compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
Mme Marie-Pierre Richer.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Lors du scrutin n° 172 portant sur l’amendement n° II-2222 à l’article 47 du projet de loi de finances pour 2025, M. Bernard Delcros a été enregistré comme ayant voté contre, alors qu’il souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
3
Loi de finances pour 2025
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
Vote sur l’ensemble
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote à la tribune du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale (projet n° 143, rapport général n° 144, avis nos 145 à 150).
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Mme Marianne Margaté applaudit.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président du Sénat, c’est d’abord à vous que je souhaite m’adresser.
Pendant des années, vous avez érigé le Sénat en contre-pouvoir. Il nous faut avoir pleinement conscience de la situation.
Depuis plusieurs mois, l’intervention du président Emmanuel Macron met en cause l’équilibre institutionnel de la République. Le Sénat est aujourd’hui utilisé pour dévoyer le bicamérisme et affaiblir le pluralisme.
Les chiffrages fantaisistes pour décrédibiliser la censure, pourtant seule réponse possible au 49.3, et le contournement des discussions par l’adoption du projet de loi de finances (PLF) en commission mixte paritaire sont autant de coups de force.
De fait, vous acceptez de contourner les débats à l’Assemblée nationale et, du même coup, la volonté des Français exprimée dans les urnes.
C’est du jamais vu : l’Assemblée nationale n’aura à aucun moment discuté la seconde partie du budget !
Cerise sur le gâteau, le 1er décembre dernier, une seconde délibération du Gouvernement balaie en quelques secondes des jours de travail sénatorial. Sont ainsi supprimés vingt-sept amendements de justice sociale et fiscale adoptés par notre assemblée. Fait inédit, les sénatrices et sénateurs de gauche et écologistes ont quitté l’hémicycle, non par crainte du résultat du vote, mais parce qu’ils étaient écœurés.
Le 15 janvier dernier, notre présidente Cécile Cukierman, Evelyne Corbière Naminzo et moi-même avons effectué plusieurs rappels au règlement pour interpeller le Gouvernement. En effet, la reprise des débats sans interruption de la session parlementaire est contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 47 de la Constitution. Le Gouvernement devait présenter un nouveau projet de budget !
Une majorité sénatoriale s’en est accommodée. Pour notre part, nous n’entendons pas donner de leçons, mais nous avons bien l’intention de lancer, une fois de plus, une alerte politique sérieuse. Si celle-ci avait été écoutée, cela aurait pu nous éviter d’assister à ce désordre budgétaire.
Le peuple va-t-il se satisfaire longtemps de donner les pleins pouvoirs à un seul individu, et ce dans une confusion idéologique croissante et au cœur d’une crise sociale et démocratique ?
Le peuple va-t-il se satisfaire de laisser les pleins pouvoirs aux milieux financiers et des affaires ?
Attention, mes chers collègues, l’intérêt général n’est plus le produit d’équilibre garanti par le politique ! Un mur se dresse entre les populations et les lieux de décisions.
C’est dans ces conditions que nous sommes parvenus au terme de l’examen d’un budget frappé d’un triple sceau : celui de MM. Attal, Barnier et Bayrou.
C’est aussi un triple saut dans l’inconnu : démocratique, fiscal et social. Voilà pourquoi un nouveau budget aurait été nécessaire !
En effet, où donc sont prises en compte les urgences sociales et économiques dans ce budget ?
Les dossiers de surendettement des ménages explosent. Quelque 250 000 emplois industriels sont menacés dans notre pays. La productivité décroche et 15 % des Français sont en situation de grande pauvreté.
Comment pouvons-nous continuer à faire comme si de rien n’était ?
Or, à ce constat terrible, vous répondez par 6,3 milliards de nouvelles coupes, sur lesquelles se sont accordés le Gouvernement et la majorité sénatoriale.
L’affaiblissement de la puissance publique va accélérer la déflagration de l’état social du pays.
Où frappez-vous ? Toujours là où le coup fait le plus mal ! Sur la santé, déjà exsangue, vous ôtez 250 millions d’euros. Nos hôpitaux suffoquent, nos soignants s’épuisent et vous leur demandez de se serrer encore la ceinture.
À nos écoles qui manquent de professeurs, vous n’apportez aucune réponse.
Qui plus est, 1,3 milliard d’euros destinés à la transition écologique se sont envolés, comme si le dérèglement climatique pouvait attendre.
Parallèlement, les collectivités territoriales, qui forment pourtant le dernier rempart contre les fractures sociales et territoriales, subissent, encore et toujours, une nouvelle coupe. Derrière les grands discours, la droite sénatoriale n’a pas bronché. Allez donc l’expliquer aux citoyens et aux élus locaux !
Derrière chaque euro arraché aux collectivités, c’est la vie des gens qui est malmenée : factures qui explosent, salaires qui stagnent, services publics qui se délitent. Quand tout sera privatisé, nous serons privés de tout.
Derrière tout cela, ce que vous défendez vraiment saute aux yeux : c’est le coût exorbitant du soutien au capital.
Le capital continue d’ailleurs de prospérer : en 2024, 100 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires du CAC 40 – un record !
En effet, si vous êtes si prompts à couper dans les services publics, c’est pour mieux préserver un ordre de priorité, en érigeant en première place l’intérêt des grandes fortunes et des détenteurs de capitaux.
Chaque année, 200 milliards d’euros sont versés aux entreprises sous forme d’aides publiques : 78 milliards d’euros de dépenses fiscales, 91 milliards d’euros d’allégements sociaux, 35 milliards d’euros de subventions directes.
À quoi cela sert-il ? À enrichir les riches ! Et l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), symbole d’une fiscalité juste, plébiscité par 72 % des Français, qu’en faites-vous ?
La véritable cohérence de ce budget, c’est le rejet idéologique du partage des richesses. C’est bien parce que vous avez refusé de présenter un nouveau budget que les quelques timides mesures de justice fiscale du budget Barnier n’ont pas été reconduites.
C’est pourquoi nous travaillons à utiliser tous les recours démocratiques et tous les interstices qui existent. Ce que nous voulons, ce sont des mesures pour que les Français vivent mieux.
À la veille du probable coup de force de la commission mixte paritaire (CMP) sur le budget, nous déposerons, députés et sénateurs communistes républicains citoyens et d’outre-mer un projet de loi d’urgence économique et sociale, pour répondre au chaos que vivent les Français au quotidien.
Ce texte a été élaboré à partir des propositions des communes, des syndicats et des associations. Oui, la démocratie a encore une vitalité, une espérance : un gouvernement devrait savoir la trouver. Cet élan démocratique se manifeste dans les communes, dans le mouvement social dans sa diversité, dans les entreprises, dans les territoires.
Nous proposerons vingt mesures, dont l’abrogation de la réforme des retraites, le blocage des prix et de nouvelles recettes pour répondre à l’urgence sociale.
Engagés au cœur de ce combat pour la démocratie et la justice, nous voterons résolument contre ce budget.
Comme le dit André Chassaigne, qui aurait fait un très bon président de l’Assemblée nationale, « il faut révolutionner le lien entre la population et le pouvoir politique ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également. – Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’année 2025 est donc une année d’héritage.
L’héritage des Jeux, d’abord, que vous avez voulu brader à toute vitesse, comme en témoignent le budget du sport, nous l’avons constaté ici même, et la mobilisation du monde sportif contre vos choix.
L’héritage d’une politique économique, ensuite et surtout, car c’est ce qui nous occupe depuis des mois, d’une doctrine, de sept ans de choix budgétaires de désarmement fiscal, de dépouillement de nos comptes publics et d’une flambée jamais atteinte de notre dette.
Oui, la situation budgétaire de la France est catastrophique. Mais cette catastrophe n’a rien de naturel. Elle est le résultat d’un certain nombre de vos choix, en particulier d’une politique qui a favorisé les baisses d’impôts et les cadeaux fiscaux pour les plus fortunés, sans que les retombées économiques promises se concrétisent. Ces orientations ont été financées à crédit et nos comptes ont plongé dans le rouge.
Au chaos de nos comptes publics s’est ajouté le chaos politique. Le texte sur lequel nous allons nous exprimer aujourd’hui a tout d’une création de Frankenstein. Ce budget, sur lequel pas moins de trois ministres de l’économie successifs se sont penchés, échappe à ses créateurs et plus personne ne sait qui en porte la réelle responsabilité politique, chacun tentant de faire oublier les causes réelles de la situation.
Lorsque nous avons commencé nos débats à l’automne, le Gouvernement nous expliquait qu’il n’avait eu que quinze jours pour produire sa copie. Le Président de la République, plongé dans une forme de dilettantisme olympique, a fait le choix de prendre son temps – soixante jours exactement – pour nommer un Premier ministre.
Ce budget a donc été réalisé à la hâte par Michel Barnier, qui s’est appuyé sur des prévisions de croissance et de recettes fiscales irréalistes, actant d’ores et déjà un recul massif pour l’État et les collectivités dans la conduite de leurs politiques publiques.
Lors de nos discussions au Sénat, nous avions fait progresser la copie. Sans atteindre le niveau de justice fiscale dont notre pays a besoin, le débat sénatorial avait cependant produit du consensus sur un certain nombre de nouvelles recettes.
Pourtant, à trois jours de sa censure, le gouvernement Barnier a imposé à la majorité sénatoriale, bien docile, vingt-sept nouvelles délibérations. Exit tax, hausse de la taxation des dividendes, modification de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), taxation des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et taxe sur les transactions financières : vous aviez mal voté, chers collègues ; Bercy vous a rappelés à l’ordre, privant encore une fois l’État de ressources. (M. Francis Szpiner s’exclame.)
La méthode Barnier, c’est aussi le choix de se mettre dans la main exclusive du Rassemblement national pour ses négociations budgétaires. C’est ce choix irresponsable qui a abouti à sa censure. (Huées sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Malgré cette censure et ce revers démocratique flagrant, le troisième de l’année pour la ligne politique présidentielle, le budget est repris par François Bayrou sur les mêmes bases, tel qu’il avait été voté, ou plutôt revoté, par le Sénat, sans ressource fiscale supplémentaire. (Mme Marie-Claire Carrère-Gée s’exclame.)
Se sont ouvertes, tout de même, plusieurs négociations à Bercy, auxquelles, dans un esprit de responsabilité, ont participé les écologistes. Nous y sommes allés sans lignes rouges mais avec un certain nombre d’alertes, qui, elles, étaient bien rouges ! Nous souhaitions notamment avertir le Gouvernement qu’en matière de transition écologique le stop and go et les signaux contradictoires sont délétères et cassent toute ambition.
Force a été de constater que la trajectoire budgétaire a primé sur notre trajectoire climatique.
Devant le blocage et le dogmatisme de Bercy, confinant parfois au déni climatique et après une déclaration de politique générale qui a fait l’impasse sur le défi du siècle, les députés écologistes n’ont eu d’autre choix que de voter une première censure. (M. Laurent Burgoa s’exclame.)
Les débats ont pu reprendre au Sénat. Privé de justice fiscale et de nouvelles recettes, le Gouvernement a choisi de brutaliser un peu plus le débat parlementaire. Des amendements de dernière minute ont fleuri sur beaucoup de missions budgétaires, déposés dans la nuit ou dans la matinée avant la séance, rabotant de plusieurs centaines de millions d’euros des budgets essentiels avec, pour seuls arguments, une trajectoire budgétaire à tenir et une censure à payer.
C’est le niveau zéro du pilotage de l’action de l’État, du débat parlementaire et de la responsabilité politique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Murmures appuyés sur les travées du groupe Les Républicains.)
Au total, le budget de l’État est réduit de 6 milliards d’euros. Nous l’avons beaucoup utilisé ces derniers jours dans l’hémicycle, mes chers collègues, mais le terme de « rabot » est en fait impropre. Les coupes budgétaires n’ont pas touché tous les budgets de manière lisse et homogène. Des choix ont été faits. Certains budgets ont été préservés, d’autres, amputés gravement. Derrière l’apparence du rabot, vous avez en fait passé certains budgets à la tronçonneuse !
Des lois de programmation ont été préservées, pour la défense, la justice et l’intérieur. D’autres ont été sacrifiées, comme l’aide au développement ou la recherche. La copie finale que nous étudions est donc révélatrice d’un choix, celui de sacrifier l’avenir.
À la lecture de ce budget tel qu’il ressort des travaux du Sénat, force est de constater que le déni climatique n’est pas l’apanage du président des États-Unis. Il frappe désormais les deux rives de l’Atlantique.
En dépouillant le budget de la diplomatie climatique, avec 35 % de crédits en moins pour l’aide publique au développement, en ruinant nos capacités de recherche, avec 630 millions d’euros retirés à la recherche et à nos universités, en mettant un coup de frein de 500 millions à l’innovation dans le cadre du plan France 2030 et en ponctionnant de 1,3 milliard d’euros le budget de l’écologie, la France est en train de ruiner dix ans d’engagements climatiques.
De façon moins tapageuse que le nouveau président américain, par la petite porte budgétaire, vous êtes en train de faire sortir la France de l’accord de Paris, dix ans après l’avoir défendu.
Pourtant, le dérèglement climatique frappe fort. Entre deux gouvernements, cet hiver, un département français, Mayotte, a été rasé par un cyclone, qui, comme d’autres catastrophes naturelles récentes, a mis en lumière à la fois les impacts climatiques dévastateurs de nos émissions et la vulnérabilité de nos territoires.
La Cour des comptes, dans son rapport annuel de 2024, a décrit de manière méthodique l’extrême vulnérabilité de notre pays aux aléas climatiques, qui vont se multiplier.
Alors que les besoins d’investissement sont bien réels, vous faites le choix du déni. Même le budget alloué à la sécurité civile diminue de plus de 50 millions d’euros.
Nous sommes aujourd’hui témoins de l’absence totale de vision stratégique face aux défis de notre époque. En désarmant fiscalement l’État, vous nous exposez au pire.
La transition écologique n’est pas un luxe dont nous pourrions nous passer quelques années avant d’y revenir. Elle nécessite des engagements pérennes dans le temps pour que chacun y voie un destin commun.
Quand les zones à faibles émissions, outils nécessaires pour la qualité de l’air, montent en puissance, vous décidez de sabrer massivement dans les aides au changement de véhicules, dans le soutien aux investissements pour les transports collectifs et dans le plan Vélo.
La cohésion des territoires est fragilisée, vous aggravez les fractures sociales et territoriales : tout cela va mal finir.
Monsieur le ministre de l’économie, vous assumiez ce matin, dans Les Échos, de rester droit dans vos bottes. En réalité, vous restez droit dans les bottes présidentielles, celles qui nous ont conduits dans l’impasse budgétaire, celles qui nous font courir dans le mur climatique, celles qui défendent une politique désavouée à de multiples reprises dans les urnes.
Nous refusons cette marche forcée vers l’abîme. Nous voterons contre ce budget ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voilà réunis pour terminer l’étude d’un texte dont les conditions d’examen, pour le moins tumultueuses, ne reflètent que trop bien la situation politique dans laquelle nous a placés le Président de la République.
Cet examen a été tumultueux, dis-je, car, entre-temps, le gouvernement qui défendait le présent budget a été censuré. Cette censure n’est que la suite logique du déni démocratique du président Macron, lequel, à l’issue d’élections législatives qu’il a lui-même convoquées, a nommé comme Premier ministre, feu Michel Barnier, issu d’un groupe de 47 députés sur 577 ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.– Marques d’indignation sur les travées des groupes Les Républicains.)
Un tel coup de force démocratique ne pouvait pas rester sans réponse. C’est tout affairé à négocier avec l’extrême droite que le Premier ministre Barnier s’est retrouvé trahi par sa partenaire de négociations qui n’en avait jamais assez. (Nouveaux applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.– Huées sur les travées des groupes Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Philippe Bas. S’il vous plaît !
M. Loïc Hervé. C’est bien parti…
M. Thierry Cozic. Un nouveau gouvernement est donc en place. Après avoir écouté la déclaration de politique générale qui, disons-le franchement, s’apparentait plus à une déclaration d’inertie générale, je ne suis toujours pas rassuré.
Je tiens à revenir sur le choix qui a été fait de reprendre la navette sur le budget d’un gouvernement que la représentation nationale a censuré.
Ce choix, tout sauf anodin, n’est pas seulement dicté par des considérations de célérité budgétaire.
Ce choix, d’apparence formelle, est profondément politique en ce qu’il vous empêche d’engager une négociation des plus exigeantes avec nous.
Ne vous méprenez pas sur notre famille politique, monsieur le ministre de l’économie.
M. Roger Karoutchi. Laquelle ?
M. Thierry Cozic. Dans nos territoires, au-delà de la nécessité de stabilité, un autre besoin s’est fait sentir, bien plus véhément, profond, et qui à ce jour reste ignoré : le besoin d’alternance. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
C’est cette même demande d’alternance qui s’est fait jour lors des dernières élections législatives, que le Président a convoquées de son propre chef.
Je le dis avec gravité : un changement de cap doit désormais s’opérer et être perceptible par tous.
M. Loïc Hervé. Avec Mélenchon ?
M. Thierry Cozic. Ce changement doit être radical, car la défiance envers le Président est énorme. Même le baromètre Elabe, dans Les Échos, ne contredit pas cette assertion, puisque la cote de confiance du chef de l’État atteindrait à peine 18 %. Quand vous tombez aussi bas, c’est que vos propres électeurs vous quittent.
Je le redis, ne pensez pas que vous obtiendrez automatiquement notre clémence sur l’autel de la sacro-sainte stabilité.
La stabilité ne sera acquise qu’à la lumière de la légitimité des décisions que vous prendrez.
C’est un fait : les sept années de politiques iniques et verticales du pouvoir macroniste ont été durement sanctionnées dans les urnes. Ce n’est pas parce que le Président utilise son pouvoir de nomination comme un pouvoir de décision que nous ferons comme si rien n’avait changé.
Une fois de plus, la légitimité politique du Gouvernement qui se présente à nous est assise sur les trois formations politiques ayant perdu les dernières élections. Une telle analyse vous impose le compromis.
Nous l’avons dit lorsque nous nous sommes vus, monsieur le ministre de l’économie, le compte n’y est toujours pas, tant s’en faut.
Nous attendons notamment des avancées en matière de justice fiscale. À ce propos, vous écriviez en 2022 dans votre livre : « Un dérèglement est la cause de tous les autres, celui de la rémunération du capital. »
Nous souscrivons à cette observation, mais force est de constater que le budget que vous défendez aujourd’hui ne prend pas acte d’une si lucide remarque.
Ce constat s’impose à nous alors que, depuis la prise de fonction du président Macron, la rémunération des actionnaires a augmenté de 114 %, tandis que celle des dividendes a progressé de 46 % et celle des rachats d’actions de 286 %.
Ces hausses astronomiques nous donnent le tournis. Heureusement, on reprend contact avec la terre ferme quand on découvre que, sur la même période, le Smic brut n’a augmenté que de 19 % et le salaire moyen brut, de 15 % !
Vous noterez que lorsqu’il est question de rémunération du travail on reste dans des ordres de grandeur compréhensibles par tous.
Face à une rémunération du capital devenue hors de contrôle, on voit bien que sept ans de macronisme ont totalement désarmé fiscalement notre pays. Désormais l’État est nu, avec le Trésor pour feuille de vigne. (Murmures admiratifs et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Bravo !
M. Thierry Cozic. C’est pourquoi nous refusons ce budget d’austérité. Il n’est pas empreint de justice fiscale et il cherche, dans les poches de ceux qui n’ont pas créé le problème, une solution qui ne fonctionne pas.
Le compte n’y est pas davantage en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Le fonds vert, qui bénéficiait de 2,5 milliards d’euros de crédits, est désormais doté de 1,2 milliard d’euros seulement. Cette division par deux en un an intervient au moment où l’eau manque et les feux se multiplient.
En matière de justice sociale, le compte n’y est toujours pas non plus. Nous ne ferons pas les frais de votre incapacité à contenir vos partenaires Les Républicains, qui, hier soir, n’ont rien trouvé de mieux que de ne pas respecter l’engagement de leur Premier ministre sur la suppression de postes d’enseignants.
Sur les retraites, je salue le retour au dialogue. Même si la mission flash que vous avez confiée à la Cour des comptes vous a permis de vous détourner ostensiblement du Conseil d’orientation des retraites (COR), je nous félicite du retour des partenaires sociaux sur l’injuste réforme des retraites de 2023.
Un tel retour n’aurait été possible sans l’œuvre des socialistes et nous serons très exigeants sur les suites qui seront données à ce conclave.
Nous resterons extrêmement vigilants, car nous avons pris l’engagement devant nos électeurs de ramener le scalp de la réforme des retraites. Or, pour le moment, nous n’avons que de simples touffes de cheveux…
Enfin, il n’est pas raisonnable de ponctionner les collectivités locales de 2 milliards d’euros, alors qu’elles font face à tant de difficultés et qu’elles peinent à parvenir à l’équilibre budgétaire. (M. André Reichardt s’exclame.)
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, le compte n’y est pas. C’est pourquoi, dans les jours qui viennent, nous serons aussi vigilants qu’exigeants. Or les annonces perlées par voie de presse en forme de renoncements ne nous rassurent pas.
La dette est désormais un problème, mais le diagnostic est systématiquement mal posé, et ce sciemment puisque ce sont les services publics et l’État social qui se retrouvent sur le banc des accusés du déficit public. Ce budget ne fait qu’instruire une fois de plus un tel procès.
Pour ces raisons, nous voterons contre le présent texte, qui n’est que le décalque du budget Barnier.
Néanmoins, je vous rappelle que votre gouvernement n’a pas l’assise parlementaire nécessaire pour se suffire à lui-même.
Mme Jocelyne Guidez. C’est facile…
M. Stéphane Demilly. On a compris !
M. Thierry Cozic. Lors des arbitrages que vous aurez à rendre prochainement, il vous faudra en tenir compte, sans quoi, je le dis très solennellement, au nom du groupe socialiste, et avec gravité : les mêmes causes produiront les mêmes effets. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de finances que nous devons voter aujourd’hui est sans doute le plus complexe de l’histoire de la Ve République. Ni les conditions budgétaires, ni les conditions politiques, ni encore moins les conditions médiatiques ne permettent un débat serein ou cohérent.
Médiatiquement, d’abord, pour tordre le bras des parlementaires, le gouvernement Barnier avait multiplié les fausses informations. On a parlé de shutdown à la française. Le seul fait que ce mot soit intraduisible dans notre langue soulignait bien la fausseté de la notion. Certains sont même allés jusqu’à dire que les cartes Vitale des Français cesseraient de fonctionner. Où étaient alors les fact checkers pour vérifier toutes ces informations ?
Politiquement, ensuite, le pacte contre l’opinion conclu par certains partis et la personnalité d’Emmanuel Macron sont les seuls et uniques responsables d’une instabilité parlementaire, que nous n’espérons pas structurelle. Si ces partis sont parvenus à s’entendre pour sauver quelques prébendes, ils n’ont pu s’accorder pour construire un projet politique, tant leurs opinions sont en réalité opposées.
Budgétairement, enfin, les travaux de la commission des finances, dont je reconnais la qualité, ont prouvé que le Gouvernement n’avait ni anticipé, ni préparé, ni réparé le fort dérapage de nos comptes. Cette situation constitue l’épilogue d’une politique économique au nom de laquelle tout a été fait pour que l’échec soit inéluctable.
Ainsi, alors que les manques sont permanents et que les administrations comme l’économie se délitent, nous devons voter un budget pour économiser davantage.
Nous avons proposé des économies. Elles reposent sur un principe clair : ne pas davantage écraser fiscalement la France qui travaille et celle qui souffre. Des agences trop nombreuses aux gabegies de notre politique migratoire, en passant par l’absence de contrôle d’opportunité ou de gestion, il n’y a malheureusement quasiment aucune rupture. Comme d’habitude, plus que l’arithmétique sénatoriale, c’est encore et toujours le conformisme et les œillères idéologiques qui ont bloqué ces mesures de bon sens.
Néanmoins, si nos amendements n’ont pas été adoptés, certaines idées ont au moins infusé. Nous nous félicitons évidemment de la baisse des crédits pour l’aide publique au développement. Faut-il rappeler qu’en ces temps budgétaires difficiles nous devons en premier lieu privilégier nos concitoyens et nos besoins, et non des financements dispendieux qui n’ont soutenu ni notre rang à l’étranger, en déshérence depuis sept trop longues années, voire davantage, ni notre économie ou nos partenariats ?