M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres démissionnaires, mes chers collègues, le projet de loi spéciale que nous examinons cet après-midi est le texte de tous les paradoxes ; vous en avez cité un, madame la rapporteure générale.

Le premier de ces paradoxes est évidemment le fait que nous allons voter, en un après-midi, vraisemblablement à l’unanimité ou presque, un texte extrêmement important qui ne compte que trois articles. C’est un fait inédit !

Toutefois, le principal paradoxe, le voici : alors que nous vivons une crise politique, budgétaire, financière inédite, alors que cette crise jette le discrédit sur l’ensemble de la classe politique, il est un roc qui résiste, ce sont nos institutions. Nous pouvons, cet après-midi, adopter un texte permettant d’assurer la continuité de l’État, temporairement, et d’éviter un shutdown à la française.

Nous pouvons donc rendre hommage aux rédacteurs de la Constitution de la Ve République et au général de Gaulle, qui ont prévu l’imprévisible, ce qui nous permet de faire aujourd’hui face à une situation totalement inimaginable. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette Constitution et nos lois organiques, il nous appartient de les protéger ; c’est notre trésor, mes chers collègues.

M. Emmanuel Capus. Alors même que certains, à l’Assemblée nationale, ont essayé de les contourner, notre bicamérisme et les mécanismes de contrôle de la recevabilité des amendements ont fonctionné. Nous pouvons donc aujourd’hui avoir un débat serein ; et je tiens à cet égard à saluer la responsabilité de la présidente Braun-Pivet et celle de la commission des finances, avec une pensée particulière pour son président ; grâce à eux, nous pouvons débattre dans un climat serein, tout en protégeant notre trésor commun.

C’est la démonstration que, dans les pires moments de notre histoire, les institutions de la Ve République fonctionnent et opposent des garde-fous aux apprentis sorciers. À cet égard, je ne crois pas totalement inutile de rappeler une citation d’Albert Camus : « Toute forme de mépris, si elle intervient en matière politique, prépare […] le fascisme. » Gardons-nous donc de nous amuser avec notre Constitution…

Citons également Benjamin Constant, pour qui une Constitution est un pacte entre les générations et un rempart contre les passions du moment. Laissons donc, mes chers collègues, les passions du moment et concentrons-nous sur l’intérêt général de la Nation et des Français.

Ce texte est utile, et même indispensable. Il permettra, sous les réserves exprimées par le ministre, de reconduire les impôts et d’autoriser les emprunts.

Le troisième paradoxe est que tous ceux qui se sont prononcés contre les impôts de l’an dernier, lors de l’examen de la loi de finances pour 2024, voteront – en tout cas, je l’espère ! – leur reconduction.

Mes chers collègues, ce constat donne sans doute à réfléchir pour l’examen du PLF à venir : cherchons, si nous devions voter l’an prochain un texte auquel nous nous serions opposés cette année, à améliorer et à fluidifier nos débats dans cette enceinte !

Le quatrième et dernier paradoxe est que ce texte, s’il est utile et vital, ne résout pas les problèmes des agriculteurs, ni ceux des contribuables soumis à l’impôt sur le revenu (IR), ni ceux de nos très petites entreprises (TPE) et de nos petites et moyennes entreprises (PME), ni ceux de nos outre-mer. Je profite de ce stade de mon intervention pour m’associer, monsieur le président, à l’hommage que vous avez rendu à nos concitoyens de Mayotte.

Bien plus, ce texte ne résout en rien la crise budgétaire et financière qui est la nôtre. Comme vous l’indiquiez, monsieur le rapporteur général, Moody’s a dégradé de nouveau la note de la France en constatant la fragmentation de sa classe politique. Nous ne pouvons donc plus ignorer la situation.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cela fait longtemps que je mets en garde…

M. Emmanuel Capus. L’absence de PLF aura des conséquences. Il nous faudra donc d’urgence préparer un nouveau texte pour 2025. Celui de Michel Barnier n’était pas parfait, tant s’en faut. Il contenait trop d’augmentations d’impôts et pas assez de baisses de dépenses. Le futur texte devra être corrigé dans ces deux directions.

Il devra également préserver l’investissement dans la défense, dans la justice, dans la sécurité, dans la santé et dans l’éducation. Alors que la société devient chaque jour plus violente et que la guerre fait tomber toujours plus d’obus sur l’Europe, nous ne devons plus revenir sur aucun centime d’euro destiné à nos services publics régaliens.

Il faudra aussi dans ce PLF éviter de sombrer dans la facilité de la hausse stérile des impôts. Nous sommes déjà champions du monde des prélèvements obligatoires. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Mme Antoinette Guhl. C’est faux !

M. Yannick Jadot. C’est Le Pen qui dit cela !

M. Emmanuel Capus. En tout état de cause, monsieur le président, mes chers collègues, j’espère que ce projet de loi spéciale sera adopté à l’unanimité aujourd’hui par notre Haute Assemblée. En responsabilité, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, permettez-moi d’associer l’ensemble des sénateurs du groupe Les Républicains à vos propos relatifs au département de Mayotte.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, le contexte politique de ces derniers mois a donné au Sénat un rôle de premier rang dans le cadre du débat budgétaire. Rarement, voire jamais, nos travaux sur un projet de loi de finances n’avaient été aussi suivis et considérés.

Exercice constitutif de la souveraineté, le fait de lever l’impôt et d’en déterminer l’usage en dépenses est un principe constitutionnel mentionné à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce principe se matérialise dans la procédure budgétaire française, qui tend à confier au seul Parlement le vote du budget et la compétence fiscale.

Toutefois, la rationalisation du pouvoir législatif entamée dès 1958, puis le virage de la Lolf à l’aube des années 2000, ont réduit la participation du Parlement à la matière financière.

Le Gouvernement construit le budget en sous-marin, d’avril à septembre, puis demande aux parlementaires son appropriation en un éclair : un mois. La discussion budgétaire en est naturellement amoindrie et se concentre trop souvent, malheureusement, sur la défense politique d’intérêts spécifiques, au lieu d’être consacrée aux enjeux globaux des finances publiques, à la pluriannualité ou à la responsabilisation.

Certes, des efforts ont été réalisés dans le sens d’une meilleure association du Parlement : création du Printemps de l’évaluation, débat sur les finances des collectivités ou sur l’état de la dette publique… Ces avancées, comme la révision de la Lolf en 2021, sont d’ailleurs d’origine parlementaire.

Le contexte politique actuel offre au Parlement l’occasion de se saisir plus intelligemment de la question budgétaire, dans une logique de responsabilisation des pouvoirs publics. Le Gouvernement, mes chers collègues, a besoin de notre expertise, de notre appui et de notre soutien pour garantir l’adoption d’un budget sérieux et partagé. Ce nouveau cycle de travail commun commence aujourd’hui avec l’examen de ce projet de loi spéciale.

Cette loi répond là encore à des exigences constitutionnelles. Je pense à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. S’y ajoutent les principes constitutionnels de continuité et d’égalité du service public.

Voter cette loi est incontournable. Rejeter le texte serait irresponsable, pour les Français, mais aussi pour la France. Notre pays a besoin d’un cadre économique, budgétaire et financier. La France a besoin d’un budget.

Ne nous voilons pas la face : l’avis positif émis le 26 novembre dernier par la Commission européenne sur notre plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) n’augure en rien du vote des États membres au début du mois de janvier prochain. En son point 15, il est indiqué que le projet de plan contient des mesures ayant une incidence budgétaire en 2025. Celles-ci sont tombées avec l’abandon du projet de loi de finances. Comme l’ont rappelé le président et le rapporteur général de la commission des finances, il est urgent de reprendre nos travaux.

Soyons lucides : le Fonds monétaire international (FMI) ne débarquera pas demain. Personne ne veut la déstabilisation de la zone euro ! Les Français détiennent une épargne abondante, notre économie est large, riche et diversifiée.

J’ai bien entendu que le Premier ministre définissait la lutte contre la dette comme le premier objectif de son action. Nous faisons face à ce seul défi. Il nous reste désormais à déterminer, rapidement, la voie à suivre, sous peine de dévisser.

Je vous rappellerai à présent quelques éléments factuels.

Depuis la dissolution, notre écart de taux avec l’Allemagne s’est accentué. Si les marchés financiers ont peu réagi au vote de la motion de censure, c’est parce qu’ils avaient déjà fortement sanctionné la décision du Président de la République en juin dernier.

Monsieur le ministre, vous soulignez tout à l’heure que la dette ne faisait que s’aggraver, mais vous avez omis de relever certains chiffres : un point de taux d’intérêt en plus représente 3,2 milliards d’euros de hausse de la charge de la dette la première année et 40 milliards d’euros la dixième année !

Notre dette ne commence à diminuer qu’avec un déficit à 3,3 % du PIB. Nous en sommes loin ! Elle ne refluerait donc pas avant 2028, selon la trajectoire du PSMT. Avec un déficit nul, il faudrait trente-sept années pour revenir à 60 % d’endettement. Avec un déficit de 1 % seulement – la marche pour atteindre cet objectif est haute –, il faudrait 137 années pour parvenir à un taux de 65 % !

Devant la commission des finances du Sénat, Pierre Moscovici faisait justement remarquer en octobre dernier que « tout euro consacré au remboursement de la dette est un euro perdu pour le service public et pour l’investissement ». Comment, à l’avenir, pourrons-nous financer la transition écologique et rester compétitifs dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la santé si 100 milliards d’euros sont captés par le paiement des intérêts ?

Pour lors, l’incertitude règne. Comme nous le savons tous, elle n’est pas bonne pour l’économie : les particuliers se refusent à consommer et les entreprises retardent leurs investissements. La Banque de France nous a déjà sanctionnés, si j’ose dire, en révisant sa perspective de croissance pour 2025 et pour 2026.

Il est grand temps d’être responsable. Nous devons rassurer les Français et les milieux économiques en adoptant rapidement un PLF au début de l’an prochain. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, avant de commencer, je souhaite évidemment associer mon groupe à votre propos liminaire et adresser nos pensées aux victimes du cyclone Chido à Mayotte, sans oublier toutes les personnes mobilisées pour sauver des vies.

Monsieur le président, messieurs le ministre, mes chers collègues, quatorze jours nous séparent de l’année 2025, une année pour laquelle notre pays n’a toujours pas de budget.

Cette situation est-elle une première dans l’histoire de la VRépublique ? Si nous regardons en arrière, nous pouvons répondre : pas vraiment. Nous avons en mémoire l’année 1962, où la loi de finances pour 1963 a été intégralement adoptée le 23 février de cette année-là, ainsi que l’annulation de la loi de finances pour 1980 un jour de réveillon de Noël.

Ces deux souvenirs pourraient nous laisser penser que la situation dans laquelle nous sommes ne serait en rien nouvelle. Pourtant, mes chers collègues, le moment est bel et bien inédit, et cela pour trois raisons.

Tout d’abord, il l’est compte tenu du contexte politique. Malgré la nomination d’un nouveau Premier ministre, le Gouvernement qui présente le présent projet de loi est démissionnaire, car il a été censuré par une majorité de 331 députés. L’hémicycle de l’Assemblée nationale est fragmenté, aucune majorité solide n’y existe à ce stade et sa dissolution est impossible dans l’immédiat.

Ensuite, le moment est inédit, parce que les finances publiques placent la France dans une position difficile, où l’immobilisme serait fatal.

Enfin, il est inédit, car notre pays est doté depuis 2001 d’une loi organique qui encadre l’adoption de ce projet de loi spéciale.

Mes chers collègues, je n’ai nul besoin de vous convaincre. Mais posons-nous la question pour celles et pour ceux qui nous écouteraient depuis l’extérieur de notre assemblée : pourquoi l’adoption d’un projet de loi spéciale est-elle nécessaire pour le pays ?

Un budget permet, en schématisant, l’autorisation de percevoir des recettes et de réaliser des dépenses. Or qui dit absence de budget dit aussi absence de recettes et de dépenses. Si aucun PLF n’est voté pour l’année à venir, en l’occurrence 2025, de quel droit l’État pourrait-il continuer à percevoir les impôts ? Telle est la principale raison d’être de ce projet de loi spéciale : répondre à cette question par un texte transitoire, au contenu limité, mais vital pour notre pays et pour la continuité de nos services publics.

Je précise bien : « au contenu limité », car le domaine de ce texte est strictement encadré, raison pour laquelle il ne contient que quatre articles.

L’article 1er autorise l’État à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la prochaine loi de finances, sans en ajouter ni en retirer. L’objectif est de permettre à l’État, ainsi qu’aux autres personnes publiques, de percevoir de manière temporaire les ressources nécessaires pour assurer la continuité de leurs missions.

Il s’agit également de rendre possible la reconduction des prélèvements sur les recettes de 2024 au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales, avec, pour ces dernières, le détail introduit par nos collègues députés à l’article 1er bis.

Les articles 2 et 3 du projet de loi visent quant à eux à autoriser l’État à recourir à l’emprunt et à habiliter les régimes et organismes de sécurité sociale à recourir à des recettes non permanentes, avec, en ligne de mire, la nécessité de couvrir leurs besoins de trésorerie.

Je répète : « au contenu limité », du fait de la tentation d’introduire par voie d’amendement l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu. Comme l’indique le Conseil d’État dans son avis du 10 décembre 2024, « les mesures nouvelles d’ordre fiscal […] ne relèvent pas du domaine de la loi spéciale ».

Notre groupe est bien entendu favorable à cette indexation. Celle-ci est nécessaire pour nos concitoyens. Mais comme le Conseil d’État l’explique, notre droit, en l’occurrence la Constitution et la Lolf, ne permet pas d’intégrer cette mesure dans le projet de loi spéciale. L’indexation doit être décidée par notre Parlement dans le cadre de la future discussion budgétaire et fiscale, car il s’agit d’une décision politique.

Mes chers collègues, au-delà de la démission du Gouvernement, le vote d’une mention de censure entraîne des conséquences.

Ces conséquences sont regrettables pour les embauches. Elles se font sentir également pour nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie, qui devront attendre le milliard d’euros annoncé face aux dégâts causés par les émeutes. Elles pèsent sur nos agriculteurs, qui patienteront encore pour les nombreuses mesures de soutien fiscal dont ils auraient pu bénéficier bien plus tôt.

Je n’oublie pas non plus que cette censure a accéléré la première étape de conclusion des négociations du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, un traité auquel s’opposent largement le Parlement et, a fortiori, le pays.

M. Yannick Jadot. Quelle blague !

M. Didier Rambaud. Je n’oublie pas, en outre, que les collectivités ne pourront bénéficier de leurs dotations d’investissement tant qu’il n’y aura pas de budget.

Je n’oublie pas, enfin, que, dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 décembre dernier, l’agence de notation Moody’s a décidé de dégrader la note souveraine de la France.

Ces conséquences étaient connues de celles et de ceux qui ont voté la motion. Les 331 députés concernés doivent désormais s’en expliquer, au lieu de s’offusquer des effets d’une censure qu’ils ont célébrée. (M. Guy Benarroche proteste.)

M. Didier Rambaud. Pendant que nous prenons sur l’agenda parlementaire pour un tel texte, le temps court, avec son lot de défis et de difficultés.

Pour l’heure, mes chers collègues, à nous d’adopter au plus vite ce projet de loi spéciale, que notre groupe votera évidemment, et de nous tenir prêts pour la discussion budgétaire à venir.

Face à l’urgence du moment qui s’annonce, construisons cette discussion dans un esprit de compromis, esprit qui caractérise si bien le Sénat et peut-être à l’avenir – espérons-le ! – notre Parlement tout entier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Raphaël Daubet. Permettez-moi, monsieur le président, d’associer le groupe RDSE à vos propos de soutien au territoire de Mayotte et à ses habitants.

Pour certains, devoir voter ce texte par nécessité, parce que la France n’aura pas réussi à se doter d’un budget au 1er janvier, constitue l’épilogue cruel d’un chantage à la motion de censure dont l’issue ne faisait guère de doutes : « La bourse ou la vie ! », en somme.

J’y vois surtout un échec collectif, dont je prends ma part. Nous pouvons nous interroger sur la responsabilité des uns et des autres ; celle des parlementaires, celle du Gouvernement, celle du Président de la République et celle des institutions. Mais chacun doit aussi s’interroger en lui-même, car il n’est pas d’échec collectif qui n’ait, en vérité, engagé de responsabilité personnelle.

Le tragique dans cette histoire est que cet échec pourrait n’être que la première étape de la chute d’un régime vieillissant, affaibli et cerné par les populismes.

Le piège se referme lentement sous nos yeux. Le régime s’enfonce tout seul dans une nasse bien tendue, affaibli par l’avachissement de ses institutions et par l’usage qui en est fait. Il est affaibli aussi parce que la comptabilité et la gestion des risques ont supplanté l’humain et les idéaux politiques, à mesure que la bureaucratie a pris le pas sur les élus. Partout dans le monde, la victoire des populistes se fait contre les establishments. Cette situation doit nous interpeller.

Évidemment, le groupe RDSE votera en faveur de cette loi spéciale, afin de permettre un fonctionnement minimal de l’État. Mais nous appelons de nos vœux la convocation en urgence d’une conférence budgétaire, pour qu’une majorité arithmétique de parlementaires volontaires se constitue et fasse face à quelques points d’achoppement essentiels, avant de reprendre l’examen du budget 2025.

Cette conférence doit être la plus large possible. Le dialogue doit réunir les démocrates de toutes les familles politiques, qui accepteront de considérer en priorité l’intérêt des Français. En effet, c’est bien d’eux qu’il s’agit !

Les dernières prévisions de l’Insee, il y a deux jours, sont alarmantes. En 2025, la croissance sera très affaiblie, a fortiori si la commande publique ralentit. Les exportations seront fortement concurrencées par la production chinoise. Le logement et l’immobilier s’enfoncent déjà dans la crise. Les agriculteurs, comme vous le savez, sont aux abois.

Chacun comprend qu’il sera impossible de construire un budget satisfaisant pour tout le monde, mais la gravité de la situation exige que nous trouvions un accord minimaliste, le moins mauvais possible. Concéder une victoire au compromis, en pareil cas, n’a rien de déshonorant.

L’une des clefs sera certainement de revoir l’objectif de réduction des déficits. Nous continuons de penser que la marche de 60 milliards d’euros dès cette année était trop haute. Nous devons négocier entre nous, puis avec l’Europe, la trajectoire de retour à l’équilibre de nos finances publiques.

Soyons lucides, mes chers collègues : notre vie politique continuera d’être traversée par des combats qui s’amplifieront, par des désaccords très profonds et par le retour des idéologies, qui viendront percuter les défis actuels : le mur de la dette, le changement climatique, la mondialisation et le financement du système de protection sociale.

Serons-nous capables de faire surgir de la mêlée des solutions démocratiques, pour protéger non pas les intérêts d’un système, mais ceux des Français, et pour retrouver le chemin de l’ambition républicaine ? Le groupe RDSE veut croire qu’aucun Himalaya n’est infranchissable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, je m’associe tout d’abord aux pensées que vous avez adressées à nos compatriotes de Mayotte, auxquels je renouvelle l’expression de notre pleine solidarité. Je salue également la mobilisation des services de l’État.

Je formulerai quatre observations rapides sur ce projet de loi spéciale.

Premièrement, nous avons besoin de continuité, mais surtout de stabilité et de visibilité en matière de finances publiques.

Ce projet de loi spéciale, dont nous nous félicitons, ne nous offre qu’une continuité partielle. Au-delà des incertitudes qui pèsent par exemple sur l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, nous découvrons chaque jour que l’absence de textes budgétaires emporte le risque de creuser des trous dans le fonctionnement régulier de l’État, alors que ce dernier doit toujours être à même de s’adapter aux contingences du moment.

Bien sûr, nous revisitons les jurisprudences, nous défrichons de nouvelles limites – je pense par exemple, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, à l’application de la loi spéciale au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais demeurent de multiples incertitudes.

L’effet de la censure sur le PLFSS et sur le PLF nous conduit à ajouter une zone de risque à une situation financière et politique déjà très critique. Autant dire qu’il y a urgence à reprendre rapidement l’examen des textes budgétaires !

Le groupe Union Centriste soutient la volonté exprimée par le Premier ministre, François Bayrou, de restaurer la stabilité financière et de retrouver un cap à partir de la coalition sortante, à laquelle devront s’ajouter les éléments de programme qui permettront d’éviter la censure. C’est une voie difficile, mais il n’y en a pas d’autres aujourd’hui, à moins de spéculer sur le non-respect des échéances et d’ajouter de nouvelles incertitudes et de nouvelles difficultés à la situation du pays et de nos compatriotes.

Deuxièmement, nous avons paradoxalement besoin plus encore aujourd’hui qu’hier d’efficacité et de puissance dans l’action publique.

Ce besoin, nous en mesurons l’importance au moment où un drame sans précédent s’est abattu sur Mayotte ; au moment où nos agriculteurs attendent des mesures concrètes ; au moment où la nécessité d’amplifier notre effort de défense a rarement été aussi impérieuse – l’Europe comme la France sont interpellées. Et je pourrais citer bien d’autres exemples.

Ajouter de l’instabilité et de l’incertitude à ce contexte revient à accroître le risque financier, alors que, déjà, nous payons plus cher que de nombreux pays le financement de notre dette : le seul remboursement des intérêts menace le pays d’étouffement et obère sa capacité d’action. L’assainissement de nos finances publiques est bien sûr un impératif. Ce projet de loi ne règle rien de ce point de vue.

Troisièmement, nous devons retrouver une cohérence économique et financière. Là encore, cela passe par un projet de loi de finances. Il faut nous adapter à un contexte qui a changé, admettre que les 5 % de déficit seront difficilement atteignables, mais rester en cohérence avec nos engagements européens.

L’incertitude est notre ennemie : elle pèse sur ce qui nous reste de croissance. Il nous faut parvenir à un ajustement budgétaire qui devra être dosé. Un ajustement budgétaire bien réalisé réduit l’incertitude et favorise la croissance ; un ajustement budgétaire mal dosé affecte fortement cette dernière.

La baisse des taux et la maîtrise de l’inflation sont évidemment des éléments positifs, mais ils ne compenseront pas nos difficultés.

Quatrièmement, et enfin, nous devons faire un effort collectif de responsabilité. Le projet de loi de finances ne correspondra pas à l’entièreté des positions de chacun, mais nous devons trouver les termes d’un compromis. L’économie, en effet, n’attend pas : les déficits continuent de se creuser. Le monde ne s’arrête pas : il évolue de plus en plus vite. La paralysie politique n’est pas compréhensible à l’heure où les défis sont nombreux.

Le groupe Union Centriste votera bien sûr ce projet de loi spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, vous avez eu raison, vraiment, de nous réunir en un hommage unanime au peuple mahorais. Et nous avons raison de réclamer une réactivité forte et durable de l’État. Je dis bien « durable » : il faudra que nous soyons très vigilants sur ce point !

J’en profite pour vous demander, messieurs les ministres – cette demande s’adresse aussi à ceux qui, peut-être, vous remplaceront –, d’accentuer la coopération avec les Comores, qui souffrent aussi.

Nous débattons aujourd’hui sous la pression d’une crise profonde et exceptionnelle. Et ce sont deux ministres démissionnaires qui présentent un texte qui fait office de budget pour la France ! Où est le Premier ministre ?

M. Bruno Sido. À Pau ! (Sourires.)

M. Pascal Savoldelli. La crise institutionnelle découle d’une crise démocratique qui couve depuis des années et qui explose aujourd’hui. Cette crise a un responsable : le président Emmanuel Macron. (Exclamations.)

Mme Catherine Conconne. Tout à fait !

M. François Patriat. Cela faisait longtemps…

M. Pascal Savoldelli. Sa décision de dissoudre en juin dernier, quitte à installer l’extrême droite au pouvoir, puis, après que le score de la gauche réunie dans le Nouveau Front populaire l’a surpris, son refus de tenir compte du vote des électeurs, c’est-à-dire de la forte volonté de changement politique qui s’est exprimée : tout cela a conduit notre pays à l’impasse.