M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Je rappelle que cette proposition de loi « marche sur deux jambes », pour reprendre les termes employés par Daniel Salmon lui-même en commission.

D’un côté, elle vise à instaurer une labellisation et une certification de gestion durable des haies, que nous appelons tous de nos vœux, pour peu que cette démarche soit facultative et optionnelle. De l’autre, l’objectif est d’agir en faveur d’une reconnaissance du travail des agriculteurs qui s’engagent dans cette voie, via un crédit d’impôt dédié.

Par conséquent, je ne vous cache pas que je ressens une certaine frustration : nous nous apprêtons à sautiller sur une jambe, alors que nous souhaitions marcher sur les deux.

Je m’en remets à la sagesse du Sénat sur cet amendement, mais il conviendrait, madame la ministre, que le vote de ce dispositif soit suivi d’un engagement du Gouvernement à tout mettre en œuvre pour que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, nous parvenions enfin à donner une véritable portée à ce texte, dans l’intérêt de la gestion durable des haies. (M. Daniel Salmon approuve.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Annie Genevard, ministre. Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas au Sénat !

La semaine dernière, monsieur Salmon, vous êtes parvenu à faire adopter à l’unanimité un texte magnifiant la haie et exaltant sa défense ; aujourd’hui, a contrario, nous avons assisté à plusieurs reprises à une remise en cause de la réglementation visant à protéger la haie par un guichet unique. Mais passons…

Nous regardons avec intérêt la requête de M. le sénateur Buis. Ce projet de loi d’orientation agricole offre l’occasion d’intégrer le résultat des travaux que vous avez réalisés sur la haie, puisque cet article 14 aborde spécifiquement le sujet. Sur le principe, j’y suis favorable, car cela me semble cohérent.

Cependant, cette cohérence achoppe sur un point : si nous introduisons la proposition de loi en l’état, exception faite du crédit d’impôt, nous risquons de nous retrouver dans une impasse juridique, car nous serons à cheval sur deux codes, le code de l’environnement et le code rural et de la pêche maritime.

Éparpiller les règles relatives à la gestion de la haie entre deux codes n’est pas chose aisée et ne participe ni à la simplification ni à l’intelligibilité de la loi.

C’est du reste pourquoi nous avions déposé des sous-amendements visant à harmoniser ces dispositions : ils vous auraient satisfaits tout en répondant aux attentes de l’auteur de l’amendement. Malheureusement, ceux-ci ont été jugés irrecevables, et l’écueil demeure.

Par conséquent, je m’en remets, tout comme la commission, à la sagesse de la Haute Assemblée, un avis qui appelle néanmoins une harmonisation des codes, faute de quoi nous porterions véritablement préjudice à un objectif assez largement partagé.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Je serai bref, car les enjeux ont été très bien explicités à la fois par mon collègue Bernard Buis et par le rapporteur.

La proposition de loi en faveur de la préservation et de la reconquête de la haie a effectivement fait l’objet d’un important travail transpartisan au Sénat, qui a permis d’aboutir à une adoption à l’unanimité. Cependant, j’éprouve moi aussi de la frustration concernant le crédit d’impôt, qui avait également été voté à l’unanimité, mais qui n’a pas survécu à la commission mixte paritaire. Il s’agit d’un élément essentiel de ce texte, mais ce que nous votons aujourd’hui l’est tout autant.

L’autre jambe, dont nous n’avons pas beaucoup parlé, est celle de la biomasse et de la production.

Vous souscrivez tous ici à la nécessité que l’agriculture soit productrice. La haie participe de cette production et y a toujours contribué par le passé – c’était même là un élément central du monde rural.

À mon sens, elle doit retrouver cette vocation, mais dans le cadre d’une gestion durable, telle qu’elle est mise en exergue dans ma proposition de loi, et d’une trajectoire visant à offrir un exutoire au bois issu d’une telle démarche de préservation.

De nombreuses collectivités ont ainsi mis en place des chaufferies au bois et s’interrogent sur leur approvisionnement futur. Actuellement, nous y parvenons avec du bois issu de la forêt, mais cette dernière est en mauvais état. Il importe donc d’assurer un approvisionnement, que la haie, gérée de manière durable, me semble à même de garantir, tout en assurant une diversification des revenus des agriculteurs.

Cette proposition de loi se veut incitative. C’est ainsi qu’elle a été conçue, parce que je sais pertinemment que les réglementations et les interdictions ne rencontrent pas ici un franc succès. Je m’inscris donc pleinement dans cette logique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il y a quelques jours, nous avons effectivement adopté à l’unanimité la proposition de loi que l’amendement de Bernard Buis vise à introduire dans ce texte.

Mme la ministre a précisé que, sur le fond, elle partageait cette ambition, mais qu’un travail restait néanmoins à mener pour ne pas compliquer les choses entre les deux codes concernés.

Fort opportunément, une commission mixte paritaire se tiendra dans quelques jours. À défaut de l’examen des sous-amendements que le Gouvernement avait déposés, celle-ci offrira l’occasion, me semble-t-il, de régler définitivement ce problème.

La belle unanimité qui était la nôtre il y a quelques jours doit trouver une traduction législative ce soir. Deux avis de sagesse ont été exprimés, une sagesse « au carré » en quelque sorte. Voilà qui doit nous conduire à l’adoption de cet amendement, que je voterai résolument.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 532 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 14.

L’amendement n° 580 rectifié, présenté par MM. Bilhac, Daubet, Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve et MM. Laouedj, Masset et Roux, est ainsi libellé :

Après l’article 14

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Toute parcelle ou unité foncière d’un seul tenant d’une superficie supérieure à 8 hectares doit être partagée par une ou plusieurs haies, délimitant des parcelles inférieures à 5 hectares.

La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, pour considérer que la haie participe à l’équilibre naturel des espaces agricoles et que nous avons perdu trop de kilomètres de linéaire de haie dans les années passées. Pourtant, c’était nécessaire : il fallait remembrer et s’adapter à l’agriculture mécanisée ; on ne pouvait pas continuer à cultiver des parcelles de cinq, dix ou cinquante ares.

Aujourd’hui, on veut réimplanter la haie. Pour ma part, je suis propriétaire d’un hectare de vigne, réparti en cinq parcelles – cela fait une moyenne de vingt ares par parcelle, mais certaines d’entre elles font dix ares quand d’autres en font vingt-cinq. Comment voulez-vous que je maintienne des haies sur de telles surfaces ? Ce n’est pas possible ! D’autant que ma vigne se trouve en pleine garrigue, un milieu totalement naturel et riche en biodiversité.

En revanche, lorsque je survole le bassin parisien – pardonnez-moi, mes chers collègues, il m’arrive de prendre l’avion pour venir ici – et que je vois des parcelles de cinquante, cent ou cent cinquante hectares sans la moindre haie de séparation, je me dis qu’il y a là matière à réflexion. Il faudrait, en accord avec la profession, fixer une surface minimum de parcelle agricole, mécanisable et exploitable, séparée par une haie, afin de réconcilier biodiversité et agriculture.

Il s’agit d’un amendement d’appel. J’ai certes cru comprendre que la commission y était défavorable, mais je vous demande tout de même, monsieur le rapporteur, d’y réfléchir.

Oui aux haies, mais certaines parcelles sont trop petites pour qu’on les maintienne, tandis que d’autres sont trop grandes pour qu’il n’y en ait pas !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Si je vous comprends bien, monsieur le sénateur, vous voulez que toutes les parcelles d’une surface d’au moins huit hectares soient délimitées par des haies. Cela signifie qu’il faudrait planter des kilomètres de haies pour rediviser les parcelles de cent hectares que vous apercevez en avion et en faire des parcelles de huit hectares, n’est-ce pas ?

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Je trouve que c’est un peu excessif et je ne pense pas que cela s’inscrive véritablement dans la logique de notre démarche.

Traiter le problème des haies en bordure de parcelle constituerait déjà une forme d’ouverture. Je trouve qu’il est préférable de légiférer ainsi plutôt que de créer une obligation de morceler les parcelles, après les avoir agrandies.

Il serait plus raisonnable, à mon sens, de commencer par planter en bordure de parcelle que d’essayer de planter au beau milieu. Ainsi, nous regagnerions tout de même beaucoup de linéaire par la plantation de kilomètres de haies.

La commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Annie Genevard, ministre. Même avis.

M. le président. Monsieur Bilhac, l’amendement n° 580 rectifié est-il maintenu ?

M. Christian Bilhac. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 580 rectifié est retiré.

L’amendement n° 442 rectifié ter, présenté par MM. Montaugé et Tissot, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione et Kanner, Mmes Bélim, Bonnefoy et Espagnac, MM. Jacquin et Kerrouche, Mme Monier, MM. Uzenat, Vayssouze-Faure, M. Weber, Lurel, Gillé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 14

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les externalités positives de l’agriculture sont scientifiquement définies et donnent lieu à des dispositifs de reconnaissance spécifiques permettant de conforter le développement de l’agroécologie.

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Notre rapporteur, Laurent Duplomb, cite souvent la morale de la fable : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. »

Je vous présente donc de nouveau, mes chers collègues, un amendement d’appel qui vise à promouvoir les paiements pour services environnementaux.

L’agriculture française, dans la variété de ses terroirs et des techniques employées, contribue à répondre aux besoins divers de la société. Au-delà de sa fonction nourricière première, elle produit des externalités qui affectent positivement l’environnement, les paysages et la biodiversité, tout en permettant à tous les Français de profiter d’espaces valorisés et protégés ou d’y vivre.

Ces effets positifs relèvent de l’intérêt général de la Nation et, à ce titre, doivent être scientifiquement définis et portés à la connaissance du public.

Ce n’est qu’en marge du dispositif de l’amendement proprement dit que, du fait de l’article 40 de la Constitution, j’ajoute que ces externalités pourraient faire l’objet d’une valorisation au bénéfice des agriculteurs qui en sont à l’origine, dans le cadre du plan stratégique national de la politique agricole commune (PAC).

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Je ne sais pas si c’est à mettre au compte de la patience et de la longueur de temps ou de la force et de la rage, mais la commission est défavorable à cet amendement ! (Sourires.)

Nous ne sommes pas hostiles à une reconnaissance des externalités positives de l’agriculture, car nous pourrions trouver des solutions en la matière, mais nous nous opposons à une définition globale : nous devons nous donner un peu plus de temps.

Nous en avons discuté ensemble, monsieur le sénateur Montaugé : les résultats des récentes élections aux chambres d’agriculture montrent qu’il y a matière à travailler ensemble sur ce point, pour aider les territoires auxquels vous faites allusion à travers cette définition.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Annie Genevard, ministre. Cet amendement vise à établir le principe de la reconnaissance des services environnementaux rendus par l’agriculture, afin de conforter le développement de l’agroécologie.

Des outils permettent déjà la rémunération des services environnementaux et l’accompagnement des transitions opérées par les exploitations agricoles. J’ai à l’esprit les écorégimes, les aides à la conversion à l’agriculture biologique, ou les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec).

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.

M. Henri Cabanel. Je partage avec M. Montaugé et de nombreux autres collègues le sentiment qu’il est nécessaire de mener une réflexion sur les paiements pour services environnementaux. Je me réjouis d’entendre le rapporteur s’inscrire dans cette démarche. Il est absolument crucial que nous avancions sur ce sujet.

Au-delà de ce qui est proposé à travers la PAC avec les Maec, et au-delà de ce qui est envisagé avec certains paiements pour services environnementaux liés à la gestion de l’eau, il convient d’engager une réflexion plus globale sur les apports potentiels de ces services, notamment en ce qui concerne les paysages.

Je suis élu d’un département dans lequel les étés sont très chauds et les incendies fréquents, où les vignes constituent de véritables coupe-feux naturels et rendent ainsi un service précieux à la société en contribuant à lutter contre la propagation des flammes. À cela s’ajoute toute la problématique liée à la prévention des inondations.

Toutes ces questions méritent d’être considérées au niveau territorial, mais il est impératif d’engager un véritable travail de fond sur le sujet.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. L’activité agricole couvre la moitié de la surface de notre pays et rend effectivement de multiples services, dont le premier est de nous nourrir.

Pour y parvenir, l’agriculture doit être en adéquation avec l’environnement, car il s’agit d’un véritable écosystème. Lorsque des politiques et des modèles agricoles produisent de nombreux services environnementaux, il est légitime que ceux-ci soient reconnus. Les paiements pour services environnementaux constituent l’une des formes de cette reconnaissance, en contrepartie des efforts consentis et de la contribution apportée à la stabilité du climat.

Je ne m’attarderai pas sur tous les avantages de la haie, mais elle permet notamment de stocker le carbone, et, donc, de limiter le réchauffement climatique. C’est précisément pour cette raison qu’il faut préserver l’existant, avant d’envisager la reconquête et la replantation des haies.

La haie fait également partie intégrante de notre paysage, de notre histoire et de notre patrimoine. Gérard Lahellec évoquait ainsi les talus avec une certaine poésie dans la voix.

Il est nécessaire de réenchanter notre monde agricole, largement abîmé par des décennies d’intensification. Je suis convaincu qu’il est possible de concilier souveraineté alimentaire et préservation de l’environnement. Ces deux objectifs ne sont nullement antinomiques ; bien au contraire, l’un ne saurait aller sans l’autre.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Les externalités positives de l’agriculture préexistaient à l’émergence de la notion d’agroécologie. Elles sont intrinsèquement liées à l’activité agricole depuis toujours et ne sont pas directement corrélées à la question de l’agroécologie et de son développement, même si leur prise en compte devra se renforcer dans le cadre d’un développement agroécologique de l’agriculture. J’en suis intimement convaincu.

Madame la ministre, je tiens à vous remercier de nous avoir donné, à Henri Cabanel et à moi-même, la possibilité d’échanger avec vos services. Ce fut un moment très intéressant.

J’espère, comme l’a envisagé M. le rapporteur, que nous pourrons cheminer ensemble pour trouver des solutions concrètes au service de l’agriculture, de notre pays et, surtout, des agriculteurs, notamment pour ce qui est de leur rémunération.

Je le répète ici : l’un des déterminants de la crise que traverse l’agriculture, que traduisent peut-être – rien n’est moins sûr – les résultats des dernières élections aux chambres d’agriculture, est la question du revenu et d’un revenu décent.

Les externalités positives constituent l’un des outils qui doit contribuer à l’instauration d’un revenu minimum agricole – notion qui, je l’espère, ne froissera personne – auquel ont droit tous les agriculteurs de France.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre. Monsieur le sénateur, je tiens à vous remercier de votre magnifique plaidoyer à propos de ce que l’agriculture et les agriculteurs apportent à la France.

Vos propos contrastent avec la parole de tant d’autres, qui ne mesurent pas la contribution de l’agriculture à notre pays.

L’agriculture nous assure la souveraineté alimentaire, ou du moins devrait-elle nous l’assurer, comme le soulignait le sénateur Gremillet ; elle contribue également à l’entretien et à la beauté de nos paysages ; elle perpétue la grande tradition de l’élevage et nous offre de merveilleux produits. Elle est parmi les plus vertueuses, sinon la plus vertueuse du monde.

Il est important de le dire et de le rappeler, car nous devons nous opposer à cette pensée de plus en plus dominante qui incrimine les agriculteurs, ce que je trouve absolument détestable.

Il est intolérable que ceux qui travaillent aussi dur que les agriculteurs, de surcroît pour nous nourrir, fonction essentielle s’il en est, soient la cible de propos parfois insupportables.

Mme Annie Genevard, ministre. La question de la rémunération des externalités positives de l’agriculture recoupe celle du revenu, laquelle est essentielle, matricielle. Pour attirer davantage d’agriculteurs, il faut que ceux-ci soient assurés d’exercer un métier attrayant – c’est le cas des métiers du vivant –, mais qu’ils aient également l’assurance d’en tirer une juste rémunération.

Peut-être parviendrons-nous un jour à évaluer les externalités positives de l’agriculture, ce qui n’est pas chose aisée, vous en conviendrez.

M. Franck Montaugé. Il existe des études sur le sujet !

Mme Annie Genevard, ministre. À ce stade, nous pourrions commencer par nous intéresser au revenu lié à l’activité, c’est-à-dire d’abord à l’allégement des charges, qui y contribue, ainsi qu’aux rendements, qui impliquent un accès à la terre, à l’eau, aux moyens de traitement des cultures et de protection de l’élevage.

Enfin, il nous faut aborder la question du prix des produits de l’agriculture. C’est l’objet des lois Égalim, dont je ne prétends pas qu’elles soient parfaites. Elles ont toutefois mis en évidence un élément essentiel : la juste rémunération de la matière première agricole.

Quand nous aurons résolu ces trois problèmes – l’allégement des charges, la hausse des rendements et la juste rémunération –, je ne dis pas que la question de la valorisation des externalités positives sera secondaire, mais nous aurons déjà parcouru un sacré bout de chemin.

Merci encore de vos propos, monsieur le sénateur, ils font du bien ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 442 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Après l’article 14
Dossier législatif : projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture
Article 14 ter

Article 14 bis

À l’article L. 214-14 du code forestier, les mots : « et 4° » sont remplacés par les mots : « à 5° ».

M. le président. L’amendement n° 494 rectifié, présenté par Mmes Loisier et Sollogoub, M. Canévet, Mme Lassarade, MM. Bacci, de Nicolaÿ, J.M. Arnaud, Brault et Levi, Mmes Billon et Paoli-Gagin, M. Chauvet, Mme Vermeillet, MM. Favreau et Henno, Mme Berthet, MM. Klinger et Fargeot, Mmes Gacquerre, Romagny et Jacquemet et M. Gremillet, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Cet amendement tend à supprimer l’article 14 bis, au motif qu’il est satisfait par le droit existant.

Je suis très ennuyée, madame la ministre, car je sais que cet article vous tient à cœur, mais la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) est également très préoccupée.

L’article 14 bis vise à autoriser le défrichement des forêts publiques dans des boisements spontanés de première génération, sans autorisation ni compensation. Je rappelle qu’en France 87 % des boisements sont en régénération naturelle et spontanée, et que seulement 13 % des surfaces forestières sont effectivement plantées.

Ce dispositif est contraire aux articles L. 214-13, L. 112-1 et L. 341-3 du code forestier, parmi d’autres, ainsi qu’à de nombreux articles du code rural et de la pêche maritime, qui ont pour objet de placer les forêts sous la protection de la Nation.

Le code forestier dispose ainsi que les bois ou forêts d’une collectivité locale, qu’ils relèvent ou non du régime forestier, ne peuvent faire l’objet d’aucun défrichement, sauf autorisation de l’autorité administrative compétente de l’État. Défricher est donc possible, après visa de l’État et élaboration d’un projet territorial.

Par ailleurs, de nombreuses dérogations répondent à l’objectif, bien légitime, de reconquête des espaces agricoles. L’article L. 341-2 du code forestier précise ainsi que « ne constituent pas un défrichement », et ne sont donc pas soumises à autorisation, « les opérations ayant pour but de remettre en valeur d’anciens terrains de culture, de pacage ou d’alpage envahis par une végétation spontanée ».

Cela concerne, me semble-t-il, les quelque 3,5 millions d’hectares de terres agricoles qui ne sont pas cultivés aujourd’hui. Cet article du code forestier, vous le remarquerez, ne fixe pas de limite d’âge des peuplements.

De surcroît, ce même article précise que « le défrichement destiné à la réouverture des espaces à vocation pastorale est autorisé après que le représentant de l’État dans le département a soumis, pour avis, le projet à la commission de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) ». Il s’agit donc de projets de territoire, étudiés avec les préfets et acceptés sous forme de réglementation des boisements par l’article L. 126-1 du code rural et de la pêche maritime ou d’aménagements fonciers par l’article L. 123-21 du même code.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Anne-Catherine Loisier. Nous sommes donc en présence d’une multitude de dispositifs, lesquels sont fort complexes, je le reconnais, et c’est pourquoi je vous invite, madame la ministre, à ne pas en rajouter.

En revanche, il conviendrait de les clarifier par voie de circulaire, afin que les agriculteurs puissent effectivement mettre en œuvre tous les instruments de reconquête agricole qui sont à leur disposition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Duplomb, rapporteur. La commission demande l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Annie Genevard, ministre. Comme vous le savez, madame la sénatrice, je travaille sur ce sujet depuis très longtemps, non pas à titre personnel, mais au sein de l’Association nationale des élus de la montagne (Anem), que j’ai eu l’honneur de présider.

Je tiens à préciser que ce dispositif ne concerne en effet que les territoires de montagne.

En montagne, nous assistons à la fermeture de certains espaces, car la nature a une propension à occuper le terrain. Cet amendement vise ainsi les bois et l’enfrichement naturel résultant de l’absence d’intervention humaine. Comme c’est le cas pour les haies, lorsque l’on ne contraint pas la nature, celle-ci se développe, et ce, au détriment des terres agricoles.

Mme Annie Genevard, ministre. L’objectif premier de cet article est de reconquérir de la surface agricole utile.

Cette démarche revêt une importance particulière en montagne, où l’activité matricielle est l’élevage extensif, car les exploitations recherchent de plus en plus l’autonomie fourragère et ont donc besoin de prairies, lesquelles, je le rappelle, sont d’aussi bons capteurs de carbone que les forêts.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Dans le département du Doubs, en un siècle, nous avons perdu 100 000 hectares de terres agricoles, dont 75 000 au profit de la forêt, qui a gagné du terrain partout et continue de le faire, et 25 000 au profit de l’urbanisation. Il ne s’agit donc pas d’empêcher la forêt de progresser, ce qu’elle fait considérablement dans notre pays.

M. Olivier Rietmann. C’est vrai !

Mme Annie Genevard, ministre. Cet article fait sortir les forêts publiques du régime de l’autorisation de défrichement, à l’instar de ce que nous avons déjà fait pour les forêts privées.

Cela n’obligera en rien les maires à défricher. De telles décisions resteront toujours à leur appréciation ; il n’est pas question de leur imposer le défrichement des accrus forestiers de moins de quarante ans, au motif que ceux-ci auraient empiété sur des terres agricoles. Le maire, l’élu, le conseil municipal resteront toujours maîtres de leur territoire et de son entretien.

Au risque de me répéter, il s’agit simplement d’étendre aux forêts publiques les dispositions récemment adoptées pour les forêts privées.

Je vous le rappelle, quand on défriche des terrains forestiers, on doit compenser ce défrichement par un reboisement au moins équivalent de terres agricoles ; en revanche, l’inverse n’est pas vrai. C’est une injustice profonde, fondamentale !

Mme Annie Genevard, ministre. Si nous n’arrivons pas à regagner de la surface agricole utile, nous ne progresserons pas en matière de souveraineté alimentaire.

Il ne s’agit pas de s’attaquer à la forêt. Il s’agit de circonscrire, en zone de montagne, les « enforestations » naturelles, ou, si vous préférez, la broussaille ayant poussé naturellement, qui n’est ni exploitée ni valorisée, alors que l’agriculteur, lui, pourrait la valoriser utilement.

C’est la raison d’être de cet article sur lequel nous avons travaillé avec les élus de la montagne, dans le cadre de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), et des élus de votre région, madame la sénatrice Loisier.

Cette mesure est vraiment attendue. Dans le cadre de visites de terrain avec des agriculteurs et les services de la direction départementale des territoires (DDT), j’ai pu réfléchir à la meilleure manière d’appliquer ces dispositions. Il s’agit ici d’une simplification et d’une harmonisation du code forestier (Mme Anne-Catherine Loisier le conteste.) : rien n’obligera un maire à défricher s’il ne le souhaite pas ; en revanche, s’il le souhaite, il en aura la possibilité légale. C’est tout de même intéressant.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est clair !