M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il me soit permis, avant de répondre aux différents orateurs des groupes politiques, de les remercier de leur participation à ce débat.

Ce débat est en effet utile : il nous donne l'opportunité de confronter nos convictions et, surtout, comme le Premier ministre l'a souligné, de faire évoluer la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), puisque c'est l'engagement que nous avons pris. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour débattre. Au contraire, ce débat contribuera à faire évoluer la stratégie que nous défendrons et vient compléter un certain nombre de consultations qui ont eu lieu ces dernières années autour de la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Pour ma part, je souhaite que le caractère documenté et factuel des propos de la plupart des intervenants demeure le fil conducteur de nos échanges. Je tâcherai de m'y tenir tout au long de mes réponses.

Il m'appartient de rappeler d'abord un principe qui guide la stratégie énergétique de ce gouvernement – je vous rassure, je n'ai évidemment pas l'intention de refaire le discours liminaire du Premier ministre (Sourires.) –, celui qui vise à sortir d'une forme de dépendance vis-à-vis des énergies fossiles.

Je ne reviens pas sur le coût des énergies fossiles, qui pèse aujourd'hui entre 60 milliards et 70 milliards d'euros par an dans notre balance commerciale. C'est même parfois beaucoup plus, lorsque certains pays, comme la Russie, en viennent à utiliser le gaz comme une arme de guerre. Cette situation a conduit à une dépense supplémentaire de quelques dizaines de milliards d'euros pour protéger les Français via le bouclier énergétique.

Cette dépendance est extrêmement coûteuse. Elle nous empêche notamment de prétendre à une véritable souveraineté énergétique. C'est donc fondamentalement sur cet objectif de réduction de notre dépendance que se fonde notre action : nous avons l'ambition de rendre notre système énergétique résilient. Il s'agit de pouvoir faire face aux crises et aux ruptures d'approvisionnement, de le rendre pilotable en parvenant à gérer les variations de notre consommation – l'enjeu est particulièrement prégnant pour ce qui est de l'électricité – et de le rendre compétitif. La compétitivité, qu'un grand nombre d'orateurs ont évoquée, est l'un des enjeux absolument essentiels qui doit guider notre stratégie énergétique.

Ce débat va se poursuivre. Le Premier ministre s'y est engagé. Les analyses qui résulteront de nos échanges seront prises en compte dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie. La proposition de loi de Daniel Gremillet devrait être examinée à l'Assemblée nationale vers la mi-juin ; la discussion à laquelle donnera lieu pèsera évidemment sur nos conclusions. En outre, le groupe de travail animé par le même sénateur Daniel Gremillet et le député Antoine Armand contribuera aux évolutions à venir.

J'en viens maintenant aux éléments de réponse que je souhaite apporter aux uns et aux autres.

Monsieur Gremillet, vous avez souligné la nécessité d'adapter les objectifs figurant dans la programmation pluriannuelle de l'énergie. Nous partageons cette idée : nous avons en effet besoin de souplesse et d'agilité. Cela étant, vous le savez, ces objectifs ont déjà été adaptés dans le cadre de la version de la programmation pluriannuelle de l'énergie que nous avons soumise à la consultation publique à la fin de l'année 2024.

À titre d'exemple, les objectifs en termes de capacités de production photovoltaïque installées, qui atteignaient entre 75 et 100 mégawatts, sont désormais compris entre 65 et 90 mégawatts. C'est dire si nous sommes ouverts à votre idée, monsieur le sénateur : nous l'avons déjà mise en œuvre.

Dans cette même veine a été introduit dans le dernier projet de programmation pluriannuelle de l'énergie le principe d'un suivi de l'électrification de notre pays. Cela rejoint d'ailleurs un certain nombre de remarques qui ont été formulées : il faut que les usages progressent au même rythme que les capacités installées, ce qui suppose un suivi très fin, quantitatif, des consommations électriques et du processus d'électrification. Il convient véritablement de tenir compte de ces usages.

Vous avez également appelé à sortir d'une logique de décroissance. Comme cela a été souligné par un certain nombre d'orateurs, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne participe aucunement d'une telle logique. Certes, l'objectif de consommation énergétique globale baisse entre 2022 et 2035, passant de 1 509 térawattheures à environ 1 100 térawattheures en 2035, mais cette réduction ne traduit absolument pas une quelconque volonté de limiter la production, l'activité ou l'emploi. Nous nous inscrivons en réalité dans une logique qui repose sur les principes de sobriété et d'efficacité énergétiques. Il me semble important de le rappeler, parce que le terme décroissance semble relever d'une conception qui ne correspond pas à ce qui figure dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie.

Vous avez insisté sur la nécessité de ne pas opposer les énergies renouvelables (EnR) et le nucléaire. La proposition de loi que vous défendez, monsieur Gremillet – j'en profite pour vous en remercier au nom du Gouvernement –, a fait l'objet de nombreux échanges, qui contribueront à trouver l'équilibre que nous recherchons, au carrefour des principes de pilotabilité, de résilience et de compétitivité que j'évoquais.

Vous avez affirmé que la construction des EPR était de l'ordre du discours. Sur ce point, je suis un peu moins d'accord avec vous.

Vous le savez, le conseil de politique nucléaire que le Président de la République a présidé il y a quelques semaines a pris des décisions qui s'inscrivent dans le prolongement des décisions actées lors de précédentes réunions de ce même conseil, en particulier la décision d'accélérer le processus de fabrication des six EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2) et celle de confirmer la recherche d'un certain nombre de solutions autour des SMR (Small Modular Reactor) et des petits réacteurs modulables, notamment les réacteurs à neutrons rapides qui offrent des potentialités très importantes.

Sachez également que le schéma de financement de ce nouveau nucléaire, plus particulièrement de ces six EPR, sera finalisé très bientôt en lien avec la direction d'EDF et qu'il fera l'objet dans la foulée d'une notification pour approbation auprès de la Commission européenne au titre du régime des aides d'État.

Vous avez appelé de vos vœux une augmentation de 26 gigawatts à 29 gigawatts de la capacité installée d'hydroélectricité. Cette hausse, vous le savez comme moi, dépend non pas de la construction de nouvelles installations, mais d'investissements supplémentaires dans les installations existantes.

Comme l'ont indiqué plusieurs de vos collègues, pour réaliser ces investissements, nous avons besoin de sécuriser le cadre juridique relatif aux installations hydroélectriques, donc de régler le contentieux avec l'Union européenne. Ce n'est qu'une fois que ce contentieux – pour lequel nous attendons les conclusions de la mission d'information consacrée aux modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques, menées par Mme Battistel et M. Bolo – aura été tranché que nous pourrons lancer les investissements dont je viens de parler.

Sur la stratégie hydrogène que j'ai eu l'honneur d'annoncer il y a quelques semaines, nous avons là encore une divergence de vues, à tout le moins une interprétation différente. Vous estimez que cette stratégie serait très décevante pour la filière hydrogène. Ce n'est pas l'impression que j'ai eue : la filière voulait de la visibilité, elle a donc plutôt bien perçu l'annonce de cette stratégie – je pense du reste qu'en discutant avec ses divers acteurs vous avez eu le même son de cloche que moi.

Certes, les objectifs en termes de capacités installées de production d'hydrogène ont été revus à la baisse, mais cela résulte d'une analyse fine du modèle économique de la filière, des usages actuels, dont certains n'ont pas trouvé leur modèle économique – je pense en particulier aux véhicules légers. C'est bien cette réflexion qui nous a amenés à réévaluer notre stratégie.

Monsieur Montaugé, je vous remercie de votre intervention. Vous avez avancé l'idée, comme l'ont fait d'autres sénateurs, que la méthode globale retenue par le Gouvernement, et pas simplement l'adoption de la programmation pluriannuelle de l'énergie par décret, constituerait un déni démocratique. Je me permets tout de même de vous faire remarquer que cette adoption par décret est prévue par la loi ; certes, une loi de programmation était prévue, mais les circonstances n'ont pas permis de l'adopter dans les temps.

La programmation pluriannuelle de l'énergie est compatible dans ses objectifs, malgré quelques nuances, avec la proposition de loi qui sera prochainement examinée à l'Assemblée nationale, M. Daniel Gremillet l'a d'ailleurs souligné. Cela signifie qu'il y a eu un débat et un vote, puisque vous avez vous-même eu l'occasion, ici, dans cet hémicycle, d'amender le texte.

Certes, il ne s'agit pas d'un projet de loi, mais je ne peux pas laisser dire qu'il n'y a pas eu et qu'il n'y aura pas de débat avec vote autour de ce projet de programmation pluriannuelle de l'énergie. Le Premier ministre s'y est engagé : les modifications qui seront décidées, à la lumière de nos échanges d'aujourd'hui, de ceux qui ont eu lieu la semaine dernière à l'Assemblée nationale et au regard des discussions qui se dérouleront lors de l'examen de la proposition de loi Gremillet seront pris en compte. À mon sens, une telle méthode laisse toute sa place au débat démocratique, puisque nous ne nous contentons pas d'un débat sans vote. Il était important, là encore, de le rappeler.

Vous l'avez souligné, toutes les énergies induisent une dépendance. Il est vrai qu'il existe une dépendance du nucléaire, celle qui résulte de l'approvisionnement en combustibles nucléaires, en particulier en uranium. Vous avez abordé, au registre des dépendances, un sujet un peu plus vaste, celui de la dépendance du secteur des énergies renouvelables, dans sa version industrielle, vis-à-vis des métaux rares – c'est le cas du lithium, du graphite, de tout ce qui entre dans la composition des batteries, et j'en passe.

Sur ces sujets, le conseil de politique nucléaire a mis en avant un principe très clair, celui de la diversification des sources d'approvisionnement d'Orano en matière de combustibles. Cela fait désormais partie de la stratégie nucléaire de la France que de sécuriser les approvisionnements, tout comme de les diversifier. C'est un élément important sur lequel je tiens à insister.

Le problème de dépendance sera résolu aussi par la technologie et la science. Je pense en particulier à la recherche autour de ce que l'on appelle la fermeture du cycle nucléaire, c'est-à-dire la réutilisation du combustible nucléaire usé. Évidemment, nous n'y sommes pas encore, mais le conseil de politique nucléaire a réaffirmé son soutien à un certain nombre de projets de recherche, en particulier autour des réacteurs à neutrons rapides, qui doivent permettre de fermer ce cycle.

Ce n'est qu'une promesse à ce stade, mais vous me permettrez de la considérer comme assez formidable, puisque cette avancée nous permettrait de ne plus dépendre de sources d'approvisionnement externes et de recycler le combustible nucléaire. C'est ce que nous promet l'avenir. Je ne suis pas moi-même chercheur dans le nucléaire, mais je peux vous dire que les chercheurs dans ce domaine y croient. Je pense par conséquent qu'il faut soutenir ces initiatives.

Nous avons établi une stratégie de sécurisation des métaux précieux ou rares, qui passe par la diversification des approvisionnements. J'ai réaffirmé cette stratégie lorsqu'il y a quelques semaines j'ai lancé un inventaire des ressources minérales au cours de ma visite du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à Orléans. Il s'agit de diversifier nos approvisionnements pour tout ce qui ne se trouve pas sur notre territoire, mais aussi de relancer un inventaire minier pour ce qui s'y trouve ! Nous disposons de gisements de tungstène ou de lithium, par exemple, qui pourraient offrir des potentialités qu'il nous faut explorer. C'est ce que nous sommes en train de faire. J'espère que nous trouverons de nouveaux gisements, dans les trois prochaines années.

Enfin, combattre la dépendance passe aussi par le recyclage des matériaux. La structuration de la filière industrielle du recyclage des métaux, des batteries relève également de cette stratégie. Il ne me semblait pas inutile de vous apporter toutes ces précisions, monsieur Montaugé.

Vous m'avez également interpellé sur des sujets qui concernent notre politique industrielle et non pas le sujet qui nous réunit aujourd'hui. Même si nous aurons l'occasion d'en débattre plus longuement, je tiens à vous dire qu'il serait préférable d'inverser la logique que vous promouvez, celle qui consisterait à calibrer notre politique et notre trajectoire énergétiques en fonction d'hypothèses relatives à l'évolution de l'emploi industriel ou de l'activité industrielle ; il faut au contraire partir du principe que la création ou le maintien d'emplois industriels, la création d'activité dépendent de notre capacité à garantir des prix de l'énergie compétitifs à nos industriels. On le voit bien avec le groupe Arcelor, j'en ai discuté avec ses dirigeants il y a peu de temps.

Pour moi, je le redis, il faut inverser la logique et cesser de fonder notre stratégie sur des projections industrielles, qui sont comme toujours très difficiles à établir. Il faut au contraire créer les conditions, notamment au regard des prix de l'énergie, d'un développement de l'emploi dans notre pays.

Enfin, vous m'avez interpellé sur le scénario de Réseau de transport d'électricité (RTE) que je reprendrais à mon compte pour la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie. C'est précisément l'objet de ce débat et des débats qui auront lieu autour de la proposition de loi de Daniel Gremillet, à savoir déterminer s'il faut s'arrimer à ce scénario ou plutôt l'adapter. Pour ma part, je ne veux pas préempter ce débat.

Monsieur Chauvet, vous avez insisté sur le fait que la trajectoire qui figure dans ce projet de programmation pluriannuelle de l'énergie est une trajectoire volontariste en termes d'électrification. Certains ont des doutes, au regard du constat d'une stagnation de notre consommation d'électricité depuis un certain nombre d'années, qui a été rappelé par le Premier ministre et par d'autres.

Cette stratégie d'électrification se déploie à travers trois grands axes.

Le premier axe est la décarbonation de l'industrie au sens large. Je pense aux milliards d'euros que nous dépensons au titre du plan France 2030 et de la compensation carbone pour accompagner nos industriels électro-intensifs dans cette voie. Comme vous le savez, l'État s'est engagé, si d'aventure des investissements étaient consentis, à financer la décarbonation du groupe Arcelor pour un montant avoisinant les 850 millions d'euros.

J'aurais aussi pu évoquer toutes les initiatives qui concernent les data centers. Un data center de grande puissance, d'un gigawatt par exemple, représente 8 térawattheures de consommation annuelle. Si l'on veut faire progresser la consommation d'électricité dans notre pays, installons des data centers et concrétisons les projets d'investissement qui ont été annoncés, notamment par le Président de la République lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle. C'est un élément essentiel.

Le deuxième axe consiste à financer les efforts d'investissement dans le domaine des mobilités. Nous maintenons un bonus que les Allemands ont supprimé. Certes, le maintien de ce bonus se fait moyennant une baisse de crédits – vous connaissez notre situation budgétaire –, mais nous le maintenons tout de même.

Nous maintenons aussi le leasing social selon des modalités de financement différentes. Nous incitons notamment à l'électrification des flottes professionnelles pour renforcer la demande de véhicules électriques. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, le Gouvernement a déposé un amendement qui tend à créer une incitation fiscale pour les entreprises qui électrifient leurs flottes. Un véhicule neuf sur deux vendu aujourd'hui en France est ainsi acheté par une flotte d'entreprises. Il y a là un levier considérable d'électrification ; nous nous engageons fortement sur ce sujet.

Le troisième axe est le logement. Nous soutenons la filière des pompes à chaleur et le basculement des énergies fossiles vers d'autres sources d'énergie – pas forcément de l'électricité d'ailleurs, c'est peut-être de la chaleur renouvelable. Nous allons continuer à le faire.

Monsieur Chauvet, vous avez parlé de la faible acceptation sociale des EnR. Il n'a échappé à personne qu'un certain nombre de projets d'énergies renouvelables étaient source de conflits. Je fais miens vos propos sur la nécessité de s'appuyer sur les infrastructures existantes – éoliennes, installations photovoltaïques… – pour les rendre plus performantes, sans artificialiser davantage les sols. De ce point de vue, ces dispositifs seraient évidemment très vertueux.

L'expérience que j'ai acquise en tant que ministre chargé de l'industrie et de l'énergie me laisse penser que l'acceptabilité sociale des EnR repose aussi sur notre capacité à démonter qu'il y a derrière ces énergies un vivier d'emplois industriels dans nos territoires. Je le constate tous les jours : si l'emploi industriel se maintient et que les sites industriels continuent d'ouvrir, c'est principalement le fait des industries vertes et des industries liées aux énergies renouvelables. Cette réalité devrait convaincre nos concitoyens, notamment les élus locaux et tous les Français qui sont sensibles à cette préoccupation.

Vous avez souligné le risque d'un déséquilibre à terme entre nos capacités de production d'EnR et la demande – cela rejoint les échanges que l'on vient d'avoir sur l'électricité. En réalité, notre pays a besoin de conserver des marges de production de capacités ; au fond, cela n'est pas un problème, dès lors que nous disposons de débouchés naturels via nos exportations. Le Premier ministre l'a du reste indiqué, en 2024, nous avons exporté 90 térawattheures nets.

Enfin, vous appelez de vos vœux un lancement rapide des nouveaux EPR. Comme je l'ai dit, le schéma de financement de ces réacteurs sera très prochainement finalisé, puis notifié à la Commission européenne. Sachez que la fabrication des composants des EPR2 a déjà commencé. L'usine Framatome du Creusot, que j'ai visitée il y a quelques mois, produit les cuves des futurs EPR.

En réalité, la filière s'est déjà mise en mouvement. Elle a déjà élaboré un plan de gestion de ses ressources humaines : 100 000 recrutements dans la filière nucléaire seront nécessaires dans les dix prochaines années pour assurer le programme du nouveau nucléaire. La filière est prête, mais, j'y insiste, la décision d'investir ne sera prise que dans les prochains mois sur le fondement des échanges qui auront eu lieu avec la Commission européenne.

Monsieur Louault, vous avez évidemment raison de rappeler que nos industriels ont besoin de bénéficier de prix compétitifs.

À cet égard, un certain nombre de dispositifs existent déjà pour soutenir les industriels, en particulier, les industriels les plus électro-intensifs. Le taux d'accise applicable à ces derniers, c'est-à-dire aux industriels dont le processus de production implique plus de 6 euros de valeur ajoutée par kilowattheure, ainsi qu'à ceux qui sont les plus exposés à la concurrence internationale, s'élève à 50 centimes d'euros par mégawattheure, contre un taux moyen qui atteint plus de 30 euros par mégawattheure. Certains dispositifs en vigueur permettent donc déjà de soutenir fortement ces industriels électro-intensifs, même si, comme vous, je pense qu'il faut aller plus loin.

Vous avez mentionné les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN), contrats en cours de négociation entre EDF et nos industriels. Au regard du contexte actuel, je suis confiant dans notre capacité à signer un volume significatif de contrats avec les industriels électro-intensifs avant le 1er janvier 2026, puisque c'est le terme prévu de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).

Le parcours de Bernard Fontana, qui est désormais président-directeur général du groupe EDF, témoigne de sa sensibilité aux enjeux des industriels, notamment à la nécessité pour eux de lutter à armes égales dans la compétition internationale. Nous verrons bien ce qu'il adviendra – je ne préjuge évidemment pas ce qui sera signé ou annoncé –, mais nous aurons l'occasion d'en dresser le bilan et je tiendrai au courant la représentation nationale de l'évolution de ce dossier.

J'ai cru comprendre, dans vos propos, que la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie suivrait une courbe décroissante. Je m'inscris en faux contre cette analyse, qui découle très directement des chiffres globaux de la consommation énergétique. Encore une fois, c'est en renforçant notre efficacité et notre sobriété que l'on pourra consommer moins, certainement pas en désindustrialisant le pays. C'est le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie qui vous le dit.

Le débat sur les contributions au service public de l'électricité (CSPE), dont vous avez parlé, est à mon sens nécessaire.

Je rappelle que les hypothèses relatives au coût de ces fameuses charges de service public qui figurent dans la programmation pluriannuelle de l'énergie dépendent, par nature, du niveau des prix de marché. Chacun le sait, il est très difficile de prévoir l'évolution de ces prix à horizon aussi lointain. Néanmoins, par souci de transparence, nous nous sommes livrés à cet exercice.

Je rappelle également que les CSPE peuvent coûter de l'argent à l'État lorsque les prix de marché sont inférieurs à celui qui est prévu dans les contrats signés, mais qu'elles peuvent aussi lui en rapporter. C'était le cas en 2022-2023 : 6 milliards d'euros sont alors entrés dans les caisses.

M. Yannick Jadot. Exactement !

M. Marc Ferracci, ministre. Vous rétorquerez qu'il s'agissait d'une situation exceptionnelle, mais, par principe, notre modèle économique doit aussi permettre de pallier ce type de situation.

M. Marc Ferracci, ministre. Ce principe, qui consiste à compenser dans un sens et dans l'autre, est également celui sur lequel repose notre plan de financement du nouveau nucléaire, qui est assumé par EDF dans le cadre d'un contrat pour différence. Il serait donc délicat de critiquer ce principe lorsqu'il s'applique aux EnR et de l'approuver quand il concerne le financement du nouveau nucléaire.

M. Vincent Louault. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Marc Ferracci, ministre. C'est vrai, monsieur le sénateur, mais je me permets de faire ce parallèle, parce que le principe est le même.

Pour en finir avec cette question de la compétitivité et des prix des différentes sources d'énergie, qui, vous avez eu raison de le dire, est un critère essentiel, je tiens à souligner qu'un certain nombre d'EnR sont aujourd'hui d'ores et déjà compétitives, y compris vis-à-vis du nucléaire existant. Je ne parle même pas du nouveau nucléaire, qui coûtera plus cher, puisque les six EPR2 coûtent plus cher que les réacteurs actuellement en service.

M. Yannick Jadot. Très bien !

M. Marc Ferracci, ministre. Je vous donne un exemple : l'appel d'offre pour l'éolien en mer posé, signé en 2023 et figurant sous le numéro 4, a fixé le prix du mégawattheure à 45 euros pour les contrats à venir.

M. Yannick Jadot. Exactement !

M. Marc Ferracci, ministre. Je me dois de dire que c'est compétitif.

M. Yannick Jadot. Très bien !

M. Marc Ferracci, ministre. Certes, ce n'est pas le cas de toutes les EnR. M. le Premier ministre l'a souligné lui-même : il faudra du temps pour que l'éolien posé atteigne la maturité technologique ; en outre, les coûts de raccordement sont plus élevés. Toutefois, il ne faut pas mettre toutes les solutions énergétiques dans le même panier, si vous m'autorisez cette expression. Nous devons étudier en détail ce que permettent les unes et les autres.

Enfin, monsieur le sénateur, je tiens à revenir sur un de vos propos qui me laisse très circonspect.

On peut tout à fait prolonger la durée de vie de nos réacteurs existants de soixante, soixante-dix ou quatre-vingts ans, comme vous le suggérez. À vous entendre, l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) elle-même le confirmera bientôt. Je rappelle que la prolongation des réacteurs existants, annoncée par le Président de la République, suppose un processus de sécurisation extrêmement rigoureux : à chaque visite décennale, EDF leur consacre une analyse spécifique, laquelle doit ensuite être validée par l'ASNR.

Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs et, pour ma part, je ne tenterai jamais d'anticiper les conclusions de l'ASNR. (M. Yannick Jadot acquiesce.) Peut-être ira-t-elle dans le sens que vous évoquez ; peut-être estimera-t-elle aussi, au regard des multiples contraintes dont il faut tenir compte, qu'elles soient technologiques ou industrielles – je pense en particulier aux contraintes de gestion du combustible –, que la prudence doit l'emporter.

J'en suis sincèrement convaincu : le volontarisme, si puissant soit-il, ne saurait nous dispenser des précautions qui s'imposent en la matière. Je suis volontariste et je soutiens le programme grand carénage. Pour autant, j'y insiste, nous devons suivre un certain nombre de procédures, destinées avant tout à assurer la sécurité – c'est tout le sens des avis de l'ASNR.

Monsieur Buis, je partage pleinement l'idée que la souveraineté passe par la décarbonisation. J'ai rappelé au début de mon propos ce que nous coûtaient les énergies fossiles, je n'y reviens pas.

Vous m'avez posé des questions précises, en particulier au sujet des huit nouveaux EPR (European Pressurized Reactors) qui pourraient faire l'objet d'une décision d'ici à la fin de l'année 2026.

Le processus d'instruction de ces EPR2 est en cours. Au total, douze sites sont envisagés. Je ne peux évidemment pas communiquer à ce titre, pour des raisons que vous comprenez bien. Je précise toutefois que cinq d'entre eux ont déjà fait l'objet, de la part d'EDF, d'une étude reposant sur de nombreux critères, notamment l'hydrogéologie, la gestion des déchets ou encore la viabilité du site pour accueillir un EPR2.

Le Président de la République l'a rappelé lors du conseil de politique nucléaire : le choix sera arrêté d'ici à la fin 2026, lorsque la décision finale d'investissement pour les six premiers EPR sera annoncée, c'est-à-dire lors du lancement formel des chantiers.

Vous m'interrogez également sur les moyens de développer l'éolien offshore. Pour ce faire, il existe une solution simple et rapide, à savoir publier le décret de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). C'est en effet la condition nécessaire au lancement des futurs appels d'offre. L'un d'eux est d'ailleurs prêt : il ne demande qu'à être mis en œuvre. Toutefois, pour le lancer, nous avons besoin du cadre juridique de la PPE, donc de la publication de ce décret.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vos collègues députés ont peut-être plus insisté que vous sur ce point : il est impératif de maximiser l'empreinte industrielle.

Derrière les EnR comme derrière le nucléaire – j'ai déjà pris soin de le relever –, il y a des filières industrielles et des créations d'emploi. Ces filières industrielles nous demandent aujourd'hui de leur donner de la visibilité. Nous devons prendre en compte l'empreinte industrielle et, plus largement, le développement industriel de nos territoires. Une fois franchies les différentes étapes que j'ai évoquées et que le débat démocratique impose, il sera d'autant plus important d'assurer la publication du décret de la PPE, notamment pour l'éolien en mer.

Monsieur Buis, vous insistez sur la nécessité d'accorder toute sa place à l'hydroélectricité. Nous sommes évidemment d'accord avec vous sur ce point. Nous attendons les conclusions de la mission d'information Bolo-Battistel, à l'Assemblée nationale, ainsi que de la mission lancée par la commission des affaires économiques du Sénat : ces travaux ne manqueront pas de nourrir nos réflexions sur le cadre juridique des concessions.

Quant à notre stratégie relative à l'hydrogène, elle ne fait pas l'impasse sur les mobilités lourdes, mais elle identifie à ce titre des modes de transport probablement dotés d'un modèle économique plus solide que d'autres. (M. Bernard Buis acquiesce.) En particulier, les expérimentations menées dans le domaine ferroviaire ne me semblent aujourd'hui pas forcément à la hauteur d'autres usages de l'hydrogène.

M. Gay déplore ce qu'il appelle un « déni démocratique », observant que l'on attend la programmation pluriannuelle de l'énergie depuis maintenant trois ans. Je ne reviens pas sur les circonstances politiques, qui, de fait, ne sauraient tout expliquer. Toutefois, je rappelle qu'une consultation a été menée, il l'a d'ailleurs évoquée, à laquelle 50 000 citoyens ont participé ; des débats ont eu lieu et, sur ce sujet, une proposition de loi a été déposée.

Selon lui, le groupe de travail Armand-Gremillet serait même le « comble du déni démocratique ». Pour moi qui suis un ancien parlementaire, il est tout de même surprenant d'entendre de tels propos, alors même que cet organe est composé de députés et de sénateurs. Vous l'aurez compris, je n'approuve pas cette vision des choses.

En revanche, je me range à l'analyse de M. Gay quand il insiste sur l'urgence à sortir des énergies fossiles : il s'agit là d'un point de convergence entre nous. M. Gay affirme que ces énergies représentent 40 % de notre mix énergétique : la part est même de 60 %. Il est évident que nous devons limiter notre dépendance.

En revanche, M. Gay avance à tort que, si les EnR ne produisent pas au titre des contrats signés, elles sont « payées à ne rien faire ». Non ! Les EnR n'ont aucun intérêt à rester improductives : si elles ne produisent pas, elles ne sont pas payées. (M. Jean-Pierre Corbisez proteste.) Il est très important de le rappeler.

M. Gay critique également le coup de rabot dont a fait l'objet MaPrimeRénov'. Ce dispositif a bien été amputé d'une partie de ses crédits, du fait du contexte budgétaire, mais il n'en continue pas moins. Je rappelle tout de même qu'il a été créé, puis prolongé par les majorités qui se sont succédé depuis 2017. Sa mise en œuvre remonte plus précisément au 1er janvier 2020. Jusqu'alors, aucun gouvernement ne s'était engagé de manière si résolue dans la rénovation thermique des logements.

De même, selon M. Gay, rien n'est fait pour contrer le photovoltaïque chinois : ce n'est pas vrai. Aujourd'hui, deux usines produisent des panneaux photovoltaïques en France. De plus – M. le Premier ministre l'a rappelé –, plusieurs projets de gigafactories de panneaux photovoltaïques sont en train de consolider leur modèle économique. Elles verront le jour avec le soutien de l'État.

Notre stratégie ne consiste pas à produire tous les panneaux dont nous avons besoin. Notre but est d'assurer une forme de résilience quant à la production de panneaux, pour toutes nos installations photovoltaïques. Il est important de le rappeler.

Enfin, je me dois de répondre à une affirmation qui ne correspond à aucune donnée statistique ni à aucun des éléments factuels dont je dispose : à en croire M. Gay, les prix de l'électricité augmenteront de 10 % en 2026.

Les simulations dont nous disposons, sur la base du schéma qui va prendre la suite de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), n'annoncent absolument pas d'augmentation des prix. Les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TVRE) ont même baissé de 15 % le 1er février dernier. Je serais heureux que M. Gay m'indique ses sources, car, à mon sens, une telle affirmation ne repose sur rien.

Madame Carrère, vous le savez, j'estime comme vous qu'il est nécessaire de sortir de la dépendance énergétique. En outre, vous insistez avec raison sur un impératif majeur : en la matière, nous devons « peser chaque denier public » – je reprends les termes que vous avez employés.

Cet effort est indispensable pour décarboner : il convient de maximiser la dépense publique au regard du coût d'abattement. Combien coûte l'abattement d'une tonne de CO2 ? Voilà un critère très concret, très précis, qui doit guider nos décisions.

À ce titre, je prêche pour ma paroisse en tant que ministre chargé de l'énergie : au regard du coût d'abattement, un euro dépensé pour la décarbonation de l'énergie est mieux employé que dans beaucoup d'autres secteurs. Il faut évidemment tenir compte de ce critère.

En parallèle, vous soulignez qu'il faut minimiser les risques : je ne peux que partager vos propos, notamment à la lumière de l'épisode espagnol. À cet égard, nous ne disposons pour l'heure d'aucune piste ou d'aucun élément d'enquête probant…