-et-Loire, il y a un mois, un chauffeur de bus intérimaire a eu un comportement tout à fait adéquat devant de jeunes enfants.

S’il est normal que l’opérateur n’ait pas accès au Fijais, le cadre légal doit néanmoins être adapté. Il est donc proposé de donner à un transporteur public la capacité d’apprendre, via la préfecture – c’est elle qui consultera le fichier –, si un candidat au recrutement est inscrit au Fijais.

La loi du 8 mars 2024 visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport comportait déjà plusieurs mesures de renforcement du Fijais et de son utilisation dans le domaine sportif ; elle alignait le dispositif sur celui qui existe dans le secteur social et médico-social.

La consultation du Fijais est désormais systématique et annuelle pour tous les enseignants, animateurs et éducateurs sportifs, qu’ils soient professionnels ou bénévoles ; je vous propose ici d’étendre cette mesure aux chauffeurs de transport public de personnes.

Je remercie Mme le rapporteur et nos collègues de la commission des lois, en particulier Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Olivia Richard, d’avoir enrichi le texte au travers de leurs amendements ; je leur laisse le soin de détailler ces améliorations.

Ce texte, madame la ministre, a vocation à être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, d’autant que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. Je ne doute pas une seconde de son adoption par les députés.

N’oublions pas : l’enfant est la ligne de flottaison d’une société ! Si l’enfant coule, c’est toute la société qui fait naufrage. Alors, continuons à protéger nos enfants ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dirai quelques mots à la suite de la présentation par Marie Mercier de sa proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes.

Mme Mercier a indiqué que les mesures proposées étaient quelque peu disparates, mais les infractions concernées le sont aussi. La réalité est que ces infractions ne sont pas si éloignées les unes des autres. En effet, les infractions sexuelles comme les actes terroristes se caractérisent par la dangerosité de leur auteur et par la crainte d’une récidive, qui est à peu près assurée.

C’est cette considération qui a déjà amené le législateur à traiter de ces infractions par des moyens parfois similaires, même s’ils apparaissent souvent disparates.

Ainsi, les infractions de nature sexuelle ont donné lieu à un régime particulier, celui de la rétention de sûreté, qui vise, une fois la peine accomplie, à maintenir en rétention les auteurs de tels faits, dans un système socio-médico-judiciaire particulier, et à les soumettre, s’ils le souhaitent, à un traitement médical. Il existe aussi des mesures de surveillance de sûreté, qui trouvent à s’appliquer alors que la personne n’est plus maintenue contre son gré dans un lieu de rétention, mais que les infractions dont elle a été reconnue coupable nécessitent une telle surveillance.

Le moyen commun qui permet la surveillance des auteurs de ces deux types d’infractions, c’est l’inscription dans des fichiers : les auteurs d’infractions terroristes sont inscrits au Fijait ; ceux d’infractions sexuelles, au Fijais. Ce dernier est un peu plus complexe que l’autre : certaines inscriptions se font d’office, d’autres sont prononcées par un juge. En outre, on y a ajouté a posteriori les auteurs de violences sur mineurs.

Le nombre d’infractions donnant lieu à inscription au Fijais est donc plus élevé, ce qui explique que, alors qu’environ 1 900 personnes seulement sont inscrites dans le Fijait, il y en a 111 000 dans le Fijais, soit un nombre extrêmement important.

Le but de ces fichiers est de pouvoir imposer à ceux qui y sont inscrits des obligations permettant de maintenir la surveillance qui s’impose. Ces individus, pour le dire dans un langage peut-être un peu trivial, mais que tout le monde comprendra, doivent « pointer », c’est-à-dire se rendre régulièrement – la fréquence peut aller d’un mois à un an – au commissariat de police ou à la gendarmerie pour que leur lieu de résidence puisse être connu. Ils doivent aussi, évidemment, signaler leurs changements d’adresse ; les personnes inscrites dans le Fijait doivent également déclarer leurs déplacements à l’étranger.

Ces infractions donnent aussi lieu, bien sûr, à d’autres mesures visant non seulement à surveiller ces personnes, mais aussi à les empêcher d’avoir, au sein de la société, des activités qui pourraient les conduire à réitérer l’infraction dont ils ont été reconnus coupables. Ainsi des incapacités d’exercer une activité dans certains secteurs, médico-social ou sportif, peuvent être prononcées. Un juge peut aussi assortir la condamnation d’une interdiction d’entrer en contact avec des mineurs ou des personnes vulnérables.

Ensuite, lorsque les collectivités embauchent dans des métiers qui peuvent amener à entrer en contact avec des personnes vulnérables ou des mineurs, elles peuvent demander à savoir si les candidats à ces postes ont commis certaines infractions et soumettre leur recrutement à cette condition ; cela a été assez clairement validé par la jurisprudence.

Vous aurez donc compris, mes chers collègues, que des moyens de surveillance des personnes ayant commis des infractions graves et de la part de qui on peut craindre une récidive ou une réitération sont d’ores et déjà mis en œuvre : on ne leur permet pas de disparaître dans la société et d’y faire librement n’importe quoi.

Vous comprendrez aussi pourquoi les mesures proposées dans ce texte par Mme Mercier peuvent apparaître disparates : en réalité, elles viennent simplement combler divers vides dans les dispositifs existants, vides qui peuvent bien sûr être préjudiciables aux mineurs et aux personnes vulnérables.

La première des mesures proposées est relative aux changements de nom. Mme Mercier avait d’ailleurs été rapporteur de la proposition de loi sur ce sujet, devenue la loi Vignal ; alors déjà, elle nous avait mis en garde contre les risques que pourrait présenter cette grande simplification de la procédure de changement de nom, désormais sans aucune publicité : certaines personnes, en changeant leur nom ou leur prénom, ne figureraient pas dans les fichiers sous leur nouvelle identité et pourraient ainsi échapper à tout contrôle.

C’est donc à juste titre que Mme Mercier souhaite que soit mise en œuvre une disposition permettant au procureur de la République d’intervenir s’il estime que le changement de nom pourrait causer un dommage ou présenter un risque pour l’ordre public.

La deuxième disposition d’importance de ce texte vise à empêcher des personnes déjà condamnées d’être en contact avec des mineurs ou des personnes vulnérables par le biais du transport public. La commission a amendé le texte pour le rendre opérationnel, en permettant le contrôle des antécédents judiciaires des chauffeurs de bus et en créant une véritable incapacité légale.

Je ne détaillerai pas, à ce stade de la discussion, les autres mesures de ce texte ni celles que plusieurs de nos collègues proposent d’y intégrer, estimant que d’autres possibilités encore n’ont pas été explorées. Je laisserai ce soin aux auteurs de ces amendements.

Ainsi, Mme Olivia Richard nous expliquera tout à l’heure de quelle manière elle propose de sanctionner les individus auxquels la justice a interdit d’entrer en contact avec des mineurs, mais qui se soustraient à cette peine ; une réelle sanction de tels agissements, y compris quand ils ont lieu à l’étranger, manquait cruellement dans notre droit.

M. Laurent Burgoa s’est quant à lui soucié des plateformes qui mettent en contact des parents avec des baby-sitters : là encore, aucun contrôle des antécédents judiciaires de ces personnes n’était assuré. Il propose donc de mettre en place une procédure permettant aux parents de connaître leurs antécédents.

Il est également proposé de mettre en place un dispositif permettant aux dirigeants d’une association, au-delà du secteur sportif, où cela est déjà possible, de connaître les antécédents de ceux qui demandent à s’investir dans leur association.

Tous ces dispositifs sont délicats à mettre en œuvre. En effet, si le Fijais et le Fijait sont des sources d’information assez importantes, on comprend aisément que ces données sont extrêmement confidentielles. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel n’autorise leur consultation que dans des conditions permettant qu’elles ne soient pas divulguées de façon trop importante et d’une manière qui préserve un certain nombre de droits et de libertés constitutionnels.

La commission s’est donc attachée, dans la rédaction des articles de cette proposition de loi, à faire en sorte de ne pas porter atteinte à ces droits ; il importe que le Fijais et le Fijait ne soient pas sollicités plus que de raison et qu’ils ne le soient, en tout cas, que dans des conditions qui permettent de conserver l’équilibre souhaité par le Conseil constitutionnel.

Voilà en quelques mots, mes chers collègues, quelle a été l’approche de la commission sur cette proposition de loi de Mme Mercier ; voilà ce que nous allons vous proposer d’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)