M. Yannick Jadot. Exactement !

M. Marc Ferracci, ministre. J'y reviendrai dans un instant.

La diversification des sources relève de l'évidence. On l'a vu en 2022 et 2023 : lorsque notre parc nucléaire a connu de grandes difficultés du fait de la corrosion sous contrainte (CSC), les EnR et l'importation d'électricité ont pris le relais. Il est évident que la flexibilité et la diversification des sources d'énergie sont des solutions.

Enfin, je répète, nous avons l'ambition de relancer les investissements dans l'hydroélectricité. Pour cela, il faut sécuriser le cadre juridique et résoudre le contentieux avec l'Union européenne.

Monsieur Jadot, j'ai la faiblesse de croire que notre discussion d'aujourd'hui n'est pas « juste un débat ». (Mme Mélanie Vogel s'exclame.)

Vous soulignez la nécessité de prendre en compte le contexte géopolitique, en citant la guerre en Ukraine : je partage tout à fait ces propos, à l'instar de M. le Premier ministre. Ces crises renforcent, à nos yeux, la nécessité de sortir de la dépendance aux énergies fossiles et, plus largement, de toute forme de dépendance énergétique. Le contexte que nous connaissons ne remet pas en question cette stratégie ; au contraire, il la renforce. J'en suis profondément convaincu.

Vous avez évoqué le coût des EPR2.

Notre schéma de financement, qui fait l'objet d'un certain nombre de réflexions, sera bientôt notifié à la Commission européenne. Le coût de ce programme est estimé non pas à 100 milliards d'euros, mais à 67 milliards d'euros. Même si sommes bien placés pour savoir que les programmes peuvent évoluer , c'est l'hypothèse de travail que nous prenons pour base aujourd'hui. Ce montant sera officialisé lors de la notification ; il est important de le souligner.

À vous entendre et vous l'avez dit à plusieurs reprises, le nouveau nucléaire ne serait pas finançable. Je conteste ces propos en suivant, en quelque sorte, un raisonnement par l'absurde.

Nous proposerons à la Commission européenne un schéma de financement équilibré, avec deux composantes.

D'une part, pour la phase de construction, nous prévoyons un prêt bonifié de l'État à EDF, dont le quantum précis reste à déterminer et qui représentera plus de 50 % de l'ensemble – ce choix a été retenu pour d'autres schémas nucléaires, comme le projet de Dukovany, en République tchèque.

D'autre part, pour la phase d'exploitation, nous envisageons un contrat pour différence, que j'ai évoqué en répondant à M. Louault.

Le schéma de financement existe ; il a été tracé noir sur blanc, négocié avec EDF, puis validé. Je ne peux donc pas vous laisser dire que le nouveau nucléaire n'est pas finançable. On peut bien sûr débattre de son coût plus ou moins élevé, en abordant la compétitivité relative des différentes sources d'énergie. Reste que, pour ce qui est de notre capacité à financer le nouveau nucléaire, vos propos ne correspondent pas à la réalité.

En parallèle, vous semblez laisser croire que les EnR représentent la quasi-totalité des capacités qui se développent actuellement en Europe. La France n'est pas seule, en Europe, à investir dans le nucléaire.

Je suis à la tête d'une alliance des pays du nucléaire négociée il y a maintenant deux ans par Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la transition énergétique, qui réunit aujourd'hui une dizaine de pays. Certains d'entre eux disposent d'ores et déjà de réacteurs dans leur territoire, tandis que d'autres envisagent d'en construire ; tous en tout cas défendent le nucléaire et la neutralité technologique à l'échelle européenne, c'est-à-dire le fait que le nucléaire puisse être financé au même titre que les énergies renouvelables.

Dans ce domaine, la France n'est donc absolument pas isolée en Europe. (M. Yannick Jadot s'exclame.) Je le souligne, même si ce n'est pas ce que vous avez dit. On observe aussi une dynamique en faveur du nucléaire sur notre continent (Marques d'ironie sur les travées du groupe GEST.), il est important de le répéter.

Selon vous, nous freinerions l'électrification. Je ne reviendrai pas sur toutes les mesures permettant de soutenir ce vaste chantier, malgré les contraintes budgétaires avec lesquelles nous devons composer, contraintes que vous connaissez et que nous assumons.

Enfin, je ne peux pas vous laisser dire que l'agenda climatique est attaqué.

La France – vous le savez mieux que quiconque ici – est à l'origine des accords de Paris. Nous défendons l'agenda issu de ces accords. Nous défendons en particulier l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 et nous continuerons de le défendre. Pour autant, et cet élément a toute son importance pour le Gouvernement, nos objectifs de décarbonation doivent être rendus compatibles avec une politique industrielle ambitieuse (M. Yannick Jadot acquiesce.), en particulier à l'échelle européenne.

Notre politique industrielle ne saurait être mise au rebut. C'est le message que j'ai transmis à tous les commissaires européens que j'ai rencontrés, quels que soient leurs domaines d'attribution.

Notre agenda climatique demeure, mais il doit être assorti d'initiatives ambitieuses à l'échelle européenne, qu'il s'agisse de protections commerciales ou de soutien à l'industrie. Pour ma part, je continuerai de défendre ce point de vue.

Enfin, je répondrai à M. Hochart sur la panne espagnole. À l'en croire, les premiers rapports des experts en Espagne et au Portugal tendent à montrer que l'origine de cette panne tient au mix énergétique espagnol, qui, comme chacun le sait, repose plus que d'autres sur les renouvelables.

Après m'être entretenu hier avec mon homologue espagnole, Sara Aagesen Muñoz, après avoir mené de longs échanges avec les représentants de Réseau de transport d'électricité (RTE) quant aux premières analyses fournies par cet acteur, je peux vous l'assurer : aujourd'hui, il est impossible d'affirmer quoi que ce soit sur l'origine de cette panne. Je ne peux donc privilégier aucune interprétation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m'excuser si j'ai été trop long et, au nom du Gouvernement, je tiens à remercier très chaleureusement l'ensemble des participants à ce débat. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias

vice-président

M. le président. Nous en avons fini avec la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la souveraineté énergétique de la France.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix-huit, est reprise à dix-sept heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

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candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du protocole de Londres de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

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Dossier législatif : proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982
Article 1er

Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982

Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 (proposition n° 403 [2023-2024], texte de la commission n° 565, rapport n° 564).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le devoir de mémoire n'est pas un exercice de confort. C'est une exigence de vérité, c'est un acte de justice et c'est bien un devoir d'histoire.

L'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est d'abord une histoire effacée, une histoire trop longtemps étouffée, une histoire trop longtemps tue par ceux qui l'ont subie, tant la peur, la honte et l'invisibilité leur ôtaient le pouvoir de parler.

Même aujourd'hui, malgré des travaux essentiels menés depuis les années 1990, l'histoire de la répression de l'homosexualité en France demeure méconnue, d'autant plus que l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui est celle d'un mythe : le mythe d'une France pionnière, patrie des Lumières et modèle de tolérance, qui, en 1791, supprime le crime de sodomie, lequel pouvait conduire les condamnés au bûcher.

De fait, en France, l'homosexualité reste longtemps marginalisée, stigmatisée et poursuivie, parce que l'ordre moral ne change pas et que, très vite, le droit se reconfigure pour continuer à punir, sans le dire de manière explicite.

Pendant un siècle et demi, la répression se déguise. On ne légifère pas spécifiquement contre l'homosexualité : on l'encadre au travers d'autres infractions – outrage public à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche, atteinte aux bonnes mœurs, vagabondage, racolage ou encore proxénétisme. Derrière des termes génériques, derrière une légalité de façade, le ciblage est systématique.

L'outrage public à la pudeur devient l'un des principaux outils de répression : dans la plupart des cas, l'outrage n'a rien de public et la pudeur offensée est celle d'un ordre établi profondément réactionnaire. Souvent, c'est la police elle-même qui provoque l'infraction.

Assez vite, on réclame une législation plus explicite, et ces demandes finissent par être entendues.

En 1942, un cap est franchi. Un projet amorcé sous la IIIe République est mis en œuvre par le régime de Vichy : un texte à valeur législative introduit pour la première fois dans le code pénal des dispositions explicitement discriminatoires envers les homosexuels.

La loi du 6 août 1942 institue en effet une majorité sexuelle différenciée selon l'orientation sexuelle – 13 ans pour les hétérosexuels, 21 ans pour les homosexuels. Le but est clair : faciliter les condamnations et, dans le contexte de Vichy, permettre les internements, les déportations et l'extermination. Toutefois, les changements politiques ne mettent pas fin à la répression.

À la Libération, ce texte n'est pas abrogé. Au contraire, il est confirmé par l'ordonnance du 8 février 1945. À en croire l'exposé des motifs qui l'accompagne, « cette réforme, inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique ».

Cette continuité s'enracine dans une société d'après-guerre saturée d'obsessions, qui valorise la virilité, redoute le désordre, efface le rôle des résistants homosexuels et des résistantes lesbiennes. C'est dans une atmosphère de croisade morale face à la « démocratisation de l'homosexualité » que le député Paul Mirguet obtient, en 1960, le classement de l'homosexualité dans la liste des « fléaux sociaux » contre lesquels le Gouvernement est habilité à prendre des mesures.

Ainsi, l'ordonnance du 25 novembre 1960 introduit une circonstance aggravante pour l'outrage à la pudeur lorsqu'il est commis entre personnes de même sexe : si l'outrage est homosexuel, les peines sont doublées.

Au-delà de cette architecture répressive, l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est l'histoire de milliers de vies, profondément et durablement marquées par la répression de l'homosexualité.

C'est l'histoire de ceux dont le seul délit était d'aimer quelqu'un du même sexe,

Ceux que le régime de Vichy a traqués,

Ceux qui ont été pourchassés, arrêtés et marqués d'un triangle rose,

Ceux qui ont été internés, déportés, puis exterminés,

Ceux dont la mémoire a longtemps été ignorée,

Ceux que la République a continué de poursuivre,

Ceux qui étaient ouvriers du bâtiment, manœuvres agricoles, soudeurs, manutentionnaires, cuisiniers, garçons de salle, coiffeurs, mécaniciens, étudiants, vendeurs, maîtres-nageurs ou porteurs de valises,

Ceux qui étaient tous les autres,

Ceux qui aimaient en cachette, dans des lieux de fortune, parce que c'était ça ou rien,

Ceux que l'on guettait, suivait, piégeait, provoquait,

Ceux que l'on arrêtait par descente et que l'on embarquait dans les paniers à salade,

Ceux à qui on « cassait la gueule »,

Ceux qui entendaient au commissariat : « Écoutez, vous êtes pédé, vous l'avez bien cherché »,

Ceux à qui on demandait au tribunal : « Monsieur, vous êtes bien un inverti ? »,

Ceux dont l'employeur était informé avant l'avocat,

Ceux dont on publiait le nom dans le journal local en guise de seconde sentence,

Ceux que l'on contrôlait chaque semaine dans les mêmes rues,

Ceux que l'on tutoyait, que l'on insultait et que l'on rabaissait,

Ceux dont la vie a été détruite sans jugement,

Ceux qui ont connu les interpellations sans suite et les gardes à vue humiliantes,

Ceux qui passaient six mois en préventive et qui étaient condamnés à du sursis,

Ceux que la police surveillait à distance,

Ceux que l'on fichait,

Ceux que l'on faisait chanter,

Ceux que l'on faisait vivre sous la menace permanente,

Ceux qui ont perdu leur emploi parce qu'un supérieur avait « découvert »,

Ceux que le propriétaire a mis à la porte sur une simple rumeur,

Ceux dont la famille a rompu tout lien après une dénonciation,

Ceux qui ne voyaient d'autre issue que le suicide,

Ceux qui ont grandi dans la honte, dans la peur ou dans le silence,

Ceux que « la société tenait pour des malades, des délinquants, des gens à soigner, des gens à chasser »,

Ceux qui ont donc appris à ne pas parler, à ne pas montrer, à ne pas exister,

Ceux qui rasaient les murs et qui baissaient les yeux,

Ceux qui ont aimé sans jamais le dire,

Ceux qui ont désiré sans jamais le montrer,

Ceux qui ont construit leur vie contre eux-mêmes,

Ceux qui ont inventé des histoires et trouvé des alibis,

Celles que l'on n'a pas accusées parce que, pour le patriarcat, une femme sans homme, cela n'existe pas,

Ceux qui ont entendu mille fois que leur vie était une déviance, un scandale ou une faute, que leur inclination était « contre-nature »,

Ceux qui ont fini par croire que c'était peut-être vrai,

Ceux que l'on a voulu « guérir »,

Ceux que l'on a détruits sous prétexte de les « soigner ».

Ce sont toutes ces vies et toutes les autres qu'il nous faut aujourd'hui reconnaître.

Dans cette nuit épaisse, certains ont dit non.

C'est grâce à eux que l'histoire bascule, car l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est celle de la dépénalisation.

Dans le sillage de mai 68 et des émeutes de Stonewall, à New York, en juin 1969, une génération s'éveille, des groupes se créent et des idées circulent.

On clame, pour les homosexuels, un droit fondamental : celui de ne plus être traités comme des délinquants. On exige l'égalité, on réclame la justice.

Le 25 juin 1977, à Paris, 400 personnes marchent de la place de la République à la place des Fêtes à l'appel du groupe de libération homosexuel (GLH) et du mouvement de libération des femmes (MLF). La rue devient un espace de visibilité et la contestation s'invite aussi dans les tribunaux.

Les mouvements s'affirment, les voix se multiplient et les résistances s'organisent.

Pendant ce temps, au Parlement, quelques personnages politiques tentent de briser le mur.

Le sénateur Henri Caillavet dépose, en 1978, une proposition de loi pour supprimer les dispositions discriminatoires du code pénal. Ce texte est rejeté, mais il fissure déjà l'édifice.

Le 19 novembre 1980, un premier pas est franchi : l'Assemblée nationale vote l'abrogation des dispositions introduites par l'ordonnance du 25 novembre 1960.

L'héritage de Vichy résiste encore, jusqu'au printemps de 1981.

Le 4 avril de cette année, 10 000 manifestants marchent à Paris pour « les droits et libertés des homosexuels et des lesbiennes ».

Après le 10 mai, un nouveau chapitre commence. Sous l'autorité de Gaston Defferre, nouveau ministre de l'intérieur, Maurice Grimaud ordonne à la police de cesser toute discrimination. Edmond Hervé, ministre de la santé, annonce le retrait officiel de la France de la classification de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui assimilait l'homosexualité à un trouble mental, classification à laquelle la France avait souscrit en 1968.

Au mois d'août suivant, Robert Badinter, garde des sceaux, fait adopter une loi d'amnistie couvrant les délits prévus et réprimés et adresse une circulaire aux parquets : les poursuites doivent cesser.

Le dénouement est proche. Il viendra le 4 août 1982. Ce jour-là, l'article 331-2 du code pénal est enfin abrogé.

Au cours des débats parlementaires, Robert Badinter a déclaré : « Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d'un grand pays de liberté comme le nôtre ». Pour sa part, Gisèle Halimi a pris soin d'ajouter : « La “norme” sexuelle ne se définit pas », la seule condition est « de ne blesser, de n'agresser ou de ne violenter personne ». Ils avaient raison.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est enfin l'histoire d'une responsabilité, qui – il faut le dire – est d'abord la responsabilité historique de l'État.

C'est l'État qui, par ses lois, ses tribunaux, sa police et sa médecine, a organisé pendant des décennies la répression.

L'homophobie n'a pas simplement été tolérée. Elle a été légitimée, institutionnalisée, orchestrée. L'État n'a pas seulement laissé faire : il a condamné ; il a persécuté. Il a infligé la honte, provoqué la peur, brisé des trajectoires, arraché des destins, au nom d'une certaine idée de la morale publique et de l'ordre social.

L'homophobie a été une politique. Cette responsabilité ne peut être ni esquivée ni diluée. Elle doit être dite, pleinement, car assumer cette responsabilité, c'est refuser l'oubli. C'est dire à celles et ceux qui ont été condamnés, à celles et ceux qui ont souffert que la République regarde son passé sans détourner les yeux, que la Nation leur demande pardon.

Je veux ici saluer le travail remarquable du Sénat, qui honore le devoir de mémoire de notre démocratie au travers de cette proposition de loi portée par Hussein Bourgi.

Je veux aussi rendre hommage à celles et à ceux – historiens, chercheurs, artistes, militants de la mémoire –, qui, avec exigence, rigueur et courage, font émerger des vérités trop longtemps tues. Sans leur travail, sans leur obstination, il n'y aurait ni connaissance, ni reconnaissance, ni transmission.

Mais cette histoire n'appelle pas seulement un regard vers hier. Elle nous oblige aujourd'hui. Elle engage notre responsabilité collective.

Nous avons malheureusement appris que l'histoire ne progressait pas toujours en ligne droite, qu'il suffisait d'un souffle, d'un silence, d'une indifférence qu'on laisse prospérer pour que l'égalité vacille. Et nous voyons aujourd'hui ce souffle se lever. Nous voyons la violence se réarmer, le soupçon se reformuler, la haine se redéployer.

En France, les discours et les attaques qui visent aujourd'hui les personnes LGBT, les campagnes contre la supposée « théorie du genre », qui, je le répète, n'existe pas, et les programmes d'éducation à la vie affective et à la sexualité reprennent des rhétoriques anciennes et sournoises. Ils brandissent le spectre de la menace, de la subversion sociale : c'est le même poison, simplement versé dans de nouvelles coupes.

Partout dans le monde, en Europe même, les droits LGBT+ sont attaqués.

Le mois dernier, en Pologne, à l'occasion du Conseil de l'Union européenne qui réunissait les ministres européens de l'égalité, et alors que la Hongrie venait d'adopter une disposition anti-LGBT, j'ai réaffirmé la position de la France : le respect des libertés et des droits humains ne souffre aucune exception. Pas de pause, pas de relativisme, pas d'accommodement : ils s'appliquent partout, tout le temps et pour tout le monde.

C'est pourquoi la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans la répression des homosexuels n'est pas simplement un acte de mémoire.

Ce que nous devons aux générations passées, c'est la vigilance : celle qui refuse l'effacement, le relativisme et le retour en arrière. Ce que nous devons aux générations futures, c'est l'espérance : celle qui croit en une humanité plus libre, plus juste et plus digne. Et entre les deux se tient notre devoir : l'engagement, un engagement international afin de continuer de mener le combat pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité, un engagement européen et national à consolider ce qui a été arraché de haute lutte et à enclencher de nouveaux progrès.

C'est dans cet esprit que, le 26 mai prochain, je présiderai le comité de suivi du plan national pour l'égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+. Nous ferons un point d'étape lucide. Former, prévenir, protéger, accompagner, sanctionner : nous ne relâcherons aucun levier.

Je veux dire ici toute ma reconnaissance aux associations, aux centres LGBT, aux militantes et aux militants qui, au quotidien, dans l'Hexagone et dans nos outre-mer, sont les vigies et les éclaireurs de cette action. Ils sont des partenaires indispensables et exigeants des pouvoirs publics et recevront toujours mon soutien plein et entier.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, face à la haine, la République ne reculera pas. Face à l'indifférence, la République ne cédera rien. En effet, ce que nous défendons, c'est l'universalité de l'émancipation. C'est le droit, pour chaque être humain, d'être qui il est, d'aimer sans peur, de vivre sans honte, d'exister sans masque. Et cela, ce n'est pas négociable ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis en deuxième lecture de la proposition de loi visant à porter réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité déposée par notre excellent collègue Hussein Bourgi à l'été 2022 – une initiative bienvenue !

Le texte, qui a été adopté à l'unanimité par le Sénat, puis, le 6 mars 2024, par l'Assemblée nationale – avec des modifications –, revient aujourd'hui devant nous.

Que dit cette proposition de loi ? Elle constate que notre pays a appliqué, pendant de longues années, des dispositions discriminatoires. En effet, tombaient sous le coup du code pénal les seules relations entre personnes du même sexe, dès lors que l'une d'elles était mineure au plan civil, quand bien même elle était majeure au plan sexuel et que ces relations étaient consenties ; les relations entre personnes hétérosexuelles n'étaient pas concernées.

Les recherches menées ont montré que, jusqu'à l'abrogation de ces dispositions discriminatoires en 1982, plus de 10 000 personnes ont été condamnées sur leur fondement et que des peines d'emprisonnement ont été prononcées dans de nombreux cas.

Ces dispositions pouvaient aussi être combinées avec l'outrage public à la pudeur pour permettre une répression qui relevait souvent de l'arbitraire : les comportements prétendument outrageants, impudiques ou publics n'étaient pas appréciés de la même manière selon qu'ils concernaient un couple homosexuel ou un couple hétérosexuel.

En première lecture, le Sénat a adhéré au dispositif prévu dans la proposition de loi, affirmant avec force que les homosexuels avaient été victimes d'une discrimination légale – c'est le premier point du texte.

Cependant se posait la question de la date à partir de laquelle devait être mise en œuvre cette responsabilité. Notre collègue Hussein Bourgi avait prévu une période allant de 1942 à 1982, qui couvrait donc non seulement les lois de la République, mais aussi celles du régime de Vichy.

Je le dis avec force : la République n'a pas à s'excuser de ce qu'a fait l'État français. Vichy n'était pas la République. Vichy était une situation de non-droit. La France légitime était la France libre à Londres. Dès lors, je vois mal comment la République pourrait s'excuser pour les crimes de Vichy ! (M. Clément Pernot applaudit.)

Ce qui s'est passé de 1942 à 1945 procédait d'une position idéologique du régime de Vichy, lequel traquait les homosexuels en appliquant des dispositions mettant en œuvre une politique globale de répression par l'État à leur encontre.

Je rappelle, en outre, que la recherche sociologique elle-même distingue ces deux périodes, qui ne sont pas comparables.

C'est pourquoi la commission a estimé qu'il fallait modifier l'intitulé du texte et son article 1er pour ne retenir que la période allant de 1945 à 1982. La République ne peut s'excuser que de ses fautes ; elle ne peut pas s'excuser des fautes de Vichy.

M. Yannick Jadot. C'était l'État français !

M. Francis Szpiner, rapporteur. Chacun ici sait d'où je viens. Je n'oublie pas le discours du Vél' d'Hiv prononcé par Jacques Chirac : c'était un discours magnifique.

M. Hussein Bourgi. Tout à fait !

M. Yannick Jadot. En effet !

M. Francis Szpiner, rapporteur. Je vous remercie, monsieur Jadot, de saluer, une fois n'est pas coutume, ce qu'a fait Jacques Chirac… Comme quoi, tout arrive dans cet hémicycle ! (Sourires.)

Cette reconnaissance que la France de Vichy a participé à la politique d'extermination ne signifie en aucun cas que la République doit endosser les crimes de Vichy.

Le deuxième point de la proposition de loi, point que ni le Sénat ni l'Assemblée nationale n'a retenu, était la création du délit de négationnisme, qui visait à réprimer la négation de la déportation des homosexuels de France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette innovation soulevait, sans que ce soit – je le pense – la volonté des auteurs de la proposition de loi, des risques juridiques majeurs, parce qu'elle était susceptible de déstabiliser des contentieux en cours : si nous les avions adoptées, ces dispositions auraient permis à ceux qui étaient d'ores et déjà poursuivis d'affirmer que, puisqu'il avait été nécessaire de voter une loi, leurs propos ne pouvaient être condamnés sur d'autres fondements.

Or ces dispositions, que nous avons supprimées, sont déjà, à mon sens, couvertes par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et c'est la raison pour laquelle ni le Sénat ni l'Assemblée nationale n'ont retenu cette mesure. C'est un point d'accord dont je me réjouis.

Le troisième et dernier point de la proposition de loi de notre collègue Hussein Bourgi visait à la mise en place d'un régime de réparation financière au bénéfice des personnes condamnées sur le fondement des dispositions discriminatoires que j'ai évoquées.

Je ne m'attarderai pas sur les parts forfaitaire et variable, non plus que sur le comité Théodule chargé d'examiner les dossiers, afin de me concentrer sur l'essentiel.

Les exemples de réparations financières qui ont eu lieu ont été minoritaires à l'étranger, et ils concernent des pays où l'on est manifestement allé plus loin que ce qui s'est passé en France, puisqu'il s'agit de l'Allemagne, qui, au-delà du Reich nazi, a organisé une répression massive des homosexuels, ou de l'Espagne, sous le régime franquiste. L'immense majorité des États se sont contentés d'une reconnaissance symbolique, ce qui n'est déjà pas rien.

Je rappelle que, dans notre pays, la loi d'amnistie de 1981 a effacé les condamnations et que l'ensemble des personnes précédemment condamnées pour homosexualité ont par la suite été considérées comme ne l'ayant pas été.

La proposition de loi prévoit d'indemniser les conséquences les plus directes de l'application de la loi pénale. Or, en réalité, quand bien même ce texte aurait été adopté plus tôt, personne n'aurait pu attaquer l'État en réparation devant le tribunal administratif ou le Conseil d'État ! De fait, les délais de prescription ne peuvent être allongés à l'excès. La période concernée couvre des faits qui se seraient produits, pour les plus anciens, il y a quatre-vingts ans, et, pour les plus récents – ceux de 1981 –, il y a quarante-cinq ans. On ne peut pas dire que la prescription n'existe plus, même en matière de responsabilité de l'État.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent et proposent que l'État indemnise des dommages découlant de l'application par les juges d'une loi qui, bien que moralement condamnable, était régulière à l'époque, ce pour quoi il n'y a pas de précédent en France.

De fait, dans la seule loi d'indemnisation qui a précédemment été votée, à savoir celle qui visait à réparer les préjudices subis par les Harkis, la réparation qui était due à ces derniers résultait non pas de l'application d'une loi pénale irrégulière, mais de circonstances de fait citées dans cette loi : « l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie » et des « privations et […] des atteintes aux libertés individuelles » qu'ils avaient subies. On ne peut pas transposer ce que la République a fait aux Harkis avec la discrimination qu'elle a fait subir aux homosexuels.

Par ailleurs, une telle mesure ouvrirait la voie au déclenchement d'une série de contentieux – j'attire l'attention du Sénat sur ce point.

Je prends l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). L'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès ont inscrit dans la Constitution la liberté pour la femme d'avoir recours à l'IVG. Si, demain, la République s'excusait auprès des femmes de la répression abominable qu'elles ont subie, cela ouvrirait-il la voie à réparation en vertu d'une loi appliquée régulièrement par des juges, laquelle a été fort heureusement abandonnée et n'appartient plus qu'à un passé révolu ?

Toute condamnation d'une loi, vingt, trente ou quarante ans après son adoption, en raison d'une évolution heureuse de la société, ouvrira-t-elle droit à réparation ?

En raison du principe de la prescription et de la reconnaissance de la régularité de l'application par les juges de la loi remise en cause, nous ne pouvons pas, à mon sens, adhérer au principe de la réparation. Voilà pourquoi je suis en désaccord, sur ce point, avec le texte qui a été voté par l'Assemblée nationale et avec votre proposition, monsieur Bourgi.

La République doit s'excuser d'une législation indiscutablement discriminatoire, qui a conduit à des situations terribles. Comme l'ont montré les auditions que nous avons menées, la publicité donnée aux affaires et l'état des mœurs, au-delà de la répression, ont rendu le quotidien des gens atroce.

À cet égard, la réparation morale votée par nos deux assemblées est, à mon sens, une décision heureuse, qui doit mettre fin à cette période. Néanmoins, aller au-delà m'apparaît déraisonnable sur le plan juridique.

Cela n'enlève rien à ce qui a été subi, et que nous condamnons. Comme l'a rappelé tout à l'heure Mme la ministre, la reconnaissance solennelle par la République de cette discrimination est aussi un message que notre pays envoie à ceux qui, actuellement, en Europe, essaient de revenir sur les droits des homosexuels. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cédric Chevalier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)