M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1791, la France faisait figure de pionnière en dépénalisant l'homosexualité, s'érigeant ainsi parmi les Nations les plus progressistes de son temps.

Mais cette avancée a été mise entre parenthèses, broyée, stoppée brutalement de 1940 à 1944, avec le rétablissement, par le régime de Vichy, des infractions pénales spécifiques visant l'homosexualité. Fait regrettable, à la Libération, alors que la majorité des textes vichystes ont été annulés, l'ordonnance du 8 février 1945 a maintenu cette répression. Pire encore, en 1960, la législation fut durcie, renforçant l'interdiction des relations homosexuelles.

Ce n'est qu'avec la loi du 4 août 1982 que la France abrogea enfin le second alinéa de l'article 331 du code pénal, mettant un terme définitif à la pénalisation de l'homosexualité.

Nous ne pouvons que déplorer que notre code pénal ait, pendant si longtemps, comporté des dispositions discriminatoires, conduisant à des condamnations profondément injustes. Oui, la répression judiciaire des personnes homosexuelles fut une injustice indigne de notre République. Nul, ici, ne saurait le contester.

C'est dans le contexte de la commémoration des quarante ans de cette loi fondatrice que notre collègue Hussein Bourgi a pris, en 2022, une initiative, que je tiens à saluer : le dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture.

Le texte initial visait un double objectif : reconnaître publiquement les souffrances – c'est peu dire ! – infligées à nos concitoyens en raison de leur orientation sexuelle ; engager une démarche de réparation.

Néanmoins, la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale soulève plusieurs difficultés juridiques, qu'il nous faut examiner avec rigueur.

Le premier point concerne la période retenue – de 1942 à 1982. Bien que les discriminations aient été réelles, il nous paraît nécessaire de distinguer les persécutions de nature totalitaire commises sous Vichy, d'une part, et les lois discriminatoires qui ont perduré après 1945, d'autre part. C'est pourquoi je partage pleinement la position de notre commission des lois, qui a choisi de recentrer le texte sur la période allant de 1945 à 1982.

Le second obstacle porte sur la question de la réparation financière. Comme l'ont souligné les débats précédents, une telle mesure viendrait heurter le principe de prescription. D'un point de vue constitutionnel, il semble difficile de justifier une indemnisation fondée directement sur une loi pénale. De surcroît, la grande majorité des pays qui ont réhabilité les personnes condamnées pour homosexualité ont fait le choix de ne pas instaurer de mécanisme de compensation financière.

Avant de conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, Francis Szpiner, pour la qualité de son travail et la clarté de l'analyse juridique dont il a une nouvelle fois fait preuve.

Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte porte une charge symbolique forte. Il vient dire haut et fort que la République reconnaît la répression dont ont été victimes des milliers de personnes du seul fait de leur orientation sexuelle.

Profondément attachés à cette reconnaissance, mais soucieux de lever les obstacles juridiques qui l'entourent, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur de cette proposition de loi, telle que réécrite en un article unique par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. le rapporteur, M. Clément Pernot et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui revêt une portée historique et symbolique importante : elle vise à reconnaître la responsabilité de la République dans la persistance de discriminations pénales subies par les personnes homosexuelles entre 1942 ou 1945 – je reviendrai sur ce point ultérieurement – et 1982.

Notre pays, qui s'était montré précurseur en dépénalisant l'homosexualité dès 1791, a vu cet acquis remis en cause sous le régime de l'État français instauré en 1940, avec l'introduction d'infractions pénales spécifiques visant les relations entre personnes de même sexe.

Après la Libération, la République n'est pas revenue immédiatement sur ces dispositions discriminatoires, qu'elle a maintenues, prolongeant ainsi l'injustice.

Selon les recherches disponibles, entre 1945 et 1982, de 10 000 à 50 000 personnes – quasi exclusivement des hommes – ont été condamnées, à des peines d'emprisonnement ferme dans plus de 90 % des cas.

Ces dispositions, aujourd'hui abrogées, ont laissé des blessures profondes, individuelles et collectives. La commission des lois de notre assemblée a estimé qu'il était indispensable d'affirmer, avec clarté et sans ambiguïté, la réalité du caractère discriminatoire de cette législation.

Reconnaître les erreurs du passé est un devoir de mémoire. C'est aussi un acte de fidélité à nos principes fondamentaux : la liberté, l'égalité et la dignité humaine.

Toutefois, cette reconnaissance doit s'inscrire dans le respect de nos principes juridiques.

À cet égard, le dispositif d'indemnisation financière prévu par la proposition de loi soulève de sérieuses difficultés de droit et serait fragile sur le plan constitutionnel. De même, la création d'un nouveau délit spécifique de contestation de la déportation des homosexuels n'est pas nécessaire : l'arsenal juridique actuel permet déjà de sanctionner de tels actes.

Mes chers collègues, je veux aussi rappeler que ce texte a fait l'objet de deux désaccords fondamentaux entre les deux chambres du Parlement.

L'Assemblée nationale a souhaité inscrire une reconnaissance plus large, au nom de la Nation, couvrant la période 1942-1982, et établir un mécanisme de réparation financière. La Haute Assemblée, fidèle à sa tradition d'exigence juridique, a préféré une reconnaissance solennelle par la République, limitée à la période où celle-ci exerçait effectivement l'autorité, dans le respect strict de nos principes constitutionnels.

La République ne saurait être tenue pour responsable des actes du régime de l'État français de Vichy entre 1942 et 1944. Dès le 9 août 1944, par l'ordonnance relative au rétablissement de la légalité républicaine, le Gouvernement provisoire du général de Gaulle a affirmé que la République n'avait jamais cessé d'exister, et que tous les actes de Vichy étaient nuls et non avenus. Il serait donc juridiquement et historiquement inexact de faire porter à la République française la responsabilité des actes d'un régime qu'elle a elle-même déclaré illégitime.

Cependant, si la législation discriminatoire a été instaurée sous le régime de l'État français en 1942, il est bien de la responsabilité de la République française que de l'avoir maintenue après 1945, au mépris de ses principes d'égalité et de respect des droits fondamentaux.

C'est la raison pour laquelle la reconnaissance que nous posons aujourd'hui concerne précisément la période à compter de 1945, lorsque la République, en ayant laissé perdurer ces textes, a failli à son devoir de protéger pleinement tous ses citoyens.

C'est dans cette logique que notre assemblée a confirmé la reconnaissance de la violation du droit au respect de la vie privée, tout en supprimant toute référence à un mécanisme de réparation financière, conformément à nos principes de droit public et aux décisions du Conseil d'État en matière de responsabilité de l'État.

Notre Haute Assemblée a ainsi supprimé l'article 3, qui instaurait ce mécanisme de réparation financière. Cette suppression est motivée par des raisons juridiques solides : l'intervention de l'amnistie en 1981, les règles de prescription en matière de responsabilité de l'État, et l'impossibilité de transposer sans précaution les expériences étrangères.

En France, la tradition juridique repose sur l'effacement des condamnations injustes et la reconnaissance symbolique, et non sur une indemnisation systématique. C'est pourquoi nous avons estimé que la reconnaissance devait primer sur la réparation financière.

Comme elle l'a fait pour de nombreuses autres blessures de son histoire, notamment en reconnaissant les insuffisances dans la restitution des œuvres d'art spoliées sous l'Occupation, la République montre aujourd'hui sa capacité à regarder lucidement son passé : non pour s'accuser indûment, mais pour être davantage fidèle à ses valeurs fondamentales.

Je veux saluer ici le travail patient des historiens, des associations et de la société civile, qui ont permis de faire émerger cette part d'ombre de notre histoire collective, ainsi que celui de notre rapporteur.

Mes chers collègues, il est grand temps que la France dise à celles et ceux qui ont souffert de ces lois injustes : « Vous n'étiez coupables de rien. » Que cette reconnaissance soit un jalon supplémentaire vers une République toujours plus fidèle à sa promesse d'égalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (M. Cédric Chevalier applaudit.)

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture vise un objectif aussi nécessaire qu'incontestable : la reconnaissance de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle dont ont été victimes, entre 1945 et 1982, des milliers de personnes, condamnées sur la base de dispositions pénales aujourd'hui abrogées.

Cette discrimination, qui fut légalement instituée, a constitué une entrave durable à nos valeurs fondamentales. Pendant près de quarante ans, des lois contraires à l'esprit de la République ont bouleversé des vies, brisé des trajectoires, assigné au silence et à la honte nombre de nos concitoyens.

Le présent texte vise à réparer symboliquement ces fautes, à les reconnaître et à les dénoncer.

Nous saluons l'initiative de notre collègue Hussein Bourgi, dont la proposition de loi s'inscrit pleinement dans la lutte contre l'homophobie et les discriminations liées à l'orientation sexuelle, une lutte que nous devons, aujourd'hui encore, continuer de mener, tant les violences et les actes de rejet à l'égard des personnes LGBT+ sont une réalité dans notre pays. À toutes celles et à tous ceux qui en sont encore victimes, nous réaffirmons notre solidarité républicaine et notre détermination à faire reculer toutes les formes de discrimination.

Il aura fallu quarante ans pour que la République revienne sur les dispositions iniques issues du régime de Vichy, maintenues après la Libération. Ce rappel historique est essentiel : l'homosexualité, dépénalisée dès 1791 à la faveur de la Révolution, a de nouveau été criminalisée en 1942, avant que l'infraction ne soit enfin abrogée par la loi du 4 août 1982, sous l'impulsion de Robert Badinter.

Cette proposition de loi transcende les clivages politiques. Elle a été cosignée, ici, par des sénateurs représentant toutes les sensibilités. Et, à l'Assemblée nationale comme dans notre chambre, un large consensus s'est exprimé autour de son objectif central : la reconnaissance des souffrances endurées et de la responsabilité de la Nation.

Des divergences sont toutefois apparues lors de l'examen du texte, et d'abord sur la période visée : l'Assemblée nationale a souhaité inclure le régime de Vichy, que le Sénat avait choisi d'exclure. En outre, elle a réintroduit le volet de la réparation financière, que le Sénat avait écarté, en soulevant les difficultés juridiques et probatoires que poserait sa mise en œuvre.

Si ces deux points feront certainement l'objet d'un dialogue approfondi entre nos chambres au fil de la navette, ces dernières se sont en revanche accordées pour supprimer l'article relatif à la création d'un nouveau délit de négation de la déportation des personnes homosexuelles. Cette suppression ne remet aucunement en cause la gravité de propos qui contesteraient ces faits, mais elle est juridiquement cohérente, car le droit actuel permet déjà de sanctionner de telles remises en cause au titre de la contestation de crimes contre l'humanité.

Mes chers collègues, ce texte ne répare pas tout. Il ne pourra jamais effacer les humiliations, les ruptures, les violences infligées. Mais il dit clairement que la République reconnaît une faute, assume son histoire, et choisit de transmettre autre chose à ses enfants que le silence.

Nous formons le vœu que, au terme de la navette parlementaire, un consensus puisse être trouvé autour d'un texte qui reconnaisse sans ambiguïté la responsabilité de la République, dans une rédaction équilibrée qui allie sécurité juridique et fidélité à l'objectif visé.

Cette proposition de loi est un signal fort, attendu, nécessaire, et c'est pourquoi le groupe RDPI la votera. (M. Cédric Chevalier applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 6 août 1942, le régime de Vichy instaurait une différence de majorité sexuelle entre les personnes hétérosexuelles et homosexuelles, renforçant la répression à l'égard de ces dernières.

Cette réforme discriminatoire a été introduite sous Vichy, mais elle était, en réalité, dans les cartons – ou plutôt dans les couloirs – de la Chancellerie depuis plusieurs années, dès le gouvernement Daladier.

Aussi ne peut-on aborder ce texte sans rappeler que les dispositions législatives dont nous discutons s'inscrivent dans une certaine continuité.

Certes, l'infraction de sodomie a été abrogée en 1791, ce qui a, sur le papier, placé la France parmi les pays plutôt « libéraux », mais cela ne nous a pas empêchés d'user et d'abuser de toutes les contorsions juridiques et policières pour réprimer et ficher les homosexuels, notamment au travers de deux infractions : l'outrage public à la pudeur et l'attentat à la pudeur.

Il ne vous aura pas échappé que, entre 1791 et 1942, la France a connu de nombreux régimes politiques – de la royauté aux empires, en passant par la République – qui ont discriminé les homosexuels bien avant juillet 1940. Tous ont chassé les « antiphysiques », dénoncé les « pédérastes » et stigmatisé des « amours antinaturelles ».

En ce sens, la loi de 1942 ne vient pas marquer une rupture. Elle s'inscrit dans une tradition, nationale et internationale, de répression.

Alors que, à la Libération, la plupart des lois prises par Vichy sont abrogées, il est indiqué dans l'exposé des motifs de l'ordonnance du 8 février 1945 que la loi « du 6 août 1942 […], inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique. » Tout est dit !

En outre, après la guerre, notre histoire retiendra bien plus les collabos homosexuels que les résistants gays, poursuivant ainsi la discrimination. Il faudra attendre 1982, la proposition de loi du député Forni et le rôle essentiel de Gisèle Halimi et Robert Badinter pour qu'il en soit autrement.

Aussi me semble-t-il fondamental que nous reconnaissions collectivement que c'est bien la Nation française qui a discriminé les homosexuels. C'est pourquoi je tiens à saluer chaleureusement notre collègue Hussein Bourgi pour cette proposition de loi, qu'il défend pour la deuxième fois dans cet hémicycle.

L'article 1er, qui reconnaît la responsabilité de la France dans la discrimination des homosexuels, a de nouveau été remanié en commission pour le rétablir dans la version intransigeante du rapporteur. Il me semble néanmoins important de conserver le terme de « Nation », plutôt que d'y substituer celui de « République », de façon à faire porter la reconnaissance sur une période commençant dès 1942.

Le terme de « Nation » est loin d'être juridiquement nul ; il a déjà été utilisé dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis, et il est cité à plusieurs reprises dans la Constitution. Si Vichy n'était pas la République, Vichy était bien la France, et refuser de reconnaître la responsabilité de l'État français pour les actes commis au cours de cette période constitue un incommensurable recul.

Dans la continuité des propos tenus par Jacques Chirac en 1995, le Conseil d'État a reconnu, via son fameux arrêt dit Papon, que l'État pouvait être condamné à indemniser les victimes des agissements de l'administration du régime de Vichy. Rien dans la jurisprudence administrative ne s'oppose donc à la création, encore moins si c'est par la loi, d'un régime spécifique d'indemnisation.

En adoptant la rédaction de la commission, nous adopterions un texte vidé de sa substance et n'ayant pas une once de normativité, un texte qui a amené nos collègues de l'Assemblée nationale à dire que, cette fois-ci, nous avions fait preuve non pas de sagesse, mais de frilosité, alors même que cette proposition de loi est d'origine sénatoriale.

Certes, il est tout à fait possible de reconnaître ses torts sans les réparer, comme nous l'avons fait voilà quelques semaines à peine, mais il est faux que le contraire pose des difficultés insurmontables. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen se déclare favorable au dispositif indemnitaire initialement proposé.

Nous souhaitons également un texte ambitieux, à la hauteur des discriminations subies.

J'y suis d'autant plus favorable que les condamnations pour homosexualité ne se sont pas contentées de se traduire par des amendes ou des peines de prison ; elles s'accompagnaient souvent d'une exclusion des cercles personnel, familial, professionnel.

Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que l'homophobie est encore bien présente au sein de notre société, mon groupe est favorable à la rédaction du texte issue des travaux de l'Assemblée nationale. Je voterai donc les amendements visant à son rétablissement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Vous aurez tous reconnu, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

À lui seul, cet article porte les idéaux universalistes de la Révolution française, les idéaux qui font de la France un refuge pour tous les combattants de la liberté. C'est par cette aspiration à éclairer les peuples du monde que nos aïeux ont posé les bases juridiques de l'État moderne, avec des avancées successives pour les droits humains : divorce par consentement mutuel en 1793, première abolition de l'esclavage en 1794 et, bien sûr, première dépénalisation, en 1791, de l'homosexualité – plus précisément, du crime de sodomie, qui était jusque-là puni par le feu.

Premier pays au monde à légiférer en ce sens, la France réintroduisit la répression pénale de l'homosexualité par une loi du 6 août 1942. Le gouvernement vichyste, ouvertement homophobe, pénalisa les relations entre personnes de même sexe dès lors que l'une d'entre elles avait entre 13 et 21 ans. La Libération et le rétablissement de l'ordre républicain ne modifièrent qu'à la marge cette infraction discriminatoire, qui resta malheureusement en vigueur jusqu'en 1982.

À cette discrimination s'ajoutait une seconde infraction, prévue à l'article 330 du code pénal, qui réprimait tout outrage public à la pudeur lorsque celui-ci « consiste en un acte contre nature avec un individu de même sexe. » Le choix des mots en dit long sur l'époque, que nous espérons tous révolue.

Durant quatre décennies, nous avons eu affaire à une discrimination pénalement acceptée. Dès 1978, et c'est à l'honneur de notre Haute Assemblée, le Sénat avait adopté une mesure visant à abroger le délit d'homosexualité, mais celle-ci a fait l'objet d'un désaccord avec l'Assemblée nationale. Il fallut donc attendre la loi du 4 août 1982 précitée pour que l'homosexualité soit officiellement dépénalisée en France.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture a été adoptée, en première lecture, par l'Assemblée nationale, qui l'a remaniée, le 6 mars 2024.

Son article 1er vise à reconnaître la responsabilité de la République française du fait d'infractions pénalisant l'homosexualité. Le groupe Union Centriste soutient naturellement cette mesure avec force.

Pour reprendre les mots de M. le rapporteur, « le législateur s'est fourvoyé » en adoptant une discrimination sur le fondement de l'orientation sexuelle. Il s'agit d'un fait indiscutable, qui, je n'en doute pas, fait aujourd'hui l'unanimité dans notre hémicycle. En aucun cas, notre République ne peut réprimer un individu pour ce qu'il est : en démocratie, en République, tout citoyen répond de ses actes, et non de son identité, de sa religion ou de son orientation sexuelle. Ainsi, durant quatre décennies, la France a laissé subsister ce que le garde des sceaux de l'époque, Robert Badinter, qualifiait de « pesanteur d'une époque odieuse de notre histoire ».

Toutefois, le groupe Union Centriste a adopté, en commission, les amendements proposés par le rapporteur visant à recentrer la proposition de loi sur la période concernée. L'article 1er reconnaît ainsi explicitement la responsabilité de la République française dans les mesures discriminatoires et attentatoires au droit au respect de la vie privée à l'égard des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.

Le Sénat et l'Assemblée nationale ont également trouvé un accord pour la suppression de l'article 2, qui visait à créer un délit réprimant la contestation ou la minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Si l'intention des auteurs de cet article était louable, l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse couvre déjà la déportation des homosexuels – cela a été rappelé. Comme le rapporteur l'a souligné, l'autonomisation de ce délit perturberait les contentieux en cours. Je rappelle que, en l'état du droit, un individu qui exprimerait publiquement toute contestation de l'existence de crimes contre l'humanité ou toute négation, minoration ou banalisation de ces crimes encourt déjà une peine maximale d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende.

Aux articles 3 et 4, les députés ont rétabli le principe d'une réparation financière des personnes condamnées pour homosexualité.

Si la reconnaissance de la responsabilité de la République française doit s'accompagner d'un perpétuel travail d'information et de sensibilisation, la mise en place d'un mécanisme de compensation financière semble juridiquement contestable. En effet, le droit à une réparation financière s'avère incompatible avec l'amnistie prononcée le 4 août 1981, avec les règles de prescription, mais également avec la jurisprudence du Conseil d'État en matière de la responsabilité de l'État du fait des lois.

En outre, de très nombreux pays n'ont pas mis en place de dispositif de réparation. Je considère que la France peut s'inscrire dans le même cadre et la même orientation.

L'examen de cette proposition de loi nous rappelle la nécessité de tirer collectivement les enseignements du passé pour les transmettre aux générations futures. La loi permet à la République de se confronter à ses responsabilités passées, mais c'est bien l'éducation et la transmission qui évitent à une Nation d'oublier son histoire. L'impérieuse nécessité de la lutte contre l'homophobie et contre toute forme d'exclusion est l'apanage de notre République ; défendons-le !

Je remercie Hussein Bourgi de son engagement personnel, mais je remercie également toutes les associations et tous les citoyens qui, par leur combat de chaque jour, que ce soit au Parlement, auprès des sénateurs et des députés, dans la presse ou tout simplement dans l'action quotidienne, ont permis la tenue de ce débat.

Je tiens, en outre, à souligner la nécessité d'honorer la mémoire de nos concitoyens victimes d'homophobie, ainsi que le respect que nous devons à toutes les personnes qui ont souffert de ces discriminations et de ces violences tout au long de ces années.

Le groupe Union Centriste votera évidemment en faveur de la version réécrite par le rapporteur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du GEST.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cher Hussein Bourgi, auteur de cette proposition de loi, il est des textes qui sont plus que des actes législatifs, des textes qui interrogent notre mémoire collective. Celui-ci en fait partie.

Cette proposition de loi ne parle d'ailleurs pas seulement du passé : elle parle du présent ; elle dit ce que la République reconnaît, assume, répare et transmet à celles et ceux qui viendront après nous.

De quoi parlons-nous exactement ? Entre 1942 et 1982, des milliers d'hommes ont été condamnés, harcelés, rejetés pour une seule raison, leur homosexualité, pour avoir aimé, pour avoir été eux-mêmes. La loi de 1942, promulguée sous le régime de Vichy, a institué cette répression ; elle a été renforcée en 1960 par l'amendement Mirguet, qui réprimait l'homosexualité, la qualifiant de « fléau social ».

Ces temps-là paraissent lointains. Je fais partie d'une génération, née dans les années 1980, qui n'a connu que des progrès en matière d'égalité des droits et qui a bénéficié de la disparition progressive des discriminations liées à l'orientation sexuelle. Je pense bien évidemment à la dépénalisation de l'homosexualité, en 1982 ; à l'institution du pacte civil de solidarité (Pacs), en 2000 ; au vote du mariage pour tous, en 2013.

Ces progrès ne doivent pas pour autant nous empêcher de regarder notre passé en face, avec lucidité, et de tâcher de le réparer. À cela, trois raisons.

D'abord, les avancées gagnées, conquises au cours des quarante dernières années sont le fruit de combats menés par des femmes et par des hommes qui ont vécu, souvent douloureusement, ces discriminations et ces humiliations.

Ensuite, ces évolutions législatives ne sont pas gravées dans le marbre et peuvent toujours être remises en cause ; des forces réactionnaires sont encore à l'œuvre pour nous faire revenir en arrière. On voit d'ailleurs fleurir des gouvernements, en Europe, mais aussi outre-Atlantique, qui, de fait, remettent en cause les avancées obtenues dans ce domaine. Songeons, par exemple, en Europe, à la Hongrie, à Orban, à l'interdiction de la marche des fiertés.

Enfin, en France même, ces évolutions législatives, ces réformes importantes n'ont pas totalement fait disparaître les discriminations qui pèsent sur les personnes LGBT. Ces discriminations, ces violences persistent ; elles sont souvent douloureuses, dangereuses.

Ce combat contre l'homophobie, contre la « LGBT-phobie » n'est pas derrière nous, et nous ne le mènerons convenablement qu'à la condition de regarder notre passé en face, de nous rappeler que, dans cette affaire, ce n'est pas simplement l'État de manière abstraite qui est en cause : ce sont des majorités politiques, des parlementaires qui ont adopté des lois discriminatoires. Il nous faut regarder tout cela en face, avec lucidité.

Regarder notre passé en face, tâcher de le réparer, tel est l'objet de ce texte, dont nous soutenons la version initiale, celle qui permet à la fois une reconnaissance symbolique et une réparation pour les victimes de cette homophobie d'État.

C'est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements visant à revenir au texte proposé initialement par Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est, dans notre histoire, comme dans celle de toutes les grandes nations, face au gouffre inexcusable et « incomblable » entre ce que nous voulons être – la grande nation des droits humains et des Lumières – et ce que nous avons fait, face à cette insoluble dissonance, des moments où il n'y a d'autre option digne, si l'on veut formuler une promesse crédible pour le présent et l'avenir, que l'aveu de nos fautes.

C'est à cela que servent les lois mémorielles, à dire solennellement que nous avons eu tort et que, à la lumière des valeurs que nous revendiquons aujourd'hui, nous n'aurions collectivement jamais dû admettre de faire ce que nous avons fait, et à promettre ainsi à toutes celles et à tous ceux qui viennent que plus jamais cela n'arrivera.

Alors que les textes contre les droits fondamentaux s'enchaînent souvent dans cet hémicycle, alors que nous avons voté ici voilà quelques mois un texte qui, s'il était définitivement adopté, ferait de la France le pays le plus répressif d'Europe en matière d'accès aux soins des mineurs trans, je me réjouis que nous examinions aujourd'hui, grâce à Hussein Bourgi et à nos collègues socialistes, que je remercie, un texte qui, à l'inverse, réhabilite les personnes que la France a persécutées.

Face aux offensives de l'Internationale réactionnaire qui, de Washington à Moscou, de Buenos Aires à Budapest, de Téhéran à Rome, prend partout dans le monde les personnes LGBT pour cibles, il est nécessaire que la France réaffirme, dans cette grande bataille mondiale que nous sommes contraints de mener, pour la liberté, l'égalité, la dignité, la diversité et l'humanité pleine et entière de chacune et de chacun, où elle se trouve.

La loi de Vichy de 1942, amorcée sous la IIIe République et que la France a choisi de faire sienne à la Libération, a inventé un crime sans victime, en déclarant les homosexuels coupables d'être. Ces derniers ont été persécutés, emprisonnés, fichés, déportés, traqués, pour la simple et unique raison qu'ils existaient.

C'est une tache qui fait honte à la France, et cette tache s'étend incontestablement depuis 1942. Éluder la période du régime de Vichy, c'est abandonner une partie des victimes et, ainsi, entretenir leur souffrance. En effet, si nous n'endossons pas cette responsabilité, qui le fera ?

Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que Vichy n'est pas la France.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Oui !