M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre de la souveraineté énergétique de la France, plutôt – disons-le franchement – pour tenter de rattraper un immobilisme politique orchestré par les derniers gouvernements qui naviguent à vue, entre compromissions, reculades et une absence de vision stratégique de long terme doublée d'un déni démocratique inacceptable.
La programmation pluriannuelle de l'énergie 2025-2035, censée fixer la trajectoire de notre avenir énergétique, a en effet été retardée depuis maintenant trois ans. Toutes les excuses ont été trouvées et utilisées pour retarder la présentation d'un texte et la tenue d'un débat, puis d'un vote.
Pendant ce temps, on a amusé le Parlement avec des textes dépourvus de vision stratégique et de cohérence entre eux, visant à accélérer des projets qui étaient à l'arrêt. Votre méthode, c'est de rester au point mort, mais d'appuyer fort sur l'accélérateur, monsieur le Premier ministre. Comme dans une voiture, cela fait du bruit, le moteur ronfle, cela crée de l'agitation, mais on n'avance pas d'un mètre. (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Fabien Gay. Après quatre ans de concertation, la mobilisation de 50 000 citoyens et la consultation d'experts et d'industriels, vous vous présentez devant le Parlement pour un débat sans vote, en nous disant que vous allez prendre un décret, que vous repoussez finalement après l'été, et en nous annonçant l'examen d'une proposition de loi sénatoriale qui ne s'accompagne d'aucune étude d'impact.
Comble du déni démocratique, nous apprenons à présent par voie de presse qu'un groupe de travail constitué de deux parlementaires de la majorité gouvernementale sera chargé de faire des propositions et de corriger le décret que vous prendrez peut-être un jour, monsieur le Premier ministre.
Nous vous demandons donc solennellement de renoncer à cette méthode qui est une pantalonnade, de travailler à un projet de loi et de le soumettre au vote. Un texte légitimé par le vote du Parlement aura bien plus de force qu'un texte élaboré en catimini. Tous les républicains et démocrates sincères de notre Parlement devraient rejoindre une telle demande. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. Bruno Sido. On vous rejoint !
M. Fabien Gay. Mes chers collègues, l'énergie est non pas une marchandise, mais un bien commun ! Il est impératif de la sortir du secteur marchand et de revenir sur une libéralisation qui a fait gonfler les prix artificiellement sous l'effet du trading et du comportement des requins du secteur.
La souveraineté énergétique suppose par définition le contrôle collectif des ressources, des infrastructures et des choix d'avenir. L'énergie, c'est le sang qui irrigue notre économie, nos industries et nos foyers. Par essence, le marché ne connaît ni le long terme ni l'intérêt général. Il ne planifie pas, il ne sécurise pas, il ne protège pas : il spécule. Il n'investit pas : il optimise jusqu'à épuisement.
Pour notre part, nous sommes partisans d'un mix énergétique et nous n'opposerons jamais les EnR et le nucléaire. L'urgence est de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, qui pèsent encore à hauteur de 40 % de notre mix énergétique. L'électrification des usages dans tous les domaines – le chauffage, les modes de déplacement et la décarbonation de nos industries – devrait être la priorité.
Cela demande des moyens, des politiques publiques non pas à la petite semaine qui, dès l'année suivante, rabotent les primes annuelles tout juste votées, mais de long terme. Cela suppose aussi de ne pas faire peser cette transition, ou plutôt cette révolution énergétique, sur les plus faibles d'entre nous.
À rebours d'une telle trajectoire, vous amputez chaque année toutes les politiques publiques – rabot de 700 millions d'euros sur MaPrimeRénov', fin de la prime à la conversion –, alors que vous préparez la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) pour 2026, qui, comme vous le savez, constituera le scandale démocratique de l'année qui arrive.
J'en viens aux investissements dans la production électrique, et tout d'abord dans le nucléaire, que, pour notre part, nous avons toujours soutenu : six, voire, d'ici à 2050, quatorze EPR2, ces petits réacteurs modulaires dont personne ne connaît la faisabilité.
Et après ? Où sont les études d'impact ? Où est l'avis du Conseil d'État ? Oui à la relance du nucléaire, mais en étant attentifs à la ressource en eau qui se rarifie et à l'avenir des déchets.
De plus, la construction de six EPR2 coûtera au bas mot 67 milliards d'euros. Qui va payer ? Certes, le Président de la République peut limoger les PDG d'EDF les uns après les autres, mais la question reste entière. Qui devra investir ? EDF, déjà exsangue, saigné par des années de spéculation, de dérégulation et par l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ou bien les Français, déjà écrasés par l'explosion des tarifs qui se traduit dans leurs factures ?
Vous restez muet sur ce sujet central, monsieur le Premier ministre. Où sont les 20 milliards d'euros promis par l'État ? Pour l'instant, nulle part !
Nous avons par ailleurs besoin d'investissements dans les énergies renouvelables que sont les énergies éolienne, solaire et hydraulique, car le nouveau nucléaire n'adviendra pas avant 2038. Ces investissements ne doivent toutefois pas être consentis selon une logique de financiarisation par laquelle des multinationales viendraient planter des éoliennes pour maximiser leurs profits, au mépris des territoires et des citoyens.
Où est la planification écologique que vous nous vendez à chaque discours ? Pourquoi ne sont jamais évoqués le coût des raccordements ou encore la folie des prix garantis, dont je rappelle qu'ils représentent 4 milliards d'euros cette année et 10 milliards d'euros à l'horizon 2030 ? Même quand il ne produit pas, le secteur est payé à ne rien faire !
M. Vincent Louault. Bravo !
M. Fabien Gay. Vous occultez par ailleurs la question de notre totale dépendance aux panneaux solaires chinois. Très bien ! Pour autant, que faisons-nous pour remédier à cette situation ? Rien ! Vous restez les bras ballants.
Pas un mot, enfin, sur les tarifs réglementés, sur le futur prix de l'énergie ni sur la protection nouvelle des consommateurs dans la jungle que vos politiques ont créée.
J'annonce que le groupe CRCE-K déposera dans les prochaines semaines une grande proposition de loi travaillée avec des associations, des syndicats et des organismes pour mieux protéger les usagers.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Fabien Gay. Le prix des factures n'a que trop augmenté, pour les industriels comme pour les ménages : 72 % en quatre ans pour l'électricité et 99 % pour le gaz. Avec le dispositif qui va remplacer l'Arenh, ce sont au minimum 10 % d'augmentation qui attendent des usagers au 1er février 2026, puisque 100 % de l'énergie sera vendue au prix de 70 euros le mégawattheure, quand les deux tiers de l'énergie sont aujourd'hui vendus au prix de 42 euros le mégawattheure.
Il faut donc d'urgence changer le mode de calcul des tarifs réglementés de vente (TRV) et, surtout, s'attaquer aux taxes qui comptent pour plus d'un tiers de la facture. L'énergie est l'un des seuls biens dont le prix est relevé par la taxation d'une taxe, puisque la TVA s'ajoute aux trois taxes spécifiques qui lui sont appliquées.
M. Bruno Sido. C'est vrai !
M. Fabien Gay. Aujourd'hui, mes chers collègues, 12 millions de nos concitoyens vivent dans la précarité énergétique et ne parviennent pas à se chauffer. Reconnaissons que l'électricité est un bien de première nécessité et appliquons une TVA à 5,5 %.
Nous sommes à la croisée des chemins et l'heure est aux choix courageux, monsieur le Premier ministre.
Le premier de ces choix consisterait à refuser la mise en concurrence des centrales hydrauliques imposée par la directive européenne du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession, dite Concessions. Dans le cadre du groupe de travail à venir, je m'opposerai avec les membres de mon groupe à la création d'un Arenh de l'hydroélectricité. Les installations hydroélectriques doivent rester dans le domaine public et être régies par le régime d'autorisation.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Fabien Gay. Un autre choix fort serait la création d'un grand service public sous forme d'établissement public industriel et commercial (Épic) par la nationalisation d'EDF, d'Engie et de TotalEnergies, comme nous le proposons depuis des années.
M. Stéphane Piednoir. Cela finit mal ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. Il ne faudra pas alors pleurer sur les collectivités !
M. Fabien Gay. Oui, soixante-dix-neuf ans après Marcel Paul, il nous faut une nouvelle loi de nationalisation ayant un projet ambitieux pour la France et répondant aux besoins sociaux et environnementaux de nos entreprises, des salariés des industries électriques et gazières (IEG) et des usagers.
N'ayez crainte, monsieur le Premier ministre : déposez un projet de loi. Nous en débattrons et nous voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce débat est le symbole d'un contexte politique difficile dans lequel chaque camp se retranche dans ses clivages et où l'intérêt général est oublié sur fond de majorité relative et de dogmatisme énergétique.
Les faits sont délaissés, la raison est ignorée et le calendrier nous échappe, alors qu'il y a un an déjà, dans son rapport annuel qui regroupe des textes essentiels à notre trajectoire énergétique et climatique, le Haut Conseil pour le climat s'alarmait des « dérives de calendrier ».
Notre souveraineté énergétique dépend de nos divergences et tergiversations. Dois-je toutefois rappeler, mes chers collègues, qu'il n'est pas de souveraineté sans souveraineté énergétique ?
La France et l'Europe le redécouvrent à leurs dépens : toute puissance exige des sources adéquates d'énergie ; or nulle puissance n'est aussi grande et malléable que celle que confère l'énergie abondante, à condition bien sûr d'en maîtriser l'accès.
Il est à ce titre essentiel que la troisième programmation pluriannuelle de l'énergie soit mise en œuvre et soutenue malgré les incertitudes géopolitiques et économiques actuelles, qui ne doivent pas limiter l'action climatique.
Je vous encourage donc à maintenir un cap clair et ambitieux et à poursuivre résolument les efforts en faveur de la décarbonation et de l'adaptation au changement climatique, monsieur le Premier ministre.
La continuité de l'action publique est essentielle aux acteurs du secteur. Le financement de la transition énergétique doit être cohérent avec l'évolution des besoins d'investissement. Il ne doit en aucun cas constituer une variable d'ajustement budgétaire.
Pour reconquérir notre souveraineté économique et tenir ses objectifs climatiques, nous ne devons plus dépendre d'énergies fossiles largement épuisées sur notre territoire : il nous faut miser sur les sources d'énergie que nous pouvons contrôler localement, les renouvelables et le nucléaire.
Souveraineté et décarbonation constituent par conséquent un seul et même défi. Pour le relever, nous devons regarder en face les limites à notre puissance. Pour des raisons à la fois physiques et industrielles, nos sources domestiques d'énergie bas-carbone ne sauraient à elles seules maintenir la puissance économique mobilisée aujourd'hui grâce aux énergies fossiles.
Pour le climat comme pour notre indépendance stratégique, nous n'avons donc d'autre choix que de réorganiser nos fonctions économiques vitales – industrie, agriculture, transports, services, etc. –, de façon que celles-ci soient aussi peu consommatrices que possible en charbon, en pétrole et en gaz, car – rappelons-le – le kilowattheure le moins émetteur de gaz à effet de serre est le kilowattheure économisé.
Conjuguer électrification des usages, efficacité et sobriété permettra de stopper la catastrophe climatique et de renforcer notre souveraineté énergétique, tout en échappant aux contraintes croissantes qui ont commencé à s'exercer sur notre accès aux énergies fossiles.
Cette équation contraignante nous oblige à avoir un discours de vérité envers les Français et à peser chaque denier public. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire de mauvais placements. Devant l'Assemblée nationale, vous avez indiqué que les choix d'investissement devaient être réfléchis, inscrits dans une stratégie claire et durable et réalisés en fonction de critères essentiels, monsieur le Premier ministre. Permettez-moi de m'interroger sur l'atteinte de ces objectifs, alors que près de 550 millions d'euros de crédits initialement alloués à la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ont été supprimés.
Les tendances ne sont pas encourageantes : nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 1,8 % en 2024, soit bien moins que la réduction de 5,8 % de l'année précédente, déjà insuffisante pour que notre pays tienne ses futurs objectifs de décarbonation.
Ce constat en appelle un autre, celui de notre retard vis-à-vis de nos objectifs de décarbonation dans un certain nombre de secteurs, en premier lieu dans le bâtiment et les transports.
Il nous faut certes concilier la décarbonation de notre économie avec le contexte très contraint de nos finances publiques, qui ne nous laisse qu'une marge de manœuvre restreinte.
Reposant à 71 % sur les énergies fossiles, notre économie présente un risque élevé de dépendance.
Oui, décarboner la production et l'utilisation de biens et de services est la clé pour réduire la vulnérabilité de la France aux crises énergétiques. Nous devons pour ce faire adopter une approche visant à minimiser les risques pesant sur l'évolution du système énergétique et maximiser nos choix. C'est pourquoi il nous faut soutenir le déploiement à la fois des énergies renouvelables, du nucléaire, de la chaleur bas-carbone et de la biomasse.
Se priver de l'une de ces filières reviendrait à mettre davantage de pression sur les autres, alors même que les risques de déploiement exigés sont déjà très ambitieux.
Cela réduirait aussi la robustesse générale de notre trajectoire de décarbonation en nous rendant plus vulnérables à un aléa qui toucherait l'une des filières restantes. Nous prémunir d'un tel risque est d'autant plus crucial que les limites, incertitudes et vulnérabilités sont nombreuses : le lancement du nouveau nucléaire, l'EPR2, n'est pas prévu avant la fin de la décennie 2030 et les rythmes de déploiement de l'éolien et du photovoltaïque ne sont pas garantis. Le groupe RDSE, l'a clairement rappelé au mois d'octobre dernier lors de l'examen de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie.
Je dirai quelques mots de l'énergie hydroélectrique, énergie qui me tient à cœur et qui peine à être davantage développée sur notre territoire, la pression écologique rendant difficile la création de nouvelles ressources.
Il faut relancer les investissements dans cette énergie vertueuse de manière à améliorer nos capacités de stockage hydrauliques, car celles-ci sont essentielles à la flexibilité de notre système électrique.
Par ailleurs, comment en finir avec le contentieux qui nous paralyse à l'échelon européen ? Il est urgent de conserver la gestion de nos barrages et de les soustraire définitivement aux logiques de concurrence.
Je rappelle enfin que, sans sobriété et sans effort d'efficacité susceptible de réduire notre demande totale en énergie, la souveraineté énergétique de notre pays et nos objectifs de décarbonation ne pourront pas être atteints, que ce soit à court, moyen ou long termes.
Le scénario du plan de transformation de l'économie française est clair : la consommation totale d'énergie de la France devra être divisée par deux d'ici à 2050 pour assurer l'approvisionnement de l'ensemble des secteurs. Le financement des objectifs nationaux des différents volets de notre politique énergétique manque pourtant de perspective.
À rebours des objectifs annoncés en matière d'électrification des usages, on constate cette année une baisse des incitations économiques en faveur les énergies décarbonées.
Autre élément, les acteurs économiques de la filière ont fortement déploré l'instabilité normative qui a prévalu au cours des dernières années. Ces acteurs sont prêts à s'engager davantage dans la transition écologique, mais ils ont besoin pour cela d'une action publique plus lisible.
L'équation est certes complexe, puisqu'il nous faut tenir l'échéance européenne de réduction des gaz à effet de serre fixée à 2030, alors que le nouveau nucléaire ne verra le jour qu'à l'horizon 2035. Je m'interroge donc sur le bon équilibre à construire. J'espère que vous nous apporterez la solution miracle, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, un débat, mais pas de vote.
Juste un débat pour adapter notre système énergétique au plus grand défi du siècle, celui du dérèglement climatique.
Juste un débat pour tirer les leçons de la guerre en Ukraine, de nos dépendances aux énergies fossiles, trop souvent devenues complaisance vis-à-vis de régimes totalitaires et corrompus.
Juste un débat, alors que les investissements dont nous parlons se comptent en centaines de milliards d'euros, engagent nos infrastructures jusqu'à la fin du siècle et dessinent nos modes de production, de consommation, de transport.
Monsieur le Premier ministre, il y a quelques jours, évoquant la situation financière du pays, vous avez employé cette formule : « La vérité permet d'agir. » Ce qui vaut pour le budget vaut pour notre avenir énergétique.
Il y a bien sûr un parc nucléaire existant à entretenir, à sécuriser, probablement jusqu'au milieu du siècle. Toutefois, l'urgence climatique et la raison économique que vous avez évoquées exigent de rééquilibrer notre mix par des politiques puissantes de sobriété et d'efficacité énergétique, d'une part, de déploiement massif des énergies renouvelables d'autre part.
Vous avez parlé de raison, mais reconnaissons que, quand il est question de nucléaire dans cet hémicycle, la raison ne prévaut pas toujours. En effet, le nouveau nucléaire que vous défendez n'est plus simplement un moyen de produire de l'électricité. C'est un projet de société, un mythe, une foi. L'examen des faits est pourtant sans appel.
Vous voulez construire six plus huit EPR2. Parlons d'abord du budget et de la facture annoncée des six premiers EPR2 : 51 milliards d'euros en 2020 et 67 milliards d'euros l'année dernière. On parle aujourd'hui de 100 milliards d'euros pour six EPR, soit 16 milliards d'euros l'unité, alors que la conception n'est pas encore terminée !
Cela n'a rien de surprenant, me direz-vous, quand la Cour des comptes estime que le coût de l'EPR de Flamanville est passé de 3 milliards à 23 milliards d'euros, et celui des deux EPR de Hinkley Point, de 22 milliards à 40 milliards d'euros. Excusez du peu !
Monsieur le Premier ministre, vous avez saisi la Cour des comptes pour connaître la vérité sur les retraites. Pourquoi ne pas vous inspirer du rapport de la Cour des comptes intitulé La filière EPR : une dynamique nouvelle, des risques persistants ? La Cour des comptes est très précise. Elle recommande « de retenir la décision finale d'investissement du programme EPR2 jusqu'à la sécurisation de son financement et l'avancement des études de conception détaillées ».
Telle est, à ce stade, la préconisation de la Cour des comptes sur le programme EPR2 que vous défendez, alors qu'il n'est ni finançable ni rentable.
Vous ne pouvez pas vous faire le chantre de la responsabilité budgétaire et engager les finances publiques du pays dans une telle déroute budgétaire pour produire une électricité dont le coût excédera in fine 100 euros le mégawattheure. À la fin, par leurs impôts et par leurs factures, ce sont les Français qui paieront.
J'en viens aux délais.
La programmation pluriannuelle de l'énergie couvre la prochaine décennie. L'urgence climatique est là. Notre pays s'est déjà réchauffé de 2 degrés Celsius. Notre addiction aux énergies fossiles nous a coûté plus de 60 milliards d'euros d'importations l'année dernière. Le pouvoir d'achat des Français est en berne.
Il nous faut donc agir vite et fort. Si les énergies renouvelables sont immédiatement disponibles, dans le meilleur des cas, aucun EPR2 ne verra le jour avant 2040.
Une fois encore, l'expérience devrait nous éclairer : douze ans de retard pour Flamanville, quatorze ans de retard pour l'EPR finlandais, déjà sept ans de retard pour Hinkley Point.
Décidément, le nouveau nucléaire, c'est trop tard et c'est trop cher !
Limoger le patron d'EDF ne rendra pas les EPR2 plus finançables ou plus rentables.
Pourquoi mettre tous nos œufs dans le même panier s'il est percé ?
Par nostalgie gaulliste ? Je l'entends.
Par adoration ? Un réacteur nucléaire reste une grosse cocotte-minute, certes très perfectionnée, mais une cocotte-minute tout de même. De là à l'adorer…
Par foi ? Dans ce cas, ce n'est plus de la foi : cela frise le créationnisme, reconnaissons-le ! Comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le Premier ministre, en matière d'énergie comme en matière de laïcité, la foi ne doit pas faire la loi ! (Sourires.)
Comment un pro-européen comme vous – vous avez encore assuré la semaine dernière, dans ce même hémicycle, qu'il fallait s'inspirer de l'Europe à propos du scrutin proportionnel – peut-il ignorer à ce point que la quasi-totalité des nouvelles capacités installées de production électrique en Europe reposent désormais sur les énergies renouvelables ? Voilà la réalité du monde dans lequel nous vivons ! C'est dans cette voie que se déploient partout le génie de l'innovation et les compétences ; c'est dans ce champ que se jouent la compétition économique mondiale, la création d'emplois et que s'élaborent la résilience et la souveraineté des économies de demain.
Monsieur le Premier ministre, malgré votre discours, votre action est en train de briser toutes les dynamiques de transition. En sabordant les budgets de la rénovation thermique des logements, vous ne laissez pas seulement des millions de familles étouffer l'été et grelotter l'hiver, parce qu'elles ne peuvent pas payer leurs factures. En sapant les budgets de l'électrification automobile et des transports collectifs, vous ne condamnez pas seulement les automobilistes au piège de l'instabilité des prix des carburants. Vous fragilisez également – et c'est aussi grave – des filières entières d'artisans, d'industriels, de services et vous abandonnez les centaines de milliers d'emplois qui les font vivre.
Parlons maintenant souveraineté, car c'est un beau sujet, cette souveraineté que vous brandissez comme un étendard, mais dont cette programmation pluriannuelle de l'énergie sape un à un les fondements.
En freinant l'électrification de notre économie, faute de nouveau nucléaire disponible avant au moins quinze ans, vous alimentez notre dépendance au pétrole du Golfe et d'ailleurs, au gaz de Poutine et au gaz de schiste de Trump, à l'uranium du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan, et ce au prix d'une facture exorbitante, celle de nos importations.
Pendant ce temps, malheureusement, en France, les usines de fabrication de panneaux photovoltaïques et d'éoliennes ferment, faute de volonté politique et d'action européenne à la hauteur du dumping chinois. Les filières sont de fait menacées par la procrastination permanente et l'absence d'objectifs quantifiés précis.
Monsieur le Premier ministre, le seul fait que l'extrême droite soutienne le tout-nucléaire en assumant pleinement son climato-scepticisme et qu'elle multiplie les mensonges grossiers à propos du coût des énergies renouvelables devrait vous alerter. La complaisance de ses partisans vis-à-vis de Poutine et de Trump en fait les premiers fossoyeurs de notre souveraineté. Ne les écoutez pas !
Monsieur le Premier ministre, je m'adresse aussi au responsable politique de centre droit que vous êtes. Vous voyez bien que l'extrême droite et, malheureusement, une partie de la droite s'attaquent simultanément à l'État de droit et à l'agenda climatique. Ce n'est pas un hasard !
Dans cet hémicycle et ailleurs, si vous et le centre droit vous laissez embarquer dans cette dérive, ce sont la démocratie et l'habitabilité de notre pays qui seront menacées. C'est la bascule illibérale qui s'enclenchera.
Nos voisins allemands, gouvernés aujourd'hui par le centre droit – cela vient tout juste d'être confirmé –, ont choisi de lancer un plan de décarbonation de 100 milliards d'euros. Voilà qui devrait vous inspirer !
Nos émissions de gaz à effet de serre repartent à la hausse. Il y a urgence à investir utilement, à investir pour nos compatriotes, afin d'économiser l'énergie. Sobriété, efficacité, énergies renouvelables, sécurité du parc existant, souveraineté : voilà ce qui devrait guider votre feuille de route pour un mix énergétique responsable.
Monsieur le Premier ministre, pour reprendre votre formule, c'est bien sur votre action que nous jugerons votre vérité ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Mélanie Vogel. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, il en est de la politique énergétique comme des réseaux électriques : tout est question d'équilibre.
Tout est en effet question d'équilibre dans le cadre d'une politique qui est sans doute aujourd'hui l'une des plus importantes, si ce n'est l'une des plus vitales. Vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, le dernier débat de ce type au Parlement portait sur la situation en Ukraine. Nous l'avons vu, dans cette guerre affreuse, l'atteinte aux infrastructures électriques, la dépendance à des flux extérieurs de partenaires d'hier, qui peuvent devenir les adversaires de demain, et la trop grande fragilité de nos systèmes d'approvisionnement sont désormais une question de souveraineté, voire de sécurité nationale.
La France, elle, avait justement su trouver cet équilibre.
De toutes les fautes commises ces vingt dernières années, le sabordage conscient de notre parc électronucléaire est sans doute l'une des plus graves. La France pouvait se targuer de disposer du modèle énergétique le plus propre du monde occidental et des prix parmi les plus compétitifs pour nos ménages et nos entreprises. Depuis 2007, pourtant, les prix de l'énergie ont doublé.
Votre attachement servile au mécanisme européen de fixation des prix de l'électricité a précipité le pays dans une spirale inflationniste et une crise économique insensée, dont nous ne sommes sortis que par l'affaissement complet de nos comptes publics.
Tout est question d'équilibre, car, contrairement aux discours habituels, le Rassemblement national ne propose pas que notre modèle repose sur notre seul parc électronucléaire.
Certes, celui-ci doit être considérablement renforcé. À ce titre, nous avons été les seuls – avec, il faut le dire, la majorité sénatoriale – à proposer un plan pérenne de développement du nucléaire. Nous devrions ainsi tout mettre en œuvre pour gagner au moins 10 gigawatts de puissance nouvelle d'ici à 2035, doubler le parc actuel d'ici à 2050 et investir massivement dans les technologies de l'avenir comme le sont, non seulement les réacteurs nucléaires de quatrième génération, mais aussi les petits réacteurs modulaires, ainsi que la fusion nucléaire. Dans cette course technologique, la France peut se vanter d'être en tête.
Par ailleurs, nous ne nous opposons pas par principe aux énergies renouvelables. À cet égard, nous avons été les seuls ou presque à défendre la propriété publique de nos barrages, le développement de l'hydrogène ou la valorisation de la biomasse. Nous nous opposons à des technologies inefficaces, polluantes et dangereuses, comme le sont l'éolien ou encore le solaire.
Il me faut aussi évoquer la situation en Espagne et au Portugal. Les premiers rapports d'experts, embarrassés, mais forcés de le constater, concluent qu'un dysfonctionnement majeur dans le système de production électrique non pilotable de ces prétendues énergies renouvelables est bien à l'origine du chaos qui a frappé toute la péninsule ibérique. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe GEST.)
Monsieur le Premier ministre, nous saluons votre décision de remettre l'ouvrage sur le métier. En l'état, cette programmation pluriannuelle de l'énergie était inacceptable : elle favorisait des énergies dont l'inefficacité et la nocivité ne cessent d'être démontrées, sans pour autant offrir à la France les moyens de redevenir le paradis énergétique qu'elle était, des moyens qui conditionnent plus que jamais notre réindustrialisation et notre prospérité.
Face à la décroissance, aux lubies faussement écologistes et aux forces de l'abandon, vous nous trouverez toujours du côté de la puissance et de la grandeur de la France !