M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, c'est peu dire que ce débat était attendu. Nous ne pouvons que nous réjouir qu'il ait lieu et en remercier le Gouvernement.

Sur le fond, nous sommes aujourd'hui invités à nous exprimer sur l'avenir de la souveraineté énergétique de notre pays. Cet intitulé ne doit pas nous faire perdre de vue l'essentiel, c'est-à-dire le pays que nous voulons en 2050.

Si, à cette date, la France est désindustrialisée, désarmée et devenue une colonie numérique, même un système énergétique réduit à la portion congrue suffira à reconquérir notre souveraineté énergétique : quand on ne produit plus rien, il est moins difficile d'atteindre la neutralité carbone !

Le corollaire de ce constat est que nous avons besoin d'un cap clairement défini, dont on ne peut dévier à chaque bourrasque économique ou politique et pour lequel nous devons anticiper les besoins. Celles qui nous sont proposées sont-elles réalistes, si l'on veut réindustrialiser et réarmer ? Cela n'est malheureusement pas certain.

Notre stratégie énergétique repose en effet sur deux piliers : une réduction considérable de la consommation d'énergie et une augmentation non moins considérable de la production d'énergie décarbonée.

Poursuivre la tendance dans les proportions requises par la programmation pluriannuelle de l'énergie paraît très volontariste. Dans un monde en croissance, cela ne peut reposer que sur de l'efficacité et non sur de la sobriété. Toute notre stratégie est en réalité fondée sur les gains attendus de l'électrification des usages. C'est là que l'objectif de consommation rencontre l'objectif de production.

Il va nous falloir beaucoup d'électricité, à la fois pour réduire la consommation et pour satisfaire les besoins. Pourtant, la programmation proposée pourrait nous confronter à un paradoxe. Avec les projections opérées dans la programmation pluriannuelle de l'énergie envisagée, il semble que nous surévaluions nos besoins de moyen terme, c'est-à-dire pour la période de 2025 à 2035, et que nous sous-évaluions au contraire nos besoins pour la période de 2035 à 2050.

Ces deux périodes correspondent à des natures d'équipements énergétiques différentes : énergies renouvelables (EnR) pour la première période, arrivée en service des nouvelles capacités nucléaires pour la seconde.

Concernant les EnR, les ambitions de la programmation pluriannuelle de l'énergie sont impressionnantes, mais nous ne savons comment juger de ces objectifs.

En prenant en compte le paramètre clé de l'acceptation sociale, nous ne voyons pas comment ceux-ci pourraient être atteints. Les résistances aux projets d'énergie renouvelable se multiplient aujourd'hui sur le territoire. Les porteurs de projets éoliens rencontrent des difficultés pour obtenir des autorisations en raison des risques de contentieux, tandis que l'instabilité du cadre réglementaire nuit au développement du photovoltaïque.

Le renouvellement des installations est crucial pour faire face à cet enjeu. Avant d'en développer de nouvelles, souvent mal acceptées socialement, il est possible d'augmenter la capacité de celles qui existent, comme les éoliennes et les centrales nucléaires. Cependant, si le renouvellement permet d'atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie, il pourrait aussi provoquer une surcapacité en EnR si la demande ne suivait pas la production qui semble se profiler.

RTE a récemment lancé l'alerte en évoquant une « situation extrêmement tendue ». L'électricité produite est trop abondante par rapport à la demande et ce déséquilibre pourrait s'aggraver si l'électrification des usages ne progressait pas aussi vite que les investissements.

Cela pose une vraie question : comment construire un système durable si la demande ne suit pas l'offre ? Le déséquilibre entre la montée des EnR et la demande réelle d'électricité pourrait donner lieu à de graves problèmes entre 2035 et 2050.

Cette deuxième période, appuyée sur le nucléaire, repose sur une inconnue majeure : la prolongation des réacteurs actuels. Nous ignorons encore si celle-ci sera possible aussi longtemps.

Si ce n'est pas le cas, même le nombre maximal d'EPR prévus serait insuffisant, nous laissant avec un mix dominé par les énergies renouvelables, face à de sérieux enjeux de pilotabilité et de sécurité d'approvisionnement. Il est donc essentiel de clarifier dès maintenant le potentiel de prolongation des réacteurs.

L'autre inconnue majeure relative au programme des EPR concerne l'opérateur chargé de le mettre en œuvre, à savoir EDF. Posons la question de but en blanc : cette entreprise publique est-elle en capacité de mener à bien cette mission ? Il s'agit là d'une question clé et EDF doit apporter la démonstration de sa capacité.

Pour en revenir à l'articulation entre la première période EnR et la seconde période nucléaire, même si les réacteurs actuels peuvent être prolongés, une surcapacité d'EnR issue de la première période ferait courir le risque que les capacités nucléaires deviennent une variable d'ajustement des EnR. Pour reprendre les termes du Haut-Commissaire à l'énergie atomique, le risque est de « payer deux parcs entiers, utilisés à moitié ».

Face à ces interrogations stratégiques, le groupe Union Centriste affirme plusieurs convictions.

Notre première conviction est que le mix énergétique doit être équilibré, fondé sur la complémentarité entre énergies renouvelables et nucléaire. Il ne s'agit pas d'une posture, c'est la conclusion du scénario N03 de RTE, reprise à l'article 3 de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie déposée par Daniel Gremillet.

Notre deuxième conviction est ancrée dans la vérité suivante : face aux impératifs d'électrification, de décarbonation, de réindustrialisation et de réarmement, une part minimale du nucléaire dans notre mix énergétique s'impose comme un socle stratégique. C'est pourquoi nous en appelons à lancer rapidement le programme EPR de deuxième génération. Il s'agit non plus d'une option, mais bien d'une nécessité ; or nous sommes déjà en retard pour une entrée en service en 2035.

Notre troisième conviction est que ce socle nucléaire ne peut pas devenir une variable d'ajustement. Si nous triplons la part des renouvelables intermittents, sans pilotage coordonné, comme le prévoit la programmation pluriannuelle de l'énergie, nous risquons de devoir moduler sans cesse la production nucléaire, au prix d'une inefficacité économique majeure. Cette crainte est d'autant plus fondée que le parc nucléaire actuel est techniquement capable de fournir davantage d'électricité.

Notre quatrième conviction fondamentale, qui s'appuie sur les travaux de la commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, concerne la question des coûts.

Pour garantir la sincérité du débat public, il est impératif d'adopter une approche fondée sur les coûts complets du système électrique, incluant notamment les investissements massifs dans les réseaux. Pourtant, les EnR posent un problème majeur de réseau : les coûts de production d'électricité sont différents des coûts de raccordement au réseau. Cela provoque des difficultés importantes pour les collectivités, lesquelles possèdent, par le biais des syndicats d'énergie, les réseaux électriques, dont la qualité a un impact direct sur celle de l'aménagement du territoire.

Le risque est donc grand, en surévaluant nos objectifs de développement des EnR et en sous-estimant l'investissement en réseau correspondant, à la fois de créer des déserts énergétiques, comme il en existe en matière médicale, et de préparer une bombe financière à retardement pour les collectivités.

Ces dernières ont donc besoin de la plus grande transparence sur les coûts des réseaux induits par cette programmation et de l'assurance que les soutiens financiers à l'électrification, par exemple via le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé), augmenteront en parallèle à l'électrification des usages.

À cette problématique du coût de réseau s'ajoute celle du coût du programme EPR2.

Selon la programmation pluriannuelle de l'énergie, entre 2025 et 2060, le soutien public aux filières renouvelables pourrait représenter de 98 milliards à 135 milliards d'euros, dans un scénario de prix bas. Pour agir de la manière la plus efficace possible, la commission d'enquête sénatoriale proposait une méthode d'objectivation des choix énergétiques. Il s'agissait de mettre en regard le coût complet de production de telle ou telle source d'énergie, sa capacité de décarbonation et son impact économique.

L'application de ces critères commanderait de réduire aujourd'hui nos ambitions en matière d'EnR, comme nous y invite d'ailleurs la présidente de la CRE, et d'accélérer le lancement d'EPR2, faute de quoi la variable d'ajustement sera le prix.

En 2023, les prix de l'électricité ont augmenté de 14 % pour les ménages et de 57 % pour les entreprises. Depuis la fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), les tensions tarifaires s'accentuent. À cette situation s'ajoute le niveau élevé de la fiscalité énergétique. Demain, les coûts de réseau liés à la montée en puissance des EnR finiront par peser sur le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), lequel sera mécaniquement répercuté sur les factures.

Dans ces conditions, sans une maîtrise des coûts des réseaux, donc une montée en puissance beaucoup plus progressive des EnR, les prix ne pourront pas être contenus et la réforme risque de ne pas être acceptée socialement ; sans révision de sa fiscalité, la facture d'électricité elle-même ne sera pas maîtrisée.

La commission d'enquête sénatoriale recommande une réduction ciblée de cette fiscalité via trois leviers : une accise différenciée selon la consommation, une TVA réduite sur la consommation de base, la substitution d'une dotation budgétaire à la contribution tarifaire d'acheminement.

Nous soutenons cette approche. Il faut réduire la fiscalité sur l'électricité pour encourager l'électrification des usages, tout en supprimant progressivement les dépenses fiscales brunes qui coûtent entre 7,6 milliards et 19 milliards d'euros par an et entrent en contradiction avec nos objectifs climatiques.

Mes chers collègues, la souveraineté énergétique doit être construite sur une programmation réaliste, un pilotage rigoureux, un effort de transparence, une maîtrise des coûts et une adhésion citoyenne. Le système énergétique de 2050, donc la France de demain, se décide aujourd'hui. Soyons à la hauteur de ce rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Vincent Louault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, l'énergie est au cœur du combat existentiel que mènent notre pays et notre continent européen. Vous l'avez indiqué, monsieur le Premier ministre. Permettez-moi de vous répondre et d'abonder en ce sens.

Depuis plusieurs mois, mes collègues parlementaires, des experts, des anciens des filières électriques et de réseau, tous, nous alertons – en vain. Rien ne bouge et nul ne semble disposé à nous entendre. Au royaume de France, les technocrates sont apparemment plus puissants que les politiques !

Néanmoins, certaines fenêtres paraissent s'entrouvrir. En ce 6 mai, le décret en question n'est toujours pas signé. Je vous en remercie, car cela n'allait pas de soi pour tous les observateurs.

Je vous remercie de l'écoute que vous m'avez accordée à Matignon, comme de celle dont on fait preuve les conseillers de l'Élysée. Enfin, je vous suis reconnaissant pour ce début de rectification, cette inflexion de trajectoire concernant les EnR intermittentes. Vous m'avez également rassuré, il y a quelques instants, concernant le nucléaire. Il est temps, car ce délai est mortifère pour l'ensemble de notre économie, que l'absence de vision et de stratégie met en danger.

En somme, nos industriels sont en attente d'une trajectoire de prix définie politiquement, et non dictée par les marchés, par les traders, issue d'un monde inconnu et sans lendemain. Ils ont besoin d'électrons 365 jours par an, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à un prix avoisinant celui qui est pratiqué sur les autres continents. En effet, à la différence du pétrole, il n'existe pas de cours mondial de l'électricité : celle-ci est difficilement transportable et stockable.

Il nous incombe donc aujourd'hui de rebâtir ce qui a été sabordé.

Sabordé, en premier lieu, par les antinucléaires, à l'instar de Mme Voynet, qui va jusqu'à solliciter une invitation à votre table pour vous exposer sa position, car elle seule, bien entendu, aurait tout compris ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)

M. Olivier Paccaud. Excellent !

M. Vincent Louault. Sabordé, également, par d'autres opposants au nucléaire, plus subtils, mais souvent faibles sur le sujet. Certains d'entre eux sont d'ailleurs encore là !

M. Yannick Jadot. On arrive ! Patientez ! (Sourires.)

M. Vincent Louault. Monsieur le Premier ministre, j'ose espérer qu'avec vous nous retrouverons enfin un peu de bon sens – je n'irai pas jusqu'à dire paysan (M. Yannick Jadot rit.) – concernant la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Premièrement, la programmation pluriannuelle de l'énergie constitue la feuille de route ultime des lobbyistes des EnR, sans réelle décarbonation.

Deuxièmement, elle représente l'aboutissement des tenants de la décroissance, au point que l'on pourrait se demander si l'objectif n'est pas de provoquer la révolte, tant les factures d'électricité augmenteront sous l'effet de cette politique.

Troisièmement, elle implique de produire des électrons intermittents, alors que nous avons assez d'électricité et que l'augmentation promise de la consommation ne se matérialise pas.

Quatrièmement, elle manque totalement sa cible principale : la décarbonation nécessaire de nos usages. Sur ce point, c'est le néant.

Pour faire court, nous doublons nos capacités de production d'électricité intermittente, en priant pour que cela se passe bien, tout en devant simultanément garantir la stabilité grâce à l'inertie de notre parc nucléaire et à notre précieuse hydroélectricité. Je ne comprends pas : nous marchons sur la tête !

Tout cela nous coûte en outre un « pognon de dingue », que tout le monde nous a plus ou moins dissimulé. Aveuglées par la hausse inédite et artificielle du prix de l'électricité ces dernières années, nos têtes bien-pensantes ont malheureusement commis une erreur majeure, celle de croire que l'électricité se maintiendrait éternellement au-dessus de 100 euros le mégawattheure, à la manière de simples paysans qui, voyant le prix du blé exploser, s'imaginent que celui-ci demeurera toujours aussi élevé.

À ce tarif, toutes les formes d'énergie, tous les électrons, jusqu'aux plus farfelus, deviennent rentables. Pendant ce temps, les autres continents se dotent de moyens concrets pour atteindre un prix objectif de l'électricité inférieur à 50 euros le mégawattheure, alors que nous maintenons des prix très élevés.

Dès lors, la conséquence d'un objectif pourtant nécessaire de prix bas est l'augmentation des charges de service public de l'énergie, qui atteindront12 milliards d'euros en 2035, monsieur le Premier ministre. Je vous invite à consulter la page 194 de la programmation pluriannuelle de l'énergie à ce sujet.

Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, rendez-vous compte : 12 milliards d'euros, alors même qu'il faudra mobiliser 40 milliards dans les mois à venir ! Cela représente le coût d'un EPR – et je m'adresse ici au président d'EDF, M. Fontana, qui nous écoute certainement. C'est également près de 400 euros supplémentaires chaque année sur chaque compteur en France, pour chaque foyer français, alloués à l'intermittence de notre énergie.

Monsieur le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, imaginez l'utilisation qui pourrait être faite de ces 12 milliards d'euros pour la décarbonation de notre industrie !

Ainsi, je vous demande solennellement, une fois de plus, au Sénat, devant les Français, de mettre un terme à cette programmation pluriannuelle de l'énergie intermittente folle, fondée sur deux mensonges.

Le premier mensonge a trait à sa capacité à garantir des prix bas. Le dernier marché de la CRE sur l'éolien en mer aboutit à environ 90 euros le mégawattheure, sans compter une partie des coûts de raccordement estimée à 20 euros le mégawattheure.

Le second mensonge porte sur sa capacité à préserver une industrie naissante, plutôt une pseudo-industrie logistique en France.

Nous allons agrandir un port, une chaîne de montage, avec des turbines provenant intégralement, pour les derniers marchés, de Corée du Sud, des mâts allemands et des panneaux photovoltaïques chinois. (Mme Sonia de La Provôté applaudit.) Au Havre, en effet, il s'agit d'une usine d'assemblage de pales d'éoliennes, sans moteurs : c'est un jeu de mikado, en aucun cas une véritable industrie comparable à celle du nucléaire.

M. Jean-François Husson. C'est un vrai sujet !

M. Vincent Louault. Nous sommes donc sur le point d'entériner 10 milliards d'euros de dépenses annuelles en pure perte. Peut-être serait-il temps d'envisager des économies ? Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen du budget pour 2026, car, pour ma part, je n'ai pas oublié la ligne 320 de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ! (M. Jean-François Husson sourit.)

J'entends les éléments de langage intégralement dictés par ladite DGEC répétés à l'envi, comme « l'épée de Damoclès » que représenterait l'échéance de 2038 – cette fable selon laquelle une production insuffisante d'énergie renouvelable à cette date nous exposerait à un risque de pénurie électrique, les EPR n'étant pas encore opérationnels.

L'on omet cependant un détail scientifiquement établi : la durée de vie des cuves de nos centrales nucléaires, unique composant non remplaçable, s'allonge. Par conséquent, il est tout à fait envisageable d'atteindre soixante, soixante-dix, voire quatre-vingts ans d'exploitation. L'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) nous le confirmera le moment venu.

Permettez-moi de rappeler ce jalon historique : c'est bien l'excellence de nos ingénieurs dans la construction de nos barrages hydrauliques au sortir de la guerre qui a rendu possible l'édification du programme nucléaire Messmer jusque dans les années 1990. Nous sommes dans le fossé entre les deux époques : depuis les années 1990, nous n'avons plus rien fait !

Aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, l'enjeu réside dans la création de notre outil industriel nucléaire. Telle est la véritable réindustrialisation.

En l'état actuel des choses, cette programmation pluriannuelle de l'énergie nous conduira plutôt à payer trois fois : une première fois pour accroître les capacités des énergies intermittentes via le budget de l'État – 12 milliards en 2035 – ; une deuxième fois pour investir dans le nucléaire, indispensable au maintien de la stabilité du système, surtout en l'absence de vent ou de soleil (M. Bruno Sido acquiesce.) – 100 milliards d'euros – ; une troisième fois pour financer des subventions destinées à préserver la vitalité de notre économie face à une hausse inéluctable du prix de l'électricité, dans un contexte mondial où la Chine et les États-Unis produisent de l'électricité à 30 dollars le mégawattheure.

Dès lors, monsieur le Premier ministre, je vous exhorte à ne rien céder et à être fort.

Soyez fort pour décréter un moratoire sur tous les projets d'EnR. Pourquoi ? Parce que 30 gigawatts sont déjà en attente d'approbation à la CRE, ce qui équivaut à la moitié de la puissance nucléaire de ce pays. Vous évoquiez la modération, monsieur le Premier ministre, mais la CRE m'inquiète : ces projets sont prêts à être lancés.

Soyez fort pour appliquer les mêmes règles à l'éolien et au photovoltaïque : produire, oui, mais pour l'autoconsommation, avec des consommateurs identifiés et un modèle économique viable.

Soyez fort pour que tous les acteurs contribuent à l'équilibre du réseau et assument leur surproduction, sans quoi nous connaîtrons le sort des Espagnols.

Soyez fort, enfin, pour faire de la décarbonation de nos usages l'unique objectif.

Vous l'avez rappelé à juste titre, l'énergie est au cœur du combat existentiel que mènent notre pays et notre continent européen. Cependant, si la programmation pluriannuelle de l'énergie n'est pas lourdement remaniée, ce combat sera vain et la guerre perdue d'avance ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le XIXe siècle a vu naître l'électricité avec la révolution industrielle. Le XXe siècle a été celui du nucléaire et de la mondialisation. Le XXIe siècle sera celui des énergies décarbonées et de la reconquête de notre souveraineté.

La guerre en Ukraine a mis en lumière la fragilité de notre approvisionnement énergétique. Elle a aussi rappelé que, dans un monde globalisé, assurer notre avenir passe par le renforcement de notre souveraineté énergétique.

Reste que la souveraineté ne se décrète pas. Elle se construit dans la durée au travers de choix stratégiques, cohérents, susceptibles de résister aux cycles politiques et aux aléas économiques.

Monsieur le Premier ministre, le groupe RDPI prend acte des orientations que vous venez d'exprimer. La volonté de renforcer notre indépendance énergétique tout en maintenant l'objectif de neutralité carbone fixe un cap clair.

Il nous appartient désormais de concrétiser ce cap, territoire par territoire, avec méthode et cohérence.

Depuis 2022, notre stratégie pour une France souveraine repose sur deux jambes : la sobriété et la décarbonation.

La sobriété, la première jambe, doit être envisagée non pas comme une contrainte, mais comme un levier structurant de notre autonomie énergétique. Il ne s'agit pas simplement de consommer moins, il faut consommer mieux.

Mieux isoler nos logements, c'est préserver le pouvoir d'achat des Français. Moderniser l'éclairage public, c'est soulager les budgets communaux. Développer les mobilités partagées, c'est désenclaver sans polluer. Autant de chantiers qui mobilisent nos artisans et nos collectivités locales.

Si nous renforçons les outils d'accompagnement, notamment dans les zones rurales, pour que le chauffage au fioul appartienne au passé, si la sobriété devient un automatisme collectif, notre pays gagnera également en souveraineté sans attendre la mise en service d'un réacteur ou la pose d'un mât éolien.

Nous voulons une souveraineté créatrice d'emplois, de cohésion et de résilience locale.

La décarbonation de notre production d'énergie, la seconde jambe, est aussi vitale qu'essentielle.

En la matière, le discours de Belfort, prononcé au mois de février 2022 par le Président de la République, a constitué un véritable tournant. En assumant une relance de la filière nucléaire, la France a décidé d'investir pour l'avenir dans une énergie pilotable, stable et bas-carbone. Une énergie qui, au-delà de notre autonomie stratégique, garantit une certaine continuité historique pour notre pays.

Depuis les années 1950 jusqu'au plan Messmer de 1974, en passant par l'abandon de la filière graphite-gaz au profit des réacteurs à eau pressurisée, la France a bâti une filière nucléaire civile parmi les plus avancées du monde.

Aujourd'hui encore, 65 % de notre électricité provient du nucléaire. Loin d'être un héritage figé, l'énergie nucléaire est un socle pour l'avenir.

Avec une lucidité dont nous pouvons être fiers, nous avons donc choisi de relancer le nucléaire, un cap qui se concrétise par le développement de nouveaux réacteurs EPR2 et de SMR plus flexibles et adaptés à des usages territorialisés.

Le site nucléaire du Tricastin, dans le département dont je suis élu, la Drôme, prend pleinement part à cette dynamique et serait fier d'accueillir une paire d'EPR2.

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur le nombre de nouvelles installations prévues, sur les échéances à venir, ainsi que sur les sites d'implantation ?

La relance du nucléaire est une fierté, mais également une responsabilité, car la souveraineté se joue aussi sur notre capacité à mobiliser les compétences et à former les jeunes afin d'accompagner les filières industrielles au plus près du terrain.

Si le nucléaire doit occuper une place essentielle dans notre mix énergétique, l'objectif de neutralité carbone sera également atteint grâce aux énergies renouvelables.

Il y a deux ans, le Parlement s'est d'ailleurs prononcé en faveur de cette stratégie en adoptant la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

Ces deux textes sont essentiels, mais ils nous imposent d'être vigilants, car cette accélération doit s'accompagner d'une concertation territoriale sincère et d'un équilibre entre ambition décarbonée et respect d'une dynamique locale. C'est un enjeu démocratique autant qu'énergique.

Mes chers collègues, pour bâtir une souveraineté durable, nous devons construire un mix raisonné, fondé sur la complémentarité. Opposer nucléaire et énergies renouvelables n'a pas de sens.

Parce que le nucléaire permet de pallier l'intermittence de certaines énergies renouvelables, coupler les deux nous garantira sécurité d'approvisionnement et atteinte de nos objectifs climatiques.

De ce fait, développer encore davantage certaines énergies renouvelables nous semble indispensable. Lesquelles et dans quelles proportions ? La production d'énergie de l'éolien offshore est plus régulière que celle de l'éolien terrestre ; en outre, l'éolien offshore participe à la diversification de notre mix tout en valorisant notre façade maritime. Monsieur le Premier ministre, comment le Gouvernement envisage-t-il de développer peut-être encore davantage les parcs éoliens offshore ?

Je souhaite m'arrêter sur l'hydroélectricité, énergie souvent oubliée dans nos débats, alors qu'elle présente pourtant d'indéniables atouts.

Dans la Drôme comme dans de nombreux territoires, nous avons des moulins et de petits barrages, souvent laissés à l'abandon, qui pourraient produire une électricité propre, locale et pilotable.

Force est toutefois de constater que la législation actuelle demeure complexe, voire dissuasive parfois. De nombreux porteurs de projets se heurtent à des procédures lourdes, souvent déconnectées de la réalité du terrain. À l'heure où nous cherchons à diversifier nos sources d'énergie, n'est-il pas temps d'accorder à l'hydroélectricité toute sa place dans notre planification ?

Il s'agit non pas d'opposer les énergies entre elles, mais de mieux les articuler. À ce titre, l'hydroélectricité mérite à mes yeux une plus grande place dans le débat national, avec une vision, un cadre rénové et des moyens adaptés.

Il est de plus urgent de mettre un terme au conflit juridique qui oppose depuis plus de quinze ans la France et la Commission européenne à propos des concessions hydroélectriques.

Enfin, mes chers collègues, pour que la France soit souveraine, quelle place devons-nous allouer aux énergies du futur dans notre mix énergétique ?

Parmi ces énergies, l'hydrogène occupe une place croissante, notamment pour la mobilité lourde. Environ 40 % du réseau ferroviaire français n'est pas encore électrifié, souvent sur les petites lignes.

Pour sortir du diesel, des solutions concrètes telles que les trains à hydrogène, les trains à batteries et les systèmes bi-modes existent pourtant. Ces dispositifs innovants sont d'ores et déjà testés et en partie déployés. Il serait pertinent d'accélérer leur intégration dans nos territoires, en particulier dans des zones peu denses où l'électrification des lignes n'est pas toujours économiquement viable.

Je pense aussi au train à hydrogène Coradia iLint, commercialisé par Alstom, dont la technologie est cours de perfectionnement.

Des trains à batteries sont également développés, notamment pour les dessertes régionales.

Ce sont autant de solutions qui pourraient remplacer le diesel.

Le transport fluvial pourrait aussi bénéficier de nouvelles technologies de propulsion. Sur le Rhône, où le transport fluvial a progressé de 8,6 % entre 2023 et 2024, les innovations technologiques pourraient nous aider à émettre moins de gaz à effet de serre. Encore faut-il structurer toute une filière de production, de stockage et de distribution adaptée aux usages locaux.

Mes chers collègues, la souveraineté énergétique est non pas un objectif technique, mais un choix politique. Le groupe RDPI partage les objectifs du Gouvernement que sont l'indépendance, la neutralité carbone et l'innovation.

Pour qu'ils soient atteints, veillons à ce que chaque territoire ait les moyens d'agir. Veillons à ce que toutes les énergies trouvent leur juste place dans cette grande œuvre collective que doit être la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Nous avons les ressources et, surtout, les talents nécessaires. Restons donc cohérents dans nos choix. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Vincent Louault applaudit également.)