M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, il est heureux que la programmation énergétique soit de nouveau inscrite à l'agenda.

Lors de sa déclaration de politique générale, le 1er octobre 2024, le Premier ministre Michel Barnier avait annoncé la reprise immédiate des travaux de programmation en la matière, de même que la relance de l'énergie nucléaire, filière industrielle d'excellence.

Dans votre déclaration de politique générale, le 14 janvier 2025, monsieur le Premier ministre, vous avez confirmé la reprise de ces travaux et la relance de cette filière. Le 28 avril dernier, vous avez annoncé l'examen par l'Assemblée nationale de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, d'ici à la fin du mois de juin – pour rappel, ce texte a largement été adopté au Sénat, le 16 octobre 2024 –, ainsi que la publication du décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, d'ici à la fin du mois de septembre prochain.

Un groupe de travail, conduit par le député Antoine Armand et moi-même, rendra ses conclusions sur ce décret prochainement.

Ce sont de bonnes nouvelles, de réelles avancées dont nous nous félicitons. Le « socle commun » démontre ainsi sa capacité à avancer, à débattre, à légiférer sur le sujet ô combien sensible de l'énergie.

Je me réjouis que le Gouvernement ait clairement choisi la voie parlementaire en proposant un débat sur le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie et la poursuite de l'examen de la proposition de loi sénatoriale précitée.

Je suis convaincu qu'un débat public rationnel, reposant sur la science et valorisant la technique, nous permettra de définir ensemble la trajectoire industrielle nécessaire à notre souveraineté et transition énergétiques.

En tant que législateurs, il est de notre responsabilité de définir notre cap à l'issue d'une délibération parlementaire, garante de l'intérêt général et de la légitimité démocratique.

La commission des affaires économiques – mais aussi le Sénat dans son ensemble – a plaidé de façon constante à la fois pour actualiser notre programmation énergétique et pour légiférer sur ce sujet.

C'est elle qui a fixé le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie, lors du vote de la loi relative à l'énergie et au climat, dite Énergie-climat, en 2019.

C'est également elle qui a fait adopter la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, déposée notamment par Dominique Estrosi Sassone, Bruno Retailleau et moi-même.

Ce texte a été largement coconstruit avec le Gouvernement – en témoigne l'adoption de onze amendements sénatoriaux. La ministre Olga Givernet l'a pleinement soutenu, en levant symboliquement le gage.

Cette proposition de loi fait aujourd'hui l'objet d'échanges tout aussi constructifs avec le ministre Marc Ferracci. Alors que le Gouvernement s'apprête à l'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale, je tiens à saluer l'engagement du Premier ministre et du ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, ainsi que de leurs cabinets et services respectifs.

Ce texte est crucial pour conférer au nouveau décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie la sécurité juridique nécessaire.

Légiférer est une obligation légale, car l'article L. 100-1 A du code de l'énergie dispose qu'une loi de programmation prévaut sur le décret sur la programmation pluriannuelle. De plus, nos objectifs énergétiques nationaux ne sont pas à jour par rapport aux objectifs européens fixés par les directives et les règlements du paquet Ajustement à l'objectif 55, en 2021.

Il faut donc s'atteler à un exercice de transposition, en choisissant toujours les options les moins créatrices de normes et les plus protectrices de nos intérêts.

Légiférer est aussi une nécessité économique. En effet, la réussite de notre souveraineté et de notre transition énergétique suppose un État stratège, une programmation claire, des normes adaptées et des moyens suffisants.

La filière du nucléaire a besoin d'une assise législative et d'une légitimité politique pour mettre sa relance à l'abri des accroches contentieuses et des soubresauts politiques. On a trop souvent reproché au plan Messmer, qui faisait suite au premier choc pétrolier, d'avoir été pris par décret, de manière technocratique.

La filière des énergies renouvelables est aussi demandeuse d'une assise législative, pour diversifier la production ou modérer la consommation.

En fin de compte, je me réjouis que cette proposition de loi bénéficie d'un accueil très favorable au sein du secteur de l'énergie, qu'il s'agisse des filières économiques du nucléaire et du renouvelable ou des acteurs institutionnels – la Commission de régulation de l'énergie (CRE), le Médiateur national de l'énergie (MNE) et Réseau de transport d'électricité (RTE).

Le secteur de l'énergie n'a jamais été aussi stratégique. Face au protectionnisme américain et au bellicisme russe, qui exposent chaque jour la France et l'Europe à un risque de guerre économique, maîtriser notre approvisionnement énergétique est crucial. Cela suppose un véritable changement de perspective, à la fois des politiques publiques et des mentalités collectives.

Tout d'abord, il faut sortir d'une logique décroissante. Pendant trop longtemps, nous avons négligé, par idéologie ou par facilité, notre outil productif. Reconnaissons-le, la fermeture prématurée de la centrale nucléaire de Fessenheim ou des quatre dernières centrales à charbon a constitué une cruelle erreur.

Plus encore, il faut sortir d'une logique oppositionnelle. Cessons d'opposer l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. En vérité, nous avons besoin de toutes les énergies décarbonées, à court terme, pour passer les pics de consommation hivernaux et, à long terme, pour réussir notre réindustrialisation et notre décarbonation.

Par ailleurs, arrêtons d'opposer le marché national et le marché européen de l'électricité. En effet, notre pays est, de très loin, le premier exportateur européen en la matière. Bien sûr, nous devons défendre avec force la définition de notre mix énergétique, qui relève de notre seule compétence nationale, et non de décisions bruxelloises – j'insiste sur ce point.

L'utilité de nos centrales nucléaires et la pérennité de nos concessions hydroélectriques doivent être pleinement reconnues par la législation européenne.

Je constate qu'il n'y a pas de fatalité et que les choses progressent depuis la création de l'Alliance européenne du nucléaire. À l'inverse, prétendre s'affranchir du marché européen de l'électricité n'est ni possible ni souhaitable.

Enfin, il faut sortir d'une logique attentiste. Trois ans après le discours de Belfort, en 2022, la construction des six EPR2 annoncés, voire des huit autres réacteurs envisagés, demeure encore abstraite. En effet, elle ne figure ni dans le cadre législatif ni dans le cadre réglementaire.

Il faut dire que, dans cette période d'instabilité gouvernementale, quatre Premiers ministres, quatre ministres de l'énergie et trois présidents-directeurs généraux d'EDF se sont succédé !

Nous avons aujourd'hui l'occasion unique de corriger le tir en inscrivant le nouveau nucléaire dans le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie et, surtout, dans la proposition de loi sénatoriale.

Sur le fond, ces deux textes sont totalement complémentaires. En effet, la plupart des objectifs convergent parfaitement, pour notre plus grande satisfaction.

Cependant, sur plusieurs points, le décret est parfois trop en retrait par rapport à la proposition de loi. Je pense notamment à l'énergie nucléaire, à l'hydroélectricité, aux bioénergies ou encore à la rénovation et à l'efficacité énergétiques.

Je l'ai dit, l'énergie nucléaire est cruciale pour offrir au pays une énergie pilotable, accessible, indépendante et décarbonée. Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie confirme la construction de six EPR2 et du petit réacteur modulaire (SMR) Nuward (Nuclear forward). En revanche, il n'évoque que l'étude de huit autres EPR2.

De son côté, la proposition de loi prévoit d'engager la construction de six EPR2 d'ici à 2026 et de huit EPR2 et du SMR Nuward d'ici à 2030, puis de tendre à une capacité totale de 27 gigawatts pour le nouveau nucléaire d'ici à 2050.

Son objectif est de cranter a minima le scénario N03 envisagé par RTE, c'est-à-dire le plus nucléarisé, pour conserver un mix aux deux tiers nucléaire en 2030 et largement majoritaire en 2050.

La nécessité de préserver un mix fortement nucléarisé a bien été mise en évidence par la commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, conduite sous l'égide de nos collègues Vincent Delahaye et Franck Montaugé. C'est un constat que je tiens à saluer.

À l'évidence, la recherche est cruciale si nous voulons trouver de nouvelles voies pour diversifier la production et modérer la consommation d'énergie. C'est tout particulièrement le cas dans le secteur du nucléaire, industrie innovante qui s'inscrit dans le temps long.

Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie évoque la mise au point de deux prototypes de petits réacteurs modulaires ou innovants d'ici à 2030 et la définition d'une feuille de route du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR) d'ici à 2026.

Je regrette que ce décret ne reprenne pas l'objectif d'une capacité de 4 gigawatts pour les petits réacteurs modulaires d'ici à 2050, issu du scénario N03. En outre, il est moins ambitieux que l'actuelle programmation pluriannuelle de l'énergie concernant les RNR, laquelle prévoit explicitement de maintenir « la perspective d'un éventuel déploiement industriel d'un parc de tels réacteurs ».

Le besoin de dynamiser la recherche et l'innovation dans le secteur du nucléaire a bien été rappelé par le rapport sur le développement des réacteurs nucléaires innovants en France, conduit au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) par notre collègue Stéphane Piednoir. Je partage les recommandations qui y sont formulées.

Outre l'énergie nucléaire, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie fixe également des objectifs en matière d'énergies renouvelables et d'hydrogène, nucléaire comme renouvelable.

Concernant l'hydroélectricité, il évoque la résolution pour le renouvellement des concessions hydroélectriques. C'est une bonne chose. Il faudrait pourtant être plus explicite à la fois pour le groupe EDF, qui attend un dispositif robuste pour préserver ses concessions d'une ouverture à la concurrence, et pour la Compagnie nationale du Rhône (CNR), dont la concession a été prolongée pour vingt ans par la loi du 28 février 2022 relative à l'aménagement du Rhône, votée à l'unanimité, et qui semble ne demander aucune évolution.

Par ailleurs, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie évoque une capacité additionnelle de 2,8 gigawatts d'ici à 2035 en matière d'hydroélectricité. Je souhaite que soit repris le chiffrage global de 29 gigawatts d'ici à 2035, proposé par la filière.

Les bioénergies sont essentielles pour décarboner, notamment les secteurs les plus difficiles à électrifier, comme l'industrie ou les transports. Concernant les biocarburants, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit d'orienter progressivement les consommateurs vers les secteurs qui auront durablement peu d'alternatives.

Je propose que le décret autorise le recours aux biocarburants pour les automobiles, dès lors qu'un parc thermique continuera d'exister pendant encore de nombreuses années. Il faut aussi penser à nos concitoyens, qui n'auront pas les moyens d'acquérir un véhicule électrique, en dépit de la nécessité de décarboner les transports.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. Daniel Gremillet. Pour ce qui est du biogaz, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie fixe un objectif de 15 % dans la consommation de gaz d'ici à 2030. Je suggère de retenir l'objectif encore plus ambitieux de 20 %, suggéré par la filière.

Enfin, l'hydrogène, nucléaire ou renouvelable, est lui aussi particulièrement intéressant pour décarboner les secteurs de l'industrie ou des transports, difficiles à électrifier. Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie fixe un objectif de 4,5 gigawatts d'ici à 2030, très en deçà de la proposition de loi sénatoriale et de l'ancienne stratégie nationale de l'hydrogène décarboné, qui visent toutes deux un objectif de 6,5 gigawatts.

Cela envoie un très mauvais signal à la filière, qui attend la mise en œuvre concrète du mécanisme de soutien public introduit par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et Résilience. Vous le savez, la bataille pour l'hydrogène se joue dans le monde entier.

J'en viens à la rénovation et l'efficacité énergétiques. Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie évoque 600 000 rénovations énergétiques par an d'ici à 2030 et un minimum de 825 térawattheures d'économies par an, contre 900 000 rénovations et 1 250 térawattheures dans la proposition de loi sénatoriale.

Une plus grande cohérence et une plus grande ambition peuvent donc être recherchées sur ces sujets.

Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie me semble positif. C'est la raison pour laquelle je le soutiens pleinement, à condition qu'il soit conforté par la proposition de loi sénatoriale et qu'il soit ajusté sur les différents points que j'ai indiqués.

Je suis convaincu que nous avons la capacité et l'opportunité d'aboutir enfin sur ce long chantier de la programmation énergétique. Il est crucial, pour notre souveraineté et notre transition énergétique que nous disposions rapidement d'un cadre législatif et règlementaire cohérent et robuste. C'est ce que les entreprises et les collectivités attendent pour mener concrètement leurs projets.

Une fois ce chantier programmatique achevé, il nous faudra relever d'autres défis qui obèrent encore les perspectives d'investissement dans le secteur de l'énergie.

Le premier défi est d'ordre financier. Il s'agit de la nouvelle régulation du nucléaire, qui doit offrir des recettes suffisantes au groupe EDF, tout en maintenant un prix de l'électricité abordable pour les consommateurs et supportable pour notre économie.

Le second défi est d'ordre juridique. Il s'agit de la résolution du contentieux sur les concessions hydroélectriques, sujet sur lequel mes collègues Patrick Chauvet, Jean-Jacques Michau, Fabien Gay et moi-même menons une mission d'information.

Je ne doute pas de la détermination du Gouvernement sur ces différents dossiers. Il trouvera au Sénat, notamment auprès du groupe Les Républicains, un allié exigeant, convaincu de la nécessité d'avancer pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, il y a quelques années, par un raccourci révélant bien le sens des enjeux, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, affirmait : « L'énergie, c'est l'industrie de l'industrie. »

Oui, l'énergie est fondamentale pour l'avenir de la France en Europe et dans le monde, pour les conditions de vie et le pouvoir d'achat de tous les Français. Le sujet du débat proposé aujourd'hui est ou devrait être au cœur de la stratégie française en matière d'énergie et de climat.

Depuis la loi Énergie-climat, adoptée en 2019, cette stratégie, traduite dans une loi de programmation quinquennale, devait permettre une adaptation au changement climatique via le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), assurer la décarbonation via la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) actualisée et définir une politique de l'énergie via la progression annuelle de l'énergie.

À ce jour, au-delà de quelques consultations publiques, aucun des sujets majeurs pour la souveraineté nationale n'a été soumis au vote du Parlement. L'obligation est pourtant claire, comme en témoigne cet extrait du code de l'énergie : « une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique. » Cette loi précise les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de réduction de la consommation énergétique finale, de développement des énergies renouvelables, de diversification du mix de production de l'électricité et les priorités en matière de rénovation énergétique dans le bâtiment. Sont également fixés les objectifs permettant aux départements d'outre-mer d'atteindre l'autonomie énergétique ou de la maintenir.

Cette loi doit être révisée tous les cinq ans ; si elle avait existé, sa dernière révision aurait dû être votée avant le 1er juillet 2023. Il n'en a rien été et la proposition de loi votée au Sénat n'aborde pas tous ces sujets fondamentaux.

Depuis 2022, sur toutes les travées de cette assemblée, nous demandons le respect du code de l'énergie et la discussion approfondie de la politique énergétique de la France par la représentation nationale. Pour son volet énergie, la troisième version de la programmation pluriannuelle de l'énergie, prise par décret, aurait donc dû résulter de la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC), discutée et votée préalablement par le Parlement.

En 2024, le Président de la République a dissous l'Assemblée nationale. Depuis lors, aucun gouvernement n'a souhaité engager ce débat parlementaire, pourtant capital pour l'avenir de notre pays. La troisième version de la programmation pluriannuelle de l'énergie devrait donc être promulguée sans véritable débat parlementaire préalable.

Jusqu'à présent, le Gouvernement nous demande de prendre acte de cette nouvelle version de la programmation pluriannuelle de l'énergie, sur laquelle de nombreux acteurs ont pu s'exprimer en faisant des propositions, à l'exception des parlementaires ès qualités.

Jusqu'à présent, l'exécutif ne s'est conformé ni à la lettre ni à l'esprit de la Constitution. Nous nous trouvons dans une situation flagrante de déni démocratique et de contournement des institutions de la République. La loi doit être appliquée, en premier lieu par l'État ; les institutions de la République, en l'occurrence le Parlement, doivent être respectées.

M. Fabien Gay. Très bien !

M. Franck Montaugé. Dès lors, comment faut-il comprendre cette soudaine proposition de débat sur la souveraineté énergétique de la France, en application de l'article 50-1 de la Constitution ? Ce débat ne permet pas de discuter sur le fond de la loi de programmation sur l'énergie et le climat prévue par les textes en vigueur ; en outre, contrairement à une loi débattue et votée en bonne et due forme législative, il n'oblige en rien le Gouvernement.

Nous demandons de nouveau au Président de la République et au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat.

Je me permets de rappeler ici les propos de celui qui deviendra ministre de l'économie, Antoine Armand : « La construction de cette loi énergétique doit être un temps fort de société. Pour redonner toute sa place au Parlement […], cette loi de programmation devrait être mise en cohérence avec le temps énergétique, qui est un temps de l'industrie et de la souveraineté ». On ne saurait mieux dire !

À ce projet doit être jointe une robuste étude d'impact permettant de faire le point sur les résultats climatiques et énergétiques de la France. Nous ne disposons de rien de tel.

Au-delà des dépenses déjà réalisées ou engagées, dont un récapitulatif fiable serait utile, les projections doivent mettre en exergue les efforts financiers qui seront nécessaires dans les années à venir pour l'ensemble des acteurs de la société, notamment les collectivités territoriales.

Dans le cadre du débat d'aujourd'hui, il est utile de s'interroger sur le sens à donner au concept de « souveraineté énergétique ». Toutes les énergies sont en réalité soumises à des formes de dépendance plus ou moins fortes. Ne nous voilons pas la face : nous sommes vulnérables et nous le resterons.

Dès lors, le rôle de l'État est de tenir compte des risques de vulnérabilité de notre système énergétique, à l'égard des aléas externes, géopolitiques notamment, comme de ceux que le système génère pour lui-même.

Cette problématique doit être prise en compte dans une loi de programmation sur l'énergie et le climat fixant nos objectifs climatiques, énergétiques et industriels à moyen et à long terme, sur un horizon de vingt à trente ans. Elle doit prévoir les moyens financiers nécessaires, comme le fait le rapport Pisani-Mahfouz, lequel pose très bien les enjeux et les problématiques de financement de l'action.

Le défaut d'une telle démarche programmatique dans les années 1980-1990 nous a certainement coûté très cher. Je pense ici à la filière industrielle nucléaire, dont les enjeux stratégiques ont été laissés de côté, comme à celle des énergies renouvelables, dont la dimension productive nationale en matière de construction n'a jamais représenté un objectif politique majeur.

Dans le cadre de ses prérogatives, le Parlement doit aussi, systématiquement et régulièrement, évaluer la mise en œuvre et l'efficience des politiques publiques en matière d'énergie et de climat. Face aux vulnérabilités de notre système énergétique, l'État doit se doter des moyens permettant de sécuriser les approvisionnements des chaînes de valeurs énergétiques et de réduire nos dépendances actuelles.

Au-delà de ce que font aujourd'hui le service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), les délégations interministérielles au nouveau nucléaire et aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, ainsi que l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi), je vous demande, monsieur le Premier ministre, ce que vous prévoyez de faire pour diminuer nos vulnérabilités, dans un contexte budgétaire public très dégradé.

L'étude de référence de RTE intitulée Futurs énergétiques 2050 met en exergue la problématique de la sécurité d'approvisionnement en métaux nécessaires à la transition du système énergétique. Une politique spécifique doit en résulter et le Parlement devrait être impliqué dans ce processus sous des formes appropriées, eu égard aux enjeux stratégiques concernés.

Je souhaite ici rappeler les positions de principe du groupe SER sur le mix énergétique et sa mise en œuvre. Au préalable, il convient d'être aussi clair que possible sur les hypothèses de consommation nationale à moyen et à long terme. L'électrification des usages – transport, bâtiment, industrie et économie en général – concernera des volumes d'électricité susceptibles de varier sensiblement selon l'efficacité réelle des process, outre les comportements effectifs de sobriété des consommateurs.

Par exemple, au-delà de la décarbonation de l'existant, la profondeur de la réindustrialisation emportera un effet direct sur le niveau de la consommation d'électricité.

À ce propos, l'actualité d'ArcelorMittal et de très nombreuses autres entreprises françaises de toutes tailles, avec son cortège de licenciements et d'emplois supprimés, fait obligation au Gouvernement de nous communiquer ses projections en matière d'industries nouvelles sur le sol français et ses projets pour répondre aux nombreuses défaillances en cours.

Monsieur le ministre, quelles sont vos projections de solde industriel et d'emplois à court, à moyen et à long terme ?

Les décisions concernant le mix énergétique se prennent pour quarante ans, cinquante ans, voire plus. Les dépenses afférentes doivent être optimisées, a fortiori dans un contexte budgétaire et de dette dégradé pour longtemps. En ce qui concerne tant l'efficacité des processus que la sobriété des usages, quels sont vos plans d'action par secteur et les moyens financiers que vous y affectez ?

Nous ne disposons pas d'une visibilité suffisante sur l'impact projeté des politiques publiques en matière de rénovation thermique des bâtiments, des politiques de l'habitat en général, de la façon de travailler et de commercer, de la mobilité et de la transition écologique des activités industrielles.

Au regard du rythme de progression de la décarbonation, ne faudrait-il pas que RTE propose un scénario de moindre consommation d'électricité, peut-être plus réaliste ? Quelles sont les trajectoires de consommation que vous avez à l'esprit et quelle composition de mix en déduisez-vous ?

Vos prédécesseurs n'ont jamais souhaité se référer explicitement aux scénarios de mix à horizon 2050 de RTE. Pourtant, les décisions annoncées dans le discours de Belfort et les déploiements projetés des énergies renouvelables sont proches du scénario N03 à 50 % de nucléaire et 50 % d'énergies renouvelables. On constate par ailleurs que c'est le scénario de moindres coûts complets de production, de réseaux de transport et de distribution, ainsi que de flexibilités.

Quelle est votre projection des différents modes de production à l'horizon 2060 ?

Comment prenez-vous en compte les risques et les incertitudes relatifs aux choix technologiques que vous avez retenus ?

En tout état de cause, nous souhaitons que les coûts complets des différents moyens de production soient objectivement pris en compte dans la formation des prix et des tarifs. Pour nous, deux principes doivent être absolument respectés.

D'une part, la rémunération des producteurs doit couvrir leurs coûts complets, c'est-à-dire les coûts moyens actualisés, les coûts système – de secours et de stockage – et les coûts des externalités, positives ou négatives. Les tarifs de rachat doivent être fixés en conséquence.

D'autre part, les tarifs réglementés doivent être protégés et, pour certains d'entre eux, réintroduits. Ils doivent refléter les coûts complets du mégawattheure produit.

Monsieur le ministre, comment l'État compte-t-il arbitrer ce différend, dont nous comprenons qu'il a constitué un motif de non-reconduction de M. Rémont à la tête de l'entreprise, en plus de la question de la participation de l'État au financement des investissements d'EDF ?

Au-delà des accords européens de principe et de la mise en œuvre des CFD (Contracts for Difference), des PPA (Power Purchase Agreement), des contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) et autres contrats à terme sur lesquels nous souhaitons obtenir un point de situation, il est temps, dans l'intérêt de la France et de l'Europe, que les prix du gaz et de l'électricité soient décorrélés.

Passer d'une dépendance à la Russie à une dépendance aux États-Unis ne saurait constituer une option pérenne. Quelles sont aujourd'hui vos pistes de travail, par exemple en matière de biogaz, de biomasse ou d'autres procédés ?

Nous attendons également encore du Gouvernement qu'il obtienne au plus tôt de la Commission européenne la mise en œuvre du statut de quasi-régie pour les concessions hydrauliques.

Nous souhaitons enfin que soit portée une attention particulière à la production hydrolienne, dont l'impact territorial est fort là où elle existe déjà.

Vous l'avez compris, de nombreuses questions fondamentales ne trouvent pas de réponse dans les démarches actuelles. Ne tardez pas à soumettre au Parlement un projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat, nous vous le demandons. Prendre prétexte du contexte politique n'est pas à la hauteur des défis de souveraineté énergétique que notre pays doit relever sans plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marianne Margaté et M. Fabien Gay applaudissent également.)